Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Scolaire (Question)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 633-652).

SCOLAIRE (QUESTION). — I. La question scolaire dans la France actuelle- — Nous n’avons nullement ici l’intention de revenir sur les importantes questions traitées plus haut dans l’article Instruction de la. Jbunrssh. Mais il y a lieu d’insister sur deux problèmes scolaires particulièrement controversés dans la France d’après-guerre : le druit d’enseigner pour les Congrégations et la répartition proportionnelle scolaire.

I. « Droit d’en soigner » pour les Congrégations.

i° Sens de ce mut.

Nous parlons de la liberté légale d’enseigner.

Quant au principe philosophique et théologique sur lequel repose cette liberté, il dérive du droit naturel lui même et trouve, pour les Congrégations, dans le droit ecclésiastique sa consécration positive. Le principe est donc, pour nous, hors de conteste.

Mais la question à élucider aujourd’hui sera la suivante : les lois de la cité temporelle vont-elles reconnaître et protéger ce droit d’origine plifs élevée ?

Dans l’organisation scolaire de la France contemporaine, la consécration législative du droit d’enseigner pour les congréganistes pourrait se réaliser de diverses manières :

Participation des Congrégations et des congréganistes à renseignement public, masculin et féminin .

Participation des Congrégations et des congréga 1. Albert Lance lui-même, l’historien du matérialisme, bien connu en Allemagne, avoue [Die Naturwissensilia.fi,

II, p 140), que « ce ne sont pus précisément les plus profonds esprit* inventifs, ni les maître » qui, dans le domaine Hes j-ciences naturelles, ont prêché les principes du matérialisme » (Cité par F. Butf.x. La religion et les sciences de la nature. Genève, J.-H. Jetieber, 1898, p. 223).

2. Dans une table spéciale, nous avons indiqué de nom-Dreux témoignages de savants dans le même sens.

nistes à l’enseignement libre, masculin et féminin, av. degré primaire, secondaire ou supérieur.

Dans l’un et l’autre cas, ce serait une consécration légale du droit d’enseignement reconnu aux Congrégations et aux congréganistes.

a° Position de la question sur le terrain législatif.

Affaire de liberté d’association ?

Affaire de liberté de renseignement" ?

S’il s’agit d’établissements scolaires légalement confiés à une Congrégation, qui en prenne la charge comme institution corporative et congréganiste, il est clair que la légalité d’une telle organisation dépendra de la légalité même de la Congrégation devant le droit public français. Ce sera donc une affaire de droit et de liberté d’association.

Mais, s’il s’agit d’établissements scolaires légalement organisés, sous un patronage et sous une responsabilité non congréganiste (par exemple, une société de pères de famille), la question de légalité de la Congrégation à laquelle peuvent appartenir les directeurs et professeurs est distincte de la question de leur droit d’enseigner. Ce droit apparaît alors comme un droit individuel, exercé par chacun d’entre eux, dans les mêmes conditions où l’exercerait tout autre citoyen. Ce sera donc une affaire de liberté de l’enseignement.

Quand bien même on déclarerait illégale la Congrégation dont ils seraient membres, les congréganistes garderaient le droit légal (si ce droit existe dans les institutions du pays) d’exercer individuellement l’enseignement dans un établissement légalement organisé, comme ils peuvent légalement exercer toute autre profession honnête, dans les limites du droit commun.

Pour interdire aux congréganistes d’enseigner, par la seule raison qu’ils sont congréganistes, on devra leur refuser légalement, non pas une liberté, mais deux libertés : la liberté d’association et la liberté de l’enseignement. Le droit légal d’enseigner est distinct et séparable du droit légal de s’associer, avec les caractères dptinctifs de l’association congréganiste.

Ici, nous considérerons, non pas le peint de vue de la liberté d’association, mais le point de vue de la liberté de l’enseignement.

De fait, le cas de la Congrégation, corporativement et officiellement enseignante comme Congrégation, ne s’est rencontré, dans la France contemporaine, qu’au temps où l’autorité publique confiait à une Congrégation d’hommes ou de femmes la direction d’un établissement officiel, d’enseignement public : situation qui disparut, en notre pays, depuis la loi de 1 886 sur la laïcisation du personnel enseignant, mais situation qui persévère comme article d’exportation à l’étranger, partout où le gouvernement de la République reconnaît et subventionne un établissement scolaire de Congrégation française (Jérusalem, Beyrouth, Le Caire, Tokyo, Chang-Haï…). C’est vraiment, alors, à la Congrégation qu’est reconnu le droit d’enseigner ; et ce fait consacre le double exercice de la liberté d’association et de la liberté d’enseignement.

Mais le cas véritablement utile à envisager, dans les circonstances présentes, est celui de la liberté d’enseignement du congréganiste, plutôt que de la Congrégation. Il s’ngit, en réalité, d’établiss « menls scolaires libres, constitués par des individus ou des sociétés, dans les conditions habituelles du droit commun. Appelés par les propriétaires légaux de l’établissement scolaire, des congréganistes viennent y exercer les fonctions de directeurs, professeurs. 1255

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surveillants, comme pourraient être appelés à le faire des éducateurs non congréganistes.

La loi autori-era-t-elle cette pratique comme l’exercice incontestable d’un droit ?

La loi inteidira-t-elle cette pratique, en privant les congréganistes, parce que congréganistes, du droit d’enseigner ?

Voilà comment se pose, pratiquement et d’une manière concrète, le problème politique et législatif de la liberté de l’enseignement, en tant que concernant les membres des Congrégations religieuses.

3° f.a législation française, depuis un siècle, et le droit d’enseignement pour les congréganistes.

A l’aurore du vingtième siècle, à la veille de la loi du I er juillet 1901, ce droit d’enseigner dans les établissements libres est indubitablement reconnu aux congréganistes par la législation française.

Il constitue l’un des éléments principaux, essentiels, de chacune des trois lois qui organisèrent la liberté de l’enseignement : primaire (1833), secondaire (1850), supérieur (1895).

C’est sur le terrain de l’enseignement secondaire que la question du droit des congréganistes avait rencontré les oppositions les plus tenaces, les plus acharnées.

Si les clameurs de l’opposition libérale arrachèrent à Charles X, sous le ministère Martignac, celle des deux ordonnances de 1828 qui fermait les huit petits séminaires tenus par les Jésuites, ce fut le couronnement de la campagne féroce des partis de gauche contre la Compagnie de Jésus, pour détruire l’artifice par lequel la bienveillance du gouvernement de la Restauration avait rtist : avec le monopole universitaire alors en vigueur : laisser prendre, de fait, à des éducateurs congréganistes la liberté de l’enseignement secoiidaire.cn qualifiant leurs collèges du titre de petits séminaires diocésains.

Durant toute la Monarchie de Juillet, si le monde otlieiel, libéral et universitaire refusa obstinément d’accorder aux catholiques la liberté de l’enseignement secondaire, ce fut surtout par crainte des Jésuites et de leur enseignement. Chacun des projets de loi proposés par les ministres de Louis-Philippe excluait du droit d’enseigner les membres des Congrégations enseignantes. La grande campagne de 1843-18/|5, contre les Jésuites, fut essentiellement une diversion tapageuse, tendant à décourager et à discréditer les revendications des catholiques en faveur de la liberté de l’enseignement. Cette liberté profiterait particulièrement aux Jésuites : alors, contre les Jésuites, est renouvelée, propagée, centuplée une légende monstrueuse et fantastique.

Lors de la réconciliation, au lendemain des journées de juin 18^8, entre les catholiques et les conservateurs libéraux, l’œuvre commune qui scella leur alliance fut une loi de transaction sur le régime de l’enseignement. Du point de vue religieux, le moment décisif est celui où, dans’.a commission extra-parlementaire, l’abbé Dupanloup arracha l’adhésion d’Adolphe Thiers à cette idée que le droit d’enseigner serait reconnu à tout citoyen français justifiant des conditions nécessaires de capacité et de moralité, et que nulle distinction ne devrait être instituée entre les bénéficiaires de la liberté. L’interpellateur de 18£5 est conquis à la cause du droit des Jésuites eux-mêmes à la liberté de l’enseignement.

Le 23 février 1850, est rejeté, par 450 voix contre 1/48, l’amendement Bourzat, qui excluait du droit d’enseigner les membres des Congrégations religieuses non autorisées. Adolphe Thiers reprit à la tribune les mêmes arguments que l’abbé Dupanloup

lui avait fait admettre dans la commission extraparlementaire. C’est lui qui emporta le vote des conservateurs libéraux, unis aux catholiques.

Et le grand évêque Parisis combattit l’amendement au nom des catholiques, en flétrissant l’odieuse manœuvre qui aurait consisté à dissocier le clergé régulier du elergé séculier.

Depuis 1850, le droit des congréganistes à enseigner est donc légalement reconnu et consacré. La loi de 1876, sur l’enseignement supérieur, lui apporte une application et une consécration nouvelles.

En 1879 et 1880, un assaut furieux est livré, sous la direction de Jules Ferry, aux Congrégations enseignantes, et aboutit à des ruines désastreuses, quoique temporaires. Mais le texte des lois de 1833, 1850, 18^5 demeure intact sur ce point, et maintient que, sans distinction de congréganiste, autorisé ou non autorisé, et de non congréganiste, tout citoyen français qui fait preuve des conditions prescrites de capacité et de moralité est en droit de donner l’enseignement libre à tous les degrés. Ce principe est illustré par le rejet, au Sénat, du trop fameux article 7, en date du 9 mars 1880.

Telle était la situation défait et de droit au dernier jour du xix c siècle.

4° La violation légale du droit.

C’est l’article 1 4 de la loi Waldeck-Rousseau, du ("juillet 1901, sur le contrat d’association, qui va introduire, en cette matière, l’innovation décisive :

« Nul n’est admis à diriger, soit directement, soit

par personne interposée, un établissement d’enseignement, de quelque nature qu’il soit, ni à y donner l’enseignement s’il appartient à une Congrégation religieuse non autorisée.

« Les contrevenants seront punis des peines prévues

par l’article 8, par. 2.

« La fermeture de l’établissement pourra, en outre, 

être prononcée par le jugement de condamnation. »

Texte voté à la Chambre par 3 12 voix contre 216, le 25 mars 1901, après un débat brillant et passionné, où s’affrontèrent principalement Waldeck-Rousseau et Albert de Mun. Pour une agression perûde contre l’enseignement des Frères, Léon Bourgeois obtint de la majorité anticléricale les honneurs de l’affichage.

Même texte voté au Sénat, par 17.5 voix contre 89, après un débat non moins brillant et non moins passionné, où le plus énergique et le plus éloquent défenseur du droit des congréganistes fut Gustave de LamarzeUe.

Quelles personnes furent atteintes par l’interdiction contenue dans l’article i^ ?

En vertu du texte lui-même de la loi de 1901, les membres de toutes les Congrégations non autorisées, qui, ne sollicitant aucune autorisation parlementaire, restèrent toujours exclus des bienfaits de la légalité de 1901. Tels les Jésuites.

En vertu des votes rendus en 1903, les 18 mars, 2^ mars, 36 mars, 26 juin, à la Chambre, et le / » juillet au Sénat, furent rejetées les demandes d’autorisation formées respectivement par 25 Congrégations enseignantes d’hommes, — 28 Congrégations de prédicateurs, — l’Ordre des Chartreux, — 81 Congrégations enseignantes de femmes, — et, en dernier lieu, les Salésiens de Dom Bosco. Tous les membres de ces diverses Congrégations étaient désormais, tant qu’ils resteraient congréganistes, déchus du droit d’enseigner, par application de l’article 14 de la loi de 1901.

Durant la même année 1903, une série de décrets présidentiels ordonnait la fermeture de plus de 10.000 établissements scolaires non autorisés, qui 1257

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appartenaient à des Congrégations religieuses autorisées, d’hommes ou de femmes.

Kniin, la loi de 1904, chef-d’œuvre de la dictature combisle, consomme l’hécatombe. Tous les membres de toutes les Congrégations religieuses, même autorisées, étaient déclarés déchus du droit d’enseigner. Toutes les autorisations précédemment en vigueur, touchant à l’enseignement, étaient abolies sans aucune exception. Aucune autorisation ne pourrait plus être accordée, pour l’enseignement, ni à une Congrégation ni à un établissement congréganiste quelconque. Tous les établissements congréganistes déjà autorisés disparaîtraient par fournées, à la clôture de chaque année scolaire, entre l’année 1904 et l’année ig14- Désormais, le droit d’enseigner était supprimé en France pour tout congréganiste, homme ou femme, et pour tout ordre d’enseignement, quel qu’il fût. Rien de plus péremptoire que le dispositif de la loi de 1904, perfectionnant la loi de 1901.

La légalité actuellement inscrite dans les textes, la voilà dans toute son horreur. Telle est l’une des lois fameuses que l’on proclame intangibles, et auxquelles certains parlementaires catholiques crurent naguère tolérable d’accorder une adhésion résignée, peut-être même un bill d’indemnité !

5° Les prétextes invoqués en faveur de pareil ostracisme.

L’exécuteur brutal, impatient et maladroit fut le radical-socialiste Emile Combes, responsable de la loi de 1904, responsable des refus en bloc d’autorisation et des retraits en bloc d’autorisation, accomplis surtout en igo3.

Mais l’auteur principal de l’œuvre de proscription reste le grand modéré Waldeck-Rousseau, celui qui a conçu et construit la terrible machine de guerre, la loi de 1901 et son article 14, dont Emile Combes a usé, abusé, puis dont il a élargi et universalisé les applications. Non seulement Waldeck-Rousseau est responsable du principe jacobin que l’article 14 de la loi de 1901 a introduit dans notre législation, mais il est responsable de tous les sophismes artificieux qui servirent à faire voter cette loi ; et qui, par leur signification évidente, exigeaient, non pas la proscription de quelques Congrégations et de quelques congréganistes, parce que non autorisés, mais la proscription de toutes les Congrégations et de tous les congréganistes, parce que Congrégations et parce que congréganistes.

Exemples :

Le congréganiste aliène des droits qui ne sont pas dans le commerce ; c’est-à-dire : les vœux de religion imposent le renoncement à des droits auxquels il est illicite et immoral de renoncer.

Le développement des Congrégations, c’est la révolte de la chapelle contre la paroisse, c’est la voie ouverte aux moines ligueurs et aux moines d’affaires.

Les congréganistes vont, par la mainmorte, submerger la fortune publiqie et privée. Qu’on arrête le fléau en donnant pour première dotation à la caisse des retraites ouvrières le milliard des Congrégations. Mot homicide, qui colporta la légende d’une richesse fantastique des Congrégations. Argument de basse démagogie pour exciter la convoitise populaire. Et celui qui parle ainsi est un grand défenseur de la propriété bourgeoise, un commensal privilégié de tous les riches parvenus, de tous les opulents profiteurs du régime !

Enfin et surtout : l’enseignement congréganiste, dressé devant l’enseignement laïque, arme l’une contre l’autre deux jeunesses, l’une initiée par

l’Université à toutes les mâles énergies du devoir civique, et l’autre rendue essentiellement impropre, par l’influence congréganiste, à chacune des tâches du labeur national.

Si de tels arguments, et, en particulier, celui des deux jeunesses, valent quelque chose, ils prouvent que l’on doit proscrire en bloc non pas les seules Congrégations non autorisées, mais tous les congréganistes et toutes les Congrégations… et même tout le clergé séculier… et même tout enseignement libre et catholique…

Quant à une discusion sérieuse sur les sophismes de Waldeek-Rousseau, il est vraiment superflu d’en instituer une ; car de telles choses ne peuvent être produites ailleurs que dans une assemblée parlementaire ou une réunion électorale.

La question demeure celle-ci. Un Français (ou une Française), justifiant des conditions de capacité et de moralité prescrites par le droit commun, doit-il (ou doit-elle) se voir refuser la faculté d’enseigner pour la seule raison qu’il (ou elle) appartient à une Congrégation religieuse ?

Si la réponse est affirmative, il n’y a plus de liberté de l’enseignement. Qu’on ait alors le courage de proclamer ce qui existe par le fait même, et que l’on prétend bien ne vouloir établir à aucun prix : le monopole, ou plutôt l’arbitraire suprême de l’Etat en matière d’enseignement. Arbitraire suprême qui consiste à pouvoir exclure du droit d’enseigner toute catégorie de Français ou de Françaises contre qui les représentants de l’Etat auraient à invoquer des griefs autres que l’incapacité ou l’immoralité. Quels seront ces autres griefs ? Au moment où la force appartient aux ennemis de l’Eglise et des Congrégations, l’on trouvera des sophismes pour exclure les congréganistes (aliénation de droits inaliénables, la mainmorte, les deux jeunesses). Quand la force appartiendra aux représentants d’une autre tendance, il existera des motifs beaucoup plus plausibles encore de refuser le droit d’enseigner à d’autres catégories de Français et de Françaises, pour d’antres raisons philosophiques, sociales et politiques. Et voilà le droit d’enseigner accordé ou refusé à diverses catégories de personnes, d’après leur conformité ou leur non-conformité de tendances et d’intérêts avec la majorité régnante.

Nous sommes alors en présence de l’arbitraire suprême de l’Etat.

C’est exactement le contraire de la liberté de l’enseignement.

Si la liberté de l’enseignement est unanimement admise comme formule de droit public et de paix sociale dans notre société divisée de croyances, les conditions de capacité et de moralité sont les seules exigibles, et doivent être réclamées de tous. Mais, en dehors d’elles, on ne peut pas faire de catégories parmi les bénéficiaires de la liberté.

Les arguments de Waldeck-Rousseau à l’encontre ne sont pas seulement calomnieux et fallacieux ; ils sont absolument irrecevables, au non de la conception de droit public sur laquelle repose l’Etat moderne, et dont Waldeck-Rousseau professait plus que personne d’être le théoricien et le serviteur.

6"° La situation présente et les solutions qu’elle comporte.

La guerre et l’après-guerre ont eu pour résultat certain de faire suspendre l’application des lois de 1901 et de Kjo4 contre les Congrégations et contre le droit des congréganistes à enseigner.

Les textes de 1901 et de 1904 demeurent intacts.

En pratique et en fait, leur non-exécution est notoire et avouée. Î2Ô9

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Sauf quelques incidents locaux, l’autorité publique ne s’inquiète nullement de savoir si les personnes qui, munies des preuves légales de capacité et de moralité, se présentent pour exercer la direction ou l’enseignement dans une institution scolaire iibre, appartiennent ou n’appartiennent pas à une Congrégation religieuse. Tout se passe comme s’il n’existait, à cet égard, aucune prohibition particulière.

Mais c’est là une tolérance toute précaire, inolivée par les exigences morales et nationales du temps de guerre et d’après-guerre. Les textes implacables de 1901 et de 1904 gardent leur pleine valeur légale et juridique. Survienne un retour de circonstances défavorables pour la résistance congréganiste, et un ministère anticlérical, il aura, sans conteste, le pouvoir légal et juridique d’exclure de l’enseignement (et de faire condamner à d’assez lourdes pénalités ) tout éducateur, toute éducatrice, qui seraient authentiqueinent connus comme appartenant à une Congrégation religieuse. Rien ne garantit la durée du régime de tolérance actuellement pratiqué : rien, sauf la désuétude progressive dans laquelle tend ainsi à tomber (en fait) la législation hostile aux Congrégations, même aux Congrégations enseignante. -.

La désuétude ne suffit pas. Il faut la suppression pure et simple des textes de 1901 et de 190^ qui refusent aux congréganistes le droit d’enseigner.

D’aucuns espèrent à tort résoudre le problème en réclamant l’autorisation législative des Congrégations de missionnaires. On ne toucherait pas aux lois concernant les Congrégations enseignantes.

Mais les plus connues des Congrégations de missionnaires sont précisément des congrégations enseignantes, et les plus florissantes des œuvre catholiques françaises, à Jérusalem et à Beyrouth, au Caire et à Alexandrie, à Tokyo et à Chang-Haï, et dans la plupart des pays de missions lointaines, sont des institutions d’enseignement, masculin et féminin, primaire, secondaire et supérieur. Alors, que vaut l’argument, s’il n’est pas applicable aux Congrégations enseignantes ?

Dira-t-on que les Congrégations enseignantes continueront d’être protégées, subventionnées, en Orient et en Extrême-Orient, mais qu’elles devront s’abstenir de posséder aucun établissement et de donner aucun enseignement sur le territoire français ? — Léon XIII a déjà répondu, dans sa lettre émouvante du aci décembre 1900, au cardinal Richard, sur le projet Waldeck-Rousseau : Il est impossible de demander des fruits à un arbre dont on a coupé lei racines.

Et puis, la liberté de l’enseignement demeure un principe de droit public, dont aucun homme d’Etat français n’ose plus contester la valeur et la certitude. Si les mots ont encore un sens, cette liberté consiste essentiellement dans la faculté légale, reconnue à tous les Français et à toutes les Françaises, moyennant les mêmes garanties de capacité et de moralité, d’ouvrir les établissements d’éducation et d’y donner les divers enseignements conduisant à chacun des diplômes et à chacune des carrières. Mais, de bonne foi, le principe de la liberté d’enseignement n’est-il pas outrageusement violé, ne ressemble-t-il pas à une dérision amère, lorsque le législateur exclut arbitrairement de son bénéfice toute une catégorie importante de Français et Françaises, qui, sans aucun doute, tiennent une place considérable dans l’exercice de l’enseignement à tous les degrés ? Telle est précisément la situation dans un pays où la liberté de l’enseignement est érigée en principe de droit public, et où les mem bres des congrégations religieuses sont tous légalement déchus du droit d’enseigner. Pareille anomalie est le déshonneur de notre législation. Elle reste l’élonnement et le scandale des meilleurs amis de la France dans tous les pays étrangers.

Au droit des congréganistes, s’ajoute la considération des intérêts évidents, impérieux, de l’éducation nationale, surtout de l’éducation populaire.

Deux causes, entre autres, contribuent à expliquer les insuffisances actuelles de la fréquentation scolaire et l’échec du principe légal de la scolarité obligatoire. D’un côté, en différentes régions, les familles croyantes redoutent l’hostilité, plus ou moins notoire, de l’instituteur public contre leurs croyances religieuses, et ces familles ne trouvent pas d’école confessionnelle en lace de l’école laïque. ÏVautre part, l’enseignement primaire, public et privé, subit une crise très grave de recrutement, qui nuit à sa valeur professionnelle et menace son avenir. Au cours du débat parlementaire sur l’ambassade au Vatican, M. Léon Bérard, devenu de puis ministre de l’Instruction publique, avait déjà, le a5 novembre 1920, exprimé fortuitement un aveu plein de saveur : Si la crise du recrutement du personnel, dans l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire, est, dans cinq ans, ce qu’elle est aujourd’hui, la République aura le choix, pour ses instituteurs, entre des maîtres congréganistes et des laïques illettrés.

Sans prendre la boutade trop au pied de la lettre, il y a ici une salutaire leçon à recueillir. Les congrégations enseignantes possèdent un nombre important d’éducateurs, initiés à de bonnes méthodes scolaires, investis de la confiance de beaucoup de familles françaises. En raison de leur genre particulier d’existence, les congréganistes peuvent, moins malaisément que d’autres, faire face aux lourdes difficultés présentes de la situation matérielle. Si l’on veut servir loyalement la cause de l’instruc-r tion populaire, de même que la cause de la concorde nationale, on se gardera bien de négliger un tel concours pour les tâches laborieuses de l’enseignement de la jeunesse. Exclure les congréganistes, hommes et femmes, du bénéûce de la liberté de l’enseignement constituerait, dans les circonstances actuelles, une aberration prodigieuse. Le regretté Denys Cochin a excellemment fait observer que le retour des Congrégations enseignantes serait l’une des conditions désirables par lesquelles on pourrait rendre effective l’obligation scolaire : Quand tout le monde est obligé de prendre l’omnibus, du moins est-il nécessaire de multiplier les lignes.

II. La Répartition proportionnelle scolaire. /" Position de la question.

La loi française déclare l’instruction obligatoire. Quiconque néglige de faire donner à ses enfants, garçons ou filles, tout au moins l’enseignement primaire, est passible de sanctions et pénalités légales.

Pour satisfaire à l’obligation scolaire, deux sortes d’écoles sont prévues et autorisées par le législateur : l’école officielle et l’école libre ; l’une est créée par la commune et l’Etat ; l’autre créée par l’initiative privée.

L’école olficielle est gratuite pour ceux qui la fréquentent : c’est-à-dire qu’elle est, financièrement, à la charge exclusive des contribuables, de tous les contribuables, au double titre du budget national et communal. La même école officielle est laïque par son personnel enseignant, et laïque aussi par l’enseignement qu’elle donne : car l’instruction reli1261

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giease et confessionnelle se trouve légalement exclue des matières de son enseignement, lequel doit s’adresser indistinctement aux enfants élevés dans toutes les croyances ou toutes les incroyances. Bien plus, l’interprétation donnée en pratique au principe officiel de neutralité scolaire tend à exclure toute conception de la morale reposant sur l’autorité divine. La méthode dite « sociologique », nettement incompatible avec les croyances chrétiennes et les idées spiritualistes, tend à devenir la doctrine oflicielle qui se substitue à l’ancienne morale dans l’éducation professionnelle des jeunes instituteurs et institutrices de l’Etat. Lorsque les devoirs envers Dieu ont récemment disparu, comme par surprise, du programme officiel de l’enseignement moral, les dirigeants de l’Instruction publique ont déclaré que cette suppression consacrait purement et simplement un fait accompli, déjà incontesté depuis bon nombre d’années. Enfin, une portion appréciable du personnel enseignant des écoles primaires publiques se montre ouvertement favorable aux tendances communistes, internationalistes et bolchevistes. Ce sont là des faits à l’abri de toute contestation sérieuse.

Aussi, un nombre considérable de parents chrétiens, ne jugeant pas que l’école publique leur donne partout les sécurités nécessaires pour l’éducation religieuse, morale et patriotique de leurs enfants, tiennent-ils à user du droit qui leur est reconnu par la législation française, en confiant leurs enfants aux écoles libres, nettement confessionnelles, organisées sous la direction et l’influence des légitimes pasteurs de l’Eglise. Les plus graves difficultés humaines font obstacle à la création et au succès des écoles libres : l’ostracisme qui a frappé les éducateurs congréganistes en igoi et 1904, puis les conditions présentes de la vie matérielle tendraient à tarir le recrutement du personnel scolaire et à décourager les meilleures volontés. Néanmoins, à l’heure actuelle, l’enseignement primaire libre compte trente mille instituteurs et institutrices, avec plus de neuf cent mille élèves, soit un cinquième du nombre total d’enfants qui reçoivent, dans notre pays, l’instruction primaire. Pareil fait comporte une signification évidente. Aucun plébiscite ne traduirait plus clairement la volonté réfléchie de plusieurs centaines de milliers de chefs de famille dans l’excercice du plus noble et du ph16 sacré de tous leurs droits : l’éducation de leurs enfants selon les exigences de leur conscience religieuse, de leur conscience civique.

Mais voici le problème budgétaire. Les parents qui optent pour l’école libre et confessionnelle participent déjà, comme les autres contribuables, aux lourdes charges qui répondent à la totalité des dépenses de l’école olficielle ; et, par ailleurs, la totalité des dépenses de l’école libre, choisie par eux-mêmes, ret’jinbe sur leur propre budget particulier. Us payent donc, sous deux formes différentes, une contribution onéreuse à deux budgets scolaires : l’un pour l’école qui leur convient et l’autre pour l’école qui ne leur convient pas. Que l’on se garde bien d’assimiler leur cas à celui de tous les contribuables qui ne jugent pas à propos de faire usage d’une institution quelconque, artistique ou autre, subventionnée, aux frais de tous, par le budget de l’Etat. Personne n’est légalement obligé d’aller au musée ou au théâtre, alors que chaque père de famille est légalement obligé d’envoyer ses enfants à l’école : i, p.ir motif de conscience, il ne veut pas de l’école ollieiclle, il obtempère à l’obligation légale en optant pour l’école libre. Mais, en ce cas, le régime scolaire fiançais le contraint à contribuer aux dépenses de

l’une et l’autre école, sans que l’Etat ni la commune contribuent en rien aux charges de l’école choisie par lui, selon son droit incontesté.

Imaginons que les catholiques français, épuisés par un effort devenu surhumain, ferment toutes leurs écoles primaires libres, licencient leurs trente mille instituteurs et institutrices, renoncent à subvenir aux dépenses de la scolarité de neuf cent mille petits garçons et petites filles. Immédiatement, les .Chambres devront voter des crédits atteignant un nombre respectable de million » pour construction de nouveaux locaux scolaires, pour augmentation du pers nnel enseignant, titulaire, adjoint, stagiaire, des écoles primaires publiques, masculines et féminines. Les apôtres du laïcisme considéreront cette innovation budgétaire comme un événement du caractère le plus heureux. Les contribuables auront l’avantage de constater, mais rétrospectivement, quels services appréciables rendait à leur bourse l’enseignement primaire libre et quelle économie intéressante aurait pu leur procurer une équitable participation des écoles libres aux ressources budgétaires.

Voilà pourquoi il est opportun de considérer comme une question sérieuse le problème de la Répartition proportionnelle scolaire.

2° Les autorités et les arguments.

La Répartition proportionnelle scolaire n’est pas revendiquée seulement par des groupes particuliers, par des ligues masculines et féminines, qui répondent aux diverses formes de l’activité religieuse, sociale et civique des catholiques français. Elle est recommandée à notre sympathie et à notre zèle par l’autorité même de l’Episcopat de notre pays.

Une indication positive est donnée en ce sens dans la Pastorale collective du 14 septembre 1909, sur les droits et devoirs des parents chrétiens relativement à l’école, puis dans la Pastorale collective du 7 mai ig 19, sur les devoirs des catholiques français au lendemain de la guerre. Mieux encore : une affirmation explicite et catégorique des libertés et des réformes à promouvoir se trouve dans la Déclaration des cardinaux et archevêques de France en date du l mars 1922. Reproduisons le fragment essentiel :

« Dans un pays en immense partie catholique

comme la France, …. l’Etat a le devoir de mettre à la disposition des familles des écoles catholiques.

« S’il estime que les circonstances ne lui permettent

pas de donner aux écoles publiques un caractère nettement confessionnel, au moins doit-il y faire enseigner les devoirs envers Dieu et laisser aux parents la pleine liberté d’avoir des écoles chrétiennes.

« La justice, le respect des consciences et des droits

sacrés des parents demanderaient que ces écoles fussent subventionnées sur les fonds publics, proportionnellement au nombre de leurs élèves ».

La même revendication est énoncée en termes plus développés dans le programme des Réformes nécessaires, œuvre de la Corporation des Publicistes chrétiens, document qui a mérité les éloges de Benoit XV, en date du 31 octobre 1917. par une lettre du cardinal Gasparri au R. P. Janvier, aumônier de la Corporation. Pour éviter toute contestation, la lettre du cardinal secrétaire d’Etat fut insérée au recueil officiel : Actu Apostolicæ Sedis. Le paragraphe où les Publicistes chrétiens s’expliquent sur la législation de l’enseignement libre est particulièrement digne d’attention :

« La législation de l’enseignement libre reconnal1263

SCOLAIRE (QUESTION)

1264

travaux catholiques le droit de fonder, comme leur conscience leur en fait un devoir, des écoles où l’enseignement de leur religion, contrôlé, dirigé par leurs chefs spirituels, occupera la première place et pénétrera toute l’éducation et l’instruction de leurs enfants.

« A ces écoles confessionnelles, l’Etat devra, sur le

budget de l’Instruction publique, accorder des secours proportionnels au nombre de leurs élèves.

  • Le contrôle de l’Etat sur les écoles libres sera

limité rigoureusement à l’hygiène, à la moralité, à l’ordre public. Les autorités universitaires, fût-ce le Conseil supérieur, n’auront plus la prérogative d’imposer souverainement à l’enseignement libre les programmes d’examen, leurs sanctions, ou encore leurs arrêts d’interdiction en matière d’ouvrages scolaires ».

Le Congrès national de l’Association catholique de la Jeunesse française, tenu à Cæn, du 17 au 20 avTil 1913, et consacré à l’étude delà Répartion proportionnelle scolaire, avait fort clairement établi la distinction entre les facultés légales déjà existantes, dont il nous faut, en pratique, réclamer le bénéfice, et les réformes législative- » à conquérir patiemment pour réaliser un jour, sur le terrain du budget scolaire, une meilleure et plus haute justice.

La question se pose surtout à propos de l’école primaire, et c’est là précisément que l’on se heurte aux règles les plus jalouses. Donnant au principe de laïcisation, contenu dans la loi Ferry du 30 octobre 1886, une application démesurément extensive, et que l’on peut qualifier de pharisaïque, la jurisprudence du Conseil d’Etat refuse aux communes la faculté d’accorder aucune subvention aux écoles primaires libres, et même de faire participer les élèves de l’école primaire libre aux libéralités de la Caisse municipale des écoles : octroyer des fournitures scolaires aux élèves de l’école libre serait, en effet, considéré comme un secours indirect et une subvention déguisée à l’enseignement libre. Un projet de loi de M. Groussau, tend à corriger cette interprétation exorbitante des textes en vigueur et à y substituer une règle de bon sens et d’équité.

Néanmoins, le Conseil d’Etat reconnaît que les communes ont le droit d’accorder, non pas sur les fonds de la Caisse des écoles et du budget scolaire, mais sur les fonds du budget de la bienfaisance municipale, des secours en nature aux enfants indigents qui fréquentent l’école libre, non moins qu’aux enfants indigents qui fréquentent l’école publique. Vraiment, c’est encore bien de la bonté. Quelque médiocre et insuffisante que puisse être pareille faculté légale, on doit partout en réclamer le bénéfice pour les élèves indigents de l’enseignement libre.

Telle est l’heureuse innovation qui, succédant à un intolérable exclusivisme jacobin et maçonnique, se réalise depuis vingt ans, surtout depuis dix ans, dans un nombre de plus en plus considérable de grandes et de petites communes. On donne généralement à cette réforme le nom de Répartition proportionnelle communale. La Répartition porporlionnelle nationale, sur le budget de l’Etat, comme sur celui de la commune, aurail pour objet d’accorder un avantage identique, non plus à l’élèvt seul, mais aussi à l’école qu’il fréquente, à l’enseignement /tire lui-même. Dans ce dernier domaine, presque tout reste à conquérir.

Le préjugea vaincre est celui en vertu duquel les subsides scolaires de l’Etat ne sauraientêtre affectés à d’autres établissements scolaires que les établissements mêmes de l’Etat, car il répugne que l’Etat se fasse concurrence à lui-même.

Etrange sophisme ! Comme si l’Etat était un entre preneur disposant de capitaux qui lui seraient propres et devant les gérer dans un intérêt particulier, rival d’autres intérêts particuliers ! La vérité est, au contraire, que l’argent dont dispose l’Etat est celui de tous les contribuables, que l’Etat est tenu d’en faire équitablement et judicieusement usage au mieux de l’intérêt général ; et que l’intérêt général réclame l’attribution de subsides budgétaires à des établissements privés, dès lorsque ces établissements donneraient satisfaction sérieuse à des besoins sociaux et à des exigences légales qui ne trouveraient pas leurs garanties suffisantes dans les seuls établissements publics. Les écoles libres, qui permettent à bon nombre de chefs de famille de se mettre en règle avec l’obligation scolaire, dans des conditions conformes au devoir de leur conscience chrétienne et de leur rôle paternel, ne sont pas des écoles qui font concurrence à l’Etat, et que l’Etat doive traiter en ennemies : mais elles complètent l’œuvre des écoles de l’Etat, elles contribuent à la tâche d’utilité sociale et nationale que l’Etat lui-même a pour mission de promouvoir. Rien donc de plus normal que l’affectation de subsides de l’Etat et des communes à des écoles libres qui rendent de tels services à l’intérêt public.

Non seulement la Belgique, la Hollande, l’Angleterre, le Canada, et beaucoup d’autres nations de l’ancien et du nouveau momie admettent en principe et réalisent en pratique cette attribution de subsides budgétaires à des établissements scolaires libres, d’après une quotité proportionnelle au nombre de leurs élèves, mais la législation française elle-même consacre formellement le droit des institutions d’enseignement libre à recevoir des subventions officielles. L’interdiction, que nous avons signalée en sens contraire, à propos de l’enseignement primaire, ne repose que sur une jurisprudence du Conseil d’Etat, qui déroge, par voie d’interprétation de la loi de 1886, à une disposition générale et catégorique de la loi du 15 mars 1850. Disposition qui conserve, d’ailleurs, sa pleine valeur juridique pour tout autre ordre d’enseignement que le primaire.

L’articleôg de la loi de 1850 est ainsi libellé : Les établissements libres peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’Etat un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement. Il ne faut donc pas présenter l’idée de la participation des écoles libres au budget comme une invention toute récente, inconnue aux fondateurs de la liberté de l’enseignement. Ce sont eux-mêmes qui l’ont introduite dans notre législation, sans que la chose ait alors donné lieu à aucune résistance ni à aucune objection.

La raison pour laquelle, de 1850 à 1880, les subventions officielles à des écoles primaires libres avaient été si rares, si exceptionnelles, est d’une clarté aveuglante. L’enseignement primaire public comportait alors l’étude obligatoire du catéchisme, les Congrégations de Frères et de Sœurs enseignaient dans le plus grand nombre des écoles communales, et leur lettre d’obédience était légalement tenue pour équivalente à un diplôme officiel. Dans ces conditions, les subsides budgétaires à l’enseignement catholique n’avaient pas à être donnés sous forme de subvention à des écoles libres. Ils étaient attribués beaucoup plus copieu.111. nt sous forme de budget régulier de l’école communale. Tel est encore le régime scolaire de l’Alsace et delà Lorraine.

C’est l’œuvre scolaire de la troisième République, combinant le principe d’obligation avec le principe 1265

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de laïcisation, tel surtout qu’il a été appliqué par Jules Ferry et, plus tard, par Emile Combes, qui a donné au problème des franchises de l’école primaire libre toute l’importance morale qu’il revêt aujourd’hui. En de telles conditions politiques, apparaît nettement le motif impérieux de consacrer légalement le droit des écoles primaires libres à recevoir des subventions publiques, pour pouvoir tenir devant des charges matérielles devenues écrasantes et pour exonérer partiellement leur clientèle du fardeau inique d’un double budget. Mais il s’agit alors de subventions qui puissent couvrir beaucoup plus que le dixième des dépenses totales de l’établissement. A l’instar d’un bon nombre de législations étrangères, dont l’exemple est plein d’encouragements pour la prospérité de l’enseignement et la pacilication religieuse, il s’agit surtout de subventions dont l’existence et la quotité ne dépendent pas de la volonté aléatoire et arbitraire des détenteurs du pouvoir national ou communal, mais qui soient déterminées en principe par une règle obligatoire et uniforme, c’est-à-dire mesurées en proportion du nombre des élèves de chaque école.

L’exemple des pays étrangers montre que les modalités d’application peuvent être des plus variées. L’examen du budget actuel de l’Instruction publique permet de conclure que, si les écoles publiques sont véritablement instituées pour le service du public et non pour d’autres fins, il est possible et facile, sans porter atteinte aux intérêts légitimes des maîtres et des élèves, d’opérer des économies importantes par suppression d’écoles et d’emplois de l’enseignement officiel qui ne répondent à aucune utilité sérieuse. Beaucoup de bons esprits jugent également qu’une économie désirable et réalisable consisterait à renoncer au dogme de la gratuité universelle et absolue de l’enseignement primaire public : il n’y aurait aucun attentat aux droiis de l’homme et du citoyen dans le fait d’exiger, à l’école publique comme à l’école libre, une modeste rétribution scolaire de toutes les familles qui ne sont pas dans l’indigence. On ne voit pas pourquoi beaucoup de gens aisés, disposant d’un assez large superflu, auraient le droit intangible de recevoir sous forme d’aumône de la puissance publique une chose d’intérêt aussi primordial pour eux-mêmes que les frais d’instruction de leurs enfants. Bref, une révision et une péréquation des dépenses publiques en matière d’enseignement répondraient aux exigences de l’intérêt national et libéreraient dea crédits importants, qui deviendraient disponibles pour des subventions, en quotité proportionnelle, aux écoles primaires libre ». Ecoles dont l’existence même, il faut le redire, engendre une économie sérieuse sur le budget national et communal de l’enseignement obligatoire.

Le projet très modéré de subventions proportionnelles aux écoles libres, dont la Chambre fut saisie en 1922, par M. le marquis de Baudry d’Asson et soixante de ses collègues, pose légitimement le principe et introduit une première base intéressante de discussion.

3° La propagande à exercer.

La Répartition proportionnelle scolaire ne supprimerait aucun des autres droits et devoirs de la famille et de la cité par rapport à l’école. L’Etat sera toujours tenu d’empêcher que l’enseignement des écoles publiques prenne un caractère oiFensant pour les consciences croyantes, pour l’ordre public de la cité, pour l’honneur et la sécurité de la patrie. Les catholiques seront toujours tenus de faire prospérer des œuvres et institutions complémentaires de l’école pour les nombreux enfants de leur culte qui.

faute d’écoles libres ou par option malencontreuse des familles, continueront de fréquenter l’école laïque. D’autres groupements que les croyants pourront recourir au bénélice de la Répartition scolaire, dès lors qu’ils justifieront du nombre d’élèves exigé par la loi. L’Etat respectera leur droit légal, dans la mesure même où. de telles écoles ne seraient pas constituées pour combattre l’ordre public et l’idée de patrie. Nous doutons, d’ailleurs, que les communistes et bolchevistes cherchent à créer, pour répandre leurs doctrines, des écoles libres subventionnées. Ils recourent, de fait, à une autre méthode beaucoup plus avantageuse pour eux-mêmes et beaucoup plus dommageable, soit au budget de l’Etat, soit à l’honneur de l’enseignement primaire public. La participation des écoles libres au budget national et communal engendrera, sans contredit, un droit de contrôle de l’Etat au sujet de l’exacte attribution des fonds, c’est-à-dire au sujet du nombre réel des élèves. Mais ce contrôle existe déjà d’après la législation actuellement en vigueur, et n’ajoutera aucun article nouveau à l’inspection officielle et universitaire, telle qu’elle fonctionne présentement. Réserve faite de l’hygiène publique, de l’ordre public et de la morale publique, l’enseignement lui-même devra demeurer libre dans une école subventionnée, tout autant qu’il peut l’être aujourd’hui dans une école alimentée exclusivement par des ressources privées. La subvention budgétaire ne sera pas une rétribution octroyée à tel ou tel enseignement ; mais un concours accordé aux familles pour leur permettre de faire face, selon leur conscience, au devoir légal de l’obligation scolaire.

Au cours des journées d’études, consacrées en 1923, à Paris, au problème de la Répartition scolaire, les conférenciers qui travaillent assidûment à propager cette idée furent unanimes à témoigner, avec M. Jean Guiraud, de l’accueil favorable, chaleureux même, qu’elle rencontre dans les auditoires populaires. Le système a quelque chose de clair et de simple, il fait appel à un instinot naturel de justice et d’équité, il réclame pour le droit des familles une garantie loyale, qui pénètre aisément les intelligences, qui touche intimement le cœur et qui, parfois, soulève un enthousiasme puissant. Les milieux populaires, devant un tel projet, ignorent les hésitations que l’on rencontre dans certains milieux politiques ou intellectuels.

Dans tous les milieux, néanmoins, l’idée génératrice de la Répartition proportionnelle scolaire gagne silencieusement du terrain. Le succès de la Répartition proportionnelle communale des secours aux enfants indigents suggère cette réflexion que la même règle d’équité, qui est reconnue valable pour la nourriture et le vêtement corporel, ne serait peut-être pas moins impérieuse pour le pain spirituel de l’instruction à l’école. La loi sur les Pupilles de la nation est venue rendre hommage à ce principe, que les subventions scolaires attribuées aux orphelins ou orphelines de la guerre auraient leur affectation dans l’établissement, public ou libre, choisi par la famille. Une règle analogue a prévalu, quoique non pas sans résistance, dans l’application de la loi Asticr sur l’enseignement professionnel et postscolaire, avec subventions officielles. Des votes parlementaires ont eu lieu à propos de la loi sur l’éducation physique et, plus récemment, à propos de la subvention nationale pour le Prêt d’honneur aux étudiants peu fortunés : nonobstant l’oppositioiv des survivants de la tradition jacobine, la thèse qui a prévalu est celle de l’équitable participation des élèves de l’enseignement libre, conjointement avec les élèves de l’enseignement public. 1267

SCOLAIRE (QUESTION ;

12U8

Tous ceux qui étudient la législation scolaire des pays étrangers rencontrent des exemples qui élargissent leurs horizons. Presque partout, dans les pays divisés de croyances, ils constatent que l’attribution des subventions publiques aux écoles libres et confessionnelles est admise comme une condition nécessaire de la concorde nationale. Ils apprennent que le statut le plus complet de Répartition proportionnelle scolaire, la loi hollandaise de 1889 et de 1920, porte, aux Pays-Bas, le nom glorieux de loi de Pacification.

Eniin, tout le monde n’ignore pas que la France officielle, d’accord avec les autres Puissances alliées, imposait à la Pologne les articles 9 et 10 du traité de Versailles, le 28 juin 1919 ; imposait à l’Autriche l’article 68 du traité de Saint-Germain, le 10 septembre 1919 ; imposait à la Bulgarie l’article 55 du traité de Neuilly, le 27 novembre 1919 ; imposait à la Hongrie l’article 61 du traité de ïrianon, le.'1 juin 1920. Or, ces textes exigeaient, en faveur des minorités ethniques et confessionnelles, une part équitable, on précisait même une part proportionnelle,

« dans le bénéfice et l’affectation des sommes qui

pourraient être attribuées sur les fonds publics, par le budget de l’Etat, les budgets municipaux ou autres, dans un but d'éducation, de religion ou de charité ».

La lettre d’envoi, signée par M. Clemenceau, le 2') juillet 19 1 9, déclarait que la subvention accordée aux écoles libres et confessionnelles n'était nullement incompatible « avec la souveraineté de l’Etat ». Mieux encore, cette règle ne contient rien qui ne soit prévu, pour les institutions d’enseignement, dans beaucoup d’Etats modernes bien organisés.

Arrêtons-nous ici. La France ne pourra que tenir à honneur de prendre rang parmi ces Etats modernes bien organisés.

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— Goyau (Georges). L’Ecole d’aujourd’hui. Paris. Perrin. 1899 et 1906. 2 vol. in-16. — Grivet (Jules). L’Eglise et l’Enfant. Paris. Beauchesne. 1910. In-16. — Kieffer. L’Autorité dans la Famille et à l’Ecole. Paris. Beauchesne. ig15. In-16. — La Brière (Yves de). Les Luttes présentes de l’Eglise. Paris. Beauchesne. 6 vol. in-8°écu. — Mascarel (Arnold). La Question scolaire. Principes et solutions. Paris, de Gigord 1921. In-16. — Maxe (Jean). L’Ecole primaire contemporaine. Paris. Nouvelle Librairie Nationale. 1909. In-16. — Michel (.). La question scolaire et les principes théologiques de l’Eglise. Paris. Beauchesne 1920. In-16.

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Yves de la. Brirri- :.

SCOLAIRE (QUESTION). — II. La question scolaire et la pensée catholique. — Que valent les lois sans les mœurs ? disait la sagesse antique. La Société générale d'Éducation et d' Enseignement, dans son existence déjà longue et toujours féconde, a tenacement travaillé pour que les lois qui garantissaient la liberté de l'école, lois sans cesse menacées, trop souvent amputées, trouvassent l’appui des mœurs ; elle a su convier les catholiques, et les convier efficacement, à défendre les libertés que ces lois leur assuraient, et à faire de ces libertés un usage qui fût un bienfait pour l’ensemble du pays. Etrange vicissiludedes volontés publiques ! En 1789, dans un certain nombre de cahiers où les électeurs résument les vœux que devront réaliser leur élus, nous les entendons déclarer que les moines doivent enseigner : on ne veut plus qu’ils prient, on ne veut plus qu’ils contemplent, on ne veut plus qu’ils chôment ; ce dix-huitième siècle, si prodigieusement ignorant des valeursspirituelles, assimilait à un chômage la prière et la contemplation ! Mais on demande que les congréganistes enseignent, qu’ils rendent à la vie nationale ce service, d'être des éducateurs, des professeurs, des distributeurs du savoir humain. Voir Dknys-Buirettb. Les questions religieuses dans les cahiers de 1789, p 268-275. (Paris, de Boccard, 1919) En vérité, les temps sont bien changés. Vous n’enseignerez pas, signifient aux congréganistes nos lois récentes. Vous enseignerez, leur signifiaient les cahiers de 1789. Et ces lois insistent : Enseigner, vous n’en avez plus le droit. Et ces cahiers insistaient : Enseigner, c’est votre devoir. Si fourvoyée que fût à beaucoup d'égards cette opinion publique de 1789, qui dans cescahiers tâtonne et balbutie, l’on gênerait peut-être quelques-uns des partisans de nos ostracismes jacobins, en invoquant auprès d’eux, pour justifier les campagnes catholiques de libération, le souvenir des confiants appels adressés aux bonnes volontés monastiques, en vue de la besogne d’enseignement, par les électeurs de l’Assemblée Constituante.

Il me serait facile, prenant leurs vœux pour point de départ, de trouver, dans la philosophie politique du dix-neuvième siècle, toute une série de témoignages qui convergent avec les revendications catholiques, et qui militent pour elles, et de citer un certain nombre de penseurs, d'écrivains, qui sans être dominés par aucune préoccupation confessionnelle, ont défendu et réclamé la liberté de l’enseignement. Mais pourquoi convoquer les hommes du dehors pour qu’ils nous confirment que nous devons être libres ? Nos penseurs à nous, nos écrivains à nous, nos saintsà nous, les dépositaires de notre richesse elirétienne, les représentants de notre tradition spirituelle, nous attestent, par leur doctrine, par leurs propos, par leurs exemples, l’usage que fait l’Eglise enseignante de sa liberté d’enseigner : écoutonsles, et laissons-les nous dire ce que leur culture, ce que leur ministère sacerdotal, ce que leurs vœux sacerdotaux, oui, ce que leurs vœux, leur confèrent de force, pour leur grande besogne d'éducateurs.

I. L’Eglise maltresse d'école. — J’ouvre certaines histoires de la pédagogie, écrites il y a une quarantaine d’années, au début de la laïcisation ; on a l’impression, en les feuilletant, que l’Eglise ne se serait jamais occupée de la diffusion du savoir que pour la canaliser, que pour l’endiguer. Ne 1269

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pouvant larir à sa source le bouillonnement de la allure humaine, elle se serait dit : « Acceptons-le connue un pis aller, et réglons-le, maîtrisons-le. Et dans ces histoires de la pédagogie, la plupart de* tentatives modernes, la plupart des nouveautés, étaient présentées connue des conquêtes, accomplies aux dépens de l’Eglise, aux dépens de son esprit de routine. Quelle caricature ! Et comme les textes se chargent d’y répondre ! Ces nouveautés dont est si vainement lier notre laïque, nous en pouvons retrouver, dans l’histoire même de L’Église, la première ébauche et la première amorce.

La gratuité de l’enseignement, gratuité dont la charité et le bon sens commandent de faire bénénélicier ceux qui ne peuvent pas payer, nous la voyons prescrite, dès le haut moyen âge, par de notables conciles, et réalisée, dès cette époque, dans beaucoup d’écoles épiscopales ou monastiques. (Voir Léon Maître, Les écoles épiscopnles et monastiques de l’Occident depuis Charlemagnc jusqu’à Pkilippe-Auguste, p. 202-20/1 (Paris, Dumoulin, 1866) : Léon Maître rappelle le capitulaire de Charles le Chauve continuant le legs d’Ainalric pour l’enseignement gratuit à Tours ; les décisions de Théodulfe et de Guillaume de Saint-Bénigne ; l’inscription qui tigurait au fronton de l’abbaye de Salzbourg : Discere ai citpius, gratis quod quæris habebis.

La vie scolaire telle qu’elle se pratique sous nos yeux, les classes primaires dans lesquelles le maître ou la maîtresse distribuent à des groupes d’enfants, qui écoutent ou qui n’écoutent pas, les premiers rudiments du savoir, de quand cela date-t-il ? Cela date._ surtout, de deux pédagogues du xvne siècle, que l’Eglise a l’un et l’autre fait monter sur les autels : saint Pierre Fourier, et saint Jean-Baptiste de la Salle. Oui, dans les écoles de filles avant saint Pierre Fourier, dans les écoles de garçons avant saint Jean-Baptiste de la Salle, la niaitresse ou le maître prenaient tous les enfants, l’un après l’autre, pour leur enseigner, à chacun tour à tour, quelque chose de l’ABC, et quelque chose du calcul ; et ce furent ces deux saints qui, le premier pour les fillettes, le second pour les garçons, contribuèrent le plus efficacement à introduire le mode d’enseignement qu’on a qualifié d’enseignement simultané, et qui est appliqué par toute la pédagogie contemporaine, le mode d’enseignement dans lequel le maître tient vraiment en haleine les attentions et les énergies de toule la genl enfantine, au lieu de convoquer les divers enfants, successivement, pour une série de dialogues personnels ( Voir J. Renault, Les Idées pédagogiques de saint Pietve Fourier (Bruxelles, Ligue de l’Education familiale, 1921), et Fhkre Maximin, Les écoles normales de Saint Jean-Baptiste de la Salir, étude historique et critique, p. 1 77-183. (Procure des Frères, Bruxelles, 1922)

L’usage de la langue nationale dans l’enseignement, ne croyons pas que pour le préconiser on ait attendu les jansénistes en France, et Luther au delà du Rhin 1 Un an avant que Luther ne lançât ses idées pédagogiques, nous trouvons un éloquent appel en faveur de cette réforme chez l’un des représentants les plus notoires de l’humanisme catholique, le philosophe espagnol Jean-Baptiste Vives, e ses livres : De tradendis disciplinis, fut réimprimé de nos jours à Cambridge, par un traducteur anglican, et dans ce livre nous lisons :

« Que le maître connaisse la langue indigène des

élèves, et l’histoire de cette langue, et qu’il soit comme un préfet du trésor de cette langue (Vives, De tradendis disciplinis, III, 2, édit. Poster Watson,

]>. io3. Cambridge Uni ver si t y Press, 1 y13.) >> Et cent ans avant que Vives n’eut ainsi parlé, Gerson, par son A R C des simples gens et par son Livret de esus, par son fruité de lu Mendicité spirituelle et par sa Montagne de contemplation, avait montré comment toutes les vérités, les plus hautes comme les plus rudimentaires, pouvaient et devaient être enseignées, dans la langue nationale, à la foule des humbles et des pauvres.

Les plus récentes méthodes, ou les plus récentes modes d’enseignement historique, celles qui prétendent faire à l’histoire des guerres une place très restreinte et donner une très large place à l’histoire de la civilisation, n’allons pas croire qu’elles aient attendu M. Lavisse pour les appliquer, ou M Ferdinand Buisson pour les justifier. Car déjà nous les relevons dans Fénelon ; et voici, bien avant Fénelon, un texte assez significatif, et sur lequel je ferais d’ailleurs beaucoup de réserves :

« Les guerres sont des cas de brigandage, sauf

peut-être quand elles sont entreprises contre des brigands. Il est indigne de présenter à nos mémoires les actes historiques dus à nos passions, et de ne pas étudier, aussi, ce qui est survenu comme 1 épanouissement du jugement rationnel *, — l’auteur veut parler, en cette métaphore, de l’histoire de la civilisation.

On croirait entendre, en vérité, M. Ferdinand Buisi son en personne. Ces lignes, elles sont de l’un des maîtres de l’humanisme catholique, le pédagogue I espagnol Vives (De tradendis disciplinis, V, 1, p. 236 ; cf. pages cxcvi-cxcvm de lapréface). Et si je les cite, c’est pour montrer tout ce qu’on trouve d’audæe, lorsqu’on sait l’y chercher, dans les œuvres des pédagogues catholiques. Ceux qui se représentent notre pédagogie comme enlisée dans une routine traditionnelle, et comme superstitieusement soucieuse de perpétuer sans changement, de génération en génération, je ne sais quelle uniformité des méthodes et des maximes, ceux-là _ n’ont pas lu nos pédagogues ; et, croyant juger l’Église, c’est leur propre préjugé qu’ils énoncent.

On les entend souvent établir une sorte de parallèle, systématique et factice, entre la dureté de l’éducation médiévale et les protestations d’un Montaigne, ou bien d’un Rabelais, contre la cruauté des geôles scolaires et contre l’àpreté des châtiments qui s’y distribuaient. Mais ces protestations, nous les trouvons, dès le haut moyen âge, devancées en termes excellents, par la voix de saint Anselme. Relisons le curieux entretien qui se déroulait, un certain jour du onzième siècle, entre le grand docteur qu’était Anselme, et l’abbé d’une abbaye voisine. Cet abbé, qui n’avait évidemment qu’une pédagogie simpliste, se plaignait que les enfants de son monastère fussent pervers et incorrigibles ; jour etnuit nous ne cessons de les battre, expliquait-il ; cependant ils deviennent toujourspires. Et saint Anselme de répondre : » Si vous comprimez un arbre de manière à l’empêcher d’étendre ses rameaux et que vous le débarrassiez de ses entraves au bout de quelques années, quel arbre trouverez-vous ? A coup sûr un arbre inutile, aux branches tordues et entortillées. Et à qui la faute, sinon à vous quil’auriez ainsi enlacé ? Eh bien, voilà ce que vous faites pour vos enfants. En les consacrant à Dieu, on les aplanies dans le jardin de l’Église pour qu’ils y croissent et y fructifient : et vous, par la crainte, les menaoes, les coups, vous les tenez dans une telle contrainte qu’ils ne peuvent jouir d’aucune liberté. Ainsi comprimés à l’excès, ils accumulent dans leur sein, caressent et nourrissent des pensées mauvaises qui s’entrelacent comme des épi1271

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nés ; et ils les entretiennent et les fortifient de manière à repousser opiniâtrement tout ce qui pouvait servir à leur correction. Et comme personne ne les a élevés dans une véritable affection, ils ne peuvent plus regarder personne que le sourcil baissé et avec des yeux de travers. » — « Oui, c’est vrai, gémit l’abbé ; nous nous sommes trompés ; la lumière et la discrétion ne nous ont pas éclairés. » Et se prosternant aux pieds de saint Anselme, il confessa qu’il avait péché (Eadmbr, Vita Anselmi P. L., CLV11I, col. 4<j)- Quatre siècles s’écoulent, et pour arrêter le bras de certains magisters, trop cruellement levé sur de pauvres enfants, voici retentir une autre voix d’homme d’Église, la voix de Gerson. Il insiste dans sa Doctrine pour les enfants de l’Église de Paris, il s’interrompt, au cours d’un panégyrique de saint Louis, pour dissuader les maîtres d’user trop inconsidérément des châtiments corporels ; il veut que les enfants aient l’impression d’être aimés, plutôt que d’être bafoués, et qu’ils soient conduits au bien par la mansuétude, plutôt que par la sévérité, car à force de sévérité, on pourrait, dit-il, les rendre pusillanimes (Lafontainb, De Joanne Gersonio puer or um adulescentiumque instilutore, p. 28-39. ^a Chapelle-Montligeon, iyo-j).

La culture physique, que, si j’en crois certains historiens de la pédagogie, la pensée chrétienne aurait systématiquement proscrite, je la trouve prévue, recommandée, dès l’aurore de celle pensée, par le premier en date de tous les pédagogues chrétiens, Clément d’Alexandrie. « Veillez, disait-il, à cette beauté corporelle que donnent une juste proportion des membres et la fraîcheur du coloris. Cette beauté naturelle, c’est la santé qui la fournit, la beauté esl la floraison d’une santé généreuse ; la santé est un agent intérieur, mais la beauté en est le rayonnement coloré. C’est pourquoi les actions de la vie les plus salubres, et les plus belles, en exerçant les énergies physiques, produisent une beauté naturelle et durable. » Au second siècle, en pleine civilisation hellénique, voilà donc la culture gymnastique adoptée et, si j’ose dire, baplisée par la pensée chrétienne, par une pensée qui, tout en souriant à la beauté du corps, maintient d’ailleurs les droits souverains d’un autre idéal, et qui se hâte d’ajouler : « La meilleure beauté est celle de l’âme, celle que donne l’Esprit Saint lorsqu’il communique à une âme ses beaux rayons : la justice, la prudence, la force, la tempérance, l’amour du bien, et surtout la pudeur, plus brillante que les plus pures couleurs. » (Pierre Lhandk, Jeunesse : l’âge tendre, l’âge critique, l’âge viril ; petit code d’éducation au foyer d’après Clément d’Alexandrie, p. 2931. Paris, Beauchesne, 1912.)

Les jeux des chevaliers ne permettent guère de conclure que le moyen âge se désintéressât de la culture physique aussi pleinement qu’on l’a prétendu, et voici paraître à l’aube de l’âme moderne, en 1551, un traiié sur l’éducation des enfants, où il y a tout un article sur le soin des corps ; ce traité, il es^ l’œuvre d’un pape, Pie II ; puis en 1584. au surlendemain du Concile de Trente, voici que, dans un traité similaire, le cardinal Silvio Antoniano, ami de saint Charles Borromée, discute avec une paternelle gravité sur les mérites respectifs du jeu de balle et du jeu de boule, sur la surveillance dont ces jeux doivent être l’objet, et exprime le vœu que les enfants soient conduits hors de l’enceinte des villes pour s’abandonner sans contrainte, dans la solitude des prairies, à toute la fougue de leurs jeux (Silvio Antoniano, Traité de l’éducation chrétienne des enfants, trad. Guignard, p. 463-46’|.

Troyes, Guignard, 1856). A l’époque même où Antoniano écrivait ces lignes, vivait un théologien jésuite nommé Lessius, qui s’illustrait par ses spéculations profondes sur les problèmes de la grâce ; ce théologien, bientôt, allait écrire tout un petit livre, V Hygiasticon, pour la santé physique de ses frères humains, et proclamer, dans ce livre, que les exercices physiques sont utiles, et nécessaires pour beaucoup.

L’instruction des femmes, j’ose dire que l’Eglise l’a tenue sur les fonts baptismaux. Le traité de Vives sur l’éducation féminine est antérieur d’un an aux écrits pédagogiques de Luther (Voir Francisque Thibaut, Quid de puellis instituendis senserit Vives. Paris, Leroux, 1888.) ; Fénelon, Mme de Maintenon, ont trouvé justice — et cette justice était un hommage — auprès de nos pédagogues les plus laïcs, et la France des trois derniers siècles s’est véritablement illustrée par le nombre des congrégations féminines vouées à l’enseignement.

L’institution des écoles normales primaires, — ces écoles qui, passant outre à tous les efforts de l’esprit nouveau, demeurent, en leur ensemble, le conservatoire d’un laïcisme hostile, — à qui remontet-elle ? quels en furent les premiers auteurs ? Un saint, Jean-Baptiste de la Salle ; un prochain bienheureux, le P. Chauiinade, fondateur des Marianistes. Ce séminaire de Reims, où dès 1864 le chanoine de la Salle groupait vi.igt-cinq laïcs et les exerçait, dans une école gratuite, à l’instruction des petits enfants, il fut à proprement parler, près d’un sièele et demi avant qu’un règlement signé Guizot n’eût institué nos écoles normales d’Etat, la première de nos écoles normales primaires, complétée par une école d’application. (Voir, d’autre part, sur l’œuvre du P. Chiminade, notre livre : Portraits catholiques Précurseurs. Paris, Perrin).

L’enseignement moderne, on sait combien sont impérieuses les voix qui le réclament aujourd’hui, les voix qui demandent une éducation pratique. J’avoue que parfois leur insistance m’inquiète un peu, qu’elles me paraissent trop portées à méconnaître ce je ne sais quoi de désintéressé qui donne du prix au travail et ajoute un charme à la culture, qu’elles font peut-être trop bon marché de ce vieil idéal humaniste qui attendait d’un certain genre d’instruction une efficace discipline de l’âme. Mais quelles que soient mes timidités en présence d’une certaine pétulance d’utilitarisme, il faut convenir cependant que les urgents besoins sociaux auxquels nous avons à faire face requièrent une instruction qui, de bonne heure, grave dans l’esprit de l’enfautles notions utiles, pratiquement utiles, pour le rôle qui dans la vie l’attend. Or le premier pédagogue qui en France eut l’audace d’émettre de pareilles idées, ce fut, en 1686, le sous-précepteur des enfants royaux, l’abbé Claude Fleury.dans son Traité du choix et de la méthode des études. Ce prêtre, qui par son œuvre historique fait ligure de gallican suranné, le voilà qui prend, dans ce Traité, rerais récemment en lumière par une thèse de M. l’abbé l)artigues, la physionomie d’un novateur pédagogue. Ce sous-précepteur à la cour du Grand Roi se préoccupait activement de l’instruction pratique et technique de la masse des Français. Qui donc a osé prétendre que la pédagogie catholique serait mal propre ; ’i développer chez le j écoliers l’esprit civique ? Cetabbé Fleury, dans son programme d’enseignement moderne, demande, c’est en 1686, que l’éducation politique qu’on donne aux enfants leur inculque

« l’horreur d’un système qui n’a pour but que de rendre

puissant le prince ou le corps qui gouverne, aux dépens de tout le reste du peuple, et qui met toute la vertu du souverain à maintenir et à augmenter sa 1273

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puissance, laissant aux particuliers la justice, la fidélité et l’humanité ». (Gaston Dahtigurs, LtTrmitè des Etudes de l’Abbé Claude Fleur > (1086), p. a18. Paris, Champion, 19a 1). On trouverait chez Fénelon, autre précepteur royal, plusieurs textes semblables, beaucoup plus connus.

J’ai le droit « le saluer, dans Fleury, dans Fénelon, les précurseurs d’une certaine éducation civique. Et pour des mœurs politiques où la dictature jacobine est toujours à craindre, ne sera-ce pas une éducation civique fort opportune, que celle qui inculquera aux enfants « l’horreur d’un système n’ayant pour but — je prends les mots de Fleury — que de rendre puissant le corps qui gouverne, aux dépens de tout le reste du peuple « ? L’absolutisme des majorités n’est pas moins redoutable, ce me semble, que l’absolutisme des rois, et le verdict du bon abbé Fleury avait à l’avance appelé la sévérité des pédagogues sur l’un et l’autre absolutisme.

Elevons-nous d’un degré dans l’échelle de l’enseignement. Les hautes études supérieures sont si expressément requises par la tradition même de l’Eglise, que nous voyons leur renaissance sur notre sol, cent ans après la Révolution, coïncider avec une époque où l’Kglise commence d’être en butte aux vexations, et que ce premier quart du vingtième siècle, où l’Eglise fut spoliée, marqua pour ces hautes études un nouveau progrès. Car l’Institut catholique de Paris, en même temps qu’il continue d’enseigner la théologie et d’enseigner, parallèlement avec l’Université, les diverses sciences dont les étudiants ont besoin, est devenu, sous les auspices de Mgr Baudrillart, un laboratoire pour certaines sciences spéciales, histoire des religions et pédagogie, langues orientales et tout récemment sciences sociales, et ces dépenses nouvelles que l’Eglise faisait au moment où elle venait d’être séparée de l’Etat, appauvrie, ruinée, prouvaient que les disgrâces politiques dont elle est frappée ne l’empêcheront jamais de poursuivre maternellement sa besogne d’éducatrice, pour le bien de la société humaine. (Voir Mgr Baudrillart, L’enseignement catholique dans la France contemporaine. Bloud, 1910).

II. Le prêtre éducateur. — Elle fut donc, à travers l’histoire, bien authentiquement une devancière, et bien authentiquement une novatrice, et bien authentiquement une messagère de toutes sciences humaines et divines, parce qu’au demeurant les sciences humaines ne sont que les fragments épisodiques d’une synthèse dont Dieu est le centre et le sommet, les reflets partiels d’une vérité totale, que jamais icibas nous n’approcherons que par analogie, par image, par énigme, parce que cette vérité s’appelle Dieu. Mais lors même que la pensée catholique n’aurait pas joué, dans l’histoire de la pédagogie et dans l’histoire des institutions scolaires, le rôle que je viens d’esquisser, il demeurerait vrai de dire que l’Eglise, par l’expérience que lui donne le ministère des âmes, est tout particulièrement qualifiée pour faire œuvra d’enseignement ; et ceux-là mêmes qui n’admettent pas qu’en poursuivant cette œuvre et en revendiquant le droit de la poursuivre, elle ne fait qu’exécuter la divine consigne d’aller et d’enseigner toutes les nations, ceux-là mêmes, parlant en observateurs, sont forcés de constater que, pour une telle besogne, elle trouve dans son ministère spirituel les éléments d’une compétence à laquelle les pédagogues étrangers au sacerdoce n’atteignent que plus difficilement. J’en atteste comme témoin M. Ferdinand Buisson. Lisons les lignes qu’il consacre à Monseigneur Dupanloup ; on les trouve citée » dans l’excellent recueil où M. le chanoine Henri Dutoit, vice recteur des Facultés catholiques de Lille, a recueilli les meilleures pages de l’ancien évêque d’Orléans. (Tourcoing, Duvrvier). « L’écrivain, l’orateur, étaient chez Mgr Dupanloup de second ordre, a écrit Renan ; l’éducateur était tout à fait sans égal. » Les raisons profondes de cette supériorité de l’éducateur, M. Ferdinand Buisson les cherche, et voici où il les trouve. M. Buisson déclare, en son L’tctionnaire de pédagogie, que dans les chapitres de Mgr Dupanloup sur l’enfance, c il y a des vues d’une justesse et d’une profondeui que peut seule donner la longue expérience d’un prêtre. » Et M. Buisson dit encore : Les réflexions « sur la dernière éducation de la jeunesse et sur les déchéances de l’autorité paternelle sont d’un moraliste aussi sagace qu’expérimenté, qui a reçu les confidences des familles, suivi de près le développement des caractères chez l’enfant et chez le j< une homme, et saisi, au fond des cœurs que la religion lui ouvrait, le secret des misères et des ruines qui s’y préparaient ». (Buisson, Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire, éd. de 1882, 1, p. 7/J474a. Paris, Hachette).

Ainsi donc, de l’aveu de M. Ferdinand Buisson, le coup d’œil pédagogique de Mgr Dupanloup, seule la longue expérience d’un prêtre pouvait le procurer ; et la façon dont ce pédagogue pénétrait les cœurs, il la devait à une clef qui s’appelait la religion. Mais alors, si la sagesse du prêtre possède ce privilège, et si la religion possède cette vertu, pourquoi fermer l’école au prêtre ? et combien étrange est cette contradiction qui, après avoir constaté, chez le prêtre, des lumières spéciales pour l’œuvre éducative, lui prohibe ensuite cette besogne ! Du jour où dans notre pays sera restauré le culte des compétences, nous aurons le droit de demander, en nous armant de ces passages de M. Ferdinand Buisson, que certains articles des lois scolaires disparaissent.

Cette sagesse, cette perspicacité, qu’il salue chez Mgr Dupanloup, il en rapporte le mérite beaucoup moins au génie personnel du prélat qu’à son office de prêtre, et qu’à ce que Chateaubriand appelait le génie du christianisme. Car, pour s’occuper des enfants, le christianisme eut un génie, et l’on peut recueillir à ce sujet, dans le chapitre de Chateaubriand sur Andromaque, une observation fort originale.

« Les anciens, écrit-il, n’arrêtaient pas longtemps

les yeux sur l’enfance ; il semble qu’ils trouvaient quelque chose de trop naïf dans le langage du berceau. Il n’y a que le Dieu de l’Evangile qui ait osé nommer sans rougir les petits enfants (parvuli) et qui les ait offerts en exemple aux hommes. ». (Génie du christianisme, livre II, chap. vi, éd. Didot, 1, p. ai y. Paris, 1874).

J’aime cette remarque ; elle est historiquement vraie. La sensibilité chrétienne, dès les origines, suggéra à la pensée chrétienne des raisons nouvelles de s’intéresser à l’enfance ; et sous l’action du christianisme les préoccupations pédagogiques s’enrichirent de nuances très neuves, très attachantes ; comparez, par exemple, à moins d’un siècle de distance, l’esprit d’un Quintilien et le cœur d’un Clément d’Alexandrie. Cet enfant que l’Eglise a sous les j eux, il est pour elle une âme dont elle devra rendre compte à Dieu, une âme qui mérite beaucoup de précaution, et qui mérite beaucoup d’honneur ; une âme qui bientôt sera menacée, mise en péril, et qui peut-être se fourvoiera, mais qui, pour l’instant, est si belle encore en sa simplicité, en sa pureté, en sa candeur, que l’Eglise, s’adressant aux adultes, leur dit à la suite du Christ : Cette petite âme-là, ressemblez-lui ! Voilà dans quel esprit cette éducatrice qu’est la Mère Eglise prend contact avec les âmes d’enfants. 275

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Le moyen âge met sous nos yeux un admirable type du pédagogue catholique qui se courbe vers les petits enfants, qui les examine, qui les analyse ; c’est Gerson, l’auteur de l’exquis traité sur la façon d’amener les enfants à Dieu. Il est chancelier de l’université de Paris, orateur dans les grands conciles : mais puisque la religion lui ouvre ces petits cœurs, pour reprendre l’expression de M. Buisson, pourquoi Gerson, grand liseur, se détournerait-il de ces beaux livres que sont des cœurs d’enfants ? Il réunissait donc les enfants dans la nef d’église, pour leur faire le catéchisme. On lui disait : Quelle distance il y a entre vos habitudes et les manières de ces gamins 1 Ou bien : la belle occupation pour un chancelier 1 Ou encore : Ce n’est ni le temps ni le lieu pour un tel enseignement. Ou enfin : Vos rivaux vont calomnier votre apostolat. (Grrson, Traité du devoir de conduire les enfants à Jésus-Christ, trad. Saubin, p. Ii et suiv. Paris, Bloud, 1901).). Gerson laissait dire, et continuait de catéchiser. Il confessait, pour « aider les enfants, disait-il, à nettoyer leur esprit avec le balai de leur propre aveu » (op. cit., p. 55) ; mais il énumérait d’autres moyens de les amener à Dieu : la prédication publique, l’avertissement particulier, et puis l’enseignement officiel. Et certes Gerson n’eût pas admis que l’enseignement officiel lui fut fermé, car il remarque, en un endroit, que « le Christ supporte avec douceur même les crimes des publicains et des pécheurs, même les colères de la fausse justice des pharisiens, mais qu’il conçut de l’indignation, nous ilit l’Evangile de saint Marc », quand les apôtres voulaient empêcher les petits enfants de venir à lui et voulaient écarter ceux qui les présentaient (op. cit., p. 17-18).

Ainsi parlait Gerson au début du quinzième siècle ; et dans ces lignes se condensait tout le respect et tout l’amour avec lequel la vieille pédagogie chrétienne se penchait vers l’àine des enfant ». Quelques années s’écoulaient, et la résurrection de l’humanisme païen créait à cette pédagogie des devoirs nouveaux.

La culture littéraire, en effet, prenait dans l’éducation une place de plus en plus prépondérante. Que serait-elle, cette culture ? demeurerait-elle un hommage à Dieu ou deviendrait-elle une concupiscence de la pensée ? Question émouvante, question tragique ; elle occupe l’intelligence, la conscience, des pédagogues catholiques du temps de la Renaissance, un cardinal Dominici, un Vives, un Silvio Antoniano, Comment la question se posait, nul, je crois, ne l’a mieux expliqué que le cardinal Newman, dans un discours prononcé à l’université de Dublin. Avec son habituelle subtilité de nuances, Newman observait que les œuvres littéraires nous olTrent généralement l’image de l’homme naturel, de l’  « homme doué de sensibilité, d’intelligence, d’énergie, en dehors de toute grâce extraordinaire, en dehors de toute foi religieuse définie, et que parfois elles nous offrent l’image de l’homme rebelle et pécheur ». Faudra-t-il donc bannir de nos écoles la littérature, demandait le cardinal, « puisque cela sent si fort le vieil Adam ? » Mais non, répondait-il ;

« nous ne pourrons empêcher le jeune homme

de se trouver plongé, le moment venu, dans les habitudes et maximes du monde », et Newman insinuait que l’on pouvait au contraire se servir de la littérature pour l’habituer à ne pas confondre la beauté et le péché, la vérité et le sophisme, l’in offensif et le poison. Mais il faut, continuait-il, que l’Eglise entre à côté de la littérature, l’Eglise qui n’a peur d’aucune connaissance et qui les purifie toutes, qui ne mutile pas notre nature, mais en cultive

toutes les facultés (N’rwman, The idea of a Univer sity. Disc, ix, cité dans Bremond, L’enfant et la vie, p. 146-149. Paris, Relaux 190a.)

M. l’abbé Bremond, qui cite cette page de Newman dans son livre très suggestif : l’Enfant ti la vie, nous expose une seconde raison de souhaiter qu’à côté de la littérature l’Eglise fasse son entrée pour lutter contre ce dilettantisme auquel la familiarité des études littéraires convie parfois l’âme du jeune homme, il paraît à M. l’abbé Bremond presque indispensable que le même homme qui initie l’imagination des enfants au charme des beautés artistiques, sache en même temps leur apprendre, et d’exemple, et de parole, à subordonner et faire concourir les jouissances littéraires à une fin plus élevée. Et le prêtre, ajoute-t-il, semble plus que personne à la hauteur de c tte délicate mission. Tout récemment le P. Lhande, dans le livre qu’il consacrait à un maître humaniste, le P. Longhaye, nous montrait, par les souvenirs de ce maître, par l’examen de sa Théorie des belles lettres, comment l’éducateur, qui professe que la saine littérature ne va pas sans psychologie exacte, et sans une morale complète, peut transformer son enseignement en apostolat. Et si d’aucuns redoutaient qu’un pareil souci put nuire à la valeur littéraire de l’enseignement qui s’en inspire, je me hâterais de leur opposer le jugement que portait récemment, sur la Théone de l’éloquence du P. Longhaye, un ministre d’hier. Elle est, écrivait M. Léon Bérard, a l’une des plus justes, des plus fécondes, des plus humaines qui aient été proposées » (Lhanor, Un maître humaniste, le P. Longhaye, p. x-xi. Paris. Gigord, 1923).

Voici se dessiner encore, dans un autre sermon de Newman sur le danger de la culture libérale, un troisième motif qui rend désirable l’intervention du prêtre dans la formation littéraire. Newman fait observer que Dieu nous a donné notre sensibilité pour nous amener à l’action, et que cependant les beaux sentiments développés en nous par la lecture d’une belle fiction littéraire ne sont pas suivis d’action ; nous n’avons rien à faire après avoir fini le livre ; nous lisons, nous sommes pris, doucement ou violemment remués, et puis c’est tout. Nous rentrons dans le calme, et il ne reste rien de tout cela. Et Newman redoute que nous en venions peu à peu à éprouver des émotions, sans que la pensée ou le désir d’un acte correspondant à ces émotions soit remué en notre àme. Ce serait grand dommage que l’habitude d’émotions toutes littéraires détruisit toute influence du sentiment sur la volonté, car alors, questionne Newman, « si les fils de communication entre les sentiments et l’action pendent snns force et ne servent plus à rien, comment nous déciderons-nous à agir quand sonnera l’heure du devoir ? » (Nhwman, Parochial and Plain Sermons, II, sermon 30, cité dans Bremond, op. cit., p. i.’igi 51). Raison suprême pour faire collaborera la formation littéraire de l’enfant quelque àme sacerdotale, où l’émotion religieuse, sans cesse renouvelée, j’allais dire sans cesse rajeunie, par l’ascension quotidienne vers cette montagne sainte qu’est l’autel, soutient et suscite, quotidiennement, une vie de sacrifices, une vie conçue et pratiquée à la façon d’une offrande.

Les inconvénients possibles d’une culture littéraire trop éprise de ses propres attraits, trop tournée vers le dilettantisme, sont ainsi pr : venus ou corrigés. L’Eglise, qui jadis sauva les lettres, ne permet pas qu’elles dégénèrent en un instrument de jouissance, ou bien une délectation d’amateurs ; elle ne permet pas que la culture littéraire oublie 1277

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ses responsabilités, que la production littéraire se désintéresse de ses répercussions sociales. L’Eglise demeure l’éducatrice complète, l’éducatrice par excellence, parce qu’elle envisage toujours, d’un seul et même coup d’oeil, les orientations de la pensée et les orientations de la volonté, et parce qu’elle ne consent jamais que celles-ci soient fourvoyées par celles-là.

De nosjours, les progrès de la culture proprement scientifique créent des périls d’une tout autre nature. On croit à ce que l’on voit, à ce que l’on touche ; il semble que la matière, par une étrange revanche, limite l’horizon de l’homme à mesure qu’il la domine plus pleinement ; il semble qu’elle lui dise : Tu régneras sur moi, soit ; mais au delà de moi, à côté de moi, derrière moi, au dessus de moi, tu ne connaîtras plus rien, tu ne t’inquiéteras plus de rien connaître : moi seul, et c’est assez ! Et cette matière, d’autant plus tyrannique, seinble-t-il, que nous croyons l’avoir plus complètement domptée, voile à nos regards les réalités de l’ànie, et les réalités transcendantes, et toutes les valeurs spirituelles ; une certaine physique prétendrait nous cacher la métaphysique ; une certaine conception des sciences naturelles supprimerait, si on la laissait faire, toute notion de cause première ; et des habitudes d’esprit risquent de se créer, pour lesquelles l’invisible devient quelque chose qui n’est pas, ou quelque chose, tout au moins, qu’on ne peut aspirer à connaître. Tout à l’heure un certain abus de la culture littéraire compromettait l’intégrité de la volonté ; un certain abus de la culture scientifique, en restreignant le champ de la spéculation, peut compromettre l’intégrité même de la pensée. Et là encore, il importe que l’Eglise soit là, qu’elle soit là comme éducatrice, que par sa sollicitude elle continue de nous garantir la plénitude de nos c< nnaissances, qu’à côté des richesses intellectuelles que nous devons à l’empirisme scientifique elle protège et fasse resplendir devant nous, d’une lueur qui ne pâlisse point, celles que nous devons à la révélation. La faible connaissance qu’on peut avoir des choses les plus hautes, proclame saint Thomas, est infiniment plus désirable que la connaissance la plus certaine des choses inférieures. Tout » à l’heure l’Eglise, éducatrice littéraire, sauvegardait les droits de la morale et les postulats de l’action ; maintenant l’Eglise, éducatrice scientifique, sauvegarde les droits de la métaphysique et les postulats de la croyance. Il est bon qu’elle soit là, pour que, dans la besogne éducatrice, l’homme tout entier soit cultivé et pour que notre culture, sur quelque champ d’étude qu’elle se spécialise, ne perde jamais de vue la vérité tout entière, fille de Dieu, et présent de Dieu. Vives, au début du seizième siècle, écrivait éloquemment :

« Que ce soit chose bien gravée dans l’esprit des

enfants que ce qu’ils vont recevoir à l’école est la culture de l’esprit, c’est-à-dire du meilleur de nousmême, de ce qu’il y a en nous d’immortel, que cette culture a été donnée par Dieu à la race humaine comme le plus grand don de sa paternelle indulgence, et qu’elle ne pourrait pas provenir d’une autre source, et que c’est là, assurément, la voie qu’ils ont à suivre, pour plaire à Dieu, et pour atteindre à lui, en qui est leur suprême bonheur. Alors ils entreront pleins de respect dans leurs écoles, comme s’ils entraient dans des temples sacrés. Ils aimeront les maitres comme des ministres dans le service de Dieu, comme les pères de leurs pensées ». (Vives, op. cit., II. 4, p. 87.)

Feuilletant Vives, un peu plus avant, j’y trouve une raison suprême de faire appel à l’Eglise comme

distributrice du savoir. L’Eglise, maîtresse de charité, ditavec Bossuet : Malheur à la science qui ne se tourne point à aimer ! Elle ne veut pas d’une éducation qui ne viserait qu’à faire jouir l’individu d’un certain capital intellectuel…

« Rien ne peut être plus agréable à Dieu, écrivait

déjà Vives, que de nous voir offrir notre érudition et ce que nous possédons de ses dons, pour l’usage de nos compagnons d’humanité, c’est-à-dire de ces enfants, pour qui Dieu a donné ces grands biens à ceux, quels qu’ils soient, à qui ils sont dévolus, afin qu ils servissent à l’ensemble de la communauté. C’est là le fruit de nos études. Ayant acquis notre savoir, nous devons le tourner à l’utilité, l’employer pour le bien commun. » Et Vives expliquait que

« s’instruire pour devenir riche, c’est échanger

contre un bien vil métal la richesse du don divin, et que s’instruire pour la gloire, c’est rechercher la louange des hommes mortels plutôt que celle du Dieu immortel ». Nous devons « étudier toutes les branches du savoir, continuait-il, pour cet usage auquel Dieu le destine. Chaque branche d’études en elle-même est sans limites ; mais à un certain échelon nous devons commencer à l’utiliser pour l’avantage des autres hommes ». Et Vives engageait étudiants et savants à mettre leurs observations techniques à la disposition de la postérité, « dont nous devons nous soucier, insistait-il, comme nous nous soucions de nos propres fils ». Vives, op. cit., Appendice, I, p. 283-284, et IV, 6, p. 210. Ainsi conçue, ainsi comprise, l’éducation n’enrichit l’esprit que pour le convier sans cesse, une fois pourvu d’un surcroît de richesse, à un surcroît de générosité : la culture se fait charité, la science se fait amour.

Mgr Dupanloup disait un jour : « L’éducation est la continuation de l’œuvre divine dans ce qu’elle a de plus noble et de plus élevé ; la création des âmes. » Admirable définition, qui semble associer les éducateurs, de génération en génération, au développement du plan créateur ! Il est naturel qu’au début de leurs classes, ils invoquent l’Esprit de Dieu et qu ils rendent Dieu présent, puisqu’ils sont, chacun à sa façon, des coadjuteurs de Dieu. Or Dieu, créant les âmes, ne les a pas créées comme des mondes clos qui se suffiraient à eux-mêmes et qui vivraient, égoïstes, d’une vie sans cesse repliée sur elle-même ; il les créa pour qu’elles rayonnassent et qu’elles le fissent rayonner, et pour qu’elles agissent en dehors d’elles, et pour que par elles il agit ; il les créa pour que dans l’espace elles s’entr’aidassent, et pour que le passé secondât l’avenir. L’éducation chrétienne, succédant à la création divine, empêche que la pensée ne devienne un jeu, et corrige perpétuellement la concupiscence du savoir, en proclamant cette mission des âmes, mission apostolique, mission civilisatrice.

La Société générale d’Education et l’Enseignement, en organisant parmi nous la défense de cette éducation, fait une œuvre de justice, car en d/pit des prétentions laïques, tout le passé pédagogique de l’Eglise impose la continuation de sa besogne pédagogique ; et c’est rendre service à l’éducation française, à celle de demain comme à celle d’aujourd’hui, que de favoriser des disciplines qui mettent au service de l’enseignement la science sacerdotale des âmes, des disciplines qui empêchent la culture littéraire d’amputer nos volontés, la culture scientifique de restreindre nos horizons, et le goût di l’étude de dessécher nos cœurs.

Georges Goya. !  ;. 1279

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QUESTION SCOLAIRE. — III. Fondements du droit en matière d’enseignement et d’éducation. — Avant- propos. —). t>u rapport de l’initiative privée aux pouvoirs publics en général. — II. Application de ces principes à la liberté d’enseignement. — III. Ré onse à une objection courante. — IV. Vraies attributions de l’Etat. — V. Point de vue surnaturel. — Le droit des parents chrétiens. — Conclusion.

Il se fait beaucoup de bruit en ce moment autour de certains projets de lcis relatifs à lecole. Qu’ils menacent ou non la liberté d’enseignement — peut-être y aurait-il lieu de distinguer à cet égard entre l’idée générale et ses applications concrètes —, toujours est-il que la question se trouve posée derechef et dans toute son acuité. Faut-il le dire ? le présent travail n’a pas pour objet de la résoudre, il y a longtempsque la saine philosophie l’a résolue, mais bien de mettre dans une plus vive lumière — on ose du moins l’espérer — quelques-uns des principes dont elle s’inspire à cette lin et sur lesquels, pour élémentaires qu’ils soient, il est toujours à propos de rappeler l’attention, surtout dans notre pays.

Au vrai, la plupart des Français ne se font-ils pas aujourd’hui de la liberté d’enseignement, sans doute sous l’influence des théories ou plutôt des réorganisations napoléoniennes, ou plutôtencore de ces réorganisations érigées en théories, une conception fort inexacte ? Est-ce tellement excéder de soutenir qu’un trop grand nombre même de catholiques en France (nous n’avons pas qualité pour parler des autres nations) n’ont pas ou n’ont plus dans ce domaine une conception assez nette et assez vive de leurs droits ? Ainsi que le remarquait naguère l’illustre Lucien Brun, l’omnipotence de l’Etat enseignant est trop facilement acceptée comme un dogme indiscutable par la grosse majorité de nos concitoyens ; et, même parmi nous, il ne manque pas depersonnes, redisonsle, qui, sans trop s’en rendre compte, inclinent à considérer cette liberté d’enseignement comme une sorte de concession consentie aux particuliers par l’Etat, ’comme une faveur que leur fait, que veut bien leur faire l’Etat, seul juge de la mesure dans laquelle il lui convienld’en étendre etsurtoutd’en restreindre l’octroi.

C’est contre cette erreur funeste au possible — car enlin, c’est une erreur, tout ce qu’il y a de plus erreur, on va s’attacher à en administrer la preuve péremptoire, — c’est contre cette erreur « étatiste », comme elle s’appelle, d’un mot aussi disgracieux que la chose est laide, qu’il convient, qu’il importe au premier chef de nous prémunir, et de prémunir les autres. En d’autres termes, ce sont les droits des parents, des parents chrétiens, ce sont les droits de l’Eglise aussi (le lecteur verra plus loin de quelle admirable manière ils se rejoignent et se fortifient les uns les autres), dont nous devons nous employer, par une campagne infatigable, à réveiller chez les parents même la notion, le sens et la iierté, avec, s’il plaît à Dieu, une indomptable volonté de tout mettre en œuvre pour les défendre et, au besoin, les reconquérir.

Tel est le but qu’on se propose dans les pages qui suivent.

C’est au point de vue du pur droit naturel qu’on s’est placé avant toute chose, mais sans s’interdire d’ajouter un mot sur le rôle qui revient dans l’espèce à l’Eglise ; comme ce sont aussi les prérogatives inaliénables de ia famille en pareille matière qu’on entend justifier de ia sorte. Entreprise toujours opportune, mais qui ne l’a peut-être jamais été autant qu’aujourd’hui. Il ne paraît pas moins oppor 0. M. L ^

tun aujourd’hui de faire valoir ce double point de vue. Il y a même des chances pour que ce soit plus opportun que jamais.

I. — Du rapport de l’initiative privée aux pouvoirs publics en général.

I. Ce n’est pas chose bien malaisée, en somme, que de marquer avec précision les limites du droitdel’Etat en matière d’enseignement, au regard surtout du droit de la famille. Il suffît pour cela, comme en toute question de ce genre, de remonter à la notion de l’Etat même, et notamment de sa fin propre, car elle mesure exactement son pouvoir. Tout le monde, ou peu s’en faut, est d’accord à reconnaître que cette fin propre de l’Etat est le bien commun (ou public) : mais que faut-il entendre au juste par le bien commun ?

« Le bien commum » est une formule très

élastique, dont on peut étendre l’application à son gré, comme on peut aussi la restreindre plus que de raison. Il importe donc au premier chef que nous nous essayions à en fixer le sens avec laplus grande rigueur possible.

Or la voie la plus simple pour y réussir sera de nous demander pourquoi les individus, ou plutôt les sociétés primitives et inférieures auxquelles il appartiennent d’abord, évoluent spontanément en sociétés politiques ou proprement dites. C’est toujours le même besoin qui a déjà déterminé la formation de ces communautés inférieures elles-mêmes, c’est toujours le même besoin, mais agissant, si l’on peut dire, sur une plus large échelle, auquel il faut nous reporter. De même donc que les familles, par exemple, se réunissent en tribus ou bourgades ou communes pour s’entr’aider dans la poursuite du bien-être — on donne à ce mot son sens le plus plein et le plus élevé. — de même familles et tribus on communes s’associent à leur tour sous forme de cité en vue de suppléer par leur agrégation même à l’insuffîsance qui résulte ou, pour mieux dire, résulterait, de leur isolement, en vue de fortifier leur faiblesse à chacune par leur puissance à toutes ; afin de s’assurer les unes aux autres et les unes par les autres, en combinant leurs efforts et en faisant échange de bons offices, la somme des biens nécessaires pour mener une vie vraiment humaine et jouir du bonheur qu’on peut raisonnablement souhaiter ici- bas.

A cause de quoi Aristotr considère à juste titre comme le caractère distinctif ou le trait différentiel de la Cité (ou de la société civile ou de la Tronic) ce qu’il appelle l’aÙTa^xEia, littéralement — : la suffisance à soi-même, le fait de se suffire complètement, étant pourvu de tous les moyens, ressources ou capacités requises pour satisfaire à toutes les exigences normales de la vie (Cf. v. g. Polit., III, 9).

Telle est donc la fonction propre de la société civile : garantir à tous ceux qui la composent, individus, familles et tous autres groupements naturels ou volontaires, la possibilité d’un plein et légitime développement. D’un mot, c’est en elle et par elle que la félicité devient sur cette terre pratiquement possible ou accessible à tous.

Ce qui ne veut pas dire, remarquons-le avec soin, qu’il luiappartienne défaire, directement et par elle-même, lehonheur des individus (groupés ou non de la manière qu’on vient de rappeler, c’estentenduune fois pour toutes). Le bonheur pour chacun de nous consiste dans un état subjectif et dépend de notre appréciation personnelle ainsi que de notre libre elïort : chacun estet doit être en ce sens l’artisan de sa proprefélicité ; on ne rend pas un homme heureux malgré lui. — Non, mais la société civile et partant l’Etat a pour rôle primordial de réaliser, autant que faire se peut, tout un ensemble de dispositions et

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d’institutions qui, règle générale et réserve faite des fatalités ou des accidents inéluctables, permette à chacun de parvenir, s’il le veut, s’il veut s’en donner la peine, à la forme de félicité qui répond pro tempore à sa condition. Et l’Etat ou la société a rempli toute sa tâche, quand on peut dire qu’il n’a pas dépendu d’elle, et pour autant qu’il était en elle, que chacun n’y parvint effectivement ; en termes plus préeis sans doute : quand aucun n’est exclu, par la faute de la société même, du bonheur temporel ou naturel auquel il a le droit d’aspirer.

Bref, a lin propre ou immédiate de l’Etat ne réside pas dans le bien individuel ou privé, mais dans le bien commun — nous y voilà revenus, mais avec l’avantage, cette fois, de pouvoir donner à ce mot sa signification rigoureuse ; car nous appelons ici bien commun précisément cet ensemble de conditions requises pour que tous les membres de l’Etat aient la faculté d’atteindre, librement, par leur activité propre et dans la mesure du possible, à leur vrai bonheur temporel. Cf. V. CATimBiN, Moralphilosophie, t. 11, p. 436.

On dit : leur vrai bonheur temporel, car celui-ci, c’est trop clair, doit être de telle nature que, non seulement il ne fasse pas obstacle à la lin éternelle, mais même que, pour sa part et toutes proportions gardées, il en facilite l’obtention : d’où il suit immédiatement que les exigences delà religion aussi bien que de la morale y doivent être satisfaites, el qu’en réalisant les conditions propres à le rendre universellement accessible, la société ou l’Etat doit lui-même tenir compte de l’une et de l’autre, de la morale et de la religion.

a. Ces conditions, maintenant, et à peine y devons-nous insister, sont de deux sortes ; ou, si l’on préfère, le bien commun, ainsi précisé et délini, enveloppe deux éléments constitutifs par excellence. Il y a, premièrement, la sauvegarde des droits et libertés légitimes de chacun ; car c’est là, premièrement aussi, l’une des garanties essentielles que les hommes cherchent dans cette forme d’association qui s’appelle la Cité ; puis, en second lieu, un concours effectif, une aide positive, ou un complément réel apporté à l’initiative privée ; car c’est cela encore que les hommes attendent de la communauté politique, c’est le second motif qui les détermine également à y entrer. Il ne s’agit pas seulement pour eux de se prémunir contre les empêchements ou obstacles qui s’opposeraient d’un côté ou d’un autre à la mise en valeur de leurs ressources personnelles : il s’agit encore de compenser le défaut qui, à un moment donné, finit par s’accuser en celles-ci.

En d’autres termes, la théorie de l’Etat juridique, de l’Etat simplement juridique (Rechtstaat de Kant), de l’Etat-gendarme, comme on l’appelle quelquefois, a bien de la peine à n’être pas erronée ; on dirait sans doute avec plus d’exactitude qu’elle est plutôt incomplète qu’erronée, ou, mieux encore, qu’elle ne devient positivement erronée que lorsqu’elle prétend se donner pour complète.’'). On nous saura peut-être gré, avant d’aller plus loin, de citer ici un beau’exte de Suarbz, dont l’exposé qui précède n’est pour une bonne part que le commentaire.

t La puissance civile législative, écrit l’auteur du De legibus, même considérée dans l’ordre de la pure nature, n’a pas pour lin intrinsèque el immédiate le bonheur naturel de la vie future ; bien plus, pas même le bonheur naturel proprement dit de la vie présente en tant qu’il est le fait des hommes pris individuellement et pour ainsi dire un à un, à titre de personnes particulières enfin ; mais je dis que la fin de la puissance civile législative est le bonheur

Tome IV.

naturel de la communauté humaine parfaite, dont elle ; i charge, et îles individus en tant que membres d’un telle commun/iut.

« Et voici à quoi revient ce bonheur naturel de la

communauté humaine parfaite el de ses membres : c’est à savoir, qu’ils vivent dans la paix et dans la justice ; qu’ils jouissent en quantité suffisante des biens qui se rapportent à l’entretien et à la commo dite de la vie corporelle ; et que fleurissent dans l’Etat les bonnes mœurs, indispensables à sa paix el à sa prospérité ainsi qu’à la conservation de la nature humaine’.

« Telle est la doctrine de saint Thomas, I a II æ, 

q. xc. etc., où il enseigne que le but des lois humaines réside dans le bien commun de la Cité et qu’elles ne peuvent rien prohiber ou prescrire qu’en vue de ce but même 2 ».

4. Nous avons sans doute donné beaucoup de développement à ces préliminaires ; qu’on nous permette pourtant d’y appuyer un instant encore, tant il nous paraît que nous touchons au point vif de la question, qu’il aura sufli de mettre une bonne fois en lumière pour que le reste aille comme de soi. Voici ce que nous voulons dire exactement.

On vient de voir que le but immédiat et la mission essentielle de l’Etai est de procurer le bonheur temporel ou naturel des citoyens ou des sujets, ce que l’Ecole appelait « la pleine satisfaction des divers besoins de ia vie », vitue su//icientia perfecta, — en vue de laquelle précisément les hommes se réunissent sous forme de sociétés politiques ou civiles 3. Cette mission, l’Eiat la remplit tout d’abord négativement, si l’on peut dire, par la protection de l’ordre juridique et social ; puis, d’une manière plus positive, en édictant toute espèce de dispositions propres à promouvoir directement la prospérité commune, c’est-à-dire à favoriser le développement des initiatives privées et à suppléer, le cas échéant, à leur insuffisance.

Mais prenons-y bien garde, ce bonheur temporel et naturel que l’Etat a pour rôle propre de garantir à ses membres, ce n’est pas des lors leur bonheur comme individus, mais précisément comme associés,

1. Ou, si l’on eut, « avec le degré de moralité qu’exigent la piix et la prospérité de l’Etat, non moins que la conservation de la nature humaine ».

2 Op cit., III, xi, 7 : AHdo 3° potestatem civilem legiâlativam, etiam in pura mitura spectatam, non habere pro fine intrinseco et per se insliluto feli< itutem naturalem futuræ vitæ ; imo, nec proprjam félicita tem naturalem vitæ præsentis, quatemis ad sin^ulos homines, ut particulares personæ sunt, perlineie p>test ; sed ejus finem esse félicitaient naturalem communitatis humanæ perfectar, enjus curam gerit, et sintrulorum hominum ut sunt mentbra totius communitatis, ut in ea scil. pace et justilia vivant et cum sufficientia bonorum, quæ ad vitæ corporalis conservationem et commoclitatem spectant, et cum ea probitate morum, quæ ad liane externam pace m et felicitatem reipublicæ et convenientem humanæ naturae conservationem necessaiia est. Il iec est mens D. Thomae, I" II"*, q. xc, a. 2 cum q. xc.v, a. 1 et 4, q. xevi, a 2 et 3, et q. xcix, a. 3, in quibna docet et déclarât finem humanaium legum esse commune bonum civitatis, et i I lu tantum prohibere ac præciperc quæ huic fini consentanea sunt.

3, Cf. v. g., De re.’.'i’mine principum, I, 1 : « Cum autem horaini competat in multitu Une virere, quia sibi non sufficit ad necessaria vitæ « ï solitarius maneat, oportet quod tanto sit perfectior miilliludinis societas, quanto magis per se sufficiens erit ad nrcessaria vitae. Hahetur siquidem aliqua vitæ sufficientia in familia domus unius, quantum scil. ad natura es aotus nutritionis et prolis generandae et aliii hujusmodi ; in 11110 autem vico, quantum ad ea quæ ad unum artificiuin pertinent ; in civitale vero, quæ est perfecta contmunitas, quantum ad omnia neeettaria vitae. »

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autrement ilit, c’est seulement la féliché, la part île félicité qu’ils demeurent incapables d’acquérir soit par leurs propres forces,. « oit à i’aide de ces formes inférieures d’association, naturelles ou volontaires, qui précèdent, en droit comme en fait, l’Etat lui-même ; — c’est seulement donc la part de félicité temporelle que seule la société politique peut conséqueiuinent leur assurer ; car, il faut le redire, la société politique ne doit sa naissance et sa raison d’clre qu’à cette insuflisance même des individus et des sociétés intermédiaires.

Et c’est aussi tout ce qu’entendait Suarez, dans le texte précité, en se seivant des formules que le lecteur n’a pas été sans remarquer au passage. La fonction de la puissance civile en tant que législative, disait le célèbre théologien, n’est pas de pourvoirai ! bonheur naturel et temporel des individus comme individus, singulorum hominum, ni parliculares per sonæ sunt’ : ce qui appartient à l’Etat, c’est seulement de pourvoir à la félicité naturelle, pareillement, et temporelle de la Communauté humaine parfaite, dont il a la charge, et parlant des individus dont elle se compose, oui, à coup sûr, mais uniquement, cette fois, en qualité de membres d’une telle communauté, ut su/.t mem.br a talis communitatis. Cf. supra, n. 4.

5. Cette distinction est tout à fait capitale en l’espèce, et l’on en voit tout de suite la conséquence, extrêmement importante, elle aussi, à notre présent point de vue. Cette conséquence, c’est que, si l’Etat est fondé à réclamer et, au besoin, à imposer par la force le respect de toutes les mesures qu’il prend dans l’intérêt de l’ordre public, matériel ou moral, s’il peut exiger le concours de tous les associés en tout ce qui se rapporte au bien général, irréalisable parles seules ressources de l’initiative privée, individuelle ou collective, il n’a pus, il n’a plus le droit de se substituer A cette initiative privée, lorsque celle-ci se su/fit à elle-même, sur quelque champ au surplus qu’eiie déploie.

Mais non seulement ce serait, de la part de l’Etat, une usurpation criante, ce sérail aussi me contradiction flagrante : oui, il serait contradictoire à la propre nol ion de l’Etat, qu’institué par nature, exclusivement institué pour porter reine le à l’impuissance éveiii Uellè des individus et des sociétés inférieures, il prétendit les absorber dès le principe et, si j’ose dire, les tuer dans l’œuf. Car alors, lui do t. l’action se borne en pareil cas à compléter l’action des sociétés inférieures et des individus, il se trouverait n avoir plus rien du tout à compléter et se nier ainsi lui-même en tant que tel.

Et voilà, pour le dire en passant, la raison profonde, et en même temps très simple et irès claire, de cette loi de la science politique si souvent énoncée, qu’une centralisation excessive (e’est-à- iiie piécisément la tendance à absorber toute initiative prive dans l’Etat) est un des agents les plus efficaces de la dissolution sociale.

II. — Application de ces principes a la liberté d’enseignement.

i. Il est temps d’appliquer ces principes à la question de L’enseignement, des droits respectifs des particuliers et de l’Etat en matière d’enseignement. Ici encore, l’application se l’ail toute seule ; on peut même dire que c’est surtout en pareil cas qu’elle saute aux yeux : car, lorsqu’il s’agit de l’éducation

1. Et on en doit dire autant, nous l’avonH observé plusieurs foi » déjà, des groupement » l’indi » iHua inférieurs nu antérieur » à l’Elut même, ù commencer pur h » ilies.

des enfants, l’initiative privée se trouve être plus splendidement que jamais en possession, comme parlent les juristes, avant toute intervention possible des pouoirs publics.

C’est ici surtout que nous prions le lecteur d’être attentif, car c’est ici surtout que nous allons retrouver la famille, à laquelle on avait hâte d’en venir. Et l’on peut dire aussi qu’au point de vue auquel nous allons ainsi l’envisager, la question se pose dans des termes d’une merveilleuse simplicité, à telles enseignes qu’on se demanderait même comment l’hésitation a pu parfois se produire sur ce point, si l’on ne savait quelle prestigieuse puissance le sophisme habilement dissimulé et systématiquement entretenu finit par acquérir à la longue sur les meilleurs esprits.

Il s’agit, en somme, de savoir, et il ne s’agit que de savoir à qui incombe, de par la nature des choses, la mission d’assurer à l’enfant la formation intellectuelle et morale dont il a besoin. Poser la question, c’est la résoudre : le tuteur, l’éducateur, l’instituteur naturel de l’enfant, c’est le père et la mère de famille, et eux seuls. C’est à ceux qui lui ont donné la vie, et à eux seuls, qu’il appartient de lui procurer tout ce qui pour l’homme, créature intelligente et libre, capable de connaître le.vrai et de s’attacher au bien, fait la dignité, l’honneur et le prix de la vie. Il n’y a pas de subtilité de raisonnement, il n’y a pas de raffinement de dialectique, qui puisse tenir en face de celle vérité élémentaire et de cette évidence irrésistible.

Que les parents ne soient pas toujours, qu ils ne soient même pas souvent i n mesure de pourvoir par eux-mêmes à pareille lâche — au moins sur ton’e la lij ; ne, — nous en tombons d’accord : mais aussi bien ont-ils alors la ressource de s’adresser à d’autres, à des maîtres de leur choix, et de ce choix nous ajjirmons r/u’ils restent, naturellement parlant, les seuls juges, comme ils eu a&sument seuls, devant Dieu, louie la responsabilité.

Eo d’autres termes, le droit d’enseignement et d’éducation n’est autre chose, dans l’ordre naturel, te) que Dieu l’a établi, que le prolongement nécessaire et le corollaire indéclinable de cette sublime fonction qui s’appebe la paternité. Que dis je ? Mais c’est (dus qu’un droit, à ce conque, c’est avant toute chose un devoir, devoir essentiel, s’il en est, devoir impérieux par excellence — ou plutôt, ce n’est un droit que parce que c’est premièrement un devoir : or, si l’on peut, à l’occasion, aliéner un droit ou renoncer à un droit ou n’aller jusqu’au -bout de son droit, se soustraire à un devoir, rester en deçà de son devoir n’est jamais permis. Le droit demeura toujours chose infiniment respectable, à coup sûr ; mais quand il est l’autre face d’un devoir, il devient de ce chef doublement intangible et sacré.

a. La voilà, la vraie raison de l’inhabileté foncière de l’Etat comme tel à revendiquer l’enseigi emenj ou l’éducation comme une de ses attributions normales et l’une de ses prérogatives essentielles ! Le 1, pour nous en tenir toujours au seul ordre naturel, le vrai et inébranlable fondement des droits, et des droits exclusifs de la famille sur ce terrain ! L’initiative privée, disions nous tout à l’heure, est ici représentée avant toute chose par la famille, jnstemenl. Or la famdle est le fondement même de l’Etat, la véritable « cellule sociale », connue on a dit ; elle existe, avec tous ses droits el prérogatives, avant l’Etat ; elle est plus nécessaire que l’Etat, car enfin elle est une nécessité d’existence pour le fjenre humain, qui périrait sans elle, au lieu que la société poliliime ou l’Etal ne représente, après tout, qu’une i uéci ssite de développement pour le même genre hu1285

SCOLAIRB (QUESTION]

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main, qui, suis lui, végéterait tout simplement. Cf.

A. de Mahgerik, Le Comte Jos ph Je Maistre, p. 167.

Et loi-- ; , pie ie> familles, au tenue de leur évolution spontanée, se groupent ou > : 1 ; -^ >-.. l sous forme d’Etat, ce n’est pas pour y perdre leurs droits et leurs attributs essentiels, c’est, au contraire, pour y trouver la sauvegarda des premiers, et aussi de quoi compenser l’insullisauoe éventuelle des seconds. Donc, en matière d enseignement et d’éducation comme en toute autre matière, L’Etat ne peut que protéger et avantager l’initiative privée, e’est-à-ilire ici l’initiative familiale,.1 n’a pas le droit de la supplanter.

« Eu matière d’enseignement et d’éducation, comme

en toute autre matière », c’est même jdus qu’en toute autre matière, qu’il faudrait dire, puisque c’est surtout à cet égard que l’antériorité de la famille sur l’Etal re>plendit, en droit comme en fait, dans une lumière éclatante. Gomme si.1 ut / t -, ainsi qu’on en a souvent fait la remarque, ne venait pas d’auteur, et comme si les auteurs de l’enfant n’étaient pas, après Dieu, le père et la mère, et non pas, apparemment, l’Etat ! Comme si, d’autre pari, l’éducation, avec l’enseignement qui en est inséparable, n’était pas une formation directe de l’àme, comme si elle ne supposait pas dès lors sur l’àme de l’enfant une autorité immédiate, comme si elle ne répondait pas non plus avant touie cho.->e à un intérêt personnel ou privé de l’enfant et île la famille, et comme si, dans l’ordre de la seule nature, cette autorité immédiate sur l’àme de l’enfant, le pereeila nicre n’étaient pas seuls ici-bas à la posséder, connue si cet intérêt privé de la famille oude l’enfant même, ils n’avaient pas seuls qualité pour en décider I Comme si, enfin, l’Etat avait, à l’opposé, pouvoir et action dans un autre domaine que dans celui des choses extérieures, comme si l’Etat avait la garde et la gestion d’autre chose que des intérêts généraux ! Cf. Revue catholique des institutions et du drjit, t. XXV, p. 368.

III. — Réponse a nue objection courante.

1. Nous voyons bien l’objection qu’on pourrait ici nous a Iresser, elle n’a que trop cours : <t Mais la société n’est-elle pas justement intéressée, et au suprême degré, à ce que les enfants, c’est-à-dire les futurs citoyens, reçoivent, une benne éducation ? et l’Etat, organe du pouvoir social, n’est-il pas fondé par là même à prendre l’alfaire en mains’.' »

— Eli ! sans doute la société est grandement intéà la formation de ses membres, de ses futurs membres, mais c’est justement pourquoi l’Etat doit r agir en toute liberté, bien plus, favoriser de tout wn pouvoir l’initiative familiale, aussi longtemps qu’e le ne va pas à rencontre du bien commun dont il a la charge : et c’est celui-ci, c’est le bien commun lui-même qui l’exige. Car i° entre tous les éléments dort le bien commun résulte, l’un des plus essentiels se trouve précisément être la libre jouissance ou, si l’on préfère, l’exercice légitime des droits primordiaux que les individus (et les familles) tiennent de la nature même. Et 2 le bien commun requiert aussi le m 1 xiiiiiim cli ! rendement, si l’on peut dire, de toutes les énergies en jeudans la société : or, en matière d’éducation, l’intérêt privé de la famille(comme, par exemple, l’intérêt personnel de l’individu en matière de propriété) est, règle générale, le stimulant le plus énergique le l’effort à bien faire, en même temps que la garantie la plus sûre de sa réussite et de sa pérennité :

Leur intérêt i.ous ié ; ond Je leur zèle.

Aussi longtemps, donc, que l’initiative privée, en ce celle des pères et mères de famille, ne porte

aucune atteinte à l’ordre public ou à la prospérité commune — c’est une éventualité que nous envisagerons un peu plus loin, — l’Etat n’a, en toute rigueur, qu’une chose à faire…, qui est de la laisser faire. Et par conséquent, de la raison d’intérêt social mise en avant tout à l’heure, on ne peut conclure en aucune manière que l’enseignement soit, comme tel, une fonction publique, ou un pouvoir constitutif de l’Etat comme tel ; car elle ne change rien, absolument rien, cette raison d’intérêt social, aux principes très évidents que nous avons pris à tâche de mettre en lumière.

Une simple comparaison, au surplus. La société est également intéressée, profondément intéressée, à ce que ses membres se portent bien, à ce qu’ils ne succombent point, par exemple, à un empoisonnement : serait-ce un motif suffisant pour conlier à l’Etat comme qui dirait le service de l’alimentation nationale, ou même pour lui conférer un droit d inspection régulière et permanente sur les cuisines privées ? J’en appelle à toutes les maîtresses de maison.

: >.. Essayons de donnera cette dernière considération

une forme plus rigoureuse. Il y a deux choses, somme toute, à considérer dans l’éducation et dans l’enseignement : i° leur rapport au bien privé ou pi ticulier de l’enfant, dans lequel il s’agit de former l’/tomme (un homme capable d’atteindre sa vraie destinée terrestre et, par delà, sa fin éternelle) ; 2° leur rapport au bien public, en ce sens que ce futur homme est aussi un futur citoyen, qu il faut également préparer ou aider à devenir un membre utile de la société.

Or il est évident, de la dernière évidence, que la société ni le pouvoir social n’ont, règle générale et en principe, rien à voir dans l’éducation envisagée au premier point de vue : il sutlit de se reporter à noire démonstration antérieure, fondée tout entière sur cette vérité indiscutable, que l’Etat n’a pas à se préoccuper du bien privé, mais exclusivement du bien public.

C’est seulement à ce second point de vue que 1 intervention des pouvoirs publics peut paraître légitime. On dira, par exemple : « l’Etal a précisément droit et pouvoir sur tout ce qui est nécessaire au bien public ; or le bien public est dans un rapport très étroit avec l’éducation des enfants comme citoyens. Ergo. »

Distinguo majorent, car c’est avant tout la majeure de l’argument qui est ici fautive, à raison de l’équivoque ou de l’ambiguïté de ternies qu’elle enveloppe

— ou plutôt des équivoques et des ambiguïtés de termes qu’elle enveloppe, car il y en a plusieurs. Il y en a toujours deux pour le moins, l’une qui porte sur le droit ou le pouvoir conféré à l’Etat, l’autre qui se dissimule sous ces mots d’apparence inoffensive :

« tout ce qui intéresse le bien commun ». Expiiquons-nous.

i)Le droit de l’Etat, tout d’abord, peut être direct, immédiat, premier ou primaire, permanent, absolu, etc., et il peut être aussi occasionnel, transitoire, subsidiaire, secondaire, indirect, etc. Et 2) parmi les multiples choses qui « intéressent » le bien commun, il en est qui dépassent, de soi, par nature, en toute hypothèse et eu toute rencontre, la sphère d’action des initiatives privées ; et il en est aussi qui n’échappent à leurs [irises qu’en vertu de circonstances exceptionnelles, dans une In pothèse donnée, momentanément, aecid en tellement.

Or l’Etat n’a de droit et « le pouvoir direct, absolu, immédiat, premier, etc., que sur les choses de la première catégorie, c’est-à-dire, car on y est toujours ramené, c’est-à-dire en somme la protection de 1287

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l’ordre juridique et les diverses mesures propres à promouvoir positivement et directement la prospérité commune, etc., bref les éléments ou constitutifs proprement dits du bien commun lui-même, tel qu’il a été défini ci-dessus. Quanta la seconde catégorie, quant aux choses qui, tout en se rapportant de près ou de loin au bien commun, ne le constituent pourtant pas à la lettre, à titre d’élémenls proprement dits, parce qu’elles ne sortent pas, ordinairement parlant, du domaine des initiatives privées, l’Etat n’a sur elles qu’un droit indirect, subsidiaire, occasionnel, etc., c’est-à-dire, car on y est toujours ramené aussi, qu’il n’est fondé à s’y immiscer qu’an défaut éventuel des initiatives privées. Et nous maintenons avec énergie que tel est précisément le cas pour l’enseignement et l’éducation envisagés même dans leur rapport à l’intérêt social ou comme formation du futur citoyen : l’Etat, disons-nous, ne peut légitimement en assumer la charge que s’il n’a pas été pourvu à ce besoin de la société par une autre voie et d’une autre manière, par les organismes qui ont reçu de Dieu même le soin d’y pourvoir, — et L’on entend bien qu’il s’agit toujours en premier lieu des familles. Cf. V. Cathhkin, op. cit., p. ! t Sù.

Par où l’on voit ce qu’il faut penser de la formule aristotélicienne : « un citoyen ne s’appartient pas à lui-même, mais à la Cité, il doit donc être élevé pour elle et par elle. » Pol., viii, 5. — Un citoyen n’appartient à la Cité que dans la mesure de ses obligations envers elle (simple manière de parler, en somme, comme lorsqu’on dit qu’on n’appartient qu’à ses fonctions, à sa famille, à ses amis, etc.). Et pour apprendre à les remplir, iln’a pas besoin d’être directement élevé ou instruit par la Cité même ; à l’égal de ses autres obligations, c’est l’affaire et, de soi, l’affaire exclusive de ses tuteurs, éducateurs et instituteurs naturels, à savoir ses parents (ou ceux à qui ils en contient le soin).

Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, l’intervention légitime de l’Etat ne va pas, de soi, au delà du contrôle d ordre général ou de la stimulation discrète des initiatives privées que peuvent lui commander, ainsi qu’on va s’en rendre compte aus♦ sitôt, les exigences du bien commun qu’il lui incombe précisément d’assurer.

IV. — Vraies attributions de l’Etat.

i. Est-ce à dire, en effet, que nous prétendions contester à l’Etat la part d’autorité qui lui revient en matière scolaire ? A Dieu ne plaise 1 II n’est peut-être rien pour compromettre une cause excellente comme de la défendre par de mauvais arguments ; et parmi eux on doit compter en première ligne les exagérations : qui prouve trop, dit le proverbe, ne prouve rien. Voilà pourquoi, après avoir spécifié ce que n’est pas le droit de l’Etat, nous avons à cœur de définir maintenant et avant d’aller plus loin, ce qu’il est.

Ce qu’il faut accorder, donc, c’est i° que le pouvoir central a qualité pour exercer sur l’école une surveillance, un contrôle (voilà le vrai mot), mais entendons-nous, une surveillance, un contrôle d’ordre général, limité, circonscrit, délini, encore et toujours, par la nature même de la fonction gouvernementale. Gardien néde l’ordre public, l’Etatale droit, c’est trop clair — et lui aussi n’en a le droit que parcequ’ilena premièrement le devoir, — gardien né de l’ordre public, l’Etat a donc, de toute évidence, le droit de veiller à ce que rien ne soit enseigné aux enfants qui le mette vraiment en péril ; d’interdire toute doctrine qui irait à ébranler les bases mêmes de la société ; d’imposer par conséquent, le minimum, pour ne pas dire davantage, des vérités fon damentales — et en toute première ligne, n’ayons donc pas peur de le dire et de le proclamer bien haut, des vérités morales et religieuses, — sans lesquelles la société même ne peut subsister ; de fermer les écoles qui, en propageant des idées subversives, constitueraient un véritabledangernalional, etc.

Inutile d’ajouter que cette surveillance et ce contrôle doivent, au reste, s’exercer en toute justice et équité, sans tracasseries ni mesquineries d’aucune sorte, sans devenir jamais, aux mains des gouvernants, un pur « instrument de règne », entendez : sans servir jamais de prétexte aux intérêts de parti, ou à l’esprit de secte, — car alors on retoinberaitdans la même contradiction qui a été signalée pius haut, et qui consiste à prétendre faire de l’ordre avec du désordre, disons mieux : au lieu d’ordre, et sous couleur d’ordre, c’est du désordre, et le pire désordre, que ferait alors l’Etat, par la violation continuelle de droits imprescriptibles qu’il a pour première mission de protéger.

Dieu merci, nous sommes à l’aise, nous autres catholiques, pour tenir ce langage. Et, si les conditions qu’on vient de dire étaient toujours remplies, ce n’est pas nous, certes, qui aurions jamais rien à craindre de ce côté ! A l’heure présente surtout, il y aurait même une sorte d’indiscrétion à insister autrement.

2. Ce que l’on vient de dire vise d’emblée le premier aspect de la fonction gouvernementale (sauvegarde des droits naturels, équilibre des libertés, maintien de l’ordre). Considérons à présent, et toujours par rapport à l’école, le second aspect de cette fonction gouvernementale et le second élément du bien commun : il s’agit désormais, le lecteur s’en souvient, d’avantager positivement l’initiative privée, de la favoriser de diverses manières, de lui venir en aide, de compléter au besoin son action, et même, si elle venait à se faire totalement défaut à elle même, de la remplacer pour tout de bon. Tout autant de titres auxquels l’Elat, c’est trop clair encore, sera fondé en droit à intervenir, dans les limites et sous les réserves qu’on va détailler.

L’Etat est tenu de favoriser ou d’aider l’initiative privée : il est donc dans son rôle d’encourager les lettres et les sciences, d’honorer ceux qui s’y sont fait un nom, de doter les instituts ou les sociétés savantes, de fonder des bibliothèques ou des cliniques, de rassembler des collections ou de créer des musées de diverses sortes, de subventionner les expéditions ou publications scientifiques, que sais-je encore ? bref, d’apporter un concours actif, éclairé, impartial, à toute œuvre ou entreprise qui intéresse le progrès des connaissances — ou même de promouvoir directement ces iruvres ou ces entreprises 1.

Il peut aussi, de ce chef, ouvrir des écoles pour son compte, notamment des écoles populaires, mais à la double condition : i° d’offrir, lui aussi, car il n’en est pas plus dispensé que les autres, les garanties de capacité et de moralité exigées par le droit naturel de quiconque aspire à l’honneur d’enseigner !

— parlonsplus exactement, (à la condition) de s’assurer que les maîtres qui enseignent en son nom satisfont à ces exigences ; a° et surtout de proposer simplement ces écoles, sans les i/nposer" 2.

1. En matière d’impôts, v. g., l’équité la plus élémentaire n’exigerait-elle pas qu’on fit à l’enseignement libre un traitement de faveur ? Nous parlons même, iii, hypothèse, car en thèse absolue ce ne serait qu’un « traitetement de justice ».

2. Nous n’avons pas à traiter présentement de l’obligation scoluire, ou plutôt de l’instruction obligatoire. Mais en admettant même à cet égard la thèse affirmative, il reste que, de toute manière, les familles conserveraient 1289

SCOLAIKE (QUESTION)

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3. Xous irons même plus loin ; car il y a, en pareille matière, un point de vue auquel il semble qu’on ne se place pas assez souvent. Une des obligations essentielles de l’Etat, c’est aussi d’administrer avec sagesse les finances nationales ; pas plus qu'à un particulier, il ne lui est permis de faire des dettes — d’où nous concluons aussitôt que, si l’initiative privé* a résolu pour sa partie problème scolaire, c’est, de la part de l’Elat, folie autant qu’injustice de prétendre le résoudre de nouveau. L'économie politique et la loi naturelle se donnent ici la main pour le lui interdire, pour lui défendre, si l’on aime mieux, d’enfoncer tout d’abord une porte.ouverte, puis, ce qui est bien plus grave, de violer des droits auxquels il n’a pas, lui, le droit de toucher, qu’il a au contraire le devoir de respecter, et de faire respecter. Sur ce point encore, on nous dispensera de nous appesantir. Nous demanderons seulement, tant que nous y sommes, à placer ici une simple réflexion.

Le moyen le plus efficace de concilier ces deux sortes d’exigences, celles du droit naturel, c’est-à-dire du droit familial, et en même temps celles du trésor public, ne serait-ce pas que l’Etat se dessaisit, au moins en ce qui concerne l’enseignement primaire ( « officiel », bien entendu), de toutes autres attributions ou prérogatives que celles, d’ordre très général, dont nous avons parlé tout à l’heure et qui se rapportent plutôt à sa fonction de police, pour s’en remettre au zèle des administrations communales — sauf à le stimuler discrètement, et de loin ? Les administrations communales, en tout cas, sont bien mieux placées pour se rendre un compte exact des besoins de la population, dont elles émanent directement, et d’autre part, et par là même, pour satisfaire aux vœux des familles et ménager entre cellesci et l'école le contact immédiat et permanent qui garantirait plus sûrement leurs droits. Tels ou tels politiciens d’Italie réclamaient à grand cri, il y a une quinzaine d’années, ce qu’ils appelaient Vavocazione, traduisez qu’ils voulaient que la réglementation et la gestion des écoles publiques fussent transférées des communes, qui en disposaient encore, à l’Etat. Eh bien I instruits, nous, par une trop longue expérience, nous demanderions plutôt, à l’inverse, qu’elles fussent transférées de l’Etat aux communes. Encore un coup, est-ce que, à tout point de vue, ce ne serait pas tout profit ?

Il ne s’agissait, dans cet exemple, que de l’enseignement primaire. Maison pourrait en dire autant de l’enseignement secondaire, après tout, et même supérieur, à la condition de faire intervenir, de concert avec les administrations communales, les administrations provinciales, enfin restaurées et réintégrées en leurs prérogatives naturelles et légitimes. Il y a là, semble-t-il, un magnifique plan de décentralisation, qui vaudrait d'être étudié de plus près, et dont la réalisation ferait singulièrement les affaires de la vraie et saine liberté Car si cette observation ne concerne que les écoles organisées par les pouvoirs publics, il faut convenir qu’un enseignement ainsi décentralisé serait déjà beaucoup moins loin de redevenir un enseignement libre.

I. L’Etat a secondement pour mission, disionsnous aussi, de suppléer, à l’insuffisance des initiatives privées. Lors donc que des parents négligent obstinément, en dépit de tous les rappels à l’ordre,

la pleine liberté de remplir cette obligation légale comme elles le jugeraient à propos, dans 1 » sens expliqué ci-des us ; § 11, n° 1. — Sur ce point particulier, cf. A. Michel, La yuctlion scolaire et les principes théotogiqurs (Lille, 'li-clée, 1921), p. 49 » q., et, clans ce Dictionnaire, V Instruction de la jeunette (t. II, col. 928).

leurs devoirs en matière d’enseignement et d'éducation ; ou lorsqu’ils sont notoirement incapables de les remplir (lorsque ce sont des parents indignes) ; ou lorsqu’il s’agit d’orphelins, et que toute autre intervention privée se trouve momentanément faire défaut, bref, lorsqu’on a affaire à des enfants tout de bon abandonnés, effectivement ou moralement, qui deviendraient, s’il n’y est pourvu, une charge et tout ensemble un danger pour la société, l’Elat a, là encore, c’est trop clair toujours, son mot à dire

— on voit que notre doctrine se suit avec la plus rigoureuse cohérence —. Il saute au yeux, en effet, qu’en intervenant alors lui-même, au nom de l’intérêt social (ou du bien commun), l’Etat ne commettrait aucune usurpation, puisque, par hypothèse, il n’y aurait alors personne sur qui il usurpât ; et l’on ne pourrait plus l’accuser de se substituer indûment à une initiative particulière qui, par hypothèse, serait absente.

Encore faudrait-il pourtant, redisons-le, c’est nécessaire, encore faudrait-il qu’absente, elle le fût au pied de la lettre, et que la preuve en fût faite pour chaque « espèce » déterminée. N’ayons garde non plus d’oublier que ce sont là des cas exceptionnels, qu’une théorie générale peut bien prévoir, qu’elle doit même prévoir pour les faire rentrer malgré tout dans la règle commune — et, si nous ne nous faisons illusion, noire théorie n’y manque pas,

— mais sur lesquels il serait déraisonnable de construire, de s’attacher à construire, une théorie générale.

Plus que jamais nous avons le droit de conclure qu'à mesure qu’on examine le problème et qu’on le retourne sous ses diverses faces, on se pénètre de plus en plus de cette conviction : la liberté d’enseignement n’est pas du tout, comme nous le disions en commençant, une concession que l’Etat nous fait, elle n’est ni plus ni moins qu’une de ci s libertés naturelles qui préexistent à l’organisation politique, dont l’Etat peut bien sans doute contrôler l’exercice diins les limites des exigences de l’ordre social, mais dont, en principe, lorsque cette organisation politique est ce qu’elle doit être, l’Etat a pour rôle primordial de garantir la jouissance à ceux qui la possèdent et qui, pour en user, n’ont que faire, tranchons le mot, de sa permission.

V. — Point de vue surnaturel. Le droit des parents chrétiens.

i. Jusqu'à présent nous n’avons considéré les droits respectifs de l’Etat et de la famille sur le terrain de l'éducation et de l’enseignement qu’en fonction du droit naturel. Nous avons pu nous rendre compte, en résumé, que le droit d’enseigner est, pour ainsi parler, né avec la famille elle-même, qui peut bien le déléguer, mais qui ne peut jamais s’en dessaisir, au profit de quelque puissance humaine que ce soit ; qu’il est tout uniment un attribut inaliénable et une dérivation nécessaire de l’autorité familiale, c’est-à-dire de l’autorité du père et de la mère. Mais ce n’est pas tout. Au-dessus de la paternité et de la maternité temporelle, toute orientée, de soi, vers les besoins de la vie présente, il en est une autre, incomparablement plus haute, parce qu’elle a pour champ d’action les intérêts de la vie future —, nous entendons la paternité, la maternité spirituelle et surnaturelle dont l’Eglise est investie de par Dieu sur toutes les âmes rachetées dans le sang deN.-S. J.-C.

Faut-il ajouter qu’ici plus que jamais le pouvoir civil rencontre une limite infranchissable à ses pré tentions et à ses empiétements ? Car enfin, ce pouvoir d’enseignement qui fait défaut à l’Etat comme 1291

SÉMITIQUES LES RELIGIONS)

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tel même dans l’ordre des connaissances purement humaines, l’Eglise, elle, l’a précisément reçu de son divin Fondateur, en tout ce qui se rapporte à la vérité révélée, avec toutes les applications pratiques que celle-ci entraîne, pour employer la formule consacrée des théologiens, « en tout ce qui touche la foi et les mœurs » '. Et il n’est point de pnissanee.au monde, connue chacun sait, qui enchaînera jamais sur les lèvres cetie parole de vie.

Ce serait sans doute abuser de l’attention du lecteur que de reprendre cette seconde thèse dans toute son ampleur doctrinale. Qu’il nous permette de ne la considérer pour le moment que sous un angle spécial, celui-là même que commande notre sujet, en montrant, d’un mot, l’appui nouveau, et combien plus solide encore, si l’on peut dire, qu’elle apporte aux droits des pères et mères de famille, en face des envahissements toujours à craindre — et plût au ciel qu’ils lussent seulement à craindre ! — du côté des pouvoirs politiques.

Nous avons eu occasion de le signaler, ce qui rend ces droits particulièrement inviolables, c’est qu’ils sont chez les parents mêmes l’autre aspect et comme la bienheureuse contrepartie, la compensation providentielle des obligations, des lourdes obligations qui leur incombent en qualité de chefs d’une famille. Or, dans l’ordre surnaturel où il a plu à la libéralité inlinie de Dieu de nous appeler, la première de toutes ces obligations est de faire de leur.s enfants des chrétiens et de les élever pour le ciel. En les présentant nu baptême, ils ont solennellement reconnu le droit de Jésus-Christ sur eux, avec cette maternité de l'Église dont il vient d'être question. Et il ont pris du même coup l’engagement formel, engagement irrévocable, engagement sacré à tous les titres, de se conformer à ses prescriptions et à ses directions en tout ce qui intéresse leur avenir éternel. Cf. M. Liheratoke, L’Eglise et VEtat dans leurs rapports mutuels, pp. 436, sq. de la trad. fr. (Paris, Société gén. de lihr.cath., 1877).

On vient de parler du baptême : tnais c’est plus haut encore qu’il faut remonter, jusqu’au mariage, lequel pour les chrétiens n’existe qu’avec le sacrement et par le sacrement. En instituant celui-ci, Jésus-Christ a pris possession de la famille ; il a, d’uno certaine manière, fait des époux dont i ! sanctifie l’union, ses propres ministres et les auxiliaires de l’Eglise à l'égard de leurs enfants. Voilà pourquoi, lorsqu’ils les présentent au baptême, les parents les reçoivent de l'Église avec la charge de pourvoir, sous le contrôle de l'Église même, à leur éducation chrétienne. Et ainsi cetteéducation surnaturelle elle-même, qui appartient premièrement à l’Eglise, appartient-elle aussi aux parents, à litre secondaire sans doute, mais pourtant essentiel ; à titre secondaire, puisque ce n’est qu’une extension les droits et devoirs de l’Eglise et comme une délégation de celle-ci ; à titre essentiel pourtant, attendu que cette participation à l’autorité de l'Église résulte de la constitution même de la famille chrétienne, fondée encore une fois, sur le sacrement de mariage 2.

Mais ne l’oublions pas, si par là même les devoirs des parents chrétiens sont devenus plus étendus et plus impérieux, leurs droits se sont, en revanche, affermis et amplifiés dans la même mesure. Moins

1. Entendant d’ailleurs cel’e formule dans son sens le plus comprélicnsif, c’est-à-dire v inclus le droit de contrôle sur les connaissances naturelles qui s’y rapportent n leur loin-, et pour autant qu’elles s’y rapportent, etc.

'I. H’iiprès uno conférence inédi’e de M. le professeur Quii.i.ipt (S. G. Mgr l'Évêque de Lille) a. la Faculté catholique de droit, mars 1888.

que jamais, en effet, quand Dieu et l’Eglise se mettent ainsi de moitié avec eux dans les prérogatives qu’ils tiennent de leurs augustes fonctions de père et de mère, il n’appartient à personne ici-bas d’y porter aucune atteinte. Et par là-même, lorsqu’ils disputent l'âme de leurs enfants aux entreprises d’un pouvoir sectaire, c’es l'Église, c’est Dieu même qui, dans ce combat acharné, interpose en leur laveur son autorité souveraine : ce n’est plus seulement leur droit proprement dit qu’ils défendent, c’est le droit même de Dieu et de son Église, c’est le droit de Dieu et de son Église en eux, c’est le droit de Dieu sur eux et sur les chères âmes dont Dieu et son Eglise leur ont confié le dépôt doublement sacré. Quelle noble et sainte fierté, quel courage invincible la conviction de cette vérité capitale peut leur mettre au cœur, c’est ce qui se comprend de soi.

Conclusion. — S’il paraissait à l’un ou à l’autre que la part fût laissée trop large dans cette étude à la théorie pure et aux principes absolus, nous répondrions qu’aune époque qui nous fait des transactions et des accommodements une dure nécessité on ne saurait affirmer la vérité avec assez (l’intransigeance. Hélas ! il en faudra toujours, en pratique, trop rabattre et trop céder après coup. Et de l’affirmer avec intransigeance, n’est sans doute pas l’un des moyens les moins ellicaces d’en rabattre et d’en céder le moins possible.

En écrivant ces dernières lignes, nous pensons en particulier à l’admiiable jeunesse qui se dépense avec tant d’ardeur dans nos œuvres de combat et de propagande. Est-ce nous flatter, que d’espérer qu’elle trouvera dans les pages qui précèdent de quoi se documenter solidement sur l’une des ques tions vitales de l’heure présente ?

Qu’elle ne néglige aucune occasion, en tout cas, de redire un peu partout ces vérités salutaires, assurée au surplus de rencontrer au fond des cœurs le plus fidèle écho. Ce n’est pas pour rien que quinze siècles de christianisme ont passé sur l'âme française : on a beau s’ingénier et s’efforcer, de haut en bas comme de bas en haut, on ne réussira jamais à les effacer de notre histoire. Et, Dieu merci, il en reste encore quelque chose, il en reste même beaucoup. A nous de savoir en profiler, à nous de faire vibrer cette vieille fibre chrétienne et catholique qu’on n’arrachera jamais, redisons-le, du cœur de la France, fille aînée de l'Église, baptisée à Reims.

Souvenons-nous toujours du célèbre mot de Montalembert, il résume tout l’esprit de ce travail, sinon, d’une manière, ce travail lui-même : « Dieu et notre droit. »

H. Dkiiovk.