Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Vocation

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 952-968).
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VOCATION. — Un travail complet et détaillé devrait comprendre l’examen de la vocation aux différents points de vue suivants : doctrinal, canonique, ascétique, psychologique, apologétique et historique. Le problème est des plus vastes, au surplus, souvent délicat, et n’a pas encore été jusqu’ici, que nous sachions, présenté au public, dans cette intégralité pleinement compréhensive. Notre plan, pour des raisons de meilleure adaptation à l’esprit général du Dictionnaire, n’adoptera pas ces titres. On s’est efforcé cependant de toucher tous les points importants ; pour les questions discutées, l’on a cherché, non à fournir une solution absolument adéquate, mais celle qui, après un exposé impartial du débat, paraissait la plus solide.

Plan d’bnsbmblb

I » Nature de la vocation. — La vocation au sens large ; la vocation au sens précis.

II" Le vœu de virginité dans le monde. — Beauté, possibilité, fécondité de cette vocation.

III La vocation sacerdotale. — Manifestation à une ànie, — que Dieu la veut — dans l’état clérical.

IV Vocation religieuse. — Sa vraie nature. Les objections : c’est se diminuer ; c’est se rendre inutile.

V° Vocation religieuse et vocation sacerdotale comparées. — La question pratique ; objections et mises au point. La question théorique ; perfection et état de perfection.

VI° Comment naît une vocation. — Rôle de Dieu ; de l’appelé ; des parents et éducateurs.

VII" Vocation générale et vocation spéciale. — Portée et étendue de la parole de Notre-Seigneur :

« Si tu veux ! » 

Vlll" Sublimité de la vocation. — Virginale ; sacerdotale ; religieuse.

IX" Comment suivre sa vocation ? Deux cas : ou bien la question d’avenir est encore pendante ; ou bien on la résoluedéjà par la négative ou l’affirmative.

X° Perte de la vocation ; vocations transitoires ; renvois.

XI" La crise des vocations. — Les craintes ; les espérances.

XII" Y ocation et persécution. Bibliographie.

I. Nature de la vocation. — Vocation veut dire : appel. Distinguons :

i° La vocation au sens large. — Eternellement Dieu pense à chacune de ses créatures et lui assigne une place dans sa création. A chacun de nous, Dieu destine un état de vie, et ménage les grâces propres à cet état. Unusquisque proprium donum habet ex Deo (I Cor., vii, 7). Que chacun donc, dit encore saint Paul, marche selon que le Seigneur lui a départi et selon que Dieu l’a appelé. De même, observe saint Thomas, (I a, q. 6, a. 4)> que la bonté parfaite qui réside en Dieu d’une manière simple et absolue se répand, avec des formes multiples et diverses, sur les êtres de la création ; de même la plénitude de la grâce, réunie dans le Christ comme dans le chef, rejaillit sur ses membres avec une admirable variété, afin qne le corps de l’Eglise soit parfait. L’Apôtre exprime ainsi cette vérité : // a donné à son Eglise des Apôtres, des Prophètes, des Evangélistes, des Pasteurs et des Docteurs, pour que tous travaillent à la consommation des saints [Eph., iv, 2). Saint Paul complète ailleurs sa pensée : Comme dans un seul corps, il y a plusieurs membres qui n’ont pas les mêmes fonctions, tous ainsi nous formons dans le Christ un seul et même corps (Rom., xii, 4)- Si tout le corps était œil, où serait l’ouïe ? Et s’il était tout ouïe, où serait l’odorat ? I, Cor., xii, 17). Ce que Boudon, archidiacre d’Evreux, commentait ainsi : « Il y en a qui sont comme les mains : ce sont ceux qui sont appliqués à l’action ; il y a ceux qui sont comme les épaules, qui portent le fardeau des croix ; d’autres comme la bouche, occupés à publier les grandeurs de Dieu ou à chanter ses louanges ; d’autres comme le cerveau, qui demeure caché dans la tête, par leur vie retirée et solitaire ; enfin, il y en a qui, comme le cœur, sont tout appliqués à l’amour divin. » (Œuvres de M. Boudon, édit. Migne, I, col. 1227). Il est d’utilité capitale pour tout homme de savoir où Dieu le veut, « la chose la plus importante de toute la vie est le choix du métier. » (Pascal, Pensées, éd. Havet, a. m §4). Que pour chaque état, il y a une vocation de Dieu : bonnes pages de Mgr Dcpanloup (Education, t. I, 1. iv, eh. iv etv, p. 272).

2° La vocation au sens précis. — C’est la réponse de l’homme à la vocation divine, autrement dit le don de soi à Dieu, soit par le vœu de chasteté dans le monde, soit par le sacerdoce, soit par la vie religieuse ; et, d’une façon plus précise encore, le don de soi à Dieu sous les dernières formes. Nous parlerons surtout de celles-là : sacerdoce séculier, vie religieuse. Ces deux états ne s’excluent pas (la plupart des religieux, dans nombre d’institul s, sont prêtres) ; de soi, ils ne s’incluent pas et sont, en eux-mêmes, très différents.

a) Sacerdoce séculier dit : choix par l’autorité, en vue (immédiatement) du soin spirituel des âmes (pro hominibus constituitur. Heb., v, 1) ; il est, primario et per se, un organisme social : aider tel contingent du troupeau à pratiquer le christianisme. Vie religieuse dit : désir personnel, en vue (immédiatement du moins) de la sanctification du sujet lui-même ; elle a, primario et per se, un but individuel : pratiquer pour son compte le christianisme aussi parfaitement que possible,

b) Le sacerdoce séculier ne réclame pas essentiellement la pratique des conseils. La vie religieuse consiste essentiellement dans la pratique delà pauvreté, chasteté, obéissance. Elle peut exister en dehors du sacerdoce.

Pour plus de clarté, nous traiterons d’abord séparément de la vocation sacerdotale et de la vocation religieuse ; puis des points communs entre l’une el l’autre. Un mol, avant cela, de la vocation à la virginité clans le monde. 1893

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II. Le vœu de virginité dans le monda. —

Bien des âmes, pour des raisons soit de préférences personnelles, soit de santé, soit de charges de famille, ne peuvent ou ne veulent pas s’adonner à la vie religieuse. Il leur est loisible de se consacrer à Dieu par le vœu de virginité, auquel on joint souvent le vœu de chasteté. Vœu de virginité signiiie engagement de ne pas contracter mariage ; vœu de chas- i tetô, engagement d’éviter, par esprit de « religion », ce qui déjà se trouve défendu par les vie et ix* commandements.

i° Beauté de cette vocation. — a) Notre Seigneur en a fait l’éloge : « Il y a des eunuques qui le sont de naissance, dès le sein de leur mère ; il y a aussi des eunuques qui le sont devenus par la main des hommes ; il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause duroyaume descieux. Que celuiqui peut comprendre, comprenne ! » (Malt., xix, 12). b) Saint Paul a célébré lui aussi la supériorité de la virginité sur le mariage : c Je voudrais que vous fussiez sans préoccupation. Celui qui n’est pas marié a souci des choses du Seigneur ; celui qui est marié cherche à plaire à sa femme, et il est partagé » (I Cor., vii, 32-34). Et encore : « Je voudrais que tous fussent comme moi », c’est-à-dire non mariés » (I Cor., vii, 7). c)Les encouragements de l’Eglise. Eloges nombreux de la chasteté. Texte formel du Concile de Trente : la continence vaut mieux que le mariage (Sess. xxiv, De i.iatrim., c. 10) : « Est anathème celui qui soutient que l’état conjugal doit être préféré à l’état de virginité ou de célibat, et qu’iln’est pas meilleur et plus saint de demeurer dans la virginité et le célibat que de contracter mariage. »

2° Possibilité de cette vocation. — a) Possible physiquement, contrairement à ce qu’affirme certaine science matérialiste, à la remorque de jugements superficiels ou intéressés, de Luther par exemple : a II est aussi peu possible d’accomplir le vœu de chasteté que de se dépouiller de son sexe… Comme il ne dépend pas de moi que je ne sois pas homme, il ne dépend pas de moi que je sois sans femme. » Les affirmations des hygiénistes et médecins sérieux sont unanimes (voir P. Burkau, L’Indiscipline des mœurs, 3* partie, ch. vi, La chasteté dans le célibat, p. 2g3 à 304, série de témoignages). Il ne faut pas confondre une aptitude avec un besoin (voir article Chasteté, par le D r GoY, et surtout Sacerdoce chrétien, II, Célibat, par le R. P. Auffroy).

L’œuvre de chair est une nécessité de l’espèce, non une nécessité pour chaque individu. « Dieu veut sans doute que l’humanité se perpétue par la génération. A cette fin, il a donné à l’homme le pouvoir de produire la vie ; pour que ce pouvoir ne demeure pas stérile, il a mis au fond de l’être humain un instinct spécial. Cet appel de la nature suffit pour q’ie l’humanité se porte, dans son ensemble, à exécuter le plan divin ; mais Dieu n’impose à personne en particulier une obligation en conscience de suivre cet instinct. » (Castillon, Trois problèmes moraux, p. 4a).’*) Possible moralement, non sans doute aux âmes vulgaires et qui ne s’appuient pas sur Dieu, mais sans aucun doute à celles qui possèdent une vraie générosité, et comptent sur Dieu (prière, dévotion à la Sainte Vierge, Eucharistie) pour les aider :

« Ma £rà< :e te suffit. » (II Cor., xii, 9) » Je puis tout

en celui qui me fortifie. » (Pkil., w, 13.)

3* Fécondité. — Plusieurs ont pensé attaquer efficacement la virginité en l’accusant d’être une pratique antisociale : égoïsme monstrueux qui va, disent-ils, à ruiner le genre humain. En fait, a) certains dévouements ne sont possibles que moyennant l’état de virginité dans le monde, a II n’est pas nécessaire que chacun procure le bien de l’espèce hu maine sous forme de la génération. On peut travailler au bien de l’humanité de bien d’autres manières, souvent supérieures, et qui exigent, comme condition préalable, plus ou moins nécessaire, le célibat. » (Castillon, ibid., p. 42.) Si déjà Michel-Ange pouvait dire, quand on lui proposait de se marier : « La peinture est une jalouse qui ne souffre point de rivale », à plus forte raison peuvent parler ainsi ceux qui aspirent aux soins des malades, à l’éducation des enfants, etc… Et qui dira qu’il a là un détriment pour la race ? « S’il fallait dresser une stalue au saint de la paternité, c’est à saint Vincent de Paul qu’on l’offrirait, pour avoir recueilli, sauvé et donné, à lui seul, plus d’enfants à la France, que des centaines de pères. » (Henri Lavbdan). b) Si, physiquement, la vocation de virginité ne contribue pas à perpétuer l’espèce humaine, moralement rien n’aide plus à maintenir le mariage dans sa sainteté originelle. Et cela pour plusieurs raisons :

« Le vœu de célibat volontaire, dit le psychogue

suisse FonRSTRR, loin de dégrader le mariuge, est, au contraire, le meilleur soutien de la sainteté du lien conjugal, puisqu’il donne une représentation concrète à la liberté de l’homme en face des poussées de la nature. Il agit aussi comme une conscience à l’égard des caprices passagers et des assauts du tempérament sensuel. Le célibat est encore une protection du mariage en ce sens que son existence empêche les personnes mariées de se considérer dans leurs relations réciproques comme les simples esclaves de forces naturelles obscures, et il les conduit à prendre ouvertement position contre la nature comme des êtres libres capables de commander. » (Cité par P. Burbad dans un excellent chapitre : Le célibat perpétuel, pp. 321-338, de son livre [.’Indiscipline des mœurs.)

III. La vocation sacerdotale. — Elle consiste dans la manifestation faite à une âme que Dieu la veut dans l’état clérical.

i° Manifestation. — Pour beaucoup d’auteurs, jusqu’à ces dernières années, la vocation sacerdotale comprenait un double élément : intrinsèque, aspiration du sujet, indications providentielles, avis du confesseur, du directeur, etc… ; extrinsèque, l’acceptation par l’autorité compétente. Ainsi, Buancherrau : De la vocation sacerdotale ; Hurtaud, O. P. : De la vocation au sacerdoce, tous deux insistant beaucoup sur le premier de ces éléments. Pour d’autres (Chan. Lahitton : La vocation sacerdotale, 1909), il ne faut pas faire entrer dans les constitutifs essentiels de la vocation les dispositions intimes du sujet, mais uniquement l’appel canonique de l’évêque. Le reste, aspirations personnelles, indications de la Providence, etc., constitue simplement l’idonéité, la « vocabilité ». La controverse, à l’époque, fit du bruit. Le Souverain Pontife chargea une commission spéciale de cardinaux d’examiner le problème et de conclure. La commission, dans une réunion plénière du 20 juin 1912, a rendu un jugement aux termes duquel le livre de M. le chanoine Lahitton ne doit nullement être réprouvé ; il mérite, au contraire, des louanges. Nikil plus in ordinando, ut nie vocetur ab Episcopo, requiri quam rectam intentionem simul cum idoneila’te in iis gratiæ et naturae dotibus reposita et per eam vitæ probitatem ac doctrinae suffleientiam comprobata, quæ spem fundatam faciani fore ut sacerdotii munera recte obire ejttsdemque obligaliones sancte servare qiteat (Décision communiquée le I er juillet 1912 ; Acta, IQI I, p. 485. Voir les revues d’alors, par exemple : Études, t. CXXXII, 1912, pp. 704-780). Si, en théorie, la différence de position est notoire, dans la pratique il est 1895

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clair qu’il faut tenir compte des dispositions du sujet : dispositions négatives (absence d’empêcherænls), positives (indications providentielles, désirs du sacerdoce, constance, humilité, piété, avis des guides compétents de l’ànie, etc…).El le chef du diocèse qui admettrait aux ordres un sujet manquant des requisita nécessaires, commettrait une imprudence des plus dangereuses. Mais, spéculativement, autre chose est exiger ces dispositions à titre de préambule obligé, autre chose en faire un constituant essentiel. L’approbation des doctrines du chanoine Laliitton avait pour but de bien affirmer que nul ne pent, sous prétexte qu’il se sent appelé, qu’il

« a la vocation », exiger le sacerdoce. Le chef du

diocèse est seul juge, d’après les besoins de son troupeau. En refusant d’admettre aux ordres un séminariste, sans motif suffisant, l’évêque pécherait contre la charité, non contre la justice.

a …Que Dieu la veut. — De quelle volonté s’agit-il ? permissive ou absolue, suasive ou impérative ? Au moins permissive : la proposition d’entrer dans le sacerdoce est sous forme de liberté accordée, non pas de décision à exécuter obligatoirement. Suasive : Dieu, en règle générale, ne commande pas, mais seulement invite.

i (Question : Si c’est une permission donnée, l’est-elle à tous indistinctement, c’est-à-dire est-il loisible à quiconque n’a pas d’empêchements préalables, de demander le sacerdoce, ou faut-il remplir certaines conditions positives ? — Réponse : Théoriquement, tous ceux qui n’ont pas d’empêchements peuvent s’offrir au sacerdoce (sic Piat, Vbrmbkrscii). Pratiquement, la seule absence d’empêchements ne suffit pas. Non en ce sens que ce serait, comme on l’a parfois affirmé (Gony, Marc, Branchebkac), un sacrilège de vouloir assumer le sacerdoce sans s’y sentir appelé par une providence spéciale de Dieu ; mais il y aurait témérité grave à décider pareil choix sans indications positives suffisantes. Qui sait ce qu’est et doit être un prêtre, n’a là-dessus aucun doute.

2e Question : Si c’est une invitation divine plus ou moins instante, y a-t-il faute grave à refuser d’entrer dans les Ordres (ou la vie religieuse), si l’on s’y voit appelé ? — Réponse : Saint Ai.piionsb db Lrouom s’excuse : « Je laisse à ceux qui sont plus éclaires que moi le soin de prononcer sur ce point de manière absolue » IV, n. 78). On sent ici la trace des thèses rigoristes (Habrrt, Concina, Massillon), d’après lesquelles ne pas suivre sa vocation serait, de soi, commettre une faute grave et en tout cas se mettre directement en risque de damnation. La sagesse du saint résiste à cette opinion trop commune de son temps. (Sur la position exacte de saint Alphonse, consulter Rauss, C, SS. II. : la doctrine de saint Alphonse sur la vocation, Vitte, 1926). En réalité, il n’y a pas obligation grave, en soi, d’accepter le sacerdoce, quand on s’y voit même clairement appelé. L’offre est de conseil et non de précepte : Or, divina eonsilia per se non ohligant ad culpam (S. Ai. ru., loc. cit.). Hacc est di/f’erentia inter consilium et præceptum, quod prateeptam importât necessitatem, eonsilium m optiene ponitur ojus eni datur (saint Thomas, I » W, q. 108, a. 4).

3"… Dans l’état clérical. — De soi, cet état n’exige pas les vœux de religion. Dans l’Eglise latine, il ne requiert, comme vœu, que celui de chasteté ; en fait d’obéissance, il réclame seulement une promesse. Aucun engagement pour la pauvreté. Il semble bien qu’aux tout premiers débuts du christianisme, le sacerdoce séculier se soit doublé de la pratique des conseils (Dora Gui’a : /.’Eglise et sa divine constitution, p. 360). l’eu à peu la différenciation se serait

faite. Présentement, le prêtre n’est pas tenu, cela va de soi, aux obligations canoniques de la vie religieuse. Mais il lui faut, très particulièrement en France, une sainteté de tous points éminente :

a) Vu les conditions spécialement dures que lui ont faites, ou le malheur des temps (pays dévastés), ou la législation (suppression des traitements, logement instable), ou l’altération de la foi (d’où diminution des moyens de vivre, du casuel, etc.)

— Voir II. Bordeaux ; La glorieuse misère des prêtres de France. A ce propos, C. Y ver : « On n’ignore plus aujourd’hui la pauvreté sublime à laquelle ils sont réduits et qui les ramène au dénuement apostolique du missionnaire. Beaucoup ne peuvent recevoir île l’évêché qu’une allocation annuelle souvent très inférieure à 1.000 francs. Quant au casuel, il faut à peine le compter pour des paroisses qui n’atgnent pas cinq cents habitants. Dame Pauvreté, souffrante et céleste, est allée s’asseoir sur la chaise de paille de tous nos petits presbytères de la plaine et de la montagne, de la Beauce à l’Auvergne, de l’Artois au Dauphiné. Les belles leçons qu’elle dictera à M. le Curé, devenu le premier pauvre de la paroisse ! » (Echo de Paris, 19 juin 1922). Les Cahiers catholiques (25 janvier 1922) insistent en précisant encore : « La vie matérielle du prêtre est actuellement si misérablement assurée ! le denier du culte, malgré ses progrès, donne 1.000 à 1.200 francs par an au curé. A cela s’ajoute un casuel de quelques centaines de francs dans les campagnes ; des intentions de messes, peu nombreuses et dont les honoraires sont modestes, achèvent de constituer un budget d’environ 2.000 à 2.500 frs. Avec cette somme dérisoire, le curé doit se loger (il n’y a plus de presbytère gratuit), se chauffer et se nourrir. Il est parfois obligé de s’adonner à des travaux accessoires. Il ne peut plus payer de domestique. Il fait lui-même sa cuisine et son ménage. A côté de la situation des ouvriers et des instituteurs, il est pauvre, le pauvre de Dieu… » (A. Bros, Le recrutement du Clergé paroissial).

b) Vu l’hostilité ou l’incompréhension dont il est entouré. — Relisons d’abord le bel éloge du prêtre, par le R. P. Janvier, à Notre-Dame, le jour de Pâques 1923 : « Il vit modestement, souvent dans la gêne, quelquefois dans le dénuement ; la haine des révolutions lui a enlevé les sympathies qui l’encou-ragaient, cemme elle lui a enlevé son humble demeure, les quelques arbres qui, aux jours de l’été, lui ménageaient un peu d’ombre, les quelques fleurs qui charmaient ses regards. Il ne se plaint pas de son sort, il reste soumis à ses chefs hiérarchiques, il est reconnaissant de la moindre attention, du moindre service, il ne s’effraie pas de mourir à la tâche, jeune, épuisé, avant d’avoir connu aucune joie profane, avant même d’avoir goûté aux fruits de son action. Pauvre, pur, obéissant, dévoué, miséricordieux, magnanime, il s’élève à une perfection admirable, pourvu qu’il s’attache simplement aux devoirs de sa vocation et de son ministère. Nous l’avons continuellement rencontré, nous l’avons toujours admiré, nous l’aimons ; aujourd’hui, je dépose à ses pieds l’hommage de notre vénération. Cet homme, vous avez deviné son nom : c’est le prêtre. » — Malgré la réalité des faits, toute une littérature, en grande partie héritée des Encyclopédistes et de MiciiBLBT, Pu prêtre, de la femme, de la famille (18/ ( 5), se fait gloire de présenter le prêtre comme un personnage malfaisant, ridicule ou infâme. Cette littérature rend toujours actuels les conseils que donnait aux grands séminaristes de Chartres, en août 1897, Léon Oi.lk-Laprune (La vil sacerdotale : L’homme dans le prêtre ; dans La Vita1897

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litè chrétienne, il éd., pp. 14a-158), ou Kkisk Bazin (A un nouveau prêtre) : « Ce qu’on demande aujourd’hui à un curé ou un vicaire, d’austérité île vie, de retenue, de zèle et de discipline, ressemble fort à ce que l’on attend d’un religieux… La facilité de mœurs n’a fait « ra’aceroltre ia sévérité publique, dès qu’il s’agit de juger un prèlre… Pensez-y toujours ; persuadez-vous que, par la plus curieuse de » sévérités, ce monde qui ne croit pas, tolère malaisément que vous lui ressembliez, même dans une foule de choses permises… Je pourrais résumer ainsi : Vous avez, par vocation même, le droit de vivre séculicrement ; ils vous demandent de vivre régulièrement. » (Pages religieuses).

IV. Vocation religieuse.

i° Sa vraie nature. — Pour ceux qui entendent accomplir plus que les préceptes obligatoires pour tous, il existe un certain nombre de pratiques facultatives, de « conseils », pour tendre à la perfection. Parmi ces « conseils », il en existe trois que l’Eglise, après l’Evangile, authentifie spécialement (pauvreté, chasteté, obéissance) ; ils constituent l’essence de la vie religieuse. Se rapporter à la réponse du Christ au jeune homme : Si vis perfectus esse, vade, vende, quac liabes, et da pauperibus…et veni, sequere me.ÇVatt., xix, ai). D’après Suarbz, dans ces mots : Vade, vende quæ kabes, Notre-Seigneur unit pauvreté et obéissance, suppose chasteté. Comment, eneffet, suivre Jésus-Christ en toute indépendance, si l’on est marié ? Et comment accorder la pauvreté avec le soin d’une famille ? (Chasteté et obéissance sont d’ailleurs explicitement conseillées dans saint Matthieu, xix, 12 ; xvi, 24, et saint Paul, I Cor., vii, 3a). Si le jeune homme refusa, d’autres chrétiens se laissèrent tenter par les olTres de perfection de Notre Seigneur. Dès les débuts, plusieurs se retirent du monde etles Thébaïdes se remplissent. Des solitaires, tout d’abord. Puis la plupart se groupent autour d’un chef et ils demandent à l’Eglise de les reconnaître. Désirant assurer à leur vie la stabilité, ils, s’engagent par vœu à être, jusqu’à la mort, pauvres, chastes et obéissants. Par la suite, les Ordres, Instituts et Congrégations se multiplient, attestant ainsi la vitalité de l’Eglise. Les uns sont contemplatifs (appliqués principalement à la prière et à la pénitence) ; d’autres actifs (œuvres de zèle pour le service de Dieu et le prochain ; forme actuellement périmée ; — types : les anciens ordres militaires, hospitaliers, etc.) ; mixtes (destinés à la fois à la prière et à l’action apostolique ; — les instituts de fondation récente qui ne sont pas strictement contemplatifs).

2° Les objections. — i ra obj. : C’est se diminuer qu’entrer dans la vie religieuse. Absurde thèse, assez courante chez certains poètes, romanciers, auteurs dramatiques. Pour Musset (On ne badine pas avec Vamour, acte ii, se. 5), vivre sans l’amour et le mariage, ce n’est pas vivre. De Juxks Lemaitrk, dans une bluette de six quatrains, intitulée Le Couvent, cette’5' strophe :

Le cloître et ses mélancolies,

Ses rêves, ses parfums d’encens,

bercent les âmes amollies,

Inquiètes de leurs quinze ans.

Anatole Fkancb, que l’on rencontre toujours là où il y a une idée fausse à exprimer, fait ainsi parler Virgile à un moine, dans un chapitre de Vile des Pingouins, intitulé : La descente de Marhode aux enfers : « Si j’ai contenu mes désirs, ce fut pour ma satisfaction et par bonne discipline : craindre le plaisir et fuir la volupté m’eût paru le plus abject outrage qu’on pût faire à la nature. L’on m’assure

que durant leur vie certains, parmi les élus de ton Dieu, s’abstenaient de nourriture et fuyaient les femmes par amour de la privation et s’exposuient volontairement à d’inutiles souffrances. Je craindrais de rencontrer ces criminels, dont la frénésie me fait horreur. » Selon Hkniii Hkunstein (Israël, Acte iii, se. 3), vivre dans un cloître, ce n’est plus vivre. GuTBiiiL dit à son (ils, qui parle d’entrer et de mourir en religion : « Avant de mourir, il s’agira d’y vivre (au cloître). Jour après jour, de vous éveiller à la vie monacale I Soir après soir, de vous blottir dans le cercueil 1 De ne plus connaître qu’un horizon : les blancheurs d’une cellule ; qu’un sourire : le rictus de la tête de mort ; qu’un ennemi à vaincre : le même lendemain, et puis le même et puis le même et encore le même ! … Ce n’est pas vrai ! … Vous n’êtes pas de cette pauvre pâle ! Vous êtes né pour bouger, pour lutter, pour monter, pour vous accroître ! Vous êtes né pour vivre 1… » Dans La rencontre, de Pibhrb Bbrton (Acte ii, se. 2), Serval, avocat, marié, fait une déclaration d’amour à une jeune veuve et se plaint de son insuccès : « Il y a des hommes qu’on aime et sans doute je ne suis pas de ceux-là. Il faut donc étouffer en moi cet impérieux besoin de tendresse ? Suivre la leçon du prêtre et du moine, en libérant l’esprit aux dépens delà chair ? N’être qu’un demi-homme ? Quelle chute ! Je me sens né pour vivre ma vie tout entière … »

Cette thèse de la prétendue diminution de la personnalité, par les vœux, a inspiré quelques législateurs (voir plus loin Vocation et Persécution), — Waloeck-Roussbau : « Quand, de la personnalité humaine, on retranche ce qui fait qu’on possède, ce qui fait qu’on raisonne (1), ce qui fait qu’on se survit, je demande ce qui reste de la personnalité ! » — C. Cuautbmps, discours de Tours, 5 octobre 1924 : t La congrégation a pour effet, et même pour but, d’anéantir la personnalité humaine ».

Prétendre que la vie religieuse diminue l’homme, c’est aller : a) Contre la doctrine et F exemple de Notre Seigneur. Notre Seigneur a vécu pauvre, chaste, obéissant, et n’a pas été, pour autant, un être « diminué ». Il a fait l’éloge théorique et pratique de la virginité, du mépris des richesses, de la soumission à autrui, et a donné cela comme méthode de perfectionnement, comme idéal de grandeur morale.

b) Contre l enseignement formel de l’Église. — Toutes les fois qu’on a nié théoriquement ou pratiquement la valeur morale et l’efficacité sanctilicatrice soit de la vie religieuse, soit de ses éléments essentiels, l’Eglise a protesté et dénoncé l’erreur (p. ex., condamnation de Wicleff, des Américanistes, etc.). — La doctrine admirablementrésumée dans deux lettres de Léon XIII (au card. Gibbons : Testent benevolentiae, 22 janvier 1899 ; — au card. Richard : Au milieu des consolations, a3 déc. 1900).

— Lettre de Pie X au Supérieur général des Frères des Ecoles chrétiennes (Cum prope diem, 23 avril igo5), déclarant l’obligation du vœu fait à Dieu plus pressante que l’obligation même d’instruire la jeunesse.

c) Contre la raison et le bon sens C’est la débauche qui diminue l’homme, non la chasteté ; la liberté sans aucun frein, non l’obéissance ; l’abus des richesses, non leur privation dans l’espoir des seuls vrais biens. « Rien n’est plus grand sur la terre que le sacrifice que fait un sexe délicat de jeunesse, souvent même d’une haute naissance, pour soulager dans les hôpitaux ce ramas de misères humaines dont la vue est humiliante pour notre orgueil et révoltante pour notre délicatesse. » (Voltaihb). « Prends-moi n’importe qui, dans la rue, et mets-le dans une salle d’hôpital à voir une sœur faire ce qu’elles font toutes, 1899

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mettre ses mains à des plaies où il y a des vers.., il ôtera son chapeau, parce que devant de tels dévouements, on a beau faire l’homme fort et ne pas vouloir s’incliner, le cœur salue…, quand on en a un. » (db Concourt.)

d) Contre la vérité historique la plus évidente. — Ce n’est pas se diminuer que de vouer sa vie à la recherche de la vérité, comme saint Thomas d’Aquin ; — à la contemplation des perfections divines, comme sainte Thérèse ou saint Bernard ; — à l’apostolat militant, comme François-Xavier ou Pierre Claver.

Lady Baker, encore protestante, veut aller voir des Dominicaines pour avoir la vraie prononciation du latin. Son appréhension est grande. Elle donne à son cocher une lettre : Vous allez m’attendre un quart d’heure. Si vous ne me voyez pas reparaître, vous irez vite chez mon frère lui remettre ce billet :

« Je suis enfermée au couvent des Dominicaines et

ne peux en sortir. Venez à mon secours. « Charmée par les religieuses, elle leur raconte tout. « D’où m’était venue, confesse-t-elle, la pensée que des Anglaises de distinction devenaient perdues d’honneur par cela seul qu’elles se consacraient au service de Dieu et des pauvres ?… Il faut croire que les contes populaires, combinés avec de vieux préjugés, m’avaient enlevé tout bon sens. » (Vers la maison de l mière, 1912, p. 88-89).

En résume, non seulement la vie religieuse ne diminue pas la valeur humaine, mais « les cloîtres sont des ateliers de beauté morale, et c’est dans la vie religieuse que la beauté humaine trouve généralement son épanouissement total » (Ch. Boucaud, Esquisse de l’ordre universel, 1925, p. 106 ; et il renvoie à l’enquête sur la Jeunesse : Le Cloître, Revue hebdomadaire, i ! janvier 1914).

2e obj. : — C’est se rendre inutile pour la société.

Rép. (qui complète ce qui a été dit plus haut, à propos des reproches adressés à la virginité, d’être antisociale. — Voir également Cardinal Mbrcier : La Vie intérieure, pp. 185-186, sur la « mission sociale d’édification » des Instituts religieux ; et Louis dk Bonnikres : Des moines ! A quoi bon ? (éd. Spes), notamment p. 1 1 4 : Misanthropes ou serviteurs de l’humanité).

a) S’il s’agit des enseignants, des hospitaliers ou des « évangélisants », qui, sérieusement, prétendra qu’ils sont inutiles ? Au moment des expulsions de 1880, 53, t 7 « des enfants de France fréquentaient les écoles tenues par religieux et religieuses. Actuellement, les Sœurs de Saint- Vincent de Paul hospitalisent plus de 50.coo orphelins, et les Petites-Sœurs des Pauvres environ 40.ooo vieillards. Et que d’initiatives, à chaque instant, au gré des multiples besoins ! Le Gouvernement reconnaît parfois quelques-uns de ces services, quand ils revêtent à ses yeux des titres exceptionnels : légion d’honneur, par exemple à sœur Saint-Prosper, de l’hôpital Boucicaut, pour 30 ans de service à l’assistance publique ; à sœur Perpétue, de Saint-Lazare, pour 4 ? ans de soins dans les prisons. Pourquoi faut-il qu’à propos de ce dernier cas, l’ancien secrétaire d’Anatole France croie devoir écrire dans la Dépêche de Toulouse : a Je ne suis pas surpris qu’une femme se jette dans la dévotion. Certaines natures exaltées donnent à Jésus ce que le monde n’a pas su leur prendre. Je suis toutefois inquiet de voir certains dévots choisir des apostolats si peu évangéliques. Comment une religieuse, c’est-à-dire une fille qui renonce au monde pour ne penser qu’au ciel, élit-elle, comme vocation, la correction ? la prison ? Pour gagner le Paradis, elle se fait geôlière. Non seulement elle se mortifie, ce qui est son droit, mais

elle mortifie les autres. Je ne puis m empêcher de penser que si Marie-Magdala était prise dans une rafle, c’est à la Mère Perpétue qu’on confierait celle qui, dit-on, a édifié de son repentir les grottes provençales. »

b) Restent les contemplatifs. Il faut plus de foi pour en comprendre le rôle dans la société. Ce n’en est pas moins un rôle capital. Le monde oublie Dieu ; les contemplatifs réparent cet oubli. Le monde pèche ; les contemplatifs expient. N’est-ce point le plus indispensable des services publics ? (Belles pages.dans 11vysma.ws, Sainte LJdwine, p. ex. ioi-i 1 1. Voir aussi : La Vie contemplative, son rôle apostolique, par un Chartreux). « Il y a dans la vie des peuples des heures funestes tellement pleines de prévarications, de révoltes, de blasphèmes, d’attentats contre les choses saintes, que Dieu, pour venger sa gloire outragée, appelle à lui les fléaux… Qui donc aura l’audace de prévenir leur redoutable choc ? Voici venir, couverts de bures blanches ou sombres, ceux dont la vie se consume au pied des autels. Ils oseront parler à Dieu et lui dire : ’Pardonnez, Seigneur, pardonnez à votre peuple ! Souvenez-vous de la multitude de vos miséricordes. — Qui êtes-vous ? dit le Seigneur. Ne m’importunez pas ; laissez passer ma justice. — Seigneur, Seigneur, vous ne reconnaissez donc plus vos enfants ? Pendant qu’on blasphème votre nom, pendant qu’on vous oublie, nous vous louons, nous vous bénissons, nous vous adorons, nous vous rendons grâces en tout temps et à toute heure. Et ainsi s’explique que la terre, abreuvée de tant de forfaitures, puisse vivre à l’abri des catastrophes… On considère dans le monde les ordres priants comme des légions d’oisifs : en réalité, ils sont occupés au plus noble travail qui se puisse concevoir… On se demande à quoi ils servent ; dans le fait, ils sont appliqués à la première et à la plus importante des œuvres de miséricorde : prier pour les malheureux qui ne veulent, ne savent ni ne peuvent prier. De l’avis de ceux qui sont habitués à mesurer l’élévation des étals et la portée des actes, les ordres priants sont donc une des plus grandes utilités sociales. » (Monsabré, La Prier ?, 6e édit).

V. Sacerdoce séculier et vœux religieux. — La question peut se poser à deux points de vue, selon qu’on cherche à comparer (donc en quelque manière à opposer) les deux étals de vie, et selon qu’on rêve de les combiner et de les unir.

i° Mise en parallèle du sacerdoce séculier et de la vie religieuse.

A) La question pratique. — Les prêtres manquent en grand nombre pour le ministère paroissial. Entre ces deux vocations, sacerdotale ou religieuse, que choisir ? Pour décider en faveur du sacerdoce, ne peut-on invoquer ceci : 1) Après tout, Notre Seigneur n’a institué qu’un ordre : l’Ordre sacerdotal. Les instituts religieux ne sont venus que bien après et n’ont qu’un fondateur humain. Le Cardinal Mannino, peu sympathique, comme l’on sait, aux instituts religieux, s’est fait le défenseur de cette thèse : a On dira : Regardez les prêtres séculiers ; où est leur perfection ? — Je réponds : Regardez les prêtres réguliers ; sont-ils parfaits ? Il peut y avoir moins de vase dans un canal que dans le fleuve de Saint-Laurent ; mais l’un est la création de Dieu, l’autre est l’œuvre de l’homme ». (Cité parTuuREAU-Danqin, La renaissance catholique en Angleterre au .Y/X’siècle, t. III, p. 300-301) ; 2) Qu’importe, en définitive, que tel institut s’éteigne faute de sujets ? L’important est qu’il y ait des prêtres, assez de prêtres pour le ministère. mot

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On peut répondre : i) L’argument : Notre-Seigneur n’a fondé qu’un seul ordre : Tordre ecclésiastique, ayant saint Pierre à sa tête, ne tient pas. Ne serait-on plus d’accord pour faire remonter à la conversation du Christ avec le jeune homme, lepremierexposé de la voie des conseils :.1 Si tu veux être parfait, va, vends tes biens et donnes-en le prix aux pauvres, etc… » (Matt., xix, 21) ? De même qu’il a en personne institué la hiérarchie ecclésiastique, Notre-Seigneur a lui-même posé les fondements de la vie religieuse. Il ne faut pas mutiler l’œuvre du Christ. Les deux fondations se soutiennent, se complètent, et dans une large mesure se confondent. Ce sont deux fondations du Christ.

a) Evidemment, il peut ne pas être d’un intérêt majeur pour l’Eglise que tel institut religieux vive ou s’étiole ou s’éteigne. Ici, l’objet en cause n’est point tel institut religieux, mais bien la vie religieuse dans son ensemble. On dit : a Pourvu qu’il y ait des prêtres pour le ministère paroissial, peu importe le reste. » Pardon I cela importe : a) A la gloire de l’Eglise. Elle a toujours protesté contre ceux qui, théoriquement ou pratiquement s’attaquaient à la vie religieuse (voir, par ex., Lettres de Léon XUI au cardinal Gibbons, 22 janvier 1899, et au cardinal liichard, 23 déc. 1900, au sujet de V Américanisme). Bien mieux, elle a toujours loué hautement et encouragé la vie religieuse, aussi bien sous sa forme contemplative que sous sa forme active ou mixte. Voir, par ex., les brefs d’institution des différents Ordres, ou encore ces lignes, dans la première encyclique de S. S. Pus XI sur La Paix dans le Christ : a Nous n’avons pas besoin de longs discours, Vénérables Frères, pour vous dire toute l’espérance que nous mettons dans le clergé régulier pour la réalisation de nos plans et de nos projets ; vous savez, en effet, quelle part importante prennent les religieux au rayonnement du règne du Christ dans nos pays et à son développement au dehors. Car, du fait que les membres des familles religieuses poursuivent, comme but propre, la pratique non seulement des préceptes, mais encore des conseils <’vangéliques, il s’ensuit que, soit qu’ils se livrent aux exercices de la vie spirituelle dans l’ombre propice du cloître, soit qu’ils s’avancent résolument dans l’arène, les exemples vivants de perfection chrétienne qu’ils offrent en se dévouant tout entiers au bien commun et en renonçant aux biens et aux commodités de la terre pour jouir plus abondamment des biens spirituels, excitent les ûdèles, qui en sont les témoins constants, à porter plus haut leurs aspirations, et ils obtiennent ce résultat en se livrant avec le plus grand succès à toutes les œuvres de la bienfaisance chrétienne, pour la guérison des âmes et des corps. El, en tout cela, comme en témoignent les documents historiques, ils ont déployé un tel zèle dans la prédication de l’Evangile, qu’ils sont allés, dans un élan de charité divine, jusqu’à verser leur sang pour le salut des âmes, obtenant par leur propre mort l’extension du règne du Christ dans l’unité delà foi et la fraternité chrétienne. » L’Eglise perdrait assurément un de ses plus chers joyaux, si la vie religieuse s’anémiait par absence de recrutement. Notons, que, si le ministère paroissial réclame des ouvriers, nombre d’instituts religieux manquent de sujets. Il n’y apas pléthore ici, et là manque. Il y a manque des deux côtés.

b) La conservation de la vie religieuse importe à la fécondité même du ministère paroissial. Combien n’est-il pas juste de reconnaître l’appoint incomparable que fournissent au ministère paroissial les religieux : a)par un certain idéal qu’ils affirment. Si beaucoup de routine et d’humain peut, hélas ! se glis ser dans l’état religieux, on reconnaîtra sans peine que, contre le’ « triomphe progressif du métier surl’espritde Jésus-Christ et le don de soi-même », que se reprochait si injustement le jeune abbé d’HuLST, vicaire à Saint- AmbroiseO’iV, par MgrBAi ; i>RiLLABT, t.I, P « lu( j), ^e prêtre est souvent mieux défendu dans le cloître qu’au presbytère, où il vit beaucoup plus isolé, parfois plus exposé, aussi pauvre parfois et peut-être plus, en fait, que le religieux, mais disposant, à son gré, de ce qu’il a, n’ayant que des rapports lointains, s’il le veut, avec ses supérieurs, aux prises avec un certain nombre de devoirs plus matériels (comptes à tenir) ou plus facilement routiniers (conduites au cimetière, etc.) ;

p) par la science, qu’à égalité de talent les religieux sontsouventplusà mèmede faire progresser : période scolaire plus étendue, loisirs intellectuels plus abondants, bibliothèques communes, moindre dispersion de l’activité, etc. Le nombre de prêtres séculiers munis d’une science de premier ordre est fort considérable, comme des œuvres de haute valeur en témoignent tous les jours. Ce n’est toutefois, et forcément, — tant il y a de besoins ailleurs, — qu’un noyau dans l’ensemble. Il est certain que le vicaire de semaine, ou le directeur de patronage, ou le curé de paroisse auront, toute question de goûts mise à part, fort peu de temps à consacrer à l’étude. Saint Thomas d’Aquin aurait pu exceller dans le ministère paroissial. Personne pourtant ne contestera qu’il a davantage « servi ». non seulement l’Eglise entière, mais même le ministère paroissial, en restant dans son couvent à écrire la Somme. Et que de travailleurs obscurs en hagiographie, en théologie, en philosophie, en ascétisme, rendent à l’Eglise, et en particulier à ses prêtres, d’immenses services, en consacrant une bonne partie de leur temps à ce labeur souvent très dur !

/) par la prière qu’ils accumulent. Le reproche adressé à la vie religieuse en général, vise d’abord les contemplatifs. Prier et se mortifier quand il y a tant de raisons d’agir, c’est fou, presque coupable ! Nous disons : il y a bien des façons d’agir ; la prière et le sacrifice ne seraient-ils pasl’  « action » la plus efficace ? Tel évêque de Chine réclame, avec des missionnaires, des Carmélites et quelques Trappistes. Pour convertir le monde païen, et aussi pour empêcher notre monde chrétien de devenir païen, il faut toutes les armes.

5) par l’appoint de leur zèle. Si tous les religieux prient et s’immolent, beaucoup, en plus, viennent directement en aide au clergé paroissial : — en contribuant à son recrutement, p. ex. dans les collèges, ou par les œuvres ; — en prêchant, confessant, « m « ssionnant », là où on les demande ; en acceptant, dans certains cas, la charge directe des paroisses. (Très fréquent en Angleterre, en Hollande, etc.) Là même où ils travaillent en dehors de la paroisse (tel patronage, tel collège, telle œuvre de retraites), est-ce que le bien visé n’est pas toujours le perfectionnement de la vie chrétienne, et donc en dernier ressort la sanctification plus grande de la paroisse ? Avec finesse, l’historien du saint apôtre de l’œuvre du Prado, à Lyon, le remarquait : « Dans une armée, il faut un peu de tout. L’infanterie, est, à la vérité, la masse principale, le centre de résistance, comme le clergé paroissial dans l’armée de l’Eglise. Mais que deviendrait l’infanterie sans l’appui des armes spéciales, et que deviendrait le clergé paroissial sans les Ordres religieux et les prêtres à la façon de l’abbé Chevrier, de Dom Bosco, de l’abbé d’Alzon, et de tant d’autres ? » (Villufranchb, Vie du P. Chevrier, p. l).

B) La question théorique. — Est-ce que l’état sacer » 1903

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dotiil, par la sainteté qu’il réclame, n’a pas de quoi donner satisfaction, et largement, aux désirs de perfection les plus grands ? Quelle fonction requiert une sainteté plus accomplie que celle de « consacrer » et de pratiquer le ministère des âmes ?

, , nse. — Il est clair que le sacerdoce, on ne saurait trop y iusister, requiert, de celui qui en est revêtu, une très haute perfection (Concile de Trente, Sess. xxii, deReform.. c. i. — Liïon XIII, Encycl. Quod multum (13 août 1886) ; Depuis le jour (8 sept. 1899) ; — Pib X, Exhortatio ad clerum (4 août 1908) ;

— Codex, can. is’i-ij ;  ; — Imitation de J.-C, liv. IV, cl », v ; — S. Thomas, Sum. tlieol., Suppl., q. 35, a. 1. — Mais remuer//- une très haute perfection, voire une sainteté intérieure plus grande que celle du religieux non-prêtre (Requiritur major sanctitas interna quam etiam religionis status. S. Tiiom., II a ll » c, q. 184, a. 6), n’exige pas que le sujet s’engage, au moins par profession formelle, à tendre à la perfection.

On dira : Sans doute le prêtre, en acceptant le sacerdoce, n’émet point la profession publique de tendre à la sainteté ; mais est-ce que son état, s’il le comprend bien, ne l’oblige pa6 moralement, beaucoup plus qu’une profession explicite, à devenir parfait ? Donc, ici et là, engagement de « tendre », et par conséquent la distinction signalée plus haut tombe.

Réponse : Rappelons le but premier du sacerdoce et. celui de la vie religieuse. Le sacerdoce est une fonction ordonnée primario et perse au bien du prochain. La vie religieuse vise primario et per se la sanctification personnelle du sujet. Qu’est-ce que demande l’Eglise du candidat au sacerdoce ? D’être apte à exercer les fonctions du culte ; rigoureusement, c’est tout. Elle n’exige pas de lui qu’il renonce le plus possible aux biens de ce monde ; non, simplement dans la mesure où cela nuirait à son ministère. Elle n’exige pas de lui qu’il s’engage par vœu, sous peine de faute, à obéir ; non, elle ne le lie que pur une promesse. Dans l’Eglise orientale, elle ne lui demande même pas de ne pas contracter mariage. C’est le bien des ouailles qui est en vue. Que le sujet ail les qualités voulues pour cela, l’Eglise, tout en désirant de son prêtre davantage, n’exige pas de lui davantage. Autrement dit, l’Eglise fixe un minimum que chacun, bien entendu, peut dépasser, qu’il est mlinimenl souhaitable qu’il dépasse, mais auquel, théoriquement, on peut se tenir sans manquera ses obligations. — Dans la vie religieuse, l’objectif est différent. Les trois grands empêchements au don total de soi à Dieu étant l’attachement aux biens de ce monde, à la volonté propre, aux affections du cu-nr, l’Eglise réclamera du religieux qu’il s’engage officiellement à briser toute attache aux biens de ce monde : pauvreté, mise sous la sanction d’un vœu ; à briser toute attache à sa volonté propre : obéissance, mise sous la sanction d’un vœu ; à garder le célibat, ne fùt-il pas prêtre. — De fait, quand un religieux demande ses dimissoires et quitte son couvent, est-ce pour chercher un état de plus grande perfection ? A l’inverse, quand un prêtre séculier sollicite la vie religieuse, n’est-ce pas qu’il entend se vouer à un état de générosité plus entière ?

2" Tentatives de combinaisons

du sacerdoce séculier et des vœux religieux.

Les modalités de l’appel divin s’estompent largement dans l’appréciation commune, d’autant que la perfection de la vie sacerdotale ne va pas sans la pratique effective des conseils évangéliques, essentielle à la vie religieuse. D’autre part, nombre de prêtres du clergé hiérarchique, épris d’un haut idéal,

souhaitent, sans quitter leur état, bénéficier, dans une mesure plus ou moins large, des avantages que peut offrir au religieux l’engagement formel de tendre à la perfection. Ilest très symptomatique de voir que, sans parler des organisations facilitant la perfection individuelle, — et qui vont de l’association pure et simple (ligue de sainteté sacerdotale) à l’association incluant une discipline intérieure précise, d’ailleurs de types plus ou moins variés (prêtres de saint François de Sales, prêtres-adorateurs, prêtres de Jésus-Hostie, etc…), plusieurs rêvent, pour donner le couronnement suprême à leur perfection sacerdotale, d’y joindre l’émission des trois vœux, soit entre les mains d’un supérieur désigné (p. ex. prêtres du Sacré-Cœur, fondés par le P. de Clorivière), soit entre les mains de l’évêque du diocèse (Fraternité sacerdotale des Amis de Jésus, due à l’initiative du cardinal Mercier. Après avoir d’abord, par une extension imprévue du vocabulaire, appelé tous ses prêtres sans exception de vrais religieux (voir sa Retraite sur la vie intérieure, ive entrelien : Oui ou non sommes-nous des religieux ?), l’éminent prélat décida de permettre les vœux de religion à certains ; ces vœux furent d’abord privés ; il eut la joie, quelque temps avant sa mort, de voir le Saint-Siège attacher à ces engagements la reconnaissance officielle de l’Eglise.)

VI. Comment naît une vocation.

i° La part de Dieu. — Comment Dieu s’y prend-il pour faire comprendre à une àme qu’il l’appelle au sacerdoce ou à la vie religieuse ? Saint Ignacr distingue, dans ses Exercices, trois manières que Dieu utilise (ce qu’il appelle trois temps) :

a) Première manière : Illumination soudainb de la part de Dieu, et tellement forte que « regimber sous l’aiguillon » exige une grande violence. Procédé dont les vies des saints fourniraient plusieurs exemples (par exemple : saint Paul sur le chemin de Damas) et qui peut toujours évidemment se rencontrer, mais qui, évidemment aussi, reste très rare. Diverses résolutions, parleur soudaineté, illustrent cette considération. Un jeune lord anglais tombe en dansant, sur un parquet trop ciré. « Relevez-vous, sire Bœuf », lui dit la reine Elisabeth, en jouant sur le nom du personnage. Le jeune homme s’est relevé, mais sa décision est prise, il quittera le monde. A saint Jean Pérégrin, servite, la vocation nait au moment où il vient de souffleter son futur général, Philippe Benili (RoiiniiACHBn, VIII,. r >o8). Un cas relativement proche de nous : le P. Pernet, fondateur des Petites-Sœurs de l’Assomption. Au catéchisme, son curé parle de la grandeur du sacerdoce : <* Qui sait, mes enfants, si, parmi vous, il n’y en aura pas un qui sera prêtre ? » A ces paroles, Etienne sent au fond de son àme quelque chose d’extraordinaire et de si irrésistible qu’aussitôt il pense : « Ce sera moi ! » — « Je bondis sur mon banc, dit-il lui-même, je me sentais comme électrisé et soulevé malgré moi » Bien entendu, ce genre de vocations, comme d’ailleurs le suivant, demande un judicieux contrôle.

b) Seconde manière : Attraits plus ou moins vivaces et continus. En /ait, ils existent dans beaucoup de cas. Saint François d’Assise, sainte Thérèse (H. Joly, pp. 1a à 16) ; plus près de nous, Dom Verkade, Charles de Foucauld, Ernest Psichari. D’une étude de son lycée, à Lyon, Paul Seigneret, plus tard martyr de la Commune, écrivait : « Depuis trois ans, je sens grandir en moi le désir d’être prêtre. Cette idée ne me quitte plus ; j’ai beau vouloir la rejeter, elle me suit partout, dans mes prières, la nuit, à toute heure ». En droit, l’attrait n’est nullement nécessaire pour qu’il y ait vraie vocation. Autrement dit, une voca1905

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tion pourra êlre très sérieuse et n'être accompagnée d’aucun attrait (3" cas), voire être accompagnée de répugnances. (Exemples : Vie du P. Bonifiant, par le P. Scav, p. ">a. La comtesse ie Saint-Martial, devenue tille de la Charité : Bn Iluut et Vers les Sommets). An* discernementdes esprits » de décider pour chaque cas la valeur de ces indices. S’il y a répugnances, sont-elles objectivement fondées, ou purement subjectives c’est-à-dire provenant de l’appréhension de ce qu’il faudra sacritier ? I ! n’importe. De soi, cela n’est nullement obstacle. Quelquefois, ce pourra être un déterminant, si par exemple ou comprend que l’attrait du sensible sera, dans le monde, un péril mortel pour liais. S’il y a attraits, voir s’ils sont purement sensibles, et donc superficiels, ou au contraire profonds, à base de foi, de surnaturel ; et dans ce cas. examiner : de quand datent-ils ? ont-ils subi des éelipses ? ces éclipses succédaient-elles à des moments de ferveur ou de lâcheté? malgré des éclipses, y a t-il eu une certaine continuité dans les attraits ? dans les moments de plus grande ferveur, de quel cote semblait-on devoir décider ?

c) Il est une troisième manière dont Dieu procède et que nous examinerons plus loin en étudiant la question : Vocation générale et vocation spéciale. D’un mot, cette troisième manière consiste, pour Dieu, à donner simplement à l'âme une raison droite t une intelligence lumineuse de ce qu’est le sacerdoce ou la vie religieuse. Il n’y a pas d’attraits à proprement parler, d’attirance plus ou moins sentie, mais simplement la vue par la foi éclairant la raison, que c’est là un état de vie possible dans l’espèce et tout à fait enviable (Suarbz, De Reli «.. L, V. c. viii, n° 5, éd. Paris, 1850, T. XV, p. 'i’Si, — Lbssius, De statu vitac deligendo, q. iv ; trad. franc, par l’abbé Gavhau).

2° Rôle de l’appelé.

A. Opinions fausses. — Il est, dans un certain monde, une légende — propagée par le théâtre et le roman, — d’après laquelle la vocation naitrait essentiellement :

a) D’une déconvenue, d’une tristesse d'âme, d’un chagrin d’amour, d’une certaine peur de la vie. Ainsi Chateaubriand : « Refuge pour infirmités de l'âme » ; — Napoléon I er : « Asile aux grandes infortunes, aux âmes faibles, aux imaginations exaltées » ; — Emile Ollivirr : « On comprend qu’après certains chocs, les âmes faibles jettent avec terreur, les âmes hautaines avec dédain, leur bouclier sur le champ de bataille, et aillent, les unes fuir, les autres mépriser les jours qui passent, dans l’attente des jours éternels. On comprend que d’autres, plus fragiles ou plus détachées, ennuyées des plaisirs avant de les avoir goûtés, effrayées par les premières clameurs de mêlée mondaine, ne s’y engagent même pas et ne recherchent d’antres combats que les épreuves silencieuses de la vie cachée. » — Le type du genre est Primerose, par de Flers et Caillavet. Au premier acte, la jeune fille voit un prétendant la refuser. Vite, au couvent ! A son oncle, le cardinal : « C’est gênant, je vous dis cela en robe de bal, les bras nus, avec des fleurs dans les cheveux, à côté de tout ce bruit, mais mon cœur est résolu ! » Que pareille vocation ne dure pas, rien d'étonnant. Au 3e acte, elle revient, chassée par les Expulsions. Le prétendant la revoit. Un instant elle hésite, puis tombe dans ses bras, à l’approbation d’ailleurs du cardinal ! — C’est, ni plus ni moins, la thèse enfanlinement romantique de Musset : A quoi révent les jeunes filles, acte n : les deux héroïnes, ayant cru perdre leur prétendant, parlent de se faire religieuses ; — de Balzac dans La duchesse

de langeais : histoire d’amour avec vocation au Carmel, rentrée en ligne du prétendant d’autrefois, et reprise du chagrin d’amour chez l’ancienne délaissée. — E. Rostand n’a pas échappé à cette manie : dans La princesse lointaine, Mclissinde, informée que Geoffroy Rudel va mourir, commence par obéir aux suggestions malsaines du messager, puis, frappée de la mort de Geoffroy, se décide pour le Carmel. Combien d’autresdéformalionssemblables ! Amaury, dans Volupté, de Saintk-Bkuve, se fait prêtre après une vie de don Juan ; — un séminariste, dans Sang basque, de Liciitbnbkrgbk, après avoir aimé une jeune fille, reçoit les Ordres et se tue de desespoir en apprenant que sa fiancée de jadis a versé dans la débauche ; — deux jeunes filles dans Quitta et Georges, de P. Brise et C. Fbrrand, sont entrées au couvent par chagrin d’amour : « Elles souffrent de la même douleur ; la même souffrance insurmontable les a conduites en ces murs de solituds sacrée et il leur semble que, depuis ce temps de prières incessantes, leur cœur est moins ulcéré ». — F. de Curel, dans L’envers d’une sainte, met en scène une jeune fille entrée au Sacré-Coeur, parce que, délaissée par un prétendant, elle a, un jour, en traversant une rivière, poussé du coude et renversé la femme qui l’avait supplantée. Acte ii, se. 5 : » Le bon Dieu ne m’a pas envoyé la grâce d’une vocation spontanée… Il a fallu de lourdes peines pour me conduire à lui » (chagrin d’amour, besoin d’oublier et d’expier). Acte ni, se. i : « Je suis allée murer ma jeunesse dans un cachot… » Acte iii, se. 5, après avoirétouffé dans ses doigts un oiseau : « La cruauté, c’est d’enfermer entre les barreaux une créature née pour voler à tire-d’aile ». Sortie du SacréCœur après dix neuf ans, et ne se sentant pas heureuse dans le monde, elle songe à redemander son admission ; son dernier mot ouvre une perspective sur le suicide : « Ah ! s’il n’y avait pas l’autre vie ! » — Et que dire de la littérature d’ordre inférieur !

Est-il exact que la vocation religieuse ne serait qu’un asile pour âmes fatiguées, mécontentes de leur lot dans le monde ; — que le cloître est uniquement « le refuge des cœurs navrés », genre Ramunlcho, de Loti ?

Rien de plus faux. « Ces sortes de vocation en retour ne sont, dans le domaine des faits, qu’une très infime exception. L’histoire commune est bien plus simple. Les jeunes filles qui se font religieuses n’ont presque jamais eu d’aventure de cœur. Elles obéissent à un attrait direct et puissant. On dirait qu’elles ont vécu, puisqu’elles ont le dédain souriant de la vie. Cependant, elles sont très jeunes : 18ans, 20 ans, 22 ans. Rien n’a froissé leur gaieté épanouie… » (R.Bazin, Questions littéraires et sociales, p. 56). — A. Coqdblbt disant, à propos des cloîtres : « Il faut laisser des refuges ouverts aux grands repentirs et aux grandes douleurs », Louis Vbuillot répond ironiquement : « Cette sottise a obtenu un cours prodigieux. Elle a parfaitement pris dans les demi-cervelles… S’il n’y avait pour peupler les monastères que les grands repentirs et les grandes douleurs, les monastères seraient vides. Ils n’auraient jamais été pleins. » Et encore : « Les grands crimes parviennent à fleurir dans le monde ou vont au bagne. Les grandes douleurs à grands cris Unissent à la cuisine, ou à l’opéra, ou aux secondes noces. » (Parfum de Home 1. 1, 1. vii, n° 8). — Lire les pages magnifiques de Montalembert, (t. V des Moine » d’Occident, p. 38 1). « Quel est donc cet amant invisible, mort sur un gibet il y a dix-huit siècles, et qui attire ainsi à lui la jeunesse, la beauté et l’amour ? qui apparaît aux âmes avec un éclat et un attrait auxquels elles ne peuvent 1907

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résister ? qui fond tout à coup sur elles et en fait sa proie ? qui prend toute vivante la chair de notre chair et s’abreuve du plus pur de notre sang ? Estce un homme ? Non, c’est un Dieu. Voilà le grand secret, la clef de ce sublime et douloureux mystère. Un Dieu seul peut remporter de tels triomphes et mériter de tels abandons. Ce Jésus, dont la divinité est tous les jours insultée ou niée, la prouve tous les jours, en mille autres preuves, par ces miracles de désintéressement et de courage qui s’appellent des vocations. Des cœurs jeunes et innocents se donnent à lui pour le récompenser du don qu’il nous a fait de lui-même ; et ce sacrilice, qui nous crucifie, n’est que la réponse de l’amour humain à l’amour d’un Dieu qui s’est fait crucifier pour nous. » (Sur la prise de voile de la fille de Montalembert, voir Palloux, Augustin Cochin, p. 188), — Lire la victorieuse réfutation de Viviani par le comte de Mun, 21 mars 1901, à propos de la loi sur les Associations : » Que M. Viviani me permette de le lui dire, il ignore ce qui se cache dans ces asiles… Il en cherche vainement le secret dans les aspirations inassouvies et dans les injustices d’une société imparfaitement organisée. Il n’en découvrira même qu’une bien faible part dans l’abdication volontaire des âmes découragées de la vie, qui demandent au cloître le silence et la paix… Non, ce n’est pas le découragement et la lassitude, ce n’est pas la déception du cœur ni l’effroi de la vie qui peuplent les couvents : c’est l’irrésistible et impérissable attrait du sacrifice et du dévouement ; c’est le mystérieux besoin que la foi met aux âmes croyantes d’accomplir par ce don de soi-même la loi fondamentale du christianisme, etc. »

Notons que même des écrivains catholiques ne donnent pas toujours de la vocation une explication pleinement satisfaisante. Cène sontparfois quedes nuances (par exemple, E. Baumann, Le signe sur les mains : promesse un peu inconsidérée, faite au camarade blessé, et qui, en elle-même, n’engage pas ; — Henry Ardel, L’appel souverain : vocation présentée sous un jour si douloureux que cela rebute). Au contraire, P. Lhandb, Mon petit prêtre, étude saine et vraie ; — L. Vbuillot, Le vol de l'âme, découverte mutuelle que font ensemble deux fiancés de leur commun appel à une vie supérieure.

b) D’un goût sentimental plus ou moins prononcé pour la solitude, la pâleur des cierges, l’odeur de l’encens, etc. Ainsi : Lamahtink, Jocelyn ; Claude Silvb, f.a Cité des lampes ; Primerose, déjà citée. La jeune fille parle ainsi du couvent : « La paix y est partout. Il y a une petite chapelle toute blanche, il y a un jardin, avec de grands glaïeuls pour l’autel. Il y a de longs couloirs frais. Les petites sœurs y glissent vite… vite… Quelquefois on entend leur rire sans entendre leur pas… Elles vont de leurs malades à leurs fleurs. Elles sont contentes. Mon oncle, je voudrais être contente aussi. Je l’ai mérité, je vous assure » (Acte 1, se. 13). C’est la théorie de la vie religieuse, asile du bon petit bonheur bourgeois, abri contre les vilains ennuis du monde. On désire entrer au couvent « pour y être bien ». R. Bazin répond à d’aussi ridicules insinuations : « On ne sacrifie pas, par un entraînement d’imagination, jeunesse, sa beauté, sa joie et sa vie ; on ne s’enferme pas dans un couvent avec le rebut de la rue ; on ne vit pas quarante ans chaste, pauvre, sans autre volonté que celle d’obéir, parce qu’on a le goût du blanc, des fleurs artificielles et du silence, parce qu’on aime à respirer l’odeur d’un grain d’encens. Il y a autre chose. » ( 1. c, p. 58). 1J. Réponse vraie.

a) La vocation religieuse naît d’une clairvoyance

plus grande : « ) à l’endroit des réalités 1'résbntes, p. ex. : courte durée de la vie, caducité des bonheurs terrestres et désir de bonheurs autres que ceux de la terre (Pie de Sainte Thérèse, par H. Joly, p. 13) ; — besoins immenses des classes populaires. (Savoureux exemples dans M. Talmeyr, La nouvelle légende dorée, ch. iii, ix, xi), 1921. jj) à l’endroit desréalitéssuRNATURKLLss, p. ex. : misère effrayante des âmes ; — relative inutilité de la Rédemption ; — possibilité par ailleurs d’intervenir pour rendre cette Rédemption plus efficace et, dès là, désir immense de collaborer à l'œuvre du Sauveur Jésus.

b) ou encore d’une générosité plus grandu, inclinant à plus de pureté.

Obj. : La plupart entrent dans la vie religieuse sans savoir ce qu’est le monde et le mariage. S’ils savaient, ils n’entreraient point.

Rép. 1) Innocence n’est pas ignorance. Entrer dans la vie religieuse, ne signifie point ignorer la vie qu’on laisse. 2) Ne pas connaître certains détails peut-être de la fonction conjugale, équivaut-il à ne rien connaître de la vie d’un foyer ? Celui ou celle qui entrent au cloître savent très bien qu’ils renoncent à une vie comme celle deleurs parents, aux joies familiales, etc. ; — au moins cela. 3) « Si le jeune homme ne connaît pas le monde (à supposer que cela soit vrai), il connaît Dieu ; ce qui suffit ». (Cnocarne, Vie du P. Lacordaire.)

Plus de dévouement : « Il faut du dévouement, j’en suis » (Valbntinb Riant, Vie, par G. Longhaye, S. J., Paris, 1881). « C’est un triomphe pour la religion d’avoir amené une femme à la victoire de dégoûts tels qu’on en pérouve dans les hôpitaux, d’avoir amené l’affectuosité d’une créature distinguée à appartenir tout entière à d’abjects et sordides misérables qui souffrent… » (De Goncourt) ; plus de soif de ressembler à Notre-Seignbur : à Notre-Seigneur prêchant, expiant, s’offranl dans le silence eucharistique, etc.

Plus de désir d'étendre le Règne de Dieu, ou bien autour de soi, ou bien dans les missions lointaines : Just de Bretenières, enfant, creusant dans le jardin delà sous-préfecture à Chalon-sur-Saône, où son père habitait, et se penchant au bord du trou : « J’entends les Chinois qui m’appellent ! »

Jolis cas de vocations à étudier : Dom Verkadb, Le tourment de Dieu ; — Martindalr, 7Voi « jeunes saints, saint Stanislas, saint Jean Berchmans, saint Louis de Gonzague : très pénétrante et originale comparaison entre ces trois vocations à la fois si semblables et si différentes. Vocations où le renoncement et l’amour de Dieu continent à l’héroïsme : mères de famille se séparant de leurs enfants pour se donner à Dieu : sainte Jeanne de Chantai, Marie de l’Incarnation (Marie Guyard), la comtesse d’Hoogworst. 3° Rôle des parents et des éducateurs.

a) Découvrir, préserver, soutenir la vocation de l’enfant.

— Savoir reconnaître les germes ; il en existe plus qu’on ne croit : « J’ai l’expérience des jeunes gens, disait Dom Bosco ; un tiers d’entre eux porte en germe la vocation. » — Excellentes indications sur ces points et les suivants, dans abbé Claude Bouvier, l’Education sacerdotale (Lecoffre), i'° partie, pp. 1-75. Sur le devoir pour les prêtres, notamment les curés de paroisse, de chercher et cultiver les vocations, Code, can. 1 353 et 135^, 2. Mot exact de Mgr Bougaud : « Un prêtre qui prépare des enfants pour les petits séminaires est dix fois prêtre » ; — et du cardinal Bourrbt : « Un prêtre qui n’a pas le souci d’assurer, pour sa part et dans la mesure où il peut, la perpétuité du sacerdoce, n’est pas un bon prêtre ». 1909

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Préserver. Il exisle une croyance absolument erronée d’après laquelle beaucoup de chrétiens se représentent la vocation comme une voix impérieuse qui sera fatalement entendue et obéie en temps utile, Qu’importent les contradictions, les résistances, les obstacles ? On dit de celui qui les essuie que. si c’est bien sa vocation, cela ne fera que l’atFermir. Puis, quoi qu’il arrive, on se rassure en pensant que « c’était écrit ». Rien n’est plus faux, note Mgr Dadollb (Le prêtre, Vitte, Lyon), que cette opinion néfaste, très répandue dans le monde et parmi les catholiques eux-mêmes. D’excellents chrétiens, qui savent parfaitement que Dieu les a chargés d’assister leurs enfants dans l’œuvre capitale de leur formation morale et religieuse, de les éclairer de leur expérience et de leur maturité, considéreront comme un devoir de discrétion de ne jamais leur parler de vocation ecclésiastique. Le séminaire et le couvent sont regardés pratiquement comme des lieux redoutables où il ne faut entrer que vaincu par une grâce d’en haut, entraîné irrésistiblement par un appel de Dieu, lequel a dû tomber directement sur l’âme élue, sans passer par aucun canal humain. Le postulat caché de cette façon de voir, c’est qu’on ne se trompe toujours pas en restant dans le inonde, tandis qu’on se tromperait effroyablement si l’on allait au séminaire ou au couvent, sans une indication expresse et, en quelque sorte, miraculeuse de la Providence. Le premier abus de cette fausse idée de la vocation, ajoute Mgt-Dadolle, consiste à se comporter vis-à-vis d’elle d’une manière simplement indifférente, à laisser faire. Laisser faire, pense-t-on, ce n’est pas entraver. « Si vraiment Dieu veut être entendu, qu’il parle. » On oubiie que Dieu n’est entendu que si l’on n’étouffe pas sa voix, que pour parler à l’âme, il demandera souvent à emprunter notre langage humain ; que c’est un devoir d’éclairer les enfants sur les grandeurs et la beauté du sacerdoce et de la vie religieuse.

« Dans une famille chrétienne, écrit René Bazin

(Les hommes de demain, p. aô), il faut qu’un jeune homme entende parler du sacerdoce, qu’il sache quelle est la grandeur de cette vocation, quel besoin le monde a toujours eu, quel besoin toujours pressant il a d’avoir des saints. Vous avez tous remarqué la disproportion entre les prêtres sortis des familles de la campagne ou des familles ouvrières et le nombre de ceux qui sortent des familles bourgeoises. Il eût suffi peut-être qu’il devinât, près de lui, l’acceptation secrète de sa vocation, pour qu’un jeune homme se donnât au salut des âmes. Il n’a rien senti et s’est tu ; peut-être même a-t-il été habilement détourné, peut-être s’est-on moqué. J’ai laconviction, appuyée par le souvenir de beaucoup d’existences inanquées et malheureuses, qu’il y a de par le monde beaucoup d’hommes qui avaient la vocation sacerdotale et qui ne l’ont pas suivie. »

Soutenir. C’est un grand art de mettre les germes surnaturels en état de pouvoir éclore. Donner à l’enfant et au jeune homme l’habitude de la victoire sur lui-même, l’instinct du sacrifice, le sens du dévouement, legoùtdela pureté (Congrégations de la Sainte-Vierge), l’amour ardent de Notre-Seigneur, la soif des âmes. Faire naître dans l’enfant, dans le jeune homme, « l’angoisse du Balnt du monde », la recherche d’un idéal élevé ; le détourner du plaisir facile, de la vie sans luttes ou à demi-rendement ; lui donner l’horreur du mal et l’intelligence de l’inutilité apparente de la Rédemption du Sauveur, en même temps que de ses possibilités d’intervention dans l’histoire divine de l’humanité, à titre de sauveur avec Jésus-Christ. Ne jamais « pousser », ce qui serait grosse imprudence (satire piquante

et d’ailleurs injuste de pareille conduite dans l Empreinte, d’EsiAUNis) ; mais si l’on voit que l’espoir est sérieux, doucement encourager, éuergiquement stimuler, en comprenant bien que, seul, l’Esprit-Saint est le maître des vocations. La Bienheureuse Marie de l’Incarnation (Mme Acarie) élevait si pieusement ses enfants, que plusieurs lui reprochaient de les destiner tous à la vie religieuse. Elle répondit : « Je les destine à accomplir la volonté de Dieu. Si j’étais reine, et que je n’eusse qu’un seul enfant, et qu’il fût appelé à l’état religieux, je ne l’empêcherais pas d’y entrer ; si j’étais pauvre, et que j’eusse douze enfants sans aucun moyen de les élever, je ne voudrais pas être la cause de l’entrée d’un seul en religion : une vocation religieuse ne peut venir que de Dieu. » De fait, les trois filles de Mme Acarie se firent carmélites ; ses trois fils, engagés dans la magistrature, le sacerdoce et le métier des armes, conservèrent toujours dans leurs cœurs les sentiments que leur sainte mère s’était efforcée de leur inspirer.

b) S’il ne fautjamais pousser indiscrètement quelqu’un dans une voie qui n’est pas la sienne, jamais non plus il ne faut détourner un enfant appelé par Dieu, ni s’opposera son entrée dans le sacerdoce ou la vie religieuse (Pierre l’Ermite, Comment j’ai tué mon enfant. Bonne Presse). — « La vocation est-elle encore obscure ? Qu’on l’éclairé 1 Si elle est faible, qu’on l’affermisse I Si elle s’ignore, qu’on la révèle à elle-même ! Si l’on craint qu’elle ne soit en réalité qu’une impression fugitive, qu’on l’éprouve ! Mais, qu’on le sache bien, éprouver n’est pas tuer ; et ce serait vraiment un crime que de prendre un enfant sous prétexte de mieux connaître sa force de volonté, et de l’envoyer froidement là où il serait fatalement exposé à la perle de son innocence et de sa foi ! » (Mgr LoBBEDEY, év. d’Arras, Mandement remarquable sur la vocation, Carême i q13). Dans une pièce qui fit grand bruit, Le Retour de Jérusalem, Maurice Donna y met en scène une mère de famille, Mme Aubier, qui déclare avec sérénité : « Nous sommes de bons catholiques… » Un de ses fils lui répond cruellement :

« Oui, quand ma sœur a voulu prendre le voile, papa

a parlé d’aller égorger son confesseur. » — Et H. Lavedan conte l’histoire d’un jeune garçon que son père, un « bon catholique », a mis dans un établissement ecclésiastique. L’enfant veut être prêtre. Un jour de sortie, il s’en ouvre. Le père écoute, plaisante ; i’enfant insiste. Le père se fâche : « Jamais ! Entends-tu ? C’est encore tes… d’abbés qui t’ont f… ça en tête I Jamais ! J’aimerais mieux te voir mort, oui, mort ! » Aux parents d’imiter plutôt le geste de Louis XV. Quand Madame Louise de France entre au Carmel, le 16 février 1770, l’archevêque Christophe de Beaumont prévient le roi. « Si c’est Dieu qui me demande ma fille, répondit Louis XV, je ne puis ni ne dois la lui refuser ». (L. Aubinbau, L.es serviteurs de Dieu, p. a31).

VIL Appel général et appel spécial.

On l’a vu plus haut, il y a trois grands modèles de vocation : La vocation par illumination impérieuse, qui est très rare, Dieu aimant plus que tout les

« volontaires v ; La vocation d’attrait ; La vocation de

raison. Saint Ionacb décrit ainsi cette dernière : « Le troisième temps est tranquille. L’homme, considérant d’abord pourquoi il a été créé, c’est-à-dire pour louer Dieu Notre-Seigneur et sauver son âme, et touché du désir d’obtenir cette fin, choisit comme moyen un état ou genre de vie parmi ceux qu’autorise l’Eglise, pour mieux travailler au service de son Sauveur et au salut de Bon âme. J’appelle temps tranquille celui où l’àme n’est pas agitée de divers 1911

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esprits, et fait usage de ses puissances naturelles, librement et tranquillement. » — Cette dernière forme de vocation pose la question suivante : L’invitation de Notre-Seigneur dans l’Evangile à suivre la voie des conseils, est-elleune invitations’adressant à tous (à tous ceux qui le désirent), ou bien faut-il la restreindre à quelques privilégiés marqué ! d’avance ? Réponse, a) L’invitation de Notre-Seigneur dans l’Evangile à suivre la voie des conseils est une invitation de portée générale. Toute personne (ayant, bien entendu, l’aptitude physique, intellectuelle et morale, et parailleurs se trouvantlibre et d’intention pure) peut se croire visée par le dire de Notre-Seigneur {Mat t., xix, l) : « Si tu veux être parfait, voilà ce qu’il y a à faire. » Par delà le jeune homme qu’il avait devant lui, Notre-Seigneur visait toutes les âmes de bonne volonté à travers les siècles : « S’il y aquelqu’undésiranlêtre parfait, voilà mes offres l » Aussi bien le texte ajoute peu après (Matt., xix, af j) : " Quiconque aura quitté… » On ne peut trop insister sur le fait que l’appel divin en matière de vocation n’a nullement besoin d’être un appel notifié par attirances spéciales, une sorte de voix impérieuse et doucement mais obligatoirement intimée. Il suffit à chacun de connaître l’appel général prononcé par Notre-Seigneur lors de sa conversation avec le jeune homme de l’Evangile : « Si tu veux. » C’est-àdire :

« Il y a deux voies. Elles sont offertes à tous, 

donc à toi. Choisis ! Tun’as pas d’impossibilités physiques (santé, etc…) ; pas d’impossibilités morales (difficultés telles contre l’obéissance, par exemple, ou la chasteté, qu’il y aurait imprudence aies vouer). A la volonté seule, par conséquent, — aidée de la grâce sans doute, mais d’une grâce qu’il ne faut pas se figurer comme une poussée enthousiaste et quasinécessitante, — à prononcer le « Je veux » décisif. Pittoresque application, sous forme vivante, de la correspondance à cet appel général, dans le « Si fis », du P. Groussau (Apostolat de la Prière, Toulouse ) ; utile à faire lire aux jeunes gens qui seraient trop portés à mettre le tout ou du moins l’essentiel de la vocation dans les attraits. Si l’on veut des cas vécus, lire, en tout premier lieu, le récit de la vocation de sainte Thérèse dans sa Vie par elle-même, ou dans son Histoire d’après les Bollandistes, Retaux, 1888, t. I, pp. 4 1 - 4 -~ » - Loin de ressentir des attraits, elle « éprouve une répugnance invincible ». Son choix vient de la raison et de la foi. Comment la volonté divine se rcvcle-t-elle à Thérèse ? Par des gràcesextraordinaires ?pardes attraits irrésistibles ? par un appel divin clairement signifié ? Rien de tout cela ; et si quelqu’un se prend à regretter que les fiançailles spirituelles d’une pareille sainte aient été célébrées d’une manière si simple, si commune, nous, pour notre part, nous bénissons le Seigneur d’avoir ainsi donné un modèle à suivre au lieu d’un prodige à admirer. — Voir également les deux

« élections » de Guillaume de Montferrand (Vie, par

l’abbé Rou/.i- :), l’une « près son collège et concluant à la vie militaire, l’autre durant laguerreet concluant à la vie au service de Notre-Seigneur ; on encore la description des états d’âme du I’. Ghatuy, alors qu’il préparait Polytechnique : « Je pensais à consacrer ma vie entière à Dieu, à vaincre pour cela toutes les difficultés et à rompre tout lien qui voudrait m’arrêter… ; tout à coup, j’aperçus pour la première fois, je crois, que mon amour était un lien et un obstacle (amour de pur sentiment et d’ailleurs honnête). A cette vue, je fus consterné et sentis mon impuissance absolue à rompre cette chaîne vivante de mon cœur. Je ne le voulais pas. Quant à cela : non 1 non ! — Mais voici qu’une, espèce de souffle vivifiant m’entourait… et qu’une voix toute

mystérieuse me disait avec un accent d’une insondable profondeur. « Ah ! si tu voulais ! » — Je ne peux pas vouloir, répondis-je avec beaucoup de douceur et de respect ; vous voyez bien que c’est impossible. — Pourtant, si tu voulais ! reprenait la douce voix toujours caressante et vivifiante. Et je faisais la même réponse, en prenant à témoin le ciel entier que c’était impossible. — Tu n’es point obligé à cela, semblait me dire (la voix), mais cependant si tu voulais ! C’étaient toujours les mêmes mots, mais avec un sens grandissant… Et la merveilleuse conversation se poursuivait ainsi toujours, avec la même demande et la même réponse. D’abord, je ne voulais pas vouloir. Quelque temps après, je voulais bien vouloir, mais sans vouloir encore. Il y avait toujours impossibilité. Mais sous l’insistance croissante de la voix… j’en vins à dire : « je ne puis, mais je ne ni’j' oppose pas ; faites vous-même, prenez, coupez ». Et alors, comme si on m’avait mis dans la main un fer tranchant ou même si on m’avait poussé le bras et pressé la main, jecoupai l’artère principale de mon cœur. Je crois encore sentir le froid de cette coupure. C’était fini, le lendemain de ce jour, j’entrai dans une église, le jour de l’Assomption, et je fis vœu de pratiquer les conseils évangéliques. » (Souvenirs de ma jeunesse, (^ éd., pp. 80-88). On voit d’après cela qu’il faut tenir en médiocre estime les expressions : « J’ai la vocation, je n’ai pas la vocation ». Elles tendraient à laisser entendre que, pour se décider au service particulier du Seigneur, il est besoin de se sentir comme entouré d’une sorte de chape tombant soudainement sur l’âme. Non. Là cependant où l’appel général se doublera d’un appel particulier, c’est-à-dire où l’âme, en plus des raisons valant pour tous, aura ses raisons personnelles, la vocation n’en sera que plus nette et plus marquée.

b) L’Eglise, à son tour, quand elle fixe les conditions requises pour devenir religieux ou prêtre, ne vise pas qu’une catégorie spéciale de chrétiens. Le texte vaut pour tous indistinctement : Quilibet. Tout chrétien instruit de sa religion sait qu’il peut, durant son stage sur la terre, ou bien s’enrôler dans le sacerdoce, ou bien avec ou sans le sacerdoce, embrasser la vie religieuse. L’Eglise, après Notre-Seigneur, invite ceux de ses enfants qui le désirent.

Vie sacerdotale, canon 968 : Sacrant ordinationem valide recipit solus vir baptisât us ; licite autem, qui ad norman sacrorum canonum, debitis qualilatihns, judicio proprii ordinarii, prseditus sit, neque ulla detineatur irregularitate aliove impedimenta.

Vie religieuse, canon 538 : In religionem admitti potest quilibet calholicus qui nullo legitimo detineatur impedimento rectaque intenlione moveatur t et ad religionis onera ferenda sit idoneus.

Singulière déformation de cette doctrine dans la fâcheuse pièce de F. db Cunsi., La Viveuse et le moribond.

VIII. Sublimité de la vocation.

1" Virginale, — Sublimité prouvée par : a) les sacrifices qu’elle impose, sacrifice de ce qu’il y a de plus doux sur terre, la paternité, la maternité, les joiesde la famille et du foyer ; b) les exemples qu’elle reproduit. Notre Seigneur a été vierge. Marie et Joseph également ; combien de saints ! L’Eglise latine réclame que ses prêtres soient vierges. On est en bonne compagnie.

2° Sacerdotale. — Sublimité prouvée par : a) la préparation qu’elle exige. « L’Eglise prend par les cheveux la jeunesse toute vive ; elle la purifie par la prière et la pénitence, l’élève par la méditation, l’assouplit par l’obéissance, la transfigure par l’humilité, et, le jour venu, elle la jette parterre dans ses basi1913

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liques, elle verse sur elle une parole et une goutte ; d’huile : la voilà chaste. » (La.coho.urk, Conférence s’a- la chasteté, t. V, p. 44) i b) la grandeur des fonctions qu’elle confère : pouvoir sur le corps physique du Christ (pouvoir de eonsécrateur) : miraculum insolfiis, nec alias (iictum nec usquam faciendum, ne in cælis quidem (Lkssius) ; pouvoir de distributeur de l’Eucharistie (voir p. ex. Vie du P. I.enoir, par G. Gcitton) ; pouvoir surle corps mystique (lésâmes). Réserve faite évidemment des aptitudes, des appels, etc., de tous les considérants subjectifs, — en soi, objectivement, combien l’apostolat sacerdotal l’emporte sur l’apostolat dans le monde. » Semeur de parole », le laïque peut l'être, parfois glorieusement et, ce qui vaut mieux, de façon singulièrement utile (p. ex. : Montalerubert.Ozanam, etc.). Le prêtre pourra être moins doué. Mais c’est lui <pii détient par état le pouvoir « d’enseigner toutes les nations », et de se faire écouter comme si le Christ lui-même parlait par sa bouche. « Quand saint Pol de Léon délivra l’Ile de Batz du dragon qui la désolait, ce ne fut ni par les armes, ni par la violence, niais par la vertu de son étole jetée sur les épaules domptées du monstre, tout à coup docile et soumis. Souvent, debout sur la grève de Roscoff, en face du rivage illustré par ce grand souvenir, j’ai admiré, légende ou tradition, cette belle image du dévouement sacerdotal et de la puissance du ministère sacré ; et je me suis dit qu’ainsi les (ils de saint Pol, et avec eux le clergé de France, si modeste et si grand, sauraient un jour, avec la forée qui leur vient d’en haut, des mains des évêques, et. par eux, du successeur des Apôtres, désarmer cl vaincre l’esprit révolutionnaire qui ravage notre pays. » De Mun, Disc, t. VI, pp. 33-3.1). Canal de la grâce, d’une certaine manière le laïque peut l'êlre par son dévouement, sa charité, son abnégation, son esprit de sacrifice ; mais qu’est-ce que ce pouvoir, comparé à celui du prêtre faisant entrer Dieu dans une àme par le baptême, ou rentrer Dieu par la pénitence ; comparé au pouvoir du prêtre près des mourants ? Le laïque peut préparer a la grâce ; il ne peut la conférer. Le laïque peut disposer au pardon ; seul le prêtre peut donner Vabsolution, etc.

« Mais vous prêtres, vous n'êtes pas à nous pour un

seul moment.

« Votre prière n’est pas, comme la nôtre, cette fumée qui se dissipe à tous les vents.

x Vous n'êtes que prière vous-mêmes, vous êtes la jointure et le ciment,

« Vous ne faites qu’un avec Dieu, vous ne faites

qu’un avec nous aussi,

« Vous commandez à Dieu, vous le faites et le tenez

à votre merci,

(i Nous vous teuons, vous le tenez, et tout se tient dans une seule Eglise.

a Vous êtes l’Ordre par Excellence en qui tout le corps s’organise,

a Tout ne fait qu’une obsécralion, tout ne fait qu’un seul sacrilice,

« Quand vêtus d’or et de lin à l’autel, vous vous retournez vers vos frères, 

, ( Prenant le peuple obscur avec vous et l’offrant entre vos bras ouverts. »

(Paul Claudel, L’Offrande du temps).

a II est un homme dans chaque paroisse qui n’a point de famille, mais qui est de la famille de tout le monde ; qui prend l’homme au sein de sa mère et ne le laisse qu'à la tombe ; qui bénit ou consacre le berceau, le lit de mort et le cercueil ; un homme que les petifs enfants s’accoutument à aimer et à vénérer… ; aux pieds duquel les chrétiens vont répandre

leurs aveux les plus intimes, leurs larmes les plus secrètes ; un homme qui est le consolateur, par état, de toutes les misères de I'àme et du corps ; qui voit te pauvre et le riche frapper tour à tour à sa porte : le riche pour y verser l’aumône secrète, et le pauvre pour la recevoir sans rougir ; un homme qui a le droit de tout dire, et dont la parole tombe de haut sur les intelligences et sur les cœurs, avec l’autorité d’une mission divine ! Cet homme, c’est le curé. » (Lamak TINIî).

Excellente réponse, dans le livre mêlé de Gon/agub Truc, /.es Sacrements (Alcan), pp. 102-110, à l’objection : « Il semble que le prêtre, par la qualité surnaturelle de son élection, par la sublimité de son oiïice et par l’isolement où sa grandeur le tient, ne doive guère trouver de place au milieu des hommes, ni vivre comme eux, ni les connaître beaucoup. » — a Nous voyons le contraire. C’est que la culture, l’expérience, et la mystique ecclésiastique (la formation spirituelle) sont de première valeur. »

En conclusion, le mot de M. Olibr : « Dieu a fait deux prodiges, la Sainte Vierge et le prêtre » ; et celui de Gratry : « Si l’on savait, si l’on comprenait ce qu’est le sacerdoce, il y aurait trop de prêtres. Dieu, je crois, couvre d’un voile et tempère, par précaution, l'éclat et la beauté du sacerdoce catholique : trop d’imprudents viendraient se perdre et se brûler à cette lumière. Le prêtre est coopérateur de Dieu, il est apôtre du Christ, c’est-à-dire qu’il est une artère de ce cœur du monde, un rayon de cette gloire ardente, lumineuse, amoureuse, qui est le soleil de Dieu pour purilier et féconder la terre. » (Philosophie du Credo, p. 242).

3° Religieuse. — Sublimité prouvée par : a) la grâce incomparable qu’elle suppose. A l’origine, choix particulier et tout aimant de Dieu ; au terme, consécration, c’est-à-dire, retrait de tout usage profane, pour être réservé à l’usage exclusif du Seigneur. D’après saint Liguori, saint Laurent Justinien, sainte Madeleine de Pazzi, la vocation religieuse est la plus grande grâce que le bon Dieu puisse faire à l’homme ici-bas, après le baptême. Suarez regarde la vocation comme épuisant en quelque sorte la libéralité divine : « C’est là le bienfait des bienfaits ; Dieu retire du inonde ceux qu’il aime d’une prédilection spéciale. » (Vie de Suarez, par le P. de Scorraille, t. II, p. 275.) b) par les privilèges qu’elle apporte. Ils sont ainsi résumés par saint Bernard : Homo vivit parias, cadit rarius, surgit velocius, incedil cautius, irroratur frequentiiis, quiescit securiits, moritur confidentius, purgatur citius, præmiatur copiosius. « L’homme vit plus purement, tombe plus rarement, se relève plus vite, marche avec plus de précautions, est plus souvent rafraîchi par les consolations célestes, se repose avec plus de sûreté, meurt avec plus de confiance, est plus tôt purifié de ses fautes et reçoit une récompense plus glorieuse. » c) par les récompenses que Notre Seigneur lui promet et déjà lui assure : Récompenses dès icibas, nunc et in tempore hoc, vie éminemment féconde, compagnonnage trié et saint, etc. Récompense pour plus tard ; qui reliquerit, etc., vitam aeternam possidebit [Lue., xvni, 29).

IX. Comment suivre sa vocation ?

Ou la question, théoriquement, est déjà résolue, ou elle est encore pendante.

i cr cas. — La question d’avenir est encore pendante.

1" hypothèse. — Jamais la pensée d’une vocation n’a effleuré l’esprit. 1.J15

VOCATION

1916

Réponse : Puisqu’elle se présente maintenant, en profiter pour réfléchir.

Aussi bien, la chose est d’importance.

Obj. : Mais penser à la vocation risque de la donner !

Rép. : i) Penser à la vocation n’équivaut point à avoir la vocation. Le plan de Dieu sur chacun est ce qu’il est. Le fait que l’on cherche à le découvrir ne le modifie pas pour autant, a) Mettons au pire. Eh 1 bien oui, Dieu appelle. Après étude, cela semble clair. La question se réduit alors à ceci : « Sera-t-on courageux ou lâche ? »

2e hypothèse. — On y a pensé déjà, mais justement, par lâcheté, on a toujours refusé d’examiner à fond le problème.

Rép. : i) Cette peur est-elle acceptable ? Ne pas oser examiner en face un problème où se trouvent engagés à la fois tant d’intérêts majeurs : la gloire de Dieu, le bonheur intime ici-bas, peut-être indirectement le bonheur éternel !

Remarque : Noter que le refus de la vocation ne constitue pas, de soi, une faute, encore bien moins une faute grave, un péché mortel. Il s’agit d’une question libre « Veux-tu ? » — donc d’un point de perfection. Ce qui est vrai, c’est que, du fait des conséquences, le refus d’une vocation bien prouvée va priver l’âme de grâces de choix, la situer dans un milieu pour lequel elle n’est pas faite et où par conséquent elle risque d’être plus exposée et donc plus facilement de défaillir. La grâce ne lui manquera jamais, mais elle est beaucoup moins assurée de ne pas manquer à la grâce (voir R. Plus, Le Christ dans nos frères, p. 1 69-21 4) 2) Cette peur est-elle digne de Dieu ? Si Dieu appelle une âme, qu’est-ce à dire ? Que de toute éternité, Dieu l’a discernée dans la masse, l’a choisie dans l’intention d’en faire une de ses privilégiées, dans l’intention de la « consacrer » à son service exclusif. Quel honneur ! Et c’est cela qu’on refuserail d’examiner ? Est-ce admissible, ou plutôt n’estce pas souverainement indélicat ?

3* hypothèse. — On n’a pas repoussé à priori, on a même examiné ; mais on doute encore.

Rép. : Il faut sortir du doute. Pour cela : 1) Bien voir ce qu’est théoriquement et suivant les principes, la vocation. 2) Pratiquement, se mettre, avant tout nouvel examen, dans la disposition de décider, non dans le sens des attraits de nature, mais dans le sens des désirs de Dieu, connus dans la prière et approuvés par le confesseur ou directeur. — Utilité, pour acquérir cette disposition, d’une retraite, dont le but est précisément d’aider à » ordonner sa vie, utordinct vilam » (Exercices de saint Ignace).

: >.’cas. — La question « vocation » est résolue

par la négative.

l re hypothèse. — L’âme a reconnu que la vie parfaite n’était pas pour elle. Que faire ? Garder une profonde admiration pour ceux qui, voulant se donner à Dieu, quittent tout. Les aider dans leurs œuvres par la prière et l’aumône. Comprendre que, pour n’être point appelé à l’état de perfection, l’on n’en est pas moins appelé à la perfection, comme tout chrétien. « Jésus n’a pas dit : Soyez bons ! mais Bstote perfecti, soyez parfaits ! La loi de la sainteté s’impose à toute âme. » (Psiciiaui, à un auditoire de jeunes gens. Vie, par Mme Goiciion, p. 369).

2* hypothèse. — On a reconnu qu’aucun obstacle sérieux ne s’opposait dans l’espèce à la vie parfaite ; mais on n’en veut pas. C’est l’attitude du jeune homme de l’Evangile. — Voir ce qui est dit plus haut sur le refus de la vocation ; se représenter com ment, au lit de mort, on appréciera cette décision ; prier pour obtenir la grâce de vouloir.

3= cas. — La question « vocation » est résolue par l’affirmative.

Remercier Dieu de cette grâce incomparable, car s’il est vrai, dans l’abstrait, que l’appel est pour tous, le fait pour tel individu de se considérer comme visé par cet appel et d’y répondre par un don total est une faveur de choix ; et dans ce sens est à comprendre la parole : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis. — Voir au livre II de ses Insinuations de la divine piété (le seul des cinq livres qui soit d’elle intégralement), ch xx, comment sainte Gbrtbudb apprécie la grâce de sa vocation. (Ed. Lecoffre, t. I, p. 182-183).

Partir dès que possible. — Autant il est bon de ne rien brusquer quand il s’agit d’étudier sa voie, autant, celle-ci étant reconnue, il importe de mettre sans délai ses désirs à exécution — « Avant le Carême, disait Jeanne d’Arc, il faut que je sois devers le Dauphin » — et encore, à qui lui demandait quand elle voulait partir : « Plutôt aujourd’hui que demain et plutôt demain qu’après. » — S’inspirer du geste des Apôtres. Dès que Notre-Seigneur a dit :

« Veni, sequere, viens, suis-moi… », « statim, aussitôt

», ils laissent là familles et filets.

En attendant, si pour une raison urgente, il faut quelque peu différer, vivre par avance comme si l’on était déjà au port, et résister, avec douceur mais vaillance, à toute suggestion de temporiser au delà des délais sagement fixés. Bien des vocations se perdent pour avoir trop attendu.

X. Perte de la vocation ;

vocations transitoires ; renvois.

i° Perte de la vocation. — Deux cas :

a) Renonciation à l’état choisi, avant qu’il ne soit définitif (c’est-à-dire avant le sacerdoce reçu ou les vœux émis). Cela peut s’expliquer, — soit, dans certains cas, par une sage prudence (il est reconnu, à l’essai, que le sujet ne se trouve pas apte. Etait-ce le cas pour Renan ? Voir Souvenirs d’enfance et de jeunesse, ainsi que les Lettres à sa sœur Henriette, et, en plus romancé, Patrice, essai autobiographique paru dans la R. D. M., 191 2 ; magistral article de Mgr D’HuLSTSur le cas Renan, Correspondant. — Etaitce le cas pour Ferdinand Fabre, l’auteur de L’abbé Tigrane et de tant de romans où le prêtre est en jeu ? Voir notamment une sorte d’autobiographie : Ma vocation).

— Soit par un manque de courage et de persévérance.

h) Défection véritable, c’est-à-dire départ une fois le sacerdoce reçu ou les vœux perpétuels émis. L’opinion générale des maîtres de la vie spirituelle est que, les vœux une fois émis, la renonciation aux obligations de la vie religieuse (pour la renonciation aux obligations du sacerdoce, c’est trop clair) est une désertion, c’est-à-dire qu’il faut en attribuer les causes à une défaillance coupable du sujet : manque de soumission aux supérieurs, d’assujettissement à la règle, de fidélité à l’oraison (Pour le P. Ciiaignon, la grande cause des défections se trouve là). Saint Thomas va jusqu’à dire que si quelqu’un est entré de bonne foi dans un Institut et a été reçu par les Supérieurs compétents, Dieu se doit, à supposer qu’objectivement ce ne fût point là la vraie place pour laquelle il était fait, de lui donner les grâces nécessaires et utiles pour y persévérer. Qu’il faille expliquer certains cas, moins par une désertion proprement dite, que par une illusion, c’est possible, et, dans certaines occurrences, probable (exemple curieux du P. 1917

VOCATION

1918

Barelle quittant sa vocation, croyant obéir à Notre Seigneur, et, au bout de huit jours, comprenant son erreur et demandant sa réadmission). — Tel directeur pourra rencontrer d’utiles lumières dans Panasse de quelques épisodes spécialement douloureux, sur documents produits par les intéressés eux-mêmes ou des amis dans leur cas, et donc à n’accepter qu’avec discernement et contrôle. Avec l’hésitation qu’on devine, nous citerons le cas du P. Hyacinthb, les 3 vol. de l’ex-abbé Houtin : et plus récemment, Du sacerdoce au mariage, par A. Houtin et P-L. CoucnoUD ; — sur l’abbé Houtin : Une vie de prêtre, mon expérience ; — sur l’abbé Dabry : Mon expérience religieuse ; — sur Tyrhbll : Life of Trrrell, i vol. ; — sur l’abbé Loisy : Choses passées et Quelques lettres sur des questions actuelles et des événements récents (chez l’auteur, à Ceffonds) ; — pour le cas Marcel IIbbrrt, voir Un prêtre symboliste par A. Houtin.

Certaines circonstances pénibles, incompréhensions ou duretés injustifiées de certains supérieurs, événements historiques particulièrement dommageables à la vocation (R. Bazin, L’isolée), peuvent fournir également, sinon une excuse, au moins une occasion et un prétexte. — Sur la situation du religieux qui abandonne son état, Codex Juris Canonici, can. 63^645. Noter que les vocations forcées, comme il s en pouvait rencontrer autrefois (cadets plus moins ou contraints à entrer les ordres — Voir dans DBGBRT, /7/.sf oire des Séminaires français, p. ex., t. ii, 36a, ou Sicard, .'.es évêques avant la révolution, chap. Il ; — Objurgations nombreuses cTOlibr, de saint Vincent de Paul, de Bourdaloub, de Massillon ; Lettre 350 de saint François de Sales, éd. d’Annecy, t. III, p. 209 ; — odieuses exagérations de Diderot : La religieuse) — n’existant plus, les risques de défections qu’on pourrait appeler motivées, et de prise en dégoût des obligations sacerdotales ou religieuses, se trouvent diminués d’autant.

2*) Les vocations transitoires (Codex, can. 632-636). — En vertu de la règle ci-dessus donnée, qu’une âme entrée loyalement dans un ordre ou une congrégation, possède en principe tout ce qu’il faut pour y persévérer, l’on doit, en thèse générale, se mettre en garde contre tout désir ou toute demande de changement d’un Institut dans un autre. Il y a là très facilement une illusion sub specie boni. C’est la porte ouverte, surtout chez les femmes, à l’instabilité perpétuelle. D’ordinaire, ceux qui désirent ces changements possèdent, dans l’Institut qu’ils rêvent de quitter, tout ce qu’ils espèrent trouver ailleurs. Et l’expérience semble prouver que ces transferts sont loin de donner à ceux qui les ont souhaités, ce qu’ils attendaient. Ils engendrent plus d’une déconvenue et plus d’un regret. Cependant il peut y avoir des cas, forcément très rares, où Dieu semble vouloir ou permettre, pour une âme, une vocation par étapes, par paliers successifs. Quelques exemples types : Ludolphe le Chartreux, entré d’abord dans l’ordre de Saint-Dominique et y persévérant pendant vingtsix ou trente ans ; saint Camille de Lellis, d’abord Frère Mineur, puis fondateur des Camilliens ; Mère Thérèse de Jésus, carmélite pendant quelque temps, puis fondatrice de l’Adoration Réparatrice (rue d’Ulm à Paris) ; Hélène Chapottin de Neuville, d’abord religieuse de Marie Réparatrice et qui créa par la suite les Franciscaines missionnaires de Marie ; Mère Marie du Saint Sacrement, de l’Adoration Réparatrice, qui, supérieure d’une maison de son Ordre à Lyon, le quitte pour fonder en Bretagne l’Institut de l’Action de Grâce ; Mère Thérèse de la Croix, fondatrice des Gardiennes- Adoratrices de l’Eucharistie, dites de S lint-Aignan, qui avait au préalable essayé le Carmel, sans d’ailleurs y prononcer ses

vœux. — Comment voir, dans un cas donné, s’il y a illusion ou vraie disposition providentielle ? Examiner, d’après les règles du discernement des esprits, l'équilibre et le sérieux de la personne, son détachement et son esprit de prière, les avis, inclinations et autorisations des Supérieurs, les indications des circonstances. Il n’est pas négligeable de voir s’il s’agit de passer d’un institut moins austère à un autre plus austère ; dans les Constitutions de son Ordre, saint Ignace prévoit le cas où l’un de ses fils demanderait à entrer chez les Chartreux. (Curieux cas d’illusion d’un novice : Vie du P. Balthazar Alvarez, par le P. Louis Dupont, ch. xvi). Etre beaucoup plus sévère, s’il s’agissait d’un institut en tout ou à peu près semblable et comme austérité de vie et comme genre d’occupations. Modèle de sage direction donnée en ces matières par saint François db Salbs à l’ardente mais instable abbesse de Maubuisson, la Mère Angélique (Voir Etudes, 20 nov. 1912, La vocation d’Angélique Arnauld),

3" Les renvois. — Le nouveau droit canon, en exigeant une prudence plus rigoureuse dans les admissions et en augmentant la difficulté des départs (le sujet-prêtre doit être accepté par un Ordinaireavant que l’on puisse accepter ses dimissoires), s’est efforcé de réduire au minimum les cas de défections et de renvois (can. 646-672).

XI. La crise des vocations.

i » Les craintes. — a) La guerre a creusé dans le clergé cathodique des vides immenses. Statistique (sans doute incomplète) des morts de l’Eglise de France pendant la campagne 1914-1918. Clergé séculier : 3.371. Clergé régulier : 48 Pères Blancs ; 52 Pères du Saint-Esprit ; 45 Pères des Missions-Etrangères ; 3g Capucins ; 167 Jésuites : 29 Dominicains, etc. (Voir le Livre d’or du Clergé, si glorieusement, mais si tristement éloquent, )

b) La dépopulation grandissante rend de moins en moins nombreux les enfants résolus à se consacrer à Dieu !  ; l'égoïsme de beaucoup de familles et la laïcisation croissante de l'école n’aident pas non plus à préparer ces carrières de foi et de dévouement, Statistique des vivants actuels du clergé paroissial en France (voir Dossiers de V Action Populaire, avrilmai 1922) : Dans les 90 départements français on comptait, en 1919, 36.258 paroisses ; 30.2Il seulement sont pourvues d’un titulaire. Il manquait donc 6.o47 curés. « Les vocations sacerdotales, écrit Mgr Chollet (diocèse de Cambrai) sont rares, beaucoup trop rares… Undixième de noséglisesmanquent de pasteurs ; un quart des postes de vicaires sont inoccupés. Alors qu’il nous faudrait créer, nous devons supprimer… Il n’y a pas un prêtre par mille habitants… II faut prévoir que, dans un avenir prochain, les 175 sexagénaires que compte un clergé de 700 prêtres, devront se rendre aux exigences de l’invalidité ou, hélas ! à l’appel de la mort. Et les vides se multiplieront… » (Ordonnance du 15 avril 1922, pour l’institution d’une journée sacerdotale annuelle. Doc. Cath., 29 avril 1922, col. 1. 059). Ce qui est vrai pour Cambrai, l’est beaucoup plus encore pour certains diocèses du Midi. Une enquête de Ch. Piciion, (Echo de Paris, 23 novembre 1922), porte : A Toulouse, Mgr Germain établit ainsi son bilan : 14 dis 1. La brochure n » 6 des Leçon » de Vie (éd. Spea) : Ileliçion et natalité, par J. Dassonville, montre à l'évidence que les vocations sortent presque généralement de familles nombreuses. L’enquête menée dans 53 diocèses a donné 18.' » 82 enfants pour 3.908 familles, soit, pour chacune, 4, 75 en moyenne. Pour les vocations religieuses, après informations en milieux très variés, la moyenne trouvée pour chaque famille a été 6, 6. 1919

VOCATION

1920

parus, 8 ordinations. A Valence, sur ioo paroisses sans pasteurs, Mgr Paget n’ordonne que 8 prêtres. A Carcassonne, la situation est pire : en vingt ans, le diocèse a perdu 168 prêtres et aujourd’hui (1922), sur4 19 paroisses, 1 13 doivent rester sans curé ; l'évêque n’a pas mène la ressource d’escompter l’avenir, puisqu’il n’a eu, cette année, à son grand séminaire, que rentrées. « A l'époque de la loi de séparation, dit Mgr Luçon, le diocèse comptait encore 640 prêtres. Aujourd’hui, nous n’en avons plus que £27. De ces 527, il faut en retrancher 60 que la vieillesse, la maladie, les infirmités ont obligés à se retirer du ministère actif, et autant qui sont employés aux services de l’administration diocésaine. Il ne reste donc qu’environ £io prêtres en activité de service disponibles pour le ministère paroissial. Or, le diocèse compte 729 églises. Le nombre des prêtres est dans une disproportion déplorable avec les besoins des populations. Un grand nombre de paroisses n’ont plus de titulaires ; elles n’ont la messe le dimanche, dans leurs églises, que deux fois, qu’une fois par mois. Par l’organe des maires, par l’intervention des notables du pays, par des pétitions collectives, elle nous demandent des pasteurs en termes suppliants, et nous n’en avons point à leur donner. » De 1914 a 1918, à Reims, 3 ordinations ! En 1927, le Séminaire d’Ajaccio qui, avant la guerre, comptait 120 séminaristes, en compte neuf.

c) Les besoins grandissants des paroisses, des œuvres et des missions. Pour la capitale et sa banlieue, les articles du P. Lhandb, dans les Etudes (1926), ont signalé, en même temps que les héroïques efforts tentés, les manques terribles. Au Congrès diocésain de Paris, en mars 1925, un rapport douloureusement éloquent de M. l’abbé Fi/ïnn, curé de N.-D. de la Croix à Ménilmontant, signalait : « Pour une population de 4.4<>o.ooo âmes, la capitale et sa banlieue n’ontque 1.355 prêtres, soit 1 pour 3.330 habitants, alors qu’il en faudrait 1 pour 1.000 et qu’on en trouve à Londres 1 pour 500 catholiques. Trois paroisses dans Paris ont plus de 90.000 âmes ; sept autres, plus de 60.000 ; une dans la banlieue en a plus de 90. 000 ; trois, plus de 35. 000. Comment s'étonner, dans ces conditions, du nombre si peu élevé de pratiquants ipi’on trouve dans certaines paroisses de faubourg, 8 à 9 p. 100 à peine. » (Malgré cela, 50 % des enfants font la communion solennelle). Il faut savoir que de 1802 à 1906, en io/| ans, le diocèse de Paris, dont la population s’est élevée de 800.000 à 3.800.ooo habitants, n’a pu créer que 23 paroisses nouvelles. En 17 ans, de 1906 à 1923, Paris et sa banlieue se sont enrichis (sans compter les 13 chapellesconcoi-dalaires érigées en paroisses), de 33 églises paroissiales (dont 12 en banlieue) et de 58 chapelles (dont 3a hors les murs). Il faut des prêtres pour ces 91 nouveaux foyers de vie catholique. Que de prêtres il faudrait encore pour les centres non encore défrichés. Le rapporteur du Congrès diocésain de 1923, Mgr Lapalme, relevait, à cette date, plus de 60 localités comptant de 1.000 à 5. 000 habitants et qui se trouvaient sans église. Toutes proportions gardées, on trouverait ailleurs des besoins analogues. Les prêtres manquent ; alors la foi baisse. La foi baissant, les prêtres risquent d’avoir de plus en plus de dilliculté à se recruter.

Aux missions, les déficits s’accusent plus douloureux encore, peut-être. Sur un milliard et demi d’habitants que porte la terre, plus d’un milliard ignore la Révélation divine. Qu’y a-t-il pour pénétrer cette masse énorme : 17.000 prêtres environ, dont 5. ono indigènes ; /|0 000 religieuses. Qu’est-ce que cela, en face du travail à fournir, de l’or et du prosélytisme protestant ? Il faillirait, au bas mot, 100. 00c piètres

pour les missions. En Afrique, il n’y a, à l’heure présente, qu’un prêtre catholique pour 400 ûdèles et 80.000 païens. En Asie, aux Indes, un prêtre pour 860 catholiques et 100.000 païens ; en Chine, un prêtre pour 800 catholiques et 180.000 païens ; au Japon, seulement un prêtre pour 880 catholiques et 320. 000 païens. En Océanie, un prêtre pour 300 catholiques et 100.000 païens. C’est-à-dire qu’au rythme actuel, les pays des missions ne seront christianisés comme nos contrées que dans 25 siècles ! (Voir par exemple : brochures de la collection Xaveriana, 1 1, rue des Récollets, Louvain, série 1924, n° à : Les grandes heures de l’apostolat (Jacques Stevens) ; série 1920, n° 3 : A nous de décider (Albert Hublou) ; n° 8 : Pour nos frères païens ; etc…).

2 Les espérances. — En beaucoup de diocèses, une remontée sensible du nombre des vocations. Constatations également intéressantes sur le sérieux et la qualité des vocations. Une statistique dxillecrutement Sacerdotal (septembre 1922) accusait, pour le Séminaire de la rue du Regard, à Paris : parmi les élèves parisiens, un sous-lieutenant, un lieutenant, un ingénieur principal de la marine, douze croix de guerre, vin médaillé militaire, un titulaire de la légion d’honneur, un agrégé de l’Université, un docleur en droit ; parmi les élèves provinciaux, on remarque quatre sous-lieutenants, huit croix de guerre, deux médaillés militaires, un ingénieur des Arts et Manufactures, deux licenciés en droit, deux licenciés es lettres. Au Grand Séminaire d’Issy, il y avait quatre élèves venus de l’Ecole Polytechnique, une l’Ecole.Normale supérieure, un de l’Ecole Navale, un de l’Ecole des Chartes, un de l’Ecole des Beaux- Ai ts, trois de Centrale, un des Mines, un de l’Ecole des Sciences politiques. L’Université avait fourni : un agrégé des Lettres, un admissible à l’agrégation des Lettres, deux diplômés d’Etudes supérieures, un archiviste paléographe, trois ingénieurs, un docteur en médecine, trois docteurs en droit, dix-sept licenciés es lettres, es sciences ou en droit. L’armée était représentée par un lieutenant-colonel, trois capitaines, un ingénieur des constructions navales, cinq lieutenants, un enseignede vaisseau, vingt-trois souslieutenanls ; un officier de la légion d’honneur, six chevaliers, six médaillés militaires, trente-cinq croix de guerre. Parmi les autres professions, on rencontrait un notaire, deux industriels, deux instituteurs libres, dix-neuf employés ou travailleurs manuels. Le Bulletin des Lycéens catholiques, vers la même époque, annonçait l’entrée au Séminaire, ou au noviciat, de trois de ses membres et l’ordination d’un quatrième. De 1920 à 1922, l’Association catholique de la Jeunesse française a fourni Ô23 vocations : année 1920, vocations sacerdotales lia ; vocations religieuses 51 ; année 1921, vocations sacerdotales 1 ; vocations religieuses 53 ; année 1922, vocations sacerdotales 124 ; vocations religieuses 3y. ChilTres symptomatiques et qui manifestent un incontestable mouvement. Après guerre, en vue de continuer l’apostolatsaharien du P. deFoucauld, un avocatdijonnais et un contre-amiral s’inscrivaient pour l’apostolat des missions.

Dans l’Annonce faite à Marie, de Claudkl, Anne Vercors, riche fermier de Combernon au temps de Jeanne d’Arc, annonce sa volonté de partir pour la Terre Sainte. « La Mère : Seigneur ! tu pars. C’est pour de bon ? Et où c’est que tu vas ? — Anne Vercors, montrant vaguement le Midi : Là-bas 1 — La Mère : A Château ? — Anne Vercors : Plus loin que Château. — La Mère : A Bourges, chez l’autre roi ? — Anne Vercors : Chez le Roi des rois, à Jérusalem. »

Combien déjeunes gens, d’hommes faits, en pleine 1921

VOCATION

1922

connalsance de cause et pouvant disposer d’un avenir beau selon le monde, décident de s’en aller, eux aussi, vers le Roi des rois. Jauri’s, ce pauvre faux prophète, s*écriait à la Chambre française, le 24 janvier 1910 : C’est une des grandes infirmités des hautes classes sociales catholiques dans la France du nxe siècle, qu’elles aient tout voulu donner à l’Eglise, leur protection, leur estime, quelquefois même leur argent, jamais ou presque jamais leurs enfants. Et alors, que s’est-il passé ?… Dès que la fonction du sacerdoce n’a plus donné le morceau de pain ofûciel, le recrutement a été menacé, et vous payez là une des fautes d'égoïsme des classes dirigeantes catholiques ». Qu’il y ait eu quelque temps la difficulté que signale Jaurès, il est possible : mais dans les familles catholiques, aussi bien de rang social élevé que de situation très humble, la foi el l’esprit de sacrifice ont bien vite mis les choses au point. Malgré la guerre, et les causes signalées plus haut, l’avenir peut être envisagé sans terreur. Plus d’une raisonne comme ce vieux jardinier dont parle Bazin et qui répondait à son (ils sollicitant de pouvoir entrer au Séminaire : « Si tu m’avais demandé la permission il y a quelquesannées, quand la vie du prêtre n'était pas sans bien-être, je t’aurais dit d’attendre.de réfléchir, mais à présent que pour vivre de cette vie-là, il n’y a plus que des sacrifices à faire, je te dis oui du premier coup. » {Douce France, p. 29).

Que faire donc ? Intensifier la croyance et la pratique religieuse ; apprendre aux enfants et aux parents la générosité ; prier pour que les vocations éclosent abondantes : « Les ouvriers manquent, a dit Notre-Seigneur, eh ! bien, priez ! priez pour que le Maître de la moisson envoie du monde ! » ; faire comprendre enfin aux catholiques, que, de toutes les œuvres, celle des vocations est la plus vitale. Quand fut fondé par le P. Delbrbl le Recrutement Sacerdotal, en 1901, le cardinal Mathiku lui écrivit :

« Les catholiques dispersent souvent leur charité au

hasard, faute de comprendre la hiérarchie des œuvres, et l’absolue nécessité de favoriser, avant toutes les autres, celles qui intéressent l’existence même de la religion dans notre pays. » Bel exemple de cette servante qui, ne pouvant donner à l'œuvre du clergé une aumône plus considérable, s'était offerte pour laver gratis, chaque semaine, en plus de son travail déjà lourd, le linge d’un élève du grand Séminaire.

Xll. Vocation et persécution. —Voir P.Rimbault, Histoire politique des Congrégation* françaises (1791191 '1 1. Pour les lois de 1001, voir Discours <TA.lbsrt dk Mun, Combats d’hier et d’aujourdhui, t. 1. Défense des Congrégations et écoles libres ( 190 2-1 90Ô). Sur la situation actuelle, La France et les religieux ; Pour un régime légal nouveau, conférences prononcées à Paris, janvier-mars 1920, par Mgr Baudriliart, MM. Dufourcq, Mbstiir, Toussaint, Goyau, Bordeaux, PÉRicARD, et le Cardinal Charost (1926) !

1) A priori, l’on peut prévoir que, les vocations étant l'œuvre principale dans l’Eglise, les ennemis de l’Eglise feront l’impossible pour les tarir et les combattre : « S’ils ont traité comme ils l’ont fait le bois vert, disait Notre-Seigneur en parlant de sa propre personne, ne vous étonnez pas, vous le bois sec, d'être traités comme vous le serez. » C’est prévu. La persécution fait partie de la dot que le Christ a octroyée à son Eglise.

2) En fait, à quelles incompréhensions, à quelles persécutions, ne se trouve pas voué le recrutement du sacerdoce et de la vie religieuse. On a cité comme plaisant le mot de Clkmbncbau, après la campagne :

Tome IV.

« J’ai eu une grande méfiance pour le clergé, je lui

reprochais d’entraver la liberté de notre pensée, de nous persécuter ( !), et.au début, lorsque j’allais aux tranchées, je demandais aux poilus en désignant l’aumônier : « Est-ce qu’il ne vous embête pas celuilà ? — Nous embêter ? Mais tout au contraire, c’est un brave, un chic type, il nous donne l’exemple, se dévoue sans cesse et nous l’aimons bien. » Telle était la réponse uniforme. Et j’ai vu des régiments qui me demandaient de décorer leurs aumôniers pour des faits de bravoure magnifique. Ces prêtres, je les faisais venir, je les décorais et je les embrassais de tout mon cœur. » (Libre Parole, 23 septembre 1919). Ce mot, s’il donne une idée splendide de nos prêtres durant la campagne, donne une piètre idée de la perspicacité, en matière religieuse, d’un homme d’Etat à qui il faut une guerre et 77 ans pour découvrir, enfin ! ce que c’est qu’un curé.

Si des hommes, capables pourtant de réfléchir par eux-mêmes, peuvent errer de la sorte, que faut-il attendre de ceux qui, incapables de penser par euxmêmes, se mettent à la remorque du Quotidien, de l’Humanité ou de l'Œuvre I

Mgr de Ségur n’avait pas tort d'écrire : c Notre soutane est le point de mire de tous les démons révolutionnaires ; la soutane blanche par-dessus tout ; la soutane rouge et la soutane violette en second lieu ; enfin, et sur une plus vaste échelle, parce que c’est plus facile, l’humble soutane noire. » (Souvenirs et récits d’un frère, t. II, p. 184). Et l’abbé Huvblin-, le prêtre qui fut l’agent de la conversion du P. de Foucauld, donne la vraie raison de ces stupides haines : « Il y a des hommes qui crient contre la soutane comme Bernardin de Saint-Pierre criait contre les cloches. On n’aime pas d’entendre les cloches quand on a oublié. Elles résonnent comme un glas funèbre, elles rappellent la première communion, lelempsoù l’on assistaitaux offices divins… La soutane rappelle cela aussi et, dans la haine qu’elle rencontre, il peut y avoir ignorance, il y a aussi la préoccupation violente d'échapper à un reproche. On croit avoir oublié, on veut

« à force d’attentats perdre tous les remords », 

comme disait Mathan. C’est cela » (Quelques Directeurs d'âme au XVII' siècle, p. 81). Au sac de la résidence des Jésuites à Marseille, en 71, on arrête le Supérieur, le P. Calage : « Si tu savais comme je te hais ! » — « Sivous saviez, moi, comme je vous aime ' »

— « Je neveuxpas de ton amour, mais de ton sangl »

— « Pourquoi me haïr, vous ne me connaissez pas ? »

— « Mais je connais le Dieu que tu prêches, et je le hais ».

De là, pour le fanatisme et l’incompréhension, à organiser la lutte officielle contre le sacerdoce, et la destruction officielle de la vie religieuse, il n’y a pas loin. Comme il est difficile d’attaquer directe ment le sacerdoce séculier, on prend un détour ainsi en 1926, le président Calles, du Mexique, exi lant tout ministre du culte qui n'était pas de nalio nalité mexicaine. Staline édicté un décret semblable, au nom des Soviets, au début de 1927. En France, le congrès de la Libre Pensée, réuni à Clermont, en 1922, demande l’interdiction pour le prêtre du port de la soutane.

Beaucoup plus classique et répandue, la persécution contre la vocation religieuse. Sous couleur que les vœux sont chose immorale, illicite, ou dangereuse pour la sûreté de l’Etat, on a décidé de traquer, aux époques que l’on sait, Carmélites et Dominicains, J.-suiieset Chartreux, d’expulser les Sœurs de PHôtel-Dieu, les Frères et tous les religieux enseignants de leurs écoles, quelques titres médicaux ou universitaires, quelque haute moralité et

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VŒUX

1924

parfois sainteté qu’ils ou elles puissent avoir. Ce sera une honte dont notre pays souffrira longtemps, qu’il se soit trouvé des gouvernants pour sanctionner pareille infamie. C’en sera une autre d’avoir osé déclarer intangible une législation odieuse et déshonorante non seulement pour les Français qu’elle atteignait, mais pour la France tout entière, dont les autres nations se moquaient. C’en sera une autre, que, malgré les douleurs et les dévouements de la guerre, on ait tant tardé à rendre entin justice à tous ceux qui, pour avoir embrassé la vie religieuse, sont encore, de nombreuses années après l’armistice, traités en hors la loi.

Quel mal ce sectarisme fait au pays qui en est infesté, il est superflu d’y insister. La France notamment, qu’a-t-elle gagné au dedans ? Il sérail cruel de le marquer. Qu’a-t-elle gagné au dehors ? Ceci : do voir diminuer son influence civilisatrice. Donnons un exemple, pour la Chine. On pourra, servatis servandis, généraliser. En 1865, les missionnaires catholiques non français, sont au nombre de 40 en Chine ; les français sont 164. En 1896, les étrangers sont 206 ; les français plus du double. En 1907, 650 étrangers environ pour 730 français. Du fait de la guerre et de la pénurie de monde, la Chine n’avait plus, en 1925, que G40 missionnaires français ; 863 étrangers. Notons cet autre chiffre : les 863 missionnaires étrangers n’ont pas un million de chrétiens à diriger ; nos 640 missionnaires en ont r. 400.000, c’est-à-dire que, s’ils ne continuent pas de se recruter et de s’augmenter, ils devront passer à d’autres plusieurs de leurs terrains d’apostolat. Au nom seul de l’expansion Irançaise à l’étranger, le gouvernement devrait favoriser les vocations aux missions. Pour cela, garder ou accueillir noviciats, procures, maisons où se forment les apôtres, et anéantir enfin ces néfastes lois d’exception qui tuent notre prestige et une bonne part de notre influence.

Bibliographie. — Outre les ouvrages cités dans le corps de l’article, on^pourra consulter :

i°. — Vocation Sacerdotale :

A l’usage des directeurs : Olier : Traité des Saints Ordres. — Tronson : Œuvre* complètes, éd. Migne, t. I. — Gibbons : L’Ambassadeur du Christ ; — Cardinal Mercier : La Vie intérieure (Beauchesne ) ; — Gasparri : Tractalus canonicus de sacra ordinatione ; — Guibert : La culture des vacations (Perrin) ; — Nombreux articles, passim, dans le liecrutement Sacerdotal.

A l’usage des jeunes gens : les ouvrages du chanoine Millot : Serai-]e prêtre.-’(Téqui) ; — Jésus-Clirist veut des prêtres (Ibid.) ; — du P. Delbrel : Ai-je la vocation ! (de Gigord) ; — Suivez-moi (recueil d’histoires de vocations sacerdotales, Bonne Presse) ; — llouzic : Prêtre (Lethielleux) ;

— Rousseau : Comment connaître ma vocation ? (Beauchesne) ; — Abbé Cocart : Enfant, que feras-tu plus tard ? (Téqui) ; — Abbé F"rancis Mugnier : Pet’t manuel théologique et pratique de la vocation (Blot).

Parmi les biographies : Gratry : Henri Ptrrerve (surtout le ch. n), à compléter par Perreyve : Méditations sur les Saints Ordres ; — Illelmo Gemelli : Du socialisme au sacerdoce ; — Jeun-BapUsie Aubry (très curieux cas de vocation aux missions étrangères).

2".— }’orat ! ùn Religieuse.

A l’usage des directeurs : Saint Thomas : Opuscules Contra an /lignantes Dei cultum et rcligio nem ; — De perfeclione vitæ spiritualis ; — Contra rctrahentes homines a religionis ingressu (éd. Vives, t. XXIX, opusc. 1, 11, m). — Contra Gentes, III, c. cxxx, et sq. — II » ll »e q. t84, 186, r8g ; — Suarez : De viiluteet statu religionis ; — Le Gaudier : De per/ectione vitæ spiritualis (2e éd. Paris, 1856) ; Gautrelet-Clioupin : De l’état religieux ;

— Vermeersch : De religiosis ; — Creusen : Religieux et religieuses d’après le droit ecclésiastique (Beauchesne).

A l’usage des jeunes gens : L. d’Orsonnens, s. j. : Aotes pratiquée sur le choix d’un état de vie (Montréal ) ; — La Vocation religieuse, plan n° 4’des Plans et documents de l’Action Populaire ; — P. de Laage : Sacerdoce et vie religieuse (un peu ancien, mais excellent) ; elc…

Parmi les biographies : E. Psichari ; — Aug. Bodin (Apostolat de la Prière) ; — Abbé Rouzic : P. Pojet (Lethielleux).

Raoul Plus.