Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Patrie

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

PATRIE.

I. Position db i, a question.

II. — TuéoniE SCIENTIFIIJUE DU l’ATniOTISMB.

fo Vidée de patrie : les faits.

2° L’idée de patrie : ses fondements extérieurs.

3° T.’idée de patrie : ses fondements intérieurs.

40 Conséquences de ta théorie scientifique du patriotisme. — A) I.a prétendue éiolution de l’idée de patrie. — B) S’ationalisme, frontières nnturelles, principe des nationalités et union

« sacrée ».

III. — L’internationalisme.

|o Internationalisme et antipatriotisme.

2° Principales formes de l’internationalisme. — A) Internationalisme spéculatif : cosmopolitisme, humanisme, humanitarisme. — B) Internationalisme pratique : haute banque, socialisme, judaïsme, franc-maçonnerie et sectes connexes : pacifisme : Eglise catholique.

3* le catholicisme : ses principes sur la fraternité humaine, la société internationale, le patriotisme, le nationalisme, le droit des gens, la guerre et le métier des armes.

IV. BiBLiOQHAPHii !  : principaux ouvrages à consulter.

1. — Position de la (question. — Eglise veut dire société ; catholique signifie universelle. L’Eglise catholique se définit donc comme la société universelle par excellence. Elle s’oppose par là, du même coup, à tous les groupements humains qui prétendent à l’universalitéet à lousceux qui se renferment en des bornes plus étroite ». Il est inévitable que des débats s’élèvent.sur le sens, la nature et la portée de cette opposition : nous croyons pouvoir, dans les bornes de cet article, fournil’à l’apologiste les indications fondamentales qui lui seront nécessaires pour se préparer à ces débats.

C’est dans ce but que nous exposerons d’abord la théorie scientifique du patriotisme. Elle repose sur ce fait, constaté par l’histoire, que l’idée de patrie est à la fois immuable et universelle. La patrie peut donc être définie de telle sorte que cette définition convienne à tout ce que les hommes ont jamais regardé comme leur patrie. Le fait établi et la définition tirée des constatations même qui servent à établir le fait, il est aisé de démontrer, à rencontre de tous les antipatriotismes, que l’idée de patrie n’est pas une création arbitraire de notre imagination, mais qu’elle a, au contraire, en nous et hors de nous, des fondements solides ; qu’elle correspond à des réalités extérieures età des nécessités intérieures <iui, bon gré mal gré, s’imposent à nous.

Ces faits et cette constatation sulfisentamplemeiit à la défense de la doctrine catholique contre ceux qui lui reprochent de ne pas réprouver le patriotisme. D’autre part, en justifiant celui-ci, ils en fixent le domaine et la juste mesure : ils offrent ainsi une base d’opérations excellente à la défense de la doctrine catliolique contre ceux qui lui reprochent, soit de ne pas mettre la patrie au-dessus de tout, soit de prêter appui à l’internationalisme en présentant 1 Eglise comme une « internationale » de droit divin.

Nous compléterons ces données indispensables en faisant connaître sommairement ensuite l’antipalriotisme eU’internationalisme tels qu’ils se manifestent de nos jours. Ce simple exposé permettra de voir comment et dans quelle mesure leurs différentes formes contredisent la théorie scientifique du patriotisme ou s’accordent avec elle, c’est-à-dire avec les faits et la raison. Or, comme on le verra, ils ne peuvent, en cette matière, ni s’accorder avec les faits et laraison sans s’accorder dans la même mesure 1589

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avec la docliine catholique, ni conlrcdire la doctrine catholique sans contredire, dans la niôtne mesure, et les faits et la raison.

L’apologiste trouvera donc là de quoi remplir sa lâche en démontrant tantôt que la doctrine catholique s’accorde avec la théorie scientiljque du patriotisme, tantôt que les doctrines adverses contredisent cette théorie et sont, en conséquence, dépourvues tout à la fois des titres positifs et des titres rationnels que tout homme de l)on sens doit exiger d’une doctrine avant d’y donner son adhésion.

II. — TiiÉonin sciENiiriQUE du rvxnioTisME. — lo L’idée de patrie : les /ails. — Il est possible que l’idée de patrie n’ait pas toujours existé et n’existe pas partout ; mais, à vrai dire, ceux qui le croient n’en savent rien. Il est certain qu’elle est, selon les temps, les pays, les races et les individus, plus ou moins nette, forte et féconde ; mais c’est là le sort commun de toutes les idées humaines et l’on n’en saurait légitimement induire qu’elle soit le produit artiliciel d’une certaine forme de la civilisation destinée à disparaître et avec laquelle elle doive, un jour, disparaître aussi. Ce que dit l’histoire, c’est quel’idée de patrie, dès qu’on en constate l’existence, apparaît toujours et partout la même.

Son témoignage, sur ce point, est particulièrement facile à recueillir ; car, de tous les souvenirs historiques et de tons les monuments liKéraires laissés à la postérité par les formes variées des sociétés hu maines, il n’en est pas de plus célèhrcs, — disons mieux, — de plus populaires que ceux-là mêmes où la patrie et le patriotisme sont en cause : tant il est vrai, tout d’abord, qu’ils ont été les plus aisément compris et les plus universellement admirés parce que leur parole, sur un tel sujet, ne s’est trouvée nulle part étrangère. C’est une parole vraiment humaine, comme celle de l’amour lilial ou maternel. Partout identique malgré la dilTérence des temps, des lieux, des hommes et des langages, elle a éveillé, elle éveille encore partout les mêmes [lensées dans les esprits, les mêmes sentiments dans les cœurs, sans avoir jamais besoin d’être ex[iliquée, fût-ce aux derniers des ignorants : ils en saisissent tout le sens, et du premier coup, égaux en cela aux princes de la science.

Il n’est pas besoin d’être hcbraïsant ni versé dans l’archéologie biblique pour trouver, par exemple, dans le psaume cxxxvi, sur la captivité de Babylone, la même idée, le même amour de la patrie que dans nos propres âmes de Français. Tonte l’histoire des Juifs n’est qu’une longue épopée du patriotisme, depuis Gédéon, Samson ou Judith, jusqu’aux Macchabées et à la Dispersion linale. Ce qu’ils aimaient lainsi, c’était ce que nous aimons : un pays, des compatriotes ; et Racine, pour leur faire tenir, dans son Estherousoii Athalie, le langage même de leurs historiens et de leurs prophètes, n’a pas eu à s’abstraire de lui-même un seul instant. Le patriotisme tendre, prévenant, violent même parfois et toujours empreint de si douloureux regrets dans sa prophétique clairvoyance, que N. -S. Jésus-Christ manifeste à plusieurs reprises dans les Evangiles ; celui des Apôtres, si ardent, si prompt aux rêves de domination et de gloire pour leur peuple et leur Judée, trouvent un écho tout prêt dans nos coeurs. Comme nous aimons la France et, dans la France, notre Provence ou notre Bretagne, ainsi les anciens Juifs, les.p6tres, le Christ, aimaient

le doux pays de leurs aïeux,

Lei rives du Jourdain, les champs aimés des cieux,

la Terre Promise et donnée à leurs ancêtres, la Ville

sainte qui en était l’àme, l’étroit domaine de leur tribu (AJattli., xxiii, ’ij ; l.uc, xix, /|i et s.).

En Chine, que les provinces soient unies dans la soumission à un seul empereur ou divisées entre plusieurs souverainetés féodales, les Chinois, grands dévots à leurs ancêtres et aux Patrons de leur sol, se montrent toujours convaincus de leur supériorité sur toutes les nations de la terre. Leur patrie est, pour eux, le centre de l’univers, rKmpire du Milieu. S’agit-il de la défendre contre les Barbares Hioun-Nou ou contre les « diables d’occident « qui veulent en forcer l’entrée, de tout temps, chez cette race uiédiocrement belliqueuse, ceux qui meurent en accomplissant ce devoir sont honorés pour leur sacrilîce (WiEiiEn, [[i$t. des croyances rel. et des opinions phil. en Chine ; Paris, Challamel, 1317, p. 102, 135).

Chez eux, sans doute, comme chez les Egyptieits, les Hindous ou les Aralies, l’idée de patrie ne se dégage jamais bien nettement de celles d’Etat, de religion, de famille, de race. Tous ces liens divers restent plus ou moins confondus dans leur esprit ; mais ce sont brins du même câble : tordus et enchevêtrés ensemble dans le langage et la pensée des gens qu’ils iinissent et qui n’ont pas éprouvé, comme nous, par tempérament ou par occasion, le besoin de les démêler, ils y existent néanmoins, et tels ([ue nous les retrouvons, plus distincts mais non plus réels, dans notre pensée et noire langage.

Le mot de patrie est le même en grec, en latin, en français, et c’est la même chose qu’il désigne dans ces trois langues. Son sens n’a jamais varié depuis le temps du vieil Homère. Qu’est-ce donc, en elfet, que les héros de la guerre de Troie nommaient leur patrie, si ce n’est quelque chose de tout pareil à ce que nous appellerions la nôtre si, d’aventure, nous allions faire le siège de Tokio ? Et si, comme Ulysse, nous étions chassés par quelque divinité jalouse vers des rivages lointains sur les mers étrangères, où s’en iraient, en dépit de tout, nos désirs, nos regrets, nos rêves, si ce n’est vers notre Hellade et vers notre Ithaque ?

Plusieurs siècles après 1 Iliade et l’Odyssée, les grands tragiques d’.thèncs ne prêtent pas à leurs personnages, pour toucher les contemporains de Périclès, un langage différent de celui que Racine leur prêtera, deux mille ans plus tard, pour émouvoir les sujets de Louis XIV. Et quand l’Iiihigénie d’Euripide, par exemple, se déclare prête à mourir, ce n’est pas seulement, remarquons-le bien, pour Mycènes, sacité, sa petite patrie, mais pour la grande, outragée tout entière et tout entière arrêtée dans s, i vengeance.

Nous avons li^us gardé, de nos études classiques, le souvenir vivace des pages ardentes, enthousiastes ou désolées, que leur patriotisme inspira aux grands écrivains de la Grèce et deR( me : ’l’hucydide, Xénophon, Démosthène, Plutarqiie, l’ile-Live, Cicéron, Virgile, Ovide ou Tacite. Et, encore une fois, cette patrie aux douces campagnes dont le Mélibée des Bucrdiques s’éloigne avec tant de regret, qu’est-elle ? Rome, sans doute, la Rome que les Romains de l’histoire et ceux de Corneille aiment du même amour ; mais aussi l’Italie telle que la peuvent chérir de nos jours, au delà des Alpes, les plus ardents des patriotes. Quand le poète des Gêorgiques salue en elle le pays incomparable avec lequel ne peuvent rivaliser ni la Grèce ni l’Inde ni les terres semées d’or et parfumées d’encens, ne croirait-on pas entendre, chantée, il y a vingt siècles, par un barde de génie, la chanson bretonne d’aujourd’hui

Mon pays, c’est l’pus biau d’ia teirn Mon clocher, l’pus binu d’alentour ! 1591

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Taiil il est vrai que l’iJée de patri<' et les sentimenls qu’elli- engendre sont immuables !

Je n’en Unirais pas, du reste, si je voulais citer, ne ffit-ce qu’une fois cbacun, les Anciens dont In voix pourrais ajouter quelque chose, si c'était nécessaire, à l'évidence de ce fait. Que serait-ce si je voulais y joindre les traits historiques sans nombre qui parlent dans le même sens ! Il me sutliia, sans doute, de rappeler à quelles sources latines et grecques s'était exalté le patriotisme qui sauva la France de l’invasion et lui (il conquérir l’Europe il y a quelque cent années (C ; f. BnuNRXiÈHn, /)iscour.'- de cnmOut : L’idée de pairie. — Fustel de Coulanges, /.a cité antique, ch. xiii, p. 233 de la 15° éd.).

Le Moyen Age joint, sur ce point, son témoignage à celui de l’Antiquité. Du jour où les Barbares ont cessé d'être des tribus errantes et se sont lixés sur les ruines de l’empire romain pour y former des nations, ils ont conçu la patrie comme les Anciens et comme nous ; ils l’ont aimée île la même manière. Au temps de Clovis, le royaume des Francs est déjà pour eux ce qu’il sera pour leurs descendants au temps de Gliarleraagne, ce qu’il demeurera au temps de la féodalité : « la France, maîtresse des terres », comme l’appellera Suger au xii'^ siècle ; la France libre et douce que, dès le xi*, célébreront nos chansons de geste :

Tere de France, inult estes dulz païs !

la patrie pour laquelle les héros de nos épopées combattent jusqu'à leur dernier souffle.

Le nom y est, diront ceux « pu veulent à toute force que lidée de patrie date, chez nous, de la Ucvolution ou, tout au plus de Jeanne d Arc ; mais eroyezvous vraiment qu’il s’appli jue à la même chose ? La réponse est facile : < Le nom de France, écrit Léim Gautier, est donné 170 fois, dans la chanson de Roland, à tout l’empire de Charlemagne. Il est vrai que, en plusieurs autres passages du poème, ce mcme mot — F’rance — est em()loyé pour désigner le pays qui correspondait au domaine royal avant Philippe-Auguste ; miis il ne faut [las perdre de vue le sens général qui est de beaucoup le plus usité. En résumé, le pays tant aimé par le neveu du grand empereur, c’est notre France du nord avec ses frontières naturelles du coté de l’est et toute la France du midi pour tributaire. » (Léon Gautieb : /. » Chanson de Roland, note sur levers 36)

En d’autres termes, il y avait alors, comme aujourd hui et au temps d’Ulysse, de petites patries dans la grande : Francie, Anjou, Maine ou Bretagne, on les aimait ; mais on aimait aussi la France et l’on savait mourir pour elle. Etait-elle en danger ? Les Capitulaires ordonnaient la levée en masse : « Pour la défense de la patrie », dit l’un d’eux, l'édit de Pistes de 864, « que tous, sans aucune exception, prennent les aruies «. Tous les privilèges sont suspendus en cette occurrence. Il en sera de même à l'époque féodale quand la petite patrie, duché ou comté, sera en péril De nombreux documents en témoignent aux x" et xi' siècles. Telle abbaye est franche de tout, sauf de fournir des hommes « pro defensione patriæ » ; tel seigneur reconnaît l’indépendance d’un domaine, « à moins, ajoute-t-il, qu’il ne s’agisse d’un des cas où le peuple, appelé de partout, doit venir même des alleux aOn de combattre pour la [latrie ».

A cette époque, sans doute, le patriotisme local est très vif, très agissant, très belliqueux ; mais l’idée de patrie, telle que nous la concevons encore, n’en est pas moins celle qui l’enfante ; et à côté de lui, le patriotisme général existe. Il est déjà puissant.

Il le devient de plus en plus à mesure que se parfait l’unité territoriale du royaume. Est-il besoin de citer le fait de Bouvines ou la devise de saint Louis :

« Dieu, France et Marguerite » ; ou le mot de

Duguesclin lixant lui-même sa rançon à une somme énorme ? « Je la vaux, disait-il ; et quant au reste, sachez qu’il n’est femme de France, fût-ce dans la plus humble chaumière, qui ne file pour la ]>ayer. » Que de témoignages du même genre dans notre histoire ! Est-il besoin de parler de Jeanne d’Arc, à qui ses 'V’oix, pour la préparer et la décider à son extraordinaire mission, commençaient par décrire

« la grande pitié qui était au royaume de France » ?

Elle est vraiment la sainte de la pairie et du patriotisme. En elle. Dieu d’abord, par une révélation directe, puis l’Eglise, en la canonisant, les ont bénis et sanctifiés tels que nous les concevons et qu’on les a toujours conçus. Plus près de nous, s’il fallait montrer que les hommes du xvi' siècle n’aimaient pas que leur roi ou leur province, je n’aurais qu'à nommer Bayard ou à transcrire, avec le sonnet célèbre où du Bellay exprime pour son « jietit Lire » tant de regrets et de tendresse, ses touchants appels à la grande patrie :

France, mère des arts, des armes et dos lois.

Hors de chez nous, je ne serais pas plus à court de preuves. Les littératures nationales de l’Allemagne, de l’Ang-leterre, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, de la Pologne, de la Hongrie, m’en fourniraient en abondance aussi bien que leur histoire. Dans le pajs du Cid comme dans celui de Shakespeare ou de Sobieski, la patrie que l’on sert dans les travaux de la guerre et de la paix et que l’on exalte dans ré|)opée, le drame ou le lyrisme populaire, est celle que l’on exalte et sert partout de|)uis que le monde est monde. Dante met dans son Enfer ceux qui la trahissent ; et qui donc lirait sa Divine Comédie sans être ému de l’amour passionné qu’il montre pour sa Florence et son Italie ?

Ce serait, du reste, une erreur de croire que, dans l’Europe monarchique, l’idée de patrie ail été conçue autrement que dans l’Europe féodale. On dit souvent qu’elle fut alors commejncarnée dans le roi et que nos pcies, jusqu’en 1789, ne distinguèrent plus, dans leur alfection et leur dévouement, la patrie ni l’Etat d’avec le monarque. Ce n’est jias exact. Les " patriotes » de 178.) et 1793 n’ont rien inventé, que la déplorable et grossière confusion qu’ils ont commise, de propos délibéré en bien des cas, entre leur pairie et leur parti. Ils ont appelé ^ « (cioifsme ce que tout le monde appelle aujourd’hui /i » ma/117arisme et antipatriotisme ; et ils n’ont fait qu’exploiter, dans l’intérêt de leur parti à l’intérieur et de la patrie aux frontières, un sentiment profondément enraciné dans toutes les classes de la nation et que la menace, puis l’invasion de l'étranger, exaspérèrent (Voir les faits décisifs allégués à cet égard par A. Gochin dans un article sur /e l’atrioiisme itumanilaire dans Hesue Universelle, i" avril 1920). En face d’eux, les émigrés et lei Vendéens entendaient bien aussi servir leur jiatrie en prenant les armes cintre ceux qu’ils regardaient comme une oligarchie criminelle. Cen’est pas ici le lieu d’examiner s’ils eurent tort d identifier la patrie, Jes uns avec la république ou la révolution, les autres avec la royauté ; ce qu’il y a de certain, c’est que la Convention, en tenant tête à l’Europe coalisée, entendait défendre la patrie et non pas seulement la république ; et que les émigrés ne se sont pas crus dans leur patrie à Coblenz ou à Gand par cela seul que le roi s’y trouvait : le prétendre serait une absurdité démentie par tous les documents de

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l'époque. Ils se considérèrent, ainsi que le roi luimême, comme des exilés, jusqu’au jour où ils renlrèrentdans ce que nous api)eln118 la patrie.

L’idée de patrie est donc toujours et partout la même, malgré la yariéléque 1 on peulconslaterenlre les objets concrets et particuliers auxquels des hommes diiréreuts l’ap|diqnent en « les Ueu. et desleuq)S divers. Heu importe la dill'érence et le changement. Celui-ci peut aller jusqu'à l’aire acquérir ou ])erdre, un jour venant, à tel pays en particulier, le caractère de patrie par rappnrt à tels ou tels hommes : c’est l'évidence nièuie ; maisce serait un étrange abus de mots que de parler à ce propos d’une évolution de la patrie. La terre des Etats-Unis est devenue la patrie des colons anglaisa mesure que ces colons, s’y étant tixés à deuieure, se la sont transmise de génération en génération et ont formé une nation distincte. La même chose s’est jjroduite au Canada, en Australie, dans l’Afrique du Snd ; auTransvaal pour les Hollandais ; au Brésil pour les Portugais ; au Chili et dans l’Argentine pour les Espagnols. L’Angleterre ou l’Allemagne cesse d'être la patrie des émigrants qui l’abandonnent lorsque, lixés en Amérique sans esprit de retour, ilsdevienneul, je ne dis pas citoyens de la République américaine, — car ils n’entrent, en le devenant, ([ue dans l’Etat, — mais membres de la nation américaine par leur américanisation. Les Alsaciens, demciue, elles Polonais annexés n’avaient la Prusse ou l'.VIlemagne pour patrie que dans la mesure où ils étaient germanisés : c’est bien pour cela que l’on s’acharnait à leur germanisation, parfois avec sauvagerie.

.drættons donc comme possible, en théorie, qu’il se constitue un jour des Etats-Unis d’Europe ou du Monde. Accordons, si l’on veut, <|ne tous les peuples, englobés dans cet universel Etat ou continuant à former des Etats distincts, puissent se former, avec le temps, une conscience commune, des traditions communes, un patrimoine moral et intellectuel com mun et des sympathies réciproques, de telle sorte que l’humanité s’harmonise en une immense nation de nations ayant l’univers pour patrie : il n’en est pas moins vrai que ces patries futures, si jamais elles existent, répondrontexaclement, comme toutes celles du présent et du passé, à l’idée que nous nous faisons de la patrie. Cette idée n aura pas changé : c’est le monde qui aura changé au point de pouvoir être appelé patrie ; et rien ne s’opposera, d’ailleurs, à ce que, dans la patrie universelle, les patries actuelles subsistent, petites et grandes, comme aujourd’hui l’Ecosse dans l’Angleterre, la Californie dans les Etats-Unis, la Sicile dans l’Italie ou la Bretagne dans la France.

Il nous sera donc facile, à présent, de discerner les traits auxquels se reconnaît la patrie et qui conviennent seuls, par conséquent, pour la délinir. Ces traits peuvent tous se ramener à tiois idées, toutes trois fort dilférentes de celles qui servent de fondement à notre conce])tion de la société et de l’Etat. Des hommes groupés et unis en vue de leur bien commun par un mutuel échange de services, voilà la société : ce n’est pas la patrie. Une société indépendante, organisée sous un gouvernement spécial et généralement à l’intérieur de frontières déterminées, voilà l’Etat : c’est plus ou nudns que la patrie et c’est autre chose.

L’idée de territoire, sans doute, est, avec celles de paternité et de nation, une des trois que nous venons de trouver partout au fond de l’idée de patrie ; mais partout, il s’agissait d’un territoire sans bornes précises. Où Unissait la Judée que regrettaient les captifs de Babylone ? Où, l’Hellade d’Ulysse et de Démostbcne, l’Italie de Virgile et de Dante, la France de

saint Louis et de du Bellay ? Où commence, où finit la nôtre, et notre Anjou ou notre Bourgogne ? Peu nous im|iortel Nous les aimons sans y songer. Le demander paraît même bizarre, tant il e>t vrai que cette idée de limites, qui joue un rôle capital dans notre concepiion leriitoriale de l’Etal, n’en joue aucun dans notre concepiion de la patrie. Que les frontières se resserrent ou s'élargissent ; que llome devienne la capitale de l’univers ou que la Pologne, démeuibrée en trois, soit absorbée par la Uussie, la Prusse et l’Autriche ; que l’Alsace passe de la France à l’Alleuiagne ou que l’Irlande soit dévorée par l’Angleterre, les patriotes peuvent soull’rir ou se réjouir cl l’idée de patiie se trouver plus ou moins alTerniie ou menacée ; mais, après comme avant, c’est la même contrée que les Irlandais ou les Romains, les Alsaciens ou les Polonais, les Français ou les Allemands, les -Vnglais ou les Russes appellent leur patrie.

L’idée de société non plus n’est pas étrangère à celle de patrie ; mais d’aboril elle n’en est qu’un clément, complété et modifié par plusieurs antres, tous diirérents des idées de gouvernement et d’indépendance qui s’ajoulenl à elle pour former notre conception de l’Etat. Je ne crois pas qu’il soit possible de citer un texte ou un fait d’où l’on puisse légitimement induire que les hounues aient jamais cru ((ue leur patrie, pour être leur patrie, dût jouir de l’indépendance, encore qu’ils la souhaitassent pour elle, ou avoir un gouvernement ; et la seconde idée que nous avons trouvée partout, à côté de l’idée de territoire, au fond de l’idée de patrie, n’est ni celle d’Etat ni même ou seulement celle de société, mais celle de paternité et toutes celles qui en découlent : famille, héritage, fraternité. La patrie est la terre des pères. Son nom vient du leur ; et ce n’est pas parce qu’elle est à nous, mais parce qu’elle fut à eux, que cette terre est notre patrie.

Cette idée de paternité, d’ailleurs, ne se confond pas avec celle de descendance ou de race. Le lien du sang n’est pas le seul qui lie le faisceau familial, ceux de l’alliance et de l’adoption peuvent aussi nous donner des frères qui, pour être des frères de choix, n’en auront souvent ni moins d’amour pour les aïeux, ni moins de soin pour l’héritage.

La patrie est donc la terre des ancêtres, la terre de famille et qui appartient à la famille, encore qu’elle soit ordinairement partagée entre ses membres ou ses branches et ses rameaux. Se confondra-t-elle donc avec le foyer domestique, et dirons-nous que la troisième idée ajoutée par l’esprit humain à celles de paternité et de territoire, pour former l’idée de patrie, est l’idée de propriété? Ce serait commettre l’erreur ou le sophisme des révolutionnaires qui prêchent l’antipatriotisuje aux prolétaires, sous prétexte que, ne possédant rien, ils ne sauraient avoir de [)atrie. Pauvre sophisme, du reste, et qui dénote, chez ces soi-disanl adorateurs de la raison, une incapacité de raisonner vraiment siufiulière. Car s’il y a quelque idée de propriété au fond du patriotisme, c’est celle qui leur est chère, l’idée de la propriété collective, tandis que colle de propriété individuelle en est radicalement exclue. Ipliigénie se croyail-ellc propriétaire de l’Hellade ou Dénuisthène de l’Altique ou du Bellay île son petit Lire ? Pas le moins (lu monde ; et pourtant ils y tenaient plus qu'à n’importe quel domaine (Voir Hkhouote, 111, iSg, 140, histoire de.Syloson de Sainos).

Tous ceux qui ont fait la guerre dans les rangs des armées françaises ont été témoins de la douleur et delà colère de nos soldats lorsipie. le long des routes qu’ils suivaient eux-mêmes, harassés, en igi^, les cm’grants, chasses par l’invasion, égrenaient lo95

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leurs tristes cortèges ou, lorsque, devant eux, jusqu’à l’horizon bordé par les fortes lignes où se replaient, en mars 1917, les arrière-gardes allemandes, ils contemplaient, révoltés, les arbres métbodiquerænl sciés près du sol, les villages, les villes même transformés en tas de décombres, les fermes rasées, les usines éventrées qui prolilaient sur le ciel gris les contorsions de leurs ferrailles. Ah 1 comme ils nous tenaient au cœur, ces biens qui ne nous appartenaient pas, ces lieux que nous n’avions pas habités, ces gens que nous voyions pour la première fois et probablement la dernière, sans rien connaître d’eux que leur nom de Français ! Nous avons compris alors mieux que par les plus forts raisonnements et les plus éloquents discours, ce que c’est que la patrie et combien profond, vraiment humain, au cœur de chaque homme, est son amour de préférence pour son foyer national et les gens de sa nation.

C’est l’honneur du ctEur humain que, entre tous les biens de la terre, il puisse préférer ceux qui ne sont pas à lui seul et qui, même, ne sont à lui et ne lui sont chers que parce qu’ils sont en même temps à d’autres : le foyer et la patrie ; mais le constater, n’est-ce pas constater du même coup que l’idée ou le sentiment de la propriété n’est pas la raison de cette préférence ? Ce n’est assurément pas parce que ces biens sont à lui qu’il les met au-dessus de tant d’autres biens qui sont à lui cent fois davantage. Ce n’est pas non plus qu’ils soient préférables en eux-mêmes : l’ile de Calypso valait mieux qu’Ithaque ; et, comme l’a fort bien noté Brunetière, n si les individualistes disent : iiln bene. Un pairia, — où l’on est bien, là est la patrie, — l’histoire leur répond : uhi pairia, ibi bene, — ouest la patrie, c’est là qu’on est l)ien ; là seulement, la vie vaut la peine d’être vécue ». Il reste donc que, la patrie et le foyer ne nous tenant si fort au cœur ni par leur excellence propre ni parce qu’ils sont à nous, notre préférence ait pour raison qu’ils sont à d’autres, — à d’autres que nous préférons à tous les hommes parce qu’ilssontnos parents, nos frères, nos proches et les lils de nos ancêtres par le sang ou le vouloir.

Ainsi, l’idée de patrie est désormais complète : à l’idée de territoire qui la fixe dans l’espace, à celle de paternité qui la prolonge vers les lointains des àgps passés, celle de nationalité s’ajoute pour la fixer dans le présent et la prolonger vers l’avenir. La patrie est le foyer de la nation ; et la nation n’est que la famille agrandie, multipliée de mille manières, ramifiée presque à l’infini (voir les beaux vers, ettrèsexacts, de Lamartine dans Les Laboureurs », épisode de Jocelyn). Par là s’ex|)lique cet autre fait que nous avous constaté partout : les hommes peuvent avoir, ils ont presciue toujours de petites patries dans les grandes. C’est que la grande famille des Hébreux, des Hellènes ou des Français a son foyer, patrie commune de tous ses membres ; mais ses membres n’appartiennent pas tous à la même branche ni, dans la même branche, au même rameau ; et chaque branche, chaque rameau a son foyer comme la famille. Douce terre de France, d’Hellade ou de Palestine ; collines bien-aimées de Juda, de l’Attique ou de la Bretagne ; cités bénies qu’elles abritent et dont les maisons se pressent, le soir, sous les ailes d’ombre large ouvertes des temples de Jéhovah, de Minerve ou de Jésus-Christ, le coeur de leurs enfants les associe et, tout à la fois, les distingue dans l’unité d’un même amour,.mour du sol, mais, avant tout, amour des hommes : car ce n’est pas la patrie qui crée la nation ; c’est la nation qui crée la patrie le jour où ses pas errants s’arrêtent. En même temps que ceux qu’il aime, le coHir se fixe sur cette terre ;

il s’y attache à cause deux ; de sorte que le patriotisme, loin d’avoir pour source unique l’esprit de propriété ou l’instinct de conservation, est, avant tout, la marque la plus éclatante de la sociabilité humaine et, pour peu qu’il se surnaturalise au soutHe de l’esprit chrétien, une forme très haute et très pure de l’éternelle charité.

2" L’idée de patrie : ses fondements extérieurs.

— Les trois éléments constitutifs de l’idée de patrie nous sont imposés par les réalités extérieures : toutes les sciences de la nature et toutes celles qui ont pour objet l’homme, sa vie ou son histoire, nous le démontrent. Le patriotisme repose donc, en premier lieu, sur un fondement positif inébranlable.

La terre d’abord : de quoi nos corps sont-ils donc faits, poussière qui retourne en poussière ? D’où leur vient la force et la vie. D’où tirent-ils leur nourriture ? Ils sont vraiment la chair de sa chair ; c’est son sang qui court dans leurs veines. A chaque battement de nos cœurs, il s’enrichit de sa substance, prenant, pour nous renouveler, ce qu’elle a mis de plus précieux dans l’eau des sources, le suc des plantes, le lait, la chair des animaux. Véritable mère et nourrice, elle nous façonne à son image par cette transfusion de son être à tout instant recommencée. Ses traits se reproduisent en nous. Même notrç âme porte son empreinte : car l’âme tient du corps qu’elle habite ; et l’air que nous respirons, la lumière qui nous enveloppe, les harmonies qui nous pénètrent, les paysages familiers sur lesquels nos yeux se reposent, les travaux enfin ou les habitudes que nous imposent sa structure, ses ressources et son climat, tout cela nous fait une àræ où se reconnaît notre terre. notre tour, d’ailleurs, nous réagissons sur elle. Nous la transformons avec le temps ; nous la marquons de notre signe, renforçant ainsi les similitudes et multipliant les raisons d’aimer. Knfanls du même sol, la ressemblance entre nous s’accroît tous les jours à mesure qu’entre nous et lui elle devient i)lus grande ; et tous les jours, par là même, les différences vont grandissant entre nous et les étrangers, fils d’un autre sol.

C’est donc la nature qui nous fait compatriotes et nous donne la patrie pour mère. C’est elle aussi qui laisse indécises et fiottanles les limites de cette patrie, comme sont flottantes et indécises les limites des plaines et des montagnes, des fiores et des climats. C’est elle encore qui veut que la patrie soit à tous comme la lumière, l’air et les eaux, comi,.s la divine beauté des choses et les harmonies partout répandues. Biens inesliiuables ! Il n’est rien, dans tout l’univers matériel, qui soit plus précieux ou plus nécessaire ; et chacun peut dire : c’est à moil sans pouvoir dire : ce n’est pas à d’autres. C’est pourquoi l’on comprendrait que le riche, possédé par sa richesse, crût ne pas avoir de patrie : on peut se procurer partout, et partout les mêmes, les biens qui le tiennent ; mais le pauvre ? La patrie est sa richesse ; qu’aura-t-il s’il la renie ? Rien ; si ce n’est la misère de ses convoitises. Car de l’air ou de la beauté, sous tous les deux on en rencontre ; mais l’air de la véritable vie, la beauté où vraiment le cœur se repose, c’est la beauté, c’est^’air de la patrie.

Si la patrie est ainsi pour nous une terre unique entre toutes les terres, quelle que puisse être leur excellence, ce n’est pas seulement, d’ailleurs, par notre ressemblance et sa maternité ; c’est encore par tout ce que nous retrouvons en elle des morts qui revivent en nous. Elle fut leur mère comme elle est la notre ; notre sang est le leur en même temps que le sien ; ils nous ont fait, comme ils l’ont faite, à 1597

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eur image. Ils ont véc, 'l est le seul

Où 80US un père en’fcore on retrouve des pères. Comme l’onæ sous l’onde en l’ubime sans fond.

Ce n’est donc pas dans l’abstraction ou la chimère le plonge la seconde racine de l’idée de patrie, qui t l’idée de paternité. Comme la première, elle s’ennce jusqu’au roc dans le terrain compact et fécond s réalités extérieures iilin d’y puiser la sève. Uien irbilraire dans son adjonction à l’idée de terriire : elle est imposée à notre esprit par la nature Iræ des choses ; et de même que le fait de donner la îengendre le devoir d’amour et d'éducatinn sur leel reposent, à leur tour, l’autorité paternelle et le voir îilial de respect, d’amour et de gratitude, ainsi I fait d'êlre né de nos pères et d’avoir reçu d’eux I it de bienfaits et de services avec et par leur héri-I ; e, est le lien qui, bon gré mal gré, nous attache i otre patrie.

: 'esl pour cela que ni l’identité de race ni la cora1 iiauté de langage ne sullisent à constituer une

r ion ou à mesurer l'éteTulue de la patrie. Le lang ; e est un instrument : il peut servir à tout ce qui i de la patrie, mais non la fonder, lui seul ; et la <ii Tiuuiiauté de race nesullit point à engendrer cette è'imunauté de vie, ce perpétuel échange d’amour et <| services qui font naître et durer les nation^. L’idée nationalité, la troisième, nous est donc, à son r, donnée, imposée par les réalités extérieures, iont elles qui s opposent à ce que l’on étende ou erre outre mesure le domaine du patriotisme, lamnant ain-" ! du même coup le vague humanilale et l’individualisme étroit.

Que me font, dit celui-ci, les gens de Carpenou de Lille, les Normands ou les Provençaux, à qui sui* de Pontarlier et qui habile dans le istère ? Je veux bien a|i|ieler patrie le pelit coin e suis né, celui surtout où j’ai vécu, la ville où ma maison, mes souvenirs et mes habitudes ; s que m’importe tout le reste ? — Il aurait raison tiacun pouvait se sullire ; mais nul ne le peut, et 1 est, sur ce point, des villages, des villes et des .inces comme des individus. Nous ne pouvons sans les autres. Une f.nmille a besoin des autres lies, un foyer des autres foyers, une commune dlaulres communes, et le Bourbonnais ou le Poide la Champagne et de la Gascogne. C’est là ce <[i les rapftroche, les associe, les lie en un seul eau et les prédestina jadis à leur unité politique s groupant, sans les confondre, dans l’unité de ilrie.

Mais alors, dit à son tour l’humanitarisme,

pourquoi vous arrêter ici ? Allez plus loin, plus loin encore. Votre pays n’a-t il pas besoin des autres ? Tous les hommes ne sont-ils pas frères ? Pour moi, je suis citoyen du monde et compatriote du genre humain : l’univers, voilà ma patrie. — Il est vrai : tous les hommes sont lils d’un même père ; mais divisés dès l’origine, ils ne se sont plus rassemblés. La famille brisée ne s’est plus rejointe, au contraire ; et, certes, je me plais à reconnaître la fraternité de tous les vivants, mais tous les morts sont-ils donc nos pères ? Nous ont-ils tous aimés ? Tous ont-ils sonlTert et travaillé pour nous ? Les uns vivaient de l’autre cùté du globe et comme dans un autre monde ; les autres Uavaillaient contre nous ou, s’ils secondaient nos ancêtres, c'était dans l’espoir de sauvegarder ou d’enrichir leur propre héritage pour d’autres que nous. Où est la dette ? Si le foyer s’ouvre à tout venant, il n’est plus foyer, mais auberge, o Qui trop embrasse, mal étreint. » Si je ne dois rien de plus à un Français qu'à un Chinois, si je ne suis pas plus chez moi en Bretagne qu’en Patagonie, aulanl vaut dire que je ne suis chez moi nulle part, que je ne dois rien à personne et que je n’ai pas de patrie.

Il faut s’arrêter ici ou là ; sinon, c’est le fameux sophisme du chauve. La gamme de nos idées sociales est continue comme celle des vibrations lumineuses ou sonores. Trente vibrations à la seconde, ce n’est pas encore un son ni quarante trillions une couleur ; et l’oreille ne perçoit plus rien au delà de quatre mille ni l'œil au delà de soixante-dix trillions. C’est entre les rayons infra-rouges et les rayons ultra-violets, tous invisibles, que resplendissent les sept nuances de l’arc-en-clel..Unsi, famille, société, nation, ce n est pas encore la patrie ; et chrétienté, humanité, civilisation, cela ne l’est plus. C’est dans l’entre deux qu’elle se place, isolant ou superposant ses diverses formes, — patriotisme de clocher, de vallée ou de province ou de plus vastes i-égions, — comme la lumière, en se posant sur les objets, les colore d’une de ses teintes ou les leur communique toutes et les revêt de sa blancheur. - 3* L’idée de patrie : ses /ondernents intérieurs.

— Ces fondements extérieurs, cependant, ne sulliraient pas à l’iilée de patrie ; elle en possède en nous d’intérieurs qu’un instant de réflexion va nous faire apercevoir.

L'âme de la patrie, voilà ce que nous voulons à présent connaître : il faut évidemment la chercher dans la nation ; elle ne saurait être ailleurs. Or, comment nous y apparaît-elle tout d’abord ? N’est-ce pas coiiMie l’union d’une multitude d'âmes humaines, fondues, pour ainsi dire, en une seule dans l’acte de former et (l’animer son vaste corps ? Il faut donc qu’il y ait des pensées communes et des volontés communes et des sentiments communs qui poussent ces âmes toutes ensemble et les maii-tiennent associées an même acte viviliant. S’en rendre compte n’est pas dillicile.

Regardons en nous-mêmes, puisque l'âme de la patrie est à l’image de la nôtre. Voici notre intelligence : qu’y a-t il en elle qui nous fait être nous ? Deux choses : la conscience qu’elle a de notre être et la connaissance que nos souvenirs lui donnent de notre permanence à travers tous les changements que le temps nous fait subir. Eh bien, c’est aussi par la conscience nati<inale et par les traditions nationales (pie l'âme de la patrie se révèle et agit en premier lieu. Le grand corps ne prend véritablement vie que le jour où il prend en nous conscience de son être ; et cette vie n’est véritablement une ^ ie et sa vie que s’il trouvedans la fidélité de nos mémoires à la lois le principe et l’affirmation de sa permanence. 1599

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.( Une nation, dit Jkllinek, c’est un nombreux ensemble d’hommes que les traits nombreux et particuliers de leur civilisation commune et la communauté de leur histoire unit entre eux et dislingue des autres. » — " Dès que la nation se sent une, ajoute-t-il, elle veut fortilier et entretenir cette unité… Un peuple peut être plus ou moins nation… Plus haut s’élève sa civilisation propre, plus riches sont, entre ses membres, les liens de l’histoire, plus aussi la nation qu’il forme est parfaite. » (Das Repht des moJernen Staales, tome 1, p. ni, 1 15)

C’était aussi la pensée de IjRUNiiTiÈHB : n Une patrie, disail-il, c’est une histoire… Avec notre lilléralure, c’est notre histoire qui nous a faits ce que nous sommes. .. » ; et, montrant aussitôt que notre littérature n’est pas seulement une collection de livres ni notre histoire un simple enchaineinent de faits, il les plaçait toutes les deux à la base de l’idée de patrie comme exprimant dans leur ensemble, en dé|iit de la variilé ou de la contrariété même de leur détail, la tradition toujours une (Discunrs de coinOat. L’idée de patrie).

Ai-je besoin, après cela, de montrer comment, aux. pensées communes, de communes volontés s’ajoutent pour fondre en une toutes nos âmes ? On vient de nous le dire : la nation, dès iiu’elle se seul une, veut rester une et le devenir encore plus, t^u’est-ce que l’hérédité nous transmet ainsi, que trouvons-nous dans nos corps et dans nos àiues et jusque dans le sol national en allant y chercher la vie, si ce n’est, avec la poussière et le labeur et les idées de nos ancêtres, leur vouloir qui s’impose à nous ? Us ont voulu notre naissance et que nous recueillions leur héritage et que nous poursuivions leur œuvre. Ce vouloir nous péuèlre.ilnous subjugue, il nous oblige ; et, ne pouvant refuser le nôtre sans crime à ceux dont nous avons tout reçu, nous laissons aller cette autre partie de notre âme à l’àiue de notre patrie.

Ce que le devoir nous ordonne ainsi, l’amour suffit le plus souvent à nous le faire faire. L’idée de pairie a dans nos cœurs ce que Brunetière appelle « un fondement mystique » : ils ont, pour se donner 3 elle, de ces raisons, comme dit Pascal, que la raison ne connaît pas et qui nous enlraineni parfois à cet excès de folie — ou de sagesse — que nous appelons l’h-^roïsme. Le patriotisme, certes, a des bases logiques, des fondements rationnels : nous venons de les étudier ; mais quand il ne les aurait pas, il n’en serait, sachons-le bien, ni moins sacre, ni moins excellent, ni moins défendable. C’est assez qu’il soit un fait, un fait universel et constant parmi les hommes : il se révèle par là comme un de ces instincts vitaux qui peuvent sommeiller parfois au fond de notre iatnie, mais qui se réveillent au premier choc de la menace ou de la douleur avec une impétuosité dont nous sommes les premiers surpris.

a La société humaine, dit Bossuet, demande qu’on aime la terre où l’on habite ensemlile ; on la regarde comme une mère et une nourrice comuiune ; on s’y attache et cela unit… Les hommes, en effet, se sentent liés par quelque chose de fort lorsciu’ils songent (lue la même terre qui les a portés et nourris vivants les recevra dans son sein quand ils seront morts : c’est un sentiment naturel à tons les peuples. « Oui, il est naturel d’aimer sa patrie, comme il est nnlurel d’aimer son enfant ou sa mère. Malheur à celui qui ne le sent pasl Qu’il me prouve, s’il peut, qu’il est plus rationnel de ne rien aimer : je me rt-fuse à ses sophismes et je le regarde comme un être incomplet, dépourvu, comme l’idiot ou l’athée, d’une des choses qui constituent l’homme normal.

4 » Conséquences de la théorie scientifique du patriotisme. — De la théorie que nous venons

d’établir, résultent des conséquences nombreusese importantes.

La première, c’est que les devoirs envers la patrii s imposent à nous indépendamment de toute lo positive. Us découlent de l’existence même de l ; pairie, de notre incor[)oration en elle bien avant qui nous puissions y consentir et des exigences de notre nature ([ui rendentnécessaires à lafois cette existenci et cette incorporation. L’histoire, la psychologie, 1 ; physiologie même, nous venons de le voir, attestent d’accord avec notre conscience, — quand nous laissons son témoignage se produire tel que, spontané ment, elle ncjus le donne, — que le ileveloppcræn de la famille en nation nous est aussi indis)>ensal>l’et dérive autant des exigences de notre nature qu. l’existence de la famille elle même ; et l’histoire, tou autant que la raison, atteste aussi que l’attacliemen (le la nation à un territoire n’est ni moins naturel n moins nécessaire au développement normal de l’hu manité que l’existence même de la nation ou de 1 famille.

Or, des nécessités, des exigences de cette sorte n sont, à leur tour, que le témoignage que la natur rend devant nous des volontés de son.Vuteur. C sont ces volontés souveraines qui nous obligent C’est par elles que nos devoirs envers la patrie nou sont imposes. Avant d’être écrits dans aucune k émanée du législateur humain, ils sont édictés t promulgués par le Législateur divin, pour toute 1 terre et tous les siècles, dans la nature même d l’homme. Us sont de droit divin naturel..A.ncun loi positive ne peut nous en atfranehir et la patrii la nation, ont, par conféquent, vis-à-vis des indiviilii et des Etats, des droits que nul ne doit méconnaitri

Voilà ce qui ressort précisément, avec une évidenc certaine, île la théorie scientilique du patriotisnn De ses autres conséquences nous nous contenteror ici de noter les principales, celles qui ont trait so (A) à la prétendue évolution de l’idée de patrii grand cheval de bataille des anlipatriotes et d( internationalistes dans leur critique du patriotism soit (B) au nationalisme qui agite aujourd hui monde.

A) Nous avons constaté que l’idée de patrie n’e pas une création arbitraire de notre esprit ; qu’cl n’y est pas non plus le fruit de préjugés ou d’hal tudesplusou moins récemment acipiis ; mais qu’el répond à des faits précis, déterminés, identiquese tous temps el en tous lieux et qui s’imposent à toi les hommes de la même minière dès qu’ils se prduisent. Il en résulte que c’est un véritable non-seï que de parler d’uneévolution de 1 idée de piitrie poi éviter, à ceux qui l’éliminent de leur àme sous pr texte de co>^mopolit sine, d’humanisme, d’human tarisme, d interuationalisme, la note dintirmité ( d’infamie que mérile leur reniement.

La patrie est un fait, comme la famille. Méconnail ce fait, ce n’esl pas en faire évoluer l’idée, c’est détruire, S’il y avait, en fait, plusieurs espèces < formes de patrie qui s’engendreraient l’une l’autre mesure que se développerait la civilisation, de tel sorte que notre esprit piit les concevoir tour à toi avant ou après leur réalisation, alors on pourrî parler d’une évolution de l’idée de patrie ; mais patrie n’est pas mulliforme. Grande ou petite, a cienne on moderne, elle est ce que nous avons di’la définir autrement, c’est détinir autre chose. < f|ui évolue, ce sont les sociétés humaines. — Eta el nations en particulier, — et leurs relations m tuelles, parce que sociétés et relations se développe nécessaiiemeiitet prennent, en se développant, mil formes diverses. Il importe donc de les dislingtl de la patrie ; et c’est faute de l’avoir fait, que J 01

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ilosophes en renom se sont parfois laissés aller prendre des formes variées d’Etat pour autant dées de patrie (v. g. Renan ; Qu’est-ce qu’une iion ?)

Patrie, Etat, il faut vraiment réfléchir bien peu ur ne pas les distinguer dans sa pensée et dans tendresse. Demandez aux Irlandais, aux Polonais, t Alsaciens si, quand ils parlaient de leur patrie n’y a pas encore très longtemps, ils entendaient rler de l’Etat, — Autriche, Russie, Prusse, empire emand ou britannique, — auquel ils étaient incorrés, dans les armées duquel ils servaient ? De

; me, comme le dit fort bien Taparelli, u ni les

ctriens ou les Isauriens sous Xerxès, ni les Breis ou les Numides sous Trajan ne pensaient se Itre pour la Patrie lorsque, sur l’ordre de leurs uvernants, ils marchaient contre des hordes conérantes et cherchaient à les anéantir » (Examen tique des gout’ernements représentatifs, Irad. hot, tome III, p. aSo). La patrie est une chose ; tat, une autre. Que l’Etat ait subi au cours des clés des transformations sans nombre, toute l’hisre l’adîrme ; mais elle affirme d’une façon non ins éclatante que la patrie, malgré cette perpélle évolution de l’Etat, est toujours demeurée la inie.

Aussi bien avons-nous déjà constaté plus d’une s, dans cet article, la nécessité de cette disiction et le tort que l’on a de confondre plus ou )ins, à l’ordinaire, l’idée de patrie avec celles de

; iété, d’Etat ou de nation. Un groupe d’hommes

is dans une action commune en vue d’une même

: telle est la définition de la société. On appelle

tion toute société qui réunit des individus et des lectivités, en vue de leur bien commun naturel, ns une vie commune et prolongée de génération génération pendant une longue suite de temps. pairie est la terre, avec ou sans bornes précises, e la nation a pour domaine héréditaire et que ses mbres regardent, en conséquence, comme le foyer leurs ancêtres et l’héritage de leurs descendants, donne le nom d’Etat, enfin, à toute société indéadante et qui réunit, sous une autorité souveraine, ns une vie commune, ancienne ou récente, peu porte, des individus et des collectivités en vue de ir bien commun naturel. Ce nom d’Etat est souat appliqué à l’autorité souveraine seulement ; et n’est pas sans raison. Cette autorité souveraine , en effet, l’élément essentiel par lequel l’Etat se tingue des autres sociétés. Quand l’Etat a un teroire, comme il arrive presque toujours, ce terrire a nécessairement des bornes précises, des fronres ; et l’on se sert également, pour le désigner, du m d’Etat.

Dé ces définitions et des distinctions qu’elles imquenl, il résulte tout d’abord qu’un Etat peut glober plusieurs nations, tel l’empire romain jadis , de nos jours, l’empire britannique. Une nation,

: iproquement, peut former plusieurs Etats, telle la

èce antique ; ou bien être partagée, comme naguère Pologne, entre plusieurs Etals qui lui demeurent angers. Héritage de la nation, la patrie suit éviniment son sort : elle est englobée ou partagée en’me temps ; ou bien elle englobe plusieurs Etats léi)endants et qui peuvent former en elle, patrie mmune, autant de petites patries, souvent rivales, ifois ennemies. Mais, tandis que, pour faire ou faire une nation, — et donc une patrie, — plusieurs nérations, ordinairement même plusieurs siècles, nt nécessaires, un acte de volonté, un traité, une nexion, peuvent, du jour au lendemain, créer un at ou l’anéantir : ainsi, par exemple, la Belgique pris naissance, et, plus récemment, la Tchéco Tome III.

Slovaquie ou la Jougo-Slavie ; ainsi disparurent, au contraire, la Confédération du Rhin ou le royaume de Naples ou l’empire d’Autriche-Hongrie.

L’Etat, au surplus, peut subir toutes sortes de changement et même disparaître sans que la nation et la patrie disparaissent ou changent. Avec ou sans leur indépendance, la Pologne, l’Irlande restent des patries, les Irlandais et les Polonais des nations. La nation, à son tour, peut se modifier, recevoir, par exemple, des éléments nojiveaux à la suite d’une invasion ou laisser des traditions nouvelles se substituer peu à peu dans son sein à ses traditions anciennes, sans que la patrie soit changée, si c’est toujours le même pays regarde par la même nation comme l’héritage de ses ancêtres. Quand la nation se fondrait avec d’autres pour former une nouvelle nation, la patrie ne disparaîtrait pas encore. C’est assez, pour qu’elle subsiste, de la distinction qui subsisterait longtemps, sinon toujours, dans la nation ainsi formée, entre celles qui seraient entrées dans sa composition. Jusqu’aux jours de Romulus Augustule, les Gaulois fidèles à lenipire de Rome ont eu la Gaule pour patrie, comme ceux qui l’avaient défendue contre César aux jours de Vercingétorix ; et les Lorrains ou les Bretons, depuis qu’ils sont devenus Français, n’ont pas cessé de tenir la Bretagne ou la Lorraine, avec la France, pour leurs patries.

Il se peut que cette fusion de plusieurs nations en une seule tire son origine de leur groupement en un seul Etat : cela s’est produit, par exemple, pour les peuples réunis sous le sceptre de Clovis. La patrie coïncide alors avec le territoire de l’Etat. Il en est de même dans le cas, plus rare, où une nation homogène se forme en Etat, comme le peuple d’Israël en Palestine ; et dans le cas, fréquent de nos jours, où des individus de nationalités diverses, mais citoyens d’un même Etat, comme dans les républiques américaines, au Canada, en Australie, unissent par former ensemble une nation. Cette coïncidence favorise, à coup sur, la confusion entre l’Etat et la patrie ; elle ne l’autorise pas. Même terre, mêmes hommes, mêmes commencements, même vie ; mais les denx choses restent différentes : chacune d’elles garde ses caractères distinctifs et jamais l’une ne répond à la définition de l’autre.

Une nation, enfin, peut bien n’avoir pas de patrie. Les Juifs, en Egypte, n’en avaient pas ; dispersés, ils n’en ont plus depuis dix-huit siècles : ils appartiennent, sans perdre leur nationalité propre, à cent Etats divers. Les nations barbares aussi, qui formaient des Etats distincts, furent sans patrie pour la plupart tant que dura la période des grandes invasions. Mais il n’en reste pas moins que, parmi tous les changements dont je viens de parler et qui peuvent affecter de mille manières des sociétés, des nations, des Etats et des patries, l’idée de pairie demeure immuable. Partout, toujours, la patrie est l’héritage de la nation. Dès qu’une terre répond à cette définition, elle devient une patrie. Quelques transformations qu’elle subisse, quelques vicissitudes que la nation traverse, elle reste la patrie de cette nation tant que la même définition lui reste applicable ; et si plusieurs terres y répondent en même temps, et pour les mêmes hommes, elles sont à la fois les patries de ces hommes-là.

B) On peut définir le nationalisme comme étant l’ensemble des sentiments, des idées et des actes qui tendent à conserver la nation, à la développer et à obtenir, des individus et des collectivités qui entrent en rapport avec elle, leur respect pour ses droits et leur aide pour ses intérêts. Dans le cas où il s’agit des rapports de la nation avec l’Etat dont elle f ; iit partie, seule ou avec d’autres, — et c’est le cas le plus

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intéressant et le plus important, — le nationalisme tend donc naturellement à subordonner au patriotisme tout l’ensemble et tout le détail de la politique intérieure et extérieure de cet Elat. Il en résulte que les distinctions et les bornes posées par la théorie scienlilique du patriotisme s’imposent également au nationalisme. Les conséquences de ce principe sont considérables. Je noterai seulement ici celles qui ont le plus d’intérêt présentement.

a) La nation et sa patrie n’ayant pas de frontières déterminées et l’Etat n’ayant d’autres frontières de droit que celles qui lui ont été ou lui sont imposées en fait sans violation de ses droits, la théorie dite des frontières naturelles est dépourvue de tout fondement scientifique ou juridique. Elle vaut, en droit, exactement ce que raient les raisons de fait en vertu desquelles les frontières dites « naturelles » sont réclamées dans chaque cas particulier. Cette réclamation peut être juste, mais elle ne l’est pas nécessairement dans tous les cas et par cela seul que l’on démontre ou prétend démontrer que les frontières en question sont « naturelles ». On ne saurait donc approuver un nationalisme qui travaillerait, sans autre motif valable, à l’extension de l’Etat national jusqu'à ses « frontières naturelles ».

/)) La nation et la patrie ne se confondant pas nécessairement avec l’Etat, le principe des nationalités, qui pose le droit de toute nation à se constituer en Etat ou, selon une formule plus récente et plus compréhensive, le droit des peuples à disposer d’euxmêmes, n’a aucun fondement scientilique ou juridique naturel. U se peut qu’une nation, incorporée dans un Etat avec sa patrie, ait le droit de se séjiarer de cet Elat pour s’incorporer à un autre ou former un nouvel Etat ; mais ce ne sera jamais en vertu du préten.lu principe des nationalités ni du prétendu droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce sera en vertu de circonstances accidentelles qui l’auront déliée de ses devoirs envers l’Etal auquel elle est incorporée ou qui auront rendu celle incorporation illégitime (voir ci-dessus : Paix et Guerre, p. I2y6).

Lorsque l’Etat et la nation ne coïncident pas, et à supposer que l’incorporation de la nation à l’Etat ait été dès l’origine ou soit devenue plus tard légitime, l’Etat a le devoir de reconnaître et de sauvegarder l’existence et les intérêts de la nation qui lui est incorporée en totalité ou en partie, et cela dans toute la mesure compatible avec son existence, à lui, et ses intérêts les plus généraux, parce que l’Etat n’a pour raison d'être que sa mission de procurer le bien commun de ses membres, individus ou collectivités, ce qui l’oblige tout d’abord à respecter leur existence et à servir les intérêts de chacun d’eux dans la mesure compatible avec l’intérêt de tous. L’Etat a aussi le devoir de faire, dans son sein, à cette nation, une place en rapport avec les services qu’elle lui rend. Ses obligations et, par conséquent, les droits de la nation vis-à-vis de lui, ne vont pas plus loin. S’il cesse de remplir ses devoirs, la nation est en droit d’agir pour l’y contraindre : c’est le droit de tout opprimé contre un injuste oppresseur. Si cette action reste sans effet et si la sécession apparaît manifestement, d’une part, comme réalisable sans que la nation opprimée en soutire plus que de l’oppression ; d’autre part, comme le seul moyen qui puisse soustraire la nation à cette oppression injuste ; alors seulement, la nation a le droit de « disposer d’ellemême » pour former un nouvel Etat ou s’incorporer à un autre.

Que s’il s’agit, pour la nation, non plus de se séparer de l’Etat dont elle fait partie, mais de ne pas être incorporée malgré elle à un autre Etat par convention ou conquête (annexion), il y a lieu de faire une

distinction. Dans le cas de cession amiable, l’E cédant ne fait qu’user de son droit et, par suite, nation ou partie de nation cédée ne peut îégitimemt rien faire pour s’opposer à la cession, quand ce cession est nécessaire pour assurer l’existence ou intérêts majeurs de l’Etat cédant, car on est ak dans un cas où l’intérêt particulier d’un membre l’Etat (la nation cédée) doit être sacrifié à l’intéi général. Dans le cas d’annexioffo la suite d’une guen le vaincu a toujours le droit de s’assurer la pai.x prix de cette annexion ; quant au vainqueur, il < aussi dans son droit si l’annexion est justifiée p une des raisons qui légitiment la guerre elle-mêi (légitime défense ; nécessité de se faire justice à s^ même à raison d’un droit violé ou d’un domma injustement subi ; nécessité d’user de contrainte co tre l’Klat adverse pour l’empêcher de commettre mal. Voir ci-après, III, 3°, n" 8 et g et ci-dessus Pa ET GuERRK, 126' ; , ij68. La question du principe d nationalités est traitée avec ampleur dans l’ouvra de U..loHANNET cité à la bibliogr. ci-après et qui t à consulter).

c) De ce qui précède, il résulte que les exigenc du nationalisme et du patriotisme se trouvent pi niées, en certains cas, par les devoirs de l’indivic ou des collectivités envers l’Etat dont ils font parti Elles ne sauraient donc être considérées comme abs lues. Elles doivent céder, notamment, c’est l'éviden même, devant celles qui priment les devoirs c citoyen par lesquels elles sont primées. Telles son en particulier, toutes celles qui dérivent de l’un di deux grands principes de la liberté humaine dai l’ordre social : — « Rendez à César ce qui est à Césj et à Dieu ce qui est à Dieu. — On doit obéir à Die plutôt qu’aux hommes. » Ni le civisme ou le loyi lisme politique, ni le patriotisme national ne sai raient, par exemple, légitimer une injustice, mên en la légalisant, ni dispenser un catholique d’obéi en matière religieuse, aux ordres de l’autorité eccl. siastique compétente.

C’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue quand o parle, comme on le fait si souvent et avec raisoi depuis 1914. de j l’union sacrée » nécessaire au sali de l’Etat et de la patrie. Pratiquer cette union es pour tous les Français, un devoir civique et patrie tique tout ensemble ; mais cela ne saurait implique pour aucun d’eux le devoir ni la permission d’er freindre la loi morale ou de renier leurs croyance religieuses, ne fiil-ce qu’en les dissimulant oue : acceptant ce qu’elles condamnent.

Trop de gens ont conçu l’union sacrée conim Rousseau concevait le contrat social : une collaboration rendue possible par une abdication générale Chacun renoncerait à sa liberté, à ses droits, à se ; convictions, pour ne plus s’occuper que de défendri la patrie, la nation, l’Etat ; puis de les faire triompher et, enfin, de leur assurer les profits de cettt victoire. Cette conception n’est pas seulement chimérique ; elle est monstrueuse. Loin d’exiger une abdication, l’union sacrée n’exige même pas un retranchement quelconque. Ce n’est pas dans ce que chacun croit, pense ou veut, qu’elle exige un changement, mais seulement dans la façon dont chacun considérait et traitait jadis ceux de ses compatriotes qui croyaient, pensaient ou voulaient autre chose. Et encore, en cela, comme l'écrivait naguère un homme politique de premier plan, « il ne faut pas parler de tolérance, — la tolérance est une concession, — mais de liberté, — elle estun droit inaliénable. Est-il besoin, ajoutait-il, d’un si grand effort pour s’aimer et se respecter les uns les autres ? » (BarTHOD, Revue hebdomadaire, 10 mai 1919, p. 158). Cel amour, ce respect entre concitoyens, suffisent à 605

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union sacrée. Elle n’exige pas que nos divergences aient abolies ou seulement dissimulées. Vouloir ue le feu et l’eau se réconcilient en se mélangeant t prennent les qualités l’un de l’autre, c’est pure bimère. Prétendre les associer en réduisant, dans bacun d’eux, au minimum les qualités qui les oppoent, c’estrendre leurassocialion décevante, illusoire , L complètement stérile. Il faut, au contraire, les nir avec toutes leurs qualités, l’eau très pure, le u très ardent, dans une organisation qui facilite ur accord et rende leur collaboration edicace : lors la machine marcliera vile et bien et longtemps, our le plus grand proUt de tous. Ainsi les Français de toutes les couleurs peuvent '. doivent s’associer à l’heure actuelle sur le terrain u patriotisme, sans rien særilier de leurs opinions i de leurs croyances, en les atlîrmanl au contraire, jur apporter plus eflicacement à l'œuvre commune - qui peut en elles y contribuer. Ce n’est pas la vergence qu’il faut chercher à faire disparaître par

; s sacrifices d’opinion que tout homme de cœur, 

aiment convaincu de ce qu’il professe, supportera 'ee d’autant plus de peine ou refusera avec d’autant us de violence que ses convictions seront plus prondes, plusvivaces, et sa personne, en conséquence, us respectable. Ce qu’il faut faire disparaître, c’est préjugé qui nous faisait voir un ennemi et, ir suite, un scélérat ou un imbécile, dans tout jmme qui ne pensait pas comme nous. La guerre détruit ce préjugé dans beaucoup d’esprits en leur iposant la constatation du contraire et celle de la alernité profonde qui, sous ces divergences, unit us les Français. Elle a porté un coup violenta l’esit de parti qui fut toujours le grand Iléau de notre ce. A nous, catholiques, de travailler de toutes nos rces pour que ce coup soit mortel. Car rien n est us opposé que l’esprit de parti à l’esprit de l’Evanle. C’est un esprit de lutte et de haine contré les ^rsonnes, alors que l’esprit de l’Evangile, irréduci)le sur la doctrine et hostile seulement aux gens de auvaise volonté et de mauvaise foi, est un esprit amour, de respect et de paix entre tous les hommes, us appelés par le même Père au même royaume ernel.

Les catholiques doivent donc entrer dans l’union icrée pour aider à l'étendre et à la parfaire ; mais 3 doivent y entrer drapeau déployé, sans abdiquer urs droits, sans diminuer ni taire leur doctrine, ins hostilité aveugle contre ceux que leur drapeau e rallie pas, mais aussi sans faire, à ceux dont tiostilité n’a pas désarmé et se dissimule, une ini"udente confiance. Le libéralisme et le sectarisme it l’un et l’autre fait leur temps parce qu’ils ont fait urs preuves de malfaisance, encore qu’ils n’aient .é bien souvent, dans nos milieux catholiques, que 1 déviation inconsciente d’intentions bonnes et roites ou l’illusion d’esprits ardents dupes de cœurs op généreux. L’expérience a prouvé que l’un de . ; s deux excès éloignait de notre cause trop d'âmes aturellement chrétiennes et qui l’auraient, sans

; la. d’abord aimée et, plus tard peut-être, servie ; 

indis que l’autre excès, loin d’apaiser ses ennemis, ugnientait leur assurance et la désarmait devant IX. L’expérience a prouvé aussi que l’hostilité du lus grand nombre contre la foi tenait à leurs préigés, à leurs ignorances et, surtout, à ce que, eux et ou-^. chacun cloîtré dans son parti, nous ne nous )nriaissions pas.

Lu guerre, la camaraderie du front, « l’amitié des anchées o, celle des régions envahies, le mélange t l’union, un peu partout, de gens de toutes les pin ions et de toutes les classes en face du péril ommun, dans la tâche nationale, ont changé ou fait

disparaître tout cela dans une assez large mesure. L’union sacrée est devenue possible et la France y a pris goùl parce que l’instinct de la conservation la lui fait sentir nécessaire, non seulement l’union sacrée de la guerre, qui lit trêve à nos discordes pour nous dresser tous ensemble contre les envahisseurs, mais l’union sacrée de la paix, qui doit nous associer tous ensemble pour le relèvement national. U faut qu’elle se maintienne et entre dans nos mœurs en restant bien comprise, en devenant mieux comprise encore.

Nos lecteurs se rendent compte, du reste, que si nous avons abordé ici cette question et tenté de la mettre au point, c’est qu’elle ne concerne pas seulement la France et les Français de igai. Elle peut se poser à toute époque et en tout pays ; elle doit toujours et partout être résolue de la même manière.

III. L’iNTERNATioNALisMB. — 1° luternatioruilisnie et aitti patriotisme. — On a généralement tendance à croire, quand on ne le croit pas tout à fait, que l’internationalisme engendre naturellement, sinon nécessairement, l’antipatriotisme, soit en lui-même, soit parce que, en devenant internationaliste, on cesserait de mettre le patriotisme au premier rang des vertus sociales et des sentiments humains. Si cette tendance prévaut, il en sera du mot « internationalisme » comme de plusieurs autres : détourné de son sens naturel, il Unira par ne plus désigner que des erreurs malfaisantes et celles-ci bénéficieront des dispositions sympathiques éveillées dès l’abord dans les esprits par les idées salutaires et justes que ce sens naturel évoque. Que l’on reproche à l’Eglise d'être, en doctrine ou en pratique, trop internationaliste ou pas assez, l’apologiste, en répondant à ce grief, fera donc timjours bien de commencer par quelques définitions précises.

Au sens propre du mot, l’internationalisme est un système qui pose comme théoriquement nécessaire et tend à réaliser pratiquement une entente entre des nations et des Etals en aussi grand nombre que possible, — intei nationes, — pour la satisfaction de leurs besoins, la conciliation de leurs intérêts et le règlement amiable de leurs différends. Loin de s’opposer au nationalisme et au patriotisme, l’internationalisme ainsi défini les suppose et ne tend à rien de plus qu'à les maintenir dans leurs justes limites en faisant disparaître ce qui pourrait les induire à s’en affranchir : besoin, intérêt ou occasion. II s’accorde ainsi avec la théorie scientifique du patriotisme. D’autre part, il n’est manifestement qu’une application de la loi de charité ou de fraternité humaine àlaquelleles sociétés, — nations ou autres, — sont soumises comme les individus, par la raison bien simple qu’elles ne sont autres choses que leurs membres eux-mêmes, considérés tous ensemble en tant qu’associés. On doit donc le regarder, non seulement comme légitime et raisonnable, mais encore comme obligatoire et salutaire.

Parmi ses multiples formes, par conséquent, celles qui répondent à la définition que nous venons de poser sont louables ; celles qui s’en écartent plus ou moins sont plus ou moins condamnables, soit qu’elles méconnaissent les droits des individus, des sociétés, des nations ou des Eiats ; soit qu’elles ne tiennent pas suffisamment compte de leurs besoins et de leurs intérêts légitimes ; soit qu’elles violent la loi de charité, en préconisant des moyens d’action que cette loi interdit ou en ne respectant pas l’ordre de préférence qu’elle établit pour chacun de nous entre les hommes en nous ordonnant de les aimer tous.

On aurait donc tort de parler toujours au singu

lier de l’internationalisme. Les internationalismes sont plusieurs et, dans le nombre, il en est de raisonnables et de bienfaisants. Ceux-là mêmes qui ne le sont pas et qui encourent l’un ou l’autre des reproches que nous venons d'énumérer ou tous ces reproches ensemble, ne sont pas faits que de mensonges et d’erreurs. Il faut se garder de rejeter en bloc, comme servant de masque à l'égoisme antisocial des individus et des partis, toutes les idées de solidarité humaine, de paix, de fraternité universelles, que les antipatriotes opposent à l’idée de patrie pour les exploiter contre elle. La faveur dont elles jouissent est faite sans doute, pour une grande part, d’hypocrisie et, pour beaucoup aussi, d’illusions ; mais parmi ces illusions, il en est de généreuses et l’on trouve, à côté d’elles, un certain nombre d’idées, généreuses aussi, qui ne sont pas des illusions.

La faiblesse de ces internationalismes néfastes et de l’anlipatriotisme, qu’ils professent à peu près tous, est, d’une part, dans leur origine et, d’autre part, dans leur argumentation contre la patrie. C’est par là qu’il faut les attaquer pour bien se défendre contre eux.

Leur origine ? Elle est dans ce que Louis VeuilLoT appelait si bien « le cœur arrogant et bas de l’homme qui se fait Dieu ». L'égoisme et l’orgueil, — ces deux ennemis nés de la « cité de Dieu », — sont aussi les ennemis nés du patriotisme et de la patrie. Ils ont horreur de l’obéissance, de la gêne, de la douleur et de la mort, qu’ils considèrent comme les pires des maux, alors que la vie sociale et la vraie fraternité sont faites de ces sacriûces. Ils proclament le droit de l’homme à « vivre sa vie » sans autre règle que la raison, indépendante et souveraine ; et de ce rationalisme antisocial naissent aussitôt l’esprit d’individualisme et l’esprit de libre examen, dissolvants terribles de toute morale, de toute croyance et, par suite, de toute patrie. « Car, observe à bon droit Brumbtikrb, à qui la raison raisonnante, » — ajoutons : sans autresclarlés que les siennes — « à qui la raison qui calcule a-t-elle jamais conseillé… de se dévouer aux intérêts des générations qu’il ne connaîtra pas ? à qui, de donner sa fortune ou sa vie pour la liberté, pour la justice, pour la vérité? A personne, vous le savez bien ! Ce qui est « raisonnable » et surtout n rationnel », c’est de songer d’abord à soi ! Ce qui est « rationnel », dès qu’on le peut sans danger, c’est de s’excepter soi-même du malheur ou <lu deuil publics ! Et n’a-t-on pas vvi des gens très sages en tirer prolit ? Ce qui est n rationnel x, c’est de jouir de la vie présente, car qui sait si le monde durera jusqu'à demain ? Et toutes ces choses

« rationnelles » sont ce qu’il y a de plus contradictoire à l’idée de patrie. » (Discours de combat. L’idée

de patrie)

Plus d’attache au sol, en effet, plus de lien avec les ancêtres, plus de solidarité ni de conscience nationales, si l’individualisme l’emporte : et c’est pour cela que la Révolution, faisant table rase du passé, divinisant la raison, exaltant l’individu, devait fatalement aboutir à la négation de la patrie et à la dissolution de la nation. Rien de plus convaincant, à cet égard, que le langage des révolutionnaires d’hier et d’aujourd’hui, Gdèles continuateurs du jacobinisme d’autrefois. Sans le chercher dans les feuilles du i défaitisme » ou du « bolchevisme » contemporain, je le prendrai dans une enquête ouverte en igoS par une revue sérieuse et à prétentions scientifiques, Le Mouvement socialiste. Voici ce que l’on put y lire :

« Que le prolétaire se fasse une obligation irraisonnée d’aimer sa patrie, c’est le comble de labétise

et de l’inconscience. On ne peut aimer que ce que

'on possède en propre, ce qui procure quelque joie ou écarte toute peine, toute souffrance, toute insécurité. Tel n’est pas le cas de l’ouvrier, qui ne connaît de la patrie que les lourdes charges qu’on lui impose en son nom. » Ainsi parlait le citoyen Villeval, secrétaire des correcteurs typographes de Paris, it La Patrie est une question de sentiment ; le sentiment, lorsqu’il est raisonné, est une question d’intérêt ; la palrieest donc une question d’intérêt. » Ce beau sorite est du citoyen Yvetot. « L’ouvrier ne peut pas être patriote… car son raisonnement de prolétaire… lui dit que tous les travailleurs sont frères et que sa véritable patrie est où il trouve le summum de bien-être et de liberté » : c'était le citoyen Hervier, secrétaire de la bourse du travail de Bourges, qui le déclarait. Tel était aussi l’avis du citoyen Richaud, secrétaire de la bourse du travail de La Seyne, près Toulon : k La patrie des ouvriers ? disait-il ; c’est leur ventre et celui de leur famille. »

« C’est le lieu où ils mangent », déclarait le citoyen

Robert, secrétaire de la fédération des syndicats de peinture. Le citoyen Niel, secrétaire de la bourse du travail de Montpellier, ne pensait pas autrement :

« L’ouvrier qui aimerait sa patrie avant d’aimer sa

classe sociale, expliquait-il, serait celui qui attribuerait plus de valeur aux besoins moraux du cœur qu’aux besoins matériels de l’estomac, ce qui nous parait irrationnel et antinaturel. « Et le citoyen Vedel, secrétaire de la botirse du travail de Thiers, en était assez convaincu pour ne pas pouvoir imaginer même qu’il pût u venir à l’idée d’aucun prolétaire conscient de risc|uer sa vie, sa santé, ce qu’il a de plus précieux, ce qui ne peut se remplacer, pour une patriedont il n’a à retirer aucunavantage ». (Année igoS, p. 6g, 466, 206, 325, 222, 462, 65)

Voilà le langage de ces gens là.il n’a pas changé depuis lors. Rien ne révèle mieux l’individualisme forcené qui fait le fond de leur doctrine et qu’ils dissimulent sous tant de mots d’un sens contraire : syndicalisme, solidarisræ socialisme, collectivisme, humanitarisme. Au fond, d’ailleurs, ni le capitalisme n’appliq<ie une autre doctrine lorsqu’il transforme les Etats et les patries eninstruments de lutte économique ou, comme l'écrivait le député Guieysse dans le.Mouvement socialiste, n en vastes associations de financiers, de commerçants et de chefs d’industrie pour la conquête du marché universel c ; ni les intellectuels ne raisonnent dune autre façon lorsqu’ils prétendent conférer à chaque petit groupe humain et à chaque individu le droit de choisir sa patrie ou de n en vouloir aucune ou de s’en faire une à sa fantaisie. L'égoisme du cerveau n’est pas d’une autre essence que celui du portefeuille ou de l’estomac ; et le libre examen ou la libre pensée, dont il se réclame, n’ont rien de moins pernicieux.

Quant à l’argumentation de tous ces anlipatriotes contre la patrie, elle se fonde toujours sur le même sophisme : la patrie n’aurait pas de réalité extérieure ; à l’idée de patrie, rien ne correspondrait en dehors de nous ; ce serait une création arbitraire de notre esprit, un préjugé sans fondement. Voilà leur point de départ commun. Ils cherchent ensuite comment ce préjugé a pu naître, pourquoi il s’est enraciné. C’est alors qu’ils se partagent sans s’opposer, chacun cherchant une explication dans le domaine habituel de ses préoccupations. S’ils en veulent à la propriété, la patrie est à leurs yeux une invention machiavélique des possédants. S’ils en veulent à l’autorité ou seulement à la discipline ou à la guerre, la patrie est, à les entendre, un préjugé introduit par les gouvernants dans l'âme populaire au moyen d’un enseignement tendancieux pour se procurer 1609

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les troupes nécessaires, non plus, comme dans le cas des possédants, pour la défense de leurs propriétés, mais pour le dénouement de leurs intrigues et le succès de leurs ambitions. S’ils ont, comme les intellectuels, la marotte de révolution, c’est à elle qu’ils rapportent l’origine de l’idée de patrie. Ce n’est pas seulement la forme de l’Etat ou l'étendue de la patrie qui est variable, s’il faut les en croire ; c’est l’idée même de patrie qui se transforme. On l’a conçue d’abord, disent-ils, en fonction de la race, puisde la religion, puisde la politique ; et, successivement, le nom de pairie a été donné au territoire habité par les hommes du même sang-, de la même croyance, de la même cité. Aujourd’hui, la patrie se présente généralement comme le domaine d’une grande association économique, énorme coopérative de production et de consommation. C’est un progrès, ajoutent-ils ; car les intérêts économiques collectifs sont, pour l’idée de patrie, une base autrement sérieuse, solide et rationnelle que le lien vague, et d’ailleurs hypothétique, du sang ; ou les superstitions vaines entretenues dans un but intéressé par la caste sacerdotale ; ouïes intérêts politiques, trompel’oeil sous lequel, presque toujours, se dissimulent les intérêts des gouvernants. Le progrès se poursuivra, du reste, assurent-ils. L'évolution continue : déjà l’on peut en pressentir le terme. Bientôt, la patrie sera généralement conçue comme une société tout intellectuelle, une sorte d’Eglise laïque fondée sur la communauté de pensée, et qui englobera l’humanité tout entière, le jour oii le progrès des lumières aura unilié la pensée de tous les hommes dans la science, alors sans mystères.

Atout cela, la théorie scientifique du patriotisme fournit la réponse. Une nous reste donc qu'à définir sommairement les diverses formes de l’internationalisme contemporain, en notant brièvement leur attitude vis-à-visde l’idée depatrie et du patriotisme.

2 » Principales formes de l’internationalisme. — On peut distinguer deux sortes d’internationalisme :

A) celui qui se définit complètement par la façon dont ses adeptes conçoivent et sentent le lien personnel qui les unit au reste du genre humain : nous l’appellerons internationalisme spéculatif ; —

B) celui qui se définit comme une association de fait ou de consentement entre adeptes de l’internationalisme spéculatif en vue de le réaliser dans l’un des domaines de l’activité humaine par une organisation appropriée. Nous l’appellerons internationalisme pratique.

A) Internationalisme spéculatif. — On confond souvent ensemble les trois formes de l’internationalisme spéculatif, qui sont : le cosmopolitisme, l’humanisme et l’humanitarisme. Il est même arrivé que des écrivains rétléchis et sachant leur langue ont pris ces trois mots pour synonymes (v. g. GoYAC, op. cit. ci-aprês, bibliographie). Nous croyons devoir, cependant, les appliquer à des choses distinctes quoique semblables.

a) Cosmopolitisme. — Etymologiquerænt, le cosmopolitisme est l’attitude de celui qui dit, avec Cicéron, « Civis sum totius mundi » ou « Je suis concitoyen de tout homme qui pense » — et tous les hommes pensent, n’en déplaise à ce « penseur j I C’estle fait déconsidérer le monde (cosmos) comme une seule cité (polis) et tous les hommes comme concitoyens. L’humanisme et l’humanitarisme sont des variétés du cosmopolitisme ainsi défini ; et, de même, l’internationalisme. A l’usage, toutefois, le mot a perdu de sa précision et il en est venu à désigner, plus vaguement, le goût et l’habitude d’avoir des relations avec l'étranger, de l’imiter, de lui emprunter ceci ou cela et de subir son influence. C’est

en ce sens que nous l’entendons ici. Il est manifestement compatible avec le nationalisme et le patriotisme. « C’est l’action bien innocente d’ouvrir la fenêtre, de laisser entrer l’air et de regarder le vaste monde v, disait Mklchior dk Vogué (IJist. et poésie, p. 14'7)à propos du cosmopolitisme littéraire, et cela est vrai aussi du cosmopolitisme artistique, scientifique, juridique, économique ou social. On ne saurait s’enfermer hermétiquement chez soi sans en éprouver de graves dommages, car il y a une foule de choses qui sont cosmopoli tes par nature : les arts, y compris l’art militaire ; les sciences et leurs applications ; la médecine, la philosophie ; plusieurs langues et plusieurs religions ; l’industrie, l’agriculture, le commerce ; — et il y en a d’autres qui tendent naturellement à le devenir : la mode, la cuisine, le logement, l’ameublement, l’armement, la littérature. Ce qu’il faut, c’est rester soi-même et maître chez soi, tout en laissant les étrangers aller, venir, parler, agir, et en profitant de leurs expériences : « Omnes spiritus probate, quod bonum est tenete. » Le tout est de garder la juste mesure : « quod bonum ». Or, on ne saurait tenir pour bon ce qui serait de nature à oblitérer l’idée de patrie ; à diminuer le patriotisme ou aie discréditer ; à porter atteinte directement ou indirectement et à longue échéance aux droits, aux traditions capitales, aux intérêts essentiels, à l’intégrité de l’Etat ou de la Nation (exemples dans GoYAU, op. cit. Introduction, p. xxvii à xxix, xxxi et passim).

b) Humanisme et humanitarisme. — L’humanisme est la forme philosophique, l’humanitarisme la forme politique et sociale de cette variété du naturalisme athéistique ou panthéistique qui considère l’homme comme l'être suprême dans la nature et l’humanité comme la fin dernière de l’homme. Au fond, et que l’on considère les choses du point de vue de l’athéisme ou du panthéisme, c’est la divinisation de l’humanité par la proclamation de son indépendance absolue. Il faut donc éviter de les confondre avec l’idée et le sentiment de la fraternité humaine, comme on le fait quand on dit de quelqu’un qu’il a des idées ou des sentiments humanitaires pour faire entendre qu’il a des idées ou des sentiments d’humanité. « Homo sumet nilhumania mealienumputo, — je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger » : c’est la définition de l’humanité, qui est une vertu ; ce n’est pas celle de l’humanisme ni de l’humanitarisme, qui sont des systèmes dans lesquels cette vertu est loin de tenir une place aussi grande et aussi haute que leurs noms pourraient le faire supposer.

Les humanistes de la Renaissance furent pour la plupart des individualistes et des égoïstes effrénés. Les humanitaristes d’aujourd’hui rêvent bien de fraternité universelle (cf. Lamartine, La Marseillaise de la^ai> ; — V. Hugo, La Légende des siècles : Pleine mer, plein ciel ; La fin de Satan ; — Goyau, op. cit., p. xvii) ; mais, croyant sans doute avoir ainsi payé leur dette à leur prochain, ils s’en tiennent là pour la plupart. Comme l'écrivait Challemkl-Lacour (Etudes et réflexions d’un pessimiste, p. 186, 187) : « On ne travaille que pour soi, mais on aime l’univers et l’on se dispense ainsi de penser à la patrie. Il est d’une âme étroite et d’un petit esprit de croire que, malgré la vapeur et les ballons, il y a encore des déserts, des montagnes, des mers qui circonscrivent les peuples, qui les groupent par d’indéfinissables aflinités d’organisation et d'âme. Rien n’est plus mesquin que de nourrir, pour le misérable canton de la terre où le hasard nous a fait naitrs, cette prédilection passionnée qui ferme le cœur à la fraternité universelle et l’esprit à la 1611

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grande pensée humanitaire. C’est ainsi que, à la place de ce patriotisme qui creuse une ligne de démarcation entre le Grec et le Barbare, se compose d’orgueil et d’ignorance, de rivalités et d’antipathies, de rancunes et de craintes, s’est introduite cette tendresse vague pour le genre humain, laquelle trouve pénible et trouvera bientôt injuste de refuser aux singes le titre de nos concitoyens. »

Une enquête faite par la Bévue en 1904 résume assez bien les idées et rétnt d'âme des lïumanistes et hunianitaristes contemporains. Il s’agissait de répondre à cette question : Le patriotisme est-il compatible avec l’amour de l’humanité? — Nous sommes en marche vers l’unité, disaient la plupart des réponses. Les nations européennes vont s’entendre, puis se fédérer, puis se fondre les unes dans les autres et toutes ensemble dans le reste du genre humain qui, du même pas que nous, s’achemine aux mêmes destinées. La fralernité internationale, ajoutaient les uns, fera disparaître le patriotisme. — Non, déclaraient les autres, l’idée de patrie subsistera toujours et, avec elle, les sentiments qu’elle engendre dans les âmes ; seulement elle changerade forme. Elle se spiritualisera. Elle cessera de reposer sur les bases étroites, changeantes et grossières que la communauté du territoire ou des besoins matériels ou des ambitions politiques ou des périls extérieurs lui a données jusqu'à présent. Elle ne se fondera plus que sur la communauté des idées.

« Le patriotisme de l’avenir », concluait Paul Gskll, 

rédacteur à la Heviie, en résumant les résultats de son enquête, le patriotisme de l’avenir « ne comportera plus nul esprit de conquête violente, il ne sera plus circonscrit par nulle frontière, il ne défendra plus nul intérêt commercial, industriel ou Gnancier, — car des associations spéciales se formeront autour de tels intérêts ; — il sera ce que le patriotisme actuel contient de plus intérieur, à savoir une façon particulière de concevoir la beauté et la vérité.

<r Uyaura encore des Français dans le monde ; mais ils ne seront pas forcément massés entre telles mers, tels fleuves, telles montagnes : ce seront ceux qui aimeront à la fois Descartes, Corneille, Nicolas Poussin ; ceux qui, généralement, croiront à la liberté morale. U y aura des Allemands : ce seront ceux qui se rencontreront dans l’admiration des Leibnitz, des Kant, des Hegel, des Goethe, des Beethoven ; ce seront les esprits systématiques aimant prévoir, s’attachant profondément aux fatalités soupçonnées. Il y aura des Anglais : ce seront, en tous lieux, les dévots de Shakespeare, de Locke, de Bentham, tous les utilitaires qui, voyant dans l'âme humaine un simple tissu de sensations flatteuses ou pénibles, chercheront à se ménager, par une digne existence, la plus grande somme de plaisir. Il y aura des Italiens : tous les fervents de Dante et de Michel-Ange ; des Russes : les disciples de Tolstoï, etc.

« Le patriotisme, dans l’humanité administrativenient unifiée, sera donc, dans ces temps lointains, 

probablement la survivance de l'âme philosophique et morale des nations ; ce sera une association encore, mais spirituelle, dégagée de toute limitation territoriale, une sorte de confession laïque ; et ces diverses confessions, comme les plus hauts systèmes philosophiques d’aujourd’hui, se rapprocheront certainement toutes dans l’amour du genre humain. »

On ne saurait plus élégamment faire entendre que l’humanisme et l’humanitarisme sont de très puissants dissolvants de l’idée de patrie et du patriotisme.

B) Internationalisme pratique. — Les formes de l’internationalisme pratique sont nombreuses. Il est hors de doute, en premier lieu, qu’il existe un trust mondial organisé pour agir en faveur de ses

membres chez les diverses nations dans le domaine financier. Il est connu sous le nom de Haute-Banque ou Haute- Finance internationale ou Internationale jaune. En soi, il n’est pas opposé au patriotisme et à l’idée de patrie, mais il ne leur fait jamais aucune place dans ses combinaisons et il n’hésite pas à les combattre quand il espère que cela servira ses desseins. De plus, il est dominé par l’internationalisme juif, qui se sert de lui comme d’un instrument pour la réalisation de ses ambitions. Il faut en dire autant de quelques autres formes de l’internationalisme pratique : socialisme international ; Franc-Maçonnerie universelle et sectes qui s’y rattachent (occultisme, spiritisme) ; certaines variétés de pacifisme.

Le socialisme international ou Internationale rouge vise partout à réaliser, par des moyens plus ou moins violents et à plus ou moins longue échéance, la République universelle. C’est le but avoué des Bolclievistesde 1921 ; c'était celui des Communards de 1871 ; ce fut celui des socialistes de toutes nuances, à quelques rares exceptions près, depuis Babeuf jusqu'à Lénine en passant par Karl Marx et Jean Jaurès. Leur humanitarisme, dominé par l’idée de classe et de guerre de classe, est résolument hostile à l’idée de patrie etau patriotisme. Sans parler du a défaitisme », dont leurs journaux ont été les tribunes pendant la grande guerre et depuis, je n’en veux encore une fois pour preuve que les réponses aux questions posées dans leur revue I.e Mouvement socialiste pour l’enquête que j’ai déjà citée. Elles valent qu’on les note.

Le questionnaire était ainsi conçu : « I) Les ouvriers ont-ils une patrie et peuvent-ils être patriotes ? A quoi correspond l’idée de patrie ? — II) L’internationalisme ouvrier connaît-il d’autres frontières que celles qui séparent les classes et n’a-t-il pae pour but, au-dessus des divisions géographiques et politiques, d’organiser la guerre des travailleurs de tous les pays contre les capitalistes de tous les

paj’s

111) L’internationalisme ouvrier ne se con fond-il pas, non seulement avec l’internationale des travailleurs, mais avec l’antimilitarisme et l’antipaIriotisme ? Ses progrès réels ne sont-ils pas en raison directe des progrès de l’antimilitarisme et de l’antipatriotisme dans les masses ouvrières ? — IV) Que pensez-vous de la grève générale militaire ? — V) Que pensez-vous des socialistes qui se diient à la fois patriotes et internationalistes ? »

Avec une touchante unanimité, les internationalistes patriotes furent déclarés « idiots ou fumistes ». Aux quatre premières questions, une seule voix répondit avec intelligence et bon sens en faveur de la patrie : ce fut celle du citoyen Keufer, secrétaire de la fédération des travailleurs du Livre. Les autres, écho fidèle de la revue qui les interrogeait et des journaux de leur parti, répétèrent la leçon dès longtemps apprise dans leurs pages. Ces voix représentaient dix bourses du travail, neuf fédérations ouvrières et neuf corporations de métiers appartenant à divers départements, outre la fédération des bourses du travail et la Confédération générale du travail. Plusieurs faisaient appel au terrorisme et paraphrasaient les fameux couplets de l’Internationale sur les balles réservées, en cas de guerre, aux généraux français par les ouvriers français enrôlés dans l’armée de France. Toutes ressassaient les banalités au vitriol des feuilles et des tribunes socialistes. Pas une pensée personnelle sous la plume de ces soidisant émancipateurs de l’intelligence populaire au nom du progrès démocratique ; pas un mot qui révélât, chez ces apôtres du solidarisme, le moindre sens de la solidarité nationale ou, chez ces champions du positivisme scientifique, le moindre souci des 1613

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faits positifs ni des leçons de l’expérience. Partout la même passion aveugle, la même envie, la même haine, avides des mêmes utopies et se grisant des mêmes mots creux.

l’artout aussi la même ignorance, les mêmes mensonges et les mêmes sophismes, parmi lesquels on retrouvait, sous une forme plus brutale, ceux des intellectuels interrogés par la Hevne. « Comment », s'écriaient : 'es « militants du prolétariat français », - je cite, en les résumant presque mot pour mot, leurs réponses, — « comment ose-t-on nous parler de patrie et de patriotisme ? » Les ouvriers ne peuvent pas être patriotes. L’idée de patrie n’est qu’un a vieux dogme bourgeois » inculqué « de force » aux enfants du peuple dans les écoles de l’Etat bourgeois.

« Par le développement continuel et progressif de

la science, la faillite de la religion fut vite proclamée^ H fallut en créer une autre pour sauvegarder les privilèges bourgeois ; et une nouvelle idole apparut : la patrie. » — a Après le mysticisme religieux des congrégations et des curés, nous eûmes le mysticisme patriotique des expulseurs de moines et des votards de sépar.ition. En défendant la patrie bourgeoise, les prolétaires ne défendraient donc que leur exploitation et leur servitude. » Qu’ils imitent plutôt les capitalistes que, depuis longtemps, « les divisions géographiques n’embarrassent plus. Une bonne affaire les attire tous de tous les coins du monde entier, là où elle se trouve. Ce n’est que lorsque des chicanes s'élèvent entre ces vautours, qu’ils invoquent l’honneur national et qu’ils appellent le prolétariat à la rescousse. Le prolétariat ne doit plus prendre parti pour l’un ou pour l’autre de ses détrousseurs, mais les démolir tous et partout ». Il est lui-même la seule patrie des prolétaires : faisons donc bloc d’un bout à l’autre de l’univers pour la guerre de classe contre notre universel ennemi, le capitalisme, au lieu « d’abandonner femmes et enfants » et de nous entretuer a pour conserver les richesses des autres ».

Que les riches soient patriotes, à la bonne heure I Ils possèdent, « et l’idée de patrie est intimement liée à ridée de propriété » ; mais nous ! » Toutes les richesses que nous produisons ne nous appartiennent pas et, après nous les avoir fait créer, on voudrait nous les faire défendre ! On nous dit bien que c’est notre foyer que nous défendons : mais où est-il ? Est-ce l’un de ces taudis noirs et infects où s'étioleitt les êtres qui nous çhers ? » Et lequel ? Celui d’hier ou d’aujourd’hui ? a Ou faudra-t-il mourir pour la rue, où le propriétaire vient de nous mettre ? « Exploités, nous n’avons pour tout bien que le travail de nos bras et le pain reçu pour salaire ; où nous trouvons le meilleur emploi de notre force et « la meilleure rémunération de notre travail « , là seulement est notre patrie. « La patrie, pour l’ouvrier, c’est le lieu où il mange. C’est son ventre et celui de sa famille » : qu’il défende cela contre l’exploiteur ; mais que lui importe un sol qui n’est pas à lui ou des traditions qui l’oppriment ou l’Etat qui protège ses oppresseurs ? La patrie ! « C’est une marâtre qui fait crever de faim les prolétaires » et qui ne se montre jamais à eux que « sous les espèces du patron, du contremaître, du soudard, du policier, du juge et du garde-chiourme ».

Au surplus, et à prendre les choses déplus haut,

« l’idée de pairie ne saurait correspondre à l’idéal

des penseurs qui, altruistes conscients, rêvent la disparition des frontières et la fraternité des peuples ». A quelle réalité répond-elle ? A la communauté du langage ? Ce n’est rien sans la communauté des sentiments et des pensées ; et la justice, la vérité, la solidarité doivent être partout les mêmes, dans

quelque langue qu’on les exprime. A la réciprocité des services ? Elle n’a plus aujourd’hui d’autres bornes que l’univers. A l’identité d’orig : ine ? Il n’y a pas une seule des nations modernes qui ne soit faite du mélange de plusieurs races. A l’unité du territoire ? Les frontières englobent des régions très différentes ou séparent en deux la même région sans aucun souci de son unité. Elles sont essentiellement mobiles ; et " qu’est-ce qu’une patrie dont les dimensions ou l’existence sont soumises à la volonté d’un homme ou aux hasards d’une bataille ? La patrie est en nous : elle n’a pas de réalité extérieure. L’idée seule que nous nous en faisons la crée » et c’est une idée funeste, génératrice de haine entre les enfants d’une même classe, « qui doivent aimer leur classe comme leur mère » et s’entr’aimer comme des frères, sans tenir compte des frontières artilicielles posées entre eux par l’intérêt des exploiteurs.

Il faut en finir avec cette « duperie criminelle de l’idée de patrie, cause directe de cette chose monstrueuse qui s’appelle la guerre ». Arrachons-la de nos cerveaux ! « Que nous importe d'être Anglais, Russes, Allemands ou Français ? Sous quelque loque nationale que ce soit, nous serons toujours les parias, les abeilles destinées à nourrir les frelons, jusqu’au jour où, comme le font les abeilles, nous détruirons les frelons. » Peut-être même faut-il souhaiter le changement de notre nationalité présente. Car le pire qui puisse arriver, c’est que la France, « envahie par les armées d’un despote, soit momentanément obligée de se plier sous les caprices du vainqueur. Or, que pourrait-il en résulter, sinon que l’idée de révolte s’empare immanquablement, non seulement des masses populaires, mais aussi des petits bourgeois qui, se voyant extorquer quelques-uns de leurs privilèges par une aristocratie orgueilleuse et méprisante, joindraient leur mécontentement et leur dépit à l’irritation générale et hâteraient l'œuvre de révolution », la ruine de la société capitaliste et le triomphe final du prolétariat. (Le Mouvement socialiste, année igoS, p. 40 à 468, passim)

Voilà qui se passe de commentaire. Il suffit de noter qu’il existe, entre l’internationale jaune et l’internationale rouge, au lieu de l’hostilité qui semblerait normale, une connivence manifeste, résultant visiblement de ce que l’une et l’autre sont également menées par les Juifs. Marx et Lénine, Lassalle et Trotsky sont des Juifs, sans parler des Bloch, des Blum, des Lévy, qui foisonnent dans l’une comme dans l’autre internationaleetqui appartiennent souvent aux deux à la fois.

Tous, ou presque tous, appartiennent également à la Franc-Maçonnerie universelle, menée elle aussi par les Juifs et qui paraît être l’instrument habituel et préféré de leur nationalisme occulte. Le judaïsme moderne a reporté sur l’humanité toutes les espérances messianiques du judaïsme antique. L’humanité est devenue son dieu, un dieu en devenir, et la destinée d’Israël est, à ses yeux, d’opérer ce devenir, de le hâter, de le conduire à sa plénitude. Israël est le levain de l’humanité ; et l’humanité, unifiée sous l’hégémonie d’Israël, réalisera pour lui toutes les promesses antiques. Ainsi, l’humanitarisme, qui dissout le patriotisme des autres nations, est le patriotisme propre de la nation juive. En le propageant, on exalte, dans l'àme juive, cette force que l’on détruit en même temps dans les autres : c’est coup double. On affaiblit l’ennemi ou l’obstacle, et l’on se renforce à la fois.

Il n’est guère douteux que le/urfaïsmepossèdeune organisation internationale secrète pour l’accomplissement de ses ambitieux desseins et que, par cette organisation, il dirige à ses fins et utilise à la fois 1615

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la Haute- Banque, le socialisme international et la Franc-Maçonnerie, coipme éminemment aptes à opérer dans le sein de toutes les nations le travail de dissolution nécessaire au triomphe d’Israël. La Franc-Maçonnerie universelle est, à son tour, le centre, reconnu ou ignoré, d’un certain nombre de sectes humanitaires plus ou moins secrètes, soit dans leur doctrine (ésolérisme), soit dans leur organisation agissante, et qui, sous les apparences de la philanthro [iie, de la science, voire même de croyancesspiritualistes (ttiéosophie, spiritisme, occultisme) parfois élevées et généreuses à certains égards encore que dérivées de très vieilles erreurs (panthéisme, naturalisme, animisme, dualisme, métempsychose, nécromancie), venues de l’Asie par emprunts modernes (à l’hindouisme, au brahmanisme, au bouddhisme ) ou par tradition dans les sociétés secrètes (gnostiques, manichéens, albigeois, templiers, etc.), tendent en réalité à la subversion des sociétés chrétiennes, à la destruction de l’Eglise catholique et à la restauration du paganisme, non seulement dans les idées, dans les mœurs et dans les institutions politiques, — ce n’est hélas I déjà que trop fait ! — mais encore dans le domaine religieux et cultuel.

Les papes ont signalé depuis longtemps la Franc-Maçonnerie comme le centre de cette conjuration antichrétienne. Il A notreépoque, écrit Léon Xllldans l’encyclique Humanum genus(io avril 1884), les fauteurs du mal paraissent s’être coalisés dans un suprême effort, sous l’impulsion et avec l’aide d’une société répandue en un grand nombre de lieux et fortement organisée, la société des Francs-Maçons… Le péril fut dénoncé pour la première fois par Clément XII en 1^38, et la constitution promulguée par ce pape fut renouvelée et conlirmée par Benoit XIV. Pie VII marcha sur les traces de ces pontifes et Léon XII, renfermant dans sa constitution Quo graviora tous les actes et décrets des précédents papes sur cette matière, les ratilia et les conCrma pour toujours. Pie VIII, Grégoire XVI et, à diverses reprises. Pie IX, ont parlé dans le même sens… Il existe, dans le monde, un certain nombre de sectes qui, bien que différentes les unes des autres par le nom, la forme, les rites, l’origine, se ressemblent et sont d’accord entre elles par l’analogie du but et des principes essentiels. En fait, elles sont identiques à la Franc-Maçonnerie, qui est pour toutes les autres comme le point central d’oii elles procèdent et oii elles viennent aboutir… Il s’agit pour les Francs-Maçons, — et tous leurs efforts tendent à ce but, — il s’agit de détruire de fond en comble toute la discipline religieuse et sociale qui est née des institutions chrétiennes et de lui en substituer une nouvelle, façonnée à leurs idées et dont les principes fondamentaux et les lois sont empruntés au naturalisme. Tout ce que nous venons de dire ou dirons par la suite, se doit entendre de la secte maçonnique envisagée dans son ensemble, en tant qu’elle embrasse d’autres sociétés qui sont pour elle des sœurs et des altïées. »

La Franc-Maçonnerie et les sectes qui s’y rattachent ont toutes, vis-à-vis de la patrie et du patriotisme, l’attitude que nous avons décrite ci-dessus en traitant de l’humanitarisme. Toutes elles ne diffèrent en ce point que par leurs idées sur la forme politique et sociale que doit prendre, au terme de son devenir, le dieu-messie Humanité. Les uns rêvent d’une théocratie panthéistique organisée en république ou en empire ; les autres, simplement de la fusion de tous les Etats du monde en un seul Etat, démocratique ou monarchique, unitaire ou fédéral. Les plus logiques envisagent l’avènementfutur, sinon prochain, de l’anarchie absolue : l’humanité, deve nue parfaite en elle-même et dans chacun de ses membres, n’aurait plus besoin de chefs ni de lois, tous et chacun faisant toujours, sans erreur ni faute, tout ce qu’il y aurait de meilleur à faire. Ce serait le paradis s ur terre. (Voir les auteurs cités plus haut à propos de l’humanitarisme spéculatif ; NxQUET.op. cit. ci-après, bibliog. ; citations nombreuses dans GoYAU, op. cit., notamment celles de Rayot, p. xvii ; Fauvety, p. 3’j ; Jean Macé, p. 5^ : « La maçonnerie de tous les pays ne fait qu’une grande famille, au sein de laquelle on ne connaît qu’une patrie, l’humanité, dont tous les membres doivent se sentir solidaires d’un bout de la terre à l’autre i), et 170 ; François Favre, p. 92 ; Véricel, p. 98 ; adde, ibid., p. 107 et s. ; 343, n. 3 ; 3^6 ; 38^, n. 2.)

Le pacifisme doit être distingué avec soin des internationalisnies pratiques dont nous venons de nous occuper. Il est, sans doute, utilisé par eux et un bon nombre de ses organisations travaillent sous leur direction et à leur profit ; mais quelques-unes en demeurent indépendantes et il ne mène ni ne se rattache nécessairement à l’humanitarisme, à l’antipatriolisme ou à l’antimilitarisme. Son but étant d’ailleurs excellent en soi et tout à fait désirable, l’attitude qui semble convenir aux catholiques à son égard est celle d’une sympathie prudente et d’un zèle « secundura scientiam ».

On appelle pacifisme l’ensemble des théories et des activitésqui tendent à établir dans le monde un état de paix aussi général, aussi complet et aussi durable que possible, en agissant sur l’opinion publique (presse, conférences, congrès) et sur les gouvernements (élections, politique, diplomatie), pour substituer, par divers moyens (traités, conventions, alliances, institutions inter ou supra-nationales telles que la Conférence de La Haye naguère ou, depuis 1919, la Société des Nations), un mode juridique (loi.jugement )au mode politique (négociations, guerre) jusqu’ici presque seul en usage pour le règlement des relations ou des différends entre les Etats ou les nations.

Le pacifisme est donc conforme, en soi, à la mission, aux vœux et à l’œuvre de l’Eglise catholique. II est compatible, en soi, avec le patriotisme et le nationalisme. Il n’implique, en soi, aucune prééminence de tel régime politique ou social sur tel autre.U peut donc être approuvé et secondé par les catholiques et les patriotes de toute opinion, pourvu seulement qu’on le dégage des éléments parasites que l’on y a trop souvent mêlés (démocratisme, socialisme, maçonnisme, humanitarisme, humanisme, naturalisme, etc.) et des méthodes compromettantes ou dangereuses adoptées par certains pacifistes dans leur propagande ou préconisées par eux pour l’établissement de la paix (désarmement unilatéral, antimilitarisme, antipatriotisrae, défaitisme, falsification de l’histoire ; dénigrement des vertus patriotiques et militaires, telles que l’obéissance, l’abnégation, le mépris du danger, de la souffrance et de la mort, le sacrifice pour autrui ; excitation des instincts contraires, etc.).

Il n’y a malheureusement pas beaucoup de pacifistes, même parmi les pacifistes chrétiens, qui aient su, en collaborant avec les autres, se garder suffli samment de ces erreurs et de ces compromission ». (Voir les ouvrages cités à la bibliog.)

Parmi les formes de l’internationalisme, il faut enfin ranger le catholicisme. Nous lui consacrerons le dernier paragraphe de cet article.

3* Le Catholicisme. — Que l’Eglise soit une

« internationale », cela résulte du seul fait que son

Fondateur l’a organisée en société, lui a donné la terre entière pour domaine et l’a chargée d’exercer, 1617

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sur les hommes qui entreraient dans son sein par la foi et le baptême, un magistère spirituel complet : dogmatique et moral, cultuel et disciplinaire. » Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre. Allez, enseignez toutesles nations, leur apprenante garder ce queje vous ai ordonné. Celui qui croira et sera baptisé, sera sauvé. Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation du siècle. » (.1/a » //., XVIII, 18 ; XXVIII, 18-20, Marc, xvi, 16)

Elle tend donc par nature à l’uniQcation du genre humain : « Unumovile et unuspastorn ; mais comme le royaume qu’elle vise à étendre ainsi au monde entier

« n’est pas de ce inonde », son universalisme ne

s’cppose en rien au particularisme des Etats et des nations. Il n’est pas du même ordre et n’agitpasdans le même plan : il se meutdans l’ordre spirituel etsur le plan de la religion, tandis que nationalisme et patriotisme se meuvent dans l’ordre temporel et sur le plan de la politique. Aucune contradiction, aucun heurt n’est possible tant que l’Eglise, d’une part, les Etats ou les nations, de l’autre, respectent la distinction établie entre ces deux ordres et ces deux plans par N. S. Jésus-Christ lui-même à l’encontre des autres universalismes : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. »

C’est là une des oppositions fondamentales qui existent entre le catholicisme et l’humanitarisme ; et la haine que l’humanitarisme et le despotisme, sous toutes leurs formes, ont vouée au catholicisme, a pour cause, dans une notable mesure, l’alfranchissement moral, l’indépendance spirituelle que procure au catholique, vis-à-vis des puissances qui sont de ce monde, sa libre soumission à des puissances qui n’en sont pas.

Nous nous bornerons à noter brièvement ici les maximes communément reçues dans l’Eglise en ce qui concerne l’internationalisme, le nationalisme et le patriotisme. Les unes font partie du dogme ; les autres sont admises par tous les théologiens ou par les plus autorisés d’entre eux. Pour plus de développements, on se reportera à l’article Paix et Guerre, ci-dessus (n" III, col. la^o et s.) et aux ouvrages cités soit à la bibliographie que nous donnons plus loin, soit à celle de l’art. Paix et Guerre.

i) Dieu est le souverain universel, parce que créateur, rédempteur et fin suprême de tous les hommes.

2) Tous les hommes sont frères en Adam et en Jésus-Christ.

3) Tous les hommes, créés pour le même salut, sont, par conséquent, appelés à être citoyens d’une même patrie, qui est le royaume, la cité de Dieu.

4) Cette communauté d’origine (Adam), de rédemption (Jésus-Christ) et de vocation (l’Eglise) crée entre tous les hommes des devoirs de justice et de charité fraternelle.

5) Ces devoirs imposent un amour et des services réciproques d’autant plus grands que cette communauté d’origine, de rédemption et de vocation est plus étroite ; donc, il y a un ordre dans la fraternité générale de tous les hommes. Il y a des hommes qui ne sont pour nous que des hommes, nous n’avons pas à les aimer et à les servir autant que s’ils étaient, en outre, pour nous, des compatriotes ou desparents (communauté d’origine, de vie et de services plus rapprochée), des coreligionnaires ou des memlires de la même société religieuse (communauté plus étroite dans la réalisation de la vocation), des iirctres ou des chefs ecclésiastiques (communauté plus étroite dans la rédemption).

6) « La constitution de l’Eglise est telle qu’elle embrasse dans son extension l’humanité tout

entière et n’est circonscrite par aucune limite de temps ni de lieu. » (Léon XIII, encycl. Immartale Dei)

7) En matière spirituelle ou mixte, les puissances temporelles sont subordonnées aux puissances spirituelles établies dans l’Eglise et ne peuvent légitimement s’opposer à leur action (St Thomas, de reg. princ. I, 14). Ainsi, a entre la loi canonique et la loi civile, considérées en elles-mêmes, il n’y a pas de subordination, car la loi canonique, quoique d’un ordre plus relevé, n'émane pas d’une juridiction dominante, la loi civile étant, elle aussi, souveraine dans sa sphère ; mais, en ce qui a trait au bien des âmes, la loi civile est subordonnée à la loi ecclésiastique ». (Suarrz, De Legibus, VI, a6)

8) Tous les Etats ayant pour (in la gloire de Dieu et le bien commun de leurs membres et pouvant y tendre par des moyens communs, il existe entre eux une société internationale naturelle, et ce fait engendre pour eux des devoirs analogues à ceux qui résultent, pour les individus les uns à l'égard des autres, de leur seule qualité d’hommes. Ainsi, un peuple doit éviter d’en corrompre un autre ou de porter atteinte à sa liberté ; mais il pourrait et devrait le contraindre à respecter un droit, à ne pas commettre le mal, à éviter un malheur. Dans ce cas, la contrainte n’est légitime que dans la mesure où elle est nécessaire ; mais elle l’est même si celui qui l’exerce n’a aucun intérêt propre à l’exercer. (Syllabiis de PibIX, prop. 6a, condamnant le principe » de non-intervention. )

9) Les nations et les Etats ont le droit de légitime défense, comme les individus ; mais comme les Etats sont souverains, ils ont, en outre, le droit de se faire justice à eux-mêmes, tandis que l’individu doit se borner à demander justice à son souverain. Us peuvent, d’ailleurs, renoncer à ce droit ; et cette renonciation leur crée des obligations qu’ils ne peuvent enfreindre (traités d’arbitrage, fédérations, sociétés de nations).

10) Les nations et les Etats sont tenus de se conformer aux règles du droit international coutumier appelé aussi droit des gens. « Le genre humain, quoique divisé en un grand nombre de peuples et de royaumes, conserve cependant une certaine unité, non seulement au point de vue de l’origine, mais aussi au point de vue de l’organisation et des lois. Ainsi le veut le précepte naturel de l’amour réciproque et de l’assistance, règle qui s'étend à tous, même aux étrangers, sans aucune distinction. Aussi, bien que chaque Etat, république ou royaume, soit lui-même une société parfaite et vive de sa vie propre, il est membre d’une union universelle qui a pour but le bien du genre humain. Jamais, en ell’et, les Etats ne se suffisent tellement à eux-mêmes qu’ils n’aient besoin de pratiquer l’assistance mutuelle, d'être associés et de faire des échanges. Parfois, il s’agira pour eux de se perfectionner ; parfois, il y aura même nécessité morale, comme les faits le prouvent. Les peuples ont, dès lors, besoin de règles pour ces échanges et pour leur société. La raison naturelle formule par elle-même une grande partie de ces règles, mais pas toutes cependant. Certaines ont donc pu s'établir par l’usage des nations. De même, en effet, que dans un Etat ou une province une coutume fait loi, de même dans le genre humain tout entier les coutumes des nations ont pu devenir des lois. >i (Suarez, De f.egihus, II, 199)

1 1) Encore qu’elle puisse être légitime, la guerre est un floau qu’il faut écarter, comme la peste et la famine, autant qu’on le peut par la prière et par l’action. La guerre ne peut, d’ailleurs, être légitime que dans les cas où un peuple peut user de con1619

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trainte envers un autre (ci-dessus, prop. 8) ; mais elle ne l’est pas toujours par cela seul que l’on se trouve dans un de ces cas. Elle l’est toujours lorsqu’elle est le seul moyen que possède un peuple de se faire justice à lui-même ou d’exercer son droit de légitime défense.

Nous appellerons, en terminant, l’attention du lecteur sur les deux points suivants :

i) Il résulte des maximes ci-dessus que l’Eglise est naturellement internationaliste et paciliste dans le bon sens de ces deux mots. Comme, d’autre part, son pouvoir s’exerce suj- les consciences d’un très grand nombre d’hommeset que c’est sur lesconsciences qu’il faut agir pour faire prévaloir la justice, condition sine qua non de la paix, aucune institution de paix internationale ne peut être complète et complètement efficace sans le concours de l’Eglise. Et, comme l’Eglise tient l’amour de la patrie pour une vertu en même temps qu’elle réprouve l’antipatriotisme et l’humanitarisme, son concours sera, contre ceux-ci, pour l’internationalisme et le pacifisme, une très utile sauvegarde.

a) L’Kglise, quoi qu’on en ait dit (Jean de Triac, Guerre et christianisme ; Paris, Didot ; et, un peu, Vanderpol, La guerre devant le christianisme), n’a jamais réprouvé peu ni prou le métier des armes, ni considéré comme un péché en soi le fait de se battrn quand on est soldat. Non seulement elle a prêché les Croisades et canonisé Jeanne d’Arc, saint Louis, saint Maurice, — sans parler de bien d’autres qui ont fait et même déclaré la guerre, — mais, dès l’origine, elle a mis la profession militaire sur le même pied que les autres. S. Jean-Baptiste, en prêchant la pénitence, n’a aucune exigence spéciale pour elle (Luc, iii, i !, ) et N. S. Jésus-Christ maudit bien les Pharisiens, les riches, les vendeurs du Temple, mais non pas les militaires. Il n’exprime même pas à leur égard la suspicion qu’il marque à l’endroit des pulilicains. Il ne les range pas, avec ces derniers et les prostituées, parmi les pécheurs notoires et professionnels qui entrerontavant lesjuifsincrédules dans le royaume des cieux. Il guérit le serviteur du centurion et admire publiquement la foi de celui-ci sans un mot de restriction sur sa profession. Dans l’empire romain cependant, où vécurent S. JeanBaptiste et Notre-Seigneur, le métier des armes différait notablement de ce qu’il fut dans la chrétienté au temps de la chevalerie et de ce qu’il est maintenant, au temps de la nation armée. Employé à toutes les besognes de la force, auxiliaire du tortionnaire et du bourreau, instrument de guerres civiles incessantes, mercenaire de la politique, le soldat devait subir la plupart du temps, dans sa moralité, des déformations auxquelles il a pu, le plus souvent, échapper dans les armées féodales et dans la chevalerie, comme il y échappe dans les armées modernes (voir Léon Gautier et J. Rambaud, op. cit. à la bibliog. et cidessus. Paix et Guerbb, col. 1270).

IV. Bibliographie. — Nous indiquerons ici, non pas tout ce qui a été écrit sur les questions dont nous venons de parler, — ce serait dresser le catalogue d’une bibliothèque, — mais les ouvrages utiles à connaître et à consulter pour se documenter convenablement sur ces questions. La plupart d’entre eux en traitent plusieurs, quand ils ne les abordent pas toutes. Nous suivrons donc simplement l’ordre alphabétique, en indiquant sommairement, toutes les fois que nous le croirons utile au lecteur, le caractère de l’ouvrage et les questions pour lesquelles il convient surtout de s’y reporter. Augustin (St), Lettre au comte Bonifacius, P.L., t. XXXIII, p. 854 (Sur le métier des armes). —

Barrés (Maurice), Les Amitiés françaises, Paris, Emile Paul, i vol. Scènes et doctrines du nationalisme, ibid., I vol. Les déracinés, ibid., i vol. L’union sacrée, ibid., i vo. — Bonald (de). Théorie du poui’oir, a vol. Législation primitii’e, 2 vol. — Brdnktièbb (F.), Discours de combat ; Paris, Perrin, i yo. ; Lettres de combat ; ibid., i vol. ; Questions actuelles ; ibid., I vol. (Très utile sur l’idée de pairie, le pacitisme, l’internationalisme. L’auteur est vigoureusement nationaliste). — Cepeda (R. de), Eliments de droit naturel ; Paris, Retaux, i vol. (catholique). — Comte (Auguste), Politique positive ; 1 vol. Paris. — CoiNtenson (L. de). L’avenir du patriotisme ; i vol. Paris. — Delassus (Mgr), Le problème de l’heure présente ; 2 vol. Lille, Desclée (Abondante documentation sur la Francmaçonnerie et l’humanitarisme). — Devas, L’Eglise et le Progrès du Monde, trad. Folghera ; I vol. Paris, Gabalda, 1909 (catholique). — Deville (G.), Principes socialistes ; 1 vol. Paris, Giard. — Encycliques de : Pie IX, « Quanta cura » et Syllabus ;

— Léon XJll, <i Ilunianum genus » sur la FrancMaçonnerie ; « Jmmortale Dei », sur la constitution chrétienne des Etats (adde : Lettre o Præclara gratulationis » aux princes et aux peuples de l’univers) ; — Pie X, « Pascendi dominici gregis » sur le modernisme (cosmopolitisme kantien) ; — Benoit XV. (Toutes ces encycliques sont indispensables à relire. On les trouve à la Maison de la Bonne Presse, à Paris.) — Faguet (E.), f.e pacifisme ; I vol. Paris, 1908 ; Les dix commandements :

« Tu aimeras ta patrie « ; brochure, Paris, Sansot.

— Fovii, LéK(K.), Humanitaires et libertaires ; i vol. Paris, Alcan. — FovRyiÈRE(}i.), L’idéalisme social ; I vol. Paris,.-Vlcan (humanitariste). — Fribouho, L’association internationale des travailleurs ; i vol. Paris (socialiste). — Gautier (L.), La chevalerie ; I vol. Paris, Palmé (surtout le chapitre i pour ce qui a trait au métier des armes et à la guerre devant le christianisme). — Gibier (Mgr C), Patrie ; 1 vol. Paris, 1920(UtiIe exposé de la morale catholique). — Goyau(G.), L’idée de patrie et l’humanitarisme ; vol. Paris, Perrin, igo3 (Abondante documentation et bibliographie sur l’humanitarisme, le socialisme et la Franc-Maçonnerie en France de 1866 à 1901. Indispensable à consulter. Vigoureusement nationaliste). La Franc-Maçonnerie en France ; brochure, ibid. — Haideggbh (Wendelin), Der nationale Gedanhe im Lichte des Christenthums ; i vol. Brixen, 1900 (catholique ; nombreux textes des Pères et des théologiens). — Hamon, Patrie et internationalisme ; 1 vol. Paris, 1896 (humanitariste radical). — Jaurès (Jean), Action socialiste ; 1 vol. Paris. La nation armée ; I vol. Paris. — Jbllinf.k (O.), Das Recht des modernen Staates : Band I : Allgemeine Staatslehre ; I vol. Berlin, 1906. — Johannet, Le principe des Nationalités ; i vol. Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1920. — Kant (Emmanuel), Projet de p/iix perpétuelle. — Legrand (Louis), L’idée de patrie ; vol. Paris, Hachette, 1899 (Philosophie du patriotisme dans un esprit nationaliste). — Loria (Achille), Les bases de la justice internationale ; I vol. Paris, Alcan (Publication de l’Institut Nobel.

— Paciliste), — Lemaitrb (Jules), Opinions à répandre ; Paris, Oudin, i vol. (Très utile). — Marx (Karl), Le Capital : i vol. Paris, librairie du Progrès. — Naqubt, L/humanité et la patrie ; 1 vol. Paris, Stock (humanitariste radical). — Novicow, La fédérationde l’Europe ; i vol. Paris, Alcan, igoi (humanitariste). — Passv (F.) et divers : La paix et l’enseignement pacifiste ; i vol. Paris, Alcan (Pacifiste humanitariste). — Pbrin (Ch.), L’ordre 1631

PAUL (SAINT) ET LE PAULINISME

1622

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Comte DU Plessis de Grbnédan, doyen de la Faculté cutholique de droit, Ang^ops.