Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Schisme d'Occident

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 620-627).

SCHISME D’OCCIDENT. — A la lin du xiv «  siècle et au commencement du iv', l’Eglise a été éprouvée par une funeste scission ; elle s’est divisée en deux ou même en trois obédiences, et chacune d’elles reconnaissait un pape particulier.

L’existence, le caractère, les péripéties, la fin de ce déplorable événement, les questions canoniques et théologiqnes qu’il soulève ont toujours crée de sérieuses difficultés aux historiens de l’Eglise et aux apologistes chrétiens. D’autre part, les adversaires de notre foi ont souvent abusé de ces faits pour essayer d'ébranler nos croyances catholiques et pour attaquer, en particulier, cetle note d’unité qui distingue la véritable Eglise.

Nous nous proposons de mettre sous les yeux de nos lecteurs, d’abord un mémento, historique et 1229

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théologique à la fois, des événements accomplis, ensuite un résumé de ce qu’en ont pensé les tidèles et les théologiens du moyen âge, et enfin les déductions qu’en tirent les modernes défenseurs de l’Eglise.

I. Les faite. — Le pape Grégoire XI avaitquitté Avignon pour revenir en Italie et avait rétabli le siège pontifical dans la Ville Éternelle. Le 37 mars

« 378, il y rendait le dernier soupir. Immédiatement

on se préoccupa du choix de son successeur. La question était des plus graves. Cardinaux, prêtres, nobles, et tout les Romains y étaient intéressés, car de l’élection qu’allait faire le conclave dépendait le séjour du futur pape à Rome ou en Avignon. Depuis le commencement du siècle, les pontifes avaient fixé leur résidence au delà des Alpes : les Romains, lésés si longtemps dans leurs intérètsetdans leurs prétentions, voulaient un pape romain ou tout au moins italien. Le nom de Barthélémy Prignano, archevêque de Bari, fut prononcé dès ïe premier moment. Ce prélat avait été vice-chancelier de l’Eglise romaine. On le considérait comme ennemi du vice, de la simonie et du faste : il était de mœurs exemplaires et d’une intégrité rigide ; aux yeux de tous, il était regardé comme papable.

Les seize cardinaux présents dans ! a capitale se réunirent en conclave le 7 avril, et, dès le lendemain, ils choisirent Prignano. Pendant les quelques heures que dura l’élection, un certain trouble avait régné dans la ville. La population de Rome et des environs, turbulente et facilement inflammable par nature, avait, sous l’empire des circonstances, manifesté très bruyamment ses préférences et ses antipathies, s’était livrée à des excès et avait essayé de peser sur la décision des cardinaux. Ces faits, regrettables en eux-mêmes, avaient-ils suffi pour faire perdre aux membres du conclave la liberté d’esprit nécessaire et pour empêcher l’élection d’être valable ? Telle est la question qu’on se pose depuis la fin du xive siècle. De la solution que l’on donne, dépend l’opinion que l’on adopte sur la légitimité des pontifes de Rome ou d’Avignon.

Il semble bien pourtant que les cardinaux prirent alors toutes les précautions pour répondre à des doutes toujours possibles. Le soir de ce même jour, treize d’entre eux procèdent à une nouvelle élection, ils choisissent à nouveau l’archevêque de Bari avec l’intention formellement exprimée d’en faire un pape’légitime. Pendant les jours suivants, tous les membres du Sacré-Collège présentent leurs respeciueux hommages au nouveau pontife qui avait pris le nom d’Urbain VI, et lui demandent mille faveurs. Ils l’intronisent d’abord dam le palais du Vatican, puis à Saint-Jean-de-Latran ; enfin, le 18 avril, ils le couronnent solennellement à Saint-Pierre.

Dès le lendemain, le Sacré-Collège notifie officiellement l’avènement d’Urbain aux six cardinaux français restés en Avignon ; ceux-ci reconnaissent et félicitent l’élu de leurs collègues. Les cardinaux romains écrivent ensuite au chef de l’Empire et aux autres souverains catholiques. Le cardinal Robert de Genève, le futur Clément VII d’Avignon, envoie une lettre dans le même sens au roi de France, son parent, et au comte de Flandre. L’Aragonais Pierre de Lune, le futur Benoit XIII, écrit de même à plu sieurs évêques d’Espagne.

Donc, jusqu’ici, il ne se produit au sujet du choix de Barthélémy Prignano aucune objection, aucun mécontentement ; nulle protestation, nulle hésitation, nulle crainte manifestée pour l’avenir.

Malheureusement, le pape Urbain ne réalisa point les espérances que son élection avait fait naître. Il se montra fantasque, hautain, soupçonneux et par fois colère dans ses rapports avec les cardinaux qui l’avaient élu. Des faits trop prouves de brusquerie, des extravagances blâmables sembleraient démontrer que son élévation inattendue avait modifié son caractère. Sainte Catherine de Sienne, avec un surnaturel courage, n’hésita point à lui en faire des observations très motivées. Elle ne tremblera pas davantage d’ailleurs lorsqu’il s’agira de blâmer la ligne de conduite des cardinaux, révoltés contre le pontife qu’ils avaient précédemmtn t élu. Certains historiens nous apprennent en outre que le pape Urbain attaqua ouvertement les écarts, vrais ou supposés, des membres du Sacré-Collège, et se refusa énergiquement à replacer en Avignon le siège du pontificat. Inde irae, ajoutent-ils.

Quoi qu’il en soit, tous ces dissentiments fâcheux, survenus postérieurement à l’élection, ne sauraient en bonne logique infirmer la validité du choix l’ait le 8 avril. Les cardinaux ont élu Prignano dans la errinte peut-être, mais non par l’effet de la crainte. Or, la théologie morales’unit au bon sens pour proclamer que, quand un homme fait sous 1 influence d’une certaine peur ce qu’il serait tenu de faire par raison et par justice, son acte est valide. Urbain était pape avantses torts ; il l’était encore après ses torts. Est-ce que les passions d’Henri IV et les vices de Louis XV empêchent ces souverains d’avoir été et de demeurer la véritable descendance de saint Louis et les rois légitimes de France ?

Par malheur, tel ne fut pas, en 1878, le raisonnement des cardinaux romains. Leur mécontentement allait croissant : sous prétexte d’échapper aux chaleurs malsaines de Rome, ils se retirent en mai à Anagni, puis en juillet à Fondi, sous la protection de Jeanne, reine de Naples, et des deux cents lances gasconnes de Bernardon de la Salle. C’est alorsqu’ils commencent une campagne sourde contre leur élu d’avril et qu’ils préparent les esprits à apprendre la nouvelle d’une seconde élection. Le ao septembre, treize membres du Sacré-Collège brusquent les événements, entrent en conclave à Fondi, et choisissent comme pape Robert de Genève, qui prend le nom de Clément VII. Quelques mois plus tard, le nouveau pontife, chassé du royaume de Naples, s’établit en Avignon : le schisme est consommé.

Clément VII est apparenté ou allié aux principales familles royales d’Europe ; il est influent, intelligent, habile politique. La chrétienté se divise très vite en deux parties à peu près égales. Partout les âmes fidèles se posent cet anxieux problème : Où est le vrai pape ?

Les saints eux-mêmes sont divisés. Sainte Catherine de Sienne, sainte Catherine de Suède, le bienheureux Pierre d’Aragon, la bienheureuse Ursuline de Parme, Philippe d’Alençon, Gérard de Groote sont dans le camp d’Urbain. Saini Vincent Ferrier, le bienheureux Pierre de Luxembourg, sainte Colette appartiennent au parti de Clément. Les docteurs en droit les plus fameux du siècle sont consultés et la plupart se décident pour Rome. Les théologiens sont partagés : les Allemands, comme Henri delles-se et Conrad de Gelnhausen penchent pour Urbain ; Pierre d’Ailly, Philippe de Maizières, son ami, Jean Gerson et Nicolas de Clémangis, ses élèves, et, avec eux, toute l’école de Paris défendent les intérêts de Clément. Le conflit des passions rivales, la nouveauté de la situation rendaient lentenle difficile et l’unanimité impossible. Les savants épousaient, en général, les opinions de leur pays.

Les puissances prennent position. La plus grande partie des étals italiens et allemands, l’Angleterre, la Flandre sont du parti du pape de Rome. Au con1231

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traire, la France, l’Espagne, l’Ecosse et tontes les nations qui s’agitent dans l’orbite de la France, tiennent pour le pontife d’Avignon. Malheureusement les deux papes rivaux s’arment l’un contre l’autre de l’excommunication ; ils créent de nombreux cardinaux pour remplacer ceux qui ont fait défection, et ils les envoient partout pour défendre leur cause, répandre leur influence et se faire de nouveaux adeptes.

Les théologiens, les canonistes, les politiques proposent trois moyens principaux, trois voies, pour arriver à la paix religieuse. Les uns sont partisans d’un compromis qui consisterait à confier à des arbitres choisis lesoin déterminer ce grand débat. D’autros voudraientque le monde chrétien, par labouche de ses représentants les plus autorisés, engageât ou forçât les deux concurrents à la cession de leur siège, pour qu’on pût élire un pape qui serait, dans l’hypothèse, reconnu par tous D’autresenlin étaient d’avis qu on réunît un concile œcitm en ique composé des prélats des deux obédiences, et que cette assemblée solennelle efit pour but principal de mettre un au schisme. C’estle grand moyen qui sera essayé vainement à Pise (i 40g) et qui réussira enfin à Constance

(1414-1418).

Pendant que ces graves et ardentes discussions se poursuivaient un peu partout, à Rome Boniface IX avait succédé à Urbain VI.etBenoit XIII avait été élu pape à la mort de Clément d’Avignon. « Il y a deux maîtres en la nef qui continuent à escrimer ensemble et à s’entre-impugner », disait le très original Jean Petit au conciledeParis(1406)(Cf. Valois, l.a France et le grand Schisme, III, p. lï><j).

Plusieurs assemblées ecclésiastiques se réunirent en France et ailleurs sans résultat déûnitif. Le mal se perpétuait sans remède et sans trêve. Le roi de France et ses oncles commençaient à se lasser de soutenir en Avignon un pape qui n’agissait qu’à sa guise et qui faisait échouer tour à tour tous les projets d’union. De plus, les exactions du pape d’Avignon et les rigueurs fiscales de ses employés pesaient lourdement sur les évêques, les abbés et le menu clergé de France. Charles VI imposa à son peuple la soustraction d’obédience (1398), et défendit à tous ses sujets de rester soumis à Benoît, s’ils ne voulaient encourir des peines exemplaires. Toute bulle ou lettre du pape devait être envoyée au roi. On ne tiendrait nul compte des grâces octroyées par le pape ; toute dispense serait à l’avenir demandée aux ordinaires.

Donc, c’était un schisme dans un schisme, c’était une loi de séparation ; le chancelier de France, qui était déjà vice-roi durant la maladie de Charles VI, devenait par là même vice-pape. Non sans la connivence des pouvoirs publics, Geoffroy Boucicaut mit le siège devant Avignon, puis un blocus assez rigoureux priva le pontife de toute communication avec ceux qui lui étaient restés fidèles. Rendu libre en 1403, Benoît n’en devint pas plus conciliant dans ses procédés ni moins opiniâtre dans ses prétentions.

Un nouveau synode particulier, rassemblé à Paris en 1/106, ne réussit qu’à moitié, Déjà Innocent VII avait succédé à Boniface de Rome, et, fiientôl après, Innocent lui-même, après deux ans de règne, avait été remplacé par Grégoire XII. Ce dernier, bien que modéré de caractère, ne se hâtait guère de réaliser les belles espérances que la chrétienté, fatiguée outre mesure de ces divisions interminables, avait placées en sa bonne volonté et en son dévouement à l’Eglise.

De guerre lasse, les cardinaux des deux obédiences abandonnent enfin leur pape respectif et se

réunissent à Pise. Après s’être efforcés vainement de convaincre Grégoire et Benoît d’hérésie, ils les déposent et choisissent un nouveau pontife, qui prend le nom d’Alexandre V (i/Jog). « Le mal augmenta, dit Bossubt. Au lien de deux papes on en fit trois, et ainsi la chrétienté fut divisée en trois partis, avec une aigreur plus grande qu’auparavant » (Histoire de France, X).

Alexandre V meurt bientôt et Jean XXIII lui succède. Sigismond, roi des Romains, prend alors l’initiative de convoquer un nouveau concile à Constance. Cinq patriarches, vingt-neuf cardinaux, trente-trois archevêques et plus de cent cinquante évêques, cent abbés et trois cents docteurs s’y trouvèrent bientôt réunis (14’4). Après bien des pourparlers, des projets, des discussions parfois violentes’, des péripéties de tout genre, le concile dépose Jean XXIII, reçoit l’abdication de Grégoire XII, et destitue enfin l’opiniâtre Benoit XIII. Le n novembre 14’7, l’assemblée élit pape Odon Colonna, qui prend le nom de Martin V. « Observa- ; in Juanne XXIII miserabile spectaculum t in Gregorio XII mirabile factum, in Benedicto XIII lacrymabile exemplum et in electv papa admirabile negotium » (Texte du protestant Von dbr Hardt, Berum Conc. oeciiin. Constant., t. IV, col. 1.587. Il a été relevé récemment par Truttmann, Bas Konclave auf dem Konzil zu Konstanz, p. 98).

Ainsi prit lin le grand schisme d’Occident.

IL La discussion au Moyen âge. — On conclura facilement de ce rapide exposé que le schisme d’Occident est unique en son espèce, qu’il est sui generis et qu’il restera tel dans l’histoire. C’est un schisme improprement dit ; c’est un déplorable malentendu, un imbroglio historique qui dure quarante ans. Le grand schisme d’Orient, celui de Photius et de Michel Cérulaire, inclut une désobéissance, une rébellion formelle vis-à-vis du Pape. Alors, ouvertement et outrageusement, les Byzantins se sont révoltas contre l’autorité de Jean VIII et saint Léon IX. Leur patriarche, devenu pape de Constantinoplc, put dire du pontife de Rome :

Je ceignis la tiare et marchai son égal.

En Occident, ou contraire, nulle révolte contre l’autorité papale en général, nul mépris pour le pouvoir souverain dont Saint Pierre fut le représentant. La foi en l’unité nécessaire n’a fléchi nulle part ; nul ne veut propria sponie et intentione (S. Thomas. Summa theol., ll a II aR, q. xxxix, ai) se séparer du chef de l’Eglise. Or, cette intention est seule la marque spéciale et caractéristique de l’esprit schismatique. Tous désirent au contraire que l’unité, matériellement voilée et momentanément compromise, brille bientôt d’un nouvel éclat à tous les yeux.

Pour nous en convaincre, examinons ce qu’ont pensé à ce sujet les théologiens, les canonistes, les princes, les fidèles du xiv* siècle. Recberchei : t-ils l’unité ? Proposent-ils ou emploient-ils pour y arriver toutes sortes de moyens plus ou moins efficaces ? Ils sentent si bien et proclament si haut que ce caractère est essentiellement nécessaire à la vraie Eglise de Jésus-Christ, qu’à Constance ils feront passer le souci de l’union avant celui, pourtant urgent, de la réforme. Jamais on n’avait tant apprécié le bienfait de l’unité que depuis qu’on l’avait perdue, que l’Eglise était devenue bicéphale on tricéphale, et

1. Nous avons exposé ailleurs ce que nous pensons, au point do vue théologique do l’autorité et de l’œcuménicité des conciles de Pise et de Constance. Cf. Le grand Schisme, pp. 367 et 306, 4’édit. I906. 1233

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qu’on semblait n’avoir plus de chef précisément parce qu’on en avait trop.

C’est qu’en effet cette première note de la véritable Eglise consiste surtout dans l’unité du chef, qui doit être le gardien divin de l’unité de foi et de l’unité de culte. Or, en pratique, il n’y avait pas alors erreur volontaire sur la nécessité de ce caractère de la vraie Eglise ; encore moins y avait-il révolte coupable contre le chef connu. Il y avait simplement ignorance, et ignorance invincible chez la plupart, sur la personne du pape véritable, sur celui qui était à cette époque le dépositaire attitré et visible des promesses du chef invisible Habemus tmionem finis scilicet quærendi pacem, Ucet sit varietas in mediis, scilicet in vus ad unitatem, dit P. d’AiL-LY en 13y6. Cf. Ehrlb, Martin de Alpartils, Clirontca aclitatorum temporibusD- BenedîctiXHl, 1906, pp. 4 76 et (86.

Comment, en effet, dissiper cette ignorance ? Les seuls témoins des faits, les auteurs de la double élection, sont identiquement les mêmes personnages. Les cardinaux de 1 3~8 ont eu des opinions successives ; ils ont tour à tour témoigné pour Urbain, premier pape élu, puis pour Clément d’Avignon. A qui croire ? Aux membres du Sacré-Collège, choisissant et écrivant en avril, ou aux mêmes cardinaux parlant et agissant contradictoirement en septembre ? A Fondi est le point initial de la division ; c’est là aussi qu’il faut chercher les lourdes fautes et les écrasantes responsabilités.

Les évoques, les princes, les théologiens et les canonistes sont demeurés dans une perplexité dont ils n’ont pu sortir, par suite des témoignages peu concordants, peu désintéressés et parfois peu sincères des cardinaux. Dès lors, comment le peuple fidèle aurait-il pu sortir d’incertitude et se former une opinion moralement sûre ? Il s’en est rapporté à ses chefs naturels qui, ne sachant exactement à quoi s’en tenir, suivaient leurs intérêts ou leurs passions et s’attachaient à des vraisemblances. Terrible et angoissant problème, qui s’est posé pendant près de quarante ans et qui a tourmenté deux générations de chrétiens ! Schismeau cours duquel nul n’a d’intention schismatique ! J’en excepte peut-être quelques personnages très haut placés qui auraient dû faire passer les intérêts de l’Eglise avant leurs convenances particulières. Je fais aussi abstraction de quelques docteurs de l’époque, dont les opinions extraordinaires montrent bien quel était, au moment de la scission, le désarroi général des esprits. Certaines thèses extravagantes, qui semblaient jusque-là n’être que des exercices abstraits de l’école, se concrétisent, s’actualisent dans des propositions outrées, et se soutiennent avec ardeur, rue du Fouarre ou place Maubert.

Do jeunes théologiens, sophistes plutôt que sa▼ants, se demandent si le pape est bien nécessaire à la société chrétienne, si c’est sur Pierre ou sur le Christ lui-même que le Rédempteur a bâti l’Eglise, si c’est le pontife souverain, ou l’Eglise particulière de Rome, ou encore le concile général, ou enfin l’Eglise universelle seule qui est infaillible. D’autres, avec Gerson, ne vont pas seulement jusqu’à soutenir le régime aristocratique dans l’Eglise, mais ils descendent jusqu’aux pires théories de la démocratie multitudinisle. Enlin, quelques-uns, plus radicaux encore, osent déclarer que chaque pays devrait avoir son pape à lui ; ils réclament des églises nationales ou ils osent prétendre qu’il serait mieux de n’avoir plus de pape(VALois, I, p 35 1 ; IV, p. 501). Leschisme produit ses fruits de mort, c’est l’anarchie des doctrines ; schisma est unitas illis (Tbrtullirn). Ce sont là des cas exceptionnels, anormaux et, pour tout

dire, monstrueux. C’est le fait de « ces cervelles chaudes, aiguës et conlentieuses », dont parlera plus tard saint François de Sales. Fénelon aurait pu dire de ces précurseurs du gallicanisme : « Rien de sage ne leur plaît : toute mesure leur est à mépris ; rien d’énorme et d’extravagant qui ne les charme. » Encore ces bacheliers élevés dans les cris de l’école, ces docteurs d’erreur prennent-ils soin de nous prévenir qu’ils n’affirment rien, qu’ils se contentent d’exposer, expositive, recitative, dispntative, non affirmative (Cf. Pikruk d’Aii.ly, évêque de Cambrai, In opp. Gersonii, l. I, ool. 929). Pour eux.ee sont des exercices d’étudiants, des jeux d’esprit ou des sujets de libre discussion qu’ils proposent, 6k yvfudÇm », comme on disait du temps d’Origène.

On nous objectera peut-être que les papes rivaux et leurs partisans se renvoient mutuellement les épithètes de schismatique, voire même d’hérétique. Qu’on se souvienne qu’à cetle date la signification de ces deux termes n’était pas encore fixée avec la précision théologique qu’ils ont aujourd’hui ; et qu’on les a pris autrefois dans un sens beaucoup plus large.

Donc, à part ces exceptions 1, personne à cette époque n’était formellement schismatique ; nous nous trouvons en face d’ignorants ou d’égarés, et non pas vis-à-vis de coupables. Nous plaidons en faveur de l’immense majorité du clergé et du peuple chrétien la bonne foi qui exclut toute faute, et nous soutenons l’impossibilité où se trouvaient les fidèles d’arriver à la vérité sur ces faits historiques si complexes, où se mêlaient tant de passions si acharnées et tant d’intérêts si divers.

C’est bien ce qui résulte d’ailleurs de l’étude des faits et des documents contemporains. Le prince qui a été le plus mêlé aux commencements du schisme est le roi Charles V. Or, voici les graves paroles qu’il prononce sur son lit de mort, le iG septembre 1380 : a Si l’on me dit que je me suis trompé, ce que je ne crois pas, mon intention, sachez-le bien, est d’adopter et de suivre l’opinion de notre sainte Mère, l’Eglise universelle. Je veux obéir sur ce point au concile général ou à tout autre concile compétent qui pourrait statuer sur la question. Dieu veuille ne pas me reprocher ce que j’ai pu faire, à mon insu, contre cette décision fulure de l’Église I » (Cf. B. Haurrau. Notices et extraits de quelques manuscrits latins de la Bibl. nation., t. 1, p. 340. — Noël Valois, La France et le grand Schisme, t. I, p. 327. — L. Salrmbier, Le grand Schis : ne d’Occident, p. io4). Voilà des paroles vraiment royales et admirablement chrétiennes. Louis d’Orléans et Louis de Bourbon tiennent le même langage dans leurs testaments. (Cf. Noix Valois, t. IV, p. ^94) Ainsi parlaient vers cette même date Louis de Macle, comte de Flandre. (Cf. Baluzb, Vitæ Paparum Avenion., t. L col. 492 et 551. — L. Salrmbier, loc. cit., p. 73), et Jean de Montfort, duc de Bretagne.

Quoi de plus touchant que leurs déclarations si simples et si parfaitement orthodoxes I Dans la suite, ces sentiments de vrais chrétiens ne changeront pas. Ecoutons le langage de l’Université de Paris en 1 38 1 (Ibid., IV, p. 496). Lisons les ins 1. Voir sur tous ces points le traité de Hesumpta d «  P. d’An. i.v, composé deux ans après l’é-dosion du schisme (1380). In opp. Gersonii, édit. Ellies-l’u, >in, t. I, coll. 609, 689. En 1394. l’Université de Paris se plaint de ces propos scandaleux, dans sa l « : ttre à Clément VI. — Cf. Demi if. Charltilarium. t. III, p. 633. — Pastoh, Histoire des Pupei, t I p. 192. — Mrtene et Durand, Thésaurus anccdolorum t. ii, pp. ilin ! , 146/|, 149"1235

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tructions données par le synode national tenu à Paris en 1 3g5. « Dans les grands schismes précédents, il estoit cler et évident que l’un estoit instrus, combien qu’il fût soutenu de fait par aucuns seigneurs. Mais à présent, combien que la partie de l’instrus (du pape de Rome) soit faulse, toutes fois est-elle grandement colourée et fondée pur diverses escriptures et raisons… Si est certain que au commencement du scisme, les deux esleuz furent esleuz par tout le collège des cardinaulx. » (Archives nationales, n° 5.518, f. 84, verso).

Plus précises et plus pratiques encore sont les instructions que donne Jean Gerson, ancien chancelier de l’Université de Paris, en ce moment doyen du chapitre de Saint-Donatien à Bruges. Nul plus que lui n’est compétent dans cette question délicate qu’il a étudiée ab ovo depuis vingt ans sur les bancs et dans les chaires de l’Aima Mater. De plus, il a été témoin en Flandre des pires excès et il a pu entendre prêcher les plus singulières doctrines. Vers 13y8, il donne son sentiment sur toutes les questions qui divisent les esprits. « Dans le présent schisme, dit-il en une matière si douteuse, il est téméraire, injurieux et scandaleux d’affirmer que tous ceux qui sont attaches à tel ou tel pari i, ou tous ceux qui prétendent rester neutres, sont hors delà voie du salut, ou excommuniés, ou suspects de schisme. Il est licite et même prudent de ne prêter obéissance à tel ou tel pape que sous condition tacite ou expresse… Il importe avant tout de rechercher l’unité de l’Eglise, soit en employant la voie de cession ou de soustraction, soit en se servant de tout autre moyen légitimé de coaction. » (Senlentia de modo habendise tempore Schismatis (édit. Ellies-Dupin), t. II, col 3. Item, De Unitate ecclesiastica. — Cf. Schwab, Johannes Gerson, pp. 97 et 152. Valois,

t. iv, p. 497) Pierre d’Ailly, alors évcijue de Cambrai, se faisait dans ses synodes diocésains l’écho des mêmes pensées modérées et pacificatrices. (Tractatus et sermones, sermo II US, Argentinrc, 1^90). Eni/Jo5, il disait aux Génois : « Je ne connais d’autres schismatiques que ceux qui refusent obstinément de se laisser instruire de la vérité, ou qui, après l’avoir découverte, refusent de s’y soumettre, ou qui encore déclarent formellement ne pas vouloir suivre le mouvement d’union ». (Bourgeois du Chastbnet, Nouvelle histoire du concile de Constance, Preuves, 159. — Tsciiackkut, Peter von Ailli, App. p 31>). « Le schisme el l’hérésie en tant que péchés et vices, ajoute-t-il en 1412, ne peuvent résulter que d’une opposition obstinée, soit à l’unité de l’Église, soit à un article de foi ». (Ibid., p. 33). C’est la pure doctrine du docteur angélique.

Vingt ans après la fin du schisme, le grand théologien qui s’appelle saint Antonin donnait aussi son avis sur l’état d’anie des fidèles par rapport à cette malheureuse division de l’Église. Le saint archevêque de Florence est d’autant plus compétent qu’il a vécu dans l’intimité d’un homme aussi saint qu’illustre, longtemps mêlé à toutes ces questions, le bienheureux Jean Dominici, cardinal-archevêque de Raguse. Voici son appréciation, qui résumera tout ce que nous avons dit jusqu’ici sur le caractère spécial de ce qu’on appelle le grand schisme.

« Il faut croire sans doute qu’il n’y a qu’une seule

Église et un seul vicaire de Jésus-Christ. Mais s’il arrive que, par un schisme, on élise plusieurs papes, il n’est pas nécessaire au salut de savoir si c’est celui-ci ou celui-là qui est le vrai pontife. Il suffit, en général, d’être dans la disposition d’obéir à celui qui est élu canoniquement. Le peuple fidèle n’est pas obligé de savoir le droit canon : il peut et doit

s’en rapporter au sentiment de ses supérieurs et de ses prélats. Le chrétien qui se trompe est alors excusé par une ignorance presque invincible. » (S. Antonini Summa historialis, p. III, t. XXII, c. 11. /bid., t. XVIII, c. vin).

Dans ces conditions, le nombre des vrais schismatiques semble donc singulièrement restreint. Y eut-il plus de cent schismatiques formels et endurcis durant toute la durée du grand schisme ? Je nie prends parfois à en douter.

III. Déductions modernes. — Beaucoup d’écrivains de ces derniers siècles se sont occupés de ce fait historique si intéressant et si didicile, ainsi que des conclusions théologiques qu’on peut en tirer. Malheureusement un certain nombre d’entre eux étaient gallicans, et ils ont été empêchés par leurs préjugés antipapaux ou leurs erreurs régalistes de voir parfaitement clair dans cette question d’ailleurs complexe. Nos contemporains ne sont plus empêtrés dans ces erreurs De plus, beaucoup de documents ont été récemment mis au jour et ont fait tirer des conclusions plus sures. Parmi les docteurs modernes, qu’on nous permette de citer notre vénéré maître, M. le chanoine J. Didiot : t Si, après l’élection d’un pape, avant son décès ou sa renonciation, une nouvelle élection se pioduit, elle est nulle ou schismatique ; l’élu n’est point dans la série apostolique. Cela s’est vu au début de ce que l’on appelle, un peu à tort, le grand schisme d’Occident, qui n’était qu’une apparence de schisme, au point de vue théologique. Si deux élections se faisaient simultanément ou à peu près, l’une selon les lois précédemment portées, et l’autre contre elles, l’apostolicité appartiendrait au papelégalement choisi et non à l’autre ; et, y eùt-ilmême des obscurités, des doutes, des discussions et desdéchircments cruels à ce sujet, comme à l’époquedece prétendu schisme d’Occident, il n’en serait pas moins vrai, pas moins réel que l’apostolicilé existerait objectivement dans le véritable pape. Qu’importe, sous ce rapport objectif, qu’elle ne soit pas manifeste pour tous et qu’elle ne soit reconnue de tous que longtemps après ? Je sais qu’un trésor m’a été légué, mais j’ignore s’il est renfermé dans la caisse A ou clans le coffret B : en suisje moins possesseur de ce trésor ? » Logique surnaturelle objective, n° 820 (Lille, 1892).

Après le théologien, écoutons le canoniste. Voici les paroles de Bouix, si compétent dans toutes ces questions. En parlant des événements de cette triste époque, il dit : « Cette dissension fut appelée schisme, mais à tort. On ne se retirait pas du vrai pontife romain considéré comme tel, mais on obéissait à celui <|ue l’on tenait pour véritable pape. On lui était soumis, non pas d’une façon absolue, mais à condition qu’il fût légitime. Quoiqu’il existât plusieurs obédiences, cependant il n’y eut jamais schisme proprement dit. » (Tractatus de Papa, ubi et de Concilio œcumenico, t. I, p. ! fù).

Dans la préface d’un ouvrage plus récent, le l’ère Conrad Eubei. fait justement remarquer que les actes de gouvernement et de grâce de tous les souverains pontifes des trois obédiences out été également respectés par le pape Martin V et par ses premiers successeurs. En effet, dans les écrits officiels de ces pontifes, les papes du schisme, ceux de Rome, ceux d’Avignon et ceux de Pise, ne sont jamais appelés simplement papes ou antipapes, mais ils sont toujours désignés sous cette formule : nommés paj eê dans leur obédience (les Ordres mendiants de l’obéi dience d’Avignon (Paderborn, 1900). Voir aussi son article de la RojmiMche Quarlulschnft, en 1906, sur cette question : Quelle conduite tenait-on quand un 1237

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évoque, élu dans une obédience, passait dans une autre ?). Le clergé et le peuple agissent de même dans les suppliques qu’ils leur adressent. Dans les Archi fur katholiken Kirchenreclit, le savant docteur Kirsch se rallie pleinement à cette manière^voir (année 1900, n° 2. p. £18. Inspruck), et M. NWl Valois, dans son magnifique ouvrage, constate les même* faits (cf. fa France et le grand Schisme, t. IV, p. 502, note. M. Valois renvoie aux archives du Vatican, Supplicationes Martini V, 102, f. 81, lit,

m4, iO).

Il nous semble qu’on peut aller plus encore au fond des clioses et répondre à d’autres ditlicultés :

I* Tout d’abord, il ne s’agit pas de l’unité de foi. Tout le monde l’avoue, aucun des papes dissidents n’a donné d’enseignement contraire ni à la doctrine révélée, ni même au virgineum fidei decus. Il n’y a point d’erreur, encore moins d’hérésie dans leur symbole, point de lacune dans le Credo qu’ils transmettent aux fidèles, point de défaillance dans la morale qu’ils leur imposent au nom de Jésus-Christ : leur magistère est irrépréhensible ; les deux obédiences condamnent Jean Hus. De Maistre a écrit en parlant du moins édifiant des pontifes suprêmes :

« Son bullaire est irréprochable » (f)u Pape, conclusion). On peut en dire autant de tous les papes du

schisme. I.'una fides est donc en dehors de toute discussion.

2° En est-il de même du culte et des sacrements, du pouvoir sanctificateur, de l’unum baptisma ? On l’a contesté au xiv* et au xv* siècles, à propos du sacrement de l’ordre. On trouve au sein du Concile de Paris de 1^06 1 et dans les œuvres de Gerson des échos de ces controverses qui ont troublé la chrétienté.

En effat, la situation était très tendue, en Flandre et ailleurs, à cause de certaines exagérations théologiques, de certaines prédications outrées, de certains aaathèmes peu justifiés. Ici on déclarait que tout clémentin était par le fait même excommunié, que son ordination était nulle, et que le culte devait être interrompu partout où un adversaire d’Urbain paraissait. Là on brûlait sur la place publique le saint chrême bénit par un compétiteur, on réconciliait les églises prétendument polluées par eux ; on regardait comme nul le baptême conféré par les prétendus schismatiques et les autres sacrements. Mais les esprits modérés protestèrent un peu partout contre ces excès de doctrine, et la vérité théologique ne resta pas sans témoignage.

Donc, malgré les misères du schisme, le monde chrétien dans les deux obédiences garde intact le pouvoir d’ordre, la puissance sanctificatrice La moitié de l’Eglise ne se livre pas à la parodie des saints mystères. Les prêtres et les évêques du parti qui est dans l’erreur, quel qu’il soit, sont investis de ce que le droit canonique appelle un litre coloré et il est suffisant, dans ce temps de méprise commune, pour administrer légitimement les sacrements.

Quand il s’agit de ceux où la juridiction ecclésiastique est nécessaire pour la validité, comme la pénitence par exemple, ce que nous dirons plus loin du pouvoir de juridiction peut et doit s’appliquer.

Donc, l’Eglise, dans les deux branches créées par le schisme, fait circuler à profusion toute la sève rédemptrice et sanctificatrice. Chaque pontife a entre les mains toulce qui est nécessaire pour conserver et augmenter la vie spirituelle dans toutes lésâmes de benne foi et de bonne volonté. Elledis 1. Ces discour ?, qui sont plusieurs fois en manuscrits à t « Bibl. Nationale ' » " ?.141, 17.220, 17^21, 23. 428) ont été reproduit- par B’il’H'.eois du GhastkHST, Xouvelle histoire du concile de Co' starter, pp. 120 et 175.

tribue partout à pleines mains tout ce qui peut guérir, vivifier, édifier et unir dans les liens d’une même charité l’humanité chrétienne extérieurement si divisée.

3° C’est aussi on vertu du même titre coloré que les théologiens modernes expliquent l’efficacité pratique de l’action du faux pape, quel qu’il soit, dans l’ordre législatif, judiciaire etadministratif. Le pouvoir de juridiction donné par le Chef invisible au chef visible reste universel, et la moitié de l’Eglise n’en esl pas frustrée.

Il ne peut y avoir qu’une seule tête dans la société fondé* par Jésus-Christ. Objectivement, nous ne saurions mettre sur le même pied le pape légitime et celui qui ne l’est pas. Comment donc les actes juridictionnels du pontife illégitime peuvent-ils produire leurs effets ? Par une communication du primat us qui existe dans l’autre obédience, c’est-à-dire dans celle du vrai pape. Cette communication se fera pour tous ceux qui sont dans une erreur invincible en obéissant à un pontife qui a en sa faveur toutes les apparences d’une élection régulière, bien qu’elle ait été radicalement viciée. C’est la loi universelle de l’Eglise, et elle ne pourrait être révoquée raisonnablement par le véritable pape. Il ne saurait être rationabiliter Invitus, comme on dit en théologie et en jurisprudence. Ce dernier seul est principe d’unité et de juridiction ; l’autre n’a qu’un pouvoir dérivé, participé et pour ainsi dire emprunté, mais pourtant suffisant à cause de la méprise commune et invisible. Cette erreur de bonne foi est regrettable, mais non point coupable. Elle ne saurait être un obstacle aux effets de la juridiction papale, épiscopale ou inférieure.

Donc le pape qui est cru véritable dans son obédience en vertu d’une ignorance invincible, jouit sur ses ouailles d’une puissance semblable à celle qu’ont exercée saint Léon, saint Grégoire I er, saint Grégoire VII, ou tout autre pontife légitime. Il a le droit d’instituer et de déposer les évêques ; il a le pouvoir de juger toutes les causes sans appel et de recevoir tous les appels d’où qu’ils viennent : il peut ulcisci omnem inohe iientiatn, comme dit saint Paul. De son côté, levêque nommé par celui qui est intrus, possède les mêmes droits que celui qui est envoyé par le véritable pasteur souverain.

Le pape, illégitime sans qu’on le sache, est vrai roi dans son royaume spirituel ; l'évêque qui a reçu de lui le bâton pastoral est vrai pasteur dans sa bergerie ; chacun est la vraie tête du corps ecclésiastique ou diocésain, et singuli alter alterins mentira.

Chacun dans sa sphère a le droit de lier et de délier, de faire des lois et d’en dispenser, d’accorder des faveurs spirituelles et de les retirer, de frapper de peines ecclésiastiques et d’en relever, d'étendre ou de restreindre les limites de telle ou telle juridiction particulière ou locale. Tous les fidèles, en pratique, leur reconnaissent tous ces droits ; c’est l’unum corpus et l’unum ovile, quoi qu’il en paraisse à l’extérieur. Et tout cela à cause du bien spirituel de l’Eglise universelle, qui ne saurait être compromis par une méprise involontaire ; tout cela en vertu de ce litre coloré dont le droit ecclésiastique, appuyé sur le droit romain, a toujours reconnu la valeur ; tout cela aussi à cause du pouvoir nécessairement un qu’a donné et que conserve l’Epoux invisible à son épouse visible. Le Christ n’est pas divisé.

Au point de vue historique et canonique, une dernière question se présente qui intéresse l’apologétique : quel était alors le vrai pape ? 1239

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Aux yeux des contemporains ce problème était insoluble ; nous l’avons sullisamment démontré. Avons-nous des lumières plus complètes et plus éclatantes que les leurs ? A une distance de six siècles, nous pouvons juger d’une manière plus désintéressée et plus impartiale. Sommes-nous mieux au point pour porter une sentence, sinon déûnitive, au moins plus informée et partant plus juste ?

Nous le croyons. Nous n’en sommes plus au temps où Mézeray (Histoire de France, édit. de 1685, t. II, p. 497), et Maimbouro (Histoire du grand Schisme, livre I", p. 5) jugeaient la question en se mettant à l’unique point de vue du « zèle qu’on doit avoir pour l’iionneur de la France et pour la gloire d’un de nos monarques, Charles V, si indignement outragé ».

Les préjugés gallicans, jansénistes et régaliens ne viennent plus projeter leurs ombres sur des problèmes que l’histoire et le droit canon doivent seuls éclairer. D’un autre côté, l’Eglise n’a point parlé olficiellement et ne décidera peut-être jamais entre R >me et Avignon. Seul, le pape Bknoit XIV, dont tout le monde savant admet et admire la haute compétence, a dit un jour : « Aujourd’hui les ténèbres se dissipent ; la légitimité d’Urbain et de ses successeurs est mise en pleine et évidente lum-ère » (De servorum Dei beatificatione, t. I, c. ix, n° 10).

A notre avis, la question a fait un grand pas vers la tin du xixe siècle. Le cardinal Hergenrœther, Mgr Hefele, Hinschius et le savant Pastor en Allemagne, Chenon, de Beaucourt, Denifle en France, Kirsch en Suisse, Pa’.ma bien après Rina’di en Italie, pour ne nommer que les plus compétents ou les plus illustres, se sont ouvertement prononcés en faveur de la légitimité des pontifes de Rome. M. NoiiL Valois, qui fait autorité dans la question, avait d’abord considéré les papes rivaux comme douteux, et avait cru « que la solution de ce grand problème échappait au jugement de l’histoire » (La France et le grand Schisme, t. I, p. 8, 180, 6). Six ans plus tard, il terminait sa magistrale étude et jetait un coup d’œil d’ensemble sur les faits racontés dans ses quatre gros volumes. Remarquons sa conclusion beaucoup plus explicite que son premier jugement :

« Il s’est établi en faveur de la légitimité des

papes de R une une tradition que les investigations de l’histoire tendent à conQrmer. Ce livre lui-même, bien que l’auteur ait hésité à conclure, n’apporte-t-il pas à l’appui de la thèse romaine des arguments nouveaux, qui, au jugement de certains critiques, seraient tout à fait convaincants ? » (Ibid., t. IV, p. 503).

Un dernier argument, tout récent, nous vient de Rome. En 190/1, la Gerarchia cattolica, se basant sur les données du Liber pontificalis, a dressé une nouvelle liste rectiliée des Souverains Pontifes. Dix noms ont disparu de ce catalogue des papes légitimes ; ni les papes d’Avignon, ni même ceux de Pise, ne prennent rang parmi eux. Si cette omission très volontaire n’est pas une preuve positive, c’est au moins une forte présomption en faveur de la légitimité de papes romains, d’Urbain VI, de BonifacelX, d’Innocent VII et de Grégoire XII.

D’ailleurs, les noms des pontifes d’Avignon, Clément VII et de Benoit XIII, ont été repris par des papes postérieurs, très légitimes ceux-là, nu xvie et au xvme siècle.

Donc, en vertu du progrès des recherches et des études historiques, nous pouvons conclure qu’il y a plus que des présomptions en faveur de la légitimité du pape de Rome. Il y a aujourd’hui des données nouvelles et des preuves positives, apportées par les auteurs les plus autorisas. La nébuleuse du xiv c siè cle apparaît de [dus en plus comme une étoile fixe au ciel de l’histoire.

C’est pour toutes ces raisons que nous nous sommes départi de l’attitude de rigoureuse neutralité dat beaucoup d’historiens se sont fait une obligati ™. Nous n’avons pas admis le doute égal pour Rome, pour Avignon et pour Pise, et nous n’avons point traité les trois pontifes sur le pied de l’égalité. Nous sommes romain parce que les meilleures raisons sont pour Rome.

Telle sera, croyons-nous, la solution de l’avenir.

Conclusions :

La On du xiv c siècle marque certainement une des époques les plus malheureuses de l’histoire humaine. Sur presque tous les trônes, on voit assises l’ineptie, la méchanceté, parfois la folie. Au sein des cours, la débauche amène la cruauté, la chair appelle le sang. La guerre de Cent ans se continue avec des traités qui ne sont que des trêves, et des accalmies qui promettent la paix sans jamais la donner. Pour comble de malheurs, la guerre religieuse vient ajouter ses horreurs à celle de la guerre civile : Le schisme produit non seulement certaines confusions doctrinales, mais encore tous les relâchements moraux qui donneront prétexte au protestantisme.

Contentons-nous d’indiquer quelques-uns de ces fâcheux résultats. L’oeuvre de la réforme, si ardemment désirée et si persévéramment poursuivie par certains papes, par d’excellents évêques, par des moines courageux, comme saint Bernard et ses disciples, par des moniales zélées, comme sainte Brigitte et sainte Catherine de Sienne, fut indéfiniment retardée et enfin radicalement compromise.

Un des points sur lesquelles la réforme devait porter était les abus du pouvoir fiscal dans l’Eglise. Or, la division avait créé deux papes, deux collèges de cardinaux, deux administrations rivales, deux séries parallèles d’envoyés apostoliques, de collecteurs ordinaires et extraordinaires chargés de percevoir des impositions plus ou moins Volontaires. L’ancien système financier resserrait ses mailles et multipliait ses exigences en raison directe des besoins.

« Les mesures iiscales adoptées à Avignon, dit

Pastor, ont contribué, plus qu’on ne le croit généralement, à détruire le prestige de la papauté, et ont singulièrement favorisé la besogne à nos ennemis » (Histoire des Papes depuis la fin du moyen à°e, t. I, p. 89). C’est un jugement sommaire et vrai sur les abus qu’engendreront les taxes, les décimes, [en procurations, les subsides car ita tifs, les aimâtes, les expectatives, le droit de dépouilles, les réserves, la commendc, qui mettent tout en proie, qui ruinent l’Eglise et qui réduisent parfois les prêtres à se faire manœuvres, vagabonds ou mendiants (Chronique de Sa ; nt-Denys, II, 14 Cf. Dbniflr).

Ce n’est pas manquer de respect au souverain pontificat que de regretter le défaut de grandeur d’Aine chez certains papes. Pourquoi ne se résignaient-ils pas à un sacrifice ? Pourquoi ne donnaient-ils pas leur démission ? « Que de maux eussent été évités par cette volontaire cession, à commencer par le scandale judiciaire de Pise et par les dangereuses innovations de Constance ! » (NoiiL Valois, t. IV,

P. 48a) :

Que d’étonnements provoqués aussi dans le monde par ces excommunications réciproques, renouvelées à chaque avènement pontifical, par ces luttes plus politiques que religieuses en Italie, en Portugal, en Flandre, par ces sommes employées à acheter certaines consciences royales plus avides que délicates ! Que penser surtout des cardinaux qui lancèrent l.’il

SCIENCE ET RELIGION

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l’Eglise dans les pires aventures en s’engageant dans une lutte dont ils pouvaient et devaient prévoir les funestes résultats ! Que dire de leurs faiblesses politiques vis-à-vis de certains princes, et de leurs procédés féconds en scandales à l’égard des papes que parfois ils avaient élus, comme Urbain VI, Benoit Xlll et Jean XXU1 !

De plus, les évêques ne s’accoutument-ils pas, en ce temps de trouble, à se gouverner eux mêmes, et, puisqu’il leur fallait une protection, à la chercher non auprès d’un pape douteux, mais auprès des rois ?

Par imitation et répercussion, certains princes semblent oublier leur devoir d’évêques du dehors et se désintéresser du malheureux état de l’Eglise. D’autres sont plus soucieux de profiter de cette situation précaire et humiliée que de la faire cesser. Au point de vue religieux, ils considèrent les expédients transitoires que l’on a du employer au moment du schisme comme des lois désormais intangibles. Avides de sacerdoce (saint Ambroisk), ils érigent en maximes les procédés extra-légaux de ce que l’on appellera désormais le gallicanisme. Les quatre articles de 1682 s’appuieront sur les cinq articles de 4l5. « Libertés à l’égard du pape, servitude envers le roi », dira plus tard Fénblon (Plans de gouvernement, t. 111, p. 433, édit. Didot). La uerpétuelle tendance des souverains, à partir de cette époque surtout, sera d’arracher à l’Eglise quelque lambeau de pouvoir et de se couvrir de cette pourpre usurpée. On a vu pendant ces années agitées les usurpations continuelles de l’Etat sur l’Eglise, le peu de respect que montrent les princes et les chanceliers de France pour les votes des conciles nationaux, la pression qu’ils exercent sur les prélats, sur les cardinaux et même sur les papes. Ces dangereux exemples ne furent point perdus pour les successeurs de Charles VI, et plus d’une fois les légistes s’appuieront sur eux pour chercher à justifier les pires excès du césaro-papisme. Les souverains protestants n’auront qu’à s’inspirer plus tard de ces modèles renouvelés de Byzance et du Bas-Empire.

Qu’on nous permette encore de mettre sous les yeux de nos lecteurs deux textes empruntés à des écrivains qui sont, par rapport à l’Eglise, aux deux pôles opposés. Le premier est Gbkgorovius, qu’on ne saurait soupçonner d’une bienveillence outrée ou d’un respect exagéré à l’égard de la Papauté. A propos des divisions schismatiques de l’époque, il écrit ; c Un royaume temporel y eût succombé ; mais l’organisation du royaume spirituel était si merveilleuse, l’idée de la Papauté si indestructible, que cette scission, la plus grave de toutes, ne fit qu’en démontrer l’indu isibilité » (Gescltichte der Stadt Rom im Miltelalter, 2" édition, t. VI, |>. 620).

Dans un camp bien diiférent, db Maistbb fait la même constatation : « Ce fléau des contemporains est un trésor pour nous dans l’histoire. Il sert à prouver que le trône de saint Pierre est inébranlable. Quel établissement humain résisterait à cette épreuve ? » (Du Pape, 1. IV, conclusion.)

L. Salbmbibr.