Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Jésus (Introduction)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 650-664).

JÉSUS CHRIST — Sommaire. — Introduction. I. — But et extension de l’article, numéro i ; Présupposés de philosophie et de méthode, 2-7.

2. — Les sources de l’histoire de Jésus :

.V. — Sources non chrétiennes, 8 ; païennes, 9-10 ; juives, 1 1 ;

B. — Sources chrétiennes, non canoniques, 12-13 ; canoniques : 14 : Paul, 15-16 ; les évangiles synoptiques, 17-81 ; l’évangile de Jean, 82-88.

3. — La question préalable : l’existence historique de Jésus, 89-42. Caractère du présent travail, 43. Bibliographie, 44-46.

Chapitre Ier : Le milieu évangélique. Généralités, 47-48.

1. — L’état politkiie du monde juif : la Dispersion, 49-55 ; Israël en Palestine, 56-59.

2. — Le milieu social : les Classes et les Castes, 60-64 ; Hérodiens et Zélotes, 61-62 ; Esséniens, 6364 ; Sadducéens et Pharisiens, 65-67.

3. — Le milieu intellectuel :

A. — Les Sources, 68-70 : littérature historique et sapientielle, 69 ; les Aixicalypses, 70. Résumé, 71.

B, — Les notions maîtresses : le Règne de Dieu, 72-76 ; le Messie, 77-80.

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4. — Lbs infiltrations étrangères : dans la Dispersion, 81 -85 ; en Palestine, 86-87. Conclusion, 88-89. Bibliographie, 90-92,

Chapitre II : Le témoignage du Fils,

Transition, 93.

I. — Les DÉBUTS db la Phkdicatio.v kt l’économie do Message : la Prédication de Jean-Baptiste, 9^-95 ; la venue de Jésus, 96. La manifestation messianique : conceptions populaires et attitude de Jésus, g^-ioS ; le Fils de l’Homme, 1 04-109 ; les Paraboles : lumière et ombres, 110- 11 5.

2. — Le témoignage dd fils considéré en lui-mémb : Teneur et progression du témoignage : le réformateur et le Médiateur, 116-121 ; le Fils, 123-123 ; la confession de Pierre, la^ ; les attributs divins, 125-127 ; la lespumio mortifera, 128. Le témoignage de Jésus d’après l’évangile johannique, lag-iSS. Conclusion, iSô-iS^.

13. — Lb témoignage considéré d. s le Té.moin :

A. — Le problème du Christ : les données, 138-140 ; les essais de solution païennes, 141 ; juives, 142-143 ; protestante libérale, i/14-153 ; rationaliste, lô/i-iSg.

B. — Le Christ des E^’ongiles, 160-161 : La religion de Jésus, 162-168 ; — la conversation de Jésus avec ses frères, 169-176 ; — la vie intime de Jésus, 177-188.

C. — Le mystère du Christ : hypothèses sur l’union des éléments, divin et humain, dans le Christ, 189192 ; la kénose, 193-194 ; la divinité et le subconscient, 196-196 ; autres essais, 197-199 ; — la solution traditionnelle des H deux natures » dans une Personne unique, 200-211.

Bibliographie, 212-316

Chapitre III : Les preuves du témoignage.

GéuOralilés, 217.

I. — Les signes divins bn général : obscurités et confusions à ce sujet, et d’où elles viennent, 318-221 ; — les éléments du signe miraculeux : élément corporel, tératologique, 332 ; spirituel et signiliant, 333-227.

3. — Lbs signes divins bn particulier :

A. — La Prophétie : but, nature et caractère probant du signe prophétique, 228-234.

B. — Le Miracle : déOnition et double transcendance, a35 ; présupposés philosophiques et caractère probant, 236-243.

3. — JÉsu » prophète : le don prophétique en Jésus, 344-245.

.V. — Prophéties de Jésus à son sujet, 346-355 ;

B. — Prophéties de Jésus touchant son œuire, 356-263 ;

C. — Prophéties touchant la fin des temps : les textes, 264 ; les conclusions de l’école eschatologique, 265-267. — Caractère du langage prophétique et des choses prédites, 368-273 ; condition littéraire des textes, 374-388 ; conclusions certaines ou probables, a89-294.

4. — JÉSUS tuaumaturgb : les conditions apologétiques du miracle, 295-21)8 ; la collection des miracles évangéliques, 299-300.

A. — Vérité historique des miracles, 301-305 ; Distinctions et évasions rationalistes, 306312 ;

B. — Vérité relative des miracles : les signes et la mission. 313-318 ;

C. — Vérité philnsopliique des signes considérés comme œuvre divine : nombre, variété des miracles, 319-325 ; l’élément spirituel et démoniaque, 320-333 ; l’élément humain : guérisons et résurrections, 334 ; — objections rationalisles, 335-346.

Valeur religieuse des miracles, 347-350. Conclusion, 351. Bibliographie, 352-353.

Chapitre IV : Le témoignage du Père.

Généralités : double aspect de la résurrection, comme l’ail d’histoire et mystère, 354 ; la question, 355.

I. — VÉRITÉ nlSTOnlQUB DB LA RÉSURRECTION :

La mort réelle et la sépulture, 356-357. La résurrection comme fait d’histoire :

A. — Le témoignage de saint Paul : le texte, 358 ; — sens et portée du texte, 35g-362 ; la preuve, 363 ; transition, 364.

B. — Les récits é^-angéliques : les textes canoniques. 365-372 ; fragments non canoniques, 373 ; — la condition littéraire et historique des textes, 374-378 ; — les faits certains, 379 385 ; conclusion, 386-388.

C. — Les objections principales : les objections prati<iuement abandonnées : mort apparente, enlèvement, 389-390 ; — objections contemporaines : généralités, 391-392 ; — la réduction des textes, 393 ; réponse, SgJ398 ; — la nature des apparitions, 899-400 ; réponse, 401-405 ; — les infiltrations mythologiques, 406-407 ; réponse, 408-409.

Conclusion. 4l0.

a. — Valeur APOLOGÉTI0UE de la résurrection :

La résurrection et la mission. 4 1 1 ; — prophéties générales, 412 ; et spéciales : le signe de Jonas » : les textes, 413 ; interprétation, 414-417> — le '< signe du Temple i> : les textes, 418 ; interprétation, 419-Conclusion, 420. Conclusion générale. 421-423. Bibliographie, 423.

Conclusion : Le témoignage du Saint Esprit. Les Promesses, 424. — L accomplissement charismatique. 425. — Le témoignage ordinaire inspiré :

1. — Le témoignage des premiers disciples :

Généralités, 4a6 ; saint Paul, 427-434 ; — les évangiles synoptiques, 435-436 ; — le témoignage de Jean, 437-44’- — Conclusion, 442-443.

2. — Quelques témoign.vges postérieurs :

S. Ignace d’. lioehe, 444-445 ; saint.ugu3 tin, 446-448 ; saint Patrice, 449’,

Les saints du moyen âge. 450 ; saint Bernard, 4^1-452 ; saint François d’Assise, 453-455 ; l’Imitation de Jésus Christ, 456.

Les Exercices spirituels clV Introduction à la vie dévote ; saint Alphonse de Liguori, 4571291

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Deux témoins au xvii" siècle : Biaise Pascal et la bienheureuse Marguerite Marie, 460461.

Les témoins contemporains, 462. Conclusion, 463-^65.

CoQclusion de l’article, 466-468.

Bibliographie générale, 469-470.

Intuodictio.v

I. — But du présent article

1. — Jésus de Nazareth a-t-il été sur terre l’envoyé, le héraut, l’indispensable témoin de Dieu ? Doit-on aller plus loin et confesser qu’il est, dans un sens unique et incommunicable, son Fils ? Ceux qui le connaissent suQisamment sont-ilstenusdemarcher à sa suite sur le terrain religieux et de mettre, s’ils ne veulent s’égarer, leurs pas dans ses pas ? Prise d’ensemble, considérée dans sa réalité passée et son rayonnement actuel, son œuvre justilje-t-elle les paroles décisives du Mailre : a Toutes choses m’ont été livrées par mon Père, et nul ne connaît le Fils, hormis le Père ; comme nul aussi ne connaît le Père, hormis le Fils et celui auquel le Fils veut bien le révéler… Je suis la voie et la vérité et la vie : nul ne vient au Père que par moi » ?(.Vi., xi, a’ ;  ; Ce., x, 22 ; Jo., XIV, 6.)

En face de ces déclarations et de l’alternativeredoutable qu’elles fornmlent. relisons un autre passage de l’Evangile : « Pensez-vous que je sois venu mettre la paix en terre ? — Non, vous dis-je, mais la séparation, car dorénavant s’ils sont cinq dans une njaisoii, ils seront divisés : trois contre deux et deux contre trois, le père contre son fils et le (ils contre son père, la mère contre sa lille et la fille contre sa mère… » (/-c, xii, 51, 54) Image frappante de la coupure faite dans une vie d’homme, ou dans une société, par l’option chrétienne acceptée ou rejetée 1 Ceux-là le savent qui ont dû conquérir ou retrouver la foi en Jésus. Mais aussi l’on ne pouirait dire avec plus de force que là-dessus se départagent, plus ou moins explicitement, les âmes religieuses, depuis la venue du Clirist.

Tout le but du présent article est de rendre plus assuré un choix de si grande conséquence, en le confirmant s’il est déjà fait ; en l’éclairant, s’il reste à faire.

Présupposés de philosophie et de méthode

S. — Celte première et essentielle déiiiarclie de l’apologétique chrétienne conclut à la divinité de la mission de Jésus. Pour en arriver là, nous nous’soMinies réduits, par méthode, aux seules ressources de la phiIoso[)hie générale et de l’histoire. Le titre et l’objet principal de ce Dictionnaire ; l’état présent des études du clergé, où les traités Du Clirisl, Envoyé divin, et Du Verbe incarné, sont enseignés à part l’un de l’autre et suivant des règles différentes ; les besoins de ceux qui cherclient ou de ceux qui, ayant trouvé pour leur comj)le, aident les autres à chercher, tout nous prescrivait de conduire notre enquête sur le terrain apologétique, sans faire appel à l’infaillible vérité des Ecritures ou de la Tradition ciilliolique.

Nous nous interdisions parla même la ilémonstration classique, parlant des Ecritures inspirées, de la divinité personnelle du Sauveur ; nous renoncions à concilier celle croyance avec le dogme de l’unité divine. Ce sont là tâches de première iniporlance, mais qui débordent notre cadre et qu’on peut remettre à une étude ultérieure de la religion chrétienne, dont

la vérité fondamentale ne dépend pas. L’effort réclamé par la discussion des dillieultés soulevées, à l’intérieur du christianisme, par les Ariens et les Sociniens, ou, à l’extérieur, par les rationalistes, contre le mystère de l’inearnalion, peut en elfet être comparé à ces raisonnements délicats de théologie naturelle opposés aux objections des agnostiques et de certains panthéistes subtils, touchant la connaissance de Dieu, considéré comme personnel et distinct de son œuvre. Au contraire, l’appréhension positive et concrète de la divinité du Christ doit être assimilée à l’appréhension générale des raisons de croire en Dieu. Cette dernière tâche est à la portée de tout homme et un esprit non pi’évenu l’accomplit spontanément. L’autre n’a toute son importance que pour des gens initiés aux problèmes techniques de la philosophie. Encore chez ceux-ci défend-elle, plus qu’elle ne la conquiert ou l’augmente, une certitude déjà possédée’.

Or c’est à cette appréhension générale et concrète que nous mène, par surcroît, la démonstration, directement tentée ici, du fait que Jésus de Nazareth s’est allirmé et prouvé Messie et Fils dé Dieu. Car beaucoup des paroles et des arguments apportés à l’appui de cette thèse conduisent, si on les pousse jusqu’au bout, à confesser la divinité du Christ. Il est certain par exemple qu’aies prendre dans leur sens naturel, et surtout dans leur convergence, les allirmations du Maître sur sa personne ne vont pas moins avant. Il est manifeste également que telle a été l’interprétation de la première génération chrétienne : les disciples immédiats du Seigneur l’ont tenu non seulement pour un héros, un saint, un pro])hete — mais pour un Dieu. Ce sont là des faits considérables. Ils paraîtront décisifs à ceux que ce travail convaincr.i <pie Jésus a véritablement reçu de son Pèrft, et donné aux hommes des signes probants de sa mission divine.

En conséquence, les documents employés ici seront considérés comme investis d’une autorité simplement humaine, non comme des écrits divinement inspirés. Ni nous ne réclameronsune créance absolue pour chacun de leurs détails, ni nous n’entreprendrons de résoudre les difficultés soulevées par les discordances résultant de la comparaison minutieuse des textes’-. Il sullira d’établir qu’à travers ces différences (favorables en somme, dans le cas d’accord sur la substance des faits, à l’historicité des pièces) les matériaux utilisés sont solides et de bon aloi. Nous n’aurons besoin pour cela que des méthodes critiques en usage parmi ceux qui estiment queriiisloire, science en mainte partie conjecturale, nous assure, dans certaines conditions de teneur, d’attestation et de continuité des témoignages, la possession de réelles certitudes.

3. — Par cette allusion aux règles de la méthode scientifique, nous n’entendons pas exclure de toute certitude d’histoire ceux ipii n’auraient pas la culture ou les loisirs indispensables pour mener, ou même pour suivre utilement, une enquête de ce genre. Outre la voie toujours ouverte du recours à une autorité ayant fait ses preuves, outre l’emploi très légitime ici de l’argument de consentement général : securus iudicat orbis terrarum ! — il reste au simple.

1. On peut voir sur ce point les rénexions des tliéolo^iensdu concile du Vatican. Acta Vaiicana, coll. Lacenais, t. VU, p. ; >3’2, 533.

2. Ces difficultés de dét.TÎl rentrent dans le ciidi-e de ce Dirtinnnaire, mjiis non dans celui du présent article. Voir ci-dessus l’article Inrhhance iiini, i(^uE, por Alfred Ouhand, vol. II, col. 781-787. 1293

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en pareille matière, une facnlté de discernemenl de très haute valeur. Xe songeons pas à un sens infaillible, à un >c goùl » ininiédial du divin : l’expérience uuiiiinune ne nous y autorise pas plus que la théologie catholique. Mais il demeure vrai qu’un esi)rit hien l’ait, s’ap[>liquant à la lecture des évan^’iles, y découvrira une beauté morale singulière, une transparente sincérité, je ne sais quel charme où se complaira ce qu’il y a en lui de meilleur. Il y a là, poulie moins, une grande présomption de vérité : après OuiGÈNB, ISossucT l’a justement observé’ : a On n’invente pas ainsi. »

Sans négliger pour notre compte cette sorte d’intuition qui prévient, conlirme et parfois supplée l’emploi de méthodes plus lentes, nous chercherons dans cette élude à nous procurer une certitude historique directe.

4. — Reconnaissons d’ailleurs que, dans la poursuite et l’acquisition d’une certitude de ce genre, dans l’interprétation des textes et l’appréciation des faits — de ceux surtout qui ont une portée religieuse — une philosophie générale, au moins élémentaire, est nécessairement impliquée. Car, « pour anxieux que soit un homme d’arriver aux faits tout nus de l’histoire passée, il ne peut les comprendre qu’en les mettant en relation avec son propre esprit. Et sou esprit n’est pas vide : c’est un esprit déjà (lourvu de catégories personnelles, et d’un contenu jiropre, disposé en conséquence à regarder les choses d’un certain biais. Il doit donc, de toute nécessité, lire ce caractère mental dans tous les faits qui lui sont soumis, les ramener à ses règles, se les approprier, se les assimiler, les tourner pour ainsi dire et les retourner jusipi’à ce qu’il puisse les contempler dans la lumière de ses façons habituelles de penser s ».

5. — Les principes qui nous guideront dans la recherche présente sont ceux que la sagesse de tous les siècles, antérieure aux systèmes et survivant à leur ruine (p h iluso/ihi a pe réunis), ’a loujouvs appliqués au problème de la religion positive. « Si une providence divine ne préside pas aux choses humaines, observe excellemment S. Augusti.v, laissons là toute préoccupation religieuse : si enim Dei providentia non præsidei rehiis liuinanis, niliil est de religione sata . « C’est à bon droit ([n’Origène prône la candeur, la sincérilé, d’un mot, la passion du vrai {~ô ^c/â/ïj^e ;) des écrivains de l’histoire évangélique et apostoliiiue. Nulle prêtent ioo dans ce qu’ils nous disent du Christ et de ses disciples, rien de glorieux dons ce qui touclie à eux- mêmes, ou à leur histoire, aucun trait ucet-be contre les Juifs et autres ennemis du nom chrétien..Mais encore, s’ils rencontrent quelque chose capalde de scandaliser les esprits faibles ou de fournir matière à glose malveillante, loin de le taire ou de l’esqinTcr, ils le racontent naïvement et sans tergiverser. Profession vile, ou métne odieuse, des apvtres, au moment de leur appel pai- le Christ et, ii[)rcs cet appel, paroles rudes ou malavisées, actions déraisonnables, fuite honteuse de loue et reniement de Pierre, chef de tous les autres ; injures prodiguées i Jésus : « glouton », « buveur »,

« frénétique » et « séducteur » ; gestes qui pouvaient

paraître à première vue des marques de colère, comme le châtiment infligé au figuier innocent ; craintes du Maître en présence de la mort, allant jusqu’au point au delà duquel il serait noyé dans sa peine, dépression allant jusqu’il la sueur de sang.., et cent traits de ce genre, connus d’eux seuls, qu’ils pouvaient dissimuler ! Cependant nos historiens, amis du vrai, nous racontent tout cela posément, clairement ; persuatlés que la vérité se défendra assez d’elle-même et sauvera, pourvu qu’elle trouve des B udileurs honnêtes. » Je traduis sur le latin de liossuct ce fragment publié d’abord par M..1. Leb.vrco, dans son Histoire critique de la prédication de Bossuet, Paris, 1888, appendice IV, p.’iiîS, ’13’.t. Les constatations de ce genre n’exigent, pour être faites, aucune formation technique.

2. J. R. IrLiNowoRTU, Reaton and Révélation, honion, 1902, p. %.

gendum’. » « Mais, ajoute le grand docteur, si la beauté de l’univers qui découle (nous devons le croire assurément) d’une Source de beauté très véritable, si je ne sais quelle voix intérieure presse, publiquement pour ainsi dire et privément, tous les meilleurs esprits à chercher Dieu, à servir Dieu, il ne faut pas désespérer que ce même Dieu ait établi une autorité sur laquelle nous prenions un point d’ai)pui pour nous élever vers lui. » Conformément à ci s suggestions, nous admettrons que l’homme n’est pas jeté sur terre sans destination certaine, ou sans moyen de connaître sa destinée. Nous tiendrons que l’humanité prise d’ensemble, et chaque individu en particulier, est l’objet d’intentions providentielles et le sujet d’une Puissance ultime, sage et bonne. Nous concevrons, par analogie avec la personne que nous sommes, cette Puissance comme une personne, un moi spirituel, autonome, « vivant et vojant », immanent à son œuvre, mais distinct d’elle par la pureté de son essence et connaissable par le moyen de cette œuvre, encore qu’incompréhensible dans son fonds.

6. — Car tout être réel qui n’a pas en soi sa raison totale d’exister ; tout être à la fois vivant et composé, actuel et éphémère, renvoie, parce qu’il est, à une cause réelle et, pur ce qu’il n’est pas, h une Cause tout à fait différente de lui, à un principe, à un

« alpha », à un Etre parfait, existant par soi seul et

indépendant du reste. Semblablement, toute personne — moi qui écris, vous qui me lisez — capable et naturellement désireuse d’un bien qu’ellene peut se conférer à elle-même, consciente d’une destinée qu’elle ne peut égaler sans aide, de devoirs certains en face desquels elle se voit impuissante (disons, plus généralement encore : tout ce qui est en marche, en désir, en puissance et en appel), postule impérieusement une Fin dernière, un centre suprême d’attirance, une force inlinie, un « oméga », un Bien réel et plénier qui meuve, oriente, soutienne, et termine sonélan. Enfin, celui qui possède quelque perfection plus ou moins, dans une certaine mesure, dans un certain degré, d’emprunt par conséquent et non par nature ; celui qui est bon et non Bonté, sage et non Sagesse, un peu bon, médiocrement sage — une demi-réalité, une eau coulante, une image, un rellet, réclame une pleine perfection, une source, un exemplaire, une pure lumière.

Cet Etre premier, dernier, parfait, nousl’appelons Dieu, supposant acquise, en tout ce qui suivra, cette conclusion fondamentale de la connaissance religieuse’-.

7. — On pourrait concevoir une autre marche. Car il n’est nullement impossible, et il arrivequecertains esprits, restés en suspens sur cette conclusion (ou, plus souvent, troublés dans sa possession par quelque inquiétude), trouvent un supplément de clarté’qui leur permette une adhésion ferme, dans l’étude historique et religieuse de la vie de Jésus de Nazareth. Des préjugés d’ordre philosophique, des hésitations d’ordre sentimental s’évanouissent en sa présence, fondent comme une brume au soleil. A ne la considérer qu’humainement, cette haute figure domine à ce point l’humanité commune qu’elle invite à la suivre pour ne marcher pas dans les ténèbres. Jésus a donné à la vie, à la vie spirituelle en particulier, un sens si relevé, si complet, si satisfaisant, qu’on peut trouver dans ses actes et dans ses paroles l’attestation de la Divinité vainement cherchée ailleurs, la solution de difficultés jusquelà invincibles. Les raisons de croire en Dieu, en un

1. De utilitale credrndi, c. ivl, n. 34, P. /,., XLII, 89.

2. Voir, dans ce Dictionnaire, vol. I, col. 9’13-1088, l’article Dieu : R. Garrigou-Lagrance.

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Dieu Père, tout-puissant et tout bon, deviennent à l’école (lu Christ plus lumineuses et plus concrètes. Le Dieu « des philosophes et des savants » se rapproche sans s’humaniser, se révèle sans perdre l’indispensable noblesse du mystère, devient « un Dieu d’amour et de consolation, un Dieu qui remplit l’âme et le cœur de ceux qu’il possède ; un Dieu qui leur fait sentir intérieurement leur misère et sa miséricorde inlinie ; qui s’unit au fond de leuràme ; qui les remplit d’humilité, de joie, de confiance, d’amour ; qui les rend incapables d’autre lin que de lui-même’». Ainsi la maîtrise acceptée de Jésus conduit à l’acte lie foi en Dieu, le Fils mène au Père… Cette voie n’est toutefois ni la plus commune, ni la plus normale : si l’élude qui suit peut en faciliter l’accès, nous suivrons pourtant la route royale qui mène l’homme religieux, de la croyance en une providence divine assurée, à l’adhésion inconditionnée au Seigneur Jésus.

II.

Les sources de l’histoire ds Jésus

A.

Sources non chrétiennes

8. — En dehors des documents d’origine chrétienne, nous n’avons, pour nous renseigner sur l’histoire de Jésus, que des textes clairsemés et peu explicites. Il fallait s’y attendre. Les débuts d’un mouvement religieux sont en général peuaperçus et ne touchent guère que les personnes mêlées à ce mouvement. C’est après seulement, quand le groupe nouveau se heurte dans son expansion à des situationsacquises, à des habitudes, à des ambitions, à des intérêts divers, que l’attention est attirée sur lui : alors les historiens du dehors lui font une place dans leurs écrits. Jusque-là, il ne faut escompter que des allusions rapides, d’une exactitude médiocre, parfois tout .’i fait prévenues et injustes. Cette loi trouve son application dans le cas présent. Sudisants par eux seuls à mettre hors de doute la réalité de la vie humaine de Jésus, et quel<(ues traits majeurs de sa carrière : date approchée, cadre de son activité, mort violente, influence posthume, les documents juifs ou païens offrent surtout, pour le reste, l’utilité indirecte de nous faire connaître lerailieudans lequel s’est déroulée l’histoire des origines chrétiennes.

9. — Plus précisément, l’historien juif Flavius Jo8ÈPHE fait allusion, dans ses Antiquités judniques, rédigées une dizaine d’années avant la fin du premier siècle, à deux personnages importants de l’histoire évangélique : Jean Baptiste et Jacques le mineur. Un autre passage de ce même ouvrage contient sur la personne de Jésus une appréciation beaucoup plus explicite : des doutes sérieux sur l’authenticité de ce texte ne permettent pas d’en faire état sans réserve. L’attitude politique de Josèphe, rallié au régime romain, et soucieux d’effacer de son œuvre toute trace de messianisme, rendrait d’ailleurs explicable un silence relatif sur la personne de Jésus *. Au début du second siècle,

1. Pascal, Pensres, éd. !.. Biunschvicg major, III. p. 5-6.

2. Là-dessus Pierre Batiffol : Le silence de Josèphe, dans Orpheus et l Evangile, Paris, 1910, p. li-1k. — Tout récemmenl cependant, l’fîxcellenl ériidit qu’est M. F. C. BiRKiTT niainlenail l’.TUthenticité complite du passage le plus controversé de Josèphe. Son mémoire : Jitsep/itts and Christ, a été publ’é dans les Actes du /V Congrès international d’Histoire des religions tenu à Leide du au 13 septembre 191’i, Leide, liil.’t. L’opinion de M. liuikitt n été adoptée, et ingénieusement défendue, par M. Adolphe Har-XACK, Ver judische GeschicUtsschrfiber Josephus und Jésus

trois écrivains romains, Pline le Jfune, Tacite et Suétone (celui-ci, à deux reprises), font allusion au christianisme et à son fondateur La notice de Tacite : Auctor nominis eiiis Christiis Tiherio imperiiante per procnratovem Pontium Pilatnm supplicia adfectiis eral… (Annal., XV, xliv), renferme, dans son « impériale concision i, quatre indications capitales : elle rattache les chrétiens suppliciés à Rome sous Néron au Christ, et mentionne l’exécution de celui-ci, qu’elle date assez précisément par Tibère et Ponce-Pilate. Rédigée quelques années avant les Annales de Tacite, vers 112, la lettre de Pline le Jeune à Trajan joint, à la valeur d’une pièce incontestable, tout l’intérêt d’une impression directe, traduite par un magistrat qui est en même temps un lettré. N’ayant jamais auparavant eu l’occasion d’informer contre des chrétiens, le légat impérial de Bithynie s’est vu mis en demeure, par des dénonciations répétées, de faire une enquête en règle. Il y a procédé en conscience, à la romaine, jusqu’à l’emploi de la torture inclusivement, et les résultats de son enquête l’ont à la fois rassuré et inquiété. D’une part, les chrétiens sont nombreux dans la province, au point que les solennités des temples païens sont désertées. Les viandes offertes aux idoles ne trouvent quasi plus d’acheteurs. Faut-il poursuivre tout ce peui>le ? D’autre part, les crimes dont on charge habituellement les fidèles du Christ n’ont pas été, confirmés par l’enquête : engagements à ne pas faire le mal ; réunions matinales à jourfixe comportant uneprière.un cantique auClirist, invoqué comme Dieu : suliti slalo die ante liicem con’enire carmenque t’hristu quasi deo dicere : repas communs, mais innocents. En somme, rien de mauvais là-dedans que l’excès même de cette « superstition » : tel est le verdict de ce magistral expérimenté (Pline avait été préteur à Rome). De cette lettre, et du Rescrit de Trajan que la collection des Lettres de Pline nous a corseTé{F.pislulac, lib. X, n. xcvi).nous avons surtout à retenir ici le fait de l’adoration de Jésus par les n frères » de la Rithynie et du Pont, au début du w siècle.

10. — On le voit, ces renseignements d’origine païenne sont rares et peu explicites. Tels qu’ils sont, ils ont cependant, de parleur origine et leur netteté, une valeur considérable. On en trouvera partout la teneur intégrale, en particulier dans l’importante dissertation que vient de leur consacrer M. Li.nck’.

11. — Les documents d’origine juive, distincts des brèves allusions de Josèphe, n’ont en revanche aucun droit à figurer parmi les sources à consulter touchant la vie de Jésus. Tous les passages concernant le Christ dans la littérature rabbinique ancienne, réunis d’abord par Heinrich Laiblb^. ont été derechef publiés avec un soin et une conscience admirables par

Christus, dans Internatinnnle ilonatsrhrift. VII, 1913, p. 1037 sqq ; et par le Prof. V. E.merï Barnes, dans la Conieniporary Hefie^w janviei- 1914.

Sans vouloir prendre parti dans une note, je remarquerai cependant que l’iiypothèse de la non-authentiritr> est fondée exclusivement sur la critique interne et a contre elle toute la tradition manuscrite, tous les témoignages anciens. La conjecture d’un texte primitif interpolé par un chrétien n’est pas sans vraisemblance (voir en ce sens, après beaucoup d’autres. II. Kelder. Flavius Josephus und Jésus Christus, dans la Theologiscli-praktische Quartalschrift de Linz, 191’i, p, 608-G29), mais elle est également une pure conjecture.

). De antiquissimis veterum quæ ad Icsum Xazarenu/n sptctanl teslimoniis scripsitKvKT Linck. — Religionageschichtliche Versuche und Vorarbriten. edd. R. WuENScn undL. Deubner,.IV, 1, Giessen, 1913. 2. lesus Christus im Talmud, Berlin, 1891. M. R. Travers Herford[1]. C’est un ramas de fables odieuses où l’histoire n’a rien à prendre ; j’en tends l’histoire de Jésus, car nous avons là un exemple frappant de légende évoluant pour ainsi dire en vase clos, dans un milieu très spécial, formaliste et surveillé, où la haine pouvait surtout se donner carrière par oie d’allusions et de yloses. Commencée du vivant même du Maître, par les scribes jaloux qui attribuaient ses o’uvrcs au Malin (/l/c, iii, 22), le roman calomnieux grossit avec le temps. Saint Justin, vers le milieu du second siècle, accusait hautement les meneurs du peuple juif, princes des prêtres et rabbis, « de s’employer à faire bafouer et blasphémer (lar toute la terre le nom de Jésus’-'w.Kixés peu à peu dans les consultations rabbiniques recueillies par les Talmuds, les traits de la légende s’amplifient et s’achèvent en un écrit qui circulait sous diverses formes des le haut moyen âge (Agobard de Lyon, vers 830, en connaissait les lignes principales) sous le nom de : Générations de Jésus (Toledutli Jeschii). C’est, nous dit le savant protestant qui en a, le dernier, réuni les épisodes anciens, « une explosion de bas fanatisme, de sarcasme liaineux et de fantaisie grossière-’. » Pour faire étal de ces viles et d’ailleurs incohérentes inventions’, honte durable du Talniud, et qu’aucun érudit Israélite ne consent plus à utiliser, il a fallu l’impudente ignorance de quelques « Ihéosophes » contemporains, paimi lesquels Mrs. Annie IJesant tient le premier rang.

B. — Sources chrétiennes non canoniques.

12. — Les documents non canoniques d’origine chrétienne, s’ils ne méritent pas cette condamnation sommaire, n’ont guère plus d’importance pour l’histoire de Jésus. Leur intérêt est ailleurs, dans la lumière qu’ils projettent sur la façon dont l’imagination populaire se plut, selon les temps, à compléter et à « embellir » les évangiles canoniques. Il est encore dans l’interprétation qu’ils suggèrent de mainte représentation figurée de l’art médiéval. Mais les évangiles apocryphes proprement dits, ceux du moins r|ue nous possédons en entier, n’ajoutent aucun trait de quelque importance à ce que nous connaissons par ailleurs de la vie du Sauveur. Leur stérilité sur ce point ressort à l’évidence de la patiente mosaïque où M. Walter Baueh a groupé les renseignements recueillis par lui dans cette considérable littérature. Qu’il s’agisse des années d’enfance ou des jours de crise (on sait que les apocryphes s’espacent en particulier sur l’évangile de l’enfance et les dernières heures de la vie du Christ), la moisson, en ce qui concerne l’histoire, est sensiblement nulle. Insigniûants ou pittoresques, indécents (de cette naïve indécence où certains esprits grossiers voient une forme d’édification) ou simplement puérils, ces traits sont i

iformément romanesques. Ceux où


2. Dial. a<lf. Tryp/i., n. cxvii ; éd. G. Ari iiami’.ui.t, Paris, l’.lini, II. p. 20(1-202.

3..rnold.Mt yi : k, Jaus irn Talniud^ dans le Handbttcli tu dcn.V T. Apvl.ryphen de E. Henxeckk, TCibingcn, l’JU’i, p. 51.

4. La vie de Jésus est donnée par certains talmudistes comme contemporaine du règne d’Alcitindre.lanncc [104/8 avant J. -G.] : par d’autres, comme contemporaine de Rabbi Aqibn (vers 120apiès J.-C.) !

5. Emile Mali : , f.’art religieux en France au xni^ siècle^, Paris. 1910.

6. Das Leben Jesu im ZeitaHt-r der neutcstamentlichen Apokryphcn, Tllbingen, 1909.

l’anachronisme n’éclate pas, et qui ne se meuvent pas dans une lounle atmosphère de merveilleux populaire, ne s’ctayent à aucune tradition ancienne, distincte de la canonique.

13. — Ce jugement doit se nuancer de quelque indulgence quand on rapplique àcertains fragments très anciens : recueil des paroles du Seigneur ou récits suivis, dont on peut vraisemblablement reporter l’origine au seconil siècle, peut-être même, jiour quelques-uns, plus haut encore. Ni OniGiiNK, ni saint JiiROMEne dédaignaient ces glanes de la moisson canonique. Des érudits minutieux les ont recueillies dans les auvres de ces Pères et des aulres écrivains anciens. D’autre part, les sables de l’Egypte nous ont restitué de[(uis peu des fragments inliniment curieux. A côté des Ai^rnplia (maximes transmises oralement, non lîxées dans une « Ecriture » inspirée’) attribués à Jésus avec plus ou moins de vraisemblance, et dont l’un ou l’autre ne semble pas trop indigne du Maître, il faut noter surtout les recueils de dires (Logia) et les évangiles rédigés, semble-t-il, avant que la collection évangélique traditionnelle, le tctramorphe », eût acquis dans toutes les églises l’autorité exclusive et canonique qui lui fut reconnueà peu près partout durant le second quart du second siècle. Parmi ces écrits, dont aucun ne nous est intégralement parvenu, figurent l’Evangile dit des Uébreujc, celui des égyptiens, l’Es’angdede l’ierre, et, peut-être, certains morceaux retrouvés récemment et rédigés en langue copte. Une appréciation détaillée ne rentre pas dans le cadre de cet article-.

Il faut reconnaître du reste que ces faibles restes, tout précieux qu’ils soient pour la constitution du texte de nos évangiles et l’histoire des doctrines chrétiennes antiques, n’ofTrent guère à l’histoire de Jésus, avec quelques formules heureuses, que des raisons nouvelles de se fier aux documents canoniques. On peut y trouver encore l’occasion de nuancer ou de préciser certains jugements.

G. — Sources chrétiennes canoniques

14. — Les sources véridiques et pures sont donc à chercher presque exclusivement dans les documents chrétiens réunis habituellement sous le nom de Nouveau Teslnnicnt : évangiles canoniqtics. Actes des apôtres, épilres pauliniennes et catholiques. Apocalypse de S.Jean, — mais avanttout dans « PPIvangile unique, en quatre livres », selon la belle expression de S. Ai gustin’, que les anciens Pères grecs appelaient, pour cette raison, l’Evangile tétramorphe. Nous n’avons pas à établir l’autorité de ces

1. Sur le sens du mot, *[ui se trouve déjà dans S. (renée et Clément, voirUrli. lloi.zMEiSTrii, dans la Zeitschrift fiir hath. Théologie, d’innsbruck, XXWIII, 1914, p. 113 sqq.

2. Voir, dans ce Dictionnaire, les articles Apocryphes du i’ouceau Testament, vol. I, col. 17 : î-lS9 : M. Li’i’iN et F. Nau. — Parmi les collections modernes, une des plus commodes est celle d’Ed. Hinnicki, où ces divers fiaginents sont traduits littéralement en langue a lie m an de avec des introductions et une bibliographie considérables eu1cstai)ientlichc Apohryphcn, Tilbingen, 1904, p. 1-80

textes] ; Ilandbucli zu dcn NT. Apohryphen, p. 1-95 [commentaire ].)

3. Celle que fournît par exemple le célèbre agraphon que le Codex He/æ a inséré dans le texte de s. Luc. vi, 4 (reproduit en fac-simile dans le Dictionnaire de la Bible de Vic.oi’UOLX. I, apics col. ITCiS, pi. 1 1) ; Ce mcnie jour, voyant queli|u’un qui travaillait le jour du sal)bat, [Jésus] lui dit : « Homme, si tu sais ce que tu fais, bienlieureui es-tu, mais si tu ne le saî « pas, tu es maudit et transgresseur de la Loi.))

4. Tract, in loan., xxxvi, 1 ; P. /..,.XXXV, 10( ; 2.

1299

JESUS CHRIST

1300

écpils : adoptant les conclusions formulées ici même à la lin d’une investig’ation critique approfondie’, et d’ailleurs, dans leurs grandes lignes, de moins en moins contestées, nous attribuerons à ces écrits une valeur historique considérable, qu’il sullit de préciser brièvement.

15. — Les Epitres de saint Paul sonl d’une authenticité si criante qu’il est hors de propos de la faire ressortir une fois de plus. Seule, la seconde épître aux ïhessaloniciens, d’ailleurs à peu près indiiférente à notre étude actuelle, a été l’objet d’attaques récentes, méritant audience, sinon considération-. L’oriyine paulinienne des épîtres spirituelles ou, comme on dit quelquefois, « gnostiques » (Philippiens, Colossiens, Kphésiens) est, pour les deux premières surtout, généralement admise par les critiques libéraux. Ceux-là même qui la discutent reconnaissent à ces écrits une ancienneté et, par conséquent, une valeur de témoignage presque égale. On peut en dire autant des épîtres pastorales (à ïimotUée, à Tile) et de Vppitre aux llébreur. Quant aux grandes épîtres (Romains, I et II Corinthiens, Galates) qui seront employées à peu près exclusivement dans les pages suivantes, il n’est pas de documents d’histoire plus solidement établis, soit que l’on considère les attestations anciennes dont elles ont été l’objet, soit que l’on s’arrête à leur contenu. Les doutes soulevés à leur sujet par quelques enfants perdus de l’école hollandaise n’ont pas réussi à émouvoir même M. Salomon Reinach, et un exégète aussi radical que M. A JiiLiGHEii ne voit dans ces fantaisies qu’un accès, d’ailleurs inoffensif, de divtrium critique-’.

16. — Dans toutes les épîtres, eu elfet, depuis la première aux Thessaloniciens jusqu’aux Pastorales, se révèle ou, pour mieux dire, éclate une des plus fortes personnalités qui furent jamais. On peut l’alfirmer sans crainte d’être <léinenti par aucun de ceux qui se sont essayés à en traduire une page : nul homme n’écrivit comme cet liomme. Il y a certes des écrivains plus cori-ects ; il existe de plus beaux écrivains, de plus purs : jamais il n’y en eut de plus passionné, de plus original ni, même dans le sens purement littéraire du mot, de plus inspiré. Assurément, certains des points de vue de l’Apôtre se modifient avec le temps (avec les besoins concrets visés par ses lettres : il ne faut jamais oublier que ce sont surtout des écrits de circonstance). La pensée des fins dernières, qui domine les i)lus anciennes épîtres, cède ensuite la première place à une description de l’économie é-vangélique, aux doctrines concernant la personne du Christ, aux préoccupations morales ou pastorales. Le vocabulaire suit les mêmes vicissitudes. Mais les procédés, la dialectique, le besoin et l’art de faire passer dans les mots une extrême sensibilité et de les charger, pour ainsi dire, de passion, tout cela ne change pas. Mêmes longs développements, non pas tant diffus que touffus, coupés d’incidentes, alourdis d’accumulations, d’antithèses, d’énumérations, entraînés dans une [loussée qui arrive toujours à son terme et réduit à l’unité (pour qui les regarde d’assez haut) ces développements chevauchant, semblail-il, à l’aventure. Mots favoris, expressions qui paraissent, à un moment de

1. Voir fl.uis le Dictionnaire, l’urticlc subslaiiliel et coniplel deM. M. Lepin : , Evangiles canoniques, vol. I, col. 1598-17.’)Û, et, sur les Actes ries Apùlres, celui de M. IL Coi’i’iEFEns : Ap.iTRES [Actes des], vol. I, col. 2CI-273.

2. Voir la discussion vicloiieusc de G. Mii.mcan, S. Paul’s Epislles to llte T/iessalonians, Londori, l’.lOS, p. Lxxvi-xcii.

3. « Eine Krankheitscrcheinjin^ i), dans : Einleitung in das, euc Testament, Tilbingcn, l’JOfi, p. 20-21.

sa vie, s’imposer à l’Apôtre, et qu’il emplit de sens analogues et pourtant divers, qu’il nuance par le contexte et l’allure de sa phrase ; moules familiers où sa pensée bouillonnante fait irruption et coule, au risque de les élargir, de les déformer, de les faire éclater. Elévations, supplications, apostrophes, imprécations, toute la rhétorique de la passion, mais une rhétori((ue qui se moque des rhétoriques apprises et des procédés traditionnels’ : cris, appels et larmes, enthousiasme ou gémissements d’un homme qui aime, souffre, pleure, compatit, s’attendrit, s’indigne et s’exalte ; d’un homme que l’ingratitude glace et que le zèle dévore, qui se loue sans vanité, qui se plaint sans amertume, qui s’irrite sans petitesse — parce que, dans ce cœur plein de l’amour du Christ, tout est fondu, et transmué en l’or d’une ardente charité, comme, dans ces phrases insistantes, interrompues et infinies, tout est commandé, illuminé et transfiguré par l’idée maîtresse. Cet accent fait des épîtres de S. Paul un incomparable document d’histoire : l’on peut tenir pour négligeable l’homme, fùt-il érudit, qui douterait de l’authenticité de l’épître aux Galates, ou de la seconde aux Corinthiens.

17- — Nos év’angihs synoptiques, ainsi nommés du fait qu’on peut habituellement ranger sur trois colonnes parallèles, et embrasser d’un regard (.. synopse »), le triple récit d’un même fait, sont de beaucoup la plus importante source historique concernant la vie de Jésus.

Les évangiles « selon Matthieu, selon Marc, selon Lue » — et les Actes des apôtres, dont l’appréciation est liée à celle ([u’on porte sur le troisième évangile, qui est du même auteur et auquel il fait suite — sont des écrits de faible étendue, déterminée elle-même par la longueur approchée du vulumeii sur lequel les anciens multipliaient leurs manuscrits (de a.oooà 3.ooo stiques ou lignes). Le titre courant :

« évangile selon Matthieu » et non « de Matthieu ».

marque moins uneappartenance plus lâche par rapport à l’auteur que la nature même de l’ouvrage. On ne connaissait qu’uN seul évangile, celui de Jésus Christ ; l’ensemble des actes et des paroles du Mai-Ire constituait la bonne nouvelle. L’évangile selon Marc, c’est la version donnée par Marc de l’Evangile unique.

18. — Dans le court prologue qu’il a placé en tête de son ouvrage, S. Luc nous apprend que plusieurs s’étaient essayés avant lui à mettre par écrit l’Evangile de Jésus. Il serait un peu forcé d’entendre ce pluriel des seuls écrits de saint Matthieu et de saint Marc ; nous savons d’ailleurs que, dés une très haute antiquité, d’autres « évangiles » existaient. Avec un tact souverain, loué par les auteurs rationalistes les plus (dairvoyants, et dans lequel nous reconnaissons une assistance de l’Esprit Saint, la grande Eglise discerna, réunit et canonisa quatre de ces évangiles. Nos synoptiques sont les trois premiers : unis à l’évangile johannique et le précédant

1. On u essayé ce[>on(lant de minitret- l’innueTice, sur le ^tylc de I^aid, des procédés habituels dans l’école stoïcienne : K. Bui. T.MANN. Der Stil dcr panîinisclicn Prcdigt nnd die hîfniscit-stoischc Diatribe, Gocltinpeii. lUlO ; et depuis : H. BoEiiLu : , Die Geisteshtiltttr von Tarsus mit lîenlclisiciitii^ttni^ der pnutinisclten Scinifien, (îoeftingen, 1913. Mais la chose fùt-eile démouirée, et de très b-ins jut^es (entre autres Ferd. Puât, Théologie de saint Paul, II, Paris, I1M2, p. 477, noie ])en tloutenl. l’emploi de ces procédés scolaires, appris fconjecinre M. Hneblig) quand Paul était encore enfant à Tatsc, avant son départ pi^ur i’école do Gainaliel, n’itérait rien ; ^ la puissante originalité du style de l’Apôtre. Tant d’autres ont subi la même discipline et n’en ont rien tiré de pareil ! 1301

JÉSUS CHRIST

1202

dans les recueils, ils étaient en possession d’un respect et d’une conliance exclusive, dans toutes les églises chrétiennes, dès le troisième quart du second siècle.

19. — Nous savons assez peu de choses certaines sui" l’époque et les conditions de la mise par écrit de nos évangiles. Le premier l’ut, rapporte un témoin très ancien. Papias n’HiÉnvroLis, écrit d’abord en langue araméenne par l’apôtre Matthieu. Cet évangile araraéen nous a été conservé en substance dans l’évangile grec qui ouvre notre Nouveau Testament,

Le caractère hébraïque et biblique du livre apparaît au premier coup d’œil. Il débute par une généalogie, à la mode juive, et relfort principal de l’auteur va à montrer en Jésus de Nazareth le Messie promis par les Prophètes, dont les prédictions sont relevées avec une abonilance et un soin particuliers. D’autre part, Matthieu (le témoin cité plus haut l’avait déjà noté) a groupé d’une façon ordonnée, en discours considérables, les principaux enseignements du Maître sur un sujet particulier : la Loi et l’Evangile ; le lloyaume de Dieu ; les torts des Pharisiens ; les Uns dernières…

50. — Dans l’auteur du second évangile, le plus court de beaucoup’, toute l’antiquité chrétienne a vu un disciple de la première heure, Jean, portant le nom romain de Marc, interprète de rai)ôtre saint Pierre. Le livre, destiné aux Gentils, aux Koniains, à la dilt’érence du premier évangile qui visait les Juifs, est écrit dans un grec assez rude, plein de mots populaires, et avec une vivacité singulière. Nous possédons en lui un recueil de notations et d’impressions qu’on dirait parfois — si l’anachronisme n’était trop llagrant — cinématographiques. C’est à ce caractère, joint à l’absence presquecomplètede développements doctrinaux, qu’il faut sans doute attribuer en partie la faveur spéciale dont cet évangile jouit auprès de nos contemporains non-croyants. Les croyants peuvent, sans la porter jusqu’à l’exclusivisme, partager cette sympathie. En lisant saint Marc, on croit parfois apercevoir le Maître, saisi dans une photographie directe, et sans retouches. On croit l’entendre.

51. — Beaucoup plus châtié dans son style, plus large d’allures, délibérément ramené par son auteur aux règles d’une histoire exacte, ordonnée et complète, le troisième évangile est sans doute le plus touchant écrit qui soit tombé de la plume d’aucun homme. Composée par un disciple instruit, Grec de race et de langue, médecin, compagnon de saint Paul (il insère dans le récit des Actes des fragments d’un journal personnel où, parlant de saint Paul et de ses amis, il dit : nous), cette noble histoire se déroule avec sérénité : la face miséricordieuse, viniversaliste et, pour reprendre un motdesaint Paul, philantltropique, de l’Evangile de Jésus, luit et resplendit dans le récit de saint Luc. Les nouveaux chrétiens des églises méditerranéennes, venus de tous les points de l’horizon des âmes, d’Israël, d’Hellas ou de Rome, ne pouvaient tomber, pour comprendre le Seigneur Jésus et l’aimer, sur un meilleur interprète.

22. — Il faudrait un long discours pour essayer de dater avec quelque précision nos documents :

1. G74 versets contre les 1068 du premier, les 1149 d » troisième évungile. Celte division en versets est, on le sait, relativement modertte, mais elle donne ici une idée approximative juste. M. Kexdel Hakkis. Stichometri/. London, 1893, p. 3*, * sqfj., donne, d après les manuscrits des érangiles, les nombres de «  « tiques » ou lignes suivants : Matthieu, 2.560 ;.Marc, l.GKJ ; Luc, ï.7.")9 ; [Jean, -’.02’i]. Sur tout ce ciMé matériel, détails précis et copieux dans K. Jacquier, Le.V. T. dans l’Eglise clirétienne, , Paris, lU13, p. 9-76.

cette étude appartient d’ailleurs au problème littéraire. Aucun critiqne sérieux n’ose plus retarder la rédaction des synoptiques au delà de la Un du i" siècle ; M. LoisY fait remonter le second évangile « aux environs de l’an 70 », et assigne les deux autres, sauf retouches possibles, aux dernières années du i<" siècle. Il admet d’ailleurs l’existence, pour ceux-ci et même pour Marc, de documents écrits antérieurs’. Qu’un exégète aussi radical s’en tienne là, c’est une marque du progrès décisif de la critique en cette matière. On est obligé de reconnaître que le second évangile, et ce qui constitue la substance et le fonds des autres, remonte, comme document écrit, à la génération des premiers apôtres, aux contemporains de Pierre et de Paul, à des témoins dont beaucoup ont pu cjnnaitre personnellement le Seigneur Jésus. Pour expliquer le pullulement et l’acceptation progressive des développements mythiques qu’il prétendait trouver dans nos évangiles, David Frédéric Stuauss s’était donné du large : sous la pression des faits, la critique rationaliste a dû reculer pied à pied vers les dates traditionnelles. Sa retraite est instructive, et l’a ramenée, avec M. IIarnack et son école, sur les points essentiels, à ce que les savants catholiques croient pouvoir allîrmer avec sécurité.

23. — Deux indices ont surtout contribué à guider et à former l’opinion sur ce sujet. Le monde juif de Jérusalem s’est abîmé d’un bloc, en ; o, dans un désastre sans lendemain ; or c’est ce monde que décrivent avec la dernière exactitude, bien plus, c’est lui que supposent encore exisitint, florissant et redoutable, nos évangiles synoptiques. — D’au ti’e pari, les épîtres de saint Paul, écrites depuis l’an 50 environ, nous font connaître en détail et nous présentent comme communes dans les églises apostoliques, des doctrines en étroit accord sur le fond, mais beaucoup plus développées et plus explicitement formulées que celles qui sont consignées dans nos synopti ([ues.Detelsfaits(on nepeulque les indiquericid’un trait rapide et sec), conUrmés d’ailleurs par maint indice concordant, nous amènent à voir dans les trois premiers évangiles, des documents contemporains de la première génération apostolique. Cette constatation importe infiniment à leur valeur d’histoire, qu’il faut maintenant essayer de préciser.

Parmi les récits qui prétendent faire revivre les événements du passé, on peut discerner en effet bien des degrés d’historicité.

24. — Au plus bas degré, nous trouvons des amplilicalions légendaires, rédigées longtemps après les faits qui leur servent de thème. Quelques souvenirs traditionnels, rappelés ou supposés par ces récits, ne permettent pas de les mettre au nombre des documents hislori<|ues proprement dits. C’est dans cette catégorie que les indianistes rangent, d’un commun accord, la biographie du Bouddha telle que la présentent les sources du Nord, et en particulier le Lalita-Vistara. Les narrations de Tite Live intéressant les origines romaines, et nos évangiles apocryphes du iv" siècle (tels que V Histoire de Joseph le charpentier, ï’Ei’an^ile de Thomas, etc.) nous offrent d’autres exemples. Encore faut-il observer que l’inlluence des évangiles canoniques a conservé, dans une mesure appréciable, à ces dernières productions, quelque apparence d’histoire-.

23. — Un peu plus haut se classent les ampliUcations libres autour d’un noyau historique, reçu par tradition. Des traits postérieurs, imaginés de toute pièce ou résultant d’embellissements successifs,

1. Les Ei’angiles synoptiquts, CefTonds, 1907, l. p. 82.

2. W. Balf.k, Das Lcben Jesuim Zeitaller der.V. T. Apo kryplien, p. 487 sqq. altèrent trop profondément les récits primitifs pour qu’on puisse utiliser les pièces sans de grandes et minutieuses précautions. Tels se présentent à nous un bon nombre d’Actes des martyrs, comme ceux de sainte Agathe[2] ; tels plusieurs évangiles apocryphes du IIIe siècle, ou encore les Fioretti de saint François d’Assise.

Nous mettons le pied sur un terrain plus ferme avec les narrations fondées en majeure partie sur des écrits ou traditions dignes de foi. Mais, nonobstant la sincérité de l’écrivain, des légendes assez nombreuses se sont glissées parmi les traits authentiques ; par suite de l’éloignement dans le temps ou l’espace, la couleur du récit est surtout l’œuvre du narrateur ; les événements anciens ou lointains sont interprétés à la lumière de l’époque et du milieu où se meut l’historien. De là une « idéalisation », qui comporte d’ailleurs bien des degrés. Les Histoires d’Hérodote, la Germanie de Tacite, les derniers livres de l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, et bon nombre de lies anciennes des saints offrent des spécimens notables de ce genre de documents.

26. — Au-dessus de ces sources, d’une valeur historique incontestable, mais fort délicates à utiliser par suite de la prévention générale qui pèse sur de nombreuses parties du récit, voici enfin des écrits dus intégralement à des témoins oculaires — que le témoin soit le narrateur en personne, ou que celui-ci emploie des traditions et documents de première main. Recueillis dans un but d’enseignement, d’édification, ou d’information désintéressée, ces récits ont été mis par écrit avec un souci réel de la vérité historique. et à une époque très proche des faits relatés. Ils gardent la couleur du temps, des mœurs, des institutions, des habitudes de langage propres à cette époque. Ils contiennent parfois (et c’est un indice précieux) des traits difficiles, inattendus, contraires en apparence au but général du narrateur, mais qu’imposait à celui-ci l’état de ses souvenirs ou de ses sources. Il en va ainsi par exemple pour une partie des œuvres de Flavius Josèphe, pour les Histoires de Tacite, pour les Actes des saintes Perpétue et Félicité, ou ceux des martyrs de Lyon, la Vie de S. Cyprien par le clerc Pontius. Plus près de nous, les Vies de saint François d’Assise par Thomas de Celano, de S. Thomas d’Aquin par Guillaume de Tocco, les récits de Joinville sur saint Louis.

Parfois l’historien donne à son œuvre un caractère décidément professionnel et, comme on dit de nos jours, « scientifique ». Il énumère et discute ses sources. De ce genre d’ouvrages, fort exceptionnel aux temps antiques, on a un spécimen approché dans la fameuse histoire de Thucydide sur la Guerre du Péloponnèse ; les écrits de saint Luc sont ceux qui s’en rapprochent le plus parmi nos livres canoniques. Mais l’auteur n’a pas, le plus souvent, de ces scrupules de méthode, et raconte simplement ce qu’il a vu ou retenu. Les actes et paroles qu’il rapporte gardent — en dépit de la liberté de sa rédaction, de l’absence habituelle de références, des nuances que son caractère, ses habitudes d’écrivain.ses préoccupations doctrinales impriment au récit — une couleur et un relief tout à fait rassurants.

27. — C’est dans ce genre qu’il faut ranger nos évangiles synoptiques et les Actes des apôtres. Aux raisons de le faire qui ressortent des détails rappelés plus haut, sur l’époque de composition de nos livres, la continuité des traditions qui les garantissent, l’état des institutions, mœurs et coutumes qui y sont décrites, la comparaison des doctrines qui y sont enseignées avec celle des églises évangélisées par saint Paul, la beauté surprenante et l’originalité du portrait de Jésus qu’ils nous livrent — s’ajoute un indice dont bien peu de documents anciens offrent l’équivalent. Traitant du même sujet dans des vues analogues, mais différentes, œuvre d’écrivains très divers de tempérament et de tendance, les évangiles synoptiques ne portent pas trace d’une harmonisation postérieure détaillée. Leur comparaison approfondie révèle des divergences menues mais extrêmement nombreuses, et parfois très notables, qui çà et là n’offrent aux « concordes » que des solutions probables[3]. C’est là une marque inestimable de leur indépendance, et une contre-épreuve très appréciable de leur accord sur la substance des faits.

28. — Les critiques les plus judicieux, catholiques, anglicans et protestants conservateurs, sont d’accord avec nous là-dessus. Mais il y a plus. Bien que l’immense majorité des critiques rationalistes adjuge nos documents au genre décrit à l’avant-dernière place, ils ne font pas difficulté de leur reconnaître une historicité substantielle qui les y classe au tout premier rang, F. Ch. Baur allait déjà plus loin en ce sens que D. F. Strauss. Renan avoue que « l’évangile de Marc est moins une légende qu’une biographie écrite avec crédulité ; … tout est pris sur le vif ; on sent qu’on est en présence de souvenirs[4] ».

Depuis, les critiques libéraux ont avancé dans cette voie. L’un des plus autorisés, M. A. Julicher, après avoir remarqué justement que les récits des Synoptiques nous laissent beaucoup à désirer, par suite de leurs lacunes, ajoute : « Ce qu’ils savent et racontent est un mélange de poésie et de vérité[5]. » D’après lui, les paroles de Jésus seraient souvent rapportées à peu près, nuancées à la couleur de l’esprit des narrateurs ; et, de même, un bon nombre de détails seraient exagérés, inexacts ou simplement légendaires. En conséquence, il exige qu’on tienne compte, dans l’appréciation d’un fait ou d’une parole, de la place occupée par ce fait ou cette parole dans les « sources » de notre tradition synoptique actuelle. Il n’en maintient pas moins dans l’ensemble la haute supériorité de cette tradition sur toutes les autres (supériorité que les récentes et radicales études de J. Wellhausen auraient rendue plus éclatante que jamais)[6]. Il loue le « grand tact de l’Eglise » qui a choisi, parmi les évangiles écrits, les meilleurs et même les seuls bons[7]. Il formule ainsi son jugement d’ensemble :

« Les évangiles synoptiques sont d’une valeur inestimable, non seulement comme livres d’édification religieuse, mais comme sources de l’histoire de Jésus, Si grande qu’il faille faire la part de l’incertain dans leurs notations de détail, l’image du Prédicateur de l’Evangile qu’ils laissent au lecteur est, dans l’ensemble, une image fidèle. Brandt ne dit rien de faux, mais il ne dit pas assez, quand il nomme l’image du Christ synoptique la plus haute floraison de la poésie religieuse. Le service particulier des Synoptiques gît en ce que, nonobstant toutes les touches « poétiques », ils ont non pas repeint un Christ pour l’histoire, mais légué le Christ à l’histoire[8]. »

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M. LoisY ne dit pas moins, s’il ne dil pas plus (quille à reprendre en délail, pour les besoins de sa cause, ce iju’il accorde en gros) :

« Le Christ sytioplifpie est un homme de chair et d’os,

qui truite avec les hommes comme l’un d’entre eux, nonobstant la conscience qu’il a de sa haute mission, ou peut-être à cause de cette conscience ; il parle et agit en homme ; il s’assied à la table du piiarisien et à celle du publicain, il se laisse toucher par la pécheresse, il converse familièrement avec ses disciples ; il est tenté par le démon, il s’afflige dans le jardin de Gethséuïnni ; il fait des miracles par pitié, les cachant plutôt qu’il n’en tire jtarti pour autoriser sa mission ; il est caluie et digne devant ses juges, mais il se laisse battre et injurier ; le cri qu’il pousse avant de mourir est un cri de détresse et d’agonie ; si l’on sent partout dans ses discours, dans ses actes, dans ses douleni-s, je ne sais quoi de divin qui l’élève au-dessus de l’humanité commune, même la meilleure, il n’est pas moins vrai que tout ce qu’il fuît, tout ce qu’il dit est profondément humain, tout pénétré d’actualité huluaine, s’il est permis de s’exprimer ainsi, et, malgré la puissante nouveauté qui est au fond, dans une correspondance éti’oite et naturelle avec le temps et le milieu où il a vécu ; Jésus vivant traite avec des hommes vivants ; le monde que l’on voit s’agiter autour de lui est un monde réel, les personnages qui s’y dessinent ont le relief de leur existence et de leur caractère individuels ; la vie est partout et avec elle la vérité de la représentation historique’. »

29. — A ces appréciations, qu’il serait inutile de multiplier’-, ajoutons seulement celle del’exégèle le 1) lus en vue du protestantisme libéral, M. Adolphe Har-NACK. Il s’est trouvé ramené par ses patients travaux au sentiment de toute l’antiquité chrétienne. Luc le médecin, disciple et compagnon de S. Paul. a a fort bien pu écrire les Actes durant les années qui ont suivi immédiatement 60, avant la fin de la captivité de l’Apotre à Rome ». Et comme le troisième évangile a précédé les Actes, M. llarnack conclut : « Le grand ouvrage en deux livres [évangile et Actes] a été composé pendant que Paul vivait encore. » Le même critique, admettant la dépendance du troisième évangile vis-à-vis du second, il s’ensuit que l’œuvre de Marc, interprète de Pierre, serait antérieure à l’an 60 : trente ans ne s’étaient pas écoulés depuis la mort du Christ. Enfin, toujours d’après M. Harnack, notre premier évangile, sous sa forme grecque, a pu précéder la ruine de Jérusalem ( ; 0)’.

30. — Ces résultats, qui rejoignent ceux que les historiens catlioliques n’ont pas cessé de défendre, nous rassureraient, s’il en était besoin, sur la valeur historique d’ouvrages écrits par des liommes appartenant à la première génération chrétienne, en un temps et sous des influences qui garantissent égale 1. f.r quatrième Ernngile, Pari-i, 1903, p. 72.

2. « Les Synoptiques ont encore conservé (écrivait naguère un des spécialistes de l’exégèse protestante de gauche) d’une façon tout à fait remarquable le décor dans lequel se joua la vie de Jésus. Nous ti-ouvons chez eux une image tout à fait distincte tie la vie et de l’activité du peuple juif au temps de Jésus. Nous voyons réellement devant nous chacune des parties qur composaient ce peuple : la foule galiléenne de pèclieurs, de paysans et d’artisans ; la secte dévote des pharisiens. En face d’eux, le clan méprisé des « pi’agers et des péclieurs », l’aristocratie sadducéenne, La condition des scribes, des prêtres, le grand-prêtre et ses collègues du Conseil (Synednon), les courtisans de la cour d’IIérode, tout cela se dresse devant nos yeuxavec une exactitude frappante. » VV. Boisset, dans Die Re ! i :  ; ion in Gi-schichU und Ce^^enitart, Tiibingen, vol. IM, 1912, col. G ;  ; 2.

3. Adolf Harnack. IVtue Vnttrsuchungen zur Aposlelgesvhichte und zur Abfnstungszeit der synopt. Enangelien, Leipzig, 191 1 : c^icr 4 de » Hritroege zur Eiiilciiung in das Ktue 7°c » (amcH(, T, eipzig, 1912.

ment contre la possibilité d’erreurs graves. Nous revendiquons de plus, pour nos évangiles, celle présomption d’honnêteté et de bonne information <iui exige, avant l’exclusion d’une parole ou d’un trait, des raisons sérieuses d’histoire ou de crilique. La méthode contraire, selon laquelle un Irait ou une parole devrait, avant d’être admis, faire sa preuve directe d’authenticité, a été justement aiqiréciée par un exégèle protestant d’esprit libre, M. Henri Mon-NIKR :

« Aucun texte, d’aucune littérature que ce soit,

ne subsisterait, s’il était soumis à pareille épreuve critique. Il n’est que juste de revendiquer, pour les textes de nos Evangiles, le privilège du droit commun. Nul passage ne devrait être tenu pour inau-Ihentique a priori. Un accusé n’est tenu pour coupable que si sa culpabilité est démontrée. Pour qu’un texte soit écarté, il faut qu’il soit convaincu d’inauthenlicilé, c’est-à-dire qu’il y ait incompatibilité, soit de style, soit de pensée, entre ce texte et les documents authentiques avec lesquels on le confronte’. »

31. — Aussi bien nos adversaires, protestants libéraux et rationalistes, difl’èrent d’avec nous beaucoup plus sur l’interprétation des documents que sur leur authenticité. Ce sont des raisons a priori, de philosophie générale ^ (on ne saurait le dire assez tôt ni assez haut) qui motivenlsurtouldes exclusions, des simplifications, des découpages, où la critique des textes n’intervient que pour motiver des arrêts rendus antérieurement à son emploi. Un exemple notable de cette tendance nous est fourni par la critique récente des paraboles évangéliques. Pour M. Jui.iciiEu (suivi et complété en cela par M. Alfred Loisv) Jésus, prédicateur populaire et miséricordieux, n’a pu employer ce genre littéraire que dans la mesure où il éclaire et facilite l’intelligence d’un sujet. Donc en paraboles, en fables ; non en allégories, genre littéraire plus savant, exigeant de l’auditeur un effort plus grand. Pour la même raison, Jésus n’aurait pu mêler, aux comparaisons très simples, aux petites fables que senties paraboles, aucun Irait allégorique. Il n’a pu employer la parabole qu’à l’élat pur. Tous les traits allégorisants des paraboles, lellès que nous les lisons dans nos évangiles, sont donc secondaires, inauthentiques, interpolés ; et la critique du texte est là pour dénoncer et disqualifier les traits condamnés d’avance, au nom d’un simplisme littéraire el théologique à peine croyable ! Libres de ces préjugés d’école et des étroitesses rationalistes, nous userons des évangiles synoptiques comme de sources historiques non pas divinement inspirées — ce serait sortir des conditions de notre enquête — mais sérieuses, généralement pures et dignes de foi. Sans nous engager dans les finesses du problème sjmoplique et les hypothèses touchant les sources évangéliques, nous nous appuierons de préférence sur les textes qu’une double ou une triple tradition noiis garantit. Enfin nous indiquerons l’état de la question critique louchant les passages plus contestés par nos adversaires.

1. La Mission historique de Jt’sus^, Paris, 1914, p. xxviii.

2. Parfois aussi des préjugés philologiques. Ou en verra plus bas des exemples. Les pi-incipes erronés de F.. W’oi-i, qui ont dominé trop longtemps ta philologie classique, s’écroulent visiblement sous nos yeux : aucun savant ne soutient plus l’inauthenticité des Dialogues de Platon ou des Discours de Cicéron, longtemps suspectés sous couleur de « différences de st le ». Comme si le même écrivain ne pouvait ni varier, ni changer, ni s’enrichir, ni s’appauvrir ! On peut voir les faits relevés par L. Lavra>"d, Progrès et Recul de la Crilique, Paris, 1913. Or, ce sont justement les procédés wolfiens que maint critique libéral applique de confiance aux évangiles.

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33. — Les écrit s allribucsà Jean, frère de Jacques et fils de Zébédée, depuis la plus baule antiquité cbrctienne, ont donné occasion naguère à des discussions retentissantes. Il est impossible d’entrer ici dans un détail qui serait inlîni’.Nous pouvons d’ailleurs négliger dans cet article l’apocaljpse et les j)elites(li’et III’) épîtres jolianniques. La première (le ces épîtres, dont « la parenté avec I évangile, nonobstant l’extrême dillérence de forme entre les deux écrits, est frappante^ », nous intéresse surtout par le caractère de témoin immédiat du Clirist revendiqué par l’auteur dès les premiers versets. La similitude de style, dépensées, d’expressions, nous assure d’ailleurs que les deux ouvrages sont du même écrivain et que l’épître est plus encore que l’aurore et

« le Pérugin du Rapbaél jobannique », selon la jolie

mais un peu précieuse expression de H. J. Holtz MANN 3.

33. — L’évangile lui-même se distingue profondément des écrits synoptiques. D’abord, par ce qu’il n’est pas, et par ce qu’il ne dit pas. L’enfance du Cbrist, le récit de la tentation, la plus grande part du ministère galiléen, y compris les enseignements, la transtiguration et les miracles, sont omis dans notre quatrième évangile. Plus encore ])ourtant que ces lacunes énormes, ce sont des traits positifs qui mettent le livre à côté et (dans un certain sens que délinissait saint Augustin) au-dessus des autres évangiles. La tradition la plus authentique a bien distingué ces traits. L’ouvrage est, d’après cette tradition, un évangile spirituel, une description et interprétation par l’intime de la personne et de la doctrine du Maître. A la différence des Synoptiques, qui s’attachent surtout au « corporel », aux faits visibles, aux enseignements littéraux, Jean s’attache à « l’esprit ». Le sens profond des faits le retient plus que leur matérialité.

34.— Non certes qu’il néglige ou fasse peu de cas de celle-ci 1 Le croire est une des erreiirs qui ont le plus vicié l’énorme commentaire de M. Loisy sur le qudli-ii’ine Evangile (igoS). Bien au contraire ; et .lean avirait reconnu pour siennes ces paroles du l)lus pénétrant, du plus « jobannique » de ses commentateurs, saint Augustin : « Avant tout, mes Frères, nous vous avertissons de toutes nos forces et nous vous ordonnons, quand vous entendez exposer le sens profond des faits narrés dans l’Ecriture, de croire d’abnrd que ce qu’on vous lit s’est passé de la façon que le rapporte ce qu’on yous lit, de [)eur que, faute du fondement du fait accompli, vous ne cherchiez à édifier en l’air, pour ainsi parler. » (.Sermo ii, n. 7. P. /.., XXXVIII, 30.) Comme personne n’a insisté avec plus de force, et j’allais dire de crudité, sur la chair » du Christ, que ce grand champion de 1’<i esprit » ; tout de même la réalité des faits allégués est pour Jean le fondement indisjiensable des liants enseignements qu’il propose. Dans les morceaux, souvent considérables, où son choix s’est porté sur des épisodes racontés déjà par les Synoptiques, il ne leur cède ni en couleur, ni en détails vivants. Mais, là comme ailleurs, c’est la portée religieuse et le retentissement spirituel des gestes et des paroles du Seigneiir qui importent à Jean ; non la plénitude historique, à laquelle il déclare explicitement (Vo., XX, 30) renoncer. Sa tâche est de dégager, des ombres et pour ainsi parler des langes de la conversation

1..l’aime à renvo.yer sur ce point aux écrits considérahles de M. M. Lepin, Vorî^inc du tjuatrièwe étfangilc^, Paris, l’.MO ; l, a râleur historique du quatrii-nie évangile, 2 vol., Pnris, l’.llO.

2. A. Jiii.icHEB, Einteitungi^, p. 213.

t. Einleitung in das Neue Testament-^, Freiburg i. lî., 1892, p.’169.

humaine de Jésus, la révélation lumineuse, le sens intérieur, l’interprétation « en esprit et en vérité ». Son évangile est une épiphanie du Verbe incarné, non un tableau complet et minutieux de l’activité extérieure du Maître. De là ce caractère fragmentaire, cette absence habituelle de transitions, ces lacunes déconcertantes, ce choix, parmi les miracles, d’un unique fait, typique et majeur, propre à sj’uiboliser l’une des faces de l’œuvre du (Hirist. De là encore ce mélange presque constant de réflexions et de gloses, cette langue abstraite, ces divisions ternaires, cette monotonie des procédés littéraires, cette sorte de fusion de l’auteur avec son modèle, qui rend très, malaisé, et parfois incertain, le départ entre les paroles de celui-ci et les réflexions de celui-là’.

33. — Avec cela, malgré cela (et c’est ici que fait naufrage la trop ingénieuse sagesse des exégètes libéraux), l’évangéliste n’est pas un épigone, un visionnaire tard venu, tournant en symboles et organisant à loisir, dans une synthèse préconçue, des données traditionnelles reçues d’ailleurs. Il est encore, il est d’abord un témoin, le témoin. Ces données, qu’il connaît et emploie, il les domine, il les juge, il y ajoute. II raconte ce qu’il a « vu de ses yeux, entendu de ses oreilles, touché de ses mains » (I }o., I, 1). Il sait et il dit que « son témoignage est véritable » (./o., xix, 35). Son indépendance se fonde^ sur des souvenirs de première main, souvent incom- : pris sur le coup (il le note à mainte reprise : Jo., 11, 21-22 ; VII, Sg ; XII, 33, etc.), mais qu’une vie d’ardente méditation a fécondés, illuminés, interprétés. Encore qu’il ait conçu son œuvre à loisir, et qu’il l’ait coulée dans les grandes catégories de vie, de lumière, de vérité, oii se résume toute la religion en esprit, Jean n’a rien d’un auteur compassé, et l’adorable matière ne s’appauvrit pas entre ses mains, ne se fige pas en froids symboles, en schèmes et abstractions lointaines. Le vieil apôtre, qui a tant appris depuis les jours où il conversait avec Jésus, n’a rien oublié. La dileclion spéciale de Jésus alluma dans ce cœur d’homme une inextinguible flamme. Aussi Jean n’a pas tracé de son Maître une efPigie illisible : le Christ en gloire qu’il nous présente n’est aucunement un être irréel, surhumain, un (I théorème théologique gardant à peine les apparences de l’histoire » ^.

36. — L’histoire, Jean n’a pas besoin qu’on la lui

1. Voir J. Lebut-Ton, Les Origines du Dogme de la Trinité, Paris, 1910, p. 374 sqq.

2. Est-il rien de ]iliis précieux, par exemple, que les récits johainiiques concei-nant l’activité de Jésus à Jérusalem, pour expliqtier et juslifier cette parole dos Synoptiques (appartenant incontentablement ù la « Collection des dires » désignée par les exégètes libér-aux par la première lettre du mot allemand Quelle, et, d’après eux, la plus solide partie de notre inlormation historique sur le Christ) ; u Jérusalem,.lérusalem, combien souvent j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule fait ses poussins sous ses ailes, et tu n’as pas voulu ? » (t/i., xxiii,

: 17 ; Lc, xiii, 2’i.) Le i|uutrième évangile xeul ]>erræt de

donner à cette parole sa valeur. Mais, comme le fait très bien remarquer Briediich Loors, le parti pris anti-jolianni (]ue des criliques libéraux les aveugle. « Il est cM’ident, ajoiite-t-il. qu’une conception purement humaine de Jésus force ceux fpii en sont les tenants à déclarei" que le quatrième évangile n’est pas l’œuvre de Jean, et, do plus, qu’il n’est pas digne de foi. Mais par cela même cette conception se prouve, du vrai point de vue de l’iiistoîre, incapable’le faire pleine jiistice aux sources. » Whnt is ilie Truthahout Jésus Christ ? Edinhurgh, 1913, p. 100. — Cet opuscule n’a ])aru jusqu’ici tpi’en langue anglaise, nviis M. F. I^ooFsesl, on le sait, un protestant allemand, professeur d’histoire de l’Eglise à l’I’nivorsité de lIalle-Vittcnlierg.

3. AU. Loisy, Le quatrième Eeùngile, p. 73.

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rappelle 1 II la sait et il le montre. Sa « correction géographique et liistorifiue » est reconnue par les critiques les plus ombrageux’. Dans aucun autre écrit cbrétien la dialectique agressive des Pharisiens, telle que nous la connaissons par ailleurs, avec ses procédés et ses formulaires, n’est mise en meilleure lumière ; dans aucun, les données archéologiques ne sont plus sûres, la cohérence des caractères plus ferme-. Bien servi par son goût littéraire, Rf.man ne s’y était pas trompé : nous sommes ici à mille lieues des constructions laborieuses dont la littérature symbolique ancienne nous a laissé des spécimens divers. Dire que u le (christ johannique est une sorte d’allégorie vivante i>’est une gageure et, pour la soutenir, il n’est violence, mutilation et invraisemblance qu’on épargne aux textes.

37. — Les exégèles radicaux non prévenus sur ce point, et d’abord celui auquel M. Loisy doit sans doute le plus, Henri Jules Holtzmann’, ont fait meilleure justice.

« Ce que nous lisons dans [l’épître aux] Hébreux, v, 7, des

n jours de sa chair », durant lesquels [.lésas] devait vivre une vie d’homme, avoir des sentiments humains, vaut pleinement du Verbe incarné de Jean. Il a faim : iv, 8, 31 ; il a soif : iv, 7. y ; il est fatigué de la route : iv, <>. Son âme humaine ne s’abîme jnmais dans la mer de la conception du Verbe. Bien plus, ce n’est pas seulement la surface de cette mer qui est légèrement agitée par les tempêtes et les mouvements sensibles de son cœur : xi, 3^, 38 :

— mais il en vient jusqu’aux larntes : xi, 35 ; jusqu’à une angoisse qui l’étonné lui-même en face de la mort ; xii, 27. C-i (jii’on a fait valoir contre cet argunient se réduit à passer par dessus ù la h/ite. Mêu, e dans ses résolutinns fie Chiist johannique| peut hésiter et plier : mi, S, 10 ; il doit interroger ; xi, 34 : écouter : ii, 35, ii, 6 ; et demander des renseignements : iviii, 34. Sa vie mentale est humaine, sa pensée se meut dans la suite logique du Middot rahbînique, du semblable au semblable : iii, 0 ; de haut en bas : viii, 4fi ; du petit au grand : vii, 24. Mais dans cet édifice logique habite une âme, un cœur ouvert à la sympathie : xi, 5 ; et aux affections électives ; xiii, ’S-i. Sa mère et le disciple aimé éprouvent jusque sous le croix sa compassion, sa sollicitude et son amour : xix, 26, 27. »

L’un des plus libres exégètes de l’école anglaise contemporaine dit de son côté :

« Bien que le quatrième évângéliste ne soit pas nn chronif

(ucur. bien que son Christ soit le Logos, ie Verbe de Dieu, dont la connaissance est la vie éternelle, Jean tient néanmoins fermement et constamment que ce Christ a été manifesté dans le temps comme un être humain, un homme réel, de chair et de sanii’, qui sentit réellement comme nous sentons et, par-dessus tout, qui souffrit réellement et mourut réellement, avant qu il ressuscitât d’entre les morts… Dans aucun document chrétien ancien l’humanité réelle de Jésus n’est mise autant en relief que dans le quatrième évangile. Que Jésus ait été un homme réel, c’est une inférence immédiate de la narration synoptique, mais dans le qualrîème évangile, c’est un dogme. C’est le qualiièiue évangile qui nous dit que Jésus était fatigué et demanda de l’eau ti boire’Jo., iv, 6, 7), et qu’il pleura sur la tombe de Lazare [xi, 35>. Si nous demandons une preuve de la réalité des souffrances de Jésus

1. P. W. ScHMiiDFL, dans’Enc ; /<Iopædia Bihlica de T. K. CiiETNE. ii, col. 2.542, s. v. John, son of Zebedce. Il est intéressant d’observer que le temps qui sépare des événements la rédaction de notre évangile, est à peu près ^ le même que celui qui s’écoula entre la première ci’oisade de S. Louis (1248) et le moment où le sire de Joinville la mit par écrit d’une façon si vivante (vers 1305-1314).

2 J. B. LiGUTiooT, BiA/icrt/i’jsay », London, 1893, Essay 11, p. 85 sqq. ; W. Sand.*v, The Crilicism of the fourth Gospel. Oxford, 1905, p. 128 sqq., 134 sqq.

3. LoiST, Ibid. p. 85.

4. H. J. HoLTZMANN, Lchrbuch der Aeuieslamenllichcn Thtologie, Kreiburg i, B., 1897, II, p, 414,

sur la croix, la réponse est prête dans le quatrième évangile, qui nous déclare que Jésus dit : a J’ai soif ! >* (xix, 28). Ce n’était pas un fantôme i. »

38. — Ce double caractère d’évangile spirituel et de témoignage per.sonnel, indépendant, autorisé, nous dictait l’usage à faire du quatrième évangile. Ne pas l’employer serait mutiler, appauvrir, dessécher notre exposition ; le juxtaposer simplement et dans tous les cas aux Synoptiques, le traiter sur le même pied et d’après la même méthode, serait méconnaître les profondes dilTérenees que la tradition chrétienne et l’examen de l’ouvrage nous inclinent également à considérer comme véritables. Restait de chercher, dans l’évangile johannique, un supplément ou un complément (parfois très appréciable) d’information. Restait de le dresser au second plan et, pour ainsi dire, en profondeur, d’y trouver les inspirations, les suggestions, les lignes d’interprétation qu’on peut attendre d’un écrit où un disciple, un ami personnel du Maître a livré sa pensée définitive, a réuni et expliqué ceux de ses souvenirs qu’il croyait les plus propres à communiquer la foi en Jésus, l’intelligence et l’amour de Jésus.’historique de Jésus, i

9. — On s’attendrait à trouver ici l’éclio des con- "’H (

III. — La question préalable et l’existence historique de Jésus’/. "

39.

troverses bruyantes auxquelles a donné lieu naguère la question préalable. Jésus de Nazareth a-t-il vécu ? Ou bien peut-on ne voir en lui qu’une entité littéraire, un nom autour duquel se seraient groupés des traits héroïques et légendaires préexistants : un mythe.’Cette thèse a été énoncée et soutenue, au moins comme défendable, jiar un certain nombre d’érudits ou de vulgarisateurs scientiliques, depuis une douzaine d’années. Les meneurs les plus en vue sont MM. Paul Jenskn, assj’riologue à Marburg, J. M. Ro-BERTSON, publiciste et politicien anglais, W.-B. Smith, professeur de mathématiques, puis de philosophie, à Tulane University (Louisiane), et enfin Arthur Drbws, professeur de philosophie à l’école technique de Carlsruhe. Ouelques agités, tels que le pasteur en rupture de ban Kalthoff, de Brème, et des groupements de « libre-penseurs » : Union moniste allemande. Société théosophique, etc., ont réussi à donner un certain retentissement à ces fantaisies 2.

40. — Réflexion faite, il ne nous a pas paru opportun d’exposer en détail et de réfuter les récurseurs i).

3. La « littérature i)du sujet est immense. La Biblische Zeiischrift de 1910, p. 415-417, énumère 32 brochures ou grands articles en langue allemande, parus dans 1 espuce de quelques mois.

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Il apprendrait par exemplequ’un mouvement religieux apparaissant à une éi)oque liislorique drtermince, dans un jiays et au milieu d’un peuple connus par de nombreux documents et monuments — mettant en branle des milliers, puis des millions d’iiommes, dont les écrits nous restent, dont les actes et l’inlluencc peuvent être assignés à des dates certaines — aboutissant au plus grand changement, au plus ditlicile, au plus durable dont l’histoire des âmes fasse mention — père et propagateur de doctrines et d’institutions nouvelles et immenses — n’est pas et ne peut pas être le résultat de vagues traits mytliologiques audacieusement tournés en histoire par quelques rêveurs anonymes. Il apprendrait que toute réalité, toute initiative spirituelle viable, féconde, à plus forte raison inépuisable, réclame à son origine une personnalité réelle, dont elle procède. Ce fonds a pu sans doute être enrichi, et modilié par l’apport des premiers lidèles, la caplation de croyances, d’idées, de symboles étrangers à la pensée du fondateur. Mais ces développements ultérieurs, loin de suppléer l’action de celui-ci, rendent témoignage à la fécondité du germe qu’il a semé. L’hypothèse du « mythe spontané », eré.iteur d’énergies et source de vie, est, dans l’ordre spirituel, le pendant de l’hypothèse de la génération spontanée dans l’ordre biologique. Ici et là, contre toute sagesse et toute expérience, on charge un mot (ou un préjugé, un postulat indémontrable) de tenir la place d’une réalité.

41. — Dans le cas qui nous occupe, le rappel de ces considérations générales est d’ailleurs rendu superflu par le nond)re, la solidité, la convergence et la date des témoignages anciens. Jésus n’est pas venu au monde dans un désert, ni même dans un « désert d’hommes », à l’une de ces époques incertaines où l’histoire dispute péniblement aux légendes quelques noms et quelques faits. Le monde juif, en particulier le monde palestinien du premier siècle, nous est parfaitement connu (voir plus bas, chap. I"’) : ses vicissitudes politiques, son régime, les courants d’idées et les influences qui s’j' manifestaient sont dans le plein jour de l’histoire. Jésus est le contemporain d’Auguste et de Tibère, de Philon le Juif et de Flavius Josè])lic, de Tite Live et de Sénèque le philosophe. Virgile, s’il avait rempli son âge, aurait pu le voir de ses yeux. Plularque et Tacite appartiennent à la génération qui le suivit. Les personnages mêlés à la narration évangélique et aux premières origines chrétiennes : Ilérode le Grand, Hérode Antipas, Ilérode Agrippa ; Anne, Caiphe et Gamaliel ; Ponce Pilale, Fcstus et Gallion, frère de Sénèque ; Jean Baptiste. Simon Pierre et.lacques : autant d’hommes réels, dont l’existence, l’activité, la carrière nous sont rendues manifestes par des témoignages multiples et concluants. Paul de Tarse nous est autant, sinon mieux connu qu’aucun homme de l’antiquité profane dont il nous reste une image distincte : nous avons de lui des lettres considérables, authentiques, circonstanciées, qui sultiraicnt à elles seules à mettre liors de doute l’existence, la mission et l’incomparable ascendant de Jésus de Nazareth’.

1. « On pourr ; iit fnirc une petite {( Vie de Jé-ns » aec’les épilics aux I>i.m ; iins,.lux Corintljiens, aux Galatos, et

; ivec l’opitre uux lliii)reux, qni n’ist pas de saint Piiiil, 

mais est bien nmionno », leionniiit Erncsl Renan-, Histnlre du l’enplr d’israi-l, l’iiiis, 18’.I3, p. 110, note 1. — M. Sidomon l’iKINAi 11. thins Orphni^. Hi.il, lire générale des religions, doit à cet argument il’iivoir cthappé nu ridicule de se ranger parmi les len.inis clu « mUlie do Jésus ».

« Si ces cpîtres n’cxistalouL pas… il n’y mirait nucnn

pnr.idoxe h réTOquer en doute la réalité Instorique de Jésus. » Orphens", Puris, lOU’J, p. 3 : J9. — Il serait permis

Les évangiles enfin, dont nul ne s’avise plus de reporter la composition au delà du premier siècle — les citations explicites se multiplient à partir du milieu du second siècle ; bien anjjaravant, dans les Lettres d’IoNACR d’ANTioCHE, martyrisé sous Trajan, vers 107, on trouve des allusions certaines au contenu de nos évangiles’, — les évangiles fournissent, à qui sait lire, une irréfragable attestation de Celui dont les actes et les paroles resplendissent dans leurs pages. Toute l’étude qui suivra servira d’illustration à ces indications rapides.

43. — Ce qui serait à expliquer, c’est que des hommes sains d’esprit et pourvus de quelque culture aient pu en venir à soutenir les thèses auxquelles je fais allusion. La dissolution de toute foi positive, l’intoxication produite par l’abus des hypothèses évolutionnisteset le goût des surenchères radicales, suffisent à rendre raison de ce phénomène. C^e n’est pas la première fois qu’il se produit, et les réfutations par l’absurde, où l’on nous montre Bismarck réduit à l’état de mythe par les méthodes de Drkws et Jen-SEN, ne sont que la réplique du plaisant mémoire dans lequel J. B. Piiuiis prouva jadis (en 1827) au mythologue Duruis, que Napoléon n’était qu’un héros solaire divinisé. Les théories de Dupuis semblaient bien mortes, quand, vers le début du xx= siècle, les éphémères succès de la méthode comparative appliquée à l’histoire des religions, et le petit jeu des substitutions, simplilications et équivalences auxquelles cette méthode donna lieu, orientèrent derechef les esprits aventureux dans le même sens. Lesassyriologues H. WiNCKLKR et H. Zi.mmkrn, dans leur refonte de l’ouvrage classique de Eis. Schrader -, les biblistes II. Gunkel3, T.K. CuEYNE, O. Pi LEiDERER’trouvèrent dans les mjthologies et les religions anciennes des rapprochements inattendus avec l’histoire évangélique. Rapprochements ou suggestions ? Similitudes ou eniprunts ?Une étude sérieuse des documents préserva sans doute ces érudits et leurs émules des excès in tolérables signalés plus liaut. Libérés par leur insu llisance même de cette relative sagesse, d’autres vinrent qui poussèrent à bout la méthode et conclurent, c’est le cas de le dire, au néant.

Le scandale provoqué jiar ces enfants terribles ne laissa pas d’inquiéter les exégètes radicaux. Sentant le discrédit remonter jusqu’à leurs méthodes, et honteux de se voir cités et loués par les Drkws et les llouERTsoN, ils protestèrent viement : parmi ceux qui parlèrent le plus haut on peut citer MAI..V. Ji’iLit : uER, B. W. Bacon, Alfred Loisy*. De là des polémiques passant de beaucoup la portée réelle de cette aventure, dont il doit rester surtout un exemple mémorable et une leçon de sagesse.

43. — Le présent travail est fondé en première ligue sur la leclvire répétée elatlentive<lesdocuments.

de regretter ce scrupule, si l’ouvrage n’était pnr ailleurs, et très spécialement sur le terrain des origines chrétiennes, disqualifié.

1. The A’fii’Testament in. the Apostolic Fai/ie/s, Oxford, l’Jii.-, , p. 76-83.

i. nie Keilinschriften und das Alte Testament’-, 1903.

3. Znm refi^ionsgesc/iichtiic/ien Verstændnis des Setien Testaments, 1 !)03.

4 ; Bible Problems and the new material for Iheir solution, 1904.

5. Das Christusbtld… in rrligionsgeschichtlicher Ileleuchtum ; . 1903.

( ;. Uni Jésus ^elebi ? Marburg, 1910.

7. The nn/thicnl roUnpse ofhisiorical christianity, dans le Uibbert Journal, july 1911, p. "31-7.13.

8. A propos d histoire des reliffions, Pari », 1912, ch. T. Le mythe du Christ. — Dons le même sens, Ch. Guu ; NEBE « r, Le Problème du Christ, Paris 191’i.

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JESUS CHRIST

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Mais il serait injuste de ne pas reconnaître ce qu’il doit aux auteurs qui ont, avant nous, traité ce grrand sujet. Le meilleur de ce qui suivra leur est dû sans doute. On a indiijué, à la lin de cbai]uc chapitre, les principaux ouvrages ou mémoires consultés. Dans cette petite bibliograpbie raisonnée, on s’est eft’orcé de sifînaler les travaux i-eprésentatifs à quelque titre. (Mie si des réminiscences ou d « s sujrgestions utilisées dans ertarliclen’ontpas été rapportées à leurs auteurs rcsponsaliles, on voudra bien croire qne c’est là oubli, et non méconnaissance, de notre part.

Les citations du Nouveau Testament sont traduites directement sur le texte } ; rec, assez éclectique, si soipfneuserænt établi par Eb. Nestlé. J’ai employé la sixième édition, Stuttgart, 1907. Chaque fois que je me suis écarté de ce texte, je l’ai indiqué.

Le titre complet des ouvrages allégués est transcrit la première fois qu’ils sont cités, et dans la bibliographie, s’ils y (igurent. Pour plusieurs de ceux qui sont utilisés souvent, un titre abrégé, rappelé entre crochets carrés, à la suite du titre complet, dans la bibliographie, a été adopté. Il en est de même poulies collections.

BIBLIOGRAPHIE

44 — Il est naturellement impossible, et il serait d’ailleurs inutile, d’énumérer ici tous les travaux de quelque valeur parus sur des sujets inépuisables. On s’en est tenu à quelques ouvrages récents, plus commodes, plus complets ou plus caractéristiques.

Labibliographie contcraporaineesl fournie d’une façon tout à fait remarquable, comme étendue et exactitude, depuis 1902, par la Bihtische Zeitschi-ift éditée à Fribourg en Brisgau sous la direction de MM. i. Goettsberger et J. Siokenberger. On y trouvera, outre une section commune aux deux Testaments ((]ueslions générales d’inspiration, d’introduction, d’histoire de l’exégèse, d’archéologie et géographie bibliques), deux dépouillements annuels, très clairement divisés par sujets, de la littérature concernant le Nouveau Testament en particulier, et toutes les questions connexes. Celte note vaut non seulement pour la bibliographie de ce chapitre, mais pour celle de tout l’article.

45. — Les Soi’ncES. — A. Sources non chrétiennes : les principaux documente sont réunis excellemment dans C. Kirch, ICiichtriJion fonthini hisioriæ ecclesidslicue antiqiiae-, Fi’eihuTg i.H., 1914 ; dansE. Preusihen, Atinlecta, Freiburg i. U., t81j3 : Sommlun «  iiusgeti’. Quellenschriften^ éd. G. Krueger, 8 [SX^G) ; dans Ivurt Linck, De antiquissiniis reteriim quae ad lesum yazareniim spectant testimoniis, Giessen, 1913 : Hfligionsgesclnchlliclie Versuche und Vorarbeiten, éd. [A. Dieterichj, R. Wuenschund L. Deubner, XIV, i [HW] ; et J. B..Vul’hauser, Antike Jesus-Xeugnisse, Bonn, uji^.dans les A’ieine Texte deHans Lietzmann. lîonn, depuis 1907 (AT), n. 126.

Le sujet est traité, entre autres, dans P. Batiffol, Orplieus et l’Evangile, Paris, 1910, p. i-50.

En particulier, sur Josèphe, on peut consulter Emile Schiirer, Œschichle des judischen Volkes im Zeitaller Jrsu Christi^-’, I, Leipzig, 1901, p. 5.’i’i-549 [GJV^ ; sur les autres sources juives, M. J. Lagrange, /.e Messianisme chez les Juifs, Paris, 1909, part. l^V, ch. 11, p. 288- : 291 Messianisme], Les textes sont dans R. Travers Herford. Chrislianity in Talmnd and.Midrash, Lonilon, 1908,.ppcndix. p. 400 sqq. ; traduction anglaise commentée, ibid., p. 35-g7 ; et dans IL L. Strack, Jésus, die Hæretiker und die Christen nach der aeltes’en judischen Angalien, Leipzig, 1910 ; traduction allemande par Arnold Meyer,

Tome II

Jésus, Jesujiingcr und das Evangelinm im Talmud und vern-, jiid. Schriflen, dans Edgar Ilennecke, I/andhucli : u den nentestumenllichen Apohryphen, Tiibin gen, iyo/|, p. ! - -72 [llandhuch Apuk..

B. — Sut’es documents non cnnaniqties d’origine chrétienne, art. Apocryphes du Nouveau Testament, p. M. Lepin et F. Nau, dans le présent Dictionnaire I, col. 173-189 ; E. Jacquier, />e Nouveau Testament dans l’Eglise chrétienne, Paris, 1911, I, p. 13a sqq. L’onTage le plus important est celui de Waller Bauer, Das I.eben Jesu im Zeitalter der neuleslamentlichen Apokiyphen, Tiibingen, 190g. Les textes seront publiés, avec introduction et commentaires, dans la collection J. Bousquet et E. Ainann, /.es Apocryphes du NoiMeau Testament, Paris, depuis 1910 : le Prolévangile we iacques, par E. Amann, 1910.

Il existe une traduction allemande très soignée des principaux textes dans Edgar Hennecke, etc. IVeutestamenttiche Apokrrphen, Tiibingen, igo^. [Apohryphen]. Les préfaces et commentaires sont dans le volume parallèle llandhuch Apok.

Cet ouvrage contient la traduction des textes les plus importants et les plus anciens : Agrapba, Logia Jesu, fragments des évangiles du 11’siècle. Les textes principaux sont réunis dans E. Preuschen, Anlilegomena 2, Giessen, 1906, et dans les Kleine Texte de Hans Lietzmann, en particulier les Apocrypha de E. Klostermann : I^, 1908, II-, 1910, IIP, ign.

C. — Sources chrétiennes canoniques. En général, avec les articles afférents du présent Dictionnaire : Evangiles canoniques, p. M. Lepin ; Actes des Apôtres, p. H. Coppieters, on consultera l’objective et très complète Histoire des livres du A’ouveau Testament, de E. Jacquier, Paris, ! , vol. depuis 1902 : éditions successives constamment mises au courant ; et, du même, /.e A’o"ie<i/i Testament dans l’Eglise chrétienne, Paris, 2 vol. : I, ig12 : csnon et versions du N. T. ; II, ig13, texte du N. T.

Parmi les introductions au N. T., A. Brassac, Manuel hihlique [Vigonroux, lîacueT : , Brassac], vol. III et IV’^, Paris, ig13 ; J. Ev. Belser, Einleituns in das Neue Testament^, Freiburg i.B., igo5 ; F. S. Gutjahr, Einleitung zu den hl. Schriften des A’7"3, Graz, tij13 ; A. Cellini, Propædeuticn bihlica, 3 vol., Bipætransonis, 1908-1909 ; E. Mangenot, Les Evangiles synoptiques, Paris 191 1 ;.A.. Schæfer et M. Meinertz./îin/eiiiing in das Neue Testament’^, Paderborn, ii)13.

Parmi les travaux non catholiques, le pins sûr et le plus considérable est celui de Théodore Zahn, Einleitung in das Neue Testament-’, 2 vol., Leipzig, 1907 : il existe une traduction anglaise en 3 volumes, complétée par l’auteur, à Edimbourg, chez T. et T. Clark. 191 o. — Le plus important ouvrage anglican est celui de V.n.Stanton, ’/ he (lospels as historical Documents, Cambridge, I, 1908, II, 1909, encore inachevé. Brève Introduction to tlie Books of ihe Neiv Testament par W. C. Allen et L. W. Grensted, Edinbnrgh, 1913.

Les travaux de Ad. Harnack ont été réunis dans ses Beitræge zur Einleitung in das NT., Leipzig, 1912, et forment transition entre les ouvrages conservateurs non catholifiues et les radicaux. On peut en dire autant du livre incisif de F. C. Burkitl. The Gospel Historvand itstransmission^, E(]hibr^t, 19 11. et de G. Milligan, The Nav Testament Documents : their origin and enrly history-, Lopdon, ig13.

Les positions libérales sont très nettement indiquées et bahilenient défendues dansH. J. Hollzniann, Lehrhuch der Einleitung in das N. T.^, Freiburg i. B., 1892 ; et depuis, dans Adolf Jiilicher, Einleitung in das N. T. -". Tiibingen. 1906 [radicnl] ; James Moffat, An Introduction to the f.iteraiure of the N. T.^,

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JÉSUS CHRIST

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Kiiinburgli, igiS [moins radical] ; A. Loisy, Le Quatiième £’angile, Paris, igoS, p. i-151 ; Les Evangiles synoptiques, CelTonds, 190’j, I, p. i-203 [très radical] ; — J. Wellliausen, Einleitung in die drei erslen Evangelien, Berlin, igoS, et Das Evangelium Johannis, Berlin, 1908, mêle à un sauvage arbitraire quelques remarques suggestives.

Sur S. Paul en particulier, on trouvera tout dans F. Prat, La Théologie de S. Paul, Paris, I, igog, II, igi 2. Bibliographie exhaustive Ibid., II, p. 55g-565.

Sur S. Jean en particulier, on lira W. Sanday, The Criticism of the fourtli Gospel, Oxford, igoô, et M. Lepiii, L’Origine du IV Evangile^, Paris, 1910 ; La valeur historique du IV’Evangile, 2 vol., Paris, 11)10. Voir aussi J. Lebreton, Les Origines du Dogme de la Trinité, Paris, igio, 1. 111, ch. vi [Origines].

46. — La QUESTION rniiALAViLE sur l’kxistknce du Christ. — Les principaux ouvrages dans lesquels l’existence du Christ a été mise en question sont ceux de P. Jensen, Das Gilgamesh Epos in der Weltliteratur, Strasbourg, igoè. p. 102g-1030 ; Will. Benjamin Smith, Der vorchristliche Jésus, Giessen, 1906 [résumé d’articles publiés en anglais dans diverses revues américaines depuis igoo] ; Arthur Drews, Die Christusmythe, léna, 1909 ; W. B. Smith, Ecce Deus, léna, igii.

Si l’on veut prendre une idée de la façon grossière et antiscientilique dont la campagne a été menée par les monistes, on peut lire les conférences contradictoires provoquées par le Monistenbitnd .illemand, les 31 janvier et r" février 1910 : Liât Jésus gelelit ? Berlin, igio [médiocre trad. fr. par Armand Lipman, Paris, 1912].

La question est très bien traitée dans L. Cl. Fillion, Les étapes du rationalisme dans ses attaques contre la Vie de Jésus-Christ, Paris, igii ; J. Case, The Historicity 0/ Jésus, Chicago, 1912. — Voir les judicieuses réflexions de G. Esser, dans la Theologische Revue, Miinster. 191 1, p. 1-6, ^i-^’j ; et de A. Knoepflcr, /3<15 (’hristushild und die IVissenschafI, Munich, 1911. — De l’énorme littérature non catholique, on peut retenir, parmi les auteurs libéraux, H. Weinel, Ist das « libérale n Jesusbild ividerlegt ? Tiibingen, igio ; parmi les conservateurs, Hans Windisch, art. Jésus Christus du XXIII" vol. (Supplément, I] de la ItealencyUopædie fur protestantisclie Théologie und Kirche’-'. éd. A. Ilauck I’IlE’-^, Leipzig, igiS, p. 694-68^ ; parmi les Anglicans, Th.-.I. Thorliurn, Jésus the Christ : historical or mythieal ? London, Iy12. — Voir aussi la première Lecture de Friedrich Loofs, n’hat isthe Truth about Jésus Christ, Edinburgh, igiS, p. i-/|0.

  1. Christianity in Talmud and Midrash, London 1903, Division I, pp. 401-436 (textes) ; pp. 35-97 (traduction anglaise et commentaire).
  2. Paul Allard, Histoire des Persécutions, Paris, 1886, II. p. 301 sqq.
  3. On peut s’en rendre compte en étudiant l’excellent ouvrage de sir John Hawkins, Horæ Synopticae 2, Oxford, 1909.
  4. Les Evangiles 2, Paris, 1877, p. 118.
  5. « Aber die Syn. wissen von Jesus nicht nur für unsre Wünsche viel zu wenig : was sic wissen und erzahlen, ist ein Gemisch von Wahrheit und Dichtung ». On notera l’al&shy ; lusion au titre des Mémoires de Goethe, Einleitung in das N. T. 6, 1906, p. 325.
  6. Ibid., p. 341.
  7. P. 342.
  8. P. 328.