Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Marie, Intercession universelle

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
6° Intercession universelle

Tout n’est pas dit de Marie quand on Ta étudiée comme mère de Dieu. Il faut encore l’étudier dans sa maternité spirituelle, comme mère des hommes, comme mère de grâce. Ces deux maternités sont, en elle, inséparables. Que la seconde soit toute dépendante de la première, la chose est évidente. Mais de la première elle-même on ne peut traiter à fond sans déjà parler de la seconde. Cependant celle-ci, comme celle-là, demande une étude à part ; car il s’y rattache plus d’une question délicate, dont l’apologiste, non j)lus que le théologien, ne saurait se désintéresser. Le culte que nous rendons à Marie ne s’explique et ne se justifie pleinement que si la mère de Jésus est aussi notre mère, mère de grâce et médiatrice des dons qui nous viennent de Jésus. Aussi le P. Tekrien, dans son grand ouvrage sur la Sainte Vierge, après avoir consacré deux volumes à Marie comme Mère de Dieu, n’a pas cru que ce fût trop de lui en consacrer deux autres comme mère des hommes. L’apologiste n’a pas à entrer dans maints détails qui ne seraient que de tliéologie ou de dévotion ; mais il doit exposer de son mieux une doctrine sans laquelle on ne comprendrait qu’imparfaitement le culte de Marie, tel qu’il se pratique dans l’Eglise. Ainsi a fait Newman, dans son admiral)le lettre à Pusey, pour ruiner par la base les objections de son ami anglican contre la dévotion des catholiques envers la sainte Vierge ; ainsi essayerons-nous de faire ici en étudiant la maternité spirituelle de Marie et la principale prérogative de cette maternité, la part de la sainte Vierge dans l’économie providentielle de la grâce.

I. Importance de la question : pour la théologie mariale, pour mieux comprendre l’économie du christianisme, pour la déi’Otion à Marie, pour expliquer et justifier le culte que nous lui rendons. — Les dévots de Marie aimaient jadis à comparer entre eux les privilèges et les prérogatives de Marie, pour savoir lequel lui était le plus glorieux ou devait lui être le plus cher. Procédé un peu naïf peut-être, mais qui avait l’avantage, entre autres, d’aider à creuser les idées et à les retourner sous toutes les faces. Ici la question n’est pas si tel autre privilège, si l’Assomption par exemple, est ou n’est pas plus glorieux à Marie, que sa maternité spirituelle. En elle, tout se tient, tout se commande, tout concourt à former un temple magnilique dont la clef de voîite est la maternité divine. Ni les privilèges personnels ne sont complètement distincts l’un de l’autre, ni la distinction n’est possible de privilèges qui regarderaient directement

Marie et d’autres qui regarderaient directement les hommes. Marie est tout ce qu’elle est et pour elle et pour nous, comme elle est tout ce qu’elle est pour Jésus et pour Dieu. Son privilège le plus intime, l’Immaculée Conception, n est pas seulement en rapport étroit avec sa maternité divine, il touche de très près à sa dignité de Mère des hommes, de première des rachetés, de Reine de l’humanité régénérée. Son Assomption glorieuse semble exigée en quelque sorte par ses titres de Reine du ciel à côté du roi Jésus, de Médiatrice universelle à côté du Médiateur divin, d’inséparable associée du grand Vainqueur de la mort et de l’enfer. Mais sans essayer des distinctions impossibles ni des comparaisons trop artilicielles, il est permis d’indiquer de quelle portée est pour Marie et pour son culte le titre de mère des hommes et de trésorière universelle des grâces divines.

Si rien autant que sa maternité di ine ne la met en rapport étroit avec Dieu, aussi près de lui qu’une créature peut l’être du Créateur, rien autant que sa maternité spirituelle ne la met en rapport étroit avec le monde des rachetés, aussi près de chaque homme en particulier que la mère l’est de son enfant. Jésus, comme unique Médiateur entre Dieu et nous, n’a pas seulement une eau-calife lointaine sur notre sanctification et notre salut. Il est de toute notre vie spirituelle : pas un acte surnaturel où il n’ait sa place, pas une grâce ni un accroissement de grâce qui ne passe par lui. Et de là vient que nous le mêlons à toutes nos prières, que tout notre culte se rapporte à lui ; de même que nous ne pouvons rien sans lui, nous ne voulons, ni ne demandons, ni n’essayons rien dans l’ordre surnaturel qu’avec lui et par lui. Nous pouvons n’y pas penser explicitement ou ne pas le dire en termes exprès. Mais nous savons bien que Jésus est partout dans notre vie spirituelle, et c’est là le présupposé de toutes nos prières et de tous nos efforts. Si Marie est inséparable de Jésus, si elle intervient, au-dessous de lui, mais avec lui, dans chacune des grâces qui nous Viennent et par là dans chacune de nos œuvres surnaturelles, notre dévotion en prendra un caractère particulier, notre recours sera d’un genre à part, et là même où nous ne la mêlerons pas explicitement dans notre prière et dans notre vie surnaturelle, notre prière et notre vie surnaturelle seront comme imprégnées de son intervention. Et qui dira tout ce que donne au christianisme d’attrait, de charme, de puissance, ce parfum de Marie partout présente, cette continuelle influence de la mère ?

Il y a plus. C’est tout le mystère de l’Incarnation, c’est toute l’économie du salut qui s’en ressent. Pour nous, en effet, ce n’est pas tout à fait la même chose d’être sauves par Jésus tout seul, ou de l’être par Jésus ayant toujours et partout Marie à ses côtés comme sa mère et comme la nôtre ; de même que ce n’est pas tout à fait la même chose d’avoir été perdus par Adam tout seul ou par Adam et par Eve.

C’est assez pour montrer à qui sait voir la grande portée spéculative et pratique de la question présente. Elle est capitale pour la tliéologie mariale et pour le culte de Marie ; elle touche au fond même du christianisme. Il vaut donc la peine qu’on s’en occupe. Si elle est, avant tout, affaire de théologie et de piété, l’apologiste lui-même ne peut s’en désintéresser, puisque, comme nous le disions en commençant, la dévotion du catholique envers Marie et le culte qu’il lui rend ne se comprennent bien qu’à la lumière de cette grande vérité.

II. F.tat présent de la question. Que Marie soit notre mère, c’est chose acquise ; que Marie intervienne dans la distribution de toutes les grâces et comment 287

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il faut expliquer cette intervention, ce sont des doctrines où tuitt n’est pas encore élucidé. — Où en est eraclemeut la i|uesliou ? Il faut distinguer entre la maternité spirituelle et l’intervention clans la distribution detoutes les grâces. La maternité spirituelle est depuis longtemps dans l’enseignement de l’Eglise. Non pas qu’elle ait jamais été l’objet d’aucune délinition dogmatique, mais il suffit, pour s’en rendre compte, de lire un livre sur Marie, d’entendre parler les prédicateurs, d’interroger la conscience des lidèles, d’écouter la liturgie. Celui-là ferait scandale qui s’aviserait de nier que Marie est notre mère. Mais la question de l’universelle intervention dans la dis Iribution des grâces n’eat peut-être pas aussi avancée, du moins dans le monde tUéologiqne.

Pour la piété chrétienne, en effet, elle n’est pas douteuse, a Tout par Marie » est, depuis saint Bek-NARD, comme un a.^iome sans cesse répété par les prédicateurs, affirmé dans les livres de dévotion, tenu par les lidèles comme une vérité reçue. Ils sont étonnés — je parle des lidèles instruits et pieux — quand on leur dit que cette idée n’est pas encore dans l’enseignement officiel de l’Eglise ; ils sont presque scandalisés d’apprendi-e que certains théologiens n’osent la donner comme absolument certaine.

La question tUéologique n’avait peut-être pas été examinée jusqu’à ces derniers temps avec toute l’ampleur et la précision qu’elle demande. De bons et solides travaux ont été faits au cours du dix-neuvième siècle, où elle est étudiée de plus près. On ne saurait essaj-er ici d’en donner même une idée sommaire. Aussi bienla trouvera-t-on dans les Iravauxdn P. DE LA Broisiî dont il va être question. Nommons seulement, après le bienheureux Ghignioiv dh Montfort et saint Alpuonsk de Ligcori au dix-lmitième siècle, Faber, Phtitalot, Jeanjacquot et Mgr Pm au dix-neuvième, parmi ceux qui ont le plus travaillé à répandre ou à éclaircir cette doctrine. Le P. Jkaivjacquot, notamment, publiait un volume (Simples explications sur la coopération de la très sainte Vierge à l’ieuvre (/ « In Jiédemption, Paris, 1858), qui a fait faire un pas à la question Ihéologique, et dont se sont beaucoup servis les prédicateurs qui ont pris à cœur d’expliquer aux lidèles les fondements solides de la dévotion à Marie.

En mai 1896. le P. de la Broise, dans un article des Etudes, abordait plus directement encore la question de la coopération de Marie à la distribution de toutes les grâces. Il se demandait ce qu’on veut dire au juste a quand on répète que toutes les grâces nous viennent par la sainte Vierge », s’il y a là « une pieuse exagération ou une vérité solidement appuyée sur les principes de la foi 1.. « Répondre à ces questions, ajoutait-il, serait peut-être rendre service ; ce serait remplacer, dans un certain nombre d’esprits, des idées vagues par des idées claires. » (Etudes, t. LX’VUI, p. 5.) Il y répondait avec cette netteté dans la profondeur qui est le fruit de l’analyse patiente et de la méilitation soutenue. « Il faut conclure « , disait-il, après avoir cité, entre autres autorités solides et nombreuses, de graves paroles de Benoît XIV et de LÉON XIII (dans un autre article, il y a joint PlB IX), que l’opinion dont il s’agit ici est tout autre chose qu’une pieuse exagération ; c’est une doctrine très conforme à la meilleure théologie, appuyée sur les plus graves autorités, et généralement reçue dans l’Eglise. » (Etudes, loco citato, p. 37). Il finissait ainsi :

a Ces raisons traditionnelles, prises du témoignage des Pères et de la pratique de l’Eglise, paraissent assez graves à plusieurs théologiens pour soutenir que l’intervention de la sainte Vierge dans

chacune des grâces n’est pas seulement une vérité", mais encore une vérité relevant du domaine de la foi proprement dite. Suivant eux, cett « thèse serait contenue, au moins implicitement, dans ce que Dieu nous a révélé du rôle de Marie, et quelque jour, lorsqu’elle aura été mieux étudiée et mise en lumière, elle pourrait être l’objet d’une définition dogmatique. Le temps et l’étude des maîtres et des fidèles, qui éclairent sans cesse davantage tous les articles du symbole, montreront si cette pieuse espérance est excessive. Sans prétendre donner, comme on dit en théologie, la note exacte de la thèse, qu’il suffise d’en avoir exposé le sens et brièvement indiqué les très solides fondements. » (p. 80-71) Quatre ans plus lard, il prend plus résolument parti. Dans un beau travail sur /a Sainte Vierge au, dix-nemiè me siècle, il disait : « La vérité reconnue est toujours féconde. Le privilège de l’Immaculée Conception, en particulier, tient aux autres gloires de Marie… La détînition de 1854, en donnant la certitude de foi à l’un des principaux points de départ du raisonnement théologique (Marie « détachée de la masse des vaincus et aussi rapprochée que possible du Christ vainqueur »), assure et facilite le progrès… Elle met Marie à sa vraie place… Son rùle de mère du Verbe incarné et sauveur l’établit dans un ordre à part et lui donne de toutes spéciales relations et avec Dieu et avec les hommes. Plus on concevra clairement l’étroite union du Fils et de la Mère, et plus apparaîtra, comme découlant de cette union et comme une des fonctions de cette maternité, l’intervention universelle de Marie dans la distribution de la grâce. Voir distinctement ce qui d’abord était compris dans une vue confuse et générale, c’est en quoi consiste précisément le développement du dogme.

« Or, l’universelle médiation de la sainte Vierge

dans l’ordre de la grâce se dégage de plus eu plus comme une x-érité distincte….’Vpparaîtra-t-elle bientôt assez évidemment contenue dans l’idée traditionnelle de la Mère de Dieu et des hommes, pour permettre de porter à ce sujet une décision dogmatique ? Beaucoup l’espèrent, et parmi les points de doctrine relatifs à la sainte Vierge, sa médiation universelle parait être (avec l’Assomption) l’un des plus prochainement délinissables. » (Etudes, 1900, t. LXXXIU, p. 302.)

Qua’ud le P. de la Broise écrivait cette page, on voyait déjà poindre à l’horizon un livre où la question serait traitée enfin avec l’ampleur qu’elle mérite. Le P. Terhikn venait de publier les deux premiers volumes de ha Mère de Dieu et la Mère des h tnmes, ceux qui traitent de La Mère de Ditu ; les deux autres, consacrés à La Mère des hommes, étaient annoncés comme prochains. Us ont paru en 1902. et ceux-là mêmes n’ont pas été déçus qui attendaient le plus de la science et de la piété de l’auteur. Ces deux volumes, on peut le dire, roulent tout entiers sur la question qui nous occupe, puisqu’ils sont consacrés à la maternité de grâce et au culte spécial qui est dn à Marie comme Mère de Dieu et notre mère. Mais le premier volume, notamment, la traite tout au long et ex professa. L’auteur y étudie tour à tour,

« d’après les Pères et la théologie », le fait et les

raisons providentielles de la maternité spirituelle de Marie, les bases de cette maternité (mérite, consentement à l’Incarnation, consentement et compassion aux soulTrances de Jésus), sa promulgation (notamment au Calvaire), l’exercice de ces fonctions maternelles par la coopération à la distribution des grâces, et par son universelle médiation, au-dessous mais à côté de Jésus. Il distingue avec grand soin : la coopération de Marie à la Rédemption, c’est-à-dire à l’oeuvre terrestre de Jésus-Ghrist et à l’acquisition 289

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des grâces ; sa cdopéralioii ycnérale à l’application du sang rédempteur ou à l ; i distribution des grâces ; enfin son universelle médiiitioii ou son intervention actuelle dans toutes les grâces qui nous viennent de Dieu. Il explique avec une grande puissance d’analyse tliéologique et une grande clarté, comment la sainte Vierge coopère ainsi à notre salut, et comment aucune grâce ne nous vient que par elle, par son in tervention spéciale et achielle.

A entendre le pieux auteur nous parler de l’universelle médiation de Marie et de sa coopération à la distribution des grâces, il semblerait que ceux-là ont cause gagnée qui trouvent dans l’affirmation constante et universelle de l’Eglise les fondements suffisants pour délinir non seulement que Marie est la mère de tous les fidèles et que nul n’est sauvé sans sa puissante intercession, mais encore qu’elle a sa part dans toutes les grâces qui nous viennent de Dieu ; si son rôle n’est que secondaire, si elle n’est que le canal tandis que Jésus est la source, il n’est ni moins général que celui de son Fils, ni moins étendu. Et cependant, quand il parle de l’intervention actuelle de Marie dans la distribution de toutes les grâces, il ne donne plus l’affirmative que comme une pieuse cro3'ance, qu’on peut librement discuter et même rejeter. N’est-ce pas retirer d’une main ce qu’il accorde de l’autre ? Pas tout à fait. Il distingue, en effet, avec la sulitilité d’un théologien, entre coopération et coopération actuelle : pas une grâce ne nous vient où Marie n’ait sa part ; mais cette part est-elle aussi celle d’une intervention actuelle ? On peut se le demander. L’auteur répond oui, à parler en gros. Il n’admet pas le doute pour « cette universalité qui comprend la plus grande Jiart, la très grande part des bienfaits de l’ordre surnaturel ». Mais si l’on parle d’intervention actuelle dans la distril>ulion de toutes les grâces sans exception, il est moins allirmatif. Lui-même tient pour le oui, et il montre qu’on a d’excellentes raisons d’y tenir. Mais il s’abstient d’examiner si la pieuse croyance (c’est ainsi qu’il la qualilie, comme on faisait pour l’Immaculée Concei)tion avant que l’Eglise eût prononcé), si la pieuse croyance a chance de prendre place un jour parmi les dogmes délinis.

L’auteur du présent travail a cru pouvoir et devoir être plus explicite dans un mémoire présenté au Congrès mariai de Fribourg en 1902, dont les pages qui suivent ne sont guère que la reproduction adaptée et mise au point. Il a nettement pris parti pour la détinibililé de cette pieuse croyance, entendue dans toute sa plénitude, c’est-à-dire au sens d’une intervention actuelle de Marie dans la distribution de toutes les grâces qui nous viennent par les mérites du Sauveur. Il l’a présentée non seulement comme certaine, mais comme susceptible d’une déQnition de foi. Le Congrès agréa le mémoire et formula quelques vœux destinés à favoriser un mouvement en ce sens, et une étude plus approfondie.

Depuis lors, quelques livres ont paru où sont étudiées la maternité de grâce et la médiation de Marie : ceux, entre autres, du P. Hugon, du P. Largent, de M. Campana, du P. LoDiKL. A part peut être le P. Hugon, qui l’a traitée ex professo, ces auteurs l’ont laissée là où elle était : ils ont affirmé, à leur tour, l’universelle médiation de Marie et sa maternité spirituelle, mais sans préciser ni distinguer, comme avait fait le P. Terrien ; et sans insister spécialement sur son intervention actuelle dans la distribution de toutes les grâces ; mais aussi sans avoir, sauf le P. Largent, les timidités du docte théologien. Le troisième Congrès mariai breton, tenu au Folgoat en 1918, prit pour sujet de ses travaux la maternité de grâce. La question y est examinée sous toutes ses faces

To.ne m.

avec beaucoup de savoir et de piélé. Quelques-unes de ces éludes sont des modèles de science théologiqne et d'érudition. Cependant Pie X, dans son Encyclique sur la sainte Vierge, en 190^, à propos du cinquantième anniversaire de la délinilion de l’Immaculée Conception, rappelait la même doctrine, sans d’ailleurs rienajouterâ ce qu’avaient dit ses prédécesseurs. BknoIt XV a fait de même, en lerminanl son Encyclique sur la paix. D’après quelques feuilles de piélé mariale, il aurait, dans une audience privée, exprimé nettement la pensée qu’on pourrait définir, sans la moindre difficulté, comme un dogme de foi, non seulement la maternité spirituelle de Marie et son universelle médiation, mais encore son intervention actuelle dans la distribution de toutes les grâces.

Voilà où en est, pour le moment, la question que nous allons traiter ici, non pas dans toute son ampleur, mais de façon que le lecteur puisse juger luimême de ses fondements solides et de ses attaches avec les dogmes fondamentaux de l’Incarnation, de la Rédemption, de la divine maternité de Marie.

III. I.a thèse fondamentale : Marie noui’ette Èe à coté du Nouvel Adam. l’idée protestante de Marie. L’idée vraie. Comment la coopération de ! Iarie à l’Inctirnation implique une coopération immédiate et prochaine à toute l'œuvre rédemptrice. Unité de cette œuvre, et comment le Fiat de l'/ncarnation porte sur toute l’histoire des âmes. — Peut-on, en quelques pages, donner l’idée nette d’une question si complexe'? Nous allons l’essayer, non pas tant pour prouver la thèse que pour en préciser, sur quelques points, le sens et la portée, pour en montrer les fondements et les attaches dogmatiques.

Voici donc la thèse : Marie a sa part dans l'œuvre de notre rédemption et de notre salut, part secondaire et toute subordonnée à celle de Jésus, mais non moins étendue ni moins universelle ; si liien nve.de Marie aussi on peut dire qu’il n’y a ni $utut, ni sanctification, ni grâce aucune dans le monde humain où elle ne soit intervenue et ne continue d’intervenir à ciité de Jésus. C’est le sens et la portée de ses titres de médiatrice et de mi-re.

A regarder les choses superficiellement et en profane, il semblerait au premier abord, que la part de Marie dans notre rédemption se réduisit à bien peu de chose, à la part des autres mères dans les œuvres de leurs enfants, ou à moins encore. La Rédemption, en effet, est l'œuvre de Jésus. Marie nous a donné le Rédempteur ; mais ce n’est là qu’une coopération lointaine à la Rédemption, aussi lointaine en apparence que celle de la mère de Condé à la victoire de Rocroi, ou de la mère de Jeanne d’Arc au rétablissement des affaires de Charles VIL Encore est-il que les autres mères ont sur leurs enfants, par rapport à ce qu’ils seront, et donc en quelque sorte par rapport à ce qu’ils feront, les influences multiples et profondes de l’hérédité, de l'éducation, du milieu : l’enfant ne doit pas à sa mère que la vie ; tel homme lui doit à peu près tout ce qu’il a et tout ce qu’il est. Mais l'œuvre rédemjttrice est d’un caractère tellement transcendant et divin que l’influence maternelle n’y saurait atteindre. Et si nous regardons non plus l’acte rédempteur, la mort de Jésus en croix, mais son prolongement en nous par la grâce et les sacrements, par la vie surnaturelle et la glorification suprême, Marie se perd de plus en plus dans le lointain : son influence apparaît plutôt comme celle d’une condition, nécessaire à certains égards, mais qui, une fois posée, ne concourt plus à l’efTet. ili-™^-.

Et telle est à peu près l’idée que les protestants se font de Marie. Jésus est né d’elle, et c’est tout. L’Evangile nous la montre chez Elisabeth, à la crèche, à Cana, au pied de la croix, avec les apôtres au

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jour <le la Pentecôte ; mais qu’est-ce que cela fait à la Rédemption et à notre salut ? Saint Paul n’exclut-il pas expressément tout autre médiateur que Jésus ; saint Pierre ne dit-il pas en propres termes qu’il n’y a pas pour nous d’autre nom de salut que celui de Jésus ; Jésus lui-même n’a-t-il pas assez fait entendre à sa mère, en plus d’une circonstance, qu’elle n’avait pas à se mêler de ses affaires dans les choses de son Père, dans son œuvre de thaumaturge ou de rabbi ? Us concluent à lui faire le moins de part qu’il est possible, comme si donner à Marie c'était ôlcr à Jésus.

Tout autre est l’enseignement de l’Eglise depuis ses origines jusqu'à nos jours, tout autrement signilicatives les indications que sait trouver dans l’Ecriture, à la lumière de la vérité vivante qu’elle porte en elle-même, la dépositaire infaillible de la vérité chrétienne.

Voici en quels termes le cardinal Billot formule cet enseignement :

« De la Vierge mère. il faut dire, en général, qu’elle

tient dans l’ordre de la réparation la même place qu’Eve dans l’ordre de la ruine ; car, comme nous l’enseigne la prophétie insigne de la Genèse, toute l'œuvre rcdemplriceest une sorte de revanche contre le démon, et tout ce que Satan avait imaginé pour nous perdre. Dieu l’a retourné pour notre salut ; ainsi, au nouvel Adam qui est le Christ, il fallait tque fût inséparablement unie, pour ruiner l'œuvre du diable, une nouvelle Eve, qui est Marie. » (De Verbo incarnato, 3' édition, th. xxxix, p. 350, Rome, 1900.)

Je ne m’attarderai pas à prouver cette thèse. Le P. Billot le fait très bien par l’Ecriture, et le P. Terrien par la tradition chrétienne. D’ailleurs, quiconque s’est occupé de la question sait assez que, s’il y a une doctrine claire dans l’Eglise, c’est celle de la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam. Mais on peut chercher à savoir ce que contient exactement cette idée, et comment on peut rattachera la maternité divine des prérogatives qui n’ont rien d’analogue dans les maternités ordinaires.

Admettons donc le fait comme donné par la tradition chrétienne :.Marie a eu sa part avec Jésus dans l'œuvre de notre rédemption, et son action est regardée par l’Eglise comme se prolongeant à travers les siècles dans la distribution des grâces, dans la sanctification et le salut de tous ceux qui se sancliUent et qui se sauvent. Mais comment s’explique cette tradition'.' Comment a-t-on entendu cette action et son prolongement dans l’histoire surnaturelle de l’humanité? Comment les Pères, partant de la coopération de Marie à l’Incarnation de Jésus, arrivent-ils à la médiation de Marie dans la distribution des grâces et dans notre salut ? Xe semble-t-il pas qu’il y ail là un sophisme inconscient, une fausse application de l’axiome : Causa causæ est causa causati ?

Pour nous rendre compte de la difficulté, relisons dans un bréviaire, d’avant igiS, à l’octave de la Nati%'ito, quelques fragments d’une homélie qui, si elle n’est pas textuellement de saint Cyrille, reproduit cependant sa pensée : « A vous aussi, sainte Mère de Dieu, louange. Car vous êtes la perle précieuse de l’univers ; vous êtes le flambeau qui ne s'éteint pas, la couronne de la virginité, le sceptre de la foi orthodoxe, le temple qui ne croule pas. contenant celui que rien ne saurait contenir ; Mère et Vierge par qui est béni, dans l’Evangile, celui qui vient au nom du Seigneur. Par vous est glorifiée la sainte Trinité, par vous célébrée la croix précieuse, et adorée dans tout l’univers. Par vous le ciel tressaille, les anges et les archanges sont dans la joie, les démons tremblent et l’homme lui-même est

rappelé au ciel. Par vous toute créature, captive dans l’erreur idolâtrique, a été amenée à la connaissance de la vérité, et les fidèles sont arrivés au saint baptême, et dans tout l’univers ont été fondées des églises. Avec votre aide les nations viennent à la pénitence. Bref, par vous, le Fils unique de Dieu, la lumière véritable, a brillé pour ceux qui étaient assis dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Par vous les prophètes ont annoncé l’avenir, par vous les apôtres ont prêché le salut aux gentils. Qui pourra célébrer vos louanges, ô Marie, Mère et Vierge ? » Cyrille et les autres Pères avec lui ne confondent-ils pas la coopération lointaine avec la coopération directe et prochaine, ne passent-ils pas trop facilement de l’Incarnation aux effets de l’Incarnation ?

On peut répondre que les Pères avaient l’idée, au moins implicite, delà coopération de Marie à l'œuvre rédemptrice tout entière, à notre salut et aux grâces par lesquelles nous nous sauvons, non moins qu'à l’Incarnation qui est le commencement du salut ; l’idée aussi du lien entre sa coopération à l’Incarnation et sa coopération à toute l'œuvre surnaturelle de Dieu dans le monde. Ainsi s’explique tout naturellement leur langage ; et d’ailleurs, ils s’en sont expliqués eux-mêmes en termes qui ne laissent aucune place au doute. Mais on peut répondre plus directement, en entrant avec eux dans l’intime du plan divin.

Avec nos habitudes d’analyse, si utiles d’ailleurs et parfois nécessaires, nous sommes portés à regarder comme choses distinctes l’Incarnation, les différents mj’stères de Jésus, la Rédemption, les grâces qui nous préviennent et nous sanctifient, le salut enfin. Et ce sont choses distinctes, en effet, à ne regarder que l’exécution et les causes secondes. Mais, dans le plan divin, ce ne sont là que des par ties d’un même tout, qui est l'œuvre rédcinpirice. L'œuvre rédemptrice est une dans l’intention divine, notre salut par Jésus ; l’Incarnation et les dilférenls mystères du Christ ne sont que pour la Rédemption, la Rédemption n’est que pour notre salut. Œuvre unique en partie double. Il y a l’Incarnation, la vie et la mort de Jésus pour nous racheter, nous réconcilier, nous mériter toutes les grâces qui seront départies à chacun de nous quand viendra notre tour de défiler devant Dieu sur la scène du monde ; et il y a toutes les grâces particulières qui nous sont préparées en vue des mérites de Jésus pour nous amener du péché, où nous sommes conçus, jusqu’au ciel, où nous devons appartenir éternellement à la plénitude du Christ : grâces multiples et infiniment variées qui forment la trame de la vie surnaturelle et de l’action divine dans les âmes.

On ne saurait trop insister sur cette unité de l'œuvre rédemptrice. Il y a là notamment une grande lumière pour comprendre le langage des Pères qui nous étonnait tout à l’heure, et pour nous faire une idée exacte du rôle de Marie dans la Rédemption.

S’il est acquis, en effet, que Marie a sa part à côté de Jésus dans Vieuvre rédemptrice, elle a, par là même, sa part dans notre sanctification et dans notre salut, donc aussi dans toutes les grâces qui nous sont données eu vue du Rédempteur : tout cela, c’est Vceuvre rédem/jlrice.

Et tout cela se rattache immédiatement à la maternité divine. Pour tout expliquer, il suffit de nous reporter au moment de l’Incarnation. Qu’est-ce que Dieu propose à Marie par l’ange Gabriel ?.'^ur quoi porleleoui’de Marie aux propositions divines ? Quelle affaire se négocie entre l’envoyé céleste et l’humble fille de David ? Est-ce chose d’ordre privé, si je puis dire, laquelle d’ailleurs aura son contre-coup sur l’humanité tout entière ? Demande-t-on uniquement 293

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à Marie de vouloir bien être la mère de Jésus, quille ensuite à Jésus de sauver le monde comme il lui plaira ? Ce n’est pas ainsi que l’entend la tradition catholique ; ce n’est pas l’idée que suggère la simple lecture du texte évangélique. L’ange ne parle pas seulement des grandeurs personnelles de Jésus. C’est le Sauveur, c’est le Messie attendu, c’est le Koi éleræl de l’humanité régénérée, dont on propose à Marie de devenir la mère. On lui propose par là même de coopérer au salut de l’iiumanité, à l’œuvre messianique, à l’établissement du royaume annoncé. C’est pour cela qu’elle est pleine de grâce, pour cela qu’elle esl bénie entre toutes les femmes.

Ainsi l’ont entendu tous les saints Pères. Pour eux, ce qui se négocie directement et immédiatement entre l’Ange et Marie, c’est l’oeuvre rédemptrice, c’est le sort de l’Unnianité. On ne peut donc pas distinguer en Jésus la personne prisée, dont Marie serait la mère, et la personne publique, à l’teuvre duquel sa mère n’aurait qu’une part lointaine et indirecte. Ainsi, par le seul fait de sa coopération à l’Incarnation, Marie coopère, à l’œuvre rédemptrice, et cela d’une manière procliaine et directe, comme si l’Incarnation eût sufli pour nous sauver.

L’Incarnation, c’est la Rédemption commencée,

« ’est notre salut procuré (si nous-mêmes n’y mettons

obstacle). Coiqiérer à l’Incarnation, c’est donc coopérer directement à la Rédemption, c’est coopérer directement à notre salut. En autres termes, c’est comme Sauveur que le Verbe s’incarne, et, en s’incarnant, il a déjà en mains, ou plutôt il est lui-même, le prix de notre rachat et de toutes les grâces qui seront pour nous comme la distribution en monnaie du prixiniini i(ui, à l’incai’nation, est remis à Marie. C’est donc tout Jésus que nous devons à Marie, Jésus comme rançon et Jésus comme source de toute grâce. Sans doute, ce n’est pas l’Incarnation qui nous sauve, c’est la mort du Verbe incarné. Mais Jésus ne s’incarne que pour mourir : « Dieu a tant aimé le monde, disait Jésus, qu’il a donné son Fils unique », et le « don » emporte et la croix et toutes les grâces par lesquelles « quiconque croit en Jésus ne saurait périr, mais aura la vie éternelle ». Mais si c’est Dieu qui nous donne ainsi son Fils unique, il nous le donne par Marie ; et si le don de Jésus, suivant le mot de saint Paul, emporte tous les dons de la grâce, depuis notre baptême jusqu’à notre ciel, Dieu, en nous donnant Jésus par Marie, nous donne tout par Marie.

Telle est la portée du consentement de la Vierge à l’Incarnation, tel le sens que lui donne la tradition catholique. Quand on a compris cela, on ne trouve plus rien d’excessif aux paroles des Pères, rien d’hyperbolique dans leurs formules.

Toule l’œuvre rédemptrice est suspendue au Fiat de Marie. Et de cela, la Vierge a pleine conscience. Elle sait ce que Dieu lui propose, elle consent à ce que Dieu lui demande, sans restriction ni condition : son Fiat répond à l’ampleur des propositions divines, il s’étend à toule l’œuvre rédemptrice. L’iiistoire surnaturelle du monde est groupée là comme autour de son centre. Le Fiat de l’Incarnation, prononcé dans la lumière divine par la Vierge toute investie de Dieu, prend, par l’union de la volonté de Marie avec la volonté de Dieu, quelque chose de l’immensité du plan divin, qui embrasse dans sa magnilique unité toute l’œuvre de réparation et de salut.

Et voilà pourquoi il n’est pas nécessaire de chercher ailleurs l’explication de la coopération de Marie à notre sanctification et à notre salut.

IV. Comment celle unité du plan divin exige que Marie continue d’intervenir au ciel dans la distribution des grâces. Ce qu’insinue l’Evangile. — Quand

Marie n’aurait pas à notre reconnaissance et à noire amour d’autre litre que ce Fiat, avec son concours maternel à l’Incarnation, ce serait assez pour l’appeler en toute justice la coopératrice de noire salut, et notre Mère dans l’ordre surnaturel ; ce serait assez pour dire que toutes les grâces nous sont venues et nous viennent par elle, puisque nulle grâce ne nous esl faite qu’en vue et en vertu du premier don que Dieu nous a fait par elle, du don de Jésus.

Tous les chrétiens savent que Marie a dCi consentir à la Rédemplion, et que Jésus n’est pas mort sans le eonsentement de sa mère. Mais tous ne savent pas au juste où placer ce consentement. Par une pente naturelle de l’esprit, ou aime à se figurer Jésus, avant d’aller à l’œuvre que son Père lui a donnée, faisant ses adieux à sa mère, et lui demandant lilialement la permission de mourir pour le salut du genre humain. Le oui de Marie n’était pas nécessaire à ce moment — car un temps vient où même un lils ordinaire peut agir sans ses parents — mais il l’avait été, Dieu le voulant ainsi, et Marie l’avait dit irrévocablement au niomenl de l’Incarnation. Toule sa vie d’ailleurs, elle continuera de le dire par l’union pai-faite de sa volonté avec celle de Dieu et de son Fils, et elle sera là pour renouveler solennellement son Fiat au pied de la croix. Toute sa vie encore, elle continuera de prêter à l’œuvre rédemptrice son concours maternel : auprès de Jésus d’abord, (fu’elle nourrit, qu’elle élève, qu’elle prépare comme une victime de sacrillce ; auprès des âmes ensuite, qu’elle instruit, qu’elle soutient, dont elle est mère aussi.

Il n’était pas nécessaire que nous revissions Marie auprès de Jésus, ni à Bethléem, ni à Cana, ni au Calvaire. Mais combien il était convenable qu’elle y fût, continuant son œuvre maternelle, inséparable de lui aux grands moments de sa mission terrestre, aux différentes étapes de sa carrière de géant. Dieu le voulut pour nous rappeler la grande réalité que nous essayons de comprendre quelque peu ; il le voulut pour que nous vissions Marie à l’œuvre, renouvelant, continuant, achevant ce qu’elle avait fait à l’Incarnation.

Les peintres et les sculpteurs, qui nous montrent la Mère de douleur tenant en ses bras le corps inanimé de son Fils, ne semblent songer qu’à la douleuimaternelle. On peut y voir autre chose encore. Il y a là, en effet, un symbole aussi grandiose qu’il est louchant : la victime du Calvaire aux bras de Marie, n’est-ce pas la Vierge mère offrant à Dieu l’hostie de réconciliation, n’est-ce pas le prix de notre rançon et le titre à toutes les grâces de Dieu remis en ses mains ?

Et ceci nous amène à une seconde considération très importante. Cette même unité du plan divin, qui nous permet de voir tout le rôle de Marie dans son consentement à l’Incarnation, exige que Marie continue de coopérera notre salut, continue d’intervenir dans toutes les grâces qui coulent sur le monde. Celte intervention toujours actuelle de Marie est souvent indiquée en termes exprès par les Pères. On en peut voir les preuves notamment chez le P. Terrien. Elle est visible dans la tradition catholique. Mais on peut montrer directement qu’elle est déjà contenue, au moins implicitement, dans l’idée générale de la coopération de Marie à l’œuvre rédemptrice, telle que cette coopération nous apparaît dans les documents de la tradition.

Quelle est, en effet, l’idée traditionnelle ? Marie est indissolublement unie à Jésus dans notre rédemption. Mais l’influence de Jésus ne s’arrête pas à sa mort. Nous savons qu’au ciel il ne cesse d’offrir ses mérites pour nous attirer les grâces de sanctilication et de salut. Il faut donc dire la même chose de Marie. 295

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Avec Jésus sur la terre pour faire l’œuvre rédemptrice, elle est avec lui au ciel pour la continuer en nous’. Autrement la lin ne répondrait pas au coraniencenienl. Il y aurait une sorte de discordance entre les diverses parties du plan divin, une rupture dans son unité. En autres ternies, l’œuvre rédemptrice n’est pas une œuvre faite une fois pour toutes par Jésus, à charge ensuite pour Dieu de distribuer les grâces méritées par le sang divin, tandis que le Sauveur, perdu dans sa gloire et sa béatitude, oublierait pour ainsi dire les âmes qu’il a rachetées, el laisserait à son Père le soin de les mener au terme ; il continue d’intervenir auprès de Dieu pour nous : c’est lui qui fait jaillir et qui dirige les flots de la grâce sur les âmes rachetées de son sang ; non seulement Dieu ne fait rien dans l’ordre surnaturel qu’en vue et en vertu des mérites acquis par Jésus ; il ne fait rien qu’en vue et en vertu de son interpellation actuelle pour chacun de nous.

Mais Jésus n’était pas seul dans la première partie de l’œuvre ; Marie était avec lui. S’il était seul dans la seconde, l’unité du plan divin serait rompue : il faut que l’intervention actuelle de Marie s’unisse à l’intervention actuelle de Jésus ; ils étaient ensemble à la peine : il faut qu’ils soient ensemble à la gloire ; si le Roi du ciel agit encore pour nous, la Reine doit être avec lui dans l’action.

Xe serait-il pas étrange que le rôle de Marie Bnît au ciel, qu’elle y fût moins que sur la terre, une reine qui ne règne plus ?

Aussi bien, l’Ecriture mêræ nous insinue assez clairement, si nous savons comprendre, que Marie doit continuer au ciel ce qu’elle a fait sur terre. Dieu ne l’a pas mise seulement à l’Incarnation et au Calvaire ; c’est porté par sa mère el comme à sa voix que Jésus fait sentir ses premières influences en sanctiflant saint Jean ; elle est à la crèche pour recevoir et introduire les premiers adorateurs ; elle est à Cana pour obtenir de Jésus son premier miracle, qui lui gagne ses premiers disciples ; elle est dans le Cénacle, au berceau de l’Eglise naissante, reine et maîtresse des apôtres. Elle est donc à toutes les phases importantes de la vie du Christ ; elle est dans les principales circonstances qui indiquent et la distribution des bienfaits du Christ el le mouvement des âmes vers le Christ. N’est-ce pas un signe suffisant de l’intention divine ? La tradition catholique n’a pas hésité : dans les faits évangéliques, elle a reconnu des indices de la vérité qu’elle portait vivante en elle-même depuis les origines, et elle est partie de là pour allirmer hardiment l’intervention actuelle do Marie pour la distribution des grâces.

V. Comment la même’érité se dégage des titres de médiatrice et de mère que nous donnons à Marie. Médiatrice (ne faisant qu’un avec Jésus) entre Dieu el nous, médiatrice entre Jésus et nous, elle nous donne Jésus, et elle nous donne la grâce de Jésus, soit par son action sur terre, soit par son intercession au ciel. Mi’ie des hommes, elle l’est par là même qu’elle est mère de Jésus, le chef du corps mystique dont nous sommes les membres ; nous devenons ses enfants par la régénération, qui nous fait frères de Jésus. Comiient Marie devient notre tnère à l’Incarnation, et comment au CaUaire. Rapport de cette maternité avec l^s grâces que nous recevons de Dieu, et comment ce rôle de mère emporte l’intervention actuelle de Marie dans toute notre vie spirituelle. — Les mêmes conclusions se dégagent plus nettement encore quand on étudie, toujours en se rappelant l’unité de l’œuvre rédemptrice, les titres principaux par lesquels les chrétiens aiment à se formuler la coopération de Marie, j’entends ceux de médiatrice et de more.

Marie est médiatrice. Nous le disons en deux sens.

Tout d’abord pour marquer d’une façon générale que Marie est à côté du Médiateur, qui est Jésus, dans l’œuvre de notre réconciliation avec Dieu, de notre sanctification et de notre salut. Cela ne veut pas dire, puisqu’il faut le répéter sans cesse en face des calomnies sans cesse renouvelées des protestants, cela ne veut pas dire que nous admettions un second médiateur à côté du Médiateur unique, ni que la médiation de Jésus nous paraisse insutlisante, ni que nous donnions quelque chose à Marie en dehors de Jésus. Mais elle est là près du Médiateur pour le constituer, si j’ose dire. Médiateur parfait, en prenant dans la médiation de vie la place que Dieu a voulu lui faire, comme à Eve auprès d’Adam dans la médiation de mort ; poui’le mettre dans son rôle de Médiateur, ne faisant qu’un avec lui dans la médiation.

Nous le disons d’une façon plus précise et plus spéciale de Marie comme médiatrice entre Jésus et nous : médiatrice pour nous donner Jésus et avec lui toutes les grâces de la Rédemption ; médiatrice pour nous introduire à Jésus, intercéder pour nous auprès de lui et attirer sur nous sa pitié et ses faveurs.

En quelque sens qu’on le prenne, ce nom de médiatrice emporte la double coopération à l’œuvre rédemptrice dont nous avons parlé, coopération par son action sur terre, coopération par son intercession au ciel, — l’une et l’autre universelles, comme la médiation de Jésus, et s’étendant â toutes les grâces qui nous sont accordées en vue de Jésus. La chose s’entend de soi, quand on pense à l’unité de l’œuvre rédemptrice et â l’indissoluble union de Marie à Jésus dans le plan de rédemption et de salut par le Dieu-Homme. Qui nous donne Jésus comme auteur de toute grâce, nous donne par là mêræ toutes les grâces que Jésus est venu nous mériter. Qui a eu un tel rôle dans le don de Jésus, ne saurait être sans inlluence actuelle sur la distribution de la grâce, la grâce n’étant pour ainsi dire que l’extension et le prolongement de Jésus jusqu’à nous, n’étant que le terme auquel doit aboutir dans l’intention divine le don de Jésus. Qui est partout médiatrice avec Jésus, ne peut cesser d’unir son action à l’acte même en vue duquel Jésus a fait tous ses autres actes de médiateur. Et ainsi, de quelque côté qu’on la regarde, la médiation de Marie emporte son intervention dans la distribution des grâces.

Plus doux et plus profond encore que le nom de médiatrice, est celui de mère que nous donnons à Marie ; plus étroite aussi l’union de ce nom avec la ])arl de Marie dans la distribution des grâces. Que Marie soit notre mère, la vraie mère de tous les vivants, la tradition catholique le proclame dès les tout premiers siècles. Que ce ne soit pas là seulement un nom de tendresse, mais qu’il y ait sous le nom une réalité profonde, nul n’en saurait douter qui se soit tant soit peu rendu compte du caractère et des. conditions de notre vie surnaturelle.

Dans l’abstrait, coopération à l’œuvre rédemptrice ne dit pas nécessairement maternité. Mais, en fait, c’est tout un. La coopération de Marie dans notre naissance et noire développement surnaturel est une coopération maternelle, et nulle analogie n’est plus apte à nous faire entendre cette grande vérité d’ordre supérieur, inaccessible en elle-même à nos sens et à notre raison, que l’analogie exprimée par le mot de mère.

La vie surnaturelle, nous le savons, nous est donnée par une sorte de régénération, de seconde naissance : naissance à la grâce par le baptême, naissance à la gloire par notre entrée dans la vie bienheureuse. Cette régénération emporte, dans l’ordre actuel, notre incorporation à Jésus-Christ : nous ne recevons la vie surnaturelle qu’en devenant. 297

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un avec Jésus-Christ ; nous ne vivons de cette vie surnaturelle que si nous demeurons en lui, comme le sarment doit rester uni au cep et le membje au corps.

Devenus un avec Jésus, nous sommes les (ils du Père céleste en tant que nous sommes les frères de Jésus, les frères du Fils bien-airaé. Ainsi Jésus est à la fois Fils unique et premier-né parmi beaucoup de frères : Fils unique, parce que ceux qu’il veut bien appeler ses frères ne sont regardés comme (ils parle Père céleste qu'à la condition d'être recouverts de Jésus ; premier-né parmi beaucoup de frères qu’il donne comme (ils au Père céleste en répandant sur eux quelque chose de lui-même, en étendant jusqu'à eux le privilège de sa (iliation céleste.

II y a donc en Jésus comme une double manière d'être, on peut dire, en un sens, comme une double personne — non pas la personne divine et la personne humaine, ce serait l’erreur de Neslorius — mais la personne physique el la personne morale. Il y a Jésus, Fils unique du Père éternel, seul saint, seul objet des complaisances de son Père ; et il y a Jésus, chef de l’humanité régénérée, attirant à lui, en se communiquant à eux, tous les membres de l’humanité pour ne faire avec eux qu’un seul corps dont il est la tête, le principe de vie et d’action, le lien d’unité, et dont les hommes sont les membres, recevant tout de leur union avec le chef. Mais — et c’est là une remarque capitale pour l’intelligence de ce qui va suivre — ces deux formalités sont inséparables en Jésus : les deux choses ne font, pour ainsi dire, qu’une. Si nous pouvonset devons les distinguer par l’esprit, nous ne pouvons ni ne devons les considérer comme distinctes en réalité. Et cela lient à cette unité du plan divin, dont il a été si souvent question dans le cours de cette étude. Jésus n’est venu, en fait, que pour être le premier-né parmi beaucoup de frères, que pour donner, en les incorporant à sa personne, des fils à son Père céleste ; il n’a pas d’autre raison d'être que de rattacher l’humanité à son Père en la rattachant à lui-même. Il n’y a pas en Jésus l’homme privé et l’homme public : il n’est que pour sa mission.

Et ainsi s’explique la maternité de Marie par rappoit aux hommes. Mère du Christ, de Dieu fait homme, elle est par là même mère du Christ comme chef de l’humanité, mère du Christ dans ses membres, mère de tous ceux qui n’ont d'être surnaturel qu’en faisant un avec le Christ. On ne peut donc séparer en Marie la mère de Dieu et la mère des hommes. Jésus est inséparable de ses frères, il n’est que pour eux ; et elle n’est la mère du Frère aîné que pour être la mère de tous les frères à venir.

Ainsi, en consentant à devenir la mère de Jésus, elle consentait, par le même acte, à être la mère de tous ceux qui devaient faire partie du corps mystique. Les frères de Jésus sont donc les fils de la mère de Jésus : en devenant mère de l’un, elle devient la mère de tous.

Et Marie a vu et compris cela en disant le Fiat de l’Incarnation. A-t-elle vu distinctement, quand elle disait ce Fiai, chacun de ceux qui devaient être un jour ses fils ? Dieu voulut-il que chacun de nous fût, à ce moment, présent à sa pensée ? C’est une question nouvelle, différente de celle qui regarde le fait même de sa maternité. Il y a de bonnes raisons pour croire qu’elle les a vus. Mais ces raisons n’ont pas la même certitude que le fait de la maternité. Celui-ci reste indépendamment de l’autre.

On le voit, c’est au moment de l’Incarnation qu’il faut encore se reporter pour avoir le fondement de la maternité spirituelle. On dit souvent que Marie est devenue notre mère au pied de la croix. Ces paroles

ont un sens vrai, car c’est à la croix que se fait la Rédemption et que l’humanité est régénérée. Puis donc que la régénération, à parler en généraletdans l’abstrait, s’opère à la croix, et que dans cette régénération nous devenons enfants de Marie, on peut regarder la croix comme le lieu de notre douloureux enfantement. D’ailleurs, le Fiai de l’Iiioaination est déjà le Fiat du Calvaire, et Marie n’en serait pas moins notre mère quand elle n’aurait pas étéau pied de la croix, quand elle serait morte avant le jour du sacrifice suprême.

Cependant, il convenait que notre mère lût là. Elle y était, comprenant comme aucune créature ce qui se faisait alors, s’unissant de toute son âme à l'œuvre de son Fils : elle nous y enfantait dans la douleur. Jésus entendait-il, en donnant Jean pour fils à Marie et Marie pour mère à Jean, signifier cette maternité spirituelle ? Quelle que soit la solution qu’on ailopte, la maternité de grâce aura toujours son fondemenlsulPisant dans la tradition. Tant ([u’on gardera la théologie de saint Paul sur le corps mystique du Christel sur notre incorporation à JésusChrist, on trouvera dans le consentement et la coopération à l’Incarnation le consentement et la coopération à notre régénération en Jésus, qui constituent la maternité spirituelle.

Or, la maternité spirituelle de Marie est en rapport étroit avec toutes les grâces qui nous viennent de Dieu. Ce sont ces grâces, en elTet, qui nous font enfants de Dieu et frères de Jésus ; c’est par elles que se dévelop[)e toute notre vie surnaturelle ; c’est par elles que se fait noire naissance au ciel, terme de notre régénération, épanouissement de la vie surnaturelle, qui n’est ici-bas que comme la Heur dans le bouton. Dès lors, le concours de Marie à ces grâces se présente comme une action maternelle (il faut 1 entendre évidemment par analogie el dans l’ordre moral). Considération d’autant mieux fondée que notre vie surnaturelle tout entière peut être regardée comme un enfantement mjstique de Jésus en nous et comme un développement de son corps mystique par notre propre développement surnaturel.

Comment faut-il entendre ce concours maternel de Marie à notre enfantement surnaturel dans la grâce ici-bas, dans la gloire au ciel ? Rappelons-nous encore que l'œuvre rédemptrice est une. Dès lors, le seul consentement et la coopération maternelle de Marie à l’Incarnation suffiraient à tout expliquer : c'était le consentement, c'était la coopération à l’enfantement complet de Jésus, lequel comprend toutes les grâces données à tous les hommes et ne s’achèvera que par l’entrée du dernier des élus dans la gloire.

Mais cette même unité du plan divin exige que Marie continue au ciel de concourir à toutes les grâces qui nous viennent de Dieu. A notre régénération actuelle, à notre enfantement graduel par la grâce à la gloire, à notre croissance surnaturelle, au développement laborieux de Jésus en nous pour arriver à la plénitude du ciel, il fautque corresponde une action actuelle et continue de la mère qui nous enfante et qui enfante Jésus en nous.

Ce concours ne saurait être un concours physique à la production de la grâce en nous. Ce ne peut être qu’une intervention de volonté, un désir exprimé à Dieu, une présentation incessante de Jésus et de ses mérites, la prière enfin el l’intercession. Mais ce concours moral, comment supposer que l’amour d’une mère nele demande pas, comment supposer que Dieu refuse à la plus aimée et à la plus aimante des mères riionni’ur et la joie de la maternité spirituelle dans tovile sa plénitude ? Les chrétiens ont toujours compris la maternité de Marie en ce sens, non seulement comme un acte passé dont l’effet continuerait de se 299

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faire sentir sur nous, mais comme iine intervention actuelle dans notre enfantement à la grâce et à la

« loire, dans la formation de Jésus en nous.

" VI.' Certitude de cette doctrine, notamment pour l’intervention actuelle dans tontes les grâces. — Je n’ai pas tout dit, tant s’en faut, sur cette grande question. Et je regrette notamment de ne pouvoir m’arrêter à une comparaison entre nos deux mères, Marie et l’Eglise, qui nous aiderait singulièrement à grouper nos idées et à mettre en relief la nature et l'étendue de la coopération de Marie à l’oeuvre^ rédemptrice, de sa médiation et de sa maternité de "Tàce. Je ne puis m’attarder non plus, ni sur la nature et les modes variés de cette intervention de Marie dans notre vie surnaturelle — ce que le P. Terrien appelle très heureusement l’exercice des fonctions maternelles — ni sur certaines idées qui touchent de près à notre question sans cependant se confondre avec elle, comme la toute-puissance suppliante de Marie, la certitude d'être exaucé en recourant à elle, la nécessité de recourir à elle poiir obtenir ce qu’on demande, et notamment la nécessité d’une certaine dévotion à Marie pour être sauvé. Pour ces questions et autres du même genre, qu’il me suffise de renvoyer encore au beau livre du P. Terrien.

Il reste à dire un mot, en finissant, d’un point qui touche plus directement à notre sujet. Quelle certitude, ou, pour parler le langage technique, quelle note théologique peut-on attribuer aux conclusions dont nous avons essayé d’indiquer le sens et les fondements ?

Si l’on parle en général de la coopération de Marie à l'œuvre rédemptrice, c’est là sans nul doute une vérité qui touche à la foi, et il n’y aurait, si quelqu’un s’avisait de la nier, aucune difficulté à la définir. Les prolestants crieraient peut-être. Mais ils ne pourraient se donner une apparence de raison qu’en faussant l’idée catholique de cette coopération et en nous prêtant la prétention absurde d'égaler la mère et le Fils, de faire de Marie un second Jésus, d'ôter.^ Jésus pour donner à Marie.

Il faut dire la même chose pour les deux titres sous lesquels les chrétiens affirment et se représentent cette coopération, celui de médiatrice et celui de mère. Et, remarquons-le bien, cette coopération, comme médiatrice et mère, ils ne l’entendent pas uniquement ni directement du concours de Marie aux œuvres de Jésus sur la terre, à son incarnation et à sa mort en croix : ils l’entendent avant tout d’un concours de Marie à notre sanctification et à notre salut, d’une part de Marie dans les grâces qui nous sanctifient et qui nous sauvent ; ils ne l’entendent donc pas uniquement d’un concours lointain et médiat, mais d’un concours direct et prochain.

Dire la même chose encore des deux moments que l’on peut distinguer dans l’exercice de ce concours. Marie a coopéré à notre sanctification et à notre salut pendant qu’elle était sur la terre, coopération dont l’acte premier et principal a été le consentement et le concours à l’Incarnation, coopération continuée durant toute la vie de Marie par l’adhésion incessante de sa volonté à l'œuvre de son Fils ici-bas et par le concours, soit d’action, soit de prière, qu’elle sut donner à la formation de Jésus et à celle des apùlres et des premiers membres de l’Eglise. C’est le premier moment.

Nous avons vvi comment ce consentement et ce concours d’action ou de prière ne portaient pas seulement sur des faits particuliers, mais comment ils s'étendaient à l'œuvre rédemptrice dans toute son ampleur, et comment, par conséquent, ils étaient

regardés par les Pères et devaient être regardés comme atteignant aussi notre sanctification et notre salut, comme y étant une coopération directe et prochaine. Par là, le premier moment exige le second, le concours au ciel. Marie continue au ciel, par sa prière et par son intercession indissolublement unies à celles de Jésus, son œuvre de médiatrice et de mère, et cette œuvre de prière et d’intercession s'étend évidemment à l’ensemble de l'œuvre rédemptrice : elle est générale et universelle, puisqu’elle ne se distingue en rien, par l'étendue, de l’intercession de Jésus.

Cette double coopération de Marie, sur terre et au ciel, fait sûrement partie de l’enseignement catholique : les deux sont d’ailleurs inséparables, et les chrétiens songent à peine à les distinguer ; ils voient que l’une et l’autre ont leur centre dans la maternité divine, comme elles sont l’une et l’autre l’exercice normal de la médiation et de la maternité spirituelle. Tout cela est indiscutable, tout cela est indiscuté. Tout cela peut être défini. Sur ce point, le P. Terrien lui-même, si réservé dans ses affirmations, est aussi afiirmatif que personne.

Reste une question. Toutes les grâces sans exception nous sont-elles données à l’intercession de Marie, nous viennent-elles par Marie, comme elles nous sont données à l’intercession de Jésus, comme elles nous viennent par Jésus ? Ici quelques théologiens semblent hésiter. Saint Alphonse ne donnait la thèse affirmative que comme très probable. Le P. Terrien, nous l’avons vu, se tient aussi sur une certaine réserve. Cette réserve, il faut le répéter, ne porte en rien ni sur l’universelle médiation de Marie, ni sur sa maternité de grâce, ni sur sa coopération à l'œuvre de notre sanctification et de notre salvrt par son intervention dans la distribution des grâces. Cela admis, la question douteuse, à supposer qu’il y ait doute, se réduirait à bien peu de chose, à ceci au plus : l’intervention actuelle de Marie dans la distribution des grâces doit-elle s’entendre de <oi ; <e «  les grâces sans exception, ou bien, admise, en gros et pour la généralité des grâces, l’intervention de Marie comme indiscutée et indiscutable, peut-on faire des exceptions et discuter sur l’universalité absolue ? Les raisons d'être moins affirmatif sont, d’une part, que cette question spéciale n’a guère été traitée que dans ces derniers temps et que, partant, les témoignages explicites sont moins nombreux ; d’autre part, qu’on oppose quelques difficultés à la thèse ainsi posée.

Il faut respecter cette réserve et cette discrétion de la science et de l’amour. Mais il y aurait inconvénient à trop en tenir compte. Si, en eflet, nous regardons la question de plus près, que constatonsnous ? Que les difficultés reposent toutes sur des équivoques ou de faux supposés, et qu’elles vont aussi bien contre la médiation universelle et la maternité de grâce, telle que tous doivent l’admettre, que contre l’universalité absolue et l’exclusion de toute exception. C’est dire qu’il n’y a pas à en tenir compte.

Que constatons-nous encore ? Que les raisons apportées pour la médiation universelle et pour la maternité de grâce en général valent également pour toutes les grâces ; que rien n’autorise ni une limitation ni une exception. Il serait donc arbitraire d’en introduire, et il faut prendre les textes et les raisons dans toute leur ampleur et dans toute leur portée. Ce n’est que logique. Et la logique ici s’impose avec une force spéciale à cause du nombre et du poids des raisons et des autorités qui vont positivement et ex-, pressément à rejeter toute limitation ou exceptions Dès lors, la question de la coopération à tontes le 301

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grâces sans exception ne se pose pas comme une question à part. Elle est incluse dans la question générale de la médiation universelle et de la maternité de oràce. Il n’y a même pas à raisonner, au sens propre des mots, pour conclure de l’une à l’autre. Il n’y a là qu’une seule et même vérité, plus ou moins explicitement exprimée.

Cette vérité si glorieuse pour Marie, si consolante pour ses enfants, si importante pour l’intelligence du plan divin dans la Rédemption et de l'économie providentielle dans la distribution des grâces, si pratique par ses conséquences pour le culte de Marie et pour l’usage d’appuyer nos prières sur lintercession de Marie comme nous les appuyons sur- l’intercession de Jésus, cette vérité n’est i>as seulement une vérité acquise par voie de déduction tbéologique : c’est une vérité que nous pouvons hardiment regarder comme appartenant au dépôt de la loi et contenue dans le magistère de l’Eglise. Quand on la compare avec le dogme de l’Immaculée Conception ; quand on met en regard, d’un côté, la pénurie des témoignages anciens explicites et formels en faveur de 1 Immaculée Conception et les dilBcuUcs formidables que soulevait l’aflirmation du privilège de Marie ; de l’autre, l’abondance et la précision des témoignages qui, depuis les premiers siècles jusqu'à nos jours, se sont accumulés en laveur de la coopération de Marie à l'œuvre rédemptrice et à toutes les grâces qui en sont l’exécution à travers le monde, en faveur de la médiation universelle et de la maternité de grâce, sans qu’on puisse opposer à ce téiuoignage unanime aucune voix discordante dont il y ait à tenir compte, aucune objection sérieuse, on s'étonne presque que l’Immaculée Conception ait pu faire son chemin, tandis que la maternité de grâce n’est pas encore érigée en dogme.

VIII. Bibliographie. — La question de la maternité spirituelle de Marie et de sa part dans toutes les grâces qui nous viennent de Dieu a été traitée sous toutes ses faces au Congrès du Folgoat, en iy13. Voir le beau volume où il en est rendu compte : Quatrième Congrès mariai breton tenu an Folgoat en l’honneur de Marie, mère de grâce, 4, 5 et 6 se|ilembre igiS, Quimper, Arsène de Kerangal, éditeur, 1915, xvm-484 p. grand in-8. La question est située dans son milieu et amorcée dans le « Discours d’ouverture » de M. Le Garrec et dans r « Introduction », sur La plénitude de la grâce en Marie, par le H. P. ïexier. La doctrine est exposée dans trois études de fond par : le R. P. Compcs, Les bases de la doctrine, p. 35-5 ; 4 ; le R. P. Le Rebellée, Marie dispensatrice des grâces divines, p. 55-107 ; ^- A-^g*^' » ^^ médiation de Marie, mère de grâce, comparée à la médiation du Christ et à l’intercession des saints, p. log-iSG. Les faits évangéliques où les théologiens ont vu comme une insinualiou de cette doctrine sont interprétés par : J. V. Bainvel, Le « Fiat a de l’Incarnation, p. iSq146 ; M. Tanguy, La sanctification du Précurseur, p. 147-155 ; M. Pérennès, Le miracle de Cana, p. 155-178 ; M. Gry, La a Mère de Jésus » aux noces de Cana, p. 179-200 ; M. Cliai)ron, Au Calcaire. Marie, mère de Jésus ; Marie, mère de saint Jean : Marie, mère de tous les fidèles, p. 201-222 ; M. Picaud, La Pentecôte, p. 223-230. La maternité de grâce dans la liturgie et dans la piété populaire est étudiée par : J. de Tonquédec, /.a prière de la sainte Vierge, Essai de théologie populaire, p. a33243 ; doin Cozien, JVoles sur la maternité de grâce dans Ut liturgie, p. 244-249- Entln la doctrine qui fait l’objet de ces diverses études est chantée et résumée en un poème de profonde théologie et d’un

bel élan lyrique, par le P. Belon, Le poème de la maternité de grâce, p. 263-289. La deuxième partie du volume est consacrée à des études historiques qui n’ont pas un rapport si direct à notre sujet. En parcourant les études citées, on trouvera au bas de pages des renvois aux principaux ouvrages, textes, documents ; il suffirait de les recueillir pour avoir les indications bibliographiques nécessaires. Indiquons cependant quelques ouvrages. Pour l’ensemble de la ((uestion, outre Jeanjacquot, déjà cité : J. B. Terrien, S. J. La Mère de Dieu et la Mère des hommes ; Deu.rième partie, La Mère des hommes. Paris, 1902 ; — Hugon, O. P. La Mère de grâce, Paris, iyo4 ; — Lépicier, O. S. M., L’immaculée Mère de Dieu, corédemptrice du genre humain, Turnbout, 1906 ; — A. Largent, La maternité adoptife de la très sainte l’ierge. Etude de théologie, Paris, 1909 ; — Campana, Marie dans le dogme catholique, ouvrage traduit de l’italien par A. M. Viel, O. P. Montréjeau, 1912, surtout t. I, livre I, c. 2, p. 213-384. Pour les textes des anciens Pères sur Marie nouvelle Kve : Newman, J)u culte de la sainte Vierge dans l’Eglise catholique, traduction revue et corrigée par un Bénédictin de l’abbaye de Farnborough, Paris, 1908, § iv et viii ; aussi notes D. G. I. E. Neubert, Mar ;e dans l’Eglise naissante, Paris, 1908, 2 « partie, c. 3 et 4. Cardinal Dechanips, Za nouvelle Eve, t. V des Œuvres complètes. Pour les textes de saint Augustin, de saint Anselme, de saint Bernard, des théologiens, etc., cf. tables de Terrien ou de Campana, Pour la piété populaire, le bel opuscule du B. Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, souvent réédite depuis 1842 ; aussi saint Alphonse de Liguori, en particulier, /.es s/oiVes de Marie ; Faber, Le pied de la croix. Sans parler des volumineux traités d’autrefois, comme Poirré, La triple couronne, le P. d’Argentan, Les grandeurs de la sainte Vierge, etc.

J.-V. Bainvfx.