Dictionnaire de l’argot des typographes/Bourdon

Marpon et Flammarion (p. 62-63).
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Bourdon, s. m. Omission d’un mot, d’un membre de phrase ou d’une phrase. Ces omissions exigent souvent un grand travail pour être mises à leur place quand la feuille est en pages et imposée dans les châssis. V. Jacques (Aller à Saint-), aller en Galilée, en Germanie.

Le bourdon défigure toujours le mot ou la phrase d’une façon plus ou moins complète. On raconte que la guerre de Russie, en 1813, fut occasionnée par un bourdon. Le rédacteur du Journal de l’Empire, en parlant d’Alexandre et de Napoléon, avait écrit : « L’union des deux empereurs dominera l’Europe. » Les lettres ion furent omises, et la phrase devint celle-ci : « L’un des deux empereurs dominera l’Europe. » L’autocrate russe ne voulut jamais croire à une faute typographique. Avouons-le tout bas, nous sommes de son avis ; car trois lettres tombées au bout d’une ligne, c’est… phénoménal.

L’exemple suivant n’est que comique : il montre que le bourdon peut donner lieu quelquefois à de risibles quiproquos ; nous copions textuellement une lettre adressée au directeur du Grand Dictionnaire :

« Monsieur, accoutumé à trouver dans votre encyclopédie tout ce que j’y cherche, je suis étonné de ne pas y voir figurer le mot matrats, qui est pourtant un mot français, puisqu’il se trouve dans le fragment de la Patrie que je joins à ma lettre. Agréez, etc. »

Voici maintenant le passage du journal auquel il est fait allusion :

« La cérémonie était imposante. Toutes les notabilités y assistaient ; on y remarquait notamment des militaires, des membres du clergé, des matrats, des industriels, etc. »

M. X*** ne s’était pas aperçu du bourdon d’une syllabe et s’était torturé l’esprit à chercher le sens de matrats, quand un peu de perspicacité lui eût permis de rétablir le mot si français de magistrats.