Dictionnaire de la fable, ou Mythologie/Préface

DICTIONNAIRE
DE LA FABLE,


Ou Mythologie Grecque, Latine, Egyptienne, Celtique,
Persanne, Syriaque, Indienne, Chinoise, Scandinave,
Africaine, Américaine, Iconologique, etc.


Par Fr. Noël, ancien Professeur de Belles-Lettres dans l’Université
de Paris, Membre de l’Athénée de Lyon, et de la Société
d’Agriculture de la même Ville.

TOME PREMIER.
A PARIS,
Chez LE NORMANT, Imprimeur-Libraire,
rue des Prêtres-Saint-Germain-l’Auxerrois, n°. 42,
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AN IX. — 1801.


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PRÉFACE.

Cet ouvrage est le fruit d’un loisir qui interrompit quelque temps le cours d’une vie active et toute dévouée au service de l’état.

Lorsque j’en conçus le projet, mes idées n’embrassèrent dabord qu’un plan très circonscrit : je me proposais seulement de reproduire le dictionnaire de Chompré avec quelques développements désirés tout-à-la-fois et des savants et des gens du monde.

En abordant ce travail pénible, et dans le cours de la rédaction, mes idées s’étendirent ; je crus qu’il serait agréable pour le public de trouver réunies dans un même cadre, et sous la forme alpbabétique, toutes les mythologies anciennes et modernes. Je sentis moi-même que j’avais besoin de la grande variété qui devait résulter de mes recherches, pour me défendre de la lassitude et du découragement ; et peut-être ne fallait-il rien moins que ce passage d’une mythologie à une autre pour soutenir ma constance et ranimer mon travail à force de le diversifier. C’est ainsi qu’en me transportant de l’Olympe des Grecs et du Capitole des Romains à la cour guerrière de l’Odin des Scandinaves et aux allégories monstrueuses du polythéisme indien, de la théocratie un peu plus raisonnée des Mexicains et des Péruviens aux idoles brutes du reste du nouveau monde et aux fétiches grossières de l’Afrique, ce dictionnaire s’est trouvé terminé.

Quoique poussé d’abord avec toute la ferveur d’une nouvelle entreprise, mon rappel aux fonctions publiques par un gouvernement que tout bon Français s’honore de servir a dû nécessairement en suspendre la publication ; peut-être même l’aurait-il entièrement arrêtée : mais, au milieu des intérêts sacrés qui occupent tous mes moments, l’équité m’a fait une loi de céder aux instances de la maison de commerce avec laquelle j’avais traité dans le temps de mon inaction. Cette maison n’ignorait pas que mon travail était presque achevé, et sur-tout que je n’en avais pas fait un mystère ; et mon éloignement étant le seul obstacle à l’impression, elle a dû craindre de me voir devancé par d’autres, et de perdre ainsi tout le fruit de ses dispendieuses avances. Il fallait, sans doute, une considération aussi puissantes pour consentir à laisser continuer, à cent lieues de moi, l’impression d’un ouvrage dont la correction et l’exactitude constituent le principal mérite ; et, à ce titre, je me crois fondé à réclamer quelque indulgence pour les fautes typographiques qui auront pu échapper.

Je crois inutile de prévenir que ce n’est point ici un ouvrage systématique. J’applaudis hautement aux recherches laborieuses et aux interprétations érudites des savants Vossius, Selden. Bochard, Leclerc, Pluche, etc., qui ont cherché dans les racines des langues hébraïque et phénicienne l’explication des mythes de l’antiquité.

Fulgence, qui na vu que des allégories, Noël le Comte, qui n’y a trouvé que des emblèmes moraux, et Banier, qui a voulu ramener la mythologie aux explications historiques, méritent tous des éloges pour avoir contribué, chacun à leur manière, à débrouiller le chaos mythologique.

On verra plus d’une fois, dans la suite de ce lexique, ce que je pense du savant Dupuis (1) [1] ; et rien ne m’est plus doux que de rendre un juste hommage, en ce moment, à un de mes anciens collègues dans l’Université de Paris, et à un excellent citoyen. Personne, sans doute, n’a porté un plus grand jour dans ces antiques et mystérieuses ténèbres ; et si quelqu’un peut se flatter d’avoir entièrement levé le voile, c’est assurément celui qui a su chercher et trouver dans l’empyrée la clef de tout le système mythologique.

Cependant, qu’il me soit permis de le dire, ou plutôt de le répéter, en général le danger des systèmes est de ramener tout, de force ou de gré, à l’hypothèse plus ou moins ingénieuse qu’on a conçue ; et chaque système devient le lit de Procruste, aux dimensions duquel toutes les explications doivent être assujetties, au moyen de la torture ou de la mutilation.

Pourquoi assigner une seule cause à ce qui en eut un grand nombre, et n’ouvrir qu’une porte aux interprétations ? Tantôt c’est la piété filiale qui déifie un père ravi à ses regrets ; tantôt c’est la désolation maternelle qui fait un dieu du fils auquel la nature n’a pas permis de devenir un homme. Ailleurs c’est un père, frappé dans sa jeune postérité, qui invoque en elle, comme Quintilien, les dieux de sa douleur, numina doloris ; plus loin, l’Amour éploré prend pour objet de son culte l’être aimable et sensible qui fut celui de son idolâtrie. Ici la flatterie des cours décerne des honneurs qu’accueille l’ivresse du pouvoir suprême, et que sanctionne la politique d’un successeur ; là, l’artifice mensonger des prêtres offre de nouveaux appâts à la crédulité des peuples, pour fortifier l’ascendant de l’encensoir, ou pour le reconquérir. Les phénomènes de la nature, tour-à-tour bienfaisants et terribles, mènent à l’idolâtrie par la reconnaissance et la terreur : le langage mystique lui-même perd insensiblement son sens primitif, et met des dëités ënigmatiques et malfaisantes à la place des symboles convenus et des emblèmes innocents. Une nation ingénieuse et sensible, d’une imagination vive et féconde, peuple les mers, les airs, les prairies et les bois, d’êtres fantastiques, d’allégories charmantes, dont s’agrandit le domaine de la poésie ; et les poètes, à leur tour, créateurs d’un monde magique dont les illusions brillantes animent la nature entière, sont entraînés par la foule aux pieds des autels qu’ils ont érigés eux-mêmes, et finissent, comme les statuaires, par adorer l’ouvrage de leurs mains. Enfin les conceptions d’Homère, les allégories des Apelles, les statues des Phidias, tout tourne au profit de la superstition, amie du merveilleux, et pour qui la peur même est une jouissance ; et l’ignorance des idiomes, la confusion des langues, les calamités de la terre qui forcent l’homme à chercher dans le ciel la consolation qui le fuit et l’espoir d’une vie meilleure, les conquêtes même, les révolutions des empires, en dispersant les hommes et les dieux, viennent chaque jour ajouter un nouvel anneau à la longue chaîne des erreurs de l’espèce humaine.

Telles sont, en partie, les causes qui ont peuplé la terre, des déités secourables ou nuisibles, riantes ou bizarres, dont je vais offrir la nomenclature à mes lecteurs. On verra que, fidèle aux principes de cet exposé, j’indique d’autres causes encore, et que je n’en exclus aucune. Cependant je n’ai pas cru devoir m’imposer la loi de tout expliquer ; et si j’ai admis quelquefois les explications qui me paraissaient naturelles, ingénieuses ou plausibles, plus souvent encore je n’ai pas voulu faire au lecteur l’injure de douter de sa sagacité, et j’ai pensé qu’il me saurait gré de la lui laisser exercer à ses risques et périls.

C’est par la même raison que je me suis abstenu d’établir régulièrement des rapports entre les divinités des différents pays. Il en existe sans doute de très frappants ; et il n’est pas difficile de s’appercevoir que les mêmes fables ont fait le tour du globe, et que ce sont les mêmes divinités qui, sous des noms différents, offrent les mêmes attributs, et reçoivent l’encens des mortels.

Un mémoire intéressant du célèbre Hastings, inséré dans les Asiatik Researches (1) [2], m’a fourni les rapprochements entre les divinités indiennes et les dieux de la Grèce et de Rome, trop justes et trop piquants pour être omis : souvent un seul mot m’a suffi pour en indiquer d’autres. Mais peut-être le peu que j’en ai dit fera-t-il naître à quelque écrivain, qui joindra beaucoup de courage à beaucoup de loisir, l’idée d’une Concordance des mythologies de tous les temps et tous les lieux ; ouvrage que je crois très philosophique, et susceptible d’un grand intérêt.

La comparaison qu’on peut établir entre ces différentes mythologies est, comme on s’en doute bien, tout à l’avantage de celle des Grecs, à la vanité desquels on pardonne aisément d’avoir embelli les traditions égyptiennes importées par Orphée et par leurs premiers législateurs. Après tant de siècles écoulés, c’est elle encore qui domine exclusivement sur le théâtre et sur le Parnasse, et le monde chrétien n’est pas moins idolâtre que les vainqueurs de Xerxès et les enfants de Romulus : c’est elle qui présente les fictions les plus poétiques, les allégories les plus riantes, les créations les plus ingénieuses, et qui fournit encore au crayon du poète, au pinceau du peintre, au ciseau du statuaire, les plus heureuses ressources. Et qu’on ne dise pas que ses couleurs sont fanées, que ses traits sont usés, que ses images sont ternies. Sans doute Voltaire eut raison de reprocher à Bernis l’abus qu’il en a fait ; mais lisez avec attention nos bons poètes, J.-B. Rousseau et Gresset entr’autres, et voyez quel parti sait en tirer leur génie guidé par le goût. Comparez l’étalage collégial des Saisons de ce même Bernis avec l’usage sobre et ingénieux qu’en vient de faire le chantre des Géorgiques françaises, et prononcez si cette mine est épuisée sans retour.

Mais faut-il, pour cela, interdire aux poètes le sanctuaire des autres mythologies ? et la poésie ne peut-elle trouver ailleurs des créations neuves et des images piquantes ? Cette interdiction serait aussi absurde qu’inutile. Le monde idéal, comme le monde physique, appartient au génie poétique ; cl c’est à lui à tenter de nouvelles découvertes dans le pays de la fable comme dans la région de la vérité. Et qui oserait dire à 1 aigle, borne-là ton audacieux essor ? Voyez avec quel talent Pope a mis en œuvre les fictions cabalistiques dans sa Boucle de cheveux enlevée, et quelles ressources le Tasse avait trouvées avant lui dans les idées de magie accréditées de son temps. C’est ainsi que le génie sait mettre tout à contribution, et tenter des excursions heureuses ; c’est ainsi que récemment un poème dont la licence a justement effarouché les Grâces, mab qui éiincelle de beautés du premier ordre, a fait mouvoir l'Olympe Scandinave, et figurer Odin à côté de Jupiter.

Cette mythologie, qui n’est qu’une division de la celtique, était déjà connue par l’Edda de M. Mallet. Quoique d’un intérêt inférieur à celui des fables grecques et romaines, elle se soutient après ces antiques fictions, et plaira, ne fût-ce que par la variété. Elle se sent un peu, il en faut convenir, des climats rudes et sauvages qui furent son berceau ; et cette âpreté même donne à ses dieux ime physionomie particulière qui a son genre de mérite. Des idées religieuses qu’on peut recueillir des poésies Erses, la plus poétique est sans contredit celle qui assigne les nuages pour demeures aux âmes des héros, et qui les rend ainsi témoins des peines et des plaisirs de leurs parents et de leurs amis. Cette idée a fourni tout récemment au citoyen Creuzé une fiction très ingénieuse qui a été accueillie du public, comme elle devait l’étrerf et je ne puis me refuser au plaisir de linsérer ici (1).

(I) Vers sur la mythologie d’Ossian.

Adieu les fables des vieux âges,
Les dieux des Grecs et des Troyens !
Vivent les héros des nuages
Dans leurs palais aériens !

Nageant dans la céleste sphère.
Mais vers nous daignant s’abaisser,
Leurs âmes viennent converser
Avec les héros de la terre.
II faut, quelque obstiné qu’on soit,
A leur existence se rendre.
Le vainqueur de Mêlas y croit.
Il a dû souvent les entendre.

Je sais qu’aux bords égyptiens
L’ame sublime d’Alexandre,
Souvent des champs éthéréens
Près de lui se plut à descendre.

Mais, j’en demande pardon aux admirateurs d’Ossian, je n’ai rien trouvé dans ses poésies dont je pusse aug-

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Avec joie il le contemplait,
Et non sans raison, je le pense :
On fixe toujours son portrait
Avec un air de complaisance.
Mais je dois vous dire, entre nous,
Que parfois d’un regard jaloux
Il observait la différence.
Il le voyait par ses vertus
Etonnant ces rives lointaines,
Sachant pardonner aux Clitus
Et consulter les Callisthènes ;
Par-tout où son bras fut vainqueur
Portant la paix, non l’incendie,
Et protégeant Alexandrie
Par respect pour le fondateur.
De retour du lointain rivage,
Quand sur le Bernard sourcilleux
Bonaparte victorieux
Osa se créer un passage,
On a vu l’ame d’Annibal
Applaudir son jeune rival
En se penchant sur un nuage.
On l’a vu même avec ardeur
Le suivre en la plaine italique,
S’étonnant qu’aux champs de l’honneur
Son bras fût sa défense unique,

menter la variété de ce vocabulaire ; et, à quelques passages près, je rencontre à chaque pas une monotonie,


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Et qu’il n’eût pas la foi punique
Comme il en avait la valeur.
Mais aujourd’hui que l’espérance,
Ce doux messager du bonheur,
Est par lui de retour en France,
Depuis qu’il a su conquérir
La paix si long-temps souhaitée,
D’un nuage il voit accourir
De Numa l’ame respectée.
Il se plaît à l’entretenir :
A ses côtés elle se trouve.
Il n’en voudra pas convenir ;
Mais il fait bien mieux, il le prouve.
II s’est acquis des droits nouveaux
A notre amour, à nos hommages,
En consultant sur ses travaux
Cette ame qu’honorent les âges.
La guerre est le temps des héros ;
Mais la paix appartient aux sages.
Fidèle au sein qui l’anima,
Et dévoué pour la patrie,
Il est sage comme Numa,
Et son cœur est son Egérie.

J’aime Ossian et ses combats,
J’aime ces âmes qui n’ont pas

une sécheresse, une uniformité de traits et de couleurs, qui me paraissent répondre parfaitement à la tristesse des sombres climats qui les ont produites. D’ailleurs, il

est aisé de voir que la mythologie fie Fingal est à-peu-près la même que celle des Scandinaves.

Celles de l’Orient étaient moins rapprochées ; et leur bizarrerie, leur incohérence, leur prodigieuse diversité, n’ont pas permis jusqu’à présent d’en faire un corps régulier. Il a fallu dépouiller les relations des voyageurs de tout ce qu’elles offraient d’intéressant en ce genre.

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D’autre demeure que les nues ;
Mais ici je sais arrêté
Par certaine difficulté
Jusquà présent des moins prévues.
On peut la proposer, je croi :
Çà dites-moi, je vous en prie,
Vous qui d’Ossian mieux que moi
Connaissez la mythologie,
Amateurs anciens et nouveaux
D’un culte dont je suis l’apôtre,
Où logeront tant de héros
Qui viennent visiter le nôtre,
Quand, épuré par ses succès,
Après tant d’horribles orages,
Le ciel qui luit sur les Français
Grâce à lui sera sans nuages.

Kœmpfer et Duhalde ont servi de guide pour le Japon, Duhalde pour la Chine, Tachard et la Loubère pour le Siam, Sonnerat pour les Indes , etc. Je ne dois pas

oublier un écrit d’un missionnaire carme, intitulé, Systema Brahmanicum, imprimé à Rome en 1791 qui m’a été communiqué par le citoyen Langlès, conservateur des manuscrits à la bibliothèque nationale, avec la complaisance et l’aménité qui le rendent cher à tous ses amis. On est fâché de trouver à côté de recherches savantes ces longues et fastidieuses déclamations contre la philosophie, qu’il faut laisser aux Barruel et autres gagistes des libraires anglais et hambourgeois ; et ses sorties , entr'autres, contre Sonnerat sont d’autant plus déplacées, que ses explications, fondées sur une connaissance profonde des langues orientales, finissent toujours par justifier les observations de cet estimable voyageur.

Sans doute les fictions indiennes seront trouvées bien bizarres à côté de celles d'Homère et de Virgile. Repoussantes pour les artistes imbus des idées du vrai beau par les formes monstrueuses et gigantesques de leurs déités, elles offrent en général un intérêt de curiosité plutôt que de satisfaction pour un esprit judicieux et délicat : embrouillées d’ailleurs et confuses, entremêlées de traditions contradictoires qui varient suivant les localités (1) [3], il est très difficile de les assujettir à une sorte de système méthodique, et d’en déterminer la classification. Mais leur haute antiquité, leur air de famille avec les mythes égyptiens, l’identité des mystères voilés sous ces symboles hideux et effrayants, c’est-à-dire des rapports de l’agriculture et de l’astronomie, les passages sublimes qui se détachent de l’obscurité des livres sacrés de l’Inde, la forte présomption que ce pays est le berceau de toutes les fables qui ont voyagé sur la terre habitable, enfin, la réflexion que tous ces emblèmes composent un chapitre important de l’histoire des erreurs humaines, tous ces motifs m’ont imposé la loi de donner à leurs dieux et à leurs cérémonies une part considérable dans cet ouvrage.

La mythologie slavonne est peu connue. J’ai consulté l’ Histoire de la Russie par le citoyen Leclerc, et un petit dictionnaire imprimé à Pétersbourg en 1791. J’apprends dans l’instant qu’une nouvelle édition de l’ Histoire de la Russie, par le citoyen Lévêque, membre de l’Institut, vient d’être publiée ; et je regrette vivement de n’avoir pas été plutôt à portée de m’enrichir du fruit de ses recherches.

Les absurdités de l’islamisme et les rêveries rabbiniques devaient figurer dans ce vaste répertoire des folies humaines ; aussi n’ai-je eu garde de les passer sous silence, non plus que les divinations et superstitions modernes, qui ne sont que trop multipliées, à la honte de la raison et de la philosophie. Les indiquer, c’est les combattre ; et les exposer, c’est avoir fait beaucoup pour les détruire.

La dissertation sur les fétiches du président Desbrosses m’a fourni des morceaux d’autant plus curieux que la couleur en tranche avec celle des autres, mais qui, comme le reste, concourent à établir en résultat cette triste vérité, savoir, que la terre entière est le domaine de l’erreur, et que plus l’imposture est grossière plus la croyance est implicite, plus la superstition embrasse les chimères, objets de ses religieuses terreurs.

Tout ce qui concerne la religion des Péruviens et des Mexicains a été emprunté de Garcias-Lasso de la Véga, et de l'historien de la conquête du Mexique, D. Antonio de Solis, qui paraissent être les deux sources les plus accréditées. Il y aura quelque intérêt à comparer Manco-Capac avec Numa, et à retrouver des fils du Soleil dans le palais de Cusco, comme sur les trônes de la Grèce.

Je n’ai pas même dédaigné les inepties des démonographes, et les prestiges de la prétendue sorcellerie. Des hommes éclairés d’ailleurs y ont ajouté foi ; des tribunaux entiers ont condamné à une mort horrible de malheureuses victimes d’une imagination faible et de l'aveugle fanatisme, et c’est à la lueur des bûchers qu’on a prétendu éclairer les consciences. Ces fictions absurdes prennent dès-lors un degré d’intérêt qui ne m’a pas permis de les omettre.

J' ai cru faire une chose agréable aux artistes, en leur consacrant spécialement une partie qui, jusqu’à présent, n’était pas entrée dans le plan des ouvrages de ce genre. Je veux parler de l'iconologie, qu’on pourrait appeler la mythologie moderne, comme la mythologie ancienne n’a souvent été qu’une véritable iconologie. Ce n’est pas que j’aie la prétention de suggérer des idées aux artistes supérieurs : les David, les Girodet, les Gérard, les Guérin, et toute cette brillante école qui reconnaît Vien pour son guide, ont prouvé qu’ils n’étaient pas faits pour marcher à la lisière. Mais si le génie ne se donne pas, il s’échauffe et se féconde par l’étude, la méditation et les exemples ; et c’est dans la même vue que je me suis attaché, autant qu’il m’a été possible, à indiquer les sujets mythologiques déjà traités par les grands maîtres des différentes écoles. Je me plais à reconnaître ici que j’ai profité à cet égard de l'exemple et des recherches du citoyen Delandine, mon collègue à l'Atthénée de Lyon (1) [4], dont la restauration commence à faire luire sur cette terre long-temps désolée l’aurore d’un jour plus prospère.

César Ripa, tout défectueux qu'il est, et l'Anglais Richardson, ont été mis à contribution ; mais j’ai corrigé l’un et l’autre en les rapprochant de Gravelot et de Cochin, dont les idées ont ordinairement plus de justesse et de précision.

La numismatique, ou science des médailles, n’était point mon objet, et suppose, d’ailleurs, des connaissances qui me sont étrangères : cependant, comme elle a de grands rapports avec la partie de l'iconologie ancienne, elle n’a pas non plus été négligée ; et ce qu’on en trouvera suffît pour intéresser ceux qui ne se proposent point d’en faire une étude particulière. Aux articles de pure mythologie se trouvent joints beaucoup d’autres qui semblent plutôt appartenir à un dictionnaire d’antiquités : mais on remarquera aussi qu’ils entraient dans mon pian, comme tenant aux systèmes et aux usages religieux des anciens ; et si les fêtes, cérémonies, etc., ne devaient pas être bannies d’un ouvrage dont elles constituent une des parties intégrantes, il s’ensuit que tous les détails, tous les accessoires qui leur appartiennent, ne devaient pas être recueillis avec moins de soin.

Mais je m’apperçois que cette préface passe les bornes que je voulais y mettre. Un discours préliminaire peut convenir à un ouvrage systématique, mais serait une enseigne trop fastueuse à la tête d’un dictionnaire : la façade d’un magasin ne doit point ressembler au péristyle d’un palais.

Il ne me reste donc plus qu’à réclamer l’indulgence du public pour un travail long, pénible et sans gloire, mais dont l’utilité a soutenu ma persévérance : qu’à solliciter les secours des savants qui voudraient contribuer à la perfection de cette entreprise, en m’indiquant des redites, des omissions ou des additions essentielles : et qu’à payer aux conservateurs des imprimés de la bibliothèque nationale, et spécialement aux citoyens Capperonnier et Van Praet le juste tribut de reconnaissance que je leur dois pour le zèle et la complaisance qu’ils ont mis à m’accueillir, à m’encourager, et à me comuniquer les trésors dont ils sont les dépositaires fidèles autant que les éclairés appréciateurs.


Lyon, le 21 brumaire an 9.



Note de l’éditeur. — N’ayant eu la copie que successivement, et éloigné de l’auteur, je n’ai pu estimer au juste quelle serait la grosseur relative des deux volumes. Le second se trouvant beaucoup plus fort, j’ai cru devoir, pour diminuer la disparité, placer le supplément à la fin du premier volume.

  1. Auteur de l’Origine des cultes.
  2. Vers le commencement de la révolution, je m’étais occupé, de concert avec le citoyen Langlès, aujourd’hui membre de l’Institut, d’un choix de morceaux tirés de ces Mémoires de l’académie de Calcutta trop peu connus en France. Les scellés des Omar modernes ont pesé long-temps sur les presses qui devaient l’imprimer. Aujourd’hui que le titre d’homme de lettres n’est ni un arrêt de proscription, comme du temps de nos califes, ni un litre d’exclusion, comme naguère, j’invite cet estimable savant à faire jouir le public de ce travail qu’il a entièrement refondu, et qui est devenu le sien.
  3. On a remarqué que les traditions admises sur les mêmes dieux par la côte de Malabar different beaucoup de celles suivies par la côte de Coromandel.
  4. (I) Voyez l'Enfer des peuples anciens, par le citoyen Delandine, 2 vol. in-12.