Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Probabilisme (II. Doctrinale)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 176-187).

II PARTIE DOCTRINALE

Introduction. — Probabilisme n’est pas un terme populaire, du moins en France. Cette défaveur lui vient, pour une bonne part, de la calomnie, qui l’a dénaturé ; en partie aussi d’erreurs et de tendances laxistes, qui l’ont invoqué à tort, ou mal appliqué ; et surtout de l’opposition janséniste, qui a confondu, dans une même inimitié, la Compagnie de Jésus et un système présenté bien faussement comme propre de cet Ordre, que la secte a pris spécialement en aversion.

Nous écrivons cet article, dans la confiante persuasion de nous adresser à des lecteurs capables de se mettre au-dessus des préjugés courants ; et nous les prions de s’intéresser à la seule cause que nous entendions défendre : la vérité.

Dans la disposition de la matière, nous avons à tenir compte des accroissements que les discussions et les controverses lui ont donnés. Nous montrerons d’abord avec quelle impérieuse nécessité se pose la question que le probabilisme estime avoir bien résolue ; puis, nous ferons la critique des essais de solution tentes en dehors du probabilisme : ce qui nous conduira de plain-pied à la solution probabiliste, dont nous ferons l’exposé et la démonstration. Il faudra ensuite, pour éviter les méprises, délimiter le champ dans lequel le probabilisme opère. Mais que faire des doutes qui débordent ce champ ? Question à ce moment toute naturelle, et peut-être trop négligée : nous nous efforcerons d’y répondre. Enfin, pour donner à notre étude une valeur pratique, de grand prix pour l’honnête homme, nous rechercherons quel est le mérite propre du probabilisme et comment il peut et doit s’insérer dans l’activité d’une vie chrétienne.

I. — L’inévitable problème

1. — La moralité de nos actes libres, leur bonne, leur vraie moralité, dérive de l’accord qui relie notre décision pratique à un jugement plus général, dicté par la conscience. Tel acte, en lui-même et dans l’enveloppement des circonstances, m’est prescrit : je me décide à le faire. Tel autre acte n’est interdit : je m’en abstiens. Le sens commun qualifiera de bonne ma décision et mon abstention. Il est entendu que je dois accomplir les actes que je sais être légitimement commandés ; que je dois omettre les actions dont la prohibition m’est démontrée.

La raison immédiate de cette obligation d’agir ou de m’abstenir saute, d’ailleurs, aux yeux : ma volonté, appétit rationnel, doit se régler sur le verdict de mon intelligence.

3. — Si ce verdict avait toujours la marque de la certitude, aucune hésitation ne serait possible à l’endroit de nos devoirs : nous n’aurions qu’à suivre la route lumineuse qui mènera à leur fin les voyageurs que nous sommes.

Mais telle n’est pas la réalité présente. Pour les conseils d’ordre pratique, comme pour les théories, nos recherches, même nos recherches diligentes, n’ont fréquemment d’autre aboutissement que le doute, le doute invincible.

En d’autres termes, pressée de se prononcer sur une obligation, notre intelligencepeut formuler trois sentences : une sentence affirmative, une sentence 341

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négative, et une sentence de sursis indéfini, qu’elle rend par ces mots : je doute ; l’obligation est incertaine.

Dans ce dernier cas, notons-le bien, aucun jugement intellectuel n’est porté sur notre obligation elle-même : elle n’est ni reconnue ni contestée. L’obligation demeure cachée ; notre intelligence ne peut affirmer qu’une seule chose : Y incertitude de l’obligation ; sa vraisemblance plus ou moins grande.

3. — Devant cette troisième réponse, indéfiniment dilatoire ou suspensive, si la volonté avait à sa disposition un tiers parti, encore une fois, son devoir ferait clair. Appétit rationnel, elle devrait, ou du moins, elle pourrait, sans la moindre appréhension, adopter ce parti correspondant à l’hésitation de l’esprit.

Mais elle n’a le choix qu’entre deux attitudes ou décisions : faire ou ne pas faire. Pas de milieu. Dès lors, l’infirmité de notre esprit cause ou occasionne un désaccord immédiat entre l’apport de notre intelligence, et la conséquence que nous en tirons pour notre conduite. L’intelligence disait : obligation d’agir incertaine. Si, là-dessus, vous m’enjoignez de poser l’acte, vous péchez par excès de rigueur ; vous exigez pratiquement des actes non exigibles ; car, dans le nombredes obligations incertaines, il s’en trouvera, à coup sûr, et ce peut même être la majorité, dont un esprit plus clairvoyant aurait pu dire : elles n’existent pas.

D’autre part, si vous vous fondez sur cette incertitude pour me libérer de toute obligation, ne tombex-vous pas dans un excès d’indulgence ? Vous me dispensez virtuellement de prescriptions existantes. Car, dans le nombre des obligations incertaines, plusieurs seraient reconnues ou affirmées par un esprit devant lequel aucune vérité intéressante ne saurait se dérober.

k- — Sommes-nous réellement réduits à opter pour un excès de rigueur ou à pécher par un excès de licence ?

Le mot pécher est choisi à dessein ; car si, au moment où j’agis, l’incertitude plane sur l’honnêteté de mon action, je serai coupable en agissant. En effet, dans cette hypothèse, ma volonté accepte la responsabilité de son acte en tout état de cause ; elle accepte de le faire même s’il lui est en réalité interdit. Elle est donc virtuellement en révolte contre la volonté divine, si elle appréhende une violation substantielle de l’ordre moral ; ou elle se trouve du moins en désaccord avec une volonté divine, si la crainte ne porte que sur une violation accidentelle, c’est-à-dire, si elle ne voit qu’un danger de péché véniel.

Cet axiome est reçu par les théologiens : en morale, faire et s’exposer à faire, c’est quasi une seule et même chose.

5. — Par conséquent, une question se pose, aussi inévitable que les doutes qui flottent dans notre esprit ; en présence d’une obligation incertaine, quel devoir nous est imposé ou quelle liberté d’agir nous demeure ?

La même question peut être présentée sous cet autre aspect. Un jugement de conscience douteux ne nous donne directement aucune règle de conduite, puisqu’il n’y a pas de façon douteuse d’agir. Et celui qui agit dans le doute pratique touchant l’honnêteté de son action, contredit un jugement certain, fondé sur la loi naturelle, qui déclare malhonnête 1 action faite avec conscience douteuse. Y a-t-il donc, oui ou non, lorsque l’obligation, après mûre enquête, s’offre à nous comme douteuse, un élément de certitude, puisé ailleurs, qui nous permette de négliger pareille obligation, de la tenir pour nulle ?

Telle est la question à résoudre. Elle revient à nous demander en quel jugement certain d’ordre pratique se convertit, pour notre action, le doute, d’ordre encore spéculatif, sur la liberté de l’action considérée en elle-même.

Nos fréquentes incertitudes exigent que nous le sachions, pour notre conduite personnelle et pour les conseils que nous sommes appelés à donner.

IL — Les solutions proposées

L’importance de ce problème, fondamental pour toute l’activité libre de l’homme, a fait donner le nom de système moral à chacune des solutions proposées. Passons-les rapidementen revue, en omettant les vaines tentatives de solution directe essayées en France et en Allemagne, par exemple dans l’école de Tubingue.

I. — Les solutions non probabilistrs.

i. — Le système tutiorisle. — Toute une école a prétendu nécessaire la vision directe de l’honnêteté de l’action. Dans le doute, il fallait, d’après cette école, toujours prendre le parti le plus sûr, même spéculativement, c’est-à-dire, celui de l’obligation ; se comporter comme si l’intelligence avait reconnu la nécessité morale qu’elle déclarait d’autre part incertaine. C’est l’école tutiorisle. Comme l’exposé historique l’a fait voir, elle pouvait, du moins avec des apparences de raison, se réclamer des Saints-Pères, dont plusieurs textes rendent fréquemment un son nettement tutioriste. Ceci ne doit pas nous surprendre à cette époque reculée, où la théorie scientifique n’était pas construite, et où l’attention n’avait pas été attirée sur les moyens de solution certaine que nous offre le recours aux principes réflexes. On comprend dès lors que des Pères aient été amenés à conseiller, ou même à imposer le parti le plus sûr, en vertu de ce simple argument que le tutiorisme ne se Ht pas faute d’invoquer : on ne peut pas s’exposer à violer la loi même involontairement.

Ce rigorisme outrancier ne pouvait tenir devant le sens pratique éclairé du Saint-Siège. Alexandre VIII rejeta, parmi les propositions qualifiées

« respectivement de téméraires, de scandaleuses, 

de malsonnantes, d’injurieuses, de prochesd’hérésie, de flairant l’hérésie, d’erronées, de schismatiques, d’hérétiques », cette troisième proposition des disciples de Baius et de Jansénius : « Il n’est pas permis de s’en tenir à l’opinion la plus probable d’entre les probables », D. B., 1 3q3 (i 160).

Depuis lors, un tutiorisme mitigé, patronné par des canonistes de la valeur de Fagnani et des moralistes tels que rigide Habbrt, exigea tout au moins, avant de permettre de suivre le parti de la liberté, que ce parti apparût directement comme très probablement honnête.

A la base de ce système, se trouve une inacceptable confusion entre le péché formel et le péché matériel. Le péché formel nous est interdit par un précepte négatif : « Tu ne feras pas le mal ».Le danger du péché matériel, c’est-à-dire d’une violation inconsciente de la loi, nous oblige à des précautions raisonnables, à une investigation sérieuse de la loi, proportionnée à son importance. Sous peine de rendre la vie impossible, notre obligation ne s’étend pas au delà. Bref, seul le péché formel nous rend coupables ; et aucun péché formel n’esta craindre, quand nous avons apporté la diligence voulue à connaître nos devoirs.

a. — Le probabiliorisme nous laisse la liberté des mouvements quand l’absence d’obligation est démontrée certaine ou notablement plus probable. 343

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Il ne nous la laisse que dans ce seul cas. Ce système, adopté par Billuart (Dissert. VI De actibus humanis) devint, durant quelque temps, l’opinion commune de l'école Dominicaine.

Son raisonnement, pour un lecteur non averti, paraît quasi mathématique. Il part de deux principes incontestés : L’honnêteté de notre action nous doit être moralement certaine ; elle l’est, s’il n’existe de raison qu’en faveur de cette honnêteté. — Or, cela se vérifie lorsque l’honnêteté est théoriquement plus probable. En effet, deux probabilités contraires se détruisent, s’annulent si elles sont de même valeur. Sont-elles de valeur inégale, la quantité restante subsiste seule comme raison.

Soit deux probabilités représentées d’un côté par io, de l’autre par io plus a. Effaçons io des deux côtes : il reste a pour l’honnêteté que patronnait une probabilité de douze.

Des comparaisons viennent renforcer l’argumentation : dans les deux plateaux d’une balance, si nous mettons des poids égaux, la balance demeurera au repos ; mais, si l’un des poids est plus considérable que l’autre, la balance penchera de ce côté ; et tout se passera comme si l’un des plateaux était vide et l’autre ne portait qu’un poids équivalent à l’excès d’un poids sur l’autre. Supposé deux athlètes qui tirent sur un câble, en sens opposé. La force qui entraînera le câble sera égale à la supériorité athlétique de l’un des deux rivaux.

N’en va-t-il pas de même pour les motifs probables présentés à notre intelligence ?

Hélas ! non, devons-nous répondre aux auteurs qui nous servent ces comparaisons. L’assimilation proposée est de tout point vicieuse, et l'élimination réciproque des deux probabilités contradictoires est purement imaginaire. Il est très rarequeles raisons données comme probables en faveur de deux conclusions contradictoires s’excluent. Elles sont, le plus souvent, puisées à des sources différentes, et gardent ainsi leur valeur indépendamment l’une de l’autre. Rappelons un cas concret. Doit-on, en confession, accuser un péché qu’on ne peut déclarer sans faire connaître son complice au confesseur ? Ceux qui le nient invoquent la priorité du précepte naturel qui oblige à respecter la réputation du prochain, sur le précepte positif d’une accusation intégrale. Ceux qni l’affirment allèguent l’excuse de la juste raison, pour laquelle on peut permettre l’effet, en soi regrettable, de diffamation. Qui ne s’aperçoit que les deux raisons subsistent devant le même esprit ?

L’exclusion de deux opinions probables, comme contradictoires, se heurte même à une difficulté a priori. C’est la fine remarque d’un professeur de philosophie : deux opinions ne sauraient être strictement contradictoires. L’opinion, en effet, dit une adhésion à laquelle l’intelligence se détermine sous l’influence de la volonté, mais avec crainte de se tromper. Si une oninion dit oui, elle le faitavec l’arrière-pensée que la vérité pourrait bien être non. Si elle dit non, elle appréhende qu’uni soit vrai. Deux opinions opposées se ménagent ainsi mutuellement une place l’une à l’autre ; loin de s’exclure, elles rentrent par certain côté l’une dans l’autre. Des opinions énoncent des conclusions contradictoires : voilà qui est vrai ; ces opinions elles-mêmes sont contradictoires l’une à l’autre : voilà qui est faux (Cf. Munzi, S. I. Logica, n. agi).

Les principes de St. Thomas nous obligent euxmêmes à rejeter les comparaisons dont on cherchait à ctayerle système probabilioriste. Chacun des deux poids mis dans la balance, chacune des deux forces agissant sur le câble, suffit parelle-mêmepourentraî ner la balance ou la corde ; tandis que l'évidence seule détermine l’assentiment de l’intelligence. En dehors de l'évidence, l’adhésion de l’esprit n’a lieu que sous l’action de la volonté ; et elle se fait dès lors, non pas strictement comme vraie, mais comme bonne. « L’esprit trouve bon d’adhérer à l’opinion dite prudente », dit fort exactement le R. P. Sbrtillangks, O. P. (La philosophie morale de St. Thomas, c. 16, III, p. 5^9).

Ne pourrait-on pas dire encore, que tout homme qui conclut : « Il y a du pour et du contre » (et combien fréquente est cette expression), donne au probabiliorisme, ou du moins au principe de l'élision réciproque des probabilités, un démenti que lui dicte le sens commun ?

Le R. P. Prubmmer, O. P. (Manuale Iheologiae moralis, I, n. 3^6). ajoute Cnalement cette observation d’ordre pratique, qui ne manque ni de saveur ni de valeur : « Je ne sache pas qu’un seul confesseur aujourd’hui, dans la pratique du tribunal de pénitence, conduise le probabiliorisme à toutes ses conquences logiques. »

3. — L'équiprobabilisme est, en somme, un probabiliorisme mitigé, dans certains cas, par le recours au principe de possession. L'équiprobabiliste est d’accord avec le probabilioriste, contre les tutioristes, pour dire qu’il est toujours permis de suivre une opinion sérieusement plus probable, et pour interdire, à l’encontre desprobabilistes, de se contenter pratiquement d’une opinion moins probable. Mais, lorsque des probabilités sensiblement égales se trouvent de part et d’autre, il nous permet de nous tenir pour affranchis de l’obligation, quand la liberté, a la possession pour elle. Or, continue l'équiprobabiliste, la liberté est en possession quand il s’agit de l’introduction d’une loi nouvelle, ou de la naissance d’une obligation. En revanche, la loi est en possession, quand on se demande si une obligation n’a pas pris fln, si une loi existante n’est pas abolie. Tant que des probabilités égales militent pour et contre la promulgation d’une loi, nous demeurons libres ; mais une loi déjà existante continue de nous lier, si nous avons sensiblement autant de raisons sérieuses de croire à son abrogation qu'à son maintien.

L'équiprobabilisme est patronné par les PP. de la Congrégation du St. Rédempteur. Il compte aussi despartisansdans les rangs du clergé séculier. L'évêque Simar, en Allemagne, le Cardinal d’Annibalb, à Rome, se sont déclarés pour lui. Certains Frères Prêcheurs ont conclu avec des Pères Rédemptoristes, une alliance antiprobabiliste, qui eut pour organe La Revue Thomiste de Fribourg. LeR. P. Sbrtillangfs (op. cit., 1. c, 16) se prononce en ces termes : « L'équiprobabilisme, bien compris, peut donc passer à bon droit pour une solution thomiste. »

Tout comme le probabiliorisme.ee système se fonde sur l'élision, — toute fictive, nous venons de le voir, — des probabilités opposées. Par là, il arrive à traiter de doute négatif l’hésitation de l’intelligence entre deux partis appu3'és sur des raisons d'égale force. Doute négatif qui ne peut se résoudre, d’après lui, que par le principe de possession.

Mais ce principe est invoqué à tort, en dehors des matières de justice.

Dans ces matières il est à sa place, parce que la contestation s’y produit entre deux personnes qui peuvent avoir des droits opposés et traiter d'égal à égal, du moins quand il s’agit de justice commutative. Un droit peut s’exercer en fait, sans titre légal, et ce fait crée une présomption de droit en faveur du possesseur ; bien plus, en reliant la chose au possesseur, ce fait assure à celui-ci un litre certain de préférence, opposable à des non -possesseurs. 343

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Mais, dans le cas présent, où sont les deux possesseurs ? Seraient-ee les deux abstractions personnifiées : la loi et la liberté? Leur possession ne pourrait être que métaphorique. Les rein placerez- vous par législateur et sujet ? Mai*, soumis au législateur, comment le sujet invoquera-t-il uu litre de possession qu’une volonté législative peut détruire à chaque instant ? Et comment, sur quel objet, se réalisera la situation de fait, intermédiaire entre le droit et l’usurpation, qui constitue la possession ? La loi nous oblige ou ne nous oblige pas : rien de plus, rien de moins. Le fait qu’elle m’obligeait hier alfaiblit-il, en rien, les raisons pour lesquelles j’incline à croire qu’elle a cessé de m’obliger aujourd’hui ? — Le R. P. Prubmmbr ajoute cette raison ad hominem : si les raisons graves pour ou contre la loi sont éliminées, si le doute est devenu négatif, la liberté est toujours en possession, car elle a priorité juridique sur la loi. J’ai le droit d’attendre une preuve qui lie ma liberté.

De plus, dans la pratique, le partage de cette possession prétendue entre la loi et la liberté se corap’ique d’obscurités. Les exemples proposés par les équiprobabilistes touchent à des doutes de fait qui, nous le verrons plus loin, sont strictement étrangers au domaine du probabilisme.

Voici, en effet, les eas préférés : Sommes-nous encore tenus à réciter un ollice probablement récité ; devons-nous encore nous abstenir de viande, quand le jour d’abstinence est probablement passé?

Certains défenseurs modérés de l'équiprobabilisme, tel le G. d’Annibalb (Summw/a, I, 264), invoquentune raison d'équité. Pourquoi trancher tous les doutes contre la loi ? N’est-il pas plus équitable défaire la part égale à la loi et à la liberté? Or, le principe équiprobabiliste permet de faire ce juste départ. — Mais qui ne voit ici encore la méprise d’assimiler la relation de souverain à sujet aux rapportsentre deux co-partageants ? Comme si le législateur manquait d’armes pour nous imposer sa volonté 1 N’est-ce pas le Législateur souverain qui nous a dotés de la liberté, pour en faire usage tant qu’une restriction n’y serait pas clairement apportée ?

L'équiprobabilisme tâche parfois de se faire passer pour un probabilisme modéré. N’avons-nous pas tort de le ranger parmi les systèmes non probabilistes ? Il nous paraît que non, parce qu’en réalité, tout comme dans le probabiliorisme, la probabilité ne joue aucun rôle effectif chez les équiprobabilistes, n’exerce aucune influence. Elle n’apparaît que pour s'évanouir, en vertu d’un jeu de cache-cache imaginaire, et faire place à la certitude morale ou au principe de possession, suivant les cas.

Une terminologie plus rigoureuse nous engage donc à n’admettre qu’un seul vrai probabilisme, le probabilisme simplement dit. Nous y rattacherons cependant la forme atténuée, ou plutôt altérée, que constitue le système dit compensateur.

II. — La solution probabiliste.

1. Notions préalables. — Dans l’exposé des systèmes qui ne sont probabiliates qu’en apparence, où la probabilité n’a donc rien à faire, nous n’avons pas éprouvé le besoin, qui maintenant nous presse, de préciser certaines notions, sans lesquelles le probahilisme risquerait d'être mal compris et ne pourrait qu'être mal appliqué.

a) Certitude et Probabilité. — Le même genre de certitude, répéterons-nous après Aristote (Ethic. A’icom., 1. I, c. 1 et m) et S. Thomas (II » II", q. 90, art. a), ne convient pas à tous les domaines. Dans la vie pratique, les raisons que nous appelons convaincantes ne nous apparaissent pas strictement

infaillibles : elles sont fondées sur les propensions naturelles et la constante manière d’agir des hommes, alors qu’il n’y a aucun motif connu d’exception. Notre certificat de baptême nous prouve ainsi notre appartenance à l’Eglise du Christ. Souvent même nous devons nous contenter déraisons plausibles que ne combat aucune raison opposée.

Cette certitude n’exclut donc pas toute appréhension, mais elle bannit toute crainte raisonnable. N’ayant pas mieux à notre disposition, nous pouvons la prendre pour guide de notre conduite morale ; nous le devons même, quand elle nous révèle des devoirs.

Ils abusaient donc du probabilisme, ou plutôt ne le comprenaient pas, ces auteurs, vrais ou prétendus moralistes, qui pour la moindre raison proclamaient l’obligation incertaine, et concluaient à la liberté d’en faire à sa guise.

C’est en ce sens, et moyennant ces réserves, que nous retenons en matière morale la définition classique de la certitude : une adhésion de l’esprit sans crainte d’erreur.

Quant à la probabilité, elle résulte d’un motif grave qu’auoune raison péremptoire ne fait écarter. Et nous appelons grave, un motif capable d'ébranler ou d'émouvoir (nous ne disons pas de convaincre) un homme prudent.

b) Distinctions des probabilités. — La probabilité peut porter sur une question de droit : le sens ou l’existence de la loi ; ou sur une question défait : l’accomplissement des conditions requises pour tomber sous l’application d’une loi bien connue. Est-ce aujourd’hui, la Nativité de la Vierge : question de fait. La Nativitéest-elle une fête chômée, la fête chômée interdit-elle tel travail : questions de droit.

Des arguments directs ou des raisons d’autorité peuvent nous faire conclure à la probabilité d’une opinion. La probabilité se distingue ainsi en extrinsèque etintrinsèque.Des hommes sérieux et entendus n’affirment pas sans raison suffisante. Nous pouvons donc prudemment tenir pour probable l’opinion qu’ils déclarent telle. Beaucoup d’hommes sont même obligés par la prudence à s’en remettre souvent aux lumières d’autrui, plutôt qu'à leur propre jugement. Et nul n’est tenu à refaire pour son compte des examens qui ont persuadé des hommes sérieux et compétents. Le Saint-Siège a pu permettre ainsi de suivre, sans autre vérification, les opinions de S, Alphonse. L'étude personnelle pourra cependant amener un homme compétent à découvrir, avec plus ou moins de certitude, l’erreur de ses devanciers. Le nombre, la qualité de ceux-ci, d’une part ; les motifs qui, d’autre part, l'éclairent, influeront sur la fermeté de sa conclusion.

Il lui arrivera plus souvent d’aboutir à une probabilité qu'à une certitude opposée. Toutefois, si celleci lui est acquise, la présomption tirée de l’argument d’autorité vient à cesser pour lui. Sans pouvoir imposer son opinion aux autres, il devra la suivre luimême, du moins tant qu’une loi divine est en cause. Car lorsqu’il s’agit de préceptes ecclésiastiques, il semble bien que l’Eglise permette à tous ses fidèles, aux plus doctes comme aux plus humbles, de les entendre pratiquement comme ils sont communément reçus et pratiqués.

Cinq ou six auteurs de bon renom fondent une probabilité extrinsèque, s’ils ont examiné personnellement la question. Il peut même suffire d’un auteur exceptionnellement qualifié, pour accréditer la probabilité d’une opinion, surtout s’il s’y ajoute des éléments rassurants de preuve.

Un examen comparatif des probabilités conduit à. distinguer des opinions également probables, plu' 347

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probables, moins probables, très probables, peu probables.

c) L’obligation permanente du service de Dieu. — Dana toute son activité libre, l’homme n'échappe pas un instant à la loi générale qui l’oblige constamment à poursuivre des Ons honnêtes, à glorifier Dieu, à agir en esprit de charité. Il demeure toujours le serviteur de Dieu et ion enfant d’adoption. Mais, outre cette loi générale, des lois particulières, divines ou humaines, viennent expliquer cette loi fondamentale, ou la compléter par de nouvelles déterminations. L’homme doit se conformer aux ordres ainsi établis. En dehors de ces déterminations, il prend conseil de sa propre prudence ; et ce gouvernement de lui-même, honorable pour l’homme, glorifie également Dieu. Lors donc que nous affranchissons l’homme d’une obligation particulière, nous ne l’abandonnons pas à de capricieuses fantaisies ; nous étendons seulement le domaine de ses hommages libres.

d) Moralité de l’option pour la liberté. — Aucune violation formelle d’une loi n’est morale. Rien n’est jamais mieux que d’obéir à des prescriptions légitimes et certaines. Mais quand le choix nous est laissé, le parti que l’on appellera le plus sûr, comme s’ao cordant avec une loi incertaine, ne sera pas toujours le plus parfait. La valeur de notre option dépendra du but que nous aurons en vue et des circonstances. Nous pouvons destiner aux fins les plus hautes de la bienfaisance ou de l’apostolat, la somme qu’une opinion probable nous dispense de donner à X., personnage peu intéressant et peut-être indigne ; une mission magnifique peut s’offrir à nous, quand nous ne sommes que probablement retenus par des devoirs d’ordre inférieur.

a. Enoncé de la thèse probabiliste. — L’honnêteté pratique de nos actes n’est jamais douteuse, lorsque, dans l’ordre théorique, cette honnêteté est sérieusement probable.

Quelques mots d’explication. Une probabilité ne devient sérieuse, que lorsque le doute est invincible, après qu’il a été satisfait au devoir de chercher la vérité. Nous supposons donc une enquête suffisante, et des arguments solides, soit de raison, soit d’autorité, en faveur de l’honnêteté de l’acte en question.

En niant que l’honnêteté pratique soit jamais douteuse, nous attribuons à la thèse une valeur universelle.

Mais, en revanche, nous la limitons par son objet : l’honnêteté pratique. La thèse ne touche pas à l’edicacité physique ou juridique de nos actes ; et elle ne se prononce pas sur la valeur relative de cette honnêteté : si le mieux est parfois l’ennemi du bien, ce qui est simplement honnête n’est pas toujours le mieux, ni le parti à conseiller.

De l’honnêteté pratique, dépend l’imputation de l’acte tel qu’il se fait : la moralité de l’acte dans l’agent ; l’honnêteté théorique 'correspond à la valeur morale objective ou générale de l’acte considéré en lui-même.

La thèse probabiliste, proposée la première fois par Mbdina (1528-1581) de l’Ordre des Frères Prêcheurs, a rallié, durant l'âge d’or de la théologie morale, les Docteurs les plus renommes, et elle continue d’avoir pour elle un grand nombre d’auteurs tant séculiers que religieux : voyez le précédent exposé historique.

3. Démonstration. — L’action dont l’honnêteté est, dans l’ordre théorique, sérieusement probable, n’enfreint jamais pratiquementaucune loi. Donc, l’honnêteté pratique de cette action n’est jamais douteuse.

On demandera, peut-être, si l’action est licite par cela seul qu’elle n’enfreint aucune loi. La réponse

affirmative n’est pas contestable. L'énoncé de cette majeure sous-entendue se trouve formellement chez S. Thomas : t Ce qu’aucune loi ne prohibe, déclaret-il, voilà ce qu’on appelle licite » (In IV, D. 15, q. a, ait. 4, sol. i). Cette définition nominale exprime une vérité de sens commun. Dieu, en nous donnant des jambes, nous permet de marcher par les chemins qui ne sont pas positivement défendus, sans qu’il faille une nouvelle permission pour nous mettre en route. En nous dotant d’une activité libre, commandée d’ailleurs par l’appétit du bien (le mal comme tel n’est pas appétible), il nous permet de l’exercer sans nouvelle autorisation positive : l’exercice même de cette activité est de soi une bonne chose, qui rend gloire à Dieu.

Cette action n’enfreint jamais aucune loi. Raisonnons dans les trois hypothèses possibles.

a) L’honnêteté de l’action peut dépendre du sens de la loi. Mais les expressions en sont ambiguës. Par exemple, le Maître des novices est-il parmi les Supérieurs qui ne peuvent pas engager leurs inférieurs à leur manifester des choses de conscience ?

h) L’honnêteté de l’acte dépend de l’existence delà loi. Par exemple : les adultes que l’on rebaptise sous condition, doivent-ils faire une confession intégrale des péchés commis après leur premier baptême ?

c) L’honnêteté de l’action peut dépendre de l’ignorance d’une loi claire et promulguée. Par exemple : la fête de S. Joseph est-elle établie ou rétablie au calendrier de l’Eglise universelle, comme fête d’obligation ? Une personne isolée se trouve hors d'état, par les éléments d’investigation dont elle dispose, de parvenir à une connaissance certaine de ce point, qui ne fait pas de doute pour l’ensemble des fidèles. On lui apporte des raisons sérieuses pour l’affirmative et pour la négative.

Dans les trois hypothèses, l’action n’enfreindra jamais aucune loi.

Le premier cas est le plus simple, et le plus favorable. La promulgation de la loi ne s'étend pas aux parties obscures ; car la promulgation suppose essentiellement que la loi soit portée à la connaissance de la communauté. Or, une loi non promulguée n’existe pas encore. Donc aucune loi ne prohibe l’action qui ne serait interdite que par un texte obscur.

Dans le second cas, si la discussion est générale, une loi positive dont l’existence n’est nulle part établie manque évidemment, elle aussi, de l'élément essentiel de la promulgation. Et le raisonnement précédent vaut pour cette seconde hypothèse.

Mais que dire, quand le doute sur l’existence de la loi concerne une loi naturelle ; ou quand le doute est circonscrit à un milieu, hors d'état de s’informer pleinement ? La difficulté devient plus sérieuse ; l’hypothèse d’une vraie promulgation est elle-même vraisemblable. D’autre part, des raisons sérieuses font pencher pour la solution négative.

L’appel à un autre principe devient ici nécessaire : la violation de la loi n’est pas imputable à qui l’ignore, sans sa faute. Or, dans le milieu où des raisons graves font opiner que la loi n’existe pas (et ce milieu, quand il s’agit de la loi naturelle, peut être toute l’humanité actuelle), cette loi est ignorée ; et elle est ignorée sans la faute de personne ; car l’information possible est censée prise avec le soin requis. — Donc cette loi n’est pas violée d’une façon imputable : ce qui seul importe à l’honnêteté.

N’y aura-t-il pas cependant violation matérielle, péché matériel ? Peut-être, mais pas nécessairement, puisque l’action a bien des chances de s’accorder parfaitement avec la législation existante. Celte prévision d’une violation matérielle, possible et même vraisemblable, ne rend-elle pas l’acte morale349

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ment mauvais ? En agissant avec une pareille conscience, l’homme ne viole-t-il pas l’obligation d’éviter le péché matériel ? Nullement, car cette obligation ne dépasse pas celle de connaître la loi. Quand il est satisfait à cette obligation, le législateur lui-même, sous peine de se contredire, nous dispense d’observer une loi dont l’existence ne doit plus nous préoccuper. La connaissance, prescrite comme moyen préalable à l’observation, mesure la nécessité de cette observation elle-même.

Insistera-t-on en disant, que le péché matériel est un mal qu’il nous faut fuir à tout prix ? Que ce soit un certain mal, nous en convenons. Qu’il faille l’éviter à tout prix, comment le prouverait-on ? Seul le mal moral doit être absolument évité. Mais le mal moral est celui de la volonté. La faute matérielle n’étant pas volontaire, le mal du péché matériel n’est pas moral.

Disons davantage. Ce mal du péché matériel, non seulement n’est pas volontaire ; à parler strictement, il n’est pas même l’objet d’une volonté permissive. Que prévoit-on, en réalité ? Un simple danger de péché matériel. Si cet inconvénient requiert une raison qui l’excuse, ne la trouve-t-il pas aussitôt dans le bien de la liberté humaine ?

D’ailleurs ce danger de péché matériel subsiste avec les systèmes équiprobabilistes ou probabilioristes. Il ne disparait, pour autant (vu nos chances d’erreur), qu’à condition d’adopter le tutiorisme le plus rigoureux : système officiellement censuré et universellement abandonné.

Cette nécessité logique d’opter pour le probabilisme ou pour le tutiorisme est bien faite pour nous persuader la solution probabiliste.

En résolvant la seconde hypothèse ou le second cas, nous avons aussi résolu le troisième.

Il n’en diffère que par l’extension du doute : commun auparavant à un milieu, il est cette fois circonscrit à une personne. Pour devenir propre aune personne, l’ignorance invincible ne change pas de nature et ne cesse pas d’être excusable.

Au commencement decet article, nous nous demandions quel élément viendrait s’ajouter au doute théorique pour donner lieu à une certitude. Nous venons de découvrir cet élément : il n’est autrequela volonté raisonnable du législateur. Aucune obligation ne lie plus que ne le veut celui quila crée. L’honnêteté foncière et parfaite de nos actes consiste dans l’accord de notre volonté de sujets avec celle du Souverain Maître.

Le probabilisme se préoccupe de cet accord ; il l’exige et il s’en contente.

Aucun système moral ne doit ni ne peut exiger davantage.

4. Confirmation de la preuve donnée. — Nous avons emprunté à S. Thomas tous les principes dont nous avons fait usage. C’est lui qui nous a rappelé la coutume universelle, d’appeler licite tout ce qui n’est pas interdit (In IV, D. 15, q. a, art. 4, sol. 1) ; lui, qui fait de la promulgation un élément essentiel de la loi (I » II* », q. 90, art. 4) ; lui qui pose l’équation entre l’obligation de connaître et celle d’observer la loi (DeVeritate, q. xvii, art. 3) : « Nul n’est lié par un précepte s’il n’a la science de ce précepte. — Celui qui ignore un précepte divin, n’est pas tenu de l’accomplir, si ce n’est dans la mesure où il doit connaître ce précepte. »

Il n’est pas moins évident, que ces principes s’appliquent sans distinguer divers degrés de probabilité. Us nous mettent devant ce seul dilemme : ou l’obligation est certaine, et notre devoir ne se discute pas ; ou l’obligation est incertaine, et notre liberté nous demeure.

5. Du système compensateur. — Le C. d’Anniuals I, a64) attribue au P. Potton, des Frères Prêcheurs, la paternité de ce système. Sans rejeter le principe probabiliste : « Une loi douteuse est une loi nulle », cette théorie n’en permet l’usage que moyennant une excuse proportionnée à l’importance de la loi et à la probabilité de l’obligation. Pourquoi cette excuse ? Aiin de compenser le danger de transgression matérielleMais en formulant cette exigence, le système introduit, comme l’observe le* savant Cardinal, un principe nouveau en morale ; il donne un démenti à S. Thomas, en traçant d’autres limites à l’obligation de connaître la loi qu’à celle de l’observer ; et il oublie que la franchise de l’activité humaine est un bien certain, qui l’emporte déjà sur l’inconvénient problématique d’une transgression matérielle incertaine. Du reste, que de doutes surgiraient dans l’appréciation de cette compensation ! Comment, d’après quel système se résoudraient-ils ? On néglige de nous le dire.

6. Quelques mots sur les objections possibles. — Nous n’avons pas voulu donner une allure polémique à notre exposé. Aussi nous abstenons-nous de citer, pour y répondre, les objections anciennes ou récentes que l’on a faites au système probabiliste. Nous croyons les avoir suffisamment rencontrées et réfutées dans les notions préliminaires. Elles supposent ou bien l’élision mutuelle des probabilités ou bien le recours au principe de possession. Or, nous l’avons montré, cette élision n’a pas lieu, et le principe de possession ne saurait être invoqué en cette matière.

Le désir de faire la part égale à la loi et à la liberté ne renforce aucunement la position équiprobabiliste. La liberté est un don du Législateur suprême, qui peut la restreindre à son gré, mais qui veut être gloriflépar elle. Il faut dire résolument : si la loi existe, elle l’emporte toujours sur la liberté qu’elle enlève ; et si la loi est douteuse, le sens commun, d’accord avec les auteurs, ne dicte qu’une seule réponse : une loi douteuse n’oblige pas.

Enfin le probabilisme ne méconnaît pas le devoir de rechercher la vérité. Il exige une information sincère et diligente. Mais quand l’enquête n’aboutit qu’au doute, au vraisemblable, il refuse de confondre la vraisemblance avec une vérité approximative, alors que la vérité peut se trouver du côté le moins vraisemblable.

9. Conciliation des systèmes. — Avant le recours aux principes réflexes, comme le P. db Blic en fait ci-dessus la juste observation, la théorie ne pouvait être que tutioriste ; mais le sens pratique faisait oublier cette rigueur dans les applications. En va-t-il autrement depuis que les systèmes probabilistes, équiprobabilistes, probabilioristes ont été construits, défendus et se sont parfois un peu vivement entrechoqués ? Les ûdèles s’aperçoivent-ils d’une grande différence de traitement au tribunal de la Pénitence, suivant l’école à laquelle appartient le confesseur ? Il ne paraît pas.

Nous ajoutons même. Cet accord pratique était nécessaire. Dans une question qui intéresse à ce point la moralité, le silence de l’Eglise, duSaint-Siègenous semblerait inexplicable, si le désaccord théorique avait entraîné dans la pratique de notables conséquences.

Du point de vue théorique lui-même, si l’esprit de lultesurvit encore dans quelques théologiens qui croient le salut des âmes intéressé à leurs fâcheries ; si des lutteurs d’antan parlent encore par leur bouche, la plupart se persuadent heureusement que les diverses écoles catholiques sont moins faites pour se combattre que pour s’éclairer. C’est plaisir de 351

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lire toutes les concessions que le Card. d’Annibalb fait au Probabilisme pur ; de parcourir les pages impartiales que le R.P. Prubmmer consacre aux différents systèmes dans son Monnaie theulogiæ moralis. Et nous n’éprouvons pas une moindre satisfaction, en constatant que les meilleurs auteurs des RR. PP. Rédemptoristes : AiHTNusetMARC, sedéfendent de contredire les grands moralistes de la Compagnie de Jésus. « L’action, écrit le R. P. Sbrtillangks, auc. 16du livre déjà cité, nesaurait atteindre l’évidence ; la prudence est sauve à un moindre prix… le critérium de l’obscur, c’est le vraisemblable ; la Providence nous ayant jeté dans le probable, elle doit s’en contenter de notre part… l’esprit trouve bon d’adhérer à l’opinion dite prudente. » Ces réflexions, de genre probabiliste, ne traduisent-elles pas un sentiment commun ? Et les auteurs que nous venons de citer ne signeraient-ils pas avec nous cette formule : « Tant qu’il n’est question que de permis ou défendu, une opinion solidement probable donne pleine sécurité. »

A notre tour, nous acceptons volontiers les services que les autres systèmes peuvent rendre à la morale. Si, théoriquement, une raison plus probable n’enlève pas leur valeur aux arguments opposés, l’excès de probabilité peut être tel, que psychologiquement et même objectivement, il nous donne cette certitude morale à laquelle, pour la conduite pratique, nous pouvons et devons nous fier ; et l’équiprobabilisme nous prémunit contre un probabilisme outrancier qui, satisfait à trop bon compte de raisons apparentes, jetterait trop d’incertitudes sur nos vrais devoirs.

III. — Le Champ d’application du probabilisme

L’énoncé de notre thèse et sa démonstration nous permettent de délimiter exactement le domaine placé sous l’influence du probabilisme. La thèse soutenait l’honnêteté pratique de l’action ; la démonstration en appelait à la volonté raisonnable du législateur. L’accord avec cette volonté garantissait la correction de nos actes.

I. — La conclusion probabiliste tient donc debout, là où cette volonté peut être efficace. Ailleurs, les doutes pratiques doivent se résoudre d’après d’autres règles. Le probabilisme vient à propos quand il s’agit de savoir si une action est licite ou non ; si elle va ou si elle ne va pas à l’encontre d’une prohibition. Et là, son intervention est toujours décisive. La conséquence d’un principe universel ne peut être qu’universelle, elle-même.

L’obligation du secret sacramentel peut cependant faire difficulté. Tel langage, tel acte, telle attitude du confesseur, sont-ils interdits par ce devoirrigoureux ? Parfois les avis diffèrent ; l’obligation parait donc douteuse ; et il s’agit bien d’un doute de droit. Cependant, le confesseur ne peut pas en ce cas raisonner ainsi : obligation incertaine, obligation nulle : je garde ma liberté. Nullement ; d’accord avec l’ensemble des moralistes, nous lui dictons la solution tutioriste.

L’exception n’est qu’apparente. En effet, les mêmes théologiens, qui discuteront sur l’extension du secret sacramentel, sont d’accord pour dire que le secret de la confession doit donner pleine sécurité au pénitent ; qu’il ne la donnerait pas, s’il n’interdisait toute violation probable de ce secret. Une loi supérieure certaine intervient donc ici, dont aucun probabilisme n’autorise la transgression. Ou, si l’on aime mieux, un doute de fait concourt ici avec un doute de droit. Doute de droit : telle parole est-elle Compatible avec la loi du secret ; doute de fuit, la sécurité du pénitent, si cette parole est dite, demeu rera-elle entière ? Or, à la première règle universelle, nous devons joindre cette autre : le probabilisme, applicable à tous les droits, ne s’applique à aucun doute de fait, du moins immédiatement.

a. — En effet, la volonté raisonnable du législateur ne peut m’obliger ni par une loi non promulguée ni par une loi que j’ignore sans ma faute : affranchi de l’obligation en toute hypothèse (même au cas où la loi existerait), je suis pleinement rassuré. Mais toute-puissante pour enlever la loi, puisqu’il n’y a pas de loisansvolonté impérative, cettemême volonté ne peut rien directement sur le fuit, qu’elle laisse intégralement subsister.

Par là, nous ne contestons pas au législateur le droit de limiter sa loi à des faits certains, en d’autres termes, de soustraire le fait à la loi. Celte volonté, exprimée d’une façon claire ou obscure, peut donner ainsi naissanceà des discussionssur la loi elle-même ; mais il n’en demeure pas moins que le fait, comme tel, n’a pas la souplesse d’une disposition juridique pour se plier à toute volonté du législateur : quelle que soit cette volonté, la matérialité du fait reste la même.

3. — Quelques exemples rendront plus tangible cette distinction capitale entre les doutes de droit, régis par le probabilisme, et les doutes de fait qui lui échappent, du moins immédiatement. (La valeur de cette restriction sera mise en lumière par ce » exemples eux-mêmes.)

a) Administration des sacrements. — Pour opérer ses effets, le sacrement doit être validement administré. Et ces conditions de valeur sont soustraites d’ordinaire à l’empire des lois.au moins des lois humaines. D’autre part, l’intérêt du sujet et le respect dû à ce signe sacré nous obligent à veiller à la validité du sacrement. Nous ne pouvons nous contenter en général d’une administration incertaine. Aucun probabilismene nous y autorise. Le probabilisme n’apas à intervenir immédiatement.

Il peuteependant, sous un double rapport, rentrer en scène. L’Eglise dispose de la juridiction dont le prêtre a besoin au sacrement de pénitence. Elle la lui confère selon les conditions qu’elle détermine. Or, chaque fois que les conditions de droit, ou même de fait, se trouvent remplies avec probabilité, elle entend suppléer la juridiction, si celle-ci faisait défaut (c. aog). Le doute probable se trouve ainsi converti en certitude, par la volonté formelle de l’Eglise.

D’autre part, le principe du respect dû aux sacrements doit se combiner avec cette autre règle, inspirée par leur raison d’être. Les sacrements sont institués pour le bien des hommes. La loi divine permet donc, oblige parfois à administrer des sacrements de valeur douteuse. Il y a des cas évidents, par exemple pour le baptême, désiré par un croyant qui a probablement cessé de vivre… Outre ceux-là, d’autres seront douteux et controversés. La question se représente ici sous la forme d’une obligation ou d’une défense. Dans telle hypothèse, puis-je, dois-je administrer le sacrement, malgré l’inutilité probable de ma tentative ? Ce genre de doute nous replace dans le ehamp du probabilisme.

b) Nécessités de moyen. — Aucune loi ne saurait dispenser d’une condition nécessaire au salut. L’accomplissement simplement probable de pareille condition ne nous fournit aucune assurance.il est donc clair qu’un devoir de charité envers nous-mêmes nous oblige ici à être tutioristes.

c) Doutes de fait. — Les faits ne sont nullement influencés par les opinions. Ils sont ou ne sont pas. Les doutes de fait échappent donc à l’empire du probabilisme. Pourtant, la conduite à tenir dans ces ordres de fait peut donner lieu à des discussions, à 353

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des opinions solidement probables, qu’il nous sera permis de suivre.

d) Doutes de justice. — Les doutes abondent en matière de justice : à preuve, la foule des procès. Telle propriété nous appartient probablement. Mais un autre prétendant nous oppose des arguments probables. Pourrons-nous recourir au probabilisme ? Si la controverse porte sur le titre juridique, la réponse affirmative n’est pas douteuse ; notre obligation de renoncer à cette propriété est incertaine. Mais que dirons-nous, si l’élément décisif est un fait ? La possession pacifique du bien peut alors créer en notre faveur un titre certain de préférence. Mais, si ce titre même fait défaut et que les chances soient sensiblement équivalentes, ne faut-il pas qu’à situation égale, les hommes soient traités de même ? Telle est, selon nous, la réponse spontanée de l’honnête homme.

Objectera-t-on que le partage nous expose à donner trop ? Nous répondrons d’abord ad hominem : en gardant le tout, n’êtes-vous pas exposé à donner trop peu ? Pourquoi cette éventualité vous émeut-elle moins que la précédente ?

Puis, raisonnons. Rappelons ce principe incontesté, qu’aucun doute, comme tel, ne peut guider notre conduite : nous ne pouvons, sur un titre incertain, fonder une revendication certaine. Il faut donc que la lumière nous vienne d’un principe supérieur évident. Nous le trouvons dans la destination primitive des biens à tous les hommes également. Dès lors, si, d’après nos éléments de preuve, deux prétendants se trouvent vis-à-vis de certains biens dans une même situation, définie immédiatement par deux peut-être (peut-être à X, peut-être à Y), les droits de X et de Y relatifs aux biens en litige sont les mêmes. A cette égalité il peut être satisfait par une possession indivise ou par le partage entre deux. Ne dites pas que, en cédant une quote-part, vous vous exposez à donner trop ; car vous ne donnez que ce que vous devez, l’incertitude ayant annulé le titre qui éventuellement vous attribuerait le tout, aussi bien que celui qui ne vous concéderait rien.

Nous tenons cette solution pour certaine. Cependantdes auteurs sérieux opinent diversement ; l’obligation de partager devient de la sorte douteuse, pour ceux, du moins, qui ne sont pas en état de se former une conviction personnelle.

En vue du bien commun, pour assurer le progrès de la science du droit, la loi peut aussi prescrire aux juges d’appliquer le droit selon leur persuasion, sans égard pour les controverses : l’usage du probabilisme leur serait alors défendu dans les décisions judiciaires.

e) Accomplissement incertain de préceptes. — Il est d’autres doutes encore, où le recours au probabilisme nous paraît indîl. L’obligation de réciter l’office divin, de nous abstenir de viande le vendredi, nous est bien connue. Mais nous nous surprenons à douter positivement si nous avons récité l’office divin, si tel mets est, en fait, gras ou maigre. Des raisons sérieuses se présentent pour l’affirmative et la négative. Tant que la question se pose en ces termes, le probabilisme est incompétent pour la trancher. Pourquoi ? Pour cette simple raison, qu’aucune conclusion ne peut dépasser la portée des raisons qui l’établissent. L’obligation cependant n’est-elle pas incertaine ? En fait, oui ; en droit : il faudrait le prouver. L’incertitude est d’un autre genre que celle qui est supposée dans la démonstration du probabilisme. Là, il s’agissait d’une loi non promulguée ou d’une lui qui nous était inconnue. Dans la nouvelle hypothèse, la loi est promulguée et elle nous est connue. Noua ignorons notre fait : avons-nous rempli notre

Tome IV.

obligation, nous hésitons sur la qualité du mets qui se trouve devers nous.

Voilà pourquoi avec Lâyhànn, Theol. mor., L. I, Tr. I, c. 5, n. 39, et d’autres excellents auteurs, nous tenons que le probabilisme ne saurait pas, en l’espèce, intervenir directement, mais qu’il faut recourir à des règles spéciales pour résoudre les doutes qui concernent un fait ou la qualité d’un fait.

f) Doutes négatifs. — Il n’y a pas de probabilité sans raison sérieuse. Il est donc manifeste qu’en l’absence de toute raison d’affirmer ou de nier, le probabilisme n’a rien à faire. En ce cas encore nous devons chercher d’autres moyens de solution.

Nous avonsvu précédemment que le principe de possession ne saurait nous être d’aucun secours, la possession elle-même n’étant que fictive. Mais nous trouverons les moyens de solution dans la volonté du législateur, soit nettementexprimée, comme lorsque l’Eglise supplée la juridiction dans un doute de fait ; soit déduite avec des probabilités sérieuses.

IV. Solution des doutes que le probabilisme De peut trancher. — Des auteurs, même moralistes, nous paraissent trop persuadés d’avoir fourni la clef de toutes les énigmes pratiques, après s’être prononcés sur la question probabiliste. Cette illusion n’amène pas peu d’erreurs pratiques, que nous voudrions éviter au lecteur.

A) Les probabilités de fait.

a) Quand il est au pouvoir du législateur de suppléer une condition nécessaire à la validité d’un acte, une déclaration formelle de l’Eglise nous enlève quelquefois tout souci. Ainsi, nous l’avons déjà remarqué, le Code canonique, au c. aoo, nous apprend que l’Eglise supplée, tant pour le for externe que pour celui de la conscience, la juridiction en faveur de laquelle un argument sérieux plaide en fait ou en droit.

D’autre fois, le recours à la dispense offre un moyen d’entière sécurité. Le c. 15 permet aux Ordinaires, dans les doutes défait sur l’incapacité ou la nullité, dedispenserdes lois irritantes et inhabilitantes desquelles le Souverain Pontife a coutume de dispenser.

b) Parfois, une probabilité de fait se convertit en probabilité de droit, et donne alors lieu à l’application du probabilisme.

L’obligation des vœux et de l’Ofiice divin nous servent ici d’exemples instructifs.

Telle manière de réciter le bréviaire, d’accomplir le vœu suffit-elle ? On n’est pas d’accord. Vous avez pour vous une opinion sérieusement probable : c’est un doute de droit ; il se résout directement par le principe probabiliste.

Avez-vous en réalité récité le bréviaire ou telle partie de l’office divin ; vous êtes-vous acquitté de votre vœu ? Cela n’est pas sûr. Vous invoquez en votre faveur des raisons sérieuses, même une présomption fondée. Dans ce cas, une opinion solidement appuyée sur l’intention de l’Eglise et l’indulgence du Père que nous avons aux cieux, vous dit que vous pouvez vous tenir quitte, que ni Dieu ni l’Eglise ne vous contraignent à une prestation éventuellement double. La valeur de cette opinion rend probable la formule suivante : « On n’est pas tenu de s’exposera recommencerunbrcviaire ou l’accomplissement d’un vœu, quand on a des raisons sérieuses pour penser avoir satisfait. » Voilà, greffé sur le point de fait, un doute de droit, qui permet l’usage du probabilisme.

c) Nous avons déjà dit comment, à notre se" s » les doutes positifs de fait relatifs aux obligaU"" 3 de justice devaient se trancher, en dehors de t » ute possess "n ou de toute présomption, par « n pa r ! "’e

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équitable, au prorata des incertitudes. Nous sommes d’accord, en cela, avec d’incontestables autorités. Néanmoins cette opinion n’est pas admise par tout le monde. Les controverses ont converti la question de fait en question de droit. Nous ne condamnerons donc pas celui qui veut, même à ces doutes de justice, appliquer les principes du probabilisme.

d) Lorsque la probabilité de fait est réellement irréductible, elle n’écarte aucune éventualité fâcheuse. Agir, en cette circonstance, c’est accepter virtuellement la conséquence fâcheuse pour le cas où elle se produirait. Dès lors, si cette conséquence garde la moralité d’une action intrinsèquementmauvaise, il faut résolument s’en tenir à la règle rigoureuse :

« Il revient au même, en morale, de faire ou

de s’exposer à faire. » L’application classique nous est fournie par l’homicide. Voici, à distance, un être animé, ce peut être un homme, ce peut être un animal : il m’est défendu de l’occire directement, parce que l’homicide direct est intrinsèquement illicite.

Mais la moralité de la conséquence peut être modiiiée par le doute invincible. Des raisons évidentes d’utilité générale demandent que le mariage soit permis à tous ceux dont l’incapacité n’est pas établie. L’impuissance douteuse ne mettra donc pas obstacle à la conclusion du mariage, malgré le risque de nullité. La loi divine, dont l’Eglise est l’interprète infaillible, autorise elle-même à le courir : c’est l’enseignement implicite du canon 1068.

Quand l’acte, au pis aller, ne tombe que sou6 une prohibition positive, surtout si celle-ci est d’origine humaine, nous pouvons tempérer la rigueur de la règle susdite par cette autre maxime, qu’un inconvé nient relativement notable affranchit de la loi positive. Telmetsestprobablementmaigre, probablement gras. S’il est préparé et servi, il semble qu’on ait une excuse suffisante pour le consommer en toute hypothèse (en supposant qu’on ne puisse décemment éclaircir le doute). Mais ce mets n’est pas encore préparé. Différer la préparation, si vous le pouvez sans difficulté.

Ne s’agit-il pas de l’action elle-même, mais d’effets, de conséquences, les cas seront régis par ce qu’on appelle le principe du double effet. Nous le formulons en ces ternies. « L’effet mauvais, même prévu, mais non voulu ou poursuivi, n’est pas imputable à qui a rempli l’obligation positive de l’éviter. » Cette obligation variera avec la nature de cet effet, la gravité de la conséquence, son caractère incertain ou inévitable. Quelle grave raison ne faut-il pas pour s’exposer à causer la mortd’une personne humaine 1 Des précautions rigoureuses doivent alors être prises. Par contre, cette même obligation d’éviter l’effet, d’ailleurs toujours involontaire, peut se ramener à chose infinitésimale, si l’effet n’est pas, comme tel, dommageable. En ce cas, la mauvaise intention demeure seule prescrite ; l’effet involontaire ne doit pas nous préoccuper. C’est te cas des émotions charnelles. Le mêmeS. Alpiionsk.sî strict pour interdire, en dehors du mariage, toute satisfaction volontaira de ce genre, donnera lui-même le cjnseil de ne pas s’inquiéter des répercussions qui peuvent, dans la sensibilité, accompagner des actions non luxurieuses. (Théologie morale, 1. III, n. 481 et 48/4)

H) De ta solution des doutes négatifs.

a) Le doute négatif est celui qui n’est fondé sur aucune raison sérieuse. En matière d’honnêteté, des motifs, même non péremptoires, mais qui ne sont combattus par aucune raison positive, donnent la certilude morale. Là-dessus, l’accord s’est fait. Par conséquent, aussi longtemps qu’aucune raison sérieuse ne nous fait mettre en doute l’iionnêleté de notre action, celle-ci nous est certainement per mise, en vertu du principe général que tout est licite qui n’est pas défendu.

La question des doutes négatifs de droit ou de lioéité ne se pose donc pas, ou se résout d’emblée par le rappel de cette règle.

i) Il n’en va pas de même des doutes de fait. D’abord, une raison non convaincante ne nous donne, en ce cas, aucune certitude morale, lors même que nous n’aurions pas d’argument à y opposer. Voici que se cachent des brigands, détrousseurs de grands chemins. Ils peuvent camper sur la route de droite ousur la route de gauche. Aucune raison ne me les dit à droite ; des indices positifs, mais non infaillibles, nous les font croire à gauche. Nous tiendrons-nous pour rassurés, en nous engageant dans le chemin de droite ?

Le cas se complique, quand le doute de fait est négatif des deux côtés, sans nous fournir une présomption. Voici, dans un pays de religion mixte, un enfant trouvé. Est-il baptisé, ne l’est-il pas ? Le oui et le non sont possibles ; ni oui ni non ne sont probables. Tout renseignement peut nous faire défaut pour dire s’il est aujourd’hui jeudi ou vendredi, dimanche ou lundi ; si tel jeune homme a 20 ou ai ans ; si l’heure de minuit est ou non passée. De ces faits incertains, dépendent pourtant des obligations même graves.

Parfois le parti le plus sûr s’imposera à nous avec évidence. Il est manifeste qu’un baptême conditionnel doit rendre certain le baptême d’un sujet apte à recevoir le caractère du chrétien.

c) Mais comment nous comporter pratiquement dans les autres doutes ? Sanchbz (Matr., 1. ii, d. 41, n. 3a), Noldin (Principia, n. 2^8), plusieurs autres encoi’e, avec S. Alphonsb (Theol. mor., 1. I, n. 3a), recourent alors au principe de possession : dans la nuit du jeudi au vendredi, ils autoriseront des mets gras, qu’ils vous refuseront dans celle du vendredi au samedi, parce que, dans le premier cas, la nuit vous surprend en possession de votre liberté, dans le second elle vous trouvait astreint à la loi d’abstinence. Pour le même motif, le jeune homme qui doute s’il a accompli ses ai ans ne doit pas jeûner ; mais le vieillard est tenu au jeûne, s’il doute d’avoir atteint la soixantaine. Nous avons déjà plus haut, d’une façon générale, écarté ce moyen de solution. Rendons ici plus manifeste son inefficacité et son peu d’utilité pratique.

Interrogeons le sens commun : que la nuit précède ou suive le vendredi, ne nous estimera-t-il pas, au regard de la loi, dans une situation identique ; et les distinctions rappelées plus haut ne lui paraitront-elles pas de vaines subtilités ? La vraisemblance pour minuit ou pour l’âge qui astreint au jeûne ou qui en libère, change-t-elle d’une nuit à l’autre, du jeune homme au vieillard ? La négative est certaine. Dirat-on peut-être que les faits ne se présument pas, mais doivent se prouver ; et que, dans la nuit de jeudi au vendredi, la preuve à fournir est cellede l’obligation, tandis que, dans la nuit suivante, c’est celle de la liberté ? De même, le jeune homme ne peut-il pas attendre qu’on lui démontre son obligation déjeuner ; et le vieillard ne doit-il pas prouver qu’il n’est plus astreint au jeûne ?

Ilegardons-y de plus près. Notre obligation, notre liberté sont-elles des faits qui tombent sous le sens, plutôt que des conséquences morales rattachées à des faits ? La réalité, la seule réalité est bien celle-ci, que, suivant qu’il est onze heures ou une heure, suivant que le jeune homme a accompli ou non ses ai ans, et que le vieillard a atteint ou non ses 60 ans, la loi (l’abstinence nous lie ou nous laisse libres ; le jeune homme doit jeûner ou Don, et le vieillard est 357

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ou non exempt du jeune. Et dans les deux nuits, comme chez les deux personnes dont nous parlons, l’impossibilité delà présomptionou la nécessitéde la preuve s’applique également à l’heure qui précède ou & celle qui suit minuit, à l'âge du jeune homme ou à l’Age du vieillard.

Supposons même légitime le recours au principe de possession. Nous sera-t-il d’usage fréquent ? Dans combien de cas il ne saurait rien nous apprendre. Si nous sommes dépourvus de tout calendrier, nous fera-t-il admettre qu’il est dimanche plutôt que samedi ; vendredi plutôt que jeudi ; que nous avons 20 plutôt que ai ans ?

d) Que nous reste-t-il donc à faire ? A résoudre les dilférents cas suivant la volonté raisonnable du législateur. Cette volonté n’est-elle pas l'àme de toute loi ; ne lui donne-t-ellepas sa force ? Ne contient-elle pas, en somme, le dernier fondement du probabilisme lui-même ? Quand cette volonté apparaîtra évidente, elle nous donnera la certitude : la solution s’imposera. N’est-elle que douteuse, elle donnera naissance à un doute de droit, qui permet l’application du probabilisme. Laymann( Z'/ieo/. mor., L. I. tr. i, c. 5, n. 36) se sert de cette règle pour les doutes négatifs concernant le jeûne eucharistique. Les encouragements de l’Eglise à la communion fréquente et même quotidienne ne nous permettent-ils pas de conclure sans hésiter, que la communion reste permise tant que la violation du jeûne n’est pas parfaitement établie ?

Afin d’arriver à des règles d’application plus générale distinguons les lois qui se bornent à des prohibitions et celles qui contiennent des injonctions positives.

e)Rien n’empêche le législateur d'être indulgent en matière d’interdictions. Celles-ci restreignent directement la liberté ; et depuis longtemps on a admis que les lois sont plus promptespour affranchir que pour contraindre : lura promptiora sunt ad solvendum quam ad ligandum. Par conséquent, en l’absence de tout motif de justice ou de charité qui nous obligerait à des précautions, nous estimerons que, dans les doutes négatifs insolubles, les prohibitions ne nous atteignent pas. Donc, ni le jeûne eucharistique, ni la loi du jeûne ou de l’abstinence, ni celle quiinterdit le travail servile.ne doivent nous préoccuper, tant que des raisons positives ne nous disent pas que minuit a sonné, qu’il est vendredi ou dimanche.

f) Les prescriptions positives du législateur, en nous obligeant à certains actes, nous imposent un soin raisonnable pour les remplir dans les conditions voulues. Le prêtre, obligé à réciter l’office divin chaque jour, ne satisfera pas à son obligation s’il n’a pas de raison, du moins probable, pour croire le temps utile arrivé, à moins de constater par après que le bréviaire fut dit en temps utile. Les fidèles doivent, de la même manière, s’enquérir du temps pascal, des jours de jeûne ou d’abstinence.

La validité de certains contrats, de certaines nominations est subordonnée à des conditions d'âge. Ces conditions doivent se véritier d’une façon certaine, soit par la preuve directe, soit par l’effet d’une dispense régulière. L'âge n’est-il requis que pour la licéité de certains acte3, la volonté raisonnable du législateur demande, à tout le moins, que ses exigences soient satisfaites avec probabilité. Quand l'âge est une condition nécessaire pour être soumis à la loi ou pour en être exempté, nous dirons que ne sont astreints au jeûne que ceux dont l'âge de majorité est moralement certain ; et que le jeûne cesse d’obliger ceux qui ont probablement atteint les soixante ans.

C) De l’emploi simultané ousuccessifde deux pro' habilités. — Le lecteur qui nous a suivis dans le

: dédale de ces solutions pratiques tiendra lui-même

à ce que nous répondions à une dernière question. Peut-on à la fois, dans la pratique habituelle, se servir de deux probabilités opposées ?

a) Notre réponse ne causera aucune surprise à qui réfléchit que l’usage de la probabilité n’impose aucun effort d’adhésion à l’intelligence. Pour nous dispenser d’une obligation qui n’est que probable, il n’est nullement requis que, d’une façon plus ou moins forcée, nous opinions, par voie directe, que cette obligation n’existe pas ; mais il suffit que nous en constations l’incertitude. La probabilité nous offre ainsi souvent le choix entre deux partis. Et comme, dans le champ des actions honnêtes, notre conduite peut varier selon les circonstances et nos désirs, nous pouvons, de même, adopter pratiquement tantôt tel parti et tantôt tel autre, en prenant, dans les deux cas, pour guide une probabilité sérieuse.

Rien ne nous interdit d’essayer, par des moyens loyaux, d’obtenir l’exécution d’untestamentinforme qui nous est favorable, et de nous dispenser des obligations d’un autre testament informe qui nous serait onéreux : deux testaments sont deux causes séparées.

Mais nous ne pourrions traiter le même testament à la fois de valide et de nul ; profiter des dispositions favorables et négliger les charges qui grèvent les libéralités dont nous proûtons. Aucune opinion probable ne nous permet d’agir ainsi.

Bref, à condition d’admettre les conséquences morales ou juridiques des partis que nous adoptons, nous gardons la liberté du choix.

b) Il est assez admis que des montres qui marchent normalement nous indiquent l’heure avec une probabilité sur laquelle nous pouvons nous régler. A défaut d’indication plus certaine, il nous est loisible de consulter l’une des deux montres pour la récitation du brévaire, et l’autre pour le jeûne ou l’abstinence. Ce sont là des préceptes distincts. Chacun s’accomplit d’une façon légitime, sans que nous ayons à nous dire à la fois : il est minuit, il n’est pas minuit.

c) Cette faculté d’option subsiste, à plus forte raison, lorsque l’Eglise nous laisse elle-même le choix entre le temps astronomique, le temps moyen, le temps légal. Le probabilisme n’est plus en cause ici. Toutefois, le lecteur nous permettra de traiter en passant une question apparentée à la précédente, et de compléter ainsi notre exposé. Il nous paraît qu’en cette matière, des auteurs très estimables pèchent ici par excès de sévérité, en voulant que notre choix, s’il est fixé pour un précepte, nous lie pour tous les autres préceptes où entre en jeu la considération de l’heure.

Le c. 33, § i, qui nous permet d’adopter pour la célébration privée de la messe, pour la récitation privée de l’office divin, pour la sainte communion, pour le jeûne ou l’abstinence, soit le temps usuel, soit le temps astronomique vrai, soit le temps moyen, soit le temps légal, ne contient aucune clause qui nous oblige à l’uniformité dans nos choix. De quel droit l’imposerait-on, sans aucun texte ? Cette rigueur n’est-elle pas réfutée par la bizarrerie des conséquences où elle nous ferait aboutir ? Il est la h. i/a, temps légal ; n i/a temps moyen. Se réglant sur l’heure légale, un sous-diacre affamé se sert d’un pain fourré ; un sien compagnon se contente d’un petit pain beurré. Nous sommes dans la nuit du vendredi bu samedi. Tous les deux avaient encore à dire Compiles du vendredi. Le premier ne saura 659

PROBABILISME

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plus(d’aprèsl’interprétation rigoriste) remplir son obligation ; le second y satisfait sans la moindre difficulté. Tous les deux cependant ont mangé à la même heure ! Le premier ne peut plus aller à communion ; l’autre peut satisfaire sa dévotion !

Quel motif, d’ailleurs pour cette sévérité ? Nous n’en voyons pas d’autre au fond, que celui-ci : en faisant gras, le premier séminariste a dû se dire : il est samedi. Et comme il ne saurait être à la fois vendredi et samedi, il s’interdit par là même de se comporter comme s’il était encore vendredi. Seulement, aucune nécessité ne le forçait à ce langage. Il lui suffisait de constater que, suivant l’heure légale, minuit était passé, ce qui n’empêchait pas de remarquer aussi qu’une autre heure, également admise, permettait encore la récitation de Compiles.

Mais n’est ce pas là établir un temps neutre, où il ne serait ni vendredi, ni samedi, de manière que, même aux Quatre-Temps, un repas gras n’enfreindrait aucune loi ? N’abusons-pas de cette expression : temps neutre, qui, de fait, a été emploj’ée. Nul n’a entendu lui donner une portée absolue. Mais de même qu’un territoire neutre entre deux pays (Moresné par exemple, avant la guerre, entre la Belgique et l’Allemagne) permet à l’un et à l’autre d’y exercer ses droits, mais n’autorise l’intervention d’aucune autre nation, de même la neutralité ne signifie pas que, durant un certain intervalle, il n’est ni vendredi, ni samedi, mais qu’on se trouve à la fois sous le régime du vendredi et du samedi ; en d’autres termes, qu’il est indifféremment, pour la pratique, vendredi ou samedi.

Ces mêmesbons auteurs, dont nous nous séparons à regret, sont-ilsbien logiques, quand ils admettent avec nous, qu’au même moment deux testaments informes peuvent être traités diversement par le même intéressé ?

Pourquoi deux préceptes seraient-ils moins séparables ? Quel grave inconvénient doit-on redouter d’un peu plus de latitude dans l’estimation de la circonstance, tout extérieure, du temps ?

N’est-il pas plus simple et plus conforme au texte du c. 33, § i d’admettre les règles suivantes :

Le jeune eucharistique nous oblige strictement à partir du « minuit » le plus en retard ; l’obligation du bréviaire peut être accomplie jusqu’à ce même

« minuit » ; dans la nuit d’un jour maigre qui précède

unjour gras, l’obligation de l’abstinence cesse à partir du « minuit » le plus en avance.

V. La valeur morale du Probabilisme et son emploi rationnel. — i. — Harnack, dans sa Dogmengcschichte III, p. 748), a osé représenter le probabilisme comme l’art de convertir, dans les cas particuliers, presque tous les péchés mortels en péchés véniels. — Henry Lba, dans son Histoire de la Confession auriculaire et des Indulgences (A History of auricular Confession and Indulgences in the Latin Church, 3 vol. Philadelphia, 1896, II, p. 291 ss.), le fait passer pour un moyen à l’usage des confesseurs, qui leur permet de diminuer les obligations morales et d’excuser ingénieusement toute sorte de péchés.

Le lecteur a pu se convaincre que le probabilisme n’est pas tout à fait cela ; et s’il lui arrive de prendre en main l’ouvrage du savant allemand, il partagera notre surprise de trouver une profession très nette de tutiorisme à l’endroit même où se commet la témérité de pareille calomnie. Il se demandera aussi, avec nous, en feuilletant les volumes de Lba, comment le souci de l’exactitude abandonne à ce point l’érudit américain, dans un livre où il étale le fruit de tant de patientes recherches.

2. — Le probabilisme vrai se recommande de la prudence, c’est-à-dire de la vertu cardinale qui doit guider l’homme dans tout le déploiement de son activité libre. Le probabilisme en impose le devoir, en répudiant les raisons futiles, en exigeant la poursuite sérieuse de la vérité ; il en revendique les droits, en se contentant de la signature de la prudence au bas de notre permis d’agir.

L’honnêteté elle-même, il va la puiser à sa source suprême, la volonté divine ; se préoccupant de l’accord formel et certain de nos vouloirs avec cette volonté, là même où sur la matérialité des préceptes ne se présentent que des probabilités en conflit.

Etabli sur la prudence, le probabilisme peut alléguer d’excellents titres de crédit : l’exactitude impeccable de sa philosophie ; la modération raisonnable de ses conclusions ; la faveur qu’il a rencontre’e chez les plus grands moralistes ; l’usage pratique qu’en ûrent et qu’en font même à leur insu ceux qui professent théoriquement des principes tutioristes ; la longue vogue dont il jouit sous les yeux du Saint-Siège, gardien vigilant de l’honnêteté morale comme de l’orthodoxie dogmatique ; l’impossibilité de trouver un tiers parti entre le tutiorisme et le système probabiliste.

3. — D’où vient pourtant que certains probabilistes ont encouru le reproche de ne pas favoriser la vertu, et de cultiver une honnêteté plutôt douteuse et suspecte que franche et recommandable ?

Il n’est si bonne chose dont l’homme ne puisse abuser : la mystique a fait des révoltés, le rigorisme a enfanté l’hérésie. L’abus consistera ici dans une fausse application du probabilisme aux questions qu’il n’est pas appelé à résoudre ; ou bien encore dans une facilité trop grande à inscrire des opinions risquées au catalogue des doctrines vraiment probables ; ou même à soutenir trop longtemps comme probables des thèses vieillies, démodées. Retenons bien que le probabilisme intervient à défaut de certitude directe ; que la science morale n’est, pas plus qu’une autre, une science au repos : les éludes des philosophes et des théologiens la font constamment progresser ; ce progrès apporte des lumières qui dissipent des doutes en même temps que les obscurités.

4. — Ensuite, ne l’oublions pas, le probabilisme résout les questions d’un seul point de vue : celui du licite et de l’illicite ; il n’en connaît pas d’autre. Or, ce point de vue ne suffit pas au dynamisme nécessaire de notre vie présente. Qu’il s’applique aux affaire », aux sciences, àla politique : l’homme tend au mieux toujours. Sa vie morale pourrait-elle seule ne pas être progressive ?

L’enseignement de Notre-Seigneur nous apprend formellement le contraire. Et le Souverain Pontife vient de le rappeler en termes excellents dans son Encyclique du 26 janvier dernier, consacrée à S. François de Sales. « Tous ceux qui prennent l’Eglise pour guide et pour maîtresse doivent, par la volonté divine, tendre à la sainteté de la vie.

« C’est la volonté de Dieu, dit S. Paul, que vous vous

sanctifiiez. » Quel genre de sainteté faut-il ? le Seigneur le déclare Lui-même ainsi : « Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait. » Que personne n’estime que cette invitation s’adresse à un petit nombre très choisi, et qu’il est permis à tous les autre » de rester dans un degré inférieur de vertu. Cette loi oblige, comme il est clair, absolument tout le monde, sans aucune exception… « Vénérables Frères, continue t-il, faites comprendre aux fidèles que la sainteté n’est pas un don rarement concédé à quelques-uns et refusé aux autres ; mais le partage de tous et un devoir commun. »

Outre cette obligation commune, l’Eglise reconnaît 361

PROPAGATION DE L'ÉVANGILE

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et ratiGe des engagements spéciaux à la sainteté, comme ceux de ses prêtres et de ses religieux. Bien des actes, en eux mêmes licites, ne cadrent pas avec leur genre de vie.

Il y a plus : noblesse oblige. Les plus avancés d : ms la carrière sont tenus par un devoir de constance, qui ne leur permet pas de se comporter comme des commençants. La vertu acquise crée des nécessités de persévérance auxquelles on ne peut se dérober. Des actes qui ne ruesseyent pas dans un chrétien, dans un religieux, dans un prêtre ordinaire, choqueraient, scandaliseraient dans la vie d’un saint.

« Tout m’est permis, s'écriait S. Paul, mais tout

ne m’est pas expédient » (I Cor., vi, 12 et x, 22).

Les réponses probabilisles ne sauraient suffire. Qui s’en contenterait, confondrait le bien avec le mieux, là solution abstraite et la pratique concrète, la conduite tolérable et la conduite à conseiller.

Il serait minimiste, et la grâce de Dieu nous porte au maximum. Le probabilisine nous fournit des données précieuses, indispensables ; il ne saurait prendre la direction de notre vie. Savoir quels actes sont honnêtes ; le savoir avec exactitude, est un présupposé nécessaire. Le concours du probabilisme nous vient ici fort à propos. En possession de ce renseignement, une seconde question se pose : vu ma personne, mon état, mon passé, les appels de Dieu et les circonstances extérieures, cet acte, que je connais comme honnête, s’insère-t-il bien dans ma vie ? Là-dessus, le probabilisme ne me donne pas de réponse. Nous la demandons à la grâce et aux directions évangéliques.

Le probabilisme que nous avons voulu exposer et justifier, n’est pas un probabilisme téméraire etusurpateur : c’est un probabilisme prudent et modeste, qui se garde des assertions non fondées et des empiétements, qui se renferme dans son propre rôle, et seconde, loin de la contrarier, l’aspiration au plus parfait.

Bibliographie. — Nous croyons pouvoir nous borner à ajouter quelques livres ou traités à la liste qui termine l’Exposé historique. Suarbz, De Bonitate et malitia humanorum actuu/n, disp. xii, sect. 3. 5. 6. — Jban db S. Thomas, Cursus theol. Tract, de actibus humants, d. xii, art. 3. 4- — Esparza, Cursus theol. 1. 3. De actibus humanis, Appendix ad q. a3. — Terillcs, Fundamentum totius theologiæ moralis, seu De opin. prob. — Lacroix, Theol. mor. L. I. — Neubauer dans Theologia… in Univers. Wirceburgensi accommodata, Tr. de act. hum. c. iv. — Bouqcillon, Theol. mor. fundam. Tr. De conscientia.

Pour la controverse plus récente : Db Caigny, C. SS. R., Apologetica de aequiprobabilismo Alphonsiano hislurico-philosophica dissertatio iuxta principia Angelici Doctoris, Tournai, 189^. — Ahbndt, S. I., Crisis aequiprobabilismi hodierni. Friburgi-Brisg. (réponse au précédent ouvrage), 1899 ; Arexdt, De conciliationis tentamine nuper iteralo Aequiprobubilistas inter et Probabilistas, Ri>mae, 1902. — L. Woutbrs, C. SS.R., De minusprobabilismo seu de usu opinionis quam quis solide sed minus probabtlis esse iudicet, Parisiis, 1905. — Arbndt, S. I., Aequiprobabilismus ab ultimo fundamento discussus, Romae, 1909. — Lf.hmkchl, S L, Probabilismus vindicalus, Frilnirg. Brisg., 1906. — P. Harmignik (Abbé), Noies sur le probabilisme, Revue néoscolastique, Louvain, 1921, p. ! ss. — E. Janssbns, Réponse à un plaidoyer probabiliste, ibidem, p. 267 ss.

A. Vbrmbbrsch, S. J.