Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Rédemption

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 277-297).

RÉDEMPTION. — Le mot Rédemption, de par son étymologie, équivaut à rançon ou rachat. Tel est le sens des termes grecs λύτρωσις, ἀπολύτρωσις, et hébreux : pidiôn, geoullâh, kôpher. De par son origine, ce mot évoque des traits de mœurs propres aux sociétés antiques : rachat de la vie ou de la liberté.

En pénétrant dans la langue chrétienne, le mot Rédemption fut appliqué à l’œuvre du Verbe incarné, mystérieusement annoncée par les prophètes de l’AT. et exposée dans le NT. Plus spécialement, il désigne la première phase de cette œuvre, celle qui s’accomplit entre Dieu et le Christ et aboutit à une réhabilitation de principe, pour le genre humain déchu. Une phase ultérieure de la médiation du Verbe incarné consiste dans la répartition des grâces acquises par sa vie et par sa mort, et se déroule à travers toute l’histoire de l’humanité. Le nom d’οἰκονομία, dispensatio, répond plutôt, bien que non exclusivement, à cette deuxième phase.

La Rédemption chrétienne est donc la restauration de l’humanité dans sa condition primitive, ruinée par le péché d’Adam ; restauration qui lui rouvre l’accès des biens surnaturels et la voie du salut. Cette notion traditionnelle implique plusieurs données théologiques susceptibles d’être méconnues ou faussées. Aussi l’idée de Rédemption a-t-elle, depuis l’origine du christianisme, donné prise, soit à des déformations plus ou moins graves, soit à des tentatives de confiscation. Exposer le concept authentique de la Rédemption chrétienne, signaler les altérations qu’il a subies, doit être l’objet du présent article. De cette exposition même, ressortira une apologie de la Rédemption, telle que l’Eglise catholique l’a, de tout temps, comprise.

Voici la marche du développement :
I. Préparation juive.
II. Donnée chrétienne.
III. Elaboration rationnelle : la satisfaction vicaire.
IV. Déformations diverses.
V. Conclusion.

I. — Préparation juive

Avant de trouver dans le NT. son expression authentique, le dogme de la Rédemption avait été, dans l’AT., l’objet de prédictions plus ou moins mystérieuses. C’était d’abord, Gen., iii, 15, l’annonce du Libérateur qui devait écraser la tête du serpent ; l’idée de la déchéance originelle et du relèvement en perspective demeura toujours présente à la conscience d’Israël. Avec la victoire promise à la race de la femme, Israël attendait l’effet des bénédictions spéciales accordées aux patriarches bibliques et progressivement resserrées de Noé à Sem, de Sem à Abraham, d’Abraham à Isaac, d’Isaac à Jacob, de Jacob à Juda. Il y a une rédemption dans le passé, c’est la sortie d’Egypte, rappelée d’ordinaire à l’aide des mots phādāh (Deut., ix, 26 ; xiii, 5 ; xxi, 8 ; Ps., lxxvii, 42 ; cx, 9, etc.), ou gâal (Ps., lxxiii, 2 ; lxxvi, 16 ; lxxvii, 35 ; cv, 10 ; cvi, 2, etc. — Nous citons les Psaumes d’après la vulgate). Et il y a une rédemption à venir, désignée d’ordinaire à l’aide des deux mêmes racines, soit qu’il s’agisse de la restauration d’Israël, phādāh, Ps., xliii, 36 ; cxxix, 7-8 ; soit qu’il s’agisse du salut personnel, xxv, 11 ; xxx, 6 ; xxxiii, 23 ; xlviii, 8. 9. 10 ; liv, 19 ; cxviii, 134 ; gâal, Ps., lxxi, 14 ; cii, 4, etc. C’est la restauration d Israël que vise Isaïe, phādāh, Is., xxxv, 10 ; l, 2 ; gâal, Is., xli, 14 ; xliii, 1 ; xliv, 32. 23. 24 ; xlix, 36 ; lii, 3. 9 ; lx, 16 ; lxiii, 4. 9-16, etc.

Dans ces divers exemples, s’affirme parfois explicitement, l’idée de rançon payée, comme dans ce texte, Is., lii, 3 : Quia hæc dicit Dominus : Gratis venundati estis, et sine argento redimemini. Le Seigneur donne à entendre qu’après avoir livré son peuple aux Chaldéens, il le délivrera ; et comme les Chaldéens n’ont acquis aucun droit, le Seigneur reprendra son bien, librement : Israël peut se fier à la parole de son Libérateur. Ce qu’il importe de remarquer, c’est la portée principalement tem543

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porelle de ces espérances : l’horizon d’Israël est primitivement borné à la terre.

Cependant des espérances d’une portée morale plus profonde s’appuyaient sur le protévangile de la Genèse, et, surtout au temps de la prédication prophétique, s’insérèrent à l’atteste messianique. La misère universelle du genre humain, asservi au péché, trouve à maintes reprises son expression dans les Livres saints, v. g. Gen., vi, 5 ; l’s., l, 7 ; lviii, 4 ; lob, xiv, 4- L’idée des inimitiés permanentes, entre la race du démon et celle de la femme, reparait aussi càetlà, v.g. lob., i, 7 ; 11, 2 ; Tob, vi, 1 4 sqq., et encore Sap., 11, 2’|. a5. La rédemption spirituelle s’affirme dans les promesses de Iahvé à la race de David, promesses partiellement conditionnées par la fidélité du peuple à son Dieu (Ps., lxxxviii). Le sens de la responsabilité morale personnelle allait s’affirmant dans les consciences iiraéliles, et, avec le sens de la responsabilité morale, le besoin senti d’expiation pour le péché.

Ce progrès fut pour une grande part l’œuvre des prophètes, qui travaillèrent à détacher Israël d’un vain formalisme et à l’orienter vers les réalités profondes d’un culte rendu à Dieuen esprit eten vérité. Telle est la portée des allégories morales de l’épouse infidèle, chez Os., 11, 4 sqq., de la vigne stérile, chez /s., v, 1-8 ; des prédictions de 1er., xxxi-xxxiii ; de Ez., XXX vi ; des invectives de Mal., 1, 6 sqq. Telle est surtout la portée de la prophétie la plus profonde et la plus morale de tout l’AT., celle où Isaïe présente le Juste, Serviteur de Iahvé, comme prenant sur soi l’iniquité d’un grand nombre et intercédant pour les pécheurs. Il faut citer en partie cette charte de la Rédemption, Is., lui, 4- 12 ; trad. Condamin.

4. Mais il a pris sur Lui nos souffrances,

et de nos douleurs il’est chargé ; Et il paraissait à nos yeux châtié, frappé de Dieu et humilié.

5. Il a été transpercé pour nos péchés,

broyé pour nos iniquités ; Le châtiment qui nous sauve a pesé sur Lui et par ses plaies nous sommes guéris.

6. Tous nous étions errants comme des brebis,

chacun suivait sa propre voie Et Iahvé a fait tomber sur Lui l’iniquité de tous.

7. Il était maltraité, et Lui se résignait,

il n’ouvrait pas la bouche ; Comme un agneau qu’on porte à la boucherie, comme la brebis muette aux mains du tondeur, il n’ouvrait pas la bouche.

8. Par un jugement inique il est emporté,

et qui songe i « [défendre] sa cause ?

9. On lui prépare une tombe entre les impies,

il meurt avec les malfaiteurs ; ( ?) Pourtant il n’y eut point d’injustice en ses œuvres, et pointde mensonge en sa bouche ;

10. mais il plut àlahvé de le broyer par la souffrance. S’il offre sa vie en sacrifice, par le péché,

il aura une postérité, il multipliera. ses jours ; on ses mains l’œuvre de Iahvé prospérera.

11. Délivré des tourments de son âme, il [le] verra,

ce qu’il en connaîtra comblera ses désirs. Le Juste, mon Serviteur, justifiera das multitudes,

il se chargera de leurs iniquités ; [tudes,

13. C’est pourquoi je lui donnerai, pour sa part, des mulli il recevra des foules pour sa part de butin : Parce qu’il s’est livré à la mort

et qu’il fut compté parmi les pécheurs, Tandis qu’il portait les fautes d’une multitude

et qu’il intercédait pour les pécheurs.

Parmi les traits clairement marqués ici, nous soulignerons les suivants :

1. La multitude a encouru la colère divine par ses péchés (versets 5. 6).

a. Le Juste prend sur lui le châtiment (v. {. 5. 7.

il).

3. Dieu décharge sa colère sur le Juste, au lieu et place des coupables (v. 4. 5. 6. 8. 9. io).

4. Il s’offre à Dieu comme un agneau, comme une hostie, en sacrifice (v. 7. 10).

5. Dieu approuve la substitution et agrée le sacrifice (v. 5. 10. 12).

6. La multitude est accordée au Juste pour prix de son immolation volontaire (v. 12).

7. Tous sont justifiés dans son sang (v. 5. 11. 12).

Nous n’insisterons pas sur les caractères, profondément morauxetdeplus en plus pénétrants, de la prédication messianique, déjà mis en excellente lumière à l’article Juif (Peuple), ci-dessus, t. ii, col. 1614 sqq Maisil faut noter le changement accompli en Israël, sous l’influence de cette prédication. Le mj-stère chrétien de la Rédemption ne se dessine pas encore, ou du moins il échappe à la vue des Juifs charnels. Néanmoins, des fondements sont posés, sur lesquels la prédication de l’Evangile pourra s’appuyer. A la veille de la venue du Sauveur, deux courants se dessinent dans les milieux juifs, parmi les âmes qui attendent la Rédemption — ou délivrante

— messianique. Un premier courant, d’espérance terrestre, entraîne l’immense majorité vers les perspectives d’un nationalisme plus ou moins religieux. Un deuxième courant porte quelques âmes d’élite au-devant d’une rédemption spirituelle.

La rédemption d’Israël était le rêve immortel du peuple juif.

Rêve terrestre, en somme. L’idée d’un Messie rédempteur par la souffrance n’appartenait pas aux préoccupations communes. Cf. J.M. Lagrangb, O. P., Le Messianisme chez 1rs Juifs, p.a36-251, Paris, 1909.

— Wûnschb, Die Leiden des Messias, Leipzig, 1870, parait à cat égard faire trop largement crédit au peuple juif ; il a été contredit notamment par Dalman, Der leidende Messias, Leipzig, 1887, ae éd., 1888-1891. Voir encore F. Wbber, Jiïdische Théologie*, p. 358367, Leipzig, 1897. — Edm. Flrg, Anthologie juive, Paris, 1923, permet de suivre à travers les âges le rêve, de plus en plus terrestre, d’Israël.

Il faut pourtant réserver la part des anticipations surnaturelles où certaines âmes d’élite entrevoyaient le terme suprême d’une si longue préparation providentielle. Soit dans la prophétie d Isaïe sur le Serviteur de Iahvé, soit dans les oracles de Joël (11, 28-32) et de Zacharie (xn, 7-10) sur l’effusion de l’Esprit divin, de Jérémie (xxxi, 31) sur la Nouvelle Alliance, nous rencontrons la preuve de ces anticipations. Les idées d’expiation et de solidarité faisaient lentement leur chemin, préparant de loin les croyants à l’intelligence du mystère chrétien. Parmi les témoins de cette espérance meilleure, nommons ce jeune Macchabée qui disait, en face du tyran, II Mac., vii, 37.38 : « Comme mes frères, je livre volontiers mon corps et ma vie pour les lois de nos pères, priant Dieu de faire bientôt grâce à notre peuple… Que sur moi et mes frères s’apaise la colère du Tout-Puissant, justement déchaînée sur notre race ! » Nommons encore Zacharie, père de Jean, et le vieillard Siméon, qui attendaient la rédemption d’Israël comme une apparition de la justice et de la sainteté (lue., I, 68 ; 11, 38).

H.. — Donnée chrétienne

Avec la révélation chrétienne, l’idée de Rédemption spirituelle vient au premier plan. Ce fait n’est pas universellement reconnu : le rationalisme s’est plu souvent à nier la présence du dogme de la Rédemption dans l’Evangile et à en attribuer 545

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la eréation à saint Paul. Il faut réfuter cette prétention.

Nom distinguerons trois groupes dans les écrits apostoliques :

g i. Evangiles synoptiques.

§ a. Epitres de saint Paul.

S 3. Autres écrits du NT.

§'

Evangiles synoptiques

Avant de trouver dans les épltres de saint Paul son plein développement, le mystère de la Rédemption avait été clairement énoncé par le Christ en personne ; l’Evangile en fait foi. Mais les allusions à ce mystère sont relativement rares et fugitives dans les premiers temps de la viepublique du Christ ; au contraire, à dater de la confession de saint Pierre, elles deviennent fréquentes et précises. Nous le montrerons brièvement, en commençant par cette dernière période.

A. Dernière période du ministère de Jésus. — a) La confession de Pierre est suivie immédiatement d’une allusion explicite à la mort violente de Jésus, allusion consignée dans les trois évangiles synoptiques, Mt., xvi, 21 =zMc., viii, 31 = Lc, ix, aa.

A cette première allusion, succèdent plusieurs autres, également communes aux trois synoptiques :

Alt., XVII, 32. 23r=.'V/c, IX, 3 I =£< :., IX, 44

Mt., xx, 18. iq = : Vc, x, 33. Zlt = Lc. t iviii, 31-33.

Mt., xxvi, 24 — Me., xiv, 21 =tc, xxii, 22.

Si l’on s’attache à un seul évangéliste, on en trouve un plus grand nombre ; par exemple pour le seul Me, viii, 31 ; îx, g-13 ; 30-32 ; x, 32-34 ; 38-40 ; 45 ; xiv, 6-8 ; 18-21 ; a4-27 ; 42. Les textes ont été cités, d’après saint Marc, à l’article Jésus Christ, t. II, i ^2 1 -i 423, et nous sommes heureux d’y renvoyer. Tel de ces textes vise expressément l’oracle d'/s., lui, ia ; voir Lc, xxii, 37 : « Il faut que s’accomplisse en moi cette Ecriture : « Il a été mis au rang des malfaiteurs, t Car ce qui me concerne touche à sa tin. »

Notons encore la parabole des vignerons infidèles, commune aux trois synoptiques, parabole transparente où les Princes des prêtres devaient se reconnaître et puiser une haine implacable contre Jésus : Aff., xxi, a3-46=iiVc., xii, i-12 = Lc., xx, 9-19. Cet épisode doit être rangé parmi les prophéties de la Passion.

Des textes si nombreux, si explicites, ne se laissent pas arracher sans violence de la trame des évangiles. Nous sommes donc fondés à affirmer que, tout au moins dans cette période finale de sa vie, Jésus annonça maintes fois sa passion, par laquelle U devait consommer la Rédemption du monde.

b) Une attention spéciale est due à une prédiction qui se lit chez deux évangélistes et qui renferme la mention expresse du dessein rédempteur : Mt., xx,

28 = Mc, X, 45 : 'OYii ; rcrj codpb’iT.Gj si* r, /6tv S « xxovrjSf, von yj’j's OtkxOi’ffvai r.x’i B’iwa.t rr, -j pvyr.j airsi /ùrpov à.vri ve/i.Siv.

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, 

mais pour servir et donner sa vie comme rançon d’un grand nombre. Le verset n’est nullement suspect au point de vue critique, ni obscur au point de vue exégétique ; et il a fallu toute la force du préjugé rationaliste pour lui opposer une On de non -recevoir. Chr. Baur a, l’un des premiers, rejeté l’authenticité de ce texte, dans ses Vorlesungen ûber die NTlickê Théologie (1864), en attribuant son origine à l’activité des premiers chrétiens, inspirée de /s., lu. lui. Bien des critiques lui ont fait écho. Les uns y voient l’expression d’une tradition anonyme (IlvnXACK, J. Hoffmann, Eichhorn…) ; d’autres y ont dénoncé l’influence de saint Paul (J. II. Holtzmann, Pflbidbrbr, Loisy…). Le prétendu pauli Tome IV.

nisme de saint Marc n’a rien à voir ici ; ceux qui le font intervenir devraient bien commencer par expliquer deux choses : 1" pourquoi la forte personnalité de l’Apôtre se fait par ailleurs si discrète, que sa théologie de la Rédemption n’a laissé dans l'évangile de saint Marc d’autre trace que cette allusion rapide ; a° pourquoi le seul des trois synoptiques à passer sous silence une parole si caractéristique est précisément celui qui eut avec Paul les relations les plus intimes et les plus prolongées, le plus vraiment paulinirn, à savoir saint Luc. Par ailleurs, cette sentence du Seigneur se présente très naturellement chez saint Matthieu et chez saint Marc, comme conclusion de l’avertissement donné aux fils de Zébédée. Quant au sens des mots Soùscu rw <pny_r, v '/.ùrpov èartl nous », il ressort de l’usage biblique, et particulièrement de l’usage du NT. Il s’agit de rançon, et donc d’acquisition à titre onéreux. Que l’on consulte E. Hatch et A. Rkdpath, A Concordance ofthe Septuagint… (Oxford, 1790), au mot X-Jrpov. On verra que ce mot se présente ao fois dans l’AT. Il répond 6 fois au mot Kôpher (Ex., xxi, 30 ; xxx, 12 ; Num., xxxv, 31. 32 ; Prov., vi, 35 ; xiii, 8) ; 5 fois à la racine gâal (Lev., xxv, a4- 26. 51. o2 ; xxvii, 31) ; 7 fois à la racine phâdâh (Ex., xxi, 30 ; Lev., xix, 20 ; Num., m, 46. 48. 49- 51 ; xviii, 15) ; 1 fois à la racine mehir (/s., xlv, 13) ; cequi éclaire parfaitement le sens. Voir d’ailleurs Josèphb, A. /., XIV, vii, 1 : Xùrpo » àvrl iteivTuv. Le mot kirpov ne se lit pas dans /s., lii, 13liii, 12 ; mais l’idée de rédemption par la souffrance résume, très exactement le sens de ce passage capital, etl’on ne peut douter qu’une réminiscence d’Isaïe ne soit à la base de M 't., xx, 28 ; Me., x, 45 La conclusion est corroborée par la présence de la préposition « vn, qui marque, dans le NT., substitution, Mt., ii, 22 ; xvii, 27 ; Le., xi, 1 ; I Cor., xi, 15 ; Heb., xii, a ; lac, iv, 15 ; ou rétribution, Mt., v, 38 ; Io., 1, 16 ; Rom., xii, 17 ; I Thés., v, 15 ; Heb., xii, 16 ; I Pet., m, 9. Rapprocher, quant au prix de la vie, ou à la vie comme valeur d'échange, Mc, vOi, 3^ : T « yè.p Srj miSpuTTot ; cr.vTà))x-//j.<x rf, s <p-jyfj : v.ùtcîi ; Sur ce point de lexicographie, consulter l’article exhaustif de A. Médbbibllb, La vie donnée en rançon, dans Biblica, 1923, p. 4-40- — Voir encore ci-dessus, art. Jésus Christ, 14 19-1/122.

c) L’idée de Rédemption, sous la forme particulière de sacrifice propitiatoire, se représente avec une grande force dans les documents relatifs à l’institution de l’Eucharistie ; soit qu’on s’attache à la tradition des deux premiers évangiles (Mt., xxvi, 28 :

T5ÛT9 -/dp 'eirtv ri « t]uâ jxoj rf& otaû/ixrn ri nepi ito'/l&v ixynjjvi/j.sv^v s<$ "aj>î7Cï dfia.priOv — cf. Mc, XIV. 24) soit

qu’on s attache à la tradition paulinienne(I Cor., xi, 24.25 : Toûrd fi.o> 'ejTtK ri sû/iot ri ùnip ùfi&v… Toûto ri vorrjpio-j h xæv/) StixSrjxr) iorîv Iv rû sp-Cb atfiKri — cf. Le.,

xxii, 19.20). Ces textes ont déjà été étudiés ci-dessus (art. Eucharistie, t. I, 1549-1552et 1563-1567). Nous n’y insisterons pas, sinon pour souligner l’idée de sacrifice propitiatoire, impliquée dans ces mots : we/ji TO//ÛV… ùnkp ùpûv, et rehaussée parle contexte, qui met le sacrifice du Christ en parallèle avec les sacrifices de l’ancienne Alliance.

B. Première période du ministère de Jésus. — Nous reviendrons maintenantenarrière pour relever, dans la première période du ministère de Jésus, les traces, assurément plus rares et plus fugitives, du mystère delà Rédemption douloureuse. Cet effacement relatif, de la pensée qui inspira toute la conduite de Jésus, s’explique par des considérations d’ordre général sur lesquelles nous n’avons point à nous appesantir : dessein pédagogique du Sauveur à l'égard de ses Apôtres ; il s’agisstit de les amener par degrés à des dispositions dont ils étaient d’abord fort éloignés, de

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les arracher aux rêves du messianisme terrestre, pour les orienter peu à peu vers le mystère de la croix. Tout cela clé expliqué ci-dessus, art Jksus-Christ, t. 11, 1340-1352 Présentement, nous nous bornerons à rappeler les premiers et rapides coups de sonde jetés par le Maitre dan » lame des disciples, non pour les connaître, mais pour les découvrir à eux-mêmes. Trois épisodes (ixeront notre attention. a) Le discours du Seigneur avant la première missiondes disciples. Mi., x, 5-’|2 ; Me., vi, 7-13 ; Le., ix, i-5. D’après la place qu’il occupe dans les trois synoptiques, il ne paraît guère douteux que cet épisode appartient à la première période du ministère du Sauveur. Or le discours, tel qu’il est rapporté en saint Matthieu, se réfère, dans sa plus grande partie (15-’|2), à la On des temps ; on y trouve notamment une allusion expresse au retour glorieux du Seigneur, Ml., x, 23 : « Vous n’achèverez pas de parcourir les villes d’Israël, avant que vienne le Fils de l’homme. » Cette allusion à un retour du Fils de l’homme sous-entend la (in préalable de sa carrière terrestre. Il semble donc, à première vue, qu’on ait ici une allusion à la mort du Christ, allusion datant des premiers temps de son ministère. Néanmoins il faut reconnaître que cette partie du discours rapporté par saint Matthieu n’a point, en cet endroit, son pendant chez saint Marcnichez saint Luc ; on le trouve beaucoup plus tard, en Me., xiii, 9-1 3, Lc, xxi, 12-17. Ici, le parallélisme se borne à Ml., x, ô— 1 4 = Mc, vi, j- 1 3 = Lc, ix, i-5. Il y a apparence qu’en ce discours, comme en d’autres passages de son évangile, notamment dans le Sermon sur la montagne, l’évangélisle saint Matthieu a bloqué, dans un même contexte, des enseignements donnés par le Seigneur en divers temps, eten divers lieux. Dans ces conditions, l’épisode considéré n’offre pas un point d’appui entièrement sûr pour affirmer que le Seigneur commença de bonne heure à initier les disciples au mystère de sa Passion.

b) L’allégorie du départ de l’Epoux. —Cet épisode se lit dans les trois synoptiques, Mt„ ix, I-d = Mc., ii, 18 20 ; Lc, v, 33-35. Il est sûrement antérieur à la confession de Pierre ; sûrement aussi on y trouve une allusion — voilée — au temps où les disciples ne jouiront plus de la présence du Maitre, qui se désigne lui-même sous les traits de l’Epoux. Voir t. I, 14ao. Donc l’intention de préparer leurs esprits aux douleurs de la séparation est manifeste.

c) le signe deJonas ; le signe du Temple. — Autre allusion, toutau moinsprobable, à la mort du Christ, à travers le miracle de sa résurrection. Elle se lit, Ml., xii, 4°, o « qui donne lieu de l’attribuer aux premiers temps du ministère de Jésus. « Comme Jonas fut dans le ventre du poisson trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera-t-il dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » C.’e-t, sinon la même prédietion, tout au moins une prédiction semblable, qui devait être reprochée au Seigneur dans sa passion et que rapporte le quatrième évangile, /<>., ii, 19-21 : « Jésus répondit aux Juifs : « Défi truisez ce temple, et je le relèverai en trois jours. » Les Juifs dirent : « On a mis quarante-six ans à 1 construire ce temple, et tu le rebâtiras en trois

« jours ? » Mais il parlait du templede son corps. » —

Les difficultés d’interprétation que soulèvent ces signes ont déjà été examinées, art. Jihcs-Christ,

f Soj-iS fa

En résumé, l’annonce de la Rédemption par la mort de Jésus se fit, dans le » derniers temps de sa vie, assez fréquente et assez claire pour demeurer orofondément imprimée dans l’âme de ses disciples. Il semble avoir jusqoe-là ménagé leur faiblesse ; mais, à défaut de la pleine révélation, que leur foi

imparfaite ne pouvait encore porter, il leur donnait dans l’occasion, des lumières qui peu à peu les pénétraient et dont nous retrouvons la trace à certaines pages de l’Evangile.

§ 2. — Eiûtrbs de saint Paul

On a vu ci-dessus, art. Paul (saint) bt Paulinismb, col. 1628-9, <ï ue la théologie de l’Apôtre est essentiellement une sotériologie. Nous devons nécessairement en marquer ici les grandes lignes. El d’abord, le retour de certains termes techniques est significatif. On notera : ’Airoj.Ozpu-ni : Ilom., iii, 24 ; viii, 23 ; I Cor., i, 30 ; Eph., 1, 7.14 ; iv, 30 ; Col., 1, il, ; Heb., ix, 15 ; xi, 35.

Aùt^wciç : Heb., ix, 12.’AnuvTpo-j : 1 Tint., 11, 6,

harptk : Tit., 11, 14.

De plus : ’Ayo^àÇu : I Cor., ’yi, 20 ; vii, 23 ; Vtmf$pêÇm, Gal., iii, 13 ; iv,.">.

Il y a des nuances de sens dans l’acception de ces mots ; mais l’influence du sens originel demeure visible, et tout ce vocabulaire est pénétré par l’idée de justice.

La première justice dont il évoque l’idée est celle de justice commutative, parfois soulignée avec une insistance significative, ainsi I Cor., vl, 20 : ’HyqufskRs

/à/9 n/rffc : cf. VII, 23.

D’ailleurs la pensée de l’Apôtre dépasse, de loin, cette justice un peu terre à terre. Pour avoir la clef de son vocabulaire, il faut nécessairement prendre en considération la justice au sens biblique, attribut divin essentiellement bienfaisant, dans lequel s’harmonisent la fidélité aux promesses, la libéralité, la miséricorde à l’égard du repentir. L’éducation rabbinique de saint Paul avait profondément imprimé cette notion dans son esprit ; il n’éprouvera pas le besoin d’y renoncer, mais l’orientera vers les enseignements du christianisme. Cette cenceplion biblique est très répandue dans tout l’AT. Citons par exemple Ps., xxx, 2 ; xlvii, 10-12 ; l, 16 ; lxviii, 28 ; xr.vn, 2 ; cxviii, 4° ; cxlii, 1. Il ; Is., xxx, 18 ; 1er.,

XXXIII, 1’|-l6.

Œuvre du Dieu juste qui, de pécheurs, fait des justes : telle est par essence la Rédemption. D’après cette idée fondamentale, saint Paul en explique le principe, la loi, la portée religieuse.

a) Le principe de la Rédemption. — Saint Paul s’empare dece texte du prophète Ilabacue, 11, 4 : « Le juste vivra par sa foi », et l’applique au chrétien, Rom., 1, 17 : « La justice de Dieu, manifestée dans l’Evangile, est communiquée par la foi au croyant, salon qu’il est écrit : Le juste vivra de foi. » Cf. (inl., iii, 1 ; lleb., x, 38. Cette justification du fidèle découle immédiatement de la Rédemption. Rom., iii, 21-2^ :

« Maintenant, en dehors de la Loi de Moïse, la justice

de Dieu est apparue, appuyée snr le témoignage de la Loi et des Prophètes, justice de Dieu par la foi en Jésus-Christ, pour tous les croyants sans distinction. Car tous ont péché, ils sont exclus de la gloire de Dieu. Mais Dieu les justifie gratuitement par sa grâce, en vertu de la Rédemption par Jésns-Christ ». Les versets suivants montrent la justice de Diu à l’o’iivre pour faire des justes, Rom., iii, 25-20 : « Dieu a présenté le Christ comme victime propitiatoire par son sang au moyen de la foi, afin de manifester sa justice grâce nu pardon des fautes passées au jour de sa patience, afin [dis-je] de manifester sa justice dans- le temps présent, pour être (reconnu] juste et justifiant celui qui croit en Jésus. » Il n’est pastoujours facile de discerner dans le texte de l’Apôtre si la juslicede Dieu, dont il parle, est précisément l’attribut divin ou la participation de la justice divine 549

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dans la créature. Mais il n’est pas douteux, et le dernier texte que nous venons de citer en fournit la preuve péreuiploire, qu’il [tasse volontiers d’un sens à l’autre-. On peut étudier encore Hom., ni, a8-30 ; iv, 3-i : > ; II Cor., v, ji ; Gal., ii, lô ; iii, S-aiJ ; Eph., iv, 20-24. — Sur la justice au sens paulinien. voir F. Prat, La théologie de saint Paul, t. 1", p. îyg-aoi (n)io) et t. Il G, note V, j> 54&-556 (i<iu3).

//) La loi de la Rédemption. — La loi qui préside à la Rédemption, selon saint Paul, c’est l’antithèse entre Adam et le Christ. Un homme a déchaîné sur le monde le péché et la mort ; un autre homme doit restaurer la justice et la vie. Le péché d’Adam a entra iné toute sa race dans la mort ; la grâce de Jésus Christ la relèvera pour la vie éternelle ; plus inte pour sauver que le péché pour détruire, elle fera surabonder, sur les ruines dues au premier homme, la justice qui donne la vie. Nom., v, 15-ai :

Il n’en est pas [simplement] du don gratuit comme de la faute ; car, si parla faute d’un seul un grand nombre d’hommes sont morts, à bien plus forte raison la grâce de Dieu et le don se sont, par la grâce d’un » seul homme, Jésus-Ghriat, répandus sur un grand nombre. Il y a encore cette différence entra la faute d un seul et le don, que le jugement provoqué par un seul amena une condamnation, au lieu que le don prévaut contra de nombreuses fautes pour l’acquittement. En effet, si par la faute d’un seul la mort régna à cause de ce seul homme, à bien plus forte raison ceux qui auront part a la surabondance de la grâce et du don de la justice, régneront-ils dans la vie à cause du seul Jésus-Christ Donc, omme par la faute d un seul la condamnation ost venue sur tous les hommes, ainsi, par la justice d’un seul, viendra sur tous les hommes la justification qui donne la vie. En effet, de même que par la désobéissance d’un seul homme un grand nombre ont été constitués pécheurs, ainsi par l’obéissance d’un seul un grand nombre seront constitués justes. Cependant la Loi intervint pour faire abonder la faute ; mais ou abonda la faute, la grâce surabond-i : afin que, comme la péché a régné par la mort, ainsi la grâce régnât par la justice pour la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigueur.

C’est à cette page de saint Paul qu’il faut demander la clef de certaines métonymies étonnantes et presque scandaleuses en leur énergie : II Cor., v, 21 :

« Celui qui ne connaissait pas le péché, Dieu l’a fait

péché pour nous » ; Gal., ni, 13 : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la Loi, ayant été fait pour nous malédiction. » Les Pères latins ont souvent cru rendre compte de ces paroles en disant que le Christ a été fait victime pour notre péché : aux termes de la Loi, la victime pour le péché s’appelait elle-même péché. Voir saint Augustin, Quæstion. in Ileptateuch., IV, xii, P. L., XXXIV, 721 ; Ep., cxl, 30, 73, P. L., XXXIII, b-o. Mais cette explication n’est pas suffisante. Il faut reeourir à la solidarité du Christ avec le genre humain, solidarité librement acceptée, par laquelle il s’est fait répondant pour notre péché, a pris sur lui notre malédiction. Cf. Prat. Théol. de S. Paul, t. U », p. i<U-q.

Chef d’une humanité nouvelle, Jésus Christ ressuscite, le premier d’entre le » morts, et ranime ceux que la faute du premier homme a couchés au tombeau, I Cor., xv, 20-57 :

Maintenant le Christ est ressuscité d’entre las morts, prémices de eeux soi dorment. Comme la mort est venue par un homme, par un homme aussi doit venir le résurrection des morts. Comme tous meurent en Alarn, tous revivront dans le Christ, mais chacun a sou rang : d’abord le Christ. puis ceux qui appartiennent au Christ, lors de son avènement. Et puis ce sera la fin, quand il remettra son royaume à Dieu et au Père, après avoir défait toute domination, tonte autorité, toute puissance. < ar il faut qu’il r^gne, jusqu’à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi défait sera la mort : car [Dieu] a tout mis sous ses pieds. Quand l’Ecriture dit que tout lui a été soumis,

évidemment elle excepte Celui qui lui a tout soumis. Lors doue que tout lui aura été soumis, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui aura tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous.

[Le corps] est semé dans la corruption, il ressuscite dans l’incorruptibilité ; il est seine dans l’ignominie, il ressuscite dans la gloire ; il est semé dans l’infirmité, il ressuscito dans laforce ; il est semé corps animal, il ressuscite corps spi rituel. S’il y a un corps animal, il y a ici un corps spirituel, selon qu’il est écrit : Le premier homme Adam fut fait âme vivante ; le dernier Adam sera fait esprit vivifiant. Non pas le spirituel d’abord, mais l’animal, ensuite le spirituel. Le

ftremier homme, tiré de la terre, est matériel ; le second îomme vient du ciel. Tel fut l’homme matériel, tels seront les matériels ; et tel fut le céleste, tels seront les célestes. Comme nous avons porté l’image de l’homme matériel, portons aussi l’image de l’homme céleste. Je l’affirme, mes frères : le chair et le sang ne peuvent hériter du royaume de Dieu, et la corruption n’hérite point de l’incorruptibilité… Quand ce [corps] corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, quand ce [corps] mortel aura revêtu l’immortalité, alors s accomplira ce qui est écrit : « La mort a été engloutie dans la victoire ». Où est la victoire, ô mort ? où est, ô mort, ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; la puissance du péché, c’est la Loi. Grâces à Dieu, qui nous a donné la victoire par Notre Seigneur Jésus Christ !

La justice — autrementdit la grâce sanctifiante, — restaurée dans l’âme par le Christ, et atteignant son effet suprême par la résurrection corporelle : telle est l’économie de la Rédemption. Affranchis des servitudes de la chair et de la Loi, élevés à la dignité d’enfants de Dieu, les chrétiens sont mus par son Esprit ; ils attendent la résurrection bienheureuse qui doit parachever en eux l’œuvre du Rédempteur. I Cor., v, i-5 ; — Rom., iii, 14-30, :

Ceux que l’Esprit de Dieu conduit, sont fils de Dieu. Car vous n’avez pas reçu un espritde servitude pour être encore dans la crainte, mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, on qui nous crions : Abba I Père ! Cet Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ, à condition de souffrir avec lui pour être glorifiés avec lui. Car j’estime que les souffrances du temps présent sont hors de proportion avec la gloire à venir, qui doit être manifestée an nous. Pleine d’espérance anxieuse, la oréation attend la manifestation des fils de Dieu. La création a été assujettie à la vanité, non par son choix, mais par la volonté puissante qui, en l’y assujettissant, se promettait de lavoir elle-même affranchie de la servitude de la corruption et associée à la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Or, nous savons que toute la création gémit et est en travail jusqu’à ce jour. Et pas elle seulement, mais nous-mêmes, qui avons les prémices de 1 Esprit, nous aussi gémissons en nous-mêmes, attendant [l’effet de] 1 adoption [divine], la rédemption de notre corps. Car nous [ne] sommes sauvés [qu’] en espérance : quand on voit ce qu’on espère, ce n’est plus espérance ; ce qu’on voit, l’espère-t-on ? Mais si nous espérons ce que nous no voyons pas, nous l’attendons avec patience. De même aussi, I Esprit vient en aide â notre faiblesse : nous ne savons pas prier selon nos besoins ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements ineffables, et Celui qui sonde les cœurs connaît le désir de l’Esprit ; car l’Esprit intercède selon Dieu pour les saints. Et nous savons que, pour ceux qui aiment Dieu, tout concourt à bien, appelés qu’ils sont par un dessein éternel. Car roux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés 1 être conformes à 1 image de son Fils, afin qu’il fut l’aîné de beaucoup de frères ; les aant prédestinés, il les a appelés ; les ayant appelés, il les a justifiés ; les ayant justifiés, il lésa glorifiés. Que dire a cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Dieu, qui n’a pas épargné son Fils unique, mais l’a livré pour nous tous, comment ne nous donnera-t-il pas, avec lui, tous les biens ? Qui accusera les élus do Dieu ? Dieu les justifie ! Qui les condamneraPJésus-Christ est mort [pour eux], que dis-je ? il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous ! Qui nous séparora delà charité du Christ ? ja tribulation ? l’angoisse ? la persécution’.' la faim ? la nudité ? le danger ? le glaive ? 551

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Il est écrit : Pour cou », nous sommet livret à la mort tout le jour, on nout a regardes comme des brebis destinées à l’abattoir (Ps., xliii, 22). Mais dans toutes ces épreuves nous triomphons largement, par Celui qui nous a aimés. J’ai l’assurance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les futures, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni quelque autre créature ne pourra nous séparer de la charité de Dieu en Jésus-Christ Notre Seigneur.

c) Portée religieuse de la Rédemption. — Au regard de Dieu, la mort du Christ a le caractère d’un sacrifice propitiatoire ; au regard des hommes, elle est la source de biens nombreux dans l’ordre du salut.

Rom., iii, a5 : « Dieu l’a présenté comme victime propitiatoire, aux yeux de la foi, par son sang, pour manifester sa justice par le pardon des péchés. » iv, 25 : « Il a été livré pour nos péchés, il est ressuscité pour notre justification. » v, i : « Justifiés par la foi, nous avons accès vers Dieu par lui. » — I Cor., v, j :

« Il est la victime de notre Pàque. » Cf. II Cor., 

v, 15.ai ; Gal., i, 4 ; ii, 20 ; Eph., i, 7 ; 11, 13 ; v, 2. 25.26 ; Phil., 11, 8 ; Col., i, 20.22.

L’épltre aux Hébreux développe ex professo l’idée du sacrifice rédempteur.

Adressée à des cbrétiens sortis du judaïsme et tentés de regarder en arrière vers leur ancienne observance, elle leur présente trois motifs pressants de n’espérer de salut qu’en Jésus-Christ, trois supériorités décisives de la Loi chrétienne sur la Loi mosaïque. Ce sont : i° l’avènement d’une économie meilleure ; 2 la médiation d’un Pontife plus auguste ; 3° un sacrifice d’un plus grand prix.

Et d’abord, l’avènement d’une économie meilleure, Heb., i-iv. L’ancienne économie, promulguée par des hommes, laissait l’humanité douloureusement consciente de l’intervalle immense qui la sépare de Dieu. L’économie nouvelle, promulguée par le Fils de Dieu en personne, comble l’abîme, par le fait d’une condescendance ineffable de Dieu envers l’homme. Désormais, ce ne sont plus des anges qui ont la charge de l’univers : le Fils de Dieu, abaissé un peu au-dessous des anges, voit l’univers sous ses pieds. Cependant, il s’en faut encore que tout lui soit pleinement soumis : c’est afin d’achever cette conquête qu’il a voulu souffrir la mort pour tous. Ainsi conduira-t-il à la gloire d’innombrables enfants de Dieu.

Ici intervient la médiation de Jésus-Christ, Pontife de la Nouvelle Alliance (Heb., v — vin). Tout pontife, pris d’entre les hommes, est médiateur d’office auprès de Dieu. Il doit présenter les dons et les sacrifices pour les péchés ; d’ailleurs, il doit savoir compatir à l’ignorance et à l’égarement, étant lui-même environné de faiblesse. Ilest pontife, non par choix, mais par vocation divine : tel Aaron, appelé par Dieu à l’honneur du sacerdoce ; tel, à plus forte raison, le Christ, à qui Dieu dit : « Tu es mon Fils ; je t’ai engendré aujourd’hui » ; et encore : « Tu es prêtre à jamais, selon l’ordre de Melchisédech. » Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Très-Haut, roi rie justice selon l’étymologie de son nom, roi de paix selon le nom de sa terre, apparaît dans la Genèse comme la plus haute personnification du sacerdoce : Abraham, vainqueur de Chodorlahomor, lui offre la dime de son butin. La loi mosaïque devait consacrer le principe de la dlme, que les prêtres, issus de Lévi, prélèvent surle peuple. Or Abraham, père de la tribu lévitique, s’était incliné lui-même devant la majesté sacerdotale de Melchisédech, en lui offrant la dîme. Par là, on peut mesurer de quelle hauteur le sacerdoce de Melchisédech surpasse le sacerdoce lévitique. Et l’on comprend la

déchéance de ce sacerdoce, lié à une loi d’ordonnance charnelle. Comme cette loi elle-même, il a fait son temps ; mais le sacerdoce de Melchisédech possède la vigueur d’une vieindestruclible ; il demeure àjamais, pour introduire les hommes près de Dieu. Jésus-Christ est vraiment le Pontife qu’il nous fallait : saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, élevé au-dessus des cieux, il n’a pas besoin, comme les prêtres lévitiques, d’offrir chaque jour des sacrifices pour ses propres péchés, en même temps que pour ceux du peuple : par l’unique oblalion qu’il a faite de lui-même sur la croix, il a consommé à jamais l’œuvre de sanctification.

Et ici apparaît le prix incomparable du sacrifice rédempteur, propre à la Loi nouvelle (Heb., ix, x). L’Ancien Testamentavait son tabernacle, comprenant le Saint et le Saint des saints. Dans la partie antérieure, appelée le Saint, les prêtres entrent en tout temps pour accomplir leur ministère ; dans le Saint des saints, le grand prêtre seul pénètre une fois l’an, après s’être couvert du sang qu’il offre pour ses fautes et pour celles du peuple. Survint le Christ, Pontife des biens attendus : couvert, non plus du sang des boucs et des taureaux, mais de son propre sang, il a pénétré, une fois pour toutes, dans le Saint des saints, c’est-à-dire dans le ciel, et consommé une rédemption éternelle (Heb., ix, 12). Ce que ne pouvait pas le sang des boucs et des taureaux, le sang du Christ le peut : il purifiera nos consciences des œuvres de mort, pour nous faire dignes adorateurs du Dieu vivant, il nous mettra pour jamais en possession de l’héritage promis.

Au terme de cette exposition, toutes les idoles du judaïsme charnel sont tombées successivement aux pieds de Jésus-Christ : Moïse et la Loi, Abraham et son peuple, le grand prêtre et le temple, toutes ces choses surannées sont abattues, le christianisme purement spirituel peut s’établir sur ces ruines : c’est le triomphe de la Rédemption de Jésus-Christ. Telle est, dans ses grandes lignes, la théorie de la Rédemption, que saint Paul ne cesse de ramener dans sa prédication et qu’il développe avec toute son âme, mais qu’il se défend d’avoir créée ; d’autant qu’il rapporte expressément à la tradition le fondement sur lequel tout repose, c’est-à-dire la valeur rédemptrice de la mort du Christ, I Cor., xv, 3 : « Je vous ai transmis tout d’abord l’enseignement que j’ai moi-même reçu, à savoir que le Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures. » Cf. I Cor., xi, a3 : « J’ai reçu du Seigneur l’enseignement que je vous ai transmis. » Gal., 1, 12 : « L’Evangile que je vous ai prêché n’est pas de l’homme. Je ne l’ai pas reçu de l’homme par voie d’enseignement, mais par révélation de Jésus Christ. » Ces paroles semblent bien signifier que l’Apôtre se réclame d’une révélation immédiate ; néanmoins elles n’excluent pas la tradition commune des Apôtres, avec laquelle il prit la peine d* confronter sa propre doctrine’Cal., 11, 2), et à laquelle sa parole fait souvent écho.

Cette doctrine renferme, à titre de partie intégrante, l’idée que le Christ a voulu prendre, lui innocent, la place du genre humain coupable, et, comme chef du genre humain, acquitter personnellement la dette du péché. Cela résulte de textes tels que I Cor., XV, 3 : X/51rrè{ àmiOcnitu i/TÙp tCiv è.uapTt&v ii/i&v xoctk t<*< F’py.- T « i. La préposition iirip signifie proprement : en faveur de. Elle implique entre le Christ et les rachetés une solidarité qui s’affirme dans tout l’enseignement de saint Paul, soit qu’il emploie ùrtip, Rom., v, 6. 7. 8 ; viii, 32 ; xiv, 15 ; I Cor., 1, 13 ; xi, 24 ; II Cor., v, 15. 21 ; Gal., 11, 20 ; iii, 13 ; Eph., v, 2 ; I Tint., 1, 16 ; TH., 11, 14.", ou mpl : I Thes., v, 10…, soit qu’il recoure à des tournures équivalentes : 553

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I Cor., vi, 29 ; vii, a3, etc. Ajoutons que, si l’on tient absolument à rencontrer la proposition ocvti', qui marque une substitution de personne, on la rencontre parfois engagée dans le détail de l’expression,

« l’une manière qui exclut toute ambiguïté. Ainsi

I Tini., II, 5.6 : Ei' ; xai /leurra 0ssû xai iaûptïnta y’vÔ^wro ; Ir&oiii X01JTO4, i Ssùi ka.^ri. ivriXjrpov ùir'-p noivruj.

S 3. — AUTRBS ÉCRITS DU NOUVEAU TbSTAMBNT

Les autres écrits du NT., sans consacrer à la doctrine de la Rédemption des développements aussi étendus que saint Paul en ses épltres, l’affirment avec une insistance significative, et en parfaite harmonie avec la pensée paulinienne.

a) Actts des Apôtres. — On remarquera surtout les discours de saint Pierre (11, 1 4-36 ; iii, 12-26 ; iv, 122 ; x, 34-43) ; de saint Etienne (vu, 3-53) ; de saint Paul (xm, 16-4 « ; xvii, 22-3 1 ; xxii, 1-21 ; xxiv, 10-21 ; xxvi, i-23). Tous ces discours ramènent la même série de pensées : crime des Juifs, qui ont mis à mort le Messie innocent ; dessein de Dieu pour le salut du genre humain, réalisé par le crime des Juifs ; rémission des péchés par la foi au nom de Jésus. Ce sont des pensées familières à saint Paul.

h) E pitres de saint Pierre. — On remarquera les assertions relatives au sang du Christ aspergeant les fidèles, I Pet., 1, 2, acquittant, mieux qu’or ou argent, leurs dettes dépêché, ib., 18.19 ; * l’exemple insigne de sa patience, ib., 11, 21-20 (cf. /s., lui, 12) ; à sa mort selon sa chair, à sa vie selon l’esprit, iii, 18 ; au prix qu’il a versé pour la rançon des âmes, II Pet., 11, 1 ; à la liberté qu’il leur a conquise, ib. ; 19. Autant de développements faciles à commenter en termes de saint Paul.

c) Ecrits de saint Jean. — Jésus Christ y est désigné comme l’Agneau de Dieu qui efface les péchés du monde. Io., 1, 29-36. Ce nom de victime reparaît près de trente fois dans Apoc, v, 6.8. 12. 13 ; vi, 1. 16 ; vii, 9. 10. 1 4. 17 ; xii, 1 1 ; xiii, 8 (n) ; xiv, 1.4.4. 10 ; xv, 3 ; xvii, 14. 14 ; xix, 7.9 ; xxi, 9. 14.22.23.27 ; xxii, 1. 3 (14). C’est un trait caractéristique des écrits joanniques ; voir encore, quant au sens, I Io., iii, 5.8. 16. La vois était ouverte par I Cor., v, 7 ; lleb., ix, 14 ; IPet., 1, 19. — Par ailleurs, le Christ dévoile à Nicodème le programme de la Rédemption, Io., iii, 1618 : le Fils de Dieu livré pour le salut du monde, procurant, à ceux qui croiront en lui, la vie éternelle. A diverses reprises, il en déroule, devant ses disciples, les conséquences : Io.. xii, 31 : jugement exercé sur le monde, attrait mystérieux de la croix. Voir tout le discours après la Cène. Caïphe prophétise, à son insu, l'œuvre du Messie, Io., xi, 50-53. cf. xviii, 14. — Après saint Paul, Rom., iii, 35, saint Jean présente le Christ comme une victime expiatoire pour nos péchés, pour les péchés du monde, I/o., 1, 10 ; 11, 2 : uu.iii.ii — L’Apocalypse revient sur la vertu de ce sang qui nous a rachetés (ou, selon la vulgate, lavés), 1, 5, sang de l’Agneau, où les martyrs blanchissent leur robe, vii, 14 ; cf. xix, 13.

On vient de voir que l’Ecriture affirme, non seulement le fait de la Rédemption du Christ, mais sa portée universelle pour tous les fils d’Adam. Soulignons encore le texte de saint Jean I lo, 11, 1.2 :

« Nous avons un avocat près du Père, Jésus Christ

le juste. Il est propitiation pour nos péchés, et pas seulement pour nos péchés, mais pour ceux du monde entier. » Les hérésies prédeslinatiennes, qui devaient limiter l’extension de la Rédemption à une seule classe d’hommes, trouvent ici leur condamnation, depuis les lointaines hérésies du v « siècle jusqu'à l’hérésie de Jansknius, ainsi formulée en la 5* proposition condamnée en 1653 par Innocent X : Il est semipélagien de dire que le Christ est mort

ou a répandu son sang pour tous les hommes sans exception. » D. B., ioy6 ( « 170). Nous ne reprendrons pas une question déjà traitée à l’article Prédestination, notamment, col. 222 à 230.

III. — Elaboration rationnelle : la satisfaction vicaire

a) Développement historique. — Appuyés sur les données de l’Ecriture, les Pères ont élaboré la métaphysique de la Rédemption et produit des synthèses plus ou moins compréhensives. L’une des premières est celle de saint Irbnéb. Très riches d’idées sont aussi celles d’ORiGÈNE, de saint Athanasb, de saint Augustin. Un classement méthodique est impossible, car les développements chevauchent les uns sur les autres ; mais on peut marquer quelques directions.

Théorie morale et juridique de la Rédemption. C’est la plus commune. En s’inspirant particulièrement de saint Paul, la pensée chrétienne a relevé le prix de la mort rédemptrice et des mérites acquis par toute la vie du Sauveur.

Théorie physique, ou mystique, de laRédemption. Procède plutôt de saint Jean. Mettant l’accent sur le fait même de l’Incarnation, quelques Pères montrent, dans la rencontre de la divinité avec l’humanité en Jésus, le principe du relèvement de notre nature.SaintlRKNÉBaouvertlavoie ; saint Athanase, saint GRÉQOinB dk Nyssk, saint Cyrille d’Alexandrie, entre autres, ont suivi.

Théorie intellectuelle de la Rédemption. Ne prétend pasépuiserle mystère, mais s’attache avec complaisance à l'éducation de l’humanité par le Christ, organisant les fruits de la Rédemption. Déjà Clkmknt d’Alexandrie esquissait une préface à la théologie de la Rédemption, par sa considération du Christ illuminateur. Strom., VI, xv, P. G., IX, 340 sqq. ; VII, 11, 408 sqq.

Sur l’ensemble du sujet, consulter l' Etude historique sur le dogme de la Rédemption, due à M. l’abbé Jean Rivière, Paris, 1905.

Sur diverses parties, monographies plus ou moins nombreuses. — La doctrine de la Récapitulation en saint Irénée, par A. d’Alès, Rech.de Se. relig., igi€>, p. 185-aii ; Le Christ Rédempteur d’après S. Irénée, par J. Chaîne, Le Puy, 1919. — Strabter, Die Erlôsungslehre des kl.Athanasius, Freib. i. B., 1894. — Wbigl, Dit Soteriologie des kl. Cyrillvon Alexandria, Mainz, igo5, etc.

La théologie de la Rédemption est redevable d’un réel progrès à saint Ansblmb de Cantorbkry (io331 109) qui, à la fin du xie siècle, creusa l’idée de la réparation exigée pour le péché par la justice divine et la désigna d’un nom nouveau, satisfactio. Ce vocable était employé dans la théologie latine dès le 11e siècle, mais à une autre fin : il désignait la réparation que le pécheur doit à Dieu pour son péché. En l’appliquant au rôle personnel du Verbe incarné, réparant pour nous, saint Anselme prit une initiative féconde. Nous nous arrêterons à une page, où le maître — Anselme — dialogue ainsi avec son disciple, Boson. Cur Deus homo, I, xiii, P. L., CL VIII, p. 378 :

Anselme. — Que la créature dérobe à son Créateur l’honneur qu’elle lui doit et ne rende pas le bien dérobé, c’est la chose du monde la plus intolérable.

Boson. — Evidemment.

Anselme. — La plus intolérable, et donc celle que la justice permet le moins de tolérer.

Bosofc. — Sans doute.

Anii>lme. — Mais tu ne prétendras pas que Dieu doive tolérer ce que la justice permet le moins de tolérer ; à savoir, que la créature ne rende pas à Dieu le bien dérobé. 555

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Boson — Non certes, je vois ou il faut le nier énergiquemeut.

lmk. — Et si Dieu est souverainement grand et bon, la souveraine justice doit sauvegarder dans le gouvernement du monde son honneur, et cette souveraine justice n’est autre que I lieu même.

Boson. — Evidemment encore.

Ansi.lme. — Mais il n’est rien que Dieu sauvegarde plus justement que l’honneur du à sa dignité.

Boson. — Il faut en convenir.

Anselme. — Crois-tu qu’il le sauvegarde s’il le laisse dérober sans lo récupérer ni châtier le ravisseur ?

Boson. — Je n’use pas le dire.

Ameim. — Il faut donc que l’honneur dérobé soit rendu, ou que le châtiment suive : faute de quoi, Dieu serait ou bien injuste envers lui-même ou deux fois impuissant.

Boson. — Je vois qu’on ne saurait rien dire de plus raisonnable.

Et plus loin, après avoir expliqué comment la constance de Dieu en ses desseins exige la réhabilitation de l’homme, appelé à devenir citoyen du ciel (Ibid., II, vi, p. 403) :

Ansklmk. — Cela ne se peut faire s’il ne se trouve quelqu’un capable de payer à Dieu, pour le péché de l’homme, un prix plus grand que tout ce qui existe hormis Dieu.

iJoso.-s. — D’accord.

Anselme, — Or, l’être capable de payer à Dieu, de son fonds, un prix plus grand que tout ce qui existe au-dessous de Dieu, doit être lui-même plus grand que tout oe qui n’est pas Dieu.

Boson. — Je ne puis le nier.

Anselme. — Or, rien n’est au-dessus de tout ce qui n’est pas Dieu, si co n’est Dieu.

Boson. — C’est vrai.

Ansklmk. — Donc nul ne peut réaliser, cette satisfaction, si ce n’est Dieu.

Boson. — C’est logique.

Ansklmb. — Cependant, nul ne doit la réaliser, si ce n’est un homme : autrement la satisfaction ne viendrait pas de 1 homme.

Boson. — Rien de plus juste.

Avsklmf. — Si donc, comme nous en sommes d’accord, cette cité céleste doit être peuplée d hommes, et si cela ne peut se faire sans ladite satisfaction, que seul peut réalisai-un Dieu et que seul doit réaliser un homme, il faut qu elle soit réalisée par un Dieu-homme.

Bosoj*. — Dieu soit béni ! Voilà un grand point d’obtenu…

En quoi consistera la satisfaction offerte par ce Dieu-liomme ? Ecoutons encore (Ibid, , II, 11, p. 411,

4 12).

Anselme. — Si 1 homme a péché avec plaisir, ne convient-il pas qu’il satisfasse avec peine ? Et s’il a, an offensant Dieu par le péché, cédé le plus facilement du monde à l’assaut du démon, n’est-il pas juste que, satisfaisant à l’honneur de Dieu pour le péché, il remporte sur le démon la plus diflicile victoire ? Ne convient-il pas que, s’étant totalement détourné de Dieu par le péché, il se donne totalement à Dieu par la satisfaction ?

Boson. — Rien de plus raisonnable.

Ansklmk. — Mais l’homme ne peut souffrir spontanément et sans obligation, pour l’honneur de Dieu, rien de plus dur ou de plus pénible que la mort ; et il ne peut se donner plus complètement a Dieu qu’en se livrant à la mort pour son honneur.

Boson. — Tout cela est vrai

Ansklmk. — Il faut donc que celui qui satisfera pour le péché de l’homme soit toi qu il puisse, s’il le veut, mourir.

Boson. — Je le vois : cet homme que nous cherchons devra ne pas mourir par nécessité, parce qu’il sera toutpnissant ; ne pas mourir par obligatiin, parce qu’d sera sans péché ; et pouvoir mourir par son libre choix, parce que sa mort sera nécessaire…

Selon Anselme, théoricien de la Rédemption, tout s’enchaîne, par une sorte de nécessité, de la Créntion à la Passion du Sauveur. Il fonde la nécessité d’une satisfaction sur le droit imprescriptible de Dieu. Il fonde la nécessité de la médiation du Dieu-homme

sur la constance de Dieu en ses desseins. Il fonde la nécessité de la croix sur les exigences rigoureuf.es de la justice divine, qui doit proportionner la réparation à la faute.

Anselme paraît s’être rendu compte que cette dialectique intransigeante associait trop sommairement diverses sortes de nécessité. Lui-même a pris soin d’en détendre quelque peu les ressorts et d’avertir le lecteur qu’en usant de ce terme, il entendait parfois marquer de hautes convenances, auxquelles Dieu cède par pure bonté. Voir Mei, xi, De redemptione humana, P. t., CL VIII, 764 : Omnis nécessitas etussuhiacetvoluntati. Quippe, qnod vult, necesse est esse ; et quod non vult, impossibile est esse. >ola ergo voluntate ; et quoniam voluntas eius semper bona est, sola fecit hoc bonitate. — Non enim />eus egeb’it ut hoc modo liominem saU’um faceret, sed humana natitra iudigebat ut hoc modo Deo satisfaceret.

Les grands docteurs du douzième et du treizième siècle devaientreprendre en sous-œuvre l’argumentation du Cur B$un iiomo, y noter des points faibles, surtout revendiquer la souveraine initiative de l’amour divin. Dès le début de l’étude qu’il consacre nu mystère de l’Incarnation, saint Thomas pose en principe que la médiation d’un Dien-homme était nécessaire, pour donner à la satisfaction une valeur intinie, III a, q. i, a. 2 ad 2 m : Oportuil ad condi^naia satisfactionem ut netns salis/acientis haberet e/ficaciam in/initaw, utpUc Dei et hominis existent. Plus loin, il examine ex pvofesso, III », q. 48, a. a : l’irum passio Clirisli causaient nostram salaient ptr modum satisfaclionis. La réponse est allirmative. C’est que la satisfaction du Christ possède par elle-même une valeur inlinie. La gravité de l’offense se mesure objectivement, par la majesté de la personne offensée ; le prix de la réparation se mesure subjectivement, par la dignité de la personne qui répare. Ainsi l’économie de In Rédemption est-elle fondée sur la nature des choses, avant de l’être sur l’acceptation divine. A la suite de saint Anselme, saint Thomas a maintenu cette doctrine.

Duns ScoT.en pleine réaction conlresaint Anselme, s’oppose au Docteur angélique, et appuyé toute la théorie de la Rédemption sur le bon plaisir divin. Ne reconnaissant au péché aucune sorte d’inlinité, sinon par dénomination extrinsèque, il ne voit pas la nécessité d’une réparation subjectivement inlinie. /nlil d., 19, n. 13 ; 20 q. un. n. 10. 1 1. — La critique de la conception anselinienne a été souvent renouvelée jusqu’à nos jours. On trouvera les restrictions nécessaires et des conclusions habituellement judicieuses dans la thèse du R. P. P. Ricard, O. S. 11., De satisfactione Christi, ad tractatum S. Anseimi

« Cur Deus homo », notamment p. 143..’c Lovunii, 

Clkmknt VI, dans la Bulle de Jubilé (1343), nilinua la suffisance et même la surabondance de la Rédemption du Christ pour le monde entier ; la réalité du trésor de l’Eglise, applicable à la rémission de la peine temporelle « lu péché ; l’infinité des mérites du Christ, auxquels viennent s’ajouter les mérites de In Sainte Vierge et des saints. D. S., 5f>o-a.

Le Concile de Trente toucha la question en saut : l’erreur protestante n allait point à nier lu satisfaction du Christ, mais bien plutôt à en exagérer l’efficacité, en dispensant le iidèle de concourir par ses œuvres à sa propre rédemption. Néanmoins le mot satisfactre a pénétré dans les documents de la vi’session. Dans la description de la justification, c. 7, D. P., 799 (681), on lit : Dominus Noster Icfiis Christus… sua surictixsima passione M liguo crucis nobis itfitiftcationrm mentit et pro nobis Patri salis557

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fecit. Le Catéchisme romain y insista, dans la doctrine sur le sacrement de pénitence, en montrant dans In satisfaction du Christ le principe de celle que le pécheur doit à Dieu, et rattachant cette vérité au texte de saint Jean sur le Christ victime de propitiation pour nos péchés (1 lo., ii, a). Voir Catecli. Mom., Pars ii, De pænit. saor., 02-60, notamment 53.

Le Concile du Vatican a voulu faire plus. La définition de la doctrine catholique sur la Rédemption était inscrite au programme des travaux conciliaires ; le temps manqua pour une dcliuitiou ; mais un schéma dogmatique, soumis aux Pères du Concile et refondu d’après leurs observations, demeure comme l’expression authentique delà foi commune. L’une et l’autre rédaction développe tout au long la doctrine de la satisfactio vicaria. Voir Acta et Décréta sacrorum Concilierum recentiorum. Collection f.acensis, t. VII, Schéma Constitutionis de doctrina catholica, c. xiv, p., ">15 ; eiusdem schematis reformata pars altéra, c. iv, 7.8, p. 561, avec deux canons, p. 566 :

Can. 5. Si quis afjirmare præsumpserit satisfactionem vicariam, unius se. Mediatoris pro cunctis hominibus, divinæ gratiæ repugnare, A. S.

Can. 6. Si quis non conpteatur ipsum Deum Verbum, in assitmta carne patiendo et moriendo, pro peccatis nostris Deo potuisse satisfacere vel vere et proprie satisfecisse nobisque gratiam et gloriam mentisse, A. S.

Lbon XIII, inaugurant le nouveau siècle par l’encyclique Tametsi futura, reprit la même doctrine et la même expression. Leonis XIII Pontificis maximi Acta, vol. XX, p. 398. Romae, typogr. Vatic, 1901. In-i.

… L’excès de son amour pour nous fit que Dieu se livra pour notre salut. Quand fut accompli le temps marqué dans le conseil divin, le Fils de Dieu, fait homme, offrit pour les hommes, à la majesté offensée de son Père, la satisfaction surabondante et trè » précieuse de son sang, et rachetant duu si grand prix le genre humain, le réclama comme sien. Vous n’avez pas été rachetés d’un prix corruptible, or ou argent, mais bien du sang précieux de l Agneau immaculé, irréprochable, le Christ (I Petr., 1, 18-19). Ainai tous les hommes sans exception, déjà soumis à sa puissance et à son empire, parce qu’il eat leur créateur et leur conservateur, vraiment f-t proprement rachetés par lui, redevinrent siens. Vvus ne vous appartenez pat : vous avez été achetés d’un grand prise {[ Cor, , vi, 19-20). Ainsi Dieu restaura-t-il tout dans Je Christ. Tel est le mystère de sa volonté, selon le bon plaisir qu’il disposa par av.incetn lui, en vue de la plénitude des temps, pour tout restaurer dans le Christ [Eph., i, 9, 10)…

Exposition grandiose, presque entièrement tissue de réminiscences scripturaires ; les antiques formules de la Bible, marquées au coin de la civilisation juive, y encadrent le néologisme théologique de satisfaction rendue à Dieu par son Fils unique, expression authentique de la tradition chrétienne sur la Rédemption.

Parvenus à ce sommet, nous pouvons embrasser du regard tout le développement de la doctrine. Il aboutit à suspendre l’énoncé du dogme à la notion de satisfaction vicaire. Dajis son fond, la Rédemption est éminemment œuvre d’amour, loan., iii, 16 :

« Dieu a aimé le monde jusqu’à donner son Fils unique, 

afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. « Sans préjudice des formes juridiques observées dans cette œuvre d’amour.

b) Analyse de la satisfaction vicaire. — Si l’on essaye d’analyser cette idée consacrée par la tradition dogmatique, on rencontre plus d’une sorte de justice.

Kl d’abord la justice commutati ve, qui règle l’é change des biens. Des expressions telles que tswtùurfm (I 77m., ii, 6) suggèrent naturellement cette voie, cl l’on a vu saint Anselme s’y engager. Il faut avouer qu’elle ne mène pas très loin. Car si l’honneur rendu à Dieu par le Verbe incarné peut, d’une certaine manière, être considéré comme un bien possédant une valeur d’échange, on ne voit pas immédiatement comment ce bien d’ordre moral profite à l’humanité insolvable ; il faut recourir à d’autres considérations. Nous verrons comment, pour avoir poussé exclusivement la théorie de la justice commutalive, la dogmatique luthérienne aboutit à l’absurde et au blasphème.

Fera-t-on intervenir la justice vindicative ? Oui, sans doute, puisque l’Ecriture montre le Juste chargé des péchés d’un grand nombre, châtié, broyé pour nos iniquités (/s., lui, 4- 5. 7) ; plus encore, le Christ fait péché pour nous (Il Cor., v, 21), fait malédiction (’Va/., iii, 13) : toutes expressions qui évoquent l’idée de la colère divine. Avant d’être conjuré par la passion volontaire de l’Innocent, l’effet de la colère divine a dû être détourné des vrais coupables et attiré sur lui-même. Assurément ces expressions veulent être lues à la lumière d’une foi très avertie : un transfert réel des fautes de l’humanité sur les épaules du Saint est inconcevable, et un déchaînement réel de la colère divine contre sa personne ne l’est pas moins. Néanmoins, tout se passe comme ai un tel transfert et un tel déchaînement avaient lieu, c’est pourquoi les écrivains del’Anei< j n et du Nouveau Testament n’ont pas reculé devant cet énergique raccourci, qui montre le Christ courbé sous le poids de la colère et de la malédiction. Il est incontestable que, dans l’agonie et dans la mort de Jésus, Dieu a voulu marquer la rigueur d’une justice qui ne se laisse pas désarmer sans affirmer ses droits, jusque dans l’acte du pardon. Dei severitas, qui peccalum sine poena dimitterenoluii, dit saint Thomas, III, q. 47, art. 3 ad 1°. Ceci est l’acte propre d’une justice vindicative : Severitas autem altcnditur circa exteriorem inflictionem poenarum, dit encore saint Thomas, II a II æ, q. 157, a. 2 ad 1". Cf. I", q. iy, a. Il ad 3". Seul, un morcellemeut grossier des attributs divins pourrait s’offusquer d’une collaboration qui s’affirme plus ou moins dans toutes les œuvres divines. Ne sont-elles pas, tout ensemble, œuvres de sagesse, de puissance, de justice et de bonté ? Jusque dans l’acte de la suprême miséricorde, Dieu a voulu montrer à la raison humaine une ombre de châtiment. La nature avait péché en Adam ; il convenait qu’elle fût châtiée dans le Christ. La double solidarité, si fortement marquée par saint Paul, s’étend jusque-là.

Mais, ici encore, l’abus et le contresens est proche. Car si ! a Passion de Sauveur manifeste jusqu’au scrupule le besoin de justice qui est en Dieu, elle manifeste plus encore le besoin et le désir de faire grâce. Sous peine de fausser totalement la perspective du mystère, on doit maintenir à l’arrière-plan le châtiment du péché.

Reste une justice meilleure, cette forme de justice distributive qui veut se répandre en bienfaits et en pardons, justice qui, loin de s’opposer à l’amour, va au-devant de l’amour même, et s’attache moins à venger les droits de Dieu qu’à lui gagner les cœurs à force d’avances miséricordieuses et de tendre délicatesse. C’est cette justice qui décrète l’Incarnation du Fils de Dieu et l’œuvre de la Rédemption ; c’est cette justice qui suggère au Verbe incarné de rendre à Dieu un hommage dont le prix surpasse infiniment tous ceux que Dieu pouvait attendre des hommes et que le péché a détournés de lui. C’est cette justice qui désire s’implanter dans le cœur 559

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des hommes pour en faire d’autres ûls de Dieu. La notion de cette justice appartient à l’A. T. ; nous l’avons retrouvée en saint Paul, transfigurée par la Loi d’amour, jusqu’à rejoindre l’esprit de famille surnaturelle. C’est au regard de cette justice qu’on peut parler d’une satisfaction réellement digne de Dieu, satisfaction qui manifeste toute la piété filiale de Jésus et lui rend de véritables frères. La théorie de la satisfaction rédemptrice ne s’achève que dans cette perspective. Lire saint Thomas, 111 », q. 46, a. 3 : Utrum fuerit aliquis modus convenicntior ad liberationem generis humani quant per passionem Christi.

L’analyse que nous venons d’esquisser, et qui nous a montré dans la satisfaction du Christ la part d’une certaine justice commutative, la part de la justice vindicative, enfin et surtout la part de la justice gracieuse, nous ramène par une autre voie à la conclusion de saint Thomas, qui se demande, III*, q. 48, a. a : Utrum passio Christi causaverit nostram salutetn per moaum satisfactionis. Il répond : Ille proprie satisfacit pro offensa qui exhibet oflenso id quod aeque vel magis diligit quant oderit offensant. Christus autem, ex caritate et obedientia patiendo, maius aliquid Deo exhibuit quant exigeret recompensatio totius offensæ humani generis : 1° quidem propter magnitudinent caritatis ex qua patiebatur ; 2° propter dignitatem vitæ suae, quam pro satisfactione ponebat, quæ erat vila Dei et hominis ; 3° propter generalitatem passionis et magnitudinem doloris assumpti.

Mystère d’amour ; mystère de justice ; enfin, mystère de douleur. La Rédemption du Christ est tout cela. Il va sans dire que ces trois éléments — amour, justice, douleur — sont hiérarchisés. Celui qui anime et commande les autres — disons l’élément formel —, c’est l’amour. La justice n’intervient que pour tracer les lignes idéales et comme le plan de la transaction surnaturelle ; la douleur, pour en fournir l’élémentmatcriel.

Mais l’œuvre personnelle du Christ n’est pas le dernier mot de la Rédemption. Au prix objectif de notre rançon, doit répondre l’effort subjectif par lequel chacun fait sien le prix une fois versé. Aine de nombreux frères, le Christ veut retrouver en chacun d’eux le trait de famille, et les appelle à une réciprocité d’amour, condition nécessaire pour avoir part à l’adoption divine.

Cette coopération du fidèle, nécessaire au salut, doit se modeler sur l’œuvre du Christ. Uni au Christ par la charité, il conformera ses sentiments aux sentiments du Christ, Phil., ii, 5 ; il sera même prêt à accomplir en sa chair ce qui manque aux douleurs de sa passion, selon Col., i, a4 : paradoxe hardi, qui n’est pas tout entier paradoxe. L’Apôtre sait très bien que la satisfaction du Christ est, de soi, suffisante et surabondante ; mais il sait aussi que noblesse oblige et que, pour avoir part à l’héritage des enfants, le chrétien doit vraiment reproduire en lui les traits de famille. Le même amour filial, qui inspira la satisfaction de Jésus-Christ, doit pénétrer les cœurs des fidèles et les un ; r dans la vie, comme les membres d’un même corps mystique. Saint Thomas, III, q. 48, a. a, ad i" : Caput et meml /rn sunt qnasi una persona mystica ; et ideo satisfactio Christi ad omnes fidèles pertinet sicut ad sua membra.

L’oubli de cette coopération nécessaire a creusé un abîme entre le mystère du Christ et la doctrine protestante du salut. — Cf. Chr. Pbsch, S. J., Das Suhneleiden unseres goitlichen Erlôsers, p. 3a. 33. Freiburg i. B., 1916.

Il va sans dire que la théorie scolastique de la

satisfaction vicaire ne se présente pas comme une théorie parallèle à la théorie proprement dite de la rançon, et pour ainsi dire comme sa rivale. Elle ne se présente pas davantage comme parallèle à la théorie du sacrifice. On ne doit comparer que des choses comparables. Rançon, sacriiiee : données concrètes de l’Ecriture pour traduire le fait de la Rédemption, dans une langue particulièrement intelligible aux premières générations chrétiennes, mais qui n’est pas une langue morte. La théorie de la satisfaction vicaire ne se présente pas pour les supplanter, mais pour les encadrer.

L’idée de rançon, empruntée aux mœurs des sociétés antiques, n’a qu’une valeur sociale et historique, suffisante à amorcer la considération du mystère, impuissante à porter une analyse complète. L’idée de sacrifice, beaucoup plus élevée, beaucoup plus profonde, possède une tout autre valeur, celleci d’ordre religieux, et à l’épreuve du temps.

Dès le ve siècle, au Concile d’Ephèse, cette idée reçut une consécration dogmatique, avec le 10e anathématisme de saint Cyrille d’Alexandrie, D. B., iaa (8a) :

La divine Ecriture dit que le Christ est devenu le Grand-Prétre et 1 Apôtre de notre confession ; qu’il s’est offert pour nous en odeur de suavité a Dieu son Père. Si donc quelqu’un prétend que notre Grand-Prêtre et noire Apôtre n’était pas le Verbe même de Dieu, devenu chair et homme pour nous, mais proprement un homme né de la femme, distinct de lui ; ou s’il dit qu’il a offert son sacrifice pour lui-même, et non pas pour nous seuls — lui qui n’avait pas besoin de sacrifice, vu qu il ne connaissait pas le péclié ; — qu’il soit anathème.

Le principal reproche qu’on puisse adressera l’idée de sacrifice rédempteur, est de ne se révéler pleinement à nous que dans la réalité même qu’il s’agit ici d’analyser et de déûnir. En effet, le seul sacrifice vraiment digne de Dieu est précisément celui dont Jésus Christ fut tout à la fois le prêtre et la victime ; sacrifice qu’il ofTrit sur la croix, après avoir pourvu d’avance à sa pérennité par la célébration de la Cène. Les sacrifices de l’AT., et à plus forte raison les sacrifices des Gentils, n’ont qu’une valeur purement figurative ; le chrétien ne demandera point à ces ombres de sacriûce une définition pleinement applicable à la grande réalité du Calvaire. Ce serait commettre la même faute de méthode que commettent certains historiens des religions, quand ils empruntent les éléments de leurs définitions aux populations primitives — qu’on appellerait mieux dégénérées — et aux développements religieux les plus rudimentaires, au lieu de recourir d’abord aux religions les plus élevées et les plus pures, à celle surtout qui entre toutes possède une valeur transcendante.

L’Ange de l’Ecole s’est bien gardé d’une telle erreur, quand il appelait la mort du Christ un sacrifice très agréable à Dieu. III », q. 47, art. a : Quoddant sacrificium acceptissimum Deo. Le quoddant ne marque pas une dégradation de la notion générique, mais au contraire un agrandissement. On pourrait ici, empruntant le langage scolastique, parler d’analogie et dire que la mode du Christ est Vanalogum princeps in génère sacrificii. C’est ce qu’ont bien compris des auteurs modernes, qui ont souligné toute la différence entre les sacrifices impuissants et relatifs de l’AT. et celui du NT. Mgr Hbdlky, La Sainte Eucharistie, trad. Rondière, p. 196 : « Bien que jamais, avant le Christ, un sacrifice n’ait réalisé la notion absolue du sacrifice, maintenant que l’Incarnation s’est accomplie, la théologie catholique n’a pas de difficulté à voirce que doit être et ce qu’est un sacriûce absolu. » Phat, Théologie de saint Paul 361

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t. II, p, aai : « Au Calvaire, Jésus-Christ n’est pas seulement victime : il est sacriticateur ; et il l’est par la volonté de son Père. Ces trois choses — l’immolation passive du Christ, l’oblation qu’il fa i t ile lui-même et l’ordre de Dieu — forment un acte unique, dont on peut bien distinguer les éléments, mais sans avoir le droit de les dissocier. »

D’un point de vue catholique, le caractère de sacrifice, que l’acte rédempteur du Christ possède au sens propre, se laisse d’autant moins mettre en question, que les documents du magistère ecclésiastique partent de là pour revendiquer la réalité du sacrifice eucharistique. Le sacrifice eucharistique est essentiellement représentatif du sacrifice de la croix ; vidé de cette relation, il ne sera plus un sacrifice. D’où il suit que, si l’on dénie à la mort sanglante du Christ ce caractère de sacrifice, lareligion chrétienne réalisera l’idée monstrueuse d’unereligïonsans sacrifice. Le concile de Trente dit, sess. xxii, c. i, D. #., g38 (816) : Is igilur Deus et Dominus noster, etsisemel seips uni in ara crucis morte inlercedente Deo Patri oblaturus trat, ut aeternam illic redemptionem operaretur, quia tanien per mortem sacerdotium eius eitinguentiurn non erat, in cæna novissima, qua nocte tradebatur, ut dilectæ sponsæ suæ Ecclesiæ visibile, tient hominum naturel exigit, relinqueret sacrificium, quo cruenlum illud semel in cruce peragendum repræsentaretur… corpus et sanguinem suum sub speciebus punis et vint Deo Patri obtulit…

Sur la Rédemption considérée comme sacrifice, on lira avec fruit le R. P. Hugon, O.P., Le Mystère de la Rédemption, ch. iv, Paris, 1910 ; et aussi le R. P. M. dk la Taillb, S. L, Mysterium Fidei, Paris, 19a 1, livre I, passim ; notamment Elucidatio n.

La pensée protestante la plus émancipée de tout nseignement traditionnel a souvent revendiqué, parfois avec des raffinements subtils, ce caractère de sacrifice que présente la mort du Christ. Ainsi E. MéNKGOz, La théologie de l’Epttre aux Hébreux, p. 25g-a66, Paris, 18g4, opposant au point de vue de saint Paul le point de vue de l'épître aux Hébreux (dont il refuse la paternité à saint Paul). Il expose que saint Paul s’est attaché surtout au côté infamant de la mort du Christ, et la présente comme un sacrifice d’expiation voulu par Dieu (Gal., ni, 13 ; Boni., vin, 3 ; II Cor., v, 21) ; que, d’autre part, l’auteur de l'épître aux Hébreux présente cette mort comme une ofTrande spontanée de l’homme ; il ajoute que les deux points de vue, encore que distincts, se réconcilient dans une unité supérieure. Loc. cit., p. 266 :

« Fidèle jusqu’au bout à la mission dont Dieu l’avait

chargé dans ce monde, Jésus est mort sous les coups de ses ennemis. Il a sacrifié sa vie à Dieu, et il a expié, en mourant, les péchés qu’une mystérieuse solidarité avait fait converger sur sa personne. Ainsi se concilient saint Paul et l’Epitre aux Hébreux. Cela nous explique comment Paul, tout en conservant son point de vue, a pu appeler la mort du Christ nn « sacrifice » agréable à Dieu (Eph., v, 2). Littérairement parlant, il se sert d’une image, mais si nous allons au fond de sa pensée, nous voyons que cette image exprime précisément ce qui constitue l’idée essentielle du sacrifice rituel : l’offrande à Dieu de ce que nous avons de plus précieux. » — Cette contribution d’une pensée indépendante à la métaphysique du sacrifice rédempteur nous a paru non dénuée d’intérêt.

c) Objections contre l’idée de satif action vicaire. — Contre le principe de la satisfaction vicaire, on a élevé deux sortes d’objections : les unes d’ordre juridique, les autres d’ordre sentimental.

D’un point de vue juridique, on a protesté contre la substitution de l’Innocent aux coupables. C’est

qu’on n’a point assez considéré, soit le dessein d’amour qui préside à l'œuvre de la Rédemption, soit l’empressement d’obéissance avec lequel le Fils de Dieu va au-devant de la volonté paternelle. Nous emprunterons à un auteur protestant une réponse qui n’est pas sans valeur. Grétillat, Théologie systématique, t. IV, p. 364 '

Il est surprenant de voir ceux que les redoutables et angoissants problèmes de la solidarité ont laissés sereins ou résignés, attendre, pour se récrier, que nous prononcions devant eux le mol de substitution… Que des multitudes pâtissent fatalement de la faute d’un chef ou d’un autre, l’on dit : solidarité ! Mais l’innocent qui se présente pour prendre sur soi par un acte volontaire la faute de tous les autres, est réputé renverser toutes les lois divines et humaines. Que la Providence divine, qui a vu tant de crimes se commettre sur la terre, ait permis le plus odieux et le plus inutile de tous, que la divine Justice soit convaincue d’avoir abandonné pour un jour, sans raison péremptoire, le Saint et le Juste, aux mains des iniques ; qu’il soit reconnu que le Père céleste a laissé un instant sans réponse la suprême supplication de son Fils sur la croix : la raison et la conscience se répètent l’une à l’autre : solidarité ! Mais, qu’au-dessus des mains iniques et des conseils incohérents des méchants, se révèle à nous un plan divin et étemel, manifestation suprême de justice et de grâce ; c’est la que le scandale commence ! Et bien ! Je me déclarerai plus choqué de voir à tout propos et dans tout le cours de l’histoire et tout autour de moi des êtres innocents et inofïensifs saisis bon gré mal gré par l’universel engrenage, que d’assister à l’acte libre et sublime de celui qui meurt à la place d’un autre.

L’objection sentimentale, qui s’indigne du traitement infligé au Christ innocent, enveloppe quelquefois d’une forme poétique un violent blasphème. Ainsi Mme Ackermann, Poésies philosophiques :

Quand de son Golgotha, saignant sous l’auréole, Ton Christ viendrait à nous, tendant ses bras sacrés, Et quand il laisserait sa divine parole Tomber, pour les guérir, sur nos cœurs ulcérés ;

Nous nous détournerions du tentateur céleste Qui nous offre son sang, mais veut notre raison. Pour repousser l'échange inégal et funeste, Notre bouche jamais n’aurait assez de : Non !

Non à cet instrument d’un infâme supplice, Où nous voyons, auprès du divin Innocent, Et sous les même coups, expirer la justice ! Non à notre salut, s’il a coûté du sang !

Puisque l’amour ne peut nous dérober ce crime, Tout en l’enveloppant d’un voile séducteur, Malgré son dévouement, Non, même à la victime, Et Non, pardessus tout, au sacrificateur !

Qu’importe qu’il soit Dieu, si son œuvre est impie ? Quoi ! C’est son propre Fils qu’il a crucifié ? Il pouvait pardonner, mais il veut qu’on expie. Il immole, et cela s’appelle avoir pitié !

A ces prétentions d’ordre sentimental, une réponse parfaitement topique est fournie par l’histoire du sentiment religieux qui, loin de prendre scandale du mystère de la croix, y puisa souvent le germe de l’amour le plus éclairé pour le Christ et pour son Père, et du plus pur héroïsme. Les annales de la sainteté rendent à cet égard le témoignage le plus intelligent.

d) Multiples aspects de la passion du Christ.

— La passion du Christ, acte rédempteur par excellence, présente au regard de la foi des aspects multiples : vouloir les enfermer dans une formule exclusive serait, croyons-nous, une maladresse qui, sous prétexte de simplifier le mystère, l’appauvrirait. De cet appauvrissement, nul ne s’est mieux gardé que saint Thomas. Désirant épuiser le sens de la mort rédemptrice, l’Ange de l’Ecole multiplie les prises sur le réel. Dans la IIIe partie de la Somme, 563

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la question 4& a pour titre : De modo passionis Christi quantum ad effectuai ; et elle comprend six articles :

Abt. i. — L’trum passio Christi causaverit nostram salutem per modum meriti.

Art. a. — Utrum passio Christi causaverit nostram salutem per modum satisfactionis.

Art. 3. — Utrum passio Christi causaverit nostram salutem per modum sacrificii.

Art. /). — L’trum passio Christi causaverit nostram salutem per modum redemptionis.

Art. 5. — Utrum esse redempiorem sit proprium Christi.

Art. 6. — Utrum passio Christi causaverit nostram salutem per modum effïcicntiae.

Les deux notions de mérite et d’efticience constituent les deux bouts de la chaîne. Entre deux se succèdent, dans un ordre qui n’est pas indifférent, les notions de satisfaction, de sacrifice, de rédemption, enfin la propriété personnelle du Rédempteur. Arrêtons-nous seulement aux deux termes extrêmes : mérite et efficience : ils répondent à deux aspects principaux de la Rédemption, largement indiqués par les Pères.

La notion de mérite appartient à l’ordre juridique et moral. Source physique de toute grâce, le Christ a voulu encore souffrir pour acquérir un droit nouveau à répandre la grâce sur l’humanité. In l d., 18, q. i., a. 2 : Patientis itistitiam actio propria est facere sibi debitum quod est ei per iustitiam reddendum ; et hoc proprie mereri est. En acceptant la mort par amour pour nous, le Christ a posé un acte d’héroïque obéissance, et acquis des droits dont nous bénéficions. Thème juridique, développé par presque tous les Pères théologiens de la Rédemption.

La notion d’efficience appartient à l’ordre physique. En revêtant notre chair, le Christ s’est fait instrument pour guérir notre chair blessée. Et en ressuscitant après sa passion douloureuse, il est devenu, à un titre spécial, source de vie, Esprit vivifiant (I Cor., xv, 45). Thème physique de la Rédemption, développé par plusieurs Pères, à la suite de saint Irénée et de saint Athanase.

L’Ange de l’Ecole opère la synthèse de ces deux chefs de développement. D’ailleurs, il se garde bien de les confondre. Il sait que l’acquisition du mérite est liée particulièrement à la mort rédemptrice, et il s’exprime avec une précision souveraine. III », q. 8, a. i ad i- m : Actiones ipsius ex virtute divinitatis fuerunt nobis salutiferac, utpote gratiam in nobis causantes et per meritum et per quandam efficientinm. Le Christ, vainqueur de la mort, est, de plein droit, Chef de l’humanité régénérée ; il opère dans ses membres pour le salut.

Dans un résumé d’une singulière plénitude, saint Thomas embrasse les multiples formalités de la Rédemption du Christ. III », q. 48, a. 6 ad 3 m : Passio Christi, secundum quod comparatur ad divinitatem eius, agit per modum efficientiæ ; in quantum vero comparatur ad voluntatem animât Christi, agit per modum meriti ; secundum vero quod consideratur in ipsa carne Christi, agit per modum satisfactionis in quantum per eam liberamur a reutu poenæ ; per modum vero redemptionis in quantum per eam liberamur a servitule culpæ ; per modum autem sacrificii, in quantum per eam reconciliamur Deo.

Il n’est aucune de ces formalités qu’on ne retrouve dan » quelqu’une des théories protestantes de la Rédemption ; nous le constaterons ci-dessous. Mais d’ordinaire, elles s’y trouvent plus ou moins dissociées. La conception traditionnelle a pour caractère l’harmonie dans la plénitude. La raison profonde

de ce caractère est marquée par saint Thomas, l « ,

q. 21, a. 4’Necesse est quod in quolibet opère Dei misericordia et veritas inveniantur… Ruius autem necessilmtis ratio est quia, eu m debitum quêd ex divina iustitia redditur, sit vel debitum Deo vel debitum alicui creuturae, neutrum potest in ahque opère Dei prætermitti. Non enim potest facert ahquid Deus quod non sit conveniens sapientiæ et bonitati ipsius ; secundum quem modum diximus aliquid esse debitum Deo. Similiter etiam quidquid in rébus creatis facit, secundum convemenlem ordmem et proportionem facit, in quo consistit ratio iustttime. Et sic oportet in omni opère Dei esse iustitiem. Opus autem divinæ iustitiæ semper præsupponit opus misericordiae et in eo fundatur.

On nous permettra de renvoyer à Tin article sur /. « dogme catholique de la Hédemptitti, Etudes, t. CXXXV, p. 170-197, 20 avril 191 3 ; et à un article sur l.e sens de la Rédemption, Revue Apologétique t. XXXIII, p. 163-174, 1 nov. Kj21.

e) Fondement de la satisfaction vicaire. — Par quelque aspect que l’on aborde le mystère rédempteur, il faut assigner le fondement de cette économie divine, qui impute à l’humanité l’œuvre personnelle du Christ. Il n’y en a pas d’autre que le fondement indiqué par saint Paul dans un passage déjà cité, /{<>ni., v, 15-21. L’antithèse des deux Adam explique la double solidarité du genre humain dans la chute et dans le relèvement. Comme Adam, chef na’.urel de l’humanité, a troublé l’ordre divin et dissipé le patrimoine surnaturel de la race, le Christ, constitué par un dessein miséricordieux chef de l’humanité nouvelle, restaure en sa personne l’ordre troublé, puis admet l’homme au partage de l’héritage céleste, par lui reconquis. L’unité du Christ mystique, autrement dite la communion des saints, est pour les fidèles régénérés le fondement prochain d’une participation actuelle aux biens de la grâce et du salut. Unité fondée en Dieu : l’Esprit divin est l’âme du Christ mystique. Unité réalisée par les relations fraternelles qui unissent nu Christ et entre eux le » membres de la famille chrétienne. Unit » incomparablement plus profonde, plus riche, et plu » haute que l’unité de la race humaine dans le premier Â.dam ; car elle a pour principe, non plus la nature qu’Adam avait reçue intègre des mains de Dieu, mais la grâce, dont le Christ porte en lui-même la plénitude infinie. Ne fut-ce que pour cette raison, le théologien s’abstiendra de demander â la doctrine du péché originel un cadre pour exposer la doctrine de la Rédemption : le cadre éclaterait nécessairement. D’autant que, selon saint Paul, l’bi abundtivit delictum, superabundavit gralia (Rom., v, 20).

IV. — Déformations diverses

I » Lus prbtbndus droits du dBmon. — L’idée de faire intervenir dans la théologie de la Rédemption un prétendu droit, acquis par le démon sur l’homme déchu, est une aberration du sens étymologique, imputable à un petit nombre de Pères, définitivement redressée par la Scolastique.

La métaphore juridique de la Rédemption n’était que l’adaptation au relèvement de l’humanité déchue, d’une analogie empruntée a la libération des captifs on à l’émancipation des esclaves, idées familières à l’antiquité tant sacrée que profane. Métaphore inoffensive, à condition d’être constamment traitée comme pure métaphore. Mais il suffisait de la réaliser avec quelque maladresse, pour en faire sortir les thé ories les plus fausses. Tel serait le cas de presque tous les Pères, au dire de certains critiques rationalistes. 5<15

REDEMPTION

566

Ainsi Aug. Sasa-titr, lu doctrine de l’expiation et son évolution hisloriijtie, p. 47.48, Paris, hjo3 :

Si l’on cherche comment la mort du Christ a oporc cotte rédemption des pécheurs, ou constate que presque tous les Pères se la représentent comme un drame scmi-myll qu « et semi-juridique des plus étranges. La théorie d’une rançon payée au diable >eiuhle èlre le prolongement, dans 1 Eglise, des imaginations gnostiques Cette conception plaisait à la fantaisie populaire ; mais plus la théologie s’y abandonnait, plus elle s elo git-it de la théorie d’un sacrilice offert a Dieu. Vest-il pas curieux de constater qu’à ce moment, dans l’Eglise catholique primitive, la pensée allait d’un côté, et le culte de l’autre’Pour être conséquente, l’Eglise aurait dit faire, de la messe, un sacrifice offert au diable.

Voir ibid., p. 90.

Hâtons-nous de dire qu’il y a dans ce réquisitoire une part énorme d’exagération. Non seulement les prétendus droits du démon ne sont pas admis par presque tous les Pères, mais, entre ceux qui plus ou moins ouvertement y font allusion, on observe des différences profondes, qui ne permettent pas de ramener ces théories à l’unité.

A cet égard, il existe des confusions même chez tel auteur catholique.

Le livre d’Henry B. Oxbnham, Histoire du dogme de la Rédemption. Essai historique et apologétique, publié en 1865, tf. éd. t805, trad. fr. par J. Bruneau, Paris, 1909, est l’œuvre d’un anglican converti, imparfaitement dégagé des étreintes de son protestantisme. On y trouve, avec de belles envolées mystiques, trop d’inexactitudes. Ony apprend, p. |53, que « (depuis Origène) jusqu’à saint Anselme, on continue à expliquer communément la nécessité de la mort du Christ par l’idée de rançon payée à Satan » ; p. 178, que les Pères n’avaient pas mis l’accent sur la mort rédemptrice, comme devaient le faire les protestants ; etc… Le point de vue du dogme est trop sacrifié au point de vue de l’évolution dogmatique, l’absolu au relatif. Voir les critiques des Etudes, ao fév. 1909, p. 078.079 ; de la Civiltà Cattolica, 6 fév. 1910 ; « lu il. P. Hcgon, dans Le Mystère de la Rédemption, p. 193-195.

La question des droits dit démon a été très heureusement débrouillée par M. l’abbé Rivière dans son Etude historique sur le Dogme de la Rédemption, p..S73-486, Paris, igo5. Nous lui devons beaucoup dans la section présente.

I* Forme juridique : théorie de la rançon.

Andired’Aug.SABATian, La doctrine del’Expiation, p. 4^, « Irénée, le premier, semble avoir esquissé la théorie de la rançon ainsi entendue ». Cette assertion nous semble complètement erronée. Le tour juridique donné par saint Irénée à la doctrine de la Rédemption peut faire prendre le change ; mais, comme l’indiquait déjà le 11. P. Galtier dans les Recherches de Science religieuse, 1911, p. a4, le démon fait ici uniquement figure de larron. * Le larron doit rendre gorge. La mansuétude est toute pour les victimes. A son égard, le Christ ne fait qu’oeuvre de justicier. » Nous avons repris la même question, Recherches de Science religieuse, 1916, p. iHG-ai i, en essayant de définir cette espèce de justice qui, selon Irénée, préside à la « Récapitulation du Christ ». Cette justice, que le Christ observe envers le démon, consiste uniquement à ne le point ménager. Voir Irénkr, Contra Hæreses, III, xviii, 7 ; xxiii, i.a ; V, 1, 1 ; 11, 1 ; xvi, 3 ; xvii, 1 ; xxi, i-3.

p. e., VH.

Avec plus de raison, Origkne passe pour le père delà théorie. A ses yeux, la rançon payée au démon n’a pas qu’une valeur métaphorique. I/e démon est an créancier, dont nous sommes les débiteurs.

In loan., , xxxix, P. G., XIV, <)a B ; In ferem., /Loin., xv, 4, P. G., XIII, /, 33 ; In Rom., V, iii, P.C., XIV, loaft. Nous sommes sa propriété : il nous, a achetés avec la monnaie du péché, In Ex., lia t., vi, 9, P. G., XII, 338. Semblable à un publicain, il a ses douaniers, postés à la frontière du monde, pour exiger son du. //1 Luc., llom., xxiii, /’. XIII, 1862. Or Jésus-Christ est venu nous racheter au prix de son sang, In loan., VI, xxxv, P. G., XI V, >jp ; InRom.. III, vu ; IV, xi, P. G., XIV, 9 4, r >. 1000. Il a donné son âme, et le démon l’a reçue, In M t., XVI, viii, P. 6’., XIII, 13c, 7-1400. Cf. In Rom., II, xiii, P. G., XIV, 911 ; In Ut., XII, xxviii, P. G., XIII, io44-â ; Exhurl. ad mart., xii, P. G., XI, 580. Au reste, le démon s’est trompé dans ses calculs et s’est perdu, //( Ml., XVI, viii, P. G., XIH, 1397 ; In **> XIII, viii, 1 1 if’1-7 ; In Mt., séries, 75, ib., 1720. En disant que le sang du Christ fut livré au démon, Origène a faussé d’une manière regrettable In pensée de saint Paul. Toutefois il ne reconnaît au démon aucune sorte de droit proprement dit. Voir J. Wirtz, Die Lehre von der Apolyti osis, untei sucht nuch den hl. Schriften und den griechischen Schriftstellern bis aufOrigenes einschliesslich. Trêves, 1906.

Dès le 111e siècle, Origène rencontra des contradicteurs. C’est une forme plus aiguë encore de sa doctrine que réfute, dans le dialogue anonyme De recta in Deum fide, sect. 1, P. G., XI, 1766-7, le personnage nommé Adamantius. Mais sa pensée revit chez plusieurs Pères du ive siècle.

Saint Basile montre le démon épiant les âmes, au moment de la mort, In Ps, vii, a, P. G., XXIX, a32-3 ; In Ps., xlviii, 3, /| 3 7.

Saint Grégoire dk Nyssb souligne les droits acquis du démon et le procédé ingénieux employé par le Sauveur pour nous rendre à la liberté. Il se revêt de chair : le démon convoite une si belle proie, et se prend àl’hameçon de la divinité. Oratio catechetica magna, xxn-xxiv, P. G., XLV, 60-66. — Il est juste de dire que, sans peut-être viser saint Grégoire de Nysse, saint Grégoire de Nazianze protesta contre de si subtiles inventions, Or., xlv, 22, P. G., XXXVI, 653.

Saint Ambroisb détaille le marché débattu par le démon, qui a versé pour nous la monnaie du péché, In Luc., X, lxvi, P. L., XV, 1820 ; De lacob et vita heata, , iii, 10, P. /-., XIV, 602. 3 ; In Ps., xxxvi, 46, P. L., XIV, 989 ; Ep., xli, 7. 8, P. £., XVI, in5.Dans ce marché, le Sauveur l’emporte par la générosité, In Luc, XII, cxiv-cxvii, P. L., XV, 1727-8 ; Ej>., lxxii, 8-9, P. i., XVI, 1245. 6.

Saint Jérôme lui-même ne craint pas d’employer et de commenter la même métaphore, In Is., 1. XIII et XIV, P. L., XXIV, 4 7 5 et 496, In Mat., 1. III, PI., XXVI, 144 ; InEph., 1, 7 ; In TH., 11, ia, ib., 450-ùo. ;.

Dans ce tour dramatique donné à l’expression du dogme, il n’est pas toujours facile d’opérer le triage entre l’intention proprement dogmatique et la mise en scène littéraire. Nous ne l’essaierons pas. Nous ne contesterons pas les inconvénients de ce langage, d’où il semble juste de conclure que, dans une mesure difficile à préciser, Origène et quelques Pères soumis à son influence furent dupes d’une métaphore. Ce qu’il faut nier absolument, c’est d’abord qu’une telle confusion soit le fait de presque tous les Pères. C’est aussi que la métaphore engendre par elle-mêmeune telle confusion et que, de eechef, ou doive la tenir pour condamnée.

Il suffit d’opérer les discernements nécessaires, et en général les Pères n’y ont pas manqué. Ils ont bien vu que, s’il est question de captifs et de rançon, les captifs ne sont pas, pour autant, la propriété du geôlier, et que le geôlier n’a aucun droit à percevoir le 56 :

RÉDEMPTION

568

prix de leur liberté. La servitude qui pèse sur le genre humain par le fait du péclié est, à proprement parler, une servitude pénale ; loin de pouvoir opposer un droit quelconque aux droits de Dieu, le démon tientdelui toutson droit, simple commission degeôlier ou de tortionnaire, qui prend lin le jour où la dette du péché se trouve acquittée envers Celui-là même envers qui elle fut contractée, c’est-à-dire envers Dieu. Ainsi pourrait-on prolonger, en pleine conformité avec la tradition commune, les lignes amorcées par la métaphore de la rançon, selon laquelle Dieu même est son propre créancier. Il suffira d’entendre saint Thomas, Ill a, q. 48, art. 4 : Quamvis… diabolus iniuste, quantum in ipso erat, homïnem sua fraude deceptumsub servitute teneret, et quantum ad culpam et quantum ad poenam, iustum tamen erat hue hom.inem.pati, Deo permiltente hoc quantum ad culpam et ordinante quantum ad poenam ; etideo per respectant ad Deum iustitia exigebat quod homo redimeretur, non autem per respectum addiabolum. Nous avons développé plus largement ces idées, Etudes, t. CXXXV, p. 192.3, 20 avril iy13.

Dans le jugement à porter sur les textes d’Origène, il faut certainement faire la part des habitudes propres à ce grand esprit, trop grand pour s’arrêter aux questions de mots et de forme, trop séduit par des aperçus ingénieux pour résister à la tentation d’un beau développement, mais au fond trop chrétien pour s’opiniàtrer dans l’erreur. L’absoudre paraît impossible, mais on lui accordera largement le bénéfice des circonstances atténuantes ; d’autant que, revenant perpétuellement sur la doctrine de la Rédemption, il combine, en proportionsvariables.lemédiocre et l’excellent. A plus forte raison excusera-t-on les Pères entraînés dans son orbite.

2° Forme politique : théorie de l’abus de pouvoir.

Cette théorie, que les historiens protestants du dogme ne distinguent pas ordinairement de la précédente, en diffère par un trait essentiel : il n’est plus question de transaction débattue avec le démon ; seulement on voit le démon exercer sur l’humanité coupable un pouvoir de fait et perdrece pouvoir pour en avoir abusé.

Reprenant une idée chère à saint Irénée, d’après laquelle la défaite du démon, pour être complète et satisfaisante, doit être l’œuvre de l’homme, les Pères du ive siècle insistent sur le fait que le Christ se mesure avec le démon dans son humanité. Ils ajoutent qu’en osant étendre ses rigueurs sur le Christ innocent, le démon perd son empire sur les coupables. La thèse atteint sa forme classique chez saint Augustin. On peut citer :

SaintGHÉoomB dk Nysse, Or. catechet. magn., xxvi, P. G..XLV, 68.

Saint JbanChrysostomb, /h loan., Hom., lxviii, 2.3, P. G., LIX, 372. 3 ; In Rom., Hom., xiii, 5, P. G’., LX, 514.

Saint Cyrille d’Alexandrie, In loan., l.VI, P. G., LXXIII, 894 ; De Incarn. Dom., xi-xiv, P. G., LXXV, 1 433-1 44 1.

Psbudo-Denys, Cæl. Hierarch., III, xi, P. G., III,

441.

Thkodorbt, De Providentia, Sermo x, P. G., LXXXIII, 748. 760.

Saint Jean Damascènb, De fid. orth., III, 1. xviii, P. G., XCIV, 984. 1072.

Saint Hilaihr, In Mal., iii, *, P.L., IX, 929 ; InPs., lviii, 5 ; lxvii, 23 ; lxviii, 8, P. L. IX, 376. 460. 470 ; De Trin., I, xiii, P. L., X, 35.

Saint Pacibn, Sermo de flapt., iv, P. L., XIII, 1092.

Ambrosiastbr, lnRom., , i !  ; v, 1 4. 20 ; vii, 4-8. 14 ; vin, 4, P. L., XVII, 80. 94.99.106. 109. 112. 1 18 ; In Gal., 1, , 3’|0 ; In Eph., v, 2, 394 ; In Col., 11, 15, 43 1 Saint Augustin, De libero arbitrio, III, x, 29-31, P. Z„ XXXII, 1285-7’. De Trmit., XIII, xu-x viii, 16-23, P. I..XLII, 1026-33 ; IV, xiii, 17, 900 ; De Civ. Dei, X, xxii, />. /.., XLI, 300 ; In. loan., lii, G, P.L., XXXV, 1771 ; Enchiridion, xv, 49, P. L., XL, 206.

Saint Paulin de Nolb (citant saint Augustin), Ep., xxui, 15, P. L., LXI, 267.

Saint Léon le Grand, Serm., xxii, 3. 4 ; xxviii, 3 ; xli, 2 ; xlii, 3 ; lvi, i ; lx, 3 ; lxi, 4 ; lxii, 3 ; uni, 1 ; lxiv, 2 ; lxix, 8. 4 ; P- L., LIV.

Kulgenck Ferhand, Ep., iii, 5, Ad Anatol., P. L., LXVII, 893.

Saint Césaire d’Arles, Hom. iii, De Paschale, P.L., LXVII, 1049.

Saint Grkgoirb le Grand, Moral., II, xxii, 4’' XVII, xxx, 46. 47, P. L., LXXV, 575 ; LXXVI, 32. 33.

Avec Fortunat (hymne Pange linguà), l’Eglise ne craint pas de chanter :

Hoc opus nostræ salutis ordo depoposcerat, Multiformis proditoris ars ut artem falleret.

On peut reprocher à cette théorie un caractère plus ou moins artificiel ; du moins échappe-t-elle aux reproches plus graves qui atteignaient la théorie précédente. La majesté divine en sort indemne.

A plus forte raison n’a-t-elle rien à redouter de certaines variations littéraires qui ne tirent pas à conséquence. — Voir : 3°.

3" Forme poétique : Discours et métaphores.

Ceci est pure affaire de rhétorique sacrée. Le bon goût peut y souffrir quelque atteinte, non ladoctrine. Cf. Rivière, Le dogme de la Rédemption, E. //., p. 4 1 5-445.

Déclin de la théorie des droits du démon. — Le haut Moyen âge avait réédité, sans beaucoup d’originalité ni d’éclat, la théorie politico-juridique de la Rédemption, héritée de saint Augustin et de saint Grégoire le Grand. Une réaction énergique est marquée pour la première fois par saint Ansklmb, qui, avec une indépendance dont il faut lui savoir gré, s’inscrit nettement en faux contre toute idée d’un droit quelconque reconnuau démon. Il n’y a ici d’autre créancier que Dieu, et le démon ne peut rien attendre, en bonne justice, qu’un dur talion. Car Deus homo, 1, vii, P. L., CLVIII, 367-8 ; cf. Médit., xi.ib., 763-4. Au siècle suivant, Abblard reprit la critique des droits du démon, avec plus de vigueur que de mesure ; car, non content de dénier au démon toute espèce de droit sur.’homme déchu — ce qui est juste —, il lui dénia toute espèce de pouvoir — ce qui est excessif. Voir son commentaire In Rom., Il, iii, P. L., CLXXVIII, 833-5 ; elEpilomeTheologiæ chrislianae, dû à l’un de ses disciples, xxiii, il)., 1730-1. A la suite de Guillaume de Saint-Thibrry, Disputatio ads<. Abælardum, vii, P. /,., CLXXX, 269 sqq., saint Bbrnard s’éleva contre les tendances rationalistes d’Abélard : Epistola de erroribus Abælardi, v, 111 4, / J. /.., CLXXXII, 1062-5 ; la 4* proposition d’Abélard, condamnée par le concile de Sens (11/J1), est ainsi conçue : Quod Christus non assumpsit carnem ut nos a iugo diaboli liberarcl. Mansi, XXI, 568 D. Mais les revendications de saint Bernard, empêtrées dans les restes de la théorie politico-juridique, ne font pas la pleine lumière. La mêlée devient alors très confuse : tandis que Roland Bandinelli, Sententiae, éd. Gietl, p. 158-162, et Robert Pullus, Sententiae, IV, 13.14, P. L., CLXXX VI, 820-1, soutiennent Abélard, Hugues du Saint Victor, De sacramenlis, II, 1, 2, P. L..CLXXV1, 372 et Pierre Lombard, Sent., III, 19, 2.3, P. L., CXCII, 7g5-6, font écho à saint Bernard. Il était réservé à saint Thomas de trancher le nœud de la controverse, en précisant 569

REDEMPTION

>70

la condition juridique de l’homme soumis au démon à titre de servitude pénale, III", q. / ( 8, art. (, et définissant le caractère de la satisfaction du Christ, qui fut une sorte de rançon payée à Dieu : Fins passio fuit quasi quoddam pretium, per quod libérait sumus ab utraque obligatione. Nam ipsa satisfactio, qua quis satisfacit sire pro se sive pro alio, pretium quoddam dicitur quo seipsum sel alium redimit a peccato et a poena. Il maintient d’ailleurs, sans y appuyer, l’idée, souvent reprise depuis saint Irénée, de la souveraine convenance d’une revanche de l’homme (en la personne du Christ) sur le démon, ib., q. 46, art. 3 ad 3 » ; il maintient même l’idée de l’abus de pouvoir commis par le démon et entraînant sa ruine, — trace fugitive d’une théorie chère à la tradition latine, q. 4g. a-’Cf. d’ailleurs In III, D. ao ; saint Bonavbnturi, In III, D. 19 et 20. Ainsi la question des droits du démon était-elle définitivement liquidée.

II. Efforts dk réimtbb.prbtation db la. satisfaction vicaire. — Plusieurs théologiens catholiques, au cours du xix « siècle, ont essayé de réinterpréter la doctrine traditionnelle de la satisfaction vicaire, pour faire face à l’objection, selon eux mal résolue : nul ne satisfait pour autrui. Ces tentatives consistaient généralement à déplacer l’axe de la théorie et à passer du terrain objectif et métaphysique au terrain subjectif et psychologique.

Le Christ serait mort pour faire comprendre aux hommes la gravité du péché, sa propre sainteté, son amour ; pour les exciter au repentir et appliquer au péché le seul remède approprié : celui de la doctrine et de l’exemple. Ainsi Hkrmes(-]- 1831), Chris tliche Dogmatik, Munster, 1835 ; Schkll, Kalholische Dogmatik, Paderborn, 1889.

Dieu aurait voulu fournir à l’humanité, en la personne du Christ, l’occasion de réparer, par une obéissance parfaite, la désobéissance d’Adam. En vertu de l’inclusion réciproque des individus, l’épreuve subie par les deux représentants de l’humanité, Adam et le Christ, devait être décisive pour tous. Ainsi Ant. Gcbnthrr (-j- 1 863), Vorschulen zur spekulativen Théologie, t. II, Wien, 1829.

Ces théologiens ont lâché la proie pour l’ombre. Car, en réduisant la vertu de l’acte rédempteur à un grand exemple, ils méconnaissaient le principe de la double solidarité des hommes en Adam et dans le Christ. Par là même, ils se condamnaient à ne fournir, de la satisfaction vicaire, qu’une explication insuffisante au regard de la doctrine catholique et même, dans une large mesure, au regard de la pensée protestante.

III. La Rédemption par la pbinr du talion, selon l’ortiiodoxib protkstantb. — Ceci est un travestissement infligé par les Réformateurs du xvi* siècle et leurs successeurs immédiats à la notion traditionnelle de satisfaction vicaire.

Le concept’juridique de saint Anselme, opportunément détendu par les grands docteurs de xme siècle, fut au contiaire resserré par les pères de la Réforme, qui en aggravèrent la rigueur et présentèrent les exigences de la justice divine sous un jour mesquin et odieux. En s’attachanl exclusivement à la justice commutative et à la justice vindicative, ils substituèrent, an système hardi et souple élaboré parles scolastiques, un schéma rigide, où Dieu fait figure de créancier inexorable et de bourreau. Créancier inexorable et bourreau à l’égard du Christ, sur qui s’accomplit toute justice ; l’homme n’a plus qu’à en bénéficier.

Déjà Luthbr donnait comme pendante sa concep tion de la justice du Christ, imputée à l’homme par le moyen de la foi, la conception de la malédiction du péché, imputée au Christ. Cette donnée fut reprise par Calvin, quil’érigea en système et en déduisit les dernières conséquences. Institution de la Heligion chrétienne, 1. II, xviii, éd. de Genève, 1888.

ô, p. 233 : Il ne suffisait point pour abolir nostre damnation que Jésus Christ endurast une mort telle quelle : mais pour satisfaire à nostre rédemption, il a fallu eslire un genre de mort par lequel il prist à soy ce que nous avions mérité : et nous ayant acquité de ce que nous devions, nous delivrast. ..

8, p. 234 ; La croix esloit maudite, non seulement par humaine opinion, mais par le décret de la Loy de Dieu (Deut., xxi, 22. 23). Quand donc Christ est attaché à icelle, il se rend sujet ù malédiction. Et falloit qu’il fust ainsi fait : c’est que la malédiction qui nous estoit deuo et apprestéc pour nos iniquilez, fust transférée eu luy, afin que nous en fussions délivrez : ce qui avoit esté auparavant figuré en la Loy. Car les hosties qu’on ofi’roit pour les péchez, estoient appelées du nom mesme de Péché. Par lequel nom le sainct Esprit a voulu signifier qu’elles recevoient toute la malédiction due au péché. Ce qui a este donc par figure représenté aux sacrifices anciens de Moyse, a esté à la vérité accompli en Jésus Christ, qui est la substance et le patron des figures. Pourtant afin de s’acquiter de nostre rédemption il mis son ameen sacrifice satisfactoire pour le péché, comme dit le Prophète ! /*., LUI, 5. 11) : afin que toute l’exécration qui nous estoit deue comme à pécheurs estant rejettée sur luy, ne nous fust plus imputée. L’Apostre declaire plus aperlementcela, quand il dit que celui qui n avoit jamais cogneu péché, a esté fait du Père péché pour nous : afin qu’en luy nous obtinssions justice devant Dieu (Il Cor., v, 21). Car ie Fils de Dieu estant pur et net de tout vice, a prins et vestu la confusion et ignominie de nos iniquitez : et d’autre part nous a couvert de la pureté…

10 p. 236 : … Nous avons à chercher une interprétation… de la desconte de Jésus Christ aux enfers : laquelle se présente en la parolle de Dieu, non seulement bonne et saincte, mais aussi pleine de singulière consolation. Il n’y avoit rien de fait si Jésus Christ n’eust souffert que la mort corporelle : mais il estoit besoin qu’il portast la rigueur de la vengeance de Dieu en son âme, pour s’opposer à son ire. et satisfaire son jugement Dont il a esté requis qu’il combatist contre les forces d’enfer, et qu’il luistast comme main à main contre l’horreur delà mort eiernelle… Parquoy il ne se faut esmerveiller s’il est dit qu’il est descendu aux enfers veu qu il a enduré la mort d* laquelle Dieu punit les malfaiteurs en son ire…

L’aboutissement horrible de cette doctrine, d’après laquelle Jésus aurait enduré les propres tourments des damnés, parut excessif à beaucoup de réformateurs. A cela près, on trouve le pendant des assertions de Calvin dans l’enseignement des luthériens du xvn* siècle. Eux aussi cherchent à établir une équivalence quantitative entre les péchés du genre humain et la peine subie par le Rédempteur. Au point de vue anselmien delà salisfactio, ils substituent le point de vue d’une salispassio avarement mesurée. La considération exclusive de la substitution pénale, dans la Rédemption du Christ, caractérise la scolastique protestante..

Le synode de Dordrecht (1618-9), représentant l’Eglise réformée des Pays-Bas, renchérit sur les rigueurs de Calvin. Il* partie, art. 4 :

Dieu n’est pas uniquement la miséricorde suprême : il est encore la suprême justice. La justice demande que nos péchés, commis contre sa majesté infinie, soient châtiés non seulement par des peines temporelles, mais encore par des peines éternelles, tant du corps que de l’âme. N jus no pouvons échapper à ces peines si la justice de Dieu n’est pas satisfaite Mais comme nous ne pouvons nous mêmes opérer cette satisfaction et nous délivrer de la colère divine, Dieu, dans son immense miséricorde, nous a donné son Fils unique pour répondant, lequel, pour opérer cette satisfaciion à notre place, a été fait sur la croix pour nous ou à notre place, péché et malédiction. C< tte mort est d’une valeur et d’un prix infinis, parecque la personne qui l’a subie n’est

pas seulement un homme rentable et parfaitement saint, mais encoro le Fils unique de Dieu, de la même essence éternelle et inlinie qu9le Pore, tel que devait ètro notre Sauveur ; ensuite parcequo *a mort a été accompagnée du sentiment de la colère de Dieu et de la malédiction que nous avions méritées par nos pé.hs.

Les Luthériens allemands du xvne siècle ne parlent pas autrement :

Jean (ii hhabd (1582-1637) écrit dans ses Loci theologici, XVII, il, 5'i : Quomodo enim piccata nostra vere in se suscepisset ac perfectam satisfaclionem præstilisset, nisi iram Dei individuo nr.ru cum pcccatis coniunclam vert sensisut ? Quornodo amaledictione legis redemisset, factus pro nobis maledictio, ttiti iudicium Dei irati persensitset ?

Oi_>N9TEDT (1617-1688), Theologia didacticopolemiea, P. III, p. 146 : Serait morte m attemam, sed non in aeternnm. Atterna ergo mors fuit, si spcctes esstntiam tt intentionem poenarum ; sin respicias infinitam personæ patientis lublimitatem, non tantumæquipollens, sed et omnes omnium damnatorum aeternas mortes infinities supergrediens fuit, liane ipsam vero mortem aeternam cruciatusque infernales non post, sed ante mortem temporalem, in horto Oliveii et in cruce sustinuit SaU’ator.

Ces imaginations, réprouvées par les controversistes catholiques du xvie et du xvne siècles, font horreur aujourd’hui aux protestants eux-mêmes. Nul n’en rend solidaire la doctrine chrétienne de la Ilédemption. Pour rendre compte de l’infinie valeur d’expiation que possède la passion du Christ, on s’attache très justement à la considération qui était déjà capitale aux yeux de saint Anselme : l'érainente dignité de la personne du Fils de Dieu. Et l’on insiste moins sur la rigueur du châtiment que sur la perfection morale de l’obéissance pratiquée jusqu'à la mort.

Des orateurs sacrés, depuis saint Jean Chrysostome, et des mystiques se sont autorisés des fortes expressions de l’Apôtre (Il Cor, , v, ai ; Gal., iii, 13, etc.) pour insister sur la substitution de l’Innocent aux coupables et assimiler en quelque sorte l’angoisse suprême du Christ à uneiuipression de réprobation. On peut discuter les outrances de leur langage. Nous ne songeons pas à les rapprocher des auteurs précédents, ni à leur imputer aucune sorte d’infiltration protestante.

Sainte Marqubritr Marie contemple le Seigneur agonisant à Gethsémani, et elle entend ces paroles. (Vie et Œ uvres, t. II, p. 162, éd. Gauthey) :

C’est ici où j’ai plus souffert qu’en tout le reste de ma Passion, me voyant dans un délaissement général du ciel et de la terre, chargé da tous les pèches des hommes. J’ai paru devant la Sainteté de Dieu, qui, sans avoir égard à men innocence, m’a froissé en sa fureur, me faisant boire un calice qui contenait tout le fiel et l’amertume de sa juste indignation, et, commo s’il eut oublié le nom du Père, pour me sacrifier » sa juste fureur. Il n’y a point de créature qui puisse comprendre la grandeur des tourments que je souffris alors. C’est cette même douleur que l'âme criminelle ressent, lorsqu'étant présentée devant le tribunal de la sainteté divine, qui s’appesantit sur elle, la froisse et l’opprime et l’abîme en sa juste rigueur.

Cet écho direct du Cœur de Jésus justifierait, au besoin, bien des audaces oratoires. Inutile de souligner son opposition foncière au blasphème luthérien.

IV. ÏNlIIILlSMB SOTKRIOLOOIQUB Œ SoCIN. — A

l’extrême opposé du supranaturalisme exaspéré qui, selon l’orthodoxie protestante, majorait la portée de la Rédemption objective, voici le rationalisme qui la discrédite.

L’erreur remonte au temps des Pères : l’hérésie pélagienne, qui niait le péché originel, devait logi quement méconnaître la Ilédemption. Mais cette méconnaissance n'était pour elle que le corollaire d’une erreur fondamentale.

Au xue siècle, Abri.ahd développa une conception toute subjective de la Rédemption. Il n’accordait à l’Incarnation et à la Passion du Fils de Dieu qu’une valeur d’exemple : si elles nous justifient, c’est uniquement à raison de l’amour qu’elles provoquent dans noscœurs, In Rom.., iii.v. viii, P.L., CLXXV111, 833 6 ; 8*0 ; 8.j8. On a vu plus haut sa rencontre avec saint Bernard et sa rétractation.

Au xvie siècle, l’idée d’Abélard fut reprise et développée par Faustb Socin (153ç)-1604). Dans le temps même où l’orthodoxie protestante poussait à bout les éléments juridiques renfermés dans la conception traditionnelle de la Rédemption, Socin, par un exclusivisme contraire, élaborait une doctrine du salut conçue du strict point de vue de la justice individuelle. Faisant table rase de toute solidarité entre la race humaine et la personne d’Adam en la personne du Christ, il s'élevait contre toute idée d’une satisfaction offerte à Dieu par le Rédempteur. A ses yeux, une telle satisfaction est inutile et impossible. Inutile, car Dieu n’a que faire d’une telle compensation : il est de sa dignité d’accorder un pardon pur et simple, et c’est un tel pardon qu’offraient à la pénitence soit Jean Baptiste, soit Jésus d’après l’Evangile. Socin, Prælectiones theologicæ t. I, xv, p. 565 ; xvin, p. 566-&70. Impossible, car la dette qu’il s’agit de solder est rigoureusement personnelle : la justice divine ne peut être satisfaite que par la mort — la mort éternelle — du pécheur, Ibid., xviii, p. 5^0.

L’argumentation de Socin se brise contre le fait de la double solidarité de la race humaine avec Adam et avec le Christ, si clairement affirmée dans le NT. D’ailleurs elle procède logiquement de ses prémisses rationalistes : la fécondité surnaturelle de la vie et de la mort du Christ n’est qu’une formule vide de sens, pour qui ne croit pas à sa divinité. Inefficace contre la doctrine traditionnelle, la critique de Socin atteint en plein l’orthodoxie protestante, dont elle ruine tous les postulats : justification par la foi, justice imputative, exigences inéluctables de la justice pénale, néoessité d’une équivalence quantitative entre la dette et l’expiation : aucune de ces inventions ne trouvait grâce devant le rationalisme socinien. Mais le rationalisme ne peut rien construire dans le domaine de la sotériologie. C’est la conclusion la plus certaine du vaste ouvrage De Jesu Christo Servatore.

V. Légalisme de Grotius. — Entre l’orthodoxie protestante et le rationalisme socinien, la théorie de Grotius représente un effort personnel et sincère, sinon heureux, pour sauver quelques éléments du christianisme. La Defensio fidei catholicité de satisfaction* Christi, publiée à La Haye en 1617, est l'œuvre d’un protestant croyant et d’un juriste. Avec les protestants orthodoxes, l’auteur maintient une Rédemption objective ; avec Socin, il revendique pour la vie et la mort du Christ une valeur d’exemple. Entre ces deux assertions, une idée juridique forme le nœud. La clémence de Dieu l’incline à faire grâce ; mais sa sagesse lui défend d’encourager l’impunité. Pour accorder ces deux exigences, il transporte la dette du péché sur la personne du Christ innocent et sévit contre lui, assurant ainsi force à la loi. Le système peut se définir d’un mot : la théorie du châtiment exemplaire. Il a pour ressort principal les exigences abstraites de la justice légale et même de la justice vindicative, plus que l’amour paternel de Dieu, dont déborde l’Fvangile. Malgré l’intention très louable de réagir contre l’incrédulité 573

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de Socin, la. valeur religieuse de ce légalisme demeure médiocre. L’effort tenté pour défendre la satisfaction du Christ n’aboutit qu’à un compromis de surface entra la justice qui se désiste et la sagesse qui sauve les apparences. Expédient politique, suggéré par l’esprit de gouvernement ; non solution vraie de la tradition chrétienne.

VI. Ohientations nouvelles : naithalismi et mysticisme. Le xixe siècle a vu revivre, au sein du protestantisme, les anciennes doctrines de la Réforma, avec toutes sortes d’amendements, dont nous ne pouvons dcnomlirer l’infinie variété. Mais surtout, il en a vu naître de nouvelles, d’un christianisme de plus en plus dilué. Parmi ces dernières, deux tendances générales se font jour : un naturalisme inclinant plus ou moins au panthéisme, et le mysticisme. Ces deux tendances se mêlent dans plusieurs des uiouvenientsque nous allons énumérer.

a) Renaissance gnosli^ut. — L’invasion du naturalisme, dans la théologie de la Rédemption, n’est pas un phénomène sans précédent. On l’a vue se produire dès les premiers temps du christianisme. Les aspirations confuses, qui trouvèrent leur expression dans les diverses sectes gnostiques, présentent ce trait commun : elles poursuivent la libération d’un principe spirituel captif dans la matière. Cette libération est, au sens le plus vague du mot, une rédemption : rédemption analogue à celle des mystères païens, qui déjà parlaient à leurs initiés de salut, de renaissance, d’apothéose. Voir art. Mystères, col. 1001-1004. La fameuse trilogie valentinienne, qui distinguait des natures pneumatiques, psychiques et hyliques, ouvrait aux natures psychiques des perspectives d’affranchissement et d’ascension vers le monde des esprits. Le manichéisme incitait ses adeptes à libérer par l’ascèse, notamment par l’ascèse alimentaire, les parcelles divines qu’ils portaient en eux. Selon toutes ces vieilles contrefaçons du christianisme, la rédemption est la réalisation d’une destinée supérieure, d’après les lois d’une mystérieuse sagesse dont le secret fut souvent demandé à une interprétation ésotérique des Livres saints. Ainsi la gnose renouait-elle la chaîne des mystères païens ; elle prenait rang parmi les diverses créations religieuses qui, avant et depuis notre ère, ont prétendu résoudre, par le seul effort de la nature, l’énigme douloureuse de la destinée humaine. Phénomène noté par E. du Fayb, Gnostiques et Gnosticismt, p. 433-4, Paris, 1 g 1 3.

Notre temps* connu plus d’une renaissance gnostique. Citons au moins un exemple.

Dans son livre récent, intitulé Kyrios Chrisios (Gôttingen, 1913), W. Bousset, auteur profondément versé dans la connaissance de la gnose, reprenait lui-même latræedes gnostiques, en retraçant le plan de la Réilemptiou d’après saint Paul : simple drame de métaphysique religieuse, dont les protagonistes sont les deux Adam. J’en emprunte l’esquisse à nn remarquable artiele du R P. Hdbt, Recherches de Science religieuse, iar.’1( p. ! j~ :

Si ta nature humaine est essentiellement… chair de pécha, comment le Kiis de Dieu a-t-i) pu l’en revêtir ? Saint Paul se contente de répondre que c’est une iiiig ose, ’.Il mystère ; en tout cas, la mert sur la croix a délivré le nrist à tout jamais de cette chair de péché. Jésus ressuscité jouit d iid corps spirituel, mais ce corps n’est pas le mime que le cadavre enseveli après la descente de croix ; il y a eu preduetien d’un cerps nouveau, et il en sera à 1 * mime poor tous les justes qui ressusciteront, car In chair et le sang ne peuvent possé 1er le royaume de Dieu. Cette me-rt et cette résurrection du Christ sont le svtnhele de la mort du vieil homme et de la naissance dn | chrétien a une rie nouvelle. Ce changement s’opère par

le Baptême, le vieil homme y meurt une fois pour toutes, et si complètement que M. lt.iussct peut écrira, non sans une pointe d’orgueil national : « La pensée luthérienne d’une lutte contre le vieil Adam, lutte quotidienne, incessante, toujours renouvelée avec la même ardeur, n’est pas paulinienne. »

De telles imaginations nous entraînant évidemment fort loin de saint Paul et de tout christianisme. Elles sont d’ailleurs étrangères aux grands courants de la penser- protestante, et ne noua retiendront pas plus longtemps. L’artiele Kki-’ohmk fournira, sur le fond du luthéranisme, les éclaircissements nécessaires. avec des éléments pour l’appréciation de cet effort isolé. R faut venir à des mouvements beaucoup plus profonds.

b) Rationalisme kantien. — L’effort tenté par le rationalisme allemand pour interpréter la donnée chrétienne aboutit souvent à un vague panthéisme, et en particulier à la conception d’une Rédemption sans Rédempteur.

Dans son écrit sur La Religion dans les limites de la raison (17 ij3 ; trad. fr. par A. Tremesaygnes, Paris, iy13), Kant avait tracé la voie : à ses yeux, le personnage de Jésus n’a de valeur que comme traduction de tendances religieuses immanentes à l’humanité. Voir art. Criticismu kantikn, !. I, 748. Pour Ht MM. la vie et la mort du Christ représentent un instant, instant décisif, dans la conscience universelle du Dieu-humanité, que l’évolution éternelle ramène à son principe à travers le renoncement et la mort. Telle est l’idée de la Rédemption qui se dégage de sa Philosophie de la Religion : i rc éd. 1832, a » 18/10 ; trad. fr. par A. Véra, Paris, 1876-8, 2 vol.

c) Sentimentalisme de Schleiermacher. — Schleikhmachkr (1 768-1834), dans sa Dogmatique, publiée en 1821 sous ce titre : Der christliche Glaube nach den Grundsàtzen der evangelischen Kirche in Zusammenhange dargestellt, s’oppose tout ensemble à la tradition luthérienne et au rationalisme kantien. L’idée de Rédemption occupe le centre de sa théologie. La vie humaine lui offre le spectacle de la lutte entre deux principes : la conscience de Dieu, sentiment de dépendance absolue qui représente la synthèse des éléments supérieurs ; et la conscience sensible, synthèse des éléments inférieurs. Assurer l’empire de la conscience de Dieu sur la conscience sensible, est la leçon enseignée à l’humanité par des médiateurs divins, dont le plus grand est le Christ. Kn cela consiste précisément la Rédemption. Le Christ a seul réalisé pleinement en sa personne la victoire de la conscience de Dieu sur la conseïence sensible, et cette victoire a porté des fruits poumons dans la révélation du Dieu-Père, que nous a faite le Christ. A ce titre, et à ce titre seulement, le Christ est le Rédempteur de l’humanité. La Rédemption, pour chaque homme en particulier, consiste à développer en lui-même le germe de vie spirituelle qu’y a déposé le Christ : par où il assurera dans son être la suprématie delà conscience divine.

Système hybride, àbase de rationalismepanthéiste, d’ailleurs pénétré d’un mysticisme pseudoehrétien, vague réminiscence de l’éducation donnée à Schleiermacher par les- « Frères Moraves ». Scbleiermæher rejette le dogme de l’expiation, cher à l’orthodoxie luthérienne, et ne réserve à la mort du Christ, dans son système, aucune place de choix. Il prétend s’élever au-dessus du rationalisme, mais sa description du conflit entre les deux principes coexistant dans l’homme, est pur naturalisme psychologique. Il n’a fait que donner au rationalisme à la mode une teinte plus sentimentale.

Il n’en fallait pas davantage pour assurer à la pen575

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sée de Schleiermacher une grande vogue. Son influence est profondément empreinte sur toute la théologie allemande depuis un siècle, et s’est propagée hors d’Allemagne. Voir F. Bonifas, La doctrine de la Rédemption dans Schleiermacher, Paris, 1865. Sur lesécolesallemandes durant la première moitié du xix « siècle, on trouvera des directions dans l’ouvrage de F. E. Wbngbr, Le dogme de la Rédemption au XIX' siècle. Thèse historicodogmatique présentée à la faculté de théologie protestante de Montauban en 1857. — Bibl. nat., D 2 13282.

d) Mysticisme de Ritschl. — Avant de se répandre sur les terres du protestantisme libéral, la pensée de Schleiermacher fut canalisée par Albert Ritschl (1822-1889), véritable chef d'école.

L’ouvrage capital de Ritschl a pour titre : Die ckristliche Lehrevon der Rechtfertigung und Versôhnung, 3 vol., Bonn, 1870-1874 ; 3' éd., 1888/9. On y retrouve l’idée essentielle du Dieu-Père révélé en Jésus-Christ. Jésus-Christestle Révélateur parfait, le Fils de Dieu, le Seigneur ; d’ailleurs, Ritschl ne songe pas à voir en lui Dieu même, ni à lui attribuer une préexistence au sein du Père. Tout le système gravite autour de la prédication du Royaume de Dieu, à réaliser en terre par la soumission aimante de la volonté humaine à la volonté paternelle de Dieu. Le péché seul y fait obstacle ; et le péché, c’est avant tout la déliance de l’homme à l'égard de Dieu. La Rédemption consistera à s’affranchir de la déliance pour approcher du Père, et ceci est l’affaire de l’homme. Car Dieu ne demande qu'à se réconcilier l’homme ; Dieu est tout réconcilié, mais il faut que l’homme se réconcilie à Dieu. La Rédemption aura pour corollaire la pratique des bonnes œuvres, dans laquelle l’homme prend de plus en plus conscience de sa réconciliation et de son adoption divine.

Cette conception subjective de la Rédemption fit fortune. Parmi ses adeptes les plus notables, on peut nommer M. Haknack. Pour l’expression des idées ritschliennes, voir son Essence du christianisme, iv «  conférence ; trad. fr. de 1907, notamment p. 89-90 :

Le premier, Jésus-Christ a mis en évidence le prix de chaque âme individuelle, et personne ne peut plus ramener ces âmes à leur ancienne misère… Cette appréciation de Jésus sur la valeur de l'âme humaine repose sur un renversement de l'échelle des valeurs… renversement que plusieurs avant lui avaient pressenti, dont ils avaient entrevu 1h vérité comme à travers un voile, dont ils avaient éprouvé par avance… la force rédemptrice. Le premier, il l’a exprimé avec calme, avec simplicité, avec certitude, comme si c'était une de ces vérités dont on a coutume de dire qu’il n’y a qu'à étendre la main pour les cueillir… Tout l’Evangile s’exprime dans cette suite d’idées : Dieu le Père, la Providence, la filialité, la valeur infinie de l'âme humaine.

e) Les variations du protestantisme français au XIX* siècle. — Le protestantisme français au xixe siècle oscille entre les attractions les plus diverses : nous renonçons à les dénombrer. Dans un livre représentatif, qui est le manifeste d’une âme en proie à une violente crise religieuse, Edmond db Prbssbnbk refait à sa manière l’histoire du Dogme et conclut, Essai sur le Dogme de la Rédemption, p. 5ç, Paris, 1 867 : « Tout d’abord, nous sommes en droit de considérer comme une dérogation grave à la vérité fondamentale de l’Evangile toute théorie qui supprime dans le sacrifice du Christ l'élément objectif, et n’y voit qu’un pur symbole ou de la miséricorde divine ou de la vertu humaine. La dérogation est plus grave encore quand on y cherche, comme dans le gnosticisme et l’hégélianisme, un type des relations éternelles du fini et de l’infini. » Après avoir ainsi mis hors de cause cet élément objectif delà Rédemption,

qu’il considère comme l'âme du vrai christianisme, il commence à faire œuvre constructive. Mais au prix de quelles démolitions 1 Sa christologie, à base de kénose, rétrograde sur les Conciles du v* siècle P. 131 :

19. Pour représenter l’humanité condamnée, le Verbe

« s’est anéanti », et a volontairement limité les attributs

métaphysiques do la divinité, comme la toute-science, la toute-présence, la toute-puissance. Il n’en est pas moins l’Homme- Dieu, car en étant l’Homme parfait, il n’a pas cessé d'être le Fils de Dieu. I.e dogme des deux natures est une création malheureuse de la métaphysique du iv « siècle.

13. Jésus-Christ a expié le pèche de l’homme en tant que chef de l’humanité nouvelle, par le* souffrances de aa vie comme par celles de sa mort. Prétendre qu’il a enduré ui.e peine infinie dans sa nature divine, est anéantir la solidarité qui l’unit à nous et tomber dans le pur docétisme.

Ces dernières lignes témoignent de confusions énormes, qui débordent le domaine de la sotériologie. L’idée d’un Christ passible en sa nature divine est une absurdité métaphysique, répugnante même pour beaucoup de docètes.

f)Le protestantisme libéral en France. — Le livre d’AuGUSTR Sabatibr sur la doctrine de l’expiation et son évolution historique, Paris, 1903, est représentatif de la doctrine sur la Rédemption, commune dans le protestantisme libéral en France. Nous croyons devoir nous y arrêter.

Dès les premières pages, l’auteur tranche le lien qui rattache au vieux dogme du péché originel l’idée de Rédemption, p. 9 :

Le drame mythologique de la Genèse semble indiquer le premier éveil de la conscience morale, avec le sentiment des contradictions douloureuses qui l’accompagnent toujours. Il ne saurait servir de fondement historique au drame correspondant de la Rédemption. Le dogme reste désormais en l’air ; il est nécessairement obligé de se transformer radicalement et de se dégager de la vieille forme mythologique, s’il ne veut y être étouffé.

Après «.voir rappelé les notions bibliques impliquées dans l’idée de Rédemption, il suit l’histoire de cette idée, des origines chrétiennes à nos jours, et la résume en trois périodes, p. 90.91 :

La première, celle des Pères de l’Eglise, est dominée par la notion mythologique d’une rançon payée à Satan… La deuxième période, qui va des premiers ten ps de la scolastique à la lin do un* siècle, est dominée par la conception juridique d’une satisfaction objective donnée à Dieu, sous forme de dette payée à un créancier ou de peine substitutive agréée par le juge… La troisième période, ou la période moderne, est marquée par l’effort de la pensée chrétienne pour saisir et interpréter le salut religieux comme un fait essentiellement moral, qui se passe non dans le ciel, mais dans la conscience…

On a vu plus haut ce qu’il faut penser d’une telle division. La « notion mythologique d’une rançon payée à Satan », loin de « dominer » toute la période patristique, n’est qu’un incident passager, limité à la sphère d’influence origéniste. La « conception juridique d’une satisfaction objective donnée à Dieu », loin d'être limitée à la période ancienne delà scolastique, s'étend depuis les premiers temps du christianisme jusqu'à nos jours ; le mot seul de « satisfaction » a été mis en circulation à la fin du xi* siècle, mais la théorie n’est pas liée à ce mot. L' « interprétation du salut religieux, comme un fait essentiellement moral », ne présente rien de particulièrement moderne, sinon les limitations qu’y apporte le protestantisme libéral. L’auteur conclut, p. 93-95.98 :

Pour accomplir la tâche qui incombe aujourd’hui à la pensée chrétienne, il s’agit de débarrasser enfin le vieux dogme des notions vieillies dans lesquelles il a été conçu et est 577

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resté enfermé. Ces notions, correspondantes à un état inférieur de ia conscience religieuse, ne conviennent plus pour expliquer et traduire les expériences et les révélations do la conscience chrétienne. Ce sont de grossiers miroirs dans lesquels les réalités supérieures se déforment. La mort du Christ est un acte essentiellement moral, dont la signification et l.i valeur proviennent uniquement de 1 intensité de la vie spirituelle et du sentiment de l’amour dont il témoigne. Assez longtemps on l’a fait entrer dans les catégories antiques et grossières du sacrifice rituel et de la satisfaction pénale Il serait temps do laisser tomber ces vieux oripeaux, déconsidérer cette mort du Christ en elle-même, en partant du sentiment moral qui la inspirée.

Par exemple, les idéos de mérite et de satisfaction cadrent-elles avec le principe essentiellement différent de la religion de la grâce, de la rédemption par l’amour ? N’est-on pas tout de suite condamné au plus grossier contresens, quand on parle des mer ites que le Christ s’est acquis devant Dieu et qui peuvent du dehors être reportés sur nous ? Cette idée de mériter n’est elle pas au fond antiévangélique ? N’aurait-elle pas choque la conscience filiale de Jésus ? Ne nous ramènei elle pas fatHlement, si nous voulons construire avec elle une doctrine chrétienne, à la religion de la loi ? flom., iv, i-4- Et n’est-il pas très remarquable que ces mots « mérites du Christ » ne sont jamais venus sur la bouche ou sous la plume des auteurs du NT ?

Il faut en dire autant de l’idée de satisfaction. Le mot se trouve pour la première fois dans Tertullien, appliqué aux œuvres de pénitence, non à l’œuvre du Christ II n’a pas de correspondant en grec, et on ne trouve pas l’idée qu’il exprime dans les Pères d’avant Nicée. A plus forte raison, elle est absente du NT., et il suffit de la rapprocher de la piété de Jésus envers le Père, pour sentir aussitôt combien elle lui est contradictoire… De quelle satisfaction a besoin le Père de la parabole pour pardonner à l’enfant repentant qui vient à lui ?

Les notions de sacrifice, A’oblation, de propitiation ou d’ejrpt’tion proviennent des cultes antérieurs au christianisme, et à moins d’admettre, avec l’auteur de l’épître aux Hébreux, l’institution divine de ces formes cultuelles élémentaires et légèrement anlhropomorphiques, il est impossible de rapprocher, autrement que par métaphore, la mort du Christ sur la croix du rite delà victime immolée et brûlée sur l’autel.. Nous no sommes plus dans le cadre inférieur d’un rituel sacerdotal : nous sommes dans les plus saintes réalités de la vie morale.

Il faut en dire autant de l’idée de rançon, et de la métaphore qu’elle fournit encore au langage religieux…

Abandon des notions de rançon, de sacrilice, de mérite, de satisfaction ; abandon de la catégorie de satisfaction pénale. Telle est donc la partie négative du programme. Après quoi, on se réserve de considérer la mort du Christ comme acte moral.

Le moindre inconvénient de tous les abandons qu’on nous propose est de couper l’acte rédempteur de toutes ses attaches surnaturelles. Or, qui ne voit que, d’après tout l’enseignement de l’Evangile, l’acte rédempteur est surnaturel par essence ; qu’il se réalise d’abord entre Dieu et son Cbrist, avant de porter ses fruits pour le bien de l’homme ? C’est ce que traduisent diversement les notions de rançon, de sacrilice, de mérite, de satisfaction, toutes orientées vers Dieu.

« Le Fils de l’homme est venu donner sa vie

comme rançon d’un grand nombre. » Mt., xx, 28 ; Me., x, 45. Ce don est très objectif, objectif comme le don de soi que fait le soldat tombant pour la délense de la pairie. Avant d’être une semence d’héroïsme, c’est une valeur en soi, une valeur devant Dieu.

« Il a été offert parce qu’il l’a voulu », lisons-nous

en /s., Lin, 7. Celte parole ne peut s’entendre que d’un sacrifice. Or le Christ a attesté que cette page d’Isaïe s’applique à sa personne (Le., xxii, 37), L’instant d’après, à Gethsémani, il priait, disant : « Mon Père, s’il vous plait, éloignez ce calice de moi ; néanmoins que votre volonté soit faite, et non la mienne. » (Le, xxii, 4a). De nombreux textes évangéliques appuient ceux que nous venons de citer. D’après

Tome IV.

l’Evangile, Jésus-Christ fut victime pour obéir à son Père.

« Ceci est mon corps livré pour vous, — Ceci est

mon sang répandu pour vous », a dit Jésus à la Cène ; mettant l’accent, non sur la valeur d’exemple que pouvait avoir l’effusion de son sang, mais sur le mérite réel de l’immolation sanglante. Qu’importe c|iie le mot « mérite du Christ » ne se lise pas dans l’Evangile, si la parole la plus solennelle du Christ doit nécessairement s’entendre de son mérite devant Dieu ?

Ces textes — qu’à dessein nous sommes allés demander aux seuls évangiles synoptiques, — renferment des idées essentiellement surnaturelles, essentiellement relatives à Dieu, idées qui, détachées de Dieu, s’évanouissent dans le néant et qu’on peut grouper sous la notion de satisfaction offerte à Dieu. La notion de satisfaction, offerte à Dieu par le Christ, ne se laisse pas arracher des évangiles synoptiques.

Encore bien moins se laisse-t-elle arracher des autres écrits du NT.

En saint Paul et en saint Jean, le relief de ces mêmes idées grandit beaucoup. Nous l’avons montré assez longuement pour n’y point insister. Rappelons seulement quelques traits saillants. Ni saint Paul ni saint Jean ne marquent l’intention de détenir les fidèles dans des états de conscience inférieurs. Ils ont secoué le joug de la Loi ; ils prêchent l’adoration en esprit et en vérité ; mais ils parlent la langue de leur temps : ils puisent au vocabulaire de l’économie politique, au vocabulaire de la religion, au vocabulaire de la philosophie morale, au vocabulaire du droit. Les termes qu’ils empruntent à ces divers vocabulaires ne sont pas destinés à donner le change sur les réalités qu’ils prêchent, mais à les convoyer jusqu’à leurs auditeurs. Pour eux, la venue du Fils de Dieu dans la chair, sa vie et sa mort volontaire sont des réalités. Ils en parlent en termes concrets. Pour saint Paul, le Christ est le second Adam ; il a répandu, par le fait de sa mort, une grâce surabondante sur ceux-là même qui « n’ont point péché à l’exemple du premier Adam » et n’ont à répondre que de la seule faute originelle (Rom., v). Pour saint Jean, le Christ est l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du mondefYo., 1, 20.-36 ; Apoc). Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est simplement l’envoyé du Père, il apporte la vie qu’il a puisée au sein du Père (G"/., iv, 4 ; Tit., 11, 11 ; iii, 4 ; /o., iii, 1 5- 1 6 ; x, 10.28 ; I Io., i, 2, etc.). Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est la victime propitiatoire de nos péchés (î’ÂajT/jpiov, Rom., iii, a5 ; î’/au//^, I Io., 1, 10 ; 11, 2) ; il y a là, pour appuyer la théologie de l’épître aux Hébreux, de fermes assises. Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est le sanctificateur (I Cor., 1, 2, 30 ; Hb., ix, 13 ; x, 14) qui s’est le premier offert comme victime sainte (lo., xvii, 19). Pour saint Paul et pour saint Jean, le Christ est notre médiateur (UaiTvtf, I Tim., 11, 5), notre intercesseur (Ttapdx’ÂriTOi, I lo., 11, 1). Du moment que l’on consent à parler de la valeur morale des actes, comment veut-on que le Père soit indilférent à la valeur d’une intercession qui revêt la forme de l’acte le plus héroïque, animé de l’intention la plus sainte, posé par la personne la plus chère et la plus auguste ? Et qu’est-ce que cette valeur, sinon le mérite ?

Les Pères ont redit, en variant l’expression de mille manières, ce qu’ils avaient lu en maint endroit de l’Ecriture, que le Christ a mérité pour nous et satisfait pour nous. Leur reprocher de n’avoir pas parlé la langue scol astique du xm* siècle, serait puéril, alors que leur pensée devance la pensée des scolastiques. Citons un texte parmi tant d’autres, il est de

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saint Athanasb, De Incarnatione Verbi, m., P. (>., XXV, I 12 B : ’Ynip -K/ra ; -/à/5 iiv è Ao’yo ; tgû 0£ou îixo’tw ; tcv’ecuTîû vaov x « i toi/jlxtixoj op-/aa/ov TTp070c/uv iaTityw/Zi iitiip rawrwv, liùa^pou ts iftùà/utDOit’ev tû Oxjktu. Que l’on pèse ces expressions ; on y trouvera toute la substance du mérite et de la satisfaction.

L’essence du christianisme fut, dès le principe, assez détinie pour imposer ou pour suggérer toutes les traductions donton nous conseilleaujonrd’hui l’abandon . Les abandonner serait renoncer au christianisme même. Passons donc à la partie positive du programme. Aug. Sabatier écrit, p. 99-101 ; 105-107 :

La plus grave conséquence de l’ancien point de vue juridique et légal, ce fut d’introduire un dualisme irréductible dans la notion chrétienne de Dieu, c’est-à-dire de détruire la notion du Père que Jésus nous a révélé. On a fait surgir, en efTet, un conflit intense entre sa justice et sa clémence, de façon que l’une no se pouvait plus exercer sans offenser l’autre. Le Christ, au lieu d être le sauveur des hommes, est devenu un médiateur intra-divin, dont 1 office essentiel était de réconcilier en Dieu ses attributs hostiles et de faire la paix et l’unité en Dieu même. On appelait cela de la haute métaphysique ; c’était pure mythologie.

I.’œuvre de restauration dogmatique, ici, doit donc commencer par la restauration de l’idée du Dieu Père. Dieu n’a pas besoin d’être réconcilié avec lui-même ; il n’a pas besoin de médiateur en lui, car il est un il est un dans le châtiment du péché et dans le salut des pécheurs.. Notion inférieure de la justice que celle qui réclame le châtiment pour le châtiment même, pour le plaisir de fair. » souffrir. La vraie et divine justice poursuit le triomphe du bien sur le mal, et dès lors nécessairement so confond avec l’amour… D’un bout à l’autre de l’Evangile, le pardon des péchés est promis, sans plus, à la repentance et à la foi, parce qu en effet la repentance et la foi sont, dans la vie intérieure de l’âme, le commencement de la défaite et de la destruction du péché…

Pour l’œuvre du salut des pécheurs, Jésus Il avait donc pas à agir sur Dieu, dont l’amour avait pris et f^ardé à jamais I initiative du pardon. Dieu n’a pas besoin d’être rapproché de l’homme et réconcilié avec lui ; mais c’est 1 homme qui a besoin d’être ramené à Lieu… L’œuvre du Christ sera de réaliser dans 1 individu et dans l’humanité cot état de repentance dans lequel seul le pardon du Père peut avoir son efficacité. A tous les renoncements, à tous les efforts de sa vie sainte, Jésus ajoute ses souffrances et sa mort, pour mieux manifester encore son amour et son dévouement, et par ce dévouement, toucher enfin les cœurs que ses bienfaits n’auraient pas encore émus, et vaincre les esprits que son enseignement n’aurait pas gagnés. >a mort n est pas un moment différent du reste de sa vie ; c’en est la consommalion. .. C’est le plus puissant appel à la repentance que l’humanité ait jamais entendu, et aussi le plus efficace, le plus fécond en merveilleux résultais. Lacroix n’est l’expiation des péchés, que parce qu’elle est la cause de la repentance a qui la rémission est promise. Plus j’y ai réfléchi, plus je suis arrivé à retto conviction ferme : il n’y a dans le monde moral et devant le Dieu de l’Evangile d’autre expiation que la repentance, c’est-à-dire ce drame intérieur de conscience où l’homme meurt au péché et renaît à la vie de la justice. Il n’y a rion de plus grand ni de meilleur, car la repentance, c’est la destruction du péché et le salut du pécheur, c’est l’accomplissement en noua de l’œuvre divine…

En deux mots : on reproche à la doctrine traditionnelle de la Rédemption d’imaginer en Dieu même un drame absurde, entre ses attributs, et de méconnaître le drame réel, qui a pour théâtre la conscience du pécheur. C’est dans la conscience du pécheur, et non pas en Dieu, que se consommerait le vrai mystère de la Rédemption.

Dramaturgie fantaisiste, qui ne représente pas le christianisme réel.

Le conflit entre les attributs divins, dont le théologien libéral se scandalise, a pu être dramatisé maladroitement par tel orateur sacré ; et sans doute il n’y a pas de conflit réel en Dieu. Mais à moins de vouloir nier l’évidence, il faut convenir que la complexité des options qui se posent au regard du gouvernement divin sollicite, — selon notre manière de

concevoir, — des interventions diverses de la puissance divine. Dieu tantôt s’incline pour faire grâce : c’est l’heure de la miséricorde ; — et tantôt punit :

— c’est l’heure de la justice. Le conflit, que l’homme imagine spontanément, se dénoue par une initiative divine, non par l’office d’un médiateur intra-divin. Pour pouvoir ridiculiser ce personnage, il a fallu l’inventer.

Médiateur, Jésus Christ l’est effectivement ; non pas médiateur intra-divin, ce qui n’a aucun sens, selon saint Paul, Gal., ni, ao, cité par Aug. Sabatier, p. 100 ; mais médiateur entre Dieu et l’homme, à raison de sa nature humaine : ce nom lui est donné expressément I 1 un., ii, 5, et par trois fois dans Heb., viii, 6 ; ix, 15 ; xii, 2/J ; — mis en relation avec le NT, confirmé par son sang. Médiateur pour représenter à Dieu, avec l’autorité d’une sainteté sans tache, les misères et les besoins de l’humanité pécheresse et obtenir le pardon. Le nom de médiateur importe moins que l’idée de la médiation et du pardon, qu’on trouve à chaque page en saint Paul.

Il n’est pas besoin, pour autant, de restaurer l’idée du Dieu Père, laquelle n’a souffert aucun dommage. Il n’est pas davantage question d’une « justice qui réclame le châtiment pour le châtiment même, pour le plaisir de faire souffrir ». Mais l’ordreessentieldes choses appelle une réparation qui sauvegarde, jusque dans le pardon, l’honneur de Dieu et les droits de sa justice. C’est en vue de cette réparation que le Christ se fait médiateur et caution de l’humanité. Avant même de se tourner vers l’humanité pour l’inviter à la repentance nécessaire, il s’est tourné vers son Père pour acquitter la dette de l’humanité coupable et préparer les voies du pardon. Par lui, en vertu de cette réparation objective, l’humanité trouvera accès près du Père, Eph., ii, 18 ; iii, 12. Mais il a fallu que le Saint des saints nous fût ouvert par le Pontife de la nouvelle Alliance (Heb., ix, ia).

On nous invite à ne voir dans le péché rien d’antre qu’une incorrection passagère de l’homme ; et l’on nous assure que, l’incorrection venant à être redressée, le péché sera comme non avenu. C’est aussi simple que peu convaincant, pour qui croit à la Majesté divine et garde présentée l’esprit la prédication des Prophètes et des Apôtres. Le péché est, dans son fond, un déni de justice envers la majesté divine. Même rétractée, même désavouée par le redressement de la volonté coupable, l’offense demeure. Et sans doute nous croyons volontiers que Dieu ne tiendra pas rigueur au coupable repentant ; mais celui-ci demeure à tout jamais impuissant à renouer la chaîne qu’il a brisée par sa désobéissance, à réparer de son fonds. Telle est la raison objective qui appelle une médiation autorisée. Le Fils de Dieu fait homme a pris sur lui cette médiation. Au pécheur il offre un exemple ; mais à Dieu, d’abord, un hommage, qui l’incline à relever jusqu’à lui le pécheur. On ne peut nier que tel soit le sens profond du christianisme.

Nous avons vu le moderne protestantisme libéral s’engager dans une voie diamétralement opposée à celle où s’égara l’ancienne orthodoxie luthérienne. Il faut noter l’aboutissement de l’une et de l’autre.

L’ancienne orthodoxie luthérienne, en mettant l’accent sur la justice vindicative de Dieu, aboutit à majorer la doctrine de l’expiation pénale jusqu’à l’absurdité, jusqu’au blasphème. Le moderre protestantisme libéral, par une évolution contraire, aboutit à supprimer les idées de rédemption et de sacrifice rédempteur. Il estime vaines toute » les spéculations delà théologie autour de ces idées. Par ailleurs, il trouve dans l’ordre moral assez de grands mots 581

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sous lesquels on peut ranger les plus hautes réalités chrétiennes : amour, sympathie, magnanimité, don de soi, exemple, émulation généreuse… A l’aide de ces mois, on peut reconstruire toute la dogmatique chrétienne, — oui, mais après l’avoir vidée de son contenu historique. Un tel christianisme n’a qu’un défaut : il est tout entier construit de mains d’hommes.

Entre ces deux déformations, diamétralement opposées, de la donnée chrétienne, il est clair que l'écart est grand. Inutile de discuter laquelle mérite le plus d’analhemes : ce ne serait sans doute pas la première, car la répulsion même qu’elle provoque sullit à en préserver nos générations. Nous ne nous attarderons pas non plus à rechercher par quelles teintes dégradées on peut passer insensiblement de l’une à l’autre. Il suflit que toutes deux soient hérétiques. La doctrine catholique répudie l’un et l’autre excès. Elle fait sa part à la justice vindicative, à l’expiation pénale, si fortement marquée dans l’Ecriture, à la rédemption objective, à la réelle solidarité de tous les hommes dans le Christ nouvel Adam. Et elle fait sa part à l’amour paternel de Dieu, qui l’a porté à livrer son Fils unique ; à la valeur subjective d’exemple que possède la passion du Fils de Dieu, à la contagion salutaire de la grâce, qui, dans le corps mystiquedu Christ, fait concourir les mérites de plusieurs au bien de tous.

V. — Conclusion

Le dogme catholique de la Rédemption a subi des attaques nombreuses et diverses qui, pour une bonne part, se détruisent entre elles. Pour le venger de ces attaques, il suffit bien souvent de rétablir la notion exacte du dogme.

Cette notion est complexe. Elle réunit dans son unité l'élément objectif : — réparation due à la majesté divine —, et l'élément subjectif : — appropriation à chaque fidèle de la justice, méritée pour tous par le Christ rédempteur.

On a vu que l’ancienne orthodoxie protestante appuya exclusivement sur l'élément objectif, non sans le déformer ; que, par contre, le rationalisme socinien et le protestantisme libéral s’attachèrent à l'élément subjectif, au point de faire évanouir la Rédemption objective.

La doctrine catholique réunit les deux points de vue dans une harmonieuse unité. Elle donne au dogme sa pleine valeur devant Dieu et devant les hommes.

D’ailleurs elle n’est pas solidaire des déformations infligées parfois à l'élément objectif de la Rédemption. La forme juridique donnée par la tradition à l’exposition de ce dogme est fondée sur l’ordre essentiel des choses. Elle est indépendante do la théorie primitive des droits du démon, simple excroissance imputable à quelques Pères. Indépendante aussi du conflit imaginé parfois entre les attributs divins, dramaturgie grossière et naïve qui trouve son excuse dans la difficulté d’analyser en concepts humains l'œuvre divine. L'œuvre divine est trop complexe pour se laisser enfermer dans une formule simple. L’idée de satisfaction vicaire offre un cadre très propre à en grouper les aspects essentiels. L’aspect de miséricorde et de grâce est au premier plan. La doctrine catholique repousse l’idée d’un Dieu cruel et sanguinaire qui se repaîtrait de vengeance et de supplices. Elle écarte également l’idée d’un Dieu débonnaire qui, après avoir pourvu le genre humain d’une rançon surabondante, se désintéresserait de la conduite des individns.

L'élément subjectif de la Rédemption présente

lui-même de multiples aspects. Aspect exemplaire : c’est l’attitude sainte du Christ humilié pour nous et obéissant jusqu'à la mort. Aspect sacramentel : c’est la communication de la vie divine par les sacrements de l’Eglise. Aspect personnel : c’est l’effort spirituel de chaque Ûdèle, aidé de la grâce, pour faire siens les fruits de la Rédemption du Christ.

Le mystère de la Rédemption, loin de scandaliser la raison humaine, lui offre le thème de méditations admirables, en même temps qu’il provoque le cœur humain à répondre par l’amour à l’amour du Rédempteur.

Bibliographie. — La littérature du sujet — littérature catholique et plus encore littérature protestante — est infinie. Tous les cours classiques de théologie renferment un traité delà Rédemption. Le présent article a fourni des indications éparses. Qu’il suffise de signaler, en terminant, quelques ouvrages catholiques, pour la plupart d’accès facile, et pourvus de riches bibliographies.

B. Dôrholt, Die Lehre von der Genugtuung Christi, Paderborn, 1891. — J. Rivière, Le dogme delà Rédemption ; Etude historique, Paris, iqo5.

— C. Van Combrugghe.ZJe Soteriologiæ christianae primis fontibus, Lovanii, 1905. — J. Wirtz, Die Lehre von der Apolylrosis, untersucht nach den hl. Schriften und den griechischen Schri/tstellern bis auf Origenes einschliesslich, Trier, 1906. — K. Staab, Die Lehre von der stellvertretenden Genugtuung Christi, Paderborn, 1908. — E. Hugon, O.P., Le mystère de la Rédemption, Paris, 1910.

— J. Laminne, La Rédemption. Etude dogmatique, Bruxelles, 191 1. — J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Etude théologique, Paris, 191 4 (à consulter pour l’exposition des théories prolestantes). — P. Ricard, O. S. B., De satis/actionc Christi, in tractatum S. Anselmi « Cnr Deus hamo » Disserlalio historico-dogmatica, Lovanii, 1 9 1 4 - — Chr. Pesch., S. I., Das Suhneleiden unseres gôltlichen Erlosers, Freiburg i. B., 1916.

— A.Médebielle.Za Vie donnée en rançon ; article de Biblica (Rome, janvier 1923).

A. d’Alès.