Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Jésus (III. Les preuves du témoignage)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 708-742).

Chapitre III

LES PREUVES DU TÉ-MOIGNAGE

317. — Le témoignagequeJésusde Nazareth rendit à sa mission tire une grande force du fait que ces allirmations sont d’un homme profondément religieux, sage et maître de soi. Sa candide probité, sa douceur, son héroïsme soutenu sont incompatibles avec les tares et l’outrecuidance qui rendraient vraisemblable en quelque mesure une aberration aussi singulière. Mais à cette raison de le croire sur parole d’autres motifs doivent s’ajouter.

Les hommes en effet ont toujours pensé que la Divinité pouvait intervenir, et intervenait en réalité pour accréditer ceux qui prétendaient à bon litre parler en son nom, et qu’on peut appeler, d’un nom générique, les « prophètes ». On ne les a jamais confondus avec les maîtres de sagesse humaine, avec les a philosophes ». Il peut suffire à ceux-ci d’avoir raison, ou d’en donner l’impression, pour se faire des disciples ; de ceux-là on réclame des garanties d’une autre espèce. Le fait constant de cette croyance est illustré, loin d’être infirmé, par l’attitude historiquement connue de quelques réformateurs religieux : à première -ue on serait tenté d’en tirer objection. Ni le Bouddha, pourrait-on dire, ni Mahomet n’ont fait appel au critérium du miracle. Mais on reconnaîtra sans peine que l’œuvre de ces hommes n’a gagné des lidèles en nombre, et n’est devenue une « religion > distincte, qu’en se chargeant de merveilleux et en majorant, par des signes innombrables, les leçons de philosophie de Çakyamuni *, les appels au succès et le recours aux Écritures anciennes (expurgées et augmentées par lui) de Mahomet.

Cette exigence est du reste dans la nature des choses, dès qu’une croyance se présente sous forme catégorique et prétend compléter, ou même déterminer d’autorité, les points généralement admis de religion naturelle. Si rudimentaire qu’on suppose son intelligence (qu’il faut bien se garder de mesurer sur le degré atteint de civilisation matérielle), l’homme ne s’incline pas sans raison. Il demande des titres avant de donner une adhésion confiante, à plus forte raison définitive et sans condition. Or ces titres, ces raisons de croire ne peuvent, quand il s’agit de faits présentés comme révélés, distincts des vérités naturelle 1, C’est par l’apothéose proprement dite du Bouddha que la doctrine d’une confrérie, nécessairement restreinte, a pu devenir une « religion ». Cette citensîon est due à

« la mythologie dont la légende de Cakvnmuni s’est de

bonne heure embellie.. Pour un grand nombre d’Hindous, Çakyamnni fui un grand dieu, ell » plus grand dieu pour les bouddhistes i>. L. de i.a Vaiife Povssin, Bouddhisme ri rrli^inns de Vlnde. dans Chrittu.t, Manuel d’histoire des religions, Paris, 1912, p. 288 aqq.

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ment connues, qu’être des signes positifs et, jusqu’à un certain point, contrôlables. Qu’il s’agisse de croire à l’inspiration divine d’un prophète, ou d’adhérer à des doctrines nouvelles et de se plier, par devoir religieux, à des rites nouveaux, celui qui prétend imposer ces croyances au titre d’interprète de la Divinité doit, au préalable, s’être qualilic comme tel’.

1. — Des signes divins en général

218. — « Un témoignage divin, rendant manifeste l’intervention en sa faveur de la force et de la vérité divine’», c’est en gros ce qu’on demande à un prophète pour le croire. A ce témoignage on donne communément le nom de miracle, qui met vivement en lumière un de ses aspects, et celui justement par lequel il s’impose à l’attention. Nous n’avons pas à discuter ici le bien fondé de la terminologie traditionnelle, mais il importe extrêmement de dissiper les malentendus et les confusions qu’elle fait naître de nos jours.

Malentendus parfois si graves et confusions telles qu’un apologiste autorisé ne craignait pas d’écrire naguère qu’o à l’heure présente et pour beaucoup d’esprits, les miracles sont i)lutot un obstacle à croire qu’un moyen de croire. L’intelligence moderne, façonnée dans le moule soi-disant scientilique…, se trouve plutôt mal à l’aise en face d’un miracle. Chez ceux-là même que le surnaturel n’elTraye pas. on devine une gêne, une hésitation, une incertitude, un pourquoi, unpeutêtre^. » Un exégète anglais contemporain va jusqu’à traiter de « suicide « intellectuel la croyance au miracle proprement dit’. La cause de ces confusions semble être la survivance, en maint esprit, de la notion de miracle à la croyance en ce qui est la condition indispensable de tout miracle, réel ou possil)le. Cette condition est l’existence d’un Dieu personnel et provident. Avant d’attribuer à la Divinité une intervention, la manifestation par un signe sensible d’une intention particulière (c’est là ce que tout homme religieux a toujours entendu sous le nom de « miracle »), ilfaut croire qu’un Dieu existe, capable d’avoir et de manifester une intention ». Saint Thomas observait déjà, non sans profondeur, que les déformations infligées à la notion du miracle proviennent ûnalement d’idées erronées concernant la nature et l’activité divines^.

219. — Supposons un panthéiste immanentiste acceptant, avecM. Alfred LoisY, comme « évident », que la notion de Dieu n’a jamais été qu’une projection idéale de la personnalité humaine « , et la théologie

— entendez toute doctrine certaine d’un Dieu per 1. Bien que les questions traitées dans les pag-es suivantes soient d’ordre général, on n’a pas cru devoir les esquiver. Aucune étude de l’élém^^nt miraculeux dans les évangiles n’en peut faire abstraction. Le lecteur qui les jugerait superflues peut se porter, par-dessus ces réflexions, à Jc’sua prop/it-le. n’24’4 et sqq.

2. « Quoddam divinum teslimonium indicativum virtulis et vcritatis divinæ » ; S. Thomas, De Potcntia, q. vi, arl. 3.

3. Mgr E. T. MiGNOT, archevêque d’.lbi, Lettres sur les Etudes eccUsiastîf/ues, Paris, 1008, p. 119. Depuis que ces paroles ont été écrites, ia difficulté semble avoir bien perdu do son empire, en mcme temps que I état despiit déterministe dont elle part.

i. J. M. Thompson. Miracles in the Ne »’Testament, London. 19II. Voir, à ce propos, l’article important du P. Sid : <ky F. Smith dans The.Vonlk, Juin 1913.

5. On parle ici d’une antériorité lo^iqîte. Il peut arriver en fait (comme Newman l’a bien t-oniarqué) que le inii-acle rende visible en même temps, à la façon dun éclair, avec l’intervention extraordinaire de Dieu, l’ordre ordinaire et divin du monde.

6. De Potentia, q. vi, art. I, in corpore.

sonnel — » une mythologie plus épurée »’. Il est bien clair que cet homme-là ne parlera, ne peut parler du miracle que comme d’une notion surannée, chimérique, irréelle. Il en parlera comme nous parlons des hypothèses de « l’horreur du vide >i ou du

« phlogistique ". Son but, s’il écrit à propos des faits

censés miraculeux, sera de préciser les éléments mis en œuvre par ceux qui ont créé ou subi l’illusion. Toute étude qui porterait sur la valeur historique et religieuse d’un miracle, ou d’une collection de miracles, est d’avance, pour cet homme, de par son étroite philosophie, frappée de stérilité. Il se refuse à élargir ses cadres a priori pour y faire une place à ce genre de réalités-.

La plupart des difficultés d’apparence inextricable qui foisonnent, à la façon de lianes, autour de la théorie des signes divins, naissent de ce malentendu initial. Il mène à remettre en question sur le terrain do l’histoire des points déjà résolus définitivement sur le terrain philosophique. En fait, pour beaucoup d’écrivains contemporains, la seule question réelle est celle de la croyance illusoire des hommes en des signes prétendus divins. De religieuse et actuelle, la question est devenue pour eux exclusivement historique et rétrospective 3.

220. — Beaucoup moins nette est l’attitude des protestants. Conservateurs et libéraux ont à compter avec une notion du miracle traditionnelle chez les théologiens réformes, et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est un héritage dommageable. Cette notion distend le concept de miracle jusqu’à lui faire rejoindre celui de Providence divine aperçue. « Le miracle, disait ScHLKiERMAr.iiER, est le nom religieux d’un événement. » Toute interprétation religieuse d’un fait quelconque permettrait alors de crier au miracle I Les théologiens protestants les plus avisés, MM. Joliann Wbndland, A. W. HuNziNCER.Reinhold Sebbkrg. bien que sentant l’équivoque de cette assertion, la maintiennent. Ce dernier classedanslamême catégorie de « miracle ii, bien qu’en deux groupes distincts, des choses aussi différentes que o l’activité de Dieu s’exerçant dans une vie humaine par des événements purement naturels et ordinaires ». et cette même activité n se révélant » comme divine

« par des événements physiques extraordinaires’».

Mais qui ne voit que cette dernière catégorie seulement (le nom même de miracle en témoigne) a toujours été considérée comme miraculeuse ?.assurément, il est loisible à chacun de reconnaître, dans les événements quotidiens de sa vie, les dons, les faveurs spéciales et, si l’on veut, les « miracles » il’une Providence paternelle et divine ; mais, du point de vue qui est le nôtre, cette extension du vocabulaire mène à dégrader la signification du terme : si tout est miracle, rien n’est plus miracle.

1..Mfred LoiSY, Choses passées, Paris, 1913, p. 313, 3U.

2. Cette positii’tn est si difficile à tenir pour des hommes qui font, sur tant de points beaucoup plus « évidents », profession d’ignorance, que les plus avisés parmi les rationalistes ]>rétendent nier, non la possibilité du miracle, mais lexistenfe de miracles réels, vérifiés, certains. C’a été, après des fluctuations diverses, l’attitude finale d’Ernest Rena..

3. Bulletin rie la Société française de philosophie. mars 1912. — Voir en particulier, p. 118, les réflexions de M. D. Pabodi. C’est ce qu’ont aperçu, sans le discerner ou le dire assez nettement, quelques-uns des penseurs qui ont pris part, le 28 décembre 1911, à la très curieuse discussion fie la Société française de Pliilosopliie sur le problème du miracle.

4. Reinh. Seebf.rg. PRE-^, XXI, Leipzig, 190Ô, s. v. Wunrler. p. iiST ; A. V. Hun/ixokr, Das Wunder, Leipzig, 1912 ; J. Wendi.and, fle ; - Wunderglauie im Chrisleutum, Goettingen, 1910. 1407

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SSl. — A cette première confusion, certains prolestants libéraux ajoulentunerestrictionqui lesrapprocbe beaucoup des rationalistes. Ils gardent la description du miracle proposée par Scbleierniæher, ou plus précisément, ils le définissent par™ l’exaucement de la prière’». Le mii-acle serait la réponse donnée par Dieu à celui qui le prie ; mais cette réponse ne pourrait s’inscrire que dans les limites tracées par le cours naturel et ordinaire des choses. Les « lois de la nature » s’opposeraient à une intervention extraordinairede Dieu, qui serait censée les » contredire o. Cette exception n’appartient pas à ces auteurs en tant qu’ils sont protestants, mais en tant qu’ils souscrivent aux thèses d’une philosophie pseudo-scientifique. Ce faisant, ils excluent a priori les seuls faits que tout le monde ait toujours regardés comme les miracles par excellence, et à propos desquels s’est posé le problème même du miracle *.

333- — /.i notion vraiment traditionnelle dusigne divin ne présente ni ces incertitudes ni ces fléchissements. Exposons-la brièvement.

Le premier élément, extérieur, superficiel et, si l’on veut, o corporel », mais nécessaire, est l’élément prodigieux, merveilleux, exceptionnel (teit :  ;). Un miracle suppose d’abord l’éclat d’un fait sensible (au moins dans ses elTets’). extraordinaire, inattendu, apparemment inexplicable, a faisant contraste et ressaut dans la suite phénoménale connue’». De là nait l’étonnement, l’admiration qui lixe l’attention éveillée sur un homme ou sur une doctrine.

S33. — Il s’en faut de beaucoup que cet élément (1 tératologique » et nécessaire suflise : un autre plus intime, plus profond, o spirituel », doit s’y joindre, qui nous amène à interpréter ce fait étrange comme le résulliit d’une intervention di^ne, comme un signe (Tr, ^iîc, j). Trois indices différents, mais convergents, concourent à suggérer et parfois à imposer cette interprétation :

a) — L’événement est tel qu’il va disproportion manifeste entre les forces naturelles, physiques ou psychiques à l’oeuvre — ou qu’on puisse bonnement supposer à l’reuvre — en ce point de l’espace et de la durée, et l’effet produit ;

/’) — L’événement est tel. soit dans son être physique et ses conséquences visibles, soit dans son être moral et ses suites, qu’il puisse être attribué sans inconvenance à l’action de Dieu, ou même qu’il suggère cette origine surhumaine S ;

c) — L’événement est d’ordre religieux, ou peut s’y ramener, et il se produit dans des conditions qui le rattachent à une doctrine ou à une personne aptes à recevoir le sceau divin.

SS4. — Si du signe considéré en lui-même nous passons à la personne à laquelle il s’adresse, nous remarquerons que le miracle, étant un langage enveloppé et divin, n’est pas également clair à tons ceux

1. Aug. Sabatier, Esquisse d’une Philosophie de la Beligion 5. p. 8.i sqq. ; E. Mfnkcoz, Publications diverses sur le Fidrixme. 1. Paris, 1900. p. Ifil sqq. ; 20’i sqq.

2. C est ji nne défaite an.Tln^^ue, bien quo plus compréhensiveet prête : i reconnaître In réalité de phis de faits, qu’aboutiraient ceux qui, après William Jamfs, admeltraieiil l’existence, non pas d’un pouvoir divin unique, tout-puissant, mais de pouvoirs multiples, surhumains, quasi divins.

3. Soit dit pour exclure les effets tout intérieurs produits par los sacrements, etc.

4. Ed. Lr Rot. Bulletin de la Société Fr. de Philosophie, mars 1912, p. flfi.

5. Cette double transcendance sera expliquée plus bas, n. 236 et sqq.

qui l’écontent. En face d’un même fait matériel (rappelons-nous par exemple Thonime à la main desséchée, guéri par Jésus un jour de sabbat), plusieurs lignes d’interprétation se dessineront immédiatement dans la foule témoin du prodige.

La connaissance préalable de la personne du thaumaturge, l’estime fondée qu’on a pour sa doctrbie, la probabilité antérieure d’une intervention divine en sa faveur, influeront légitimement sur l’adhésion.disposeront un esprit de telle sorte qu’un signe, insuffisant pour des témoins ignorants, soit surabondant pour celui qui est justement prévenu. Les propres dispositions du témoin ne sont pas à prendre en moindre considération : un virtuose, un artiste aura sûrement reconnu et correctement déchiffré une phrase de Beethoven sur des indices et à un moment où de médiocres musiciens hésiteraient encore, et non sans raison, sur l’attribution ou la teneur de la même phrase. J. Scheebe ?? note très bien là-dessus que l’interprétation des signes « dépend essentiellement de la clarté, de la vivacité, de la force de nos dispositions morales, surtout de notre amour pour la vérité, de notre respect pour l’autorité de Dieu, de notre eonlTance en sa bonté et en sa providente sagesse… » Au contraire, « si ces dispositions morales n’existent pas, si l’esprit craint ou redoute la vérité.., on s’efforce de briser le lien vivant qui rattache ces signes à l’autorité ou à la véracité de Dieu ; on se laisse persuader ou que ces signes ne viennent pas de lui, ou qu’il ne les emploie pas comme des témoignages de sa révélation *. »

555. — Il ressort de ces réflexions que les signes divins sont très inégalement persuasifs. Subjectivement, les auditeurs de ce langage sont diversement attentifs, pénétrants, réfractaires à la voix de Dieu ou familiers avec elle et « accordés » à son harmonie. Objectivement, les trois caractères : de transcendance physique (inexplicabilité par les causes naturelles à l’oeuvre dans le cas) ; de valeur religieuse et morale (aptitude négative, et positive, du fait à servir de signe divin) : de lisibilité apologétique (connexion avec une personne ou nne doctrine qu’on ait des raisons de croire favorisée par une intervention divine), sont susceptibles de plus et de moins à l’indéfini,

556. — Parlant de l’efficacité des signes divins, prophéties et miracles, l’Eglise enseignait naguère que (i ces signes sont très féconds et capables de s’accommoder A tous les esprits : omninm inti’lle !  : entiae accnmmodnta^. » Ces graves paroles nous avertissent de ne pas faire dépendre la valeur religieuse des signes de précisions scientifiques qui ne seront jamais accessibles qu’à peu d’hommes. Il faut donc se garder d’exiger, pour la constatation de la transcendance des faits, des conditions qui rendraient l’interprétation rerfni’ne du signe le privilège de quelqvies philosophes, doublés de savants très avertis. Que philosophes et savants poussent la discussion aussi loin que possible et mettent le caractèi-e surhumain il’un miracle en un jour plus éclatant ; qu’ils l’imposent, s’ils le peuvent, à des esprits dilliciles, pointilleux, prévenus, il y a là un grand bien et >inc nécessité d’apologétique générale. Mais le signe s’adresse à tout homme religieux et n’a pas besoin, pour valoir, de ces recherches abstruses et très délicates. Son point d’appui, sa forcedepersuasion.il les trouve dans des notions de philosophie humaine, éternelles, étrangères aux subtiles discussions sur les confins de la biologie ou de la physique. Il suOit

. La Bojjmniiyuf, 1873-1887 : Irad. Bélet, I, p. 491. 2. Consli’iitiones Concilii’alirani, cap. m de Fidr, Denzinger-Bannwart, ", n. 1790 (1639).

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que dans un cas concret le sceau divin apparaisse d’emblée, soit qu’il s’inscrive dans un chnnip où aucune force naturelle ne saurait atteindre (réalisalion d’une prophétie proprement dite, résurrection d’un mort), soit que lu soudaiiielé du fait, sa grandeur, ladisproporlionéclatanledes moyens employés, inclinent puissamment l’esprit à admettre l’intervention surhumaine.

387. — On doit en dire autant de la perception des caractères qui autorisent un signe négativement (connue non indigne) ou positivement (comme digne, 1res digne), par son excellence morale et son efficacité religieuse, d’être employé par Dieu, — et qui établissent une connexion manifeste entre le signe et un ensemble doctrinal ou une personne en particulier. On ne peut marquer ici de limite absolument fixe, éviter tous les incidents de frontière. Les indices qui manifestent ces caractères n’agissent pas sur l’esprit d’une façon géométrique, mais par voie d’insinuation, d’inclination, de liaute probabilité, de certitude morale. Il n’y a pas deux cas tout à fait semblables.

Le recours à la Providence de Uieu achèvera ordinairement de rendre certaine une interprétation fortement suggérée par la grandeur du fait et sa qualité religieuse’. Si, au lieu d’un signe, on se trouve en présence d’un ensemble considérable manifestement lié à une initiative religieuse de première importance, on bénélieie d’un cas ])rivilégié. Mais le jugement qu’on porte aura le plus souvent toute son assurance avant l’exclusion réfléchie, explicite, technique, des autres interprétations possibles.

Ces remarques générales vont se préciser dans leur application aux signes religieux.

S. — Les signes divins en particulier :

A) La Prophétie

SZ8. — Le prophète (nàbi’, 7 : ^o ;.v, 7v ;  ;), c’est l’homme en puissance de Dieu et agissant comme tel, le porteparole inspiré de la Divinité 2. Le don qui confère cette haute prérogative est de l’ordre intellectuel 3, mais il se double très souvent d’une action sur la volonté, donnant à l’inspiré conscience d’un devoir de transmission et de proclamation.

Les connaissances ainsi communiquées d’en haut peuvent dépasser en elles-mêmes, et dépassent toujours par leur mode d’appréhension, celles que l’homme acquiert par la voie commune. Elles participent ainsi, d’une façon inégale mais certaine, aux révélations divines ; ce qui ne veutpas dire — et bien au contraire — qu’elles violentent à quelque degré l’esprit du prophète. Les obscurités, les équivoques accumulées par la polémique moderniste (éiho de la philosophie Immauentiste hégélienne) ne doivent pas donner le change : tout ce brouillamini résulte de la consen’attori dfs formules et des notions traditionnelles dans une hrpolhi’se de philosophie générale différente, et incompatible avec les réalités que supposaient ces formules et ces notions. Celles-ci partent de l’existence d’un Dieu personnel, transcendant à la fois et immanent. Si l’on abandonne cette conception de Dieu pour celle d’un Divin purement immanent, impersonnel, une sorte d’àme de l’univers, de

1. Le mot fameux de Richard de Saixt-Victor s’cipplique ici de plein droit ; « Doniine, si crror est, teipso decepli suinus », De Trinitale. I. Il ; P. L., C.XCVI, Sîtl,

-. Sur- le sens du mot hébreu, voir le lland^vocrterbuch de GESE.xirs-BiHL", Leip/Jp, l’.HLï, p. 434,. ; sur le sens de la racine vprbate hypiithéliqiie (les formes Terbales connues dérivent du noD)|, ibid, , p. 133, k, B.

3. S.’ïilu>iAS, Summa T/ieol., iU ll", q. 171.

Tome II

racine cachée des choses, conçue (selon les différences des opinions) comme une Idée qui cherche à s’exprimer dans l’absolu, comme une Force obscure qui tend à se réaliser dans la lumière, comme une Conscience dilTuse qui aspire à se concentrer dans l’esprit, — n’cst-il pas évident que la notion corrélative de révélation, de prophétie, de communication divine faite à l’homme va changer, se pervertir, prendre un sens nouveau, différent et finalement, s’abolir ! ?

529. — Dans la conception lraditionnelle, lesdillicultés accumulées par les modernistesfondentcomme la cire au feu. Que Uieu, cause première et lin ultime. Dieu, qui est Esprit, Père et Amour, puisse se communiquer aux créatures qu’il a douées de raison, c’est l’évidence même. Qu’au delà du sentiment qu’il donne parfois de sa présence, et qui est déjà un langage, mais enveloppé, indistinct, snscejjtible d’interprétations diverses, il puisse porter dans un esprit d’homme certitude et clarté, c’est ce qui ne fait pas doute. —

Dans ce dernier cas, on n’a pas, du reste, à supposer toujours une révélation proprement dite. Le Maître divin peut utiliser les connaissances antécédentes du prophète. Son action estcomparable àcelle d’un maitre humain qui met en œuvre, pour faire entendre des leçons plus liantes, les ressources qu’il trouve dans l’esprit du disciple, quitte à lui communiquer les notions complémentaires dont celui-ci aurait besoin.

530. — Toute sorte d’enseignement peut être l’objet d’ime communication prophétique, mais la première place y revient aux choses lointaines, cachées, mystérieuses, an secret des cœurs, aux événements futurs, d’un mot à ce qui dépasse la connaissance humaine laissée à ses propres forces. La perception des événements futurs, en particulier, a toujours été regardée comme la vue « prophétique » par excellence, la plus apte en conséquence à devenir un signe divin. C’est ainsi qu’elle est présentée dans les passages du Livre d’Isaïe où s’exprime avec sublimité la croyance universelle ;

C’est moi, lahvé, et personne aulrp Ce n’cstpas en cachette que j’ai [yjf’.-Ié,

dans un coin obscur de la tei-re// Je n’ai pas dit à la race de JacoH’ ;

« Cherchpz-moi en vain ! » /.

C’fst moi, lu/ivé, (huit la parole ^int^.ste,

et sure la prédiction f

Assemblez-vous, venez, approcv’z

stirvivants des nations ! Ils ne savent rien, ceux qui portent une idole de bois

et supplient un dieu qui ne sauve pas.

Parlez, exposez, oui, consultez ensemble !

Qui, jadis, a publié cela ?

ijui autrefois en a parlé ? ?f’esl-ce pas moi. laht’é,

et nul autre Dieu, si ce n’est moi ? De Dieu juste et sauveur il n’en est point que moi’- !

1. Sur ce point, et les indignes équivoques qui s’ensuivent, je me suis longuement expliqué dans mon mémoire sur le Développement du dogme chrétien, m* Partie, I : Reiue pratique d apologétique, VI, 1908-1909, p. 40-2-414, contre.W.VI..-iug. Sabatiek, Esquisse’, p. 40 sqq., George Ttkkell, Through Scylla and Charybdis, London, 1907, ch. VIII, II, m : Alfred Loisy, Simples réflexions sur VEncycHijur Pascrncfl…, Ccffonds, 1908, p..52 sqq. 149 sqq. J’ai montré également, p. 404, notes, la dépendance des auteurs modernistes par rapport aux idées et formules du protestantisme libéral, en particulier celle » d’Aug. --abatier. La question a été reprise depuis parle R. P. A. Gab-DEIL, Le Donné révélé ci la Théologie, Paris, 1910.

2. /saïe, iLiv, 18-22 ; Ir. Albert Co.ndamin, p. 277, 278

15’z ensenibTe,

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El encore : Idoles et j)euj)les idolâtres,

Venez plaider voire cause,

dit labvé ;

Produisez ^os preuves,

dit le roi de Jacob.

Qu’ih approchent ei qtiih nous prédisent

ce qui arrivera !

Le passé, comment Vont-tls prédit.

Sous l ejraminerons !

Ou l’avenir, i/u’ils nous l annoncent,

Nous eu verrons l’issue.’Annoncez ce qui sera plus tard

et nous saurons que vous êtes des dieux ! Allons, bien ou mal, faites quelque chose

el nous pourrons nous mesurer.

Kh bien, tous n’êtes rien,

et votre œuvre est néant :

a ! >oininahle celui qui vous choisit’.

231. — L’atlribuldivinquilondele signe delà prophétie est très nettement exprimé dans ces paroles : si Dieu peut annoncer l’avenir, c’est qu’il est éternel. Possédant comme tel, dans la plénitude de son Etre, toute perfection réelle, il échappe à tout ce qui passe, devient, dure, à tout potentiel, à toute vicissitude, à tout /ieri. Pour lui, tout ce qui, selon notre manière de parler, « sera « , est déjà. Un homme (je reprends la comparaison de saint’Phomas, n’en connaissant pas de meilleure pour nous suggérer une idée telle quelle du mystère impénétrable, mais rationnellement certain, de l’éternité divine), un homme placé sur une montagne et observant une armée en marclie dans la plaine, voit d’un seul coup d’oeil, sur la route qui se déroule à ses pieds, ceux qui ont passé, ceux qui passent, ceux qui passeront. Cependant, l’observateur cheminant dans la plaine, et faisant partie d’un des bataillons, a déjà perdu de vue les premiers et ignore tout des derniers. Ainsi Dieu, inliniment élevé au-dessus du flux temporel qui nous porte en nous entraînant, voit ce qui a été, ce qui est, ce qui (pour nous) sera. « Il nomme ce qui n’est pas [encore] comme ce qui est » (Rom., iv, 17) et, puisqu’il le voit et le nomme, il peut le dire ou, par des images appropriées aux conditions mentales de l’instrument humain, le montrer à un mandataire choisi. Si Dieu le fait, ce sera un cas de « prophétie «  au sens spécilique du mot et, du même coup, le sceau du divin imprimé sur la mission du prophète. A certaines conditions pourtant, qu’il importe de préciser.

233. — Notons d’abord que des prérogatives moins élevées, mais du même ordre, telle que la vision à distance, la lecture des pensées et des sentiments intimes, sont comme l’aube du jour prophétique, et inclinent puissamment à reconnaître, cliez celui qui les possède habituellement, la réalité du don divin. Il reste que le signe probant, parfait, se résume dans la prédiction de l’avenir. Si nous cherchons les trois éléments signalés i)lus haut, dont le faisceau constitue l’armature du signe, nous verrons que toute la complication gît dans la constatation du premier clément : insuflisance des causes naturelles à expliquer la pré<liction. S’agil-il d’événements dépendant d’une cause Hece.’ !.’a(>(’, par exemple d’une éclipse ou d’une grande marée, la prédiction n’aura de merveilleux que l’apparence, tout comme, en matière de guérison, la prédiction d’un effet suivant l’application d’un spécilique inconnu du vulgaire. S’agil-il d’événements provenant de causes libres, ei par conséquent naturellement imprévisibles, on exigera

1. Isaïr, XL, 2-2’. ; IIU., p, - : 47-2’19.

encore que la prédiction ne soilpas ambiguë, jusliliable en tout état de cause, à la façon de maint oracle antique. Elle ne devra pas être probable et conjecturale (ce qui peut fort bien s’accorder avec des déclarations de forme catégorique). Car une assurance provenant de convictions fermes tend naturellement à s’exprimer par des affirmations nettes. » Mes garants [dans ce que je prédis] ne sont pas, déclarait le réformateur écossais John Knox’, les merveilles de Merlin ni aussi les sentences obscures de prophéties profanes. Mais d’abord la simple vérité de la parole de Dieu, ensuite la justice invincible du Dieu éternel, et enfin le cours ordinaire des châtiments et fléaux qu’il envoie, tel qu’il apparaît depuis les origines : voilâmes garants et assurances, n On peut assimiler à ce cas les événements politiques et sociaux dont l’annonce positive ne dépasse pas la divination d’esprits pénétrants et expérimentés : plusieurs prédictions de Joseph de Maislre et de Frédéric Le Play se sont réalisées de la sorte. On n’appelle pas, pour autant, ces hommes éminents des prophètes.

233. — Avant de tirer argument d’une prophétie accom/)//e qusque-là elle a besoin d’être autorisée, loin d’autoriser celui qui l’a faite), nous exigerons donc que le tableau soit assez déterminé, assez en dehors des probabilités sérieuses, dépende d’un jeu assez complexe de volontés libres pour qu’une simple prévision n’ait aucune chance de tomber juste. Cette exigence n’implique nullement que Dieu révèle (par un prodige inouï et d’ailleurs inutile) toutes les conditions de vie, les habitudes mentales complètes de l’époque à venir présentée dans un de ses détails à l’œil spirituel du voyant. Un tel dépaysement réduirait celui-ci au rôle d’un instrument passif. Tant s’en faut : continuant de parler sa langue, imprimant à ses prédictions le caractère de sa race, la couleur de son temps, de la culture littéraire qu’il a reçue, et de son génie propre, le prophète est le héraut d’un message, non le transmetteur automatique d’une leçon 2.

234. — C’est la lin religieuse de ce message qui mesure l’étendue et détermine le caractère des visions. Il peut donc arriver que la ritilisation — comportant parfois des étapes distinctes, séparées par des laps de temps considérables — d’un même dessein providentiel, se présente sous des images en continuité, donnant lieu à des prédictions enchaînées et faisant abstraction des interA-alles. Ces prédictions se mouleront naturellement dans les formes littéraires reçues en pareille matière. De là vient souvent l’apparence énigmatique et l’obscurité du langage des prophètes : les faits seuls, tout en justifiant l’inspiration du héraut, interpréteront du même coup le sens détaille de son message. Il serait aussi puéril de s’en tenir obstinément à la lettre des images que d’exiger certaines précisions tout à fait étrangères au but religieux du signe.

B) Le Miracle

233. —. le considérer commesigne, le miracle est un événement sensible extraordinaire qui, dans les entours concrets où il se produit — tant par la force surhumaine qui s’y révèle que par son excellence spirituelle — engage la sagesse et la puissance de Dieu.

Fait sensible, au moins dans ses conséquences : la patience héroïque d’un martyr peut devenir manifeste par ses efTets, tout comme le miraculeux pouvoir

1. J’emprunte ce trait au Prof. A. B. Daviusos, Prophrcy and Propliets, dans le Dictionary of the Bible de J. IlBstin^s, IV, 1002, p. 121, A, note.

2. S. Tiio.Ms, Humma T/ieologica, II » II », q. 1T3, art. 4. 1413

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de sanctiQcalion possède par une société religieuse. J-’ait extraovdiuaire, et à ce titre Uxanl l’attention des indiirérents, des incroyants, de tous ceux qui n’ont pas les j-eux de l’àiue ouverts à des signes moins voyants. Faitcoitsuléré dans ses enlours concrets, capaMes de situer l’événement, de permettre une appreiialion portée en connaissance de cause, d’écarter certaines interprétations, en bien ou en mal, que la seule ([ualité du l’ait n’exclurait jias nécessairement. Fait suggéranl d’abord (sauf en certains cas où la lumière est comme foudroyante) et enfin persundant d’attribuer à Dieu même la responsahiliié, la valeur signiliante, du prodige. Ce dernier pas, le plus important, le seul décisif, est rendu possible et raisonnable par la c nstatation d’une double transcendance : physique, corporelle, littérale, et morale, spirituelle, religieuse. Insistons un peu.

S36. — Transcendance pliysique, corporelle, du miracle. — Ce point est délicat entre tous, parce qu’il implique une conception ferme de la « nature ii, et de la connaissance que nous en avons. (On dirait, en termes techniques : une cosmologie, une critique.)

Deux conceptions contraires de la a nature », du monde matériel où s’inscrit, par hypothèse, le signe miraculeux, rendraient tout à fait vaine, si l’on admettait l’une ou l’autre, une enquête sur la transcendance physique de l’événement. Dans la première de ces conceptions, bien battue en brèche auprès des penseurs contemporains, mais longtemps prépondérante et dans les termes de laquelle on a essayé parfois, très imprudemment, de délinir le miracle, tout signe sensible de ce genre est impossihle. Dans la seconde conception, antithèse de la première, et formulée en réaction contre elle, le miracle est im’évifiahle.

La conception strictement déterministe ou « scientiste » (appellation barbare d’une doctrine qui ne l’est pas moins) ramenait le monde à un système d’interactions purement mécaniques, soumettait tous les agents naturels à des " lois » infrangibles, connues sur le mode géométrique. Il n’y aurait d’activité dans l’univers que celle qui procède par séries de déclenchements nécessaires, dont le rythme complexe peut bien parfois nous dérouter ou nous échapper, mais dont toute contingence, toute souplesse, toute intervention libre quelconque est exclue (( priori. Il est trop clair que, dans cette hypothèse, une apparence même de libre choix n’est qu’une illusion née d’une survivance spiritualiste.

Les penseurs et les savants qui ont fait triompher ce qu’on est convenu d’appeler la philosophie nouvelle, MM. Emile Iîoutroux, William James, Rudolf EucKEN. Henri PoiNCARK, Pierre Duhrm, Henri Bergson, ont montré quelle part d’imagination et d’arbitraire viciait le système rigide du monisme matérialiste ou, pour mieux dire, sur quelle équivoque énorme était bâti cet édilice. On érigeait en lois universelles et certaines de toute réalité un ensemble de règles approximatives, permettant à l’homme de se représenter et d’utiliser une partie (et la moindre en importance, la partie matérielle) du réel total ! X la l)ase des conceptions scientiliqucs. ces penseurs ont constaté le choix humain conventionnel et libre. Ils ont montré que le i< fait scienlilique » n’exprimait de ce qui est qu’une portion, encore choisie et schématisée ; que les « lois de la nature » avaient pour base des postulats et des approximations ; que le psychique et le spirituel, loin de se régler par les manières d’agir de la matière ou de s’y résorber, débordaient celle-ci de toute part et, loin de s’expliquer par elle, 1 expliquaient seuls en lui donnant un sens. Ils ont ainsi restitué à « la nature », c’est-à-dire à l’image

ordonnée que nous nous faisons du monde sensible, une indétermination, uneeontingence, une souplesse qui laisse, aux libertés spirituelles, toute possibilité d’intervention’.

S37. — Mais à pousser trop loin la réaction, quelques personnes ont fini par réduire toute notre connaissance des objets naturels, toute notre science de la nature et de ses lois, à des inductions, à des recettes, à lies conjectures plus ou moins fondées, à des probabilités bonnes seulement pour guider notre action pratique. On arrive ainsi, par une erreur contraire à celle du « mécaniste », concevant tonte réalité sur le modèle des agents purement matériels, bruts et mécaniques, à concevoir /oH^e rcV/Z/Ve sur le modèle des êtres libres et spirituels, indéterminés, à elTets imprévisibles^. Mais c’est là une exagération et une erreur. Le point de départ des inductions établissant les lois scientifiques, s’il est conventionnel, n’est pas arbitraire : s’il est étroit, n’est pas imaginaire. Des manières d’être, et par conséiiuent d’agir, du monde matériel, il exprime une partie seulement, mais une partie certaine, donnant lieu à des prévisions assurées. La réussite de la science le montre tous les jours. La critique fondée du déterminisme scientifique n’implique donc nullement une imprévisibilité totale, qui rendrait illusoire, par coulre-coup, tout essai de constatation du miracle,

338. — Dieu, qui a fait le monde matériel en vue et pour le service îles êtres spirituels, a imposé aux agents physiques une nature, une essence, un certain degré de plénitude et d’activité déterminés, intelligibles, s’exprimant par des elTets constants : cette uniformité donne prise aux prévisions certaines qui fondent l’utilisation du monde matériel par l’être intelligent, capable de discerner et de formuler en

« lois » ces manières d’agir identiques. L’empire

exercé ainsi par l’homme sur la nature, tout incomplet et précaire ((u’il soit, montre qu’on ne trouve pas chez les agents matériels l’indétermination qui appartient aux substances siiirituelles. Il est vrai qu’une fois formulées les « lois de la nature », les suites régulières et, d’elles-mêmes, infaillibles d’antécédents et de conséquents restent subordonnées, en une certaine mesure, aux interventions des êtres libres. Mais ces interventions, loin d’abolir, ou de

1. « L’explication mécaniste ne consiste qu’en images… les images qui soutiennent la Ihéorie niécanisto intéiessenl moins la structure propre de la science que In psychologie du savant… Bref, ce sont des sclièmes commodes, d’une commodité relative à l’individu qui les manie »… Plus généralement, ces conceptions rigides, » réduisant ce qu’il y a d’.^bjeclif et de solide dans la science à un système d’équations dilTérentielles », ne sont que des

« hypothèses issues de l’imagination et qui ne sont que

pour l’imagination ». Les « lois » coti(, -ues dans cette liypothèse « ne sont plus immédiatement liées aux données de fait, elles ne peuvent plus être posées comme des réalités objectives ». C’est ainsi que M. L. lïnu.NscHvicc, résumela philosophie scientiBque d’IIenri PomcAUK (tout à fait d’accord sur ce point avec celle des autres penseurs cités) : L*Olùirre d’ilrnri Poincarc, dans le Numéro siécial de la Itrvite de mefnp/it/.iitjne et de morale consacré à Henri Poincaré, Paris, novembre’.), p. 501-593. Il va sans dire ([u’en soulignant la victoire de la « philosophie nouvelle » sur l’épais déterminisme du <’scientisme », nous ne prétendons pas, pour autant, approuverla partie consliuctive, diverse d’ailleurs selon les auteurs, de la

« philosophie nouvelle)>.

2. Cette exagération o été surtout le fait di’M. Kd. Lk Roy, qui s’est vu contraint en conséquence ii renoncer, dans la question du miracle, à l’éléinent traditionnel de transcendance. Voir les.-titnaUs de t^hilosophle chrétienne fie 190fi, et l’édition revue, amendée, mais encore indéfendable, donnée par l’auteur de sa Ihése, dans le llulletin de la Société française de Philosophie, ilù mars lt)l2. 1415

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« suspendre », ou de « contredire » les lois naturelles, 

ont pour résultat de les oontiruier en les dirigeant, en les combinant, en exaltant leurs efforts pour des uns supérieures. Constructeur d’aéroplanes, je profite des lois d’inertie, d’équilibre, de résistance, pour un résultat qui peut sembler, au regard superficiel,

« suspendre » ou « contredire » ces mêmes

lois. Médecin, je canalise, je suscite, j’active des forces vivantes, subordonnées en une certaine mesure à ma libre intervention, mais qui conservent, nonobstant cette intervention, leur direction, leurs façons d’agir, leurs imperfections, leur automatisme foncier. 239. — Delà vient que l’efiicacitéde mon intervention — de toute intervention humaine — est fort restreinte. Le monde matériel est plutôt surpris par ruse et artifice, que soumis et dompté par force. Nous connaissons, pour nous y être souvent meurtris, ces bornes étroites de notre pouvoir, et l’expérience bumaine est faite de millions, de milliards de constatations uniformes. Avec de la farine, de l’eau et du feu, dans certaines conditions et à travers bien des peines, nous pouvons faire du pain : nous ne pouions pas nourrir, avec « cinq pains d’orge et quelques petits poissons », des milliers de personnes alTamées. Contestez le fait, si vous le pouvez, à la bonne heure 1 S’il est constant, il dépasse les forces humaines.

Il y a de même certains enchaînements, certains déroulements d’effets qu’on peut qualifier d’irréversihles, parce qu’aucune force naturelle ne peut en suspendre le cours, et bien moins le renverser. Telle altération physiologique met par exemple un organe, condition du consensus vital, en un tel état de perturbation, de dissolution qu’il n’est plus au pouvoir de personne de l’arrêter. Quand la série de ces morts partielles s’est propagée jusqu’aux centres de coordination, de nutrition, d’équilibre, ce sera la mort dernière, la « mort sans phrases ».

L’expérience faite par tant de générations d’hommes, placées dans les conditions les plus diverses, a permis ainsi d’assigner une limite à l’intervention eflicace des forces humaines. Limite impossible à préciser dans son dernier détail, mais certaine. Expérience qui enlève toute probabilité sérieuse à l’hypothèse du renversement naturel de certains processus de dissolution, parvenus à un point donné. On ne ressuscite pas un mort, on ne guérit pas en un instant un organe physiologiquement, profondément lésé, des tissus dont la réfection exige (après les « éraonctions « nécessaires) l’apport, l’élaboration sur place, dans des conditions très instables, de centaines, de milliers de cellules différenciées. Or on peut vérifier souvent, de façon à écarter tout doute sérieux, la mort réelle, l’altération physiologique réelle. Les phases de ces divers phénomènes, et celles des réfections inverses, ont été étudiées avec une patience et une finesse admirables, ipii rendent naturellement inconcevables, en beaucoup de c.TS, les circonstances exigées par un retour soudain à In vie ou à la santé.

S40. — S’il s’agit de forces humaines spirituelles ; enthousiasme, patience, etc., les limites, pour être moins ap|>arpntes, n’en sont pas moins réelles et. en gros connaissables.il est très dilficile de localiser dans telle couleur certaines raies du spectre solaire ; pour d’autres, le doute serait déraisonnable : elles coupent netiement la zone verte ou la rouge.

Cependant tous ces agents naturels, bruts 0)i vivants, automatiquement mis en branle ou capables de choix, tous ces agents dontl’inertie on la faiblesse s’opposent victorieusement aux interventious humaines, restent soumis ; i une Puissance plus haute, qui peut en majorer l’etlicacité et en concentrer l’énergie. Non certes que Uieu, par uue intervention arbi traire, veuille l’impossible, réalise l’inconcevable, puisse faire penser une pierre ou contredise une loi dépendant d’essences qu’il a voulues telles. Mais, pour des Uns spirituelles dont il est juge, Uieu pourvoit l’homme élu, le thaumaturge, d’une force qui lui permet de maîtriser, de concentrer, d’accélérer, de suppléer telle ou telle activité naturelle. Cette plaie qu’il faudrait normalement des semaines, ou des jours, pour fermer, se guérit par la formation iustanlanée d’un tissu sain ; cet équilibre vital que le corps n’avait pu maintenir est derechef rendu possible, el restitué, par un changement extraordinaire des éléments corporels. Ces débiles volontés humaines, femmes, enfants, pauvres ignorants, bénéficient d’une sorte de confirmation qui les rend supérieures à toute épreuve. C’est eu présence de faits semblables qu’étonnés, admirant la disproportion fiagrante entre les causes naturelles actuellement appliquées et la grandeur de l’effet, nous crions au miracle : « Ihi esl Jleiis tuus ? Les miracles le montrent et sont un éclair’. »

S41. — Transcendance spiriUielle du miracle. — Toutefois, nous ne le ferons avec une conviction éclairée que si, à côté de la transcendance corporelle (nous venous de la préciser), le fait merveilleux se pare d’une autre transcendance. Il faut que sa teueur et son orientation permettent de l’attribuer à la sagesse et à la bonté suprêmes. Il faut que le signe ne soit pas indigne de celui qui daigne s’en servir. Assurément, on ne lui demandera pas une perfection qui risquerait d’arrêter et d’absorber l’attention sur lui-même. Dans ce cas, l’esprit serait en danger de ne pas aller plus loin, de ne pas percer jusqu’à la chose signifiée. Il reste pourtant que le signe ne doit pas seulement être approprié au sens qu’il doit suggérer, mais digne, par le sérieux et la bonté morale des actions qui le constituent, de convoyer cette haute signification.

242- — C’est pourquoi le prodige devra se présenter sous des dehors de décence, de convenance, de moralité qui l’autorisent comme œuvre divine. Tout ce qui sentirait la fantasmagorie, le prestige, le a truquage » ; tout ce qui favoriserait l’orgueil, la sensualité, l’égoïsme du thaumaturge- ; tout fait qui s’insérerait dans un contexte grossier, coupable, puéril (les exemples abondent dans les évangiles apocryphes et, plus encore, dans les « miracles » du Bouddhisme indien-’), ou même tout phénomène bizarre, isolé, sans attache perceptible avec un attribut divin ou un intérêt religieux majeur — tout cela devrait être dédaigné, ou du moins suspect, quand il s’agit de miracle. Fermement maintenues, ces exigences permettent d’écarter une diflîcultt’subtile touchant l’interprétation des signes divins

« Admettons, dira quelqu’un, que tel phénomène

dépasse les forces humaines : il n’est pas démontre pour autant qu’il faille l’attribuer aune force divine. Des puissances surhumaines, spirituelles, bonnes ou méchantes, sont concevables, dont l’intervention

1. Pasi : ai. Pensées, éà. Brunschvicg mo/or, III, p. 283.

2. On sait que nombre des « révélations » faites :. Mahomet pendant la période finalede sa vie, à Médine, vont à jiistifiiTses crimes, la violalion de ses propres lois su’le inaviag^e. etc. Il s’en accuse loi-mème dons le Coi-an. Voir H. La.mmfns, Ma/iomel fut-il sincère ? dans les Recherches de science religieuse. II, Paris, 1911, p. 2ôsqq., HO sqq.

3. Voir H. Kp.RN. Histoire du Bouddhisme dans I Inde. tr. tv. 0. Hnet, Paris, 1901, 1902, I. p. ".’îsqq. — Il fart d’aillfuis tenir compte en tout cela de l’état des esprits et des mœurs : rudesse n’est pas grossièreté, simplicilê n’est pas sottise. 1417

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pourrait expliquer ces faits apparennuent miraculeux. C’est là (lu nioius une hypothèse qui n’est pas (iéraisonnal)le. » — Ne cherchons pas si cette hypothèse sutllrait dans tous les cas à expliquer les faits : je renvoie là-dessus aux précisions de saint Thomas I. Sur le terrain religieux i(ui est le notre, il est un moyen beaucoup plus simple de sortir d’emharras.

S43. — Les forces spirituelles dont il est question sont assurément soumises à la Providence de Dieu. Bonnes, elles ne peuvent être que des instruments dociles, favorisant le bien spirituel des hommes ; malicieuses ou cajjaljles, selon les heures, de hicn et de mal’^, elles ne sont pas laissées sans contrôle à leur initiative bizarre ou malfaisante. Estimer que leur intervention puisse venir troubler l’ordre naturel et créer, sans raisons très graves, des perturbations dans cet ordre, est déjà fort malaisé à concevoir et peu conciliable avec la notion véritable de Providence. Mais admettre que de telles interven lions se produisent là où des intérêts religieux sont en jeu, dans des circonstances qui non seulement n’excluent pas, mais appellent et sugg’èrent une interven lion de la sagesse et de la puissance de Oieu, c’est là proprement sortir du terrain sur lequel nous nous sommes placés dans toute cette étude, et hors duquel la notion de miracle n’est plus qu’une enveloppe ville et une chimère. C’est mettre en doute, équivalemment, l’existence ou l’incessante et inlinie sa^sse d’an Dieu très bon.

3. — Jésus Prophète

244. — Tous lescvangélistes attribuent à Jésus ilc Nazareth, d’emblée et sans progrès appréciable, les dons variés qui constituent le prophète. Dons élémentaires, tels que la faculté de voir les choses à distance et plus encore les choses secrètes, de lire dans le secret des cœurs. Saint Jean, qui souligne avec plus d’insistance l’emploi de ces puissances, n’est pas plus explicite, sur le fait, que les Synoptiques.

Nathunuël lui dit : « D’où nie connaissez-vous ? » l^n réponse Jésus lui dit : « Avant que Philippe t’appelât, quand tu tjtuis sous le figuier, je t’ai vu. » /o., i, 48.

Et le premier jour- des Azymes, alors qu’on immolait la PiV(pie, ses disciples lui dirent : « Oii voulez-vous que notis nltions vous préparer îde quoi] mnnger ht P ; qne ? » Lors, il euvoie de(î de ses disciples et leur dit : x Allez vers la ville et vous rencontrerez un homme portant une cruche d’eau. Accompagnez-le e(, où qu’il entre, dites au maitre de maison que le ^lailre dit : « Où est la place où je puisse manger la P.’ique avec mes disciples ? » Et il vous indiquera une haute chambre, tendue, toute prête. Là vous nous préparerez [ce qu’il faut]. » J/c, xiv, 12-16.

S43. — Bien plus nombreux encore sont les traits lie lecture des pensées. Dans les formules johanniques :

« Jésus ne se conliait pas à eux, car il les

connaissait tous ; et pas n’était besoin <iu’()n lui rendit compte [des pensées] d’un homme, car il savait ce qu’il y avait dans l’homme » (/o., ii, 24-2Ô) ; « Jésus savait des l’origine qui seraient les non-croyants, et <jui le trahirait » (.70., vi, 0/|), nous avons un résumé, sous forme générale, de ce que les Synoptiques nous tlécrivent souvent au concret. Jésus entre dans la synagogue, un jour de sabbat :

1. ΠPctenlia, q. vi, art. 3 et sqq. On peut consulter aussi Fr. SiAKEz, Tract, de AnifeUs. I. IV, cap. xxxix.

2. Cette hypothèse que nous savons, comme fidèles, n’être pas acluellement réalisée, est au fond des croyances spiriles. Voir i.i iv K.vrdec. Le Lime des r.sprits, fari, 1857, ^-’1912 : là-dessus Lucien RouRE, La religion $pirile, dans Etudes, 5-20 juin 1913.

Il y avait l ; i un homme, dont la main droite était dessccliée. Or les scribes et les pharisiens observaient [Jésus, pour voir] s’il guérirait le joui- du sabbat, alin de trouver matière à l’accuser. Mais lui pénétrait leurs [lensèes ; il dil [donc] à l’homme qui avait la main desséchée ;

« Lève-toi debout, au milieu ! » 1, homme se dressa et se

tint debout. Et Jésus leur dit : « Je vous le demande, est-il permis le jour du sabbat de faire le bien on [de commettre ] le mal, de sauver une vie ou de la jierdre.’-i Et jetant sur eu.x tousunrcf ; ard circulaire, il dit à l’homme :

« Etends ta main. » Il le fit et sa main fut guérie. Le., vi, 

ii-I2. — Voir également le., v, 21, 22 et passim.

Cette extraordinaire et infaillible clairvoyance ne constitue pourtant, nous l’avons remarqué, que l’aube du jour prophétique. Il convient, pour aj)précier la plénitude de ce don en Jésus, de grouper ses prédictions autour de trois objets principaux : sa personne, son œuvre sur terre, la consommation des choses. L’étude de cette dernière série de prophéties nous donnera occasion d’éclaircir les doutes qui se sont élevés louchant le sens et la vérité de certaines déclarations du Maître.

A) Prophéties de Jésus à son sujet

S46. — Elles se rapportent principalement à la parlie laplus obscure, la plusméconnue aussi, desa fonction messianique : la rédemption doulimreuse. Pour des raisons trop faciles à comprendre, cette perspective, si nettement rattachée, dans les prophéties du n Serviteur de lalné », au salut d’Isracl et à l’établissement du Règne de Dieu, était restée à peu près lettre morte, inopérante dans l’imagination populaire, exclue des spéculations concernant le Messie. Tandis qu’avidement relevés dans les prophètes, les traits glorieux ou prometteurs donnaient texte à des gloses, à des interprétations inlinies, l’évangile du Juste soulTrant demeurait dans une pénombre sacrée où nul ne se souciait d’aller le déchilTrer’. Les meilleurs parmi les Israélites, tels que les Douze, non seulement n’entraient pas volontiers dans ce courant de pensées, mais — tous les évangiles en témoignent — refusaient nettement de s’y laisser porter. C’est donc en dépit de son milieu, en opposition avec son entourage le mieux disposé, que Jésus ût revivre celle conception, en détailla les troublants épisodes avec une clarté croissante et en dégagea le sens divin.

347. — La série des textes ijui témoignent de ces % ues prophétiques est si explicite qu’elleest. pour les rationalistes de tous les temps, dans un autre sens que pour les disciples de Jésus, mais à un égal degré, une pierre d’achoppement. Aussi s’elToreenl-ils de la mettre hors de leur chemin. Tout en déclarant qu’il Il serait téméraire de prétendre que Jésus n’a pu jamais, avant les derniers jours, exprimer des pressentiments touchant sa passion et sa mort », Wilhelm Wriîde dispose en quehpies mots, et sans peine, des prophéties principales : elles sont pour lui o un coiu’t sommaire de l’histoire de la Passion — racontée, à vrai dire, au mode futur ^ » (lisez : calquée après

?fel. Voir, en plus des auteurs’cités p’us’haut, Ferdinand ï’iWT, La Messie soti/frunt dans la théologie judair^uc, dans la rhéologie de saint Paul, II, Paris, |yl2, p. 308, : M)’J. 2. (’Sie sind nichts als ein kurzes Summarium der Leidengescbichte,

« allerdings im Fulurum)) ; Zïa.s’Mcssiasgelieirnnis

in den Ki’angelien, Goettingen, 1901, p. 88. Un peu moins cavalier, M. A. JilLi< : ui : R présente rpielques timides raisons d’oidre littéraire : « Les mots prêtés à Jésus par les.Synoptiques, tels que les fréquentes allusions i> su passion future, trahissent, par leur monotonie même et leur manque de vie, leur manque d’authenticité » ; EinUitung in das N. T. -, Tùbingen, 1906, p..’(28,.Malheureusement pour le critique, ces paroles ont, au contraire, un relief saisissant. 1419

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coup sur les événements). « On prend ici sur le fait dans sa brutalilé, réplique M. Henri MonmrrI, le procédé de la critique négative : il n’y a pas de prophétie ! » Dès lors ces historiens, asservis à leurs préjugés d’ordre philosophique, no s’arrêtent pas au fait que ces prédictions saturent vraiment la matière synoptique, où elles font partie intégrante de traits d’une historicité incontestée. En vain leur représentera-t-on que les tenir pour inauthentiques « équivaut à tout rejeter dans l’Evangile - >.

348. — Le siège des critiques radicaux est fait : ces prophéties doivent être réduites à l’état d’interpolations postérieures, tendancieuses. Les évangélisles

— je résume ici M. A. Loisv, qui peut servir d’exemple 3 — auront voulu répondre aux préoccupations des premières générations chrétiennes. Il fallait que le Christ eût prévu sa mort ; il fallait exi>liquer que les disciples avaient été lents à comprendre le mystère de cette mort ! Aux questions ainsi soulevées, Marc aurait cherché des solutions dans la doctrine de saint Paul, dont il était un disciple ardent jusqu’au fanatisme. Les notions pauliniennes, mises en style direct sur les lèvres de Jésus, auraient pris la forme des prédictions que nous lisons actuellement dans le second évangile. De là, elles auraient passé dans les autres.

Cet étonnant échafaudage d’hypothèses montre, pur un bon spécimen, les vices à la fois et le spécieux de la méthode empruntée par M. Loisy à certains critiques libéraux, et qu’il manie avec une virtuosité singulière. (In ne se demande guère si ces conjectures, prises d’ensrmhle, restent vraisemblables, sont compatibles avec ce qu’on sait d’aillenrs sur les évangélistes, rentrent sans le faire éclater dans le cadre des faits certains. Il sulTit que chacune, à son heure, paraisse à la rigueur possible, et que le tout réponde au besoin senti d’élimination, d’expurgation des textes gênants. Il serait trop malheureux que non, l’hypothèse étant précisément conçue pour cela ! Dans l’espèce, chaque anneau de la chaîne conjecturale est hautement suspect : rien ne permet de prêter au second évangéliste cette insincérité, cette habitude de tranquille (et trop habile) inconscience. Si Marc a pu créer et interpoler de tontes pièces cette série de déclarations détaillées, situées, circonstanciées, il n’est rien qu’on puisse tenir pour certain dans la tradition évangélique — et, de cette conclusion, personne ne veut, M. Loisy pas plus que les autres.

D’autre part, le « paulinismc > de Marc, si l’on entend par là quelque chose de plus que l’tisage de certaines formules créées ou employées par l’Apôtre pour exprimer des notions traditionnelles dont la tr.-iduction en grec s’imposait à tous, est une hypothèse sans fondement solide dans les textes. La théologie de Paul sur la mort rédemptrice de Jésus est le développement systématisé de ce qui se trouvait en geryie dans les prophètes, en particulier dans Isaïe, et surtout de ce que le Seigneur Jésiisavait clairement enseigné. Que l’Apôtre fut sur ce |)oint tributaire de la plus ancienne tradition chrétienne, et en parfait accord avec la catéchèse des Douze, il l’allimie explicitement dans sa première épître aux Corinthiens. La mort du Christ pour nos péchés (în Xiutô ; « Trîto.vEv

1. La Mission fiisloriquf de Jrsus", Paris, l’.n4, p. 2rt3, note 4.

2. Ibid., l>. 3C, 3.

3. Us Evanj^iler synoptiques, Ccffoiifis, lOOS, 11, p. IC, 60, 233 et passim

4. Ceci nicmp ii’eit nucuncinenl jirmivé. Voir là-dessus E. MANr.rNOT, le l’auli.’ilsme tir Mure, dans flei’ue ilii elerpé fratuais. l : > noùl. l."> cxlobre, 1" noTcnihrc l’.lO.’i ; M. J. Lacrangi-, Ki’angilc selon saint Marc, Puris, 1911,

p. CXL-CL.

ÙTT’p Tûv à/itxpTi&j hy’M) est mentionnée comme faisant partie de l’enseignement primitif, essentiel, reçu par Paul à titre de tradition (-y.p : Su/.-A…i zai tt^^ é/c/.C ») et prêché par lui comme indispensable, en conformité avec Céphas, Jacques, les Douze, tous les apôtres

(£(T ; OJv ly’Jt airs èxitvoi, OJTW ; xr, &J770p.iy)K

S49. — De cette doctrine de la Rédemption, préexistante à Paul dans la communailé et noyau de la catéchèse apostolique, ce sont justement les idées fondamentales que nous trouvons dans saint Marc : les développements théologiques ultérieurs, particuliers à saint /’ «  « /, ne s’y rencontrent pas, et c’est bien plutôt dans le troisième évangile qu’on en trouverait trace. Ni l’eilicace de la Rédemption appréhendé et approprié « par la foi », ni le changement d’économie substituant la foi à la Loi, ni aucune des modalités

« pauliniennes » dans la façon de présenter le mystère

n’a même un commencement, une amorce dans le second évangile^.

SSO. —.insi, pas une des conjectures de M. Loisy ne résiste à l’examen. Toutefois on lui ferait la part trop belle en restant sur ces détails. C’est l’ensemble des paroles du Christ qu’il faut maintenant citer ; le lecteur pourra voir quel degré de probabilité reste à l’hypothèse qui tient ces paroles pour des interpolations, des infiltrations, des retouches de seconde main dues à un biais doctrinal. Dès le début Jésus envisage le fait de sa mort et les conséquences qui en résulteront pour les siens : ses réflexions, ses paraboles, ses attitudes même concordent avec les prédictions proprement dites et les complètent en les éclairant. Qu’on en juge 3.

Les Pharisiens et les disciples de Jean avaient accoutumé de jeûner. Ils vinrent donc [vers Jésus] et lui dirent : Pourquoi les disciples de.lean et ceux des Pharisiens jeùnenl-ils, et les vôtres, pas ? » El Jésus leur dit :

« Est-ce que les garçons d’honneur’peuvent jeûner à

l’heure que l’Epoux est avec eux ? Tout le temps qu’ils ont l’Epoux avec eux, ils ne peuvent jeûner. Les jours viendront que l’Epoux leur sera arraché et alors ils jeûneront en ce jour-là M. Me., ii, 18-21.

En termes voilés que l’avenir se chargerait d’éclaircir, Jésus compare son séjour ici-bas aux brèves solennités des noces palestiniennes : ses disciples ne doivent songer qu’à profiter de sa présence, sans se soucier actuellement de rien autre. Le Maître ne leur sera enlevé, arraché (à.TMfihr, à-n’mrCfj) que trop tôt ! Alors il sera temps pour eux de faire pénitence. La perspective de la catastrophe est ouverte par ces mots profonds, qui ménagent la lumière aux yeux encore faibles. Mais le jour est proche et l’évangéliste nous montre dès lors les pharisiens et les partisans d’Hérode en conciliabule (ni, 6) pour perdre Jésus.

251. — Cependant, quand la foi des disciples est plus alTemiie, le Maître n’hésite plus à parler sans

1 I C"r.. XV. 1-12. Voir Ferd. Prat, La T/ieulo/^ie desaint Pant, 11, p. lil, sqq. ; Paul FriNT, Tlieologie des Siiien Testaments, Leipzig, 1910, p. 207 : 385 sqq.. surtout 388.

2 M. J. Lagrange, Evangile selon saint Mn-e, p. < ; xi.iv. sqq.

3. Dans la traduction de ces passages, comme sotneut ailleurs, j’ni donné son sens réel au « présent historique i’, si familier à saint.Marc. On peut consulter J. H. Moi i.ton. A Grnmniar of New Testament greel.-, Edinburgli, 1906. p. 12U-121 ; et surtout J. Kviii.r<%, Iloræ synoplicae^, Oxford, 1909, p. 143-154.

4. Littéralement : o les fils de la chambre nuptiale », les jeunes gens, amis et habiluellemenl parents de l’époux, ()iii lui tenaient compagnie pcudunl les fêtes des noces. — Sur l’expression arumécnne, M. J. Lagrange, ICiangile selon saint MarCj p. 42.

ûgures..VCésaréc de l’iiilippe, il vient de provoquer et de magnilier la confession de Pierre.

Or, il cimimeni ;.u de leur enseigner : (( Il fuul que le l’ils de riiomnie soullie lieiuicoup et soit rejeté par les nnciens et les prinii-s îles prélres et les scribes, qu’il soit mis ii mort et « près trois jours ressuscite. » Et il leur disait In cliose ouvertement. Lors Pierre, le tirant à part, commença de lui faire des re|>roches ; mais lui. s’étonl lelouriié et voyant ses disciples, lit des reproches à Pierre et lui dit :

« .Vriière, loiude inoi. Satan ! les sentimenls ne sont pas

ceux de Dieu, mais ceux des hommes. » Mc, viii, : U- ; >’i.

La leçon était dure : Jésus va la répéter. Après la grande émotion lumineuse de la transtiguralion,

Comme ils descendaient de la montagne, il leur commanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vii, sinon quand le Fils delhomme serait ressuscilé des morts. Et ils gardèrent la chose [pour eux], tout en se demaiidiint entreeux ce qu’ètaitcet » être ressuscité des morts ». Et ils l’interrogeaiejit, disant : « Qne disent donc les scribes, qu’il faut qu’Klie vienne auparavant ? » Il leur dit : i( Elle revient d’abord et remet tout en oidre ; et comment est-il écrit du Fils de l’homme qu’il soullrira force douleurs et mépris.’.Mais je vous le dis, Elle est déjà venu, et ils lui ont fait tout ce qu’ils ont voulu, selon qu’il est écrit de lui ». Mr., ix, il-l’i.

Le spectacle qu’ils viennent de contempler et la mention de la résurrection ont ramené, tout en les intriguant, l’imagination des disciples sur le personnage d’Elie. Chacun le considérait eu ell’et comme le Iirécurseur de l’événement glorieux du Messie. Cependant, Jésusne permet pas aux esprits de s’égarer : le rôle de précurseur prédit par Malacliie a déjà été, dans un sens très véritable, rempli par Jean Baptiste. Mais ce rôle a Uni par la souffrance et par la mort, conformément aux Ecritures. Il en sera ainsi pour celui qu’annonçait le second Elle, pour Jésus lui-même. De ces notations sommaires, brèves jusqu’à l’obscurité, la grande leçon ressort en elair : avant d’entrer en sa gloire, le Fils de l’homme sera méprisé et souffrira : per cruccm ad Iticcm.

S58. — tes occasions d’insister vont d’ailleurs se multiplier et, au besoin, Jésus les fera naître :

Partis de là, ils traversaient à la hâte la Galilée et [Jésus ] ne voulait pas que personne le sût. Car il enseignait ses disciples et il leur disait : n Le Fils de l’iiomme est livre aux mains des hommes, et ils le tueront, et après avoir été immolé il ressuscitera au bout de trois jours. » Mais eux ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l’interroger [à ce propos]. Mc, ix, 30-33.

Suit une nouvelle période d’enseignement publie et privé. Or, comme

Ils étaient en route, montant vers Jérusalem, Jésus marchait en avant d’eux, et eux étaient dans la stupeur, et ceux qui suivaient étaient effiayés. Et prenant derechef les Douze à part, il commença de leur dire ce qui allait lui arricr. (( Voici, nous montons vers Jérusalem, et le F’ils de l’homme sera livré aux princes des prélres et aux scribes ; ils le cotidamneronl à mort et le livreront aux gentils, et ou le bafouera, on le conspuera, on le flagellera, on le tuei-a et après trois jours il ressuscitera, n Me, x, 32-3.’).

Si Marc, pour des raisons d’après coup, et utilisant les idées théoriques de saint Paul, a traduit dans cet épisode saisissant in discours de Jésus « oi’i l’éventualité de sa mort était seulement indiquée* », que reste-til, je ne dis pas de son exactitude, mais de sa sincérité la plus essentielle’.' D’autant que cette prédiction est confirmée pardesdéclaralionsultérieures, allant tfmtes dans le même sens et amenées par des faits précis et circonstanciés.

1. A. Loisv, Le^ iU^angiln si/nnpiiijucs, II, p. 233.

S53. — Ainsi, les CIs de Zébédce réclament, en faisant passer la requête par leur mère (.WL, xx, 20), une place d’honneur dans le ftitur Royaume, conçu d’après leur rêve encore charnel. « Vous ne savez pasce quevous demandez, réplique le Maître. Pouvez-vous boire le calice que je boirai ? être baptisés du baptême dont je serai baptise ? » J/c, x, 38. Et comme l’ambition des deux frères provoque l’iniiignation des autres, Jésus tourne l’incident en leçon d’humilité, et conclut que « le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour beaucoup* » Mc, x, 1)5.

Parole capitale, qui porte, on peut le dire, toute la tradition primitive sur la mort rédemptrice de Jésus, trailition explicitement mentionnée par saint Paul comme préexistante à son entrée dans l’Eglise. Le commentaire ou, si l’on veut, l’annonce plus circonstanciée du fait, se trouve dans la parabole des Vignerons ;

« Un homme phiEita une vigne, l’entoura d’une l.aie, creus, -ï

un pressoir, bâiit une tour [de guel], puis confia [sa vigne ] ?i des vignerons et quitta le pays. Au temps voulu, il envoya vers les vignerons un serviteur, afin d’avoir par eux dos fruits de la vigne ; mais eux s’emparèrent de lui, le batlirent et le renvoyèrent à vide. Derechef, il leur envoya un aulE-e serviteur ; celui-là aussi, ils le blessèrent et l’insultèrent. Il leur en envoya un autre, qu’ils luèrcTil, puis beaucoup d’autres : ils battirent les uns. tuèient les autres. Il lui restait quelqu’un, un 61s bien-ainié. Il le leur envoya finalenient.disant : « Ils respecteront mon fils ! » Mais les vignerons se dii-ent les unsaux aulres : « Celui-ci est l’héritier ; venez, tuons-le et l’héritage est à nous !)> Et s’en emparant, ils le tuèrent et rejetèreni [son corps] hors de la vigne. Que fera le maître de la vigne ? Il viendi-a, perdra les vignerons et donnera sa vigne à d’autres, N’avez-vous pas lu cette Ecriture ;

I.a pierre qu’ont méprisée les construcleurs

Celle pierre-là est devenue la pierre maîtresse de l’angle ;

Chose accomplie par le Seigneur,

La merveille est sous nos yeux.’» Mc, xii, 1-1-.

SS4. — Désormais les événements se précipitent. Jésus donne en conséquence des instructions à ses disciples pour les jours où l’Epoux leur aura été enlevé (Me, xiii). Un touchant incident provoque des précisions plus grandes. Survenant au milieu du repas donné à Jésus par Simon le lépreux, une femme répand sur le chef du Maître un parfum de prix. Murmures des disciples.

Mais Jésus dit : « Laissez-la. Pourquoi lui faites-vous peine ? C’est une belle action tpi’cl le a accomplie pour moi. C, -ii’vous avez toujours des pauvres avec vous et chaque fuis que vous le voulez, vous pouvez leur faire du bien,

— mais moi. vous ne m’av'>z pas toujours. Ce qu’elle a pu [faire], elle l’a fait : d’avance elle a oint mon corps pour l’ensevelissement… » Mc, xiv, G-tt.

Et, le premier jour des Azymes, … au soir tombant, il ienlaiec les Douze. Comme lis étaient étendus à table

1. Les critiques radicaux ontappliqué à ce [lassage leurs procédés habituels. Ne voulant pas, ou n’osant rejeter tout l’épisode, dont ces mots forment la conclusion nécessaii’e et pour ainsi dii’e la morale, ils s’évertuent ô montrer que la première partie du verset (concernant le service ) peut subsister sans la seconde (concernant la mort rédemptrice^ qui (( apparliejit à un autre courant », A. LoisY, Les Efaiipilea synoptii/ites. H, p.’241. J. Wku.hai’-SKN (Dai Efangeiuim Muni. Berlin. 1U03. p. 91) va jusqu’à dire, contre toute évidence, que « le passage du service au sacrifice de la vie considérée comme rançon est une u-iT’LQv.-jt^ zU’jj’/'j ysvî ; }). L’honnête « r//o/rt/- juif C.-O. .Mo.NTEFiORK avoue qu’il trouve au contraire les deux idées très proches’Tite synopiic Gospeis, London, 190t>, , p. 2r>0). Et c’est ce qui est manifeste pour tout lecteur non pr-évenu ; le plus grand (( service », comme le plus grand amour, n’cst-il pas de donner sa vie ? 1423

JÉSUS CHRIST

1424

et mangeaient, Jésus dit : « En vérité je vous dis qu un de -vous me livrera, un qui mange avec moi ! » Ils commencèrent de s’aiiliger et de dire, cliacun à son tour ; Il Est-ce moi ? » Mais lui leur dit ; « Un des Douze, qui trempe avec moi son pain dans le plat. Or le Fils de Ihonime s’en va, selon qu il est écrit de lui : mi.is malheur ii celui par lequel le Fils de 1 homme est livré ! Mieux eût valu pour lui qu’il ne viritpasau monde, cet homme-là I « Et tandis qu’ils mangeaient, pnnunt du pain et ayant rendu grâces, il le brisa et le leur donna, et dit : « Prenez, ceci est mon corps. » Et prenant une coupe, ayant rendu grâces, il la leur donna — et tous en hurent — et il leur dit ; Il Ceci est mon snna-, [le sang] de l’Alliance, répandu p"ur beaucoup. En vérité je vous disque je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’à ce jour où je boirai je [vin] nouveau dans le royaume de Dieu ! » Mc, xiv, 17-2t).

Et avant chanté les hymnes, ils s en allèrent vers le mont des Oliviers. Et Jésus leur dit : i( Tous vous serez scandalisés, selon qu’il est écrit : Je frapperai le pasteur et les brebis seront dispersées. Mais après ma résunec tion je vous précé

éderai en Galilée. Lors, Pierre lui dit :

Il Quand tous seraient scandalisés, pas moi ! i) — Jésus lui dit : " En vérité je te le dis : toi-nième, aujonrd hui, cette nuit, avant que le coq chante deux fois, tu me renieras trois fois. ».Mais lui disait de plus belle : « FalKit-il mourir avec vous, je ne vous renierai pas ! ii Et tous les autres disaient de même. Mc, xiv, iT-S-J.

835. — IJe cet ensemble’le prédictions, que j’ai délibérémenl transcrites de celui des évangélistes que la presque unanimité de nos adversaires tient pour le plus ancien, ressort à l’évidence la réalité, et la plénitude du don prophétique en Jésus. On remarquera que ce don ni ne s’étale, ni ne s’égare sur des objets étrangers à la mission du Maître. El aussi que ces prédictions s’insèrent dans la trame de l’histoire évangélique, amenées par des démarches, des épisodes, des circonstances de fait sur lesquels aucun motif plausible d’exclusion ne peut être articulé, et avec lesquels elles font corps. Leur rejet se fonde donc, plus ou moins explicitement, sur des considérations qui ne relèvent ni de la critique des textes, ni de l’histoire.

A cette première série prophétique, imposante sans doute et persuasive, mais portant sur des faits anciens, il sera toutefois utile d’en ajouter une autre, ayant trait non plus à la personne, mais à l’œuvre du Maître.

B). Les prophéties du Royaume de Dieu

S56. — Très différent du Royaume tel qu’on l’espérait alors [Sui>ra, ch. I, S 3, n’73-77], national, plantureux, inauguré par un coup de force et se développant en apothéose, le Royaume de Dieu, tel que Jésus le prédit, commencera humblement, sans attirer les regards du profane. On aura peine, après coup, à discerner ses origines, comme il arrive au voyageur qui découvre enfin, non sans impatience, sur la pente herbeuse de la colline, le mince lilet d’eau jaillissante qui sera, et commence d’être le grand lleuve. Royaume avant tout spirituel : on pourrail lui appliquer le beau mol de saint Paul : « Marchant dans la chair, nous ne luttons pas à la manière charnelle > (II Cor., x, 3). Formé d’hommes et pas seulement d’àmes. donc visible et soumis aux conditions qu’implique ce caractère humain, le Royaume descicux ne fera pas, pour autant, appel au glaive, à l’éclat extérieur de la force triomphante, aux prodiges simplificateurs dont se bercail l’illusion juive.

Interrogé par les Pharisiens : quand airivc le Uoynume de I>ien, (Jésus] leur répondit, disant :.. he Royaume de Dieu ne vient pas de façon à frapper le regard [comme

un objet d’observation astronomique, comme un météore’]. On ne dira pas : (i il est ici !)> ou « il est lïi ! ». Car voici, le Royaume de Dieu est au dedans de [parmi] vous.)> Lc, XVII, 20-21,

287. — Graine imperceptible au début, il poussera, deviendra un arbre. Mais sa croissance s’opérera lentement, par un cheminement inaperçu dans le monde des esprits, par une action sourde, intérieure, mystérietise, une fermentation comparable à celle du levain dans la pâle :

Il Le Royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé ; c’est la plus petite de tontes les graines ; mais, a-t-il crû, il est j)Ius grand qne les |>Iantes potagères et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent et trouvent leur abri dans ses branches. » Mi., xiii,

(I Ainsi en est-il du Royaume de Dieu : comme un homme qui jelti’le grain en terre puis s’endort et s’éveille, la nuit et le jour ; et la graine germe et se développe à l’insu de l’homme. La terre fructilie d elle-même : l’herbe d’abord, puis l’épi, puis du blé plein l’épi. » Mc, iv, 16-29.

Cl Le Kovaume des cieux est semblable au levain qu’une femme j)rend et mêle à trois mesures de farine, jusqu’à ce que toute [la pâte] soit levée. «.’/(., xiii, 33.

838. — Toute la pâte humaine est susceptible de lever. Nul cœur d’homme n’est négligé de parti pris comme étant à jamais endurci. Les limitations de race et de peuple sont abolies. Ce n’est pas dans un coin du monde que se recrutera le Royaume : la Palestine ne le mesure pas, non plus que l’Israël de la chair. Mais le Père du ciel, qui est esprit, peut découvrir ou se créer, eu tout esjirit d’homme, un adorateur.

<i Le semeur de bon grain est le Fils de l’homme et le champ est le monde. » ; U’., xiii, 38.

r En vérité je vous le dis : chez personne en Israël je n’ai trouve foi pareille [à celle de ce centurion romain]. Aussi je vous dis que beaucoup viendront d’Orient et d’Occident et s’assoiront avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux ; mais les fils du Royaume seront jeté » dans les ténèbres extérieures. » Ml., viii, 10-12.

Il C’est pourquoi je vous dis que le Royaume descicux vous sera enlevé et il sera donné au peuple qui en fera les fruits. » Ml., xxi, 43.

I. Et cet Évangile du Ituyaume sera prêché dans la lerre entière, en témoignage à toutes les nations. 1) Mi, , xxjv, l’i.

(I Nos pères ont adoré sur celle montagne et vous dites, vous, que Jérusalem est le lieu où il faut adorer. 1) Jésus lui dit : i< Crois-moi, femme, l’heure vient que ce n’est ]dua sur celle montagne, ni à Jérusalem, que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous adorons ce que nous connaissons, — car le saiul vient des Juifs. Mais l’heure vieni, et la voici, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en verilé ; car le Père cherche des adorateurs de cette sorte. Dieu est esprit : les adorateurs doivent adorer en esprit et eu vérilé. « Jo., IV, 20-25.

239 _ u n’y aura pas, hélas ! que de tels adorateurs dans le Royaume. Large pairie des âmes, où la responsabilité humaine, aidée mais non absorbée par l’action divine, sortira tous ses elfets, nullement secte ésotérique chichement ouverte à quelqiies initiés, nullement ordre ou congrégation recrutée dans

1. Sur le sens exact de -v.pyriipr.’jt : , je suis F. ZoBELl, .Voi-j Tcstamenli Lexicun f^raccuni, Paris, 1911, col. 430.. Le sens général est d’ailleurs certain.

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JESUS CHRIST

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une élite, le Royaume contiendra dans son vaste sein des bons et des mauvais, des fidèles et des nircréants. Le L’iiamp du Père commun de la lauiille humaine — pourquoi nepasdirel’Eî^lise ? J/^, xvi, 18 ; XVIII, i^ ; — reste accessible au semeur d’ivraie : ’( Le Koy ; « nme des cieux ? On le comparera à l’homme qui sème du bon grain dans son champ. Pendant qu’on dormait, survint l’ennemi du propriéUiite : il sema de l’ivraie par-dessus, au miUeu du l’rnnient, et s’en alla. Quand l’herbe eut poussé et graine^ ah>ra l’ivraie apparut, elle aussi. Survenant, les serviteurs du maître du champ lui disent : « Seigneur, n’avez-vous pas semé du l)nn grain dans votre champ ? Don vient donc l’ivraie ? Il leur dit : « C’est l’ennemi qui a fuit cela I » Eux lui disetit : c( Voulez-vous que nous allions et que nous l’urpachions ? )) Mais lui : a Non pas ; de peur qu’en récoltant les brins d’ivraie vous ne déraciniez avec eux le froment. Laissez les deux croître jusqu’à la moisson ! ».1/^., XIII. 24-30.

(( Le Royaume des cieux est encore semblable à un filet qu’on jette à la mer et qui ramasse î^des pnjssonsj cle tonte sorte : quand Je filet est rem[)li, on le tire sur le sable, on s’assied et l’un recueille les bons dans des vases ; les mauvais, on les rejette au dehors. » Ml., xiii, 47-411,

260. — Cette largeur d’accueil entraînera des tlif-Ucultés de tout ordre : faux prophètes au dedans, prédicateurs sans mandat ou sans courage, dont la conduite dément la profession, persécutions violentes ou sournoises. Car la force ne sera pas toujours, il s’en faut de beaucoup, au service du droit. C’est l>armi ces épreuves que le Royaume de Dieu grandira, c’est à surmonter ces dilïîcuUés qu’il se fortifiera ; il s’épurera au creuset de ces persécutions :

tf Gardez-vous des faux prophètes qui viennent à vous vctus en brebis, et au dedans sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs Iruits… Chacun de ceux tjui me disent : ’Seigneur, Seigneur’ ! n entrera pas [déliniiivement ] dans le Royaume des cieux, mais bien celui qui

: icconiplira la volonté de mon Père qui est aux cieux. En

i€ jour-là fdu Jugement] beaucoup médiront : ’Seigneur, ï>eigneur, n’avons-nous pas porté la parole en votre nom ? N’avons-nous pas, en votre nom, chassé les démons ?… Et alors je déclarerai en leur présence : (( Je ne vous ai jamais connus. Loin de moi, artisans d’iniquité. » Mf., vii, 15, 21-24.

« Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu

des loups.’Ils vous mèneront devant les conseils et vous fouetteront dans leurs synagogues…) Mt.^ x, IG, 18.

a On vous induira en tribulations et l’on vous tuera, et vous serez en haine à tous les peuples à cause de mon nom… » Mi., XXIV, ï).

S61> — Ces sombres perspectives ne doivent pas faire perdre cœur aux disciples : Jésus n’abandonnera pas les siens. Son exemple les réconfortera au moment de l’épreuve. Il sera présent par une vertu au milieu des plus humbles groupes priant en son nom. II se donnera réellement aux siens, comme un aliment spirituel et un pain vivifiant, et cependant une large effusion de l’Esprit consolateur, méritée et provoquée par Jésus, rappellera, rendra intelligibles aux liilèles les leçons du Maître, en allé pour un temps quant à sa présence sensible. D’admirables fruits de foi lumineuse et de patience indomptable s’ensuivront :

« Je vous le dis encore : si deux d’entre vous s’acfiordent

sur terre touchant la chose qu’ils demandent, cette cliose leur adviendra de par mon Pêie quî est aux cieux. Car là où sont deux ou trois rassembles en mon nom, là je suis, au milieu d’eux, n Mt., xviii, 19-J1.

« Vous ne ni’avez pas choisi ; mais moi je vous ai choisis, 

et je vous ai établis afin que vous alliez, que vous

portiez du fruit et que votre fruit demeure… Le serviteur n’est pas plus grand que son maître : si le monde vous hait, sacbez qu’il m’a hai avant vous.., s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront ; s’ib ; ont gardiî ma parole, ils gui’d' ront la vôtre..Mais tout cela, ils vous le feront ; i cause de mon nom… Quand viendra le Conseiller que, de par mon P<’re, je vous enverrai, l’Esprit de vèriîé qui procède du Ft-re, celui-lÀ témoignera pour moi. » Jo, , xv, 16, Jti-22, 2H-2 :.

« Je vous ai dit ces choses étant parmi vous : mais le

Conseiller. l’Espiit saijit que le Pure enverra en mi.n nom, celui-là vous enseignera toute chose et vous rappellera tout ce que je vous ai dit.) Jo. ^ xiv, 25-27.

« La femme, quand elle enfante, a de la peine, car son

heure est venue, mais quand le petit enfant est né, elle ne se souvient plus de son travail, à caut-c de la joie : un homme est né au monde ! Vous aussi maintenaut, vous avez de la peine, [mais] de nouveau je vous reverrai et votre cœur se réjouira et votre joie, nul ne vous Tarruchera. » Jo., xvi, 21-2 ; ^.

« Je ne prie pas seulement pour ceux-ci, mais pour ceux

tiui croiront en moi par le moyen de leurs paroles, d

Jn., XVII, 20.

« Je suis le pain vivant descendu du ciel : si q^lelqI^un

mange de ce pain, il vivra éternellement, et le pain que je lui donnerai est ma chair LimmoléeJ pour la vie du monde. " Or les Juif » se disputaient entre eux, disant ; li Gomment cet homme-ci peut-il nous donner sa chair à manger ? » Jésus leur dit donc : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous… Ma chair est une vraie nourriture et mon sang un vrai breuvage. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui… » Ces choses, [Jésus] les dit en enseignant dans le synagogue de Cnpharuadm. Jn, vr, 51-60.

Jésus s’approchant leur adressa la parole et dit :

« Toute puissance m’a été donnée, au ciel et sur terre.

Allez donc et enseignez toutes les nations ; baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tous les commandements’jue je vous ai doni : és. Et voici, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation du siècle J^[)résent » J//., xxviii, 18-20.

36â. — Mais en plus de cette présence, invisible encore qu’elllcace, le Maître se sui’vivra par des liomuies choisis à cette lin : il leur communique ses pouvoirs d’enseignement et de pardon, il les investit de son autorité. L’unité de l’immense édilice spirituel ainsi constitué sera assurée par l’unité du fondement ; fondement visible à la fois et immortel comme l’éditice lui-même. Ce rôle est dévolu à Pierre, qui ne mourra pas plus que la fonction qu’on lui confie ; Pierre, dont le nom symbolise la stabilité robuste contre laquelle les puissances de mal se déchaîneront sans prévaloir.

(( Qui vous écoute m’écoute et qui vous méprise me méprise : qui me méprise, mépi’ise celui qui m’a envoyé. » Lc, x, 16.

« Qui vous accueille m’accueille : qui m’accueille, accueille

celui qui m’a envoyé. » il//., X, iO.

t( En vérité je vous le dis, tout ce que vous délierez sur terre sera délié dans le ciel, et ce que vous lierez sur terre sera lié dans le ciel. » J/i., xviii, 18.

(( [Père], comme vous m’avez envoyé dans le monde, moi, je les envoie dans le monde.)) Jo., xvii, 18.

Il leur dit derechef : « Paix à vous. Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie. » Ce disant, il souilla sur eux et Uiiv dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux auxquels vous remettrez les péchés, ces péchés leur sont remis, ceux auxquels vous les retiendrez, ils sont retenus.)) /", xx, 21-23.

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Jésus leur dit : (i Muis vous, qui dites-vous que je suis ? o Répondîint, Simon Pierre dit : a Vous ùtes le Christ, le Fils du Dieu vivant !)) — Répliquant, Jésus lui dit : i( Bieulieureux es-tu, Simon, fils de Jean, car la chair ni le sang ne te l’ont pas rëvclé, mais mon Père qui est aux cieux. Kt moi. je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Eglise el les Porles [puissances] de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du Royaume des cieux : ce que tu lieras sur terre sera lié dans les cieux et ce que tu délieras sur terre sera délié dans les cieux.)) Mt., xvi, 15-21.

(( Simon, Simon, voici que Satan vous a demandés pour vous cribler comme [on crible] du froment. Mais moi, j ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. El toi un jour, revenu [au bien], confirme tes frères. » /.c, xxii, .31-33.

Après qu’ils eurent dîné, Jésus dit à Simon Pierre : (( Simon, fils de Jean, m*aimes-lu plus que ceux-ci.’m II lui dit : Cl Oui. Seig^neur, vous savez que je vous chéris.)> [Jésus] lui dit : u i*ais mes ag-neaux » Derechef, il lui dit ; (( Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » [Pierre] lui dit :

« Oui, Seigneur, vous savez que je vous chéris, » Jésus

lui dit ; (( p. lis mes agneaux.)) Il lui Hit une troisième fois : Si mon, fils de Jean, m aimes-tu.’F*ier-re fut alïligé de ce qu’il lui avait dit une troisième fois : m’ai ; nes-tu ? Kt il lui dit : c( Seigneur, vous connaissez tout ; vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : « Pais mes brebis. » Jo., xxi, 15-18.

S63. — Enfinnelaissonspas tombenine prétliclion épisodique, concrète, bâillement invraisemblable. En la rappelant, nous la véritions une fois de plus. Tous les évangélistes ont mentionné cette femme qui versa, sur le chef du Seigneur, un parfum précieux et brisa le vase d’albâtre pour qu’aucune goutte du nard de choix ne fût perdue. « Profusion inutile », grondaient certains disciples scandalisés. Après avoir justifié le geste, Jésus ajouta : « Je vous le dis en vérité, partout où l’Evangile sera prêche, dans le monde entier, l’on redira ce qu’elle a fait, en mémoire d’elle. » Mc, xiv, g.

Dans ses homélies apologétiques de 38^, au cours desquelles l’argument tiré des prophéties du Christ est naturellement mis en lumière, saint Jkan CuiivsosTOME commente ainsi ces paroles :

{f Cette prédiction s’est-elle réalisée, ou est-elle tombée à terre ?… Dans toutes les églis-s, nous entcn<lons l’éloge

de cette femme ; où que lu ailles, dans l’univers entier, tous écoutent en un [irofond recueillement le récit de cette belle action : pas un lieu du monde où on l’ignore. Tant de rois ont comblé les vdles de leurs bienfaits, mené à bout des guerres, élevé des trophées, org ; inisé mille triomphes : eux et leurs exploits sont ensevelis dan.s le silence ! Tant de reines, de femmes illustres ont comblé leurs sujets de mille biens : on ne sait plus leurs noms ! .Mais cette femme de rien, pour avoir seulement versé son parfum, est célébrée dans le monde entier, et ce long espace de temps n’a pas enseveli sa mémoire — ne l’ensevelira jamais..Ni l’acte pourtant n’était éclatant, ni la personne éminenle, ni les témoins nombreux, ni le lieu fixant le^i regards : la chose ne se passa pas sur un théâtre, mais dans une maison particulière, deant dix personnes. Rien de tout cela n’a prévalu : cette femme est ( » lus célèbre désormais que toutes les reines et tous les rois, et jamais le cours du temps n’abolira le souvenir de ce qu’elle a fait. » — Adver$usludaci-s, v, "2 ; /*.( ;., XL VHI, 885. (J’abrège un peu le détail, toujours copieux, du grand Docteur.)

Des prédictions de Jésus toucliant son œuvre, nous n’avons pu rappeler qu’une partie. Si on les considère d’ensemble et qu’on les confronte à une histoire, même sommaire, de la religion chrétienne, on restera frappé d’élonnement. De quel autre prophète pourrait-on citer des anticipations pareilles, pareillement vériliées ? Concluons avec le vieux psalmiste :

Chose faite jiar le Seigneur !

La merveille est suus nos veux.

C) Les Prophéties de Jésus sur la Consommation des choses

264. — Il est une dernière série de prophéties qu’il faut se garder d’esquiver ici : elle ne nous intéresse pas moins par son caractère apologétique que parles dilUcultès qu’elle soulève. Ce sont les prédictionsqui décrivent, et semblent présenter comme imminents, l’avènement glorieux du Christ et la consommation des choses.

Pour que la discussion, à laquelle nous voulons donner l’ampleur qu’elle mérite, se poursuive dans la lumière, nous allons d’abord citer les textes, intégralement traduits. Ces textes se classenten quatre groupes, dont le premier seul est spécial à un cvanîîile.

IMlKMIEn GKOUPi :

fnstf iictions aux disciples envoyés en mission :

« [On vous persécuterai ; le fri*rc livrera son frère à la

niort, et le père son enfant.. et vous serez haïs de tous à cause de mon nom ; qui tiendra bon jusqu’à la fin, celui là sera sauvé. Mais quand ils vous poursuivront duns une ville, fuyez daris une autre : en vérité je vous le dis, vous n’achèverez j)as [de parcourir] les cités d’Israël jusqu’à ce que vienne ie Kils de 1 homme. » Mt., x, 21-24.

Pas de paroles analogues dans les autres évangiles.

Après la confession de Pierre :

<i Que servirait ; i un homme de gagner le monde entier, s’il se mettait dans le cas de perdre son Ame.’Et ([n’est-ce qu il pourrait bien donner en rançon pour son ; *inir ? Car le Kils de 1 liomme doit enir dans la gloire de son Père avec ses anges et il rendra h chacun selon ses actes En vérité je vous dis qu’il oti est, de ceux qui se tiennent ici, qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Tils de l’homme venant dans son Règne. » [Suit le récit de la transfiguration.] {Ml., XVI, 26-28.)

A Jérusalem^ la dernière semaine :

Et sortant du Temple, Jésus cheminait. Ses disciples s’approchèrent

DEtXIIîME GKOUPK

Même contexte :

u Celui qui rougirait de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l’homme rougira aussi de lui fjuand il viendra dans la gloire cio son Pcio avec les anges s ; dnts. » Kt il leur disait :

« En vérité je vous dis qu’il en

est, de ceux qui se tiennent ici, qui ne gfulteront pas la mort avant tl’avoir vu le Règne de Dieu venant en puissance, n [Suit le récit de la transllguration. ] (Me, viii, : iS-’12.1

TROISIÈME t ; iiOlU’K

Même contexte :

Et comme il sortait du Tem|)Ie, un de ses disciples lui dit : « Mailre,

Mc/ne contexte :

« Qui rougirait de moi et de mes

paroles, de celui-là le Fils de l’homme rougira ipiand il viendra dans sa gb’ire et celle de son Père et des sainl-i angr-s. Kt je vous le dis en vérité ; il en est de ceux qui se liennent ici qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Uègne de Dieu. » |Suit la traiisfiguriilion. ] (/--(., ix^ 26-28.)

Même contexte :

El comme certains disaient, en parlant du Temple, ipi’il était [bûtij en

i

l’.29

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1430

pour lui montrer les constructions du Temple. En réponse il leur dit : « Vous voyez tout cela ? Kn vérité je vous le dis, on ne laissera pus ici pierre sur pierre qui ne suit renvei-sée. » Et comme il s était assis sur la colline des Oliviers, ses disci|>ios s approchèrent de lui prîvémcnt, et lui dirent : « Ditos-nous quand ces choses auront lieu, et quel sera le signe de votre avènement et de la consommation du siècle [présent ] ? » (lii’cv r.utv -5T£ ry : ^TV. éTTCt, x « ( rt To Tf}/xsîO’j Tr, i or, ^ T.v.p’iJ’siv.^ avà

lît Jésus répondant leur dit : « Veillez à ce qu’on ne vous induise pas en erreur. Car beaucoup viendront en mon nom, disant : u Je suis le Chi ist », et ils séduiront bien des gens. Vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres ; voyez, ne soyez pas troublés. Il faut que, ces chosesj arrivent, mais ce n’est pas encore la fi/i. On se dressera, peuple contre peuple et royaume rontre royaunie. et il y aura de^* famines et des tremblements de terre en divers lieux : c’est là k* commencement des douleurs. Alors on vous induira en tribulation, l’on vous tuera et vous serez en haine à tous les peuples à cause de mi. » n nom. Alors beaucoup seront scandalisés, se livreront, se haïront mutuellement, et beaucoup dp faux prophètes se lèveront et ils séduiront bien des gens. Et en suite de la recrudescence du mal, la charité de beaucoup s’altiédira. .Mais celui qui tiendra jusqu’à la fin, celui-lù sera sauvé. Et cet Kvongile du Royaume sera prêché dans toute la terre, en témoignage à toutes les nations, et alors la fin viendra.

« Quand donc vous verrez l’abomination

de la désolation dont a parlé le prophète Daniel, dressée dans le saint lieu — que celui qui lit, comprenne ! — alor^ que ceux qui sont en Judée se sauvent aux montagnes, que celui qui est sur la teriasse ne descende pas dans sa maison, que celui qui est aux champs ne retourne pas prendre son manteau. Malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là ! Pi-iei pour que votre fuite n’ait pas lieu l’hiver ou le jour du sabbat,

(( Car ce sera alors la grande tribulation, telle qu’il n’y en eut jias depuis le commencement du monde jusqu’à présent, et qu’il n’y en aura plus. Et si ces jours n’étaient pas raccourcis, aucune chair ne serait sauvée ; mais H cause des élus ces joui-s-là seront raccourcis. Alors si quelqu un vous dit : « Voici, le Christ est ici », ou

là)>, ne sortez pas ; « le voici dans les appartements intérieurs >', n’y croyez pas ! Car comme l’éclair part d’Orient et brille jusfpi’en Occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme ; partout où sera le corps, là s’assembleront les aigles.

iy Aussitôt après la tribulation de ces jours-lk le soleil sera obscurci et la lune ne donnera plus sa lumière et

voyez quelles pierres ! quels édifices ! » Et Jésus lui (iit : « Tu vois ces vastes édifices ? Il n’en restera pas pierre sur pieri-e qui ne soit renversée. »

IJt comme il était assis sur la colline des Oliviers, fuce ou Temple, Pierre et Jacques, Jean et André l’interrogèrent [irivement : « Dites -nous quand ces choses seront, et quel sera le signe de l’accomplissement prochain de toutes ces choses ? » (Kcttîv r, fiï-j —c’ts tvûtv. JTTy.t, y.yÀ ri ri zcyzZ’-^’j

Et Jésus commença de leur dire ;

« Voyez, que personne ne vous induise

en erreur. Beaucoup viendront en mon nom disant : « Je le suis ! -m et ils séduiront bien des gens. Quand vous entendrez parler de guerres et de bruits de guerres, ne vous troublez pas : il faut que [ces choses] arrivent, mais ce n’est pas encore la fan. Car on se dressera, peuple contre peuple, et royaume contre royaume. Il y aura des tremblements de terre en divers lieux, des famines : c’est Ih le commencement des douleurs.’eilloz sur vous-mêmes : on vous traduira devant les conseils, vous serez battus dans les synagogues et vous comparaîtrez devant les magistrats et les rois, à cause de moi, en témoignage pour eux.

(( Et il faut d’abord que l’Evangile soit prêché par tous les peuples.

« Et quand on vous mènera pour

vous livrer, ne vous préoccupez pas de ce que vous direz, car ce n’est pas vous qui parlerez [alors], mais l’Esprit Saint, Et le frère livrera son frère ? » la mort, et le père son enfant, et les enfants se dresseront rontre leurs parents et les mettront à mort. Et vous serez haïs de tous à cause de mon nom : qui tiendra bon jusqu’à la liii, celui-là sera sauvé.

« El quand vous verrez l’abomination

de la désolation dressée où il ne convient pas — que celui qui lit. comprenne ! — alors, que ceux qui sont en Judée se sauvent aux montaj » nes, que celui qui est sur la terrasse ne descende pas et ne rentre pas prendre quelque chose dans sa maison, que celui qui est aux champs ne retourne pas prendre son manteau. Malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là ! Priez pour que [ceci] n’arrive pus en hiver.

« Car ces jours-là seront jours de

tribulation, d’une tribulation telle qu’il n’en fut pas depuis le commencement de la création, quand Dieu créa, jusqu’à maintenont, et qu’il n’en sera plus [de pareille]. Kt si le Seigneur n’nccourcissait ces jours, aucune chair ne serait sauvée ; mais, à cause des élus qu’il a choisis, il a raccourci ces jours. Et alors si l’on vous dit ; « Voici le Christ ici ; le voilà là » ; n’y croyez pas ! De faux Christs et de faux prophètes se lèeront et feront des signes et des prodiges à tromper, s’il était possible, les élus [eux-mêmes]. Vous donc, veillez. Je vous ai tout prédit.

« Mais, dans ces jours-là, après

cette tribulation-Ià, le soleil s’obscur belles pierres et [orné] d’ofTrandcs, [Jésus] dit : « Ces choses que vous voyez, les jours viendront durant lesquels on n en laissera pus pierre sur pierre qui ne soit bouleversée, t) Ils l’interrogeaient, disant : « Maître, quand donc ces choses auront-elles lieu, et quel sera le signe qu’elles vont s’accomplir ? » (riiT ; sv.> ry.ûrv. éstki, y.vÀ rt rô zr.jj.iï’j. » iîrv.v y.uj.r^ twvtv

Il dit ; (( Veillez à ne pas vous laisser induire en erreur. Car beaucoup viendront, disant : « Je le suis ! n et :

« Les temps sont révolus ! » Ne les

suivez pas. Quand tous entendrez parler de guerres et de bouleversements, ne soyez pas effrayés. Car il faut que ces choses arrivent d’abord, mais ce n’est pas tout de suite la fin. »

Lors, il leur dit : « On se dressera, peuple contre peuple et royaume contre royaume, et il y aura de grands tremblements de terre et en divers lieux des pesles et des famines : il y aura des épouvantes et de grands signes du ciel. Mais avant tout cela on jettera les mains sur vous, on vous poursuivra, vous menant dans les synagogues et les geôles, vous présentant aux rois et aux magislrals à cause de mon nom : occasion pour vous de [rendre] témoignage. Mettez dans vos coeurs [la résolution] de ne pas vous préoccuper de votre défense, car je vous donnerai des paroles et une sagesse à quoi ne jtourront résister ou l’i’pliquer vos adversaires. Vous serez livrés par des parents, des frères, des proches, des amis et parmi vous ils en mettront à mort, et vous serez haïs detousàcause de mon nom. Etjiasun cheveu de votre tête ne périra [sans permission de Dieu] : par votre endurance, vous assurerez vos vies [dans l’éternité].

{( Quand vous verrez Jérusalem entourée de soldats, ^ous saurez que sa désolation est proche. Alors, que ceux de la Judée so sauvent aux montagnes, que ceux qui sont au milieu [de la ville] s’éloignent, et que ceux qui sont aux champs ne rentrent pas en ville, car ce sont là les jours de vengeance, pour que s’accomplissent les Ecritures. Malheur aux femmes enceintes et à celles qui nourriront en ces jours-là !

« Car il y aura sur terre une grande

détresse, et une [grande] colère [s’exerçant ] sur ce peuple-ci, et ils tomberont sous le tranchant du glaive ; ils seront emmenés, chargés de fers, dans toutes les nations, et Jérusalem sera piétinée par les nations, jusqu’à ce « ^[ue s’accomplissent les temps des nations.

« Et il y aura des signes dans le

soleil, lu lune et les aitres. et sur la terre une mêlée des nations, au bruit confus de la mer et des îlots. Les hommes sécheront de crainte et d’attente des catastrophes imminentes sur terre, car les puissances des rîeux seront ébranlées. Et alors ils verront le Eils de ! homme venant dans une nuée avec puissance et grande gloire Quand ces choses commenceront 1431

JESUS CHRIST

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les étoiles tomberont du ciel, et les cira, la lune ne donnera plus sa lupuissances du ciel seront ébranlées. mière, les éloik’s tomberont du ciel et Et alors paraîtra dans le ciel le signe les puissances rélesles suront ébrandu Fils de l’homme venant sur les lées, et lors ils verront le Fils de nuées du ciel avec puissance et grande l’homme venant dans les nuées avec gloire : et il enverra ses anges avec grande puissance et gloire. Kt alors il un grand éclnt de trompettes et ils « nverra ses anges et ils réuniront ses réuniront ses élus des quatre vents, élus des quatre vents, dune extrémité d’une extrémité des cieux à l’autre. de la terre à l’extrémité du ciel.

d’arriver, levez les yeux, relevez vos tètes, parce que votre rédemption approche ! i)

« Du figuier prenez [un terme dej

comparaison : quand son branchage s’attendrit et que son feuillage pousse, vous connaissez que l’été est proche : semblablement, quand vous verrez tout cela, sachez qufl [la chose] est proche, à vos portes. Kn vérité je vous iis que cette génération ne passera pas avant que tout cela (raùra navra) s’accomplisse. Le ciel et la terre passeront : mes paroles ne passeront pas.

« Mais quant à ce jour-là et à

l’heure, nul ne sait, ni les anges du ciel, ni le Fils’, mais bien le Père seul. Comme des jours de Xoé, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme : car comme en ces jours, avant le désastre, on mangeait, on buvait, on se mariait, on donnait en mariage, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et ils ne connurent rien jusqu’au moment de la catastrophe qui les engloutit tous — ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. Lors ils seront deux dans les champs : un sera pris et l’autre laissé ; deux brovantle blé dans le moulin : une sera prise et l’autre laissée. Veillez donc, car vous ne savez pas à quelle heure votre seigneur vient.)) (Mt.j XXiv, 1-43.)

» ( Du figuier prenez [un terme de] comparaison : quand son branchage s’attendrit et que son feuillage pousse, vous connaissez que l’été est pi’oche : semhiablement, ([uand ous verrez ces cboses s’accomplir, sachez que [la chose] est proche, aux portes. En vérité je vous dis que cette génération ne passera pas que tout cela ne soit arrivé Qjixp^- Ov -y-j-v. ravry’^vrr.-z’/.C^. Le ciel et la terre passeront : mes paroles ne passeront pas.

« Jïais de ce jour-là et de l’heure, 

personne ne sait [rien] ; ni les anges dans le ciel, ni le Fils, [personne] que le Père.

« Voyez, veillez, vous ne savez pas

quand viendra le temps [prédit], (jomme un homme partant au loin laisse sa maison et distribue entre ses serviteurs les offices : à chacun son travail ; et il recommande au portier de veiller. A’cillez donc ; vous ne savez quand le seigneur de la maison viendra : Ip soir ou à la minuit, au chant du ci » q ou à l’aube — crainte que, survenant à l’improviste, il vous trouve endormis. Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez. » (J/c., xiii.)

Et il leur disait la parabole : « Voyez le figuier et tous les arbres, quand ils commencent à pousser : en les regardant, vous apprenez d’eux que l’été est proche. Semblablement, « piand vous verrez ces choses arriver, sachez ([ue le Règne de Dieu est proche. En vérité, je vous dis que cette génération ne passera pas avant rpie t( » ut arrive

(î’j it : f, Ti’/.piiQ’r, r. yr-’îà ai/T"^ ï<oç àv ttkvtk

/ivïîTKi]. Le ciel et la terre passeroni : mes paroles ne passeront pas,

a Mais veillez sur vous, de peur que vos cœurs ne s’idourdissent dans la crapide, l’ivresse, les sollicitudes de la vie [temporelle] et que ce jour ne tombe sur vous à l’improviste, comme un filet : car il surviendra [ainsi] sur tons ceux fqui sont assis sur la face de toute la terre. Veillez en tout temps et priez, afin que vous soyez capables de fuir ce qui doit arriver, et de vous tenir debout en face du Fils de l’homme. » (Ac., xxi, 5-37.)

Suivent, dans le premier évangile, des paraboles recommandant la vigilance et renforçant l’impression, d’ignorance et d’insécurité touchant le jonr du jugement. Celui-ci est finalement décrit comme départageant 1 humanité en fractions irréductibles.

i>UATRn : ME r.uorpE

Devant le Sanhédrin ^ la nuit qui suivit l’arrestation :

Or Jésus se taisait. Le grand prêtre lui dit : « Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire hI tu es le Christ, le Fils de Dieu ? » Jésus lui dit : « Tu l’as dit..ussi bien, je vous le dis ; dorénavant (àr aort) vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Puissance [divine] et venant sur les nuées du ciel. » (.1/^, xxvi, (13-C5.)

Mé/ite contexte :

Mais [Jfsus] se taisait et ne répondit mot. Derechef le grand prêtre l’interrogea et lui dit : « Tu es le Christ, le Fils du [Dieu] béni.^ » Jésus dit :

« Je le suis, et vous verrez le Fils de

1 homme assis à la droite de la Puissance [divine] et venant sui’les nuées du ciel. » (A/f., xiv, 61-63.)

Dci’ant le Sanltèdrin^ à ta séance de l’aube :

Et comme le jour se levuil, s’assemblèrent les anciens du peuple, les princes des prêtres et les scribes, et ils l’amenèrei.t devant leur Sanhqdrin, di>unt : « Si tu es le Christ, dis-le nous.)) I ! leur dit : u Si je vous le dis, vous ne croirez pas ; si j’interroge, vous ne répondrez pas. Désormais (àTTo Tjj’^ùv) le Fils de l’homme sera assis à la droite de la Puissance de Dieu. » Tous lui dirent : « Tu es donc le Fils de Dieu ? n Et il leur dit : (( Vous le dites, je le suis, h (Le, , xxii, i ; 6-71.)

365. — Partant de quelques-uns de ces textes (car ils n’admettent pas leur authenticité intégrale) et leur donnant une importance relative qu’ils sont loin d’avoir dans les évangiles, divers critiques rationalistes ont élaboré une interprétation nouvelle des origines chrétiennes. L’un des plus ardents champions de cette école, dite c eschatologique »,

1. Les mots « ni le Fils » munquenl dans plusieurs manuscrit !

! grecs et la Vnlgate..Mais les preuves purement

documentaires sont prépondérantes, au jugement de Wcscott et Ifort, en faveur de l’aythenticité : T/it : new Testament in tfie orii^iual i^reeh, II, Appendix, Notes on selcct readings, p. 17.

M. Albert Schwkitzer, lui assigne comme précurseurs, après le protestant français Timothce Colani’, O. VoLKMAH- et W. WEiFFKXiîAcn^. Mais 1-e vrai fondateur de l’école est, avec le i)rofesseur alsacien W. Balurnspergkr S et plus que lui, M. Jean Wkis »,

1. Jésus-Christ et les croyances messianiques de son temps, Strasbourg, I8t14.’2. Jf : <us IS’azarenus and die ersie christUche Zeit…^ Zurich. IS82.

3. Die Wiedernunfls^cdanhe Jesu, Leipzig, 1873.

4. D<is Sell/stbei’i’ussiseui Jesu im Lic/Uc der messianiackvn noff’uun^r.n seiner Zeit, Sti-ashourg, 1888. La première partie, toute littéi-aire, a été rééditée à part en 11*03.

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JESUS CHRIST

1434

dans son court mcniuire sur « la Prédication de Jésus touchant le Hèpie de Dieu » (Die Predi^t Jesu voin Reiclie Guttes, Goettingen, 18y2), devenu en igoo un livre. Personne n’a plus contribué à répandre la conception « esclialologique » de l’Evangile que M. Alfred LoisY : ses commentaires sur les Synoptiques sont en ce i)oint un écho assez lidclc, mais auiplilié. de l’ouvrage de M. J. Weiss. Le livre mordant et vigoureux de M. A. Schwkitzeb’a, de son côté, soit en Allemagne, soit en Angleterre (où il a été traduit, et trop apprécié) donné l’impression que la jeune école avait pour elle des arguments sérieux et, devant elle, un certain avenir.

266. — Comme d’autres théories ruineuses, la thèse eschatologique est issue d’une réaction justitiée en principe. L’exégèse moderne, surtout libérale, tendait à humaniser, à spiritualiser, à universaliser la vie et l’enseignement du Christ jusqu’à en estomper, voire jusqu’à en ell’acer, des traits réels. Les morceaux évangéliques transcrits ci-dessus sont d’une historicité inconte.stable : ils appartiennent à un genre <léUni, très nettement daté ; ils nous sont garants de la présence, dans la prédication de Jésus, d’un élément apocalyptique, eschatologique, relaliverænt considérable. La faute des champions de la nouvelle école n’est pas d’avoir revendiqué pour cet élément, en facedela théologie protestante libérale, une place. L’erreur consiste à vouloir lui faire « une pari prépoiidéraiite » ; et à voir dans l’Evangile « un enseignement e, « : se ; i(ie//e » ie « / eschatologique, enthousiaste et mjstique 3 ». De là à exi>Iiquer tout le reste par la croyance de Jésus en la consommation imminente des choses ; à chercher dans cette idée absorbante la clef de l’attitude du Maître en face des autorités palestiniennes, des nécessités delà vie, des devoirs individuels et sociaux, iln’y avait qu’un pas. Les « eschatologistes conséquents » — c’est le mot du plus logique de tous, Albert Schweitzer — ont franchi ce pas. Dans leur hypothèse, les prédictions que nous venons de transcrire sont à prendre au pied de la lettre, dans le sens le plus cru : Jésus aurait enseigné délerminément que la lin du monde, indissolublement associée pour lui à l’avènement du Règne de Dieu, était prochaine, immédiate, à portée de vue. Du jour exact etde l’heure, il aurait avoué ne rien savoir, mais en maintenant cependant avec une inllexible obstination qu’une génération d’hommes ne passerail pas avant que tout fût accompli. Si l’on considère les choses historiquement, ajoutent-ils, Jésus s’est trompé ; il ne s’est pas trompé si on les considère religieusement, car le monde présent est, pour l’homme religieux, un lieu de passage, un moment fugitif, une simple transition : le non vigoureux opposé par Jésus à ce monde éphémère est au fond plus véritable que le oui d’un naturalisme béat et lourdement matériel’.

867. — D’autres exégétes beaucoup plus modérés, mais trop désireux d’éluder une difliculté, recourent à des explications qui sauvegardent sans doute la véracité et la prescience infaillible du Christ, mais

1. Vim Reimanis : u n’rcdf, Tilbingpn, 190B, cli. xv, xvi, XIX. Une secoiulo édition n n ; rii on 1918 sous le titre (lrans(>osé du soii’.-tiire firiniilif) àt^ Geschichle der Leben Je5tt~Fnrs<-kung. Dès lyOI, Schweitzer uvail marqué ses positions dans son mémoire Eine SLizze des Lehens J^su^ Tiihin^en. 1901. Ce niénioire forme le 2" cahier de son recueil Das Abenimahl im Ztisanmu n/tang mît dem Leben Scsu.

2. A. Loisy, Jésus ci latmditivn, Paris, 1910, p. Vii.’A. Ibid.. p. 190. C’est moi qui souligne. 4. Je résume ici les conclusions Ah. Schweitzer, loc.

cil., c. XX.

aux dépens du caractère historique de plusieurs des textes transcrits plus haut (surtout de ceux du GROLi’K 3). Nous aurions dans ces textes une sorte de conglomérat, formé de fragments apocalyptiques préexistants et des paroles authenli<pies du Maître. Ces paroles elles-mêmes seraient biaisées jusqu’à donner une perspective proprement erronée, et ce, par suite de l’idée fausse desrédacteurs évangéliques, persuadés de la consommation imminente du siècle présent. De nombreux exégétes protestants et anglicans se sont naguère avancés dans cette voie <, où les achemine la présence évidente, dans les discours eschatologiques de Jésus, de citations prophétiques antérieures. Nous pensons pouvoir montrer, par l’étude attentive des textes, qu’une interprétation plus respectueuse de leur historicité permet d’écarter une dilliculté dont la gravité n’est ni à nier, ni à exagérer.

Dans ce but, on exposera ici, le plus brièvement possible :

A. — Le caractère du langage employé par le Christ dans ces passages, et la nature des choses prédites ;

B. — Les conditions littéraires des textes ;

C. — Les conclusions certaines ou probables qu’on en peut tirer.

A. — Caractère du laiif^age employé par le Christ, et nature des clioses prédites.

S68. — Les passages rapportés plus haut appartiennent, dans leur teneur à peu près intégrale, au langage prophétique. Mais encore à cette variété du langage prophétique dite escva/o/o/î/ijrue, parce qu’elle concerne, parmi les époqiies à venir, celles qui, tout en inaugurant une ère nouvelle, achèvent par voie de consommation, de deslruclion, de transformation, les âges précédents. Par rapport à ceux-ci,

1. La lit tciaturedn sujet serait infinie. Parmi iesouvi-ages les plus importants, spécialement consacrés à lescliatologie évangelique et non dus à des catholiques, j’indiquerai : parmi les auteurs libéraux, Paul Weknli- : , Die Rcicligolteshoff’nttn^ in den aeltesten cliristUchen Dokumt-iiicn uud bei Jésus, Leipzig, 1903 ; parmi les protestants conservateurs, Eknst von Doiiscnurz, The Escltatotogij of ihe Gospels, London. 1910 (Le* ; ons enseignée » à Oxford en septembre 1900) ; parmi les anglicans (qui se sont ajjpliqués à cette question avec prédilection). Ltwis A..Muih-UEA. D, Eschatoîo^y of Jésus. Melrose et London, 1904, (abrégé dans le Dictinriary of Christ ami tite Gospels. ïl, EdinburgL, 1901), p. 525, A-53(i, A.), et. avec deux ouvrages païus presque en même temps, The Eschatolo^y of Jésus, de U. L. J.t ; KSON, London, 1914, Jésus and ihe Euiure, de Kd. W, Winstanley, Kdinburgb, 1913, la réfutation de Schweilzer par C, ^^’, E.m.met, The esckuloloffical question in the Gospels and oiher Sludics. Edinburgh, 1911,

Toute étude d’ensemble des évangiles et de l’enseignement de, lcsus force d’ailleurs à prendre parti sur ce point. Les principaux travaux catholiques seront cités plus bas.J’aimeà renvoer en parlicnliei-,.’iprès Hossuet, Méditations sur l’Efan^iie, journées 67’à 86", aux articles : Er.i.isE, de Y, DE I.A fÎKii « F, section 1, tians le Dictionnaire Apologétique, I, col, 1219-1248, KiN du Mo.nde. du P. A. Li.MOKNVKK, Ihid., l, col, 1911-1928 ; et aux deux mémoires de M, E. Mange.not, parus sous ce titre, dans le Dictionnaire de la Bible. 11, col. 2262-2278 (question présente), et le Dictionnaire de Théoloi ; ie catholique, V [1913], col. 2504-2r)52 (théologie et histoire théologique de la question :. Il faut mentionner aussi les travaux considérables de A, CELLiNi.en particulier, la Queslione parusiaca, Monza, 1908.

On trouvera les principales opinions des Pères cilées dans les commentaires de J. MALDO^AT et de J. KnabekijAUEit in Mt., XXIV, et surtout dans L. Atzbebcer, Geachichte der christHchen Eschatologie, Freiburg i. B, 1896.

1435

JÉSUS CHRIST

1436

ils sont « les derniers » : temps messianiques, lin du monde juif, lin des temps et du siècleprésent. Comme les descriptions de ce genre se présentent sous l’orme de visions, de « révélations », on leur réserve habituellement le nom d’apucalypses. Les grands inspirés d’Israël : Isaïe, Ezécbiel, Daniel donnèrent, en l’employant, vogue à cette littérature très spéciale ([ui a été caractérisée au chapitre premier de cet article (A’» pra, n. 70-71). On se souvient qu’elle comporte une grande vivacité, une étonnante liberté dans le choix des images et des sj’uiboles. Elle exclut l’explication

« en clair » des métaphores et des allégories.

L’imagerie classique, les comparaisons reçues, qu’elles soient empruntées à des êtres naturels transformés (animaux, astres, monstres) ou à des phénomènes cosmiques, impliquent les personnilications et les assimilations les plus hardies, parfois les plus déconcertantes. Dans le livre des prophéties d’isaïe ou d’Ezéchiel, la description de désastres prochains elrelatii’enientcirconscrils(ru ede Babylone, défaite d’Edora, défaite des Egyptiens, dévastation d’une région d’Israël, etc.) prend une ampleur inattendue et s’exprime par des termes analogues ou identiques à ceux que Jésus employa dans ses prédictions eschatologiques :

Entendez ce bruit confus dans les montagnes,

comme d’un peuple nombreux… lahvé des ormées passe en revue

l’armée qui va combattre.

Voici le jour de lahvé qui vient,

cruel, avec colère et fureur ardente, Pour changer la terre en désert,

pour y e.terminer les pécheurs.

Les astres dfs deux et leurs constellations

ne feront plus briller leur lumicre : Le soleil s’obscurcira à son let’er

et la lune ne fera plus luire sa lumière…

… Je rendrai les hommes plus rares que l’or fin, plus rares que le métal d’Ophir.

C c » l pourquoi f ébranlerai les deux ;

lu terre tremblera et sera secouée Par la colère de lahvé des armées,

au jour de sa fureur ardente !

Lamentez-voiis, car le jour de lahvé approche !

il vient comme le fléau du Tout-Puissant. C’est pourquoi tous les bras tomberont,

et tout cœur d’homme sera glacé. Saisis de spasmes et de convulsions,

ils se toidront tremblant », telle la femme en travail…

Alors Babylone, la perle des royaumes, l’orgueilleuse parure des Chaldôens, sera comme Sodome et Goniorrhe que Dieu ruina.

Elle ne sera plus habitée,

ni peuplée dans les siècles futurs…

Mais les bêtes sauvages s’y parqueront,

et les hiboux rempliront ses maisons ; Les autruches y habiteront,

et les satyres y feront leurs danses. /saie, xiii, 2-22’.

Les tcnq)s messianiques sont décrits dans les prophètes sous des images « d’âge d’or » : les plus extraordinaires faits matériels étant jugés seuls capables de suggérer la dignité de la rénovation spirituelle accomplie par le Messie :

l.Tr. Albert Condamin, p. 100 sqq. Dans le même sens, oti pourrait citer /saie, xxxiv ; Ezécliiel^ xxxil ; Jorl, 11. Ce dernier exemple, à propos d’une invasion de sauterelles, porto : i( Les cirux s’ébranlent ; le soleil et ta lune s’obscurcissent, les étoiles pei dent leur éclat..YtJoél. il. 11). Là-dessus, M. J. Lagkange, le Messianisme, p. VJ sq* !.

Le taureau et le jeune lion mangeront ensemble

et un petit enfant les mènera. La génisse ira paître avec l’ourse

et leurs petits giteront ensemble.

Le lii>n comme le bœuf mangera de la paille ;

l’enfant qui telle jouera près du trou de l’aspic…

Isaïe, II, 7.

On pourrait emprunter d’autres exemples aux nombreux ouvrages apocalyptiques à peu près contemporains de la vie du Sauveur : le Livre d’IIénoch, V Assomption de Moïse, et ce magnitique /F* Aiire d’Esdras transcrit, en appendice, dans nos bibles latines. Je me suis borné à quelques spécimens anciens, incontestables, pris des Livres inspirés d’israi-l.

269. — Cette simple constatation jette un jour singulier sur les passages cpii nous occupent : on voit quelle erreur et quelle injustice il y aurait à en presser les comparaisons et les images, aies traiter enlin selon les règles d’un genre littéraire tout à fait différent. A l’évidence, ces passages se présentent à nous, en elïet, comme rédigés dans le style des apocalypses. Les éditions critiques du Nouveau Testament qui distinguent, par un artilice d’impression, les emprunts littéraux faits aux prophètes anciens et ligurant dans ces pages, ne permettent aucun doute sur ce point.

270 — Plus encore cependant que le genre littéraire adopté par le Seigneur, conformément à toute la tradition prophétique, il faut considérer ta nature des événements décrits dans ces prédictions. Il s’agit de faits considérables, impliquant un changement d’économie providentielle. A travers une crise qui appelle la comparaison, en effet classique, de l’enfantement’, un ordre de choses disparait, un autre lui succède, dont le premier n’était que la préparation ou, tout au plus, la préliguration. L’ordre nouveau lui-même, bien qu’il tende, et soit tout entier orienté, vers une consommation délinitive, relativement imprévisible et foudroyante, comporte des phases diverses : une inauguration, une durée, un achèvement. Il s’ensuit que les mêmes termes généraux employés pour désigner l’ordre nouveau : Règne de Dieu », « Royaume des c eux », ce jour-là », « avènement, parousie, » oui. gloireduFils de l’homme », etc., recouvrent et signifient des faits complexes, successifs, bien qu’en progression et en connexion intime. Ils désignent parfois une phase, parfois tout l’ensemble de l’immense et unique dessein providentiel.

271. — Ainsi, dans un de nos textes, et le plus pressant de tous, celui qu’amène la comparaison du liguier. Le., xxi, 31, le Seigneur annonce que. à la vue des signes extraordinaires qu’il vient d’énumérer, les disciples sauront que « le Règne de Dieu est proche : i-/-/<ii âiTiv r, jîy.7Ù€ix raû 0£w. » Or, à plusieurs reprises, d’apri’s le même évan^élisle, Jésus avait déclaré ([ue’le Règne de Dieu était déjà parmi » ses auditeurs : Ac., X*II. 21, / : * ?a.T(>£(’ « TcO 0ecO àvri ; ja^v ÈTTtv, — qu fl // était prêché publiquement depuis Jean-Baptiste » :

/.c., XVI, 16, K7T15 TO’Tê [’Iw « v5v] C, /3 « 7l/£(’ « TOO &tOJ

£-î/-/V5/<’rsT « t, — qu’" assurément il était parvenu jusqu’à ceux qui l’écoiilaient > : le, xi, 20, â.pa. i’fOv.’n-^ £i "irâç yp ^a.zùiCy. ToC/0£w Cette constatation nous invite à une exégèse très prudente et 1res nuancée : dans un sens véritable, le Règne de Dieu était inauguré par la prédication de Jean-Baptiste ; il existait au milieu de la génération contemporaine du Seigneur : dans un autre plus complet, sinon plus vrai, nous l’attendons encore, car, jusqu’à ce qu’il soit consommé, on peut dire que tout reste à faire.

1. il/r., xiii, 8 ; Mt., xxiv, S ; /o., xvi, 21. 1437

JESUS CHRIST

1438

272. — A le considérer d’un autre biais, en tant qu’il se compose, à la façon d’un corps vivant et d’un édilice spirituel, d’hommes lidèles ou inlidéles à leur appel, le Kègne de Dieu comporte également des prédictions fort diverses et, à première vue, incompatibles. Dans mainte parabole et mainte prescrii)lion, il est envisagé comme consommé puur une personne en particulier ; d’autres fois, c’est une collection, une génération prise d’ensemble, qui est considérée comme sujette à un jugement ; d’autres fois enlin, tout est laissé en suspens et décrit comme à venir tant que, le nombre des élus n’étant pas atteint, le Jtègne social, définitif, unii>ersel, reste à inaugurer. Il arrive que les deux plans soient distincts, le second étant dans le prolongement du premier : dans une exhortation où le soin du salut personnel est nettement dominant ( « que sert à l’homme de gagner l’univers entier, s’il se perd lui-même et se ruine ? » Le, IX, 25), le Fils de l’honinie est représenté comme venant dans sa gloire et la gloire de son Père pour rendre témoignage à ses disciples lidèles (Jbid., ix, 26).

Mais habituellement il n’en est pas ainsi : ou bien tout semble réglé à la mort de chacun : le mauvais riche et le pauvre Lazare reçoivent immédiatement selon leurs œuvres, et leur sort est délinilif : ic., xvi, 22, 23, 27 ; — ou bien au contraire toute l’attention est concentrée sur l’avènement, le retour du Fils de l’homme, sa prérogative de Juge s’exerçant alors seulement par une sentence générale. Manifestement ces deux points de vue sont complémentaires, et non contradictoires.

S73. — Des observations analogues pourraient être faites à propos de la « parousie », de ! ’ « apparition », de la (I gloire » du Christ : ce sont là notions apparentées à celle dulloyauræ des cieux, et dépendant d’elle. Ce n’est pas seulement dans le quatrième évangile (encore que les remarques ici suggérées y trouvent une décisive con(irmation) que Jésus est représenté à la fois, mais de points de vue différents, comme déjà glorilîé et comme attendant encore sa gloritication dclinitive’. L’œuvre commencée est virtuellement accomplie ; la gloire du Fils, sous quelque image traditionnelle qu’elle soitdésignée, a commencé de se manifester : la première lueur de l’aube annonce le jour et en garantit l’éclat. Il y a toutefois, dans le jour même, des heures ; il y a, dans celle manifestation unique, un progrès et certains

« nœuds ii, certains moments décisifs particulièrement

notables, qui justilient une insistance particulière et des expressions plus fortes. Ainsi, du discernement ultime de l’humanité en deux groupes irréductibles, du grand jugement final, de la suprême manifestation messianique, que prépare et consomme, pour chaque homme pris à part, la sentence prononcée à l’heure de mort, il sera donné aux contemporains de Jésus, une image, une « répétition » déjà collective et solennelle. Le peuple juif, l’Israël de la chair, considéré comme une personnalité morale et un tout, sera jugé, condamné, et l’exécution de la sentence (ruine de Jérusalem, dispersion du j>euple juif) sera telle quelestémoins de ces choses pourront et devront y voir l’image et le premier acte des grandes assises finales. Ce sera la fin d’un monde, avant la fin du monde. Et ce premier acte s’accompagnera, |)our le Fils de l’homme qui l’a prédit et dont le nom et le culte commenceront de briller d’un vif éclat, seront prêches aux gentils et confessés par beaucoup venus d’Orient et d’Occident, d’une

1. /o., xiii, 31 : El quiind Judas fut sorti, Jcsiis dit : (( Maintenant le Kils de l’homnie a été glorifié et Dieu n été gloriSé en lui o ; Cf. Jo., xvii, î : d Père, l’heure eut venue : glorifie ton Fils, pour que ton Fils le glorifie, u

a glorification » qui sera l’image terrestre et le début de la glorification définitive, au dernier jour. La génération présente verra ainsi la gloire du Fils de l’homme’.

La nature complexe des choses prédites ; leur étroite connexion ou, pour mieux dire, leur identité substantielle — car le Règne de Dieu annoncé, commencé, contredit, progressant et enfin consommé, est un môme dessein providentiel s’accomplissant — nous permettent de juger sainement les expressions prophétiques. Mais il faut encore tenir compte de la condition littéraire des textes.

li. — Condition littéraire des textes escitatologiques

S74. — Un simple regard jeté sur une synopse cvangélique nous avertit en ell’et de ne pas donner dans tous les cas, aux transitions employées par les écrivains inspirés, ou à la suite dans laquelle ils nous Ijrésentent les paroles du Maitro, une valeur uniforme et, du point de vue de la chronologie stricte, égale. Depuis la plus haute antiquité on a noté que chaque évangélisle a usé en cela d’une assez grande liberté, que la plus superficielle comparaison rend d’ailleurs manifeste. Les mêmes paroles sont situées dans des contextes ditTérents, et souvent avec des précisions temporelles ouverbales qui écarlentriiypollièse d’un discours prononcé deux fois dans des épisodes semblables. Ce fait trouve dans le cas présent une application importante : des parties considérables du Discours eschatologique (groupe 3) sont ra[)^iorlées par saint Luc dans un autre enchaînement de faits, et nulexégète.que je sache, neprétendy voir un discours distinct de celui que saint Marc et saint Matthieu donnent de suite 2.

278. — Egalement traditionnelle est l’appréciation portant sur la manière » des dilférents évangélisles, et leur position en face de la chronologie. Celte manière est caractérisée, soit par leur propre déclaration, et c’est le cas pour saint Luc, qui fait profession d’écrire, non seulement avec exactitude (’MfytQ’Si :) mais « de suite » (/y// ::?, ;), — soit par les plus vénérables témoins. Les Anciens qui renseignèrentPapias d’Hiérapolis, durant les premières années du 11= siècle, tout en louant ])ar deux fois le souci d’exactitude qui guidait saint Marc dans la mise par écrit des catéchèses de Pierre, noient avec une égale insistance qu’il ne chercha pas à ordonner son évangile (àxf, iC’i ; r/p’/.é : -j, ’jii //.svtoi r’À^si…), et que Pierre lui-même, dont Marc se fit l’interprète, n’avait pas coutume de présenter les discours du Seigneur dans un ordre concerté. De Matthieu, au contraire, les mêmes témoins observent qu’il mil par écrit, en dialecte hébra’ique [araméen] ces discours, mais en les ordonnant (flirow, 5 ; … oii’/ urnep vj-^of^tv rcùv /.’jpi’y : /.Ci-j TTîtci/y-ëvc ; /o-/t’wv… — Mar^yrcç ^aèv… E ; 3j5ac5t Ôia/£XTW tk Xc’/iv. r^v-T « ; aTo…)3. De quelque façon qu’on interprète « l’or 1. Parla s’explique, entre outres, 1 hymne de saint Paul

: iu Christ triomphant : 
« Grand, d’un commun accord, est le mystère delà piété, 

qui a été manifesté dans la chair,

justifié par l’espiMt,

apparut aux anges,

fut piêché, pai’nii les Nations,

cru duns le monde,

ravi dans la gloire. » I Tint., iii, 16. Voir, Ferdinand Prat, Théologie de saint raul, U. 1912, note IJ-, III. p. I !)’i-196 II appert de ce texte que Paul considérait le Christ comme déjà « glorifié » de son temps, dans un sens très T » "ritftble.

2. Voir l.c. XII, U sqq. = Mc, xiii.U sqq. ; Lc, xvii, 23 sqq. =.V(, XXIV, 21-28, , V< ;., xiii. 19-23 ; Lc, xvii. 2()sqq. =. V/., XXI v, 3R-41 ; /[.£., XI i. ! 12-’iS ;.V<., sxiT, 45-.51, etc.

3. Dans Euskbe, Hial. Eccl., III, xixix ; éd. E. Schwarlz, 1, 290, 292. 1439

JESUS CHRIST

1440

donnance » dont il est ici question, et bien qu’il ne s’agisse pas uniquement, ni surtout, de l’ordre chronologique, il est sûr que ces indications sont précieuses pour apprécier le cas qui nous occupe.

376. — L’élude des transitions évangéliques nous avertit également de ne pas presseroulre mesure certaines indications temporelles, destinées plutôt à mettre en relief l’ordre du discours, ou à équilibrer le récit, qu’à noter la suite matérielle exacte des incidents’. Livres de doctrine et d’édilication, encore que fondes sur des faits dont la réalité garantissait aux écrivains la valeur religieuse, les récits évangéliques, et même celui qui se rapproche le plus d’une histoire purement narrative, veulent être interprétés à la lumière de ces indications certaines.

877- — Si, de ces généralités, nous descendonsaux textes de nos prophéties, nous verrons que les grouj )es I, 2 et 4 ne présentent aucune diiriculté sérieuse d’ordre littéraire. — i est propre à saint Matthieu et se place à la fin d’avertissements pour des temps de I)ersécution, qui ont été rapportés ailleurs par Marc et Luc, et reproduits en partie, par Matthieu lui-même, dans le grand discours eschalologique. — 2 se trouve chez les trois Synoptiques au même endroit, et c’est un des moments les plus nettement déterminés de la carrière du Sauveur : entre la confession de Pierre et la Transfiguration. — 4 se présente, chez Matthieu et Marc, avec des dilfèrences verbales intéressantes, mais exactement dans le même contexte : la parole est mise dans la bouche de Jésus comparaissant devant le Sanhédrin, pendant la nuit qui suivit la Cène. Luc attribue cette déclaration (qui a fort bien pu être répétée^ à une séance du malin, devant les mêmes interlocuteurs. Ce dernier passage est le seul qui contienne des paroles prononcées certainement en dehors du cercle des disciples.

S78. — Le groupe 3 — le plus important et le plus diilicile, V Apocalypse synoptique — se présente dans des conditions à part. Il s’agit d’un discours suivi, relativement (bien qu’inégalement) considérable, liomogène d’apparence et provoqué parle même incident. Les expressions d’admiration arracliées àquclques disciples par la vue des constructions grandioses du "Temple amènent sur les lèvres du Maître une terrible prophétie : de toutes ces splendeurs, il ne restera pas pierre sur pierre ! Celte assurance émeut profondément les disciples qui, privémenl, et après un intervalle de temps suHisanl pour le trajet du Temple au mont des Oliviers, interrogent Jésus sur l’époque de la catastrophe prédite et les signes qui l’annonceront (Me, l.c ; dans Mt., il y a une seconde interrogation, plus générale, portant sur l’avènement du Christ et la tin de tout). Suit la réponse de Jésus.

1. Chacun des évjtngéiîstes u sa transition temporelle de prédilection L’ê'^^w ; [incontinent, aussitôt] de Marc, est spécialement notable. oy.loli. Wkiss dans lu Zciischtift fur y. T. WisænschafI, 1910, p. l-24sqq. ; M.J Lagrangf.. Evangile sriori suint Marc^ p. Lxv sqq. Il est eDi|>loyé plus de qnnrantc fois on des sens divers et, nonohstaill sa pressante signification originelle, parfois très large, comme une simple indicalion pléonastique C’est souvent pure habitufle d’écrivain : voira ce sujet les rem.’irquos pénétra nt-’s de. Roikon, dans son Etiid^ sur V tnifit ; inatioiî auditivr dr Virgile, Vnris^ I9l)8, p..’) sqq. el/jajis/’w. Il snflit d’antre pari de lii-e saint Matlliien pour se rendre compte que ses transitions temporelles : K « f, 6£, av.1 ê’/5v ; t :  ; , ToVs, £v i/îrj’jt Tij zyfj’Sf.j, sont lijibiluellemenl des formules générales, auxquelles le contexte réel ou les vraisemblances permettent seuls d’attribuer une valeur précise. Plus Variées, les transitions de Luc ; xaJ, xat tyivcro^ Si, év Oz ra, /j^à Si T<r.rrv., etc., sont loin d’être toujours déterminantes.

279. — Dans le I" évangile, oonformérænl à l’ampleur lies questions posées et aux habitudes littéraires de l’auteur, la réponse est longue, et présente en série ordonnée tout l’ensemble des paroles du Seigneur (prédictions, avis, enseignements) sur ces graves sujets. C’est une sorte de Somme eschalologique, coupée d’indications temporelles ou réelles, que l’analyse suivante met en relief. (Les numéros renvoient aux passages parallèles des deux autres Synoptiques. )

[Ij Signes et avis coucernanl la ruiue de Jérusalem : calamités diverses, persécutions ; xxiv, 4-14.

[2] (I Et cet Evangile du Royaume sera prêché dans toute la terre, en témoignage à toutes les Nations, et alors la fin viendra » ; xxiv, 14.

[ ! ] Signes plus déterminés de la ruine de Jérusalem : II l’abomination de la désolation » prédite par Daniel, avis ; xxiv, 15-20.

[4].vis pour i( la grande tribulalion » introduite par ;

« Et ce sera alors » xxiv, 21 ; caractère foudroyant de la

crise : xxiv, 21-29.

[â] Description de la Parousie : « Aus.sitôt après ces jonrs » : xxiv, 29-32.

[6] Parabide dn figuier : « Cette génération ne passera pas…)) ; XXIV, 32-36.

[7] Ignorance du jour et de l’heure ; imprévisibilité de l’avcnemenl ; xxiv, 36-41.

[8] Exhortation à la vigilance imj>osée par cette imprévisihdité : xxiv, 42-fin, xxv, 1 3u.

[9] Description du Jugement final : xxv, 31-46.

880. — Dans le II’évangile, la réponse déborde la demande ; la description des deux crises et leur distinction sont beaucoup plus visibles, encore qu’elles se développent en sériesparallèles, qu’ona ingénieusement comparées à des strophes entrecroisées’.

[1] Signes el avis concernant la ruine de Jérusalem : (( les temps de détresse >-, persécutions : xiii,.5-14.

[2] (( Et il faut d’abord que l’Evangilesoit prêché à toutes les Nations u ; xiii, 10 [intercalé parmi les avis],

[3] Signes plus détermini’s de la ruine de Jérusalem : " raboininalion de la désolation » ; avis.xiii, 14-iS.

[4] Avis pour ({ la grande tribulalion », introduits par transition vague : « Car il y aura, en ces jours…)) : xiii, 19-24.

[.TJ Description de la crise ultime et de la Parousie : XIII, 24-27 ; (( dans ces jours-lîi, après cette Irihnlation ».

[6] Parabole du figuier ; « Cette génération ne passera pas… » ; XIII, 28-31.

[7] Ignorance du jour et de l’heure ; imprévisibilité : XIII, 32.

[S] Exhortation à la TÎgil.ince imposée parcelle imprévisibilité : xm, 33-37.

281. — Le I 11’évangile est beatieoup moins complet et, ayant situé ailleurs un bon nombre de traits recueillis ici par Matthieu (et partiellement par Marc), il ne prête pas à un parallélisme aussi suivi. Toutefois les lignes principales s’y retrouvent.

[1] Signes et avis concernant la ruine de Jérusalem : les temps mauvais, persécutions : xxi, 8-iy.

[2] Manque ici, reporté ù la fin de 3 ; « Jérusalem serji foulée partes Nations jusqu’à ce que les temps des Nations soient accomplis » : xxi, 24, b.

[3] Signes plus déterminés de la ruine de Jérusalem ;

« laliomination de la Hcsolalion)l. xxl, 20-24.

[4] Vvis pour n la grande tribulalion », introduits par transition vague : xxi, 25-26.

[51 Description de la Parousie ; xxi, 27.

[6] Parabole du figuier : n Cette génération ne passera pas)(… : XXI, 29-34.

[71 Manque sous cette forme.

[8] Caractère foudroyant de la crise el imprévisibilité ; avis de-vigilance : xxi, 34-37.

1, Voir l’analyse approfondie du P. Lacrance, ICi’angile selon saint Marc, p. 310-330. 1441

JESUS CHRIST

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282. — De cette analyse sommaire, où poiirlant ne manque ( « emble-t-il), ancun des cléments pouvant servir à élucider la question présente, il ressort nettement :

a) Que la difficulté provient ûu[<'>ldel’eiichainernenl du discours (plus précisément, de transitions temporelles ou de leur absence) que de son coiilenii.ll n’est pas toujours aisé de déterminer dans le détail ce qui appartient à chacune des tribulations prédites, à l’avciiement premier du Fils de l’homme s’opéranl par la ruine de la Cité et de la génération coupable,

— ou à l’avènement ultime, glorieux, délinilif et personnel. L’impression du lecteur pressé est d’abord que ces deux visions sont en continuité, mp me temporelle, l’une avec l’autre, et que la « génération présente » contemplera les deux avènements.

b) cette impression est beaucoup plus forte chez celui qui lit le discours tel qu’il est rapiiorté dans le I"" évangile, où les transitions sont plus accusées, et la confusion des traits plus grande.

283. — La ditUculté est donc surtout (remarque capitale) d’ordre littéraire. Elle est motivée soit par l’usage de transitions, où nos évangéiisles se donnent habituellement, nous le savons de reste, assez de large ; soit par le groupement d’éléments analogues entre eux, se rapportant aux choses « ultimes ». Or nous avons lieu de tenir cet ordre, ce groupement — chez saint Matthieu surtout — pour partiellement artiliciel, au sens premier du mot, c’est-à-dire pour ilù au libre choix de Tauleur. Nous avons lieu de l’adrællre, parce que plusieurs des paroles ainsi groupées sont distribuées autrement ou ailleurs, dans les deux autres évangiles ; et parce que la manière littéraire de l’évangéliste, connue traditionnellement, consiste à ordonner, en des ensembles cohérents, des déclarations et paroles du Seigneur traitant de sujets similaires, mais prononcées en divers temps. Ces observations incontestables nous invitent à ne pas presser outre mesure, dans le cas, les indications temporelles.

D’autre part, la naturedu sujet traité et le caractère du style apocalyptique employé par Jésus expliquent Papparente confusion des prédictions concernant les deux avènements. Ces avènements sont, nous l’avoas noté plus haut, en continuité logique et réelle, le premier étant l’image, l’annonce et déjà le commencement du second. Les dilTérences si nettes dans les circonstances (le premier avènement est annoncé par des signes, prévisible, et laisse place à une fuite, — le second est foudroyant, impossible à prévoir comme à éluder) permettent un départ très suffisant de la matière eschatologique. Les divisions adoptées plus haut, qui ne comportent aucune transposition, départagent les traits entre les deux Parousies.

884. — Resteladifficulté réelle, maisqu’il convient de ne pas exagérer, tirée de la parabole du figuier et de sa conclusion : « Cette génération ne passera pas avant que tout ceci ne s’accomplisse, n La déclaration se trouve à la même place, et formulée en termes analogues, dans les trois évangélistes. Si l’on rapportait — comme le fait par exemple, 1. Knaben-BAUEH (suivant une suggestion de saint Jéhôme) les mots K cette génération-ci : >, /sï^k virr, », au corps même de la nation juive, considérée comme témoin de l’avènement du tihrist dansia chair et comme devant subsister jusqu’à l’avènement glorieux, après avoir subi, dans la ruine et la dispersion, lechàtinient providentiel de son crime — la difficulté disparaîtrait totalement. Celle solution n’est pas improbable, et apologéliquement on a le droit d’en faire état. Toutefois elle j>araUunpeu sublileet moins conforme à l’usage évangélique des mots « cette génération Ti me II,

ci ». Je préfère donc, ici comme ailleurs, prendre ces termes dans leur sens le plus naturel, en les appli([uant à la génération des contemporains du Sauveur’.

285. — La solution peut être cherchée dans l’expression :

« tout cei’i arrivera » (r.’J.v : y. TxiT-y., Ht rvûrv.

-y.iTv., Me ; Tra/TK, Le.). Ce sont les mots même mis par Marc sur les lèvres des disciples, pour désigner la ruine du Temple et ce qui l’accompagnera, dans la demande qui motive le discours de Jésus. Ainsi le TxûTKTryvTa du verset 30 répond exactement au raOra… r.y.-.Tv. du verset 4. Dans Luc, le r.y., - : y. du verset 32 répondrait également au T^ir » du verset 7, objet unique de l’interrogation donnant lieu au discours. Cette constatation lève toute difficulté 2.

286. — Seul Matthieu fait figurer dans l’interrogation initiale, avec les signes de la ruine du Temple (ryvTîz), un autre objet le signe de l’avènement de Jésus et de la consommation du siècle. Si nous ne possédions que cet évangile, et que nous fussions moins instruits de la façon dont Matthieu groupe et ordonne les dires authentiques du Seigneur, la difficulté, sans être insurmontable, serait plus grande. Car le Travry. TîtiTz du verset 34 semble bien répondre à la double question du verset 3, et comprendre par conséquent le second avènement parmi les faits dont la génération présente sera le témoin.

Il faudrait recourir à la solution générale exposée plus bas. tirée de l’unité dudessein divin. Mais il est permis d’interpréter, ici comme ailleurs, un témoignage imprécis par les autres(ce qui n’est pas « sacrifier » celui-là à ceux-ci, quand les deux interprétations respectent également l’historicité des dires du Seigneur et la véracité des écrivains. La différence porte sur la netteté dans la présentation des faits) De plus, les éléments que nous fournit le premier évangile rendent, à eux seuls, hautement vraisemblable l’interprétation que nous impose, ou de peu s’en faut, l’élude des deux autres.

En effet, si la formule finale, sentencieuse et sommaire, ne distingue pas entre avènement et avènement, les deux crises sont pourtant clairement discernables dans le discours tel que le rapporte Matthieu. Et les modalités attribuées à la crise finale, à la Parousie, absence de signes précurseurs certains, imprévisibilité, caractère foudroyant, sont si dilTérentes de celles attribuées à la ruine de Jérusalem, qu’elles rendent une déclaration globale fort peu probable. A quoi servirait-il d’indiquer des signes précurseurs (et toute la parabole du figuier a cette signification, et n’a que cette signification) pour un événement soudain, imprévisible, inéluctable ? Un coup de foudre (wjr-o r, v.iTÇirr.r.-r, : il//., xxiv, a^) ne prévient pas et ne se prévient pasi

287. — De plus, l’ignorance « du jour et de l’heure />,

1. VoirH. B. SwETE, Tlic Gospel aecording lo saint Mark, London, ty05, p, 316 avec les renvois. Les antres hypothèses qui expliquaient « cette génération » par l’humoxiîté, ou le monde entier, ou les croyants, n’ont pins qu’un intérêt historique, encore que cbucune puisse se recommander de noms illustres. On peut voir les principau.x dans Meyf « -B. Weiss, Das Matt/iæus Evangelium^^Goellingen, 1808, p. 422, note ».

2. C’est ainsi que l’eutend le R. P. LAGR-^^CE, E’angilr selon sninl.Marc, l’.UI, p. 324 sqq. (et autrefois dans la Revue liibliijue de 1906, p. 393 et sqq.). E. Klostf.rma.n.n fait justement remarquer que le r « i/ry- ne peut s’up|iliquer qu’aux signes, supposés visibles par la parole m<’*me du Maître. Or le premier avènement : ruine de Jérusalem, et non le second : parousie linal-’. sera précédé par des signes. Cette remarque renforce singulièrement l’exégèse adoptée ici, et qui est préférée par le P… Lemonnyer, dans l’article Fin du monde de ce Dictionnaire, I, col. 1921. Voir aussi A. Cfe’LLiM, La qiiesiione parusiaca, Monza, 1908.

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solennellement affirmée en conclusion de ce passag’e (verset 32), ne garde plus qu’un sens étriqué, diminué, tout à fait disproportionné à la gravité et à l’étrangeté de cette déclaration, si on la réduit à l’ignorance du jour précis, de l’heure exacte de la catastrophe. Des critiques très radicaux, comme H. J. HoLTZMANN, l’ont Senti, et ce verset leur est suspect pour cette raison. Les paraboles qui suivent, dans notre premier évangile, ne sont guère moins probantes : peut-être le sont elles davantage. Si Jésus avait affirmé que l’avènement délinitif aurait lieu sûrement dans les limites de la génération présente, qui récoulait, comment put-il dire et répéter tout d’une haleine que, non seulement s le jour et l’heure », mais le temps même, que l’époque (éx^ied :) de la venue du Maître reste incertaine, impossible à prévoir, et sera tardive ? (_Mt., xxiv, 49 sqq ; xxv, 5 ; XXV, ig, etc).

288. — Décisif enfin est le fait des réformes, et des institutions durables établies par Jésus — au témoignage de Matthieu lui-même — avant et après cette prédiction. Construit-on un palais sur un sol qui tremble ? Légifère-t-on à la veille d’une révolution certaine, imminente et sans lendemain ? Vouloir réduire toute la morale cvangélique et toute l’activité du Maître à des règles intérimaires, à un provisoire qui peut se promettre au plus quelques années d’existence, c’est une gageure intolérable.

Ces considérations certaines achèvent de nous persuader que le n tout cela » du verset 34 ne vise que les événements dont fut en effet témoin la génération contemporaine de Jésus.

C. — Exégèse sommaire des textes, et conclusions

S89. — Les broussailles une fois écartées et nous étant mis en étal de comprendre les textes, nous verrons en les relisant que Jésus a délerminément prédit, pour des fins morales et religieuses très hautes, et dans la perspective de sa mission personnelle, les destinées du monde juif et celles du monde humain. Les prophéties oscillent entre le point de vue de l’avènement du Fils de l’homme, de sa glorification progressive, et celui du salut des hommes. Ceux-ci sont considérés tantôt individuellement, comme des personnes responsables, tantôt génériquement, comme un groupe spécialement important et représentatif, tantôt socialement, comme un corps universel, aussi étendu que l’humanité elle-même.

Dans l’expansion croissante du Règne de Dieu, les prédictions eschatologiques s’attachent aux moments de crise, aux heures décisives, particulièrement redoutables et exemplaires. Fidèles au langage prophétique, elles voient dans ces heures des « jugements de Dieu ii, qu’elles attribuent au Messie, investi de la prérogative de juge suprême.

290. — G est sur la génération contemporaine du Maître que s’exercera le premier jugement. Prise dans son ensemble, et spécialement en la personne de certains groupes privilégiés : disciples du cercle intime, avilorités du peuple d’Israël, cette génération contemplera le premier avènement, le premier discernement, la première glorification dvi Fils de l’homme. Cette « gloire », ce « jovir du Seigneur » est décrit dans les termes consacrés, concrétisé dans les images traiiitionnelles ; on y donne au Messie les attributs de puissance, de majesté, d’union intime avec Dieu qui ne deviendront éclatants, et impossibles à méconnaître, qii’au dernier jour. Mais tous ceux qui ont des yeux pour voir, un esprit pour discerner les signes des temps, ne pourront s’y tromper. C’est ainsi que plusieurs de ceux qui cheminaient avec le Christ sur le sentier de Césarée de

Philippe « ne goûtèrent pas la mort sans a’iolr contemplé la gloire du Fils de l’homme » (Groupe i). Non seulement en elTet Pierre, Jacques et Jean assistèrent à la scène lumineuse de la Transliguration, prémices de la gloire future ; ils furent encore les témoins des premiers triomphes de Jésus. Deux d’entre eux, avec les autres disciples du cercle apostolique, virent s’accomplir de leur vivant le grand jugement, la prodigit-use révolution dont les péripéties principales furent la ruine de Jérusalem, la dispersion d’Israël, la substitution, à des privilèges fondés sur la race, d’une société spirituelle conquérante, enrichie des dons merveilleux de l’Esprit.

291. — Gloire pour le Maître, persécutions pour les disciples. Heureusement ces persécutions étaient prévues et prédites : les apôtres « n’avaient pas achevé d’évangéliser les villes d Israël » (liroupe i) avant l’avènement de justice, la venue du Fils de l’homme qui mit fin à ce qui restait de la cohésion visible, de l’autonomie, et des pouvoirs judiciaires d’Israël dans la Terre sainte. Ceux qui exerçaient ces pouvoirs et qui en avaient abusé con ire Jésus, ce Sanhédrin présidé par Joseph Caiplie et inspiré par Anne, ces hommes qui déclarèrent que le Maître avait blasphémé en se déclarant Fils de Dieu, — ces mêmes hommes virent de leurs yeux, et la plupart subirent en coupables, les rigueurs du premier avènement. Ils virent Jésus honoré jusqu’à partager la gloire, apparemment incommunicable, du Père ; ils le virent placé par l’adoration des fidèles au-dessus des anges et de la Loi, « à la droite du Père » ; ils virent l’édifice spirituel de l’Eglise s’élever sur la pierre d’angle qu’ils avaient rejetée et contre laquelle vint se briser leur orgueil national et religieux (Groupe 4).

398- — Toute cette génération enfin ( « yevsct v.ùrr, ) fut témoin delà ruine de l’ordre ancien et du laborieux enfantement du nouveau. A cette lumière (et sans préjudice du jugement exercé par le Fils de l’homme sur chacun d’eux en particulier) les hommes de ce temps purent apprécier et d’avance contempler, dans une répétition formidable et dans son début tragique, l’avènement dernier qui clora le temps et consommera les siècles. Avènement bien dilïérent du premier si on les compare dans leurs modalités : celui-ci mêlé d’ombres et île lumière, prochain, portant sur une portion déterminée de l’humanité, annoncé par des signes et contre l’horreur duquel la vigilance avertie des disciples pouvait se défendre ;

— celui-l.i lointain, remis à un jour ignoré et peut-être indéfiniment relardé, sans autre signe avant-coureur que sa foudroyante réalité, parachevant une moisson jusque-là continuée à chaque génération, imposant d’autorité aux bons et aux méchants, aux incroyants comme aux fidèles, la glorieuse judicalure du Christ.

Avènements difi^érenls et distants : identiques pourtant dans leur fonds et gros des mêmes leç’ons essentielles, puisqu’ils sont les moments décisifs de l’expansion unique du Règne de Dieu ; puisque le premier n’a de sens que comme image et commencement du second ; puisque tous deux, accoin[)agnés d’un appareil de terreur et de majesté, suggéraient des préoccupations analogues, imposaient les mêmes devoirs de vigilance, marquaient les étapes de la glorification progressive du Fils de l’homme (Groupe 3).

393. — C’est en ce sens que le disciple aimé entre tous, au lendemain du premier avènement et instruit par l’enseignement, longuement médité, de celui dont il avait < contemplé la gloire »,.M., i, 14. interprétait déjà, dans son témoignage solennel et autorisé, la ])rédication de Jésus. Dans son évangile spirituel, Jean met en un puissant relief ce qui, derrière les 1445

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images apocalyptiques (qu’il connaît et qu’il emploie) constituait le fonds religieux des prophéties escliatologiques. Pour lui, le jugement du Fils a déjà commencé de s’exercer : le Fils, pas plus que le Père, ne cesse son travail dirin (Jo., v, 17). La prédication de Jésus est en eirel, pour chaque homme venant au monde.l’occasion du choix décisif : mis en contact avec elle, chacun se juge soi-même et, selon la qualité de ses œuvres, vientà la lumière ou se perd dans les ténèbres. La sentence linalc qui, au dernier jour, dans l’éclat d’un appareil inouï, séparera le troupeau humain en groupes irréductibles, cette même sentence se prononce déjà dans le secret du chois humain, semence de vie éternelle jmur les uns, germe de mort pour les autres (Jo., v, 21 sqq.). Cette option n’est pas le fruit d’un instinct spontané, aveugle, irréfléchi : dans chaque élu capable de l’entendre, l’appel du Père se consomme par un libre choix. Le témoignage des œuvres, merveilles de sainteté ou de puissance, le témoignage de l’Esprit, l’exaltation du Fils de l’bomræ mort et ressuscité : autant de motifs de bien choisir, et qui rendent inexcusable celui qui choisit mal. Mise en demeure de se prononcer, la génération contemporaine de Jésus, dans la masse de ses représentants officiels, a fait son choix, qui est mauvais. Elle n’a pas été attirée par le Père. Elle a préféré des intérêts humains à la gloire de Dieu. Laissez-les faire, ils sont déjà condamnés ; sans doute a le salut vient des Juifs » ; en posant sa tente sur la terre d’Israël, le Verbe incarné est venu « chez les siens ». Mais l’heure arrive que toutes les barrières charnelles s’abaisseront devant les adorateurs en esprit et en vérité ; l’heure est venue à laquelle Dieu se choisit, au lieu et place de ceux qui se sont endurcis, des ûls d’adoption, aussi nombreux que ceux qui ont a reçu le témoignage de Fils unique ». L’événement premier est ici montré dans ses résultats déhnitifs, acquis lorsque Jean écrivait, au soir de la génération primitive. L’adoption par toute l’Eglise chrétienne de l’évangile johannique et de l’interprétation qu’il donne sur ce point, tout en jetant un jour singulier sur l’état d’esprit des croyants à cette époque’, n’élude pas pour autant les paroles prophétiques rapportées par les.Synoptiques. En approfondissant le coté intérieur et spirituel des prédictions, Jean n’abolit pas les autres, et l’inlluence des graves avertissements du Maître n’a pas cessé de s’exercer.

S94. — Les mêmes devoirs de vigilance continuent de s’imposer dans l’attente de la venue du Fils de l’homme, — de celle qui consommera sa gloire et le jugement du monde. L’accomplissement éclatant des prédictions concernant la ruine et la dispersion d’Israël, est un garant de la vérité des autres. La réalité du don prophétique de Jésus reste donc, en tout ce qu’on peut vérilier, au-dessus de toute contestation fondée.

1. Celte acceptation, pratiquement sans conteste, de l’évaneile tardif de Jean est un indice, entre autres, du grand fait constant qui réduit à leur valeur les affirmations ))assionnées des « eschalologistes » à outrance ; fait que M. Maurice Blokdfi. résume dans ces lignes : ic S’il est vrai que la génération apostolique a vécu dans le désir et la certitude du retour procliain de Jésus, si c’est là ce que les celles directs de la prédication du Maitre avaient répété comme lessentiel du message primitif ; si le ressort initial du dévouement au Sauveur et des sacrifices consentis a été l’espoir escompté du triomphe béatifiant, comment donc la foi a-t-ellc survécu à I immense déception ? Comment s’est-elle épurée, fortifiée, propagée avec une rapidité et une extension déconcertante au moment où ill.semblait faillir aux promesses qui paraissent >ux « esrhatologistes ») être la cause humaine de ses premiers succès ? 1) Histoire et Dogme, la Gbapelle-Montligeon, 1904, p. 27.

« Alors Jésus-Christ vient dire aux hommes qu ils n’ont

point d’autres ennemis qu’eux-mêmes, que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu, qu il vient pour les détruire el pour leur donner sa gr.’ice, afin de faire d’eux tous une Kglise sainte, qu’il vient ramener dans cette Kglise les païens el les Juifs, qu’il vient détruire les idoles des uns et la superstition des autres. A cela s’opposent tous les hommes… Tout ce qu’il y a de plus grand sur la terre s’unit : les savants, les sages, les rois. Les uns écrivent, les autres condamnent, les autres tuent. Et nonobstant toutes ces oppositions, ces gens simples et sans lorce résistent à toutes ces puissances et se soumettent nicme ces rois, ces savants, ces sages, et ôtent l’ido-Ifttrie de toute la terre. Et tout cela se fait par la force qui l’avait prédit’. »

4. — Jésus thaumaturge

395. — Pour être un signe certain et sortir son plein elîet apologétique, le miracle doit, nous l’avons vu, réaliser certaines conditions. L’application de ces règles peut se faire à tout événement merveilleux, qu’une seule des conditions vienne à manquer, c’est assez pour éliminer du domaine apologétique tout un ensemble de faits ou de présomptions, quel que soit par ailleurs leur intérêt. On a beaucoup |iarlé naguère des « miracles » revendiqués par la petite école qui professe un panthéisme émanatiste à nuance bouddhique sous le nom de « nouvelle théosophie «. Au récit des prodiges qui s’accomplissaient dans le sanctuaire d’Adyar, près de Bénarès (Indes anglaises), la Société des Itecherches psychiijues.de Londres, s’émut. Elle délégua surplace une commission composée d’observateurs rompus à ce genre d’enquête ; un rapport détaillé fut rédigé par M. R. Hodgson. On peut le lire dans les Proceedingsde la Société - ; il conclut nettement à l’inanité des faits prétendus. La vérité historique manque aux « miracles de la théosophie ».

596. — D’autres fois, les faits extraordinaires, à les supposer réels, n’authentiquent pas la mission du thaumaturge ou n’autorisent pas, du même coup tout ce qu’il enseigne, faute d’une connexion établie entre ceci et cela. C’est en ce sens qu’on interprétera, si on les croit véritables, les prodiges accomplis par le pope Jean lUitch Sergueieff.plus connu sous le nom de Père Jrande Cronstadt^ ; ces merveilles, opérées généralement au moyen de l’eucharistie, n’étaient jamais présentées par le thaumaturge comme liées à la vérité de 1’  « orthodoxie » russe, qu’il professait^. Sur ce point donc, la vérité de connexion historique fait complètement défaut.

597. — llarriveenfinqueles faitssont réelsetliésà un mouvement religieux qu’ils tendent manifestement à autoriser. Tels furent les bizarres prodiges, mis hors de doute par un grand nombre de témoignages contemporains et concordants, opérés par les Com’iilsioriiiaires jansénistes, à partir de l’jSo environ’.

1. Pascal, Pensées, secl. xii, éd. Brunschvicir major, III, p. 225..

2. Proceedini*5 of the Society for psychicaï Research^ LonWnn, décembre 1884 : Report on Phænomena connected ivith ihensopky, -’^ 200-401. — Sur la tliéosophie en pfénéral, Le lotus bleu, par l’auteur du présent article, Paris, 1905, et G. C. Maktindai.f, T/iensophy, London, î9Vi.

3. Voir contre : E. M. de Vor.ilK, Le miracle de Kont~ chans/ioié, dans Journal des Débats du 8 octobre Î901 ; et surtout A. Ratel, Echos d’Orient ^ IX (janvier 1906), p. 44 sqq. ; plutôt pour : A. Stærck, dans la Préface de Ma vie en Dieu- du P. Jean dk Cronstadt, Paris, s. d. [1905].

4. Sur toute la question, J. Poricky, dans Slavorum Lilteræ thrologicae. Prague, III, 190*, p. 69 sqq.

5. Voir dans ce Dictionnaire, l’article Contclsion-NAiRcs de Mgr G. J. M’affelært, vol. I, col. 705-713. 1447

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Nonobstant la réalité des pliénomènes et leur caractère extraordinaire (dont il faut se garder du reste d’exagérer la portée) les circonstances déraisonnables et indécentes dans lesquelles se produisaient ces laits, l’opposition très claire des jansénistes aux décisions certaines de l’autorité religieuse qu’ils prétendaient par ailleurs reconnaître, ne permettent pas de voir là des signes authentiques : la transcendance morale et religieuse est en défaut.

298. — Mais quand un prodige, ou un ensemble de prodiges, présente réunis tous les caractères exigés, le signe est véritablement acceptable, valable, « lisible ».

On en a des exemples frappants dans les merveilles opérées par Elle pour établir le droit quepossède Dieu d’être adoré, à l’exclusion des Baalim. Ces prodiges, narrés aux Livres des Rois’, répondent admirablement à ce que, dans les mœurs du temps, les spectateurs avaient alors le droit d’attendre, et les non-israélitesde réclamer, pour croire à laseigneurie absolue de labvé. Laguérison, accomplie par Pierre et Jean, du boiteux qui mendiait à l’entrée de la Belle Porte du Temple, à Jérusalem 2^ offre un autre spécimen excellent. De nos jours enfin, l’ensemble des miracles qvii s’opèrent à Lourdes, sans qu’on puisse bien entendu leur attribuer une valeur qui les impose à la foi des chrétiens, se présentent pourtant dans des conditions d’étendue, de diversité, de durée, d’excellence morale et religieuse habituelle, qui permettent d’j- chercher un notable exemple, contemporain et vérifiable, de signe divin. L’ensemble des miracles opérés par le Bienheureux Curé d’Ars en offre un autre.

899. — Un signe parfaileiiient attesté peut prêter, fùt-il unique, aune interprétation certaine. Toutefois il n’est personne qui ne voie combien meilleur est le cas où la base historique s’élargit. On n’a plus affaire à un fait insolite, isolé, aberrant : c’est toute une série de phénomènes convergents, donnant prise à des constatations multiples, à des témoignages divers, dont les différences de notation ne font que mieux ressortir l’accord sur la substance. L’interprétation devient du coup beaucoup plus rassurante : elle rentre dans le genre des certitudes « vitales ». C’est en effet sur desconclusions de cette sorte, fruit d’inductions nombreuses et concordantes, que réellement nous vivons. Le commerce d’amitié et le commerce tout court, la paix de la famille, la stabilité sociale, les choix les plus considérables de notre væ d’ho : nmes sont ainsi fondés. Ils sont éclairéspar une foule d’indices perçus plus ou moins confusément

Sur quoi Nbwm.ix dit bien, dans sa Grammaire de l’Assentiment^ :

(I C’e « l par la force, la rariélé, la multiplicité de prémisses q’ii sont seulement probables, non par d’invincibles svllopismes. — pnr le fait de voir] les objections surmontées, les théories adverses neutralisées, les diâicultés s’évannuissant graduellement, les exceptions prouvant la règle, Hes relations imprévues se révélant avec les vérités déjà act|uises ; par l’aprôletle délai dans la marche s’achevant en avances triomphales ; — par toutes ces voies et bien d autres, qu’un esptit formé et expérimenté arrive à une siire divinrxtion de la conclusion. Conclusion

l.IV Rrg.lllReg.’i.l, -i ; I.’l / ! eg.[[Re^.], jiYm.’" sq-j2. Act.. III, 12-16.

3. An Estay in niii of a Graiimar of Assenl, 18.Ï9 ; éd. Longmans de 1892, p. 321. On y^eut voir, très bien exposée yar M. St. IIarext. la dlITéience entre cette doctrine et la proposition 2."> du dérret Lamentabili. sui- (( l’accumulation de probabilités », dans le Diclionnair rie la Foi catholiqnt, édit. Vacant et Mangenot, s. v. t, ! , vol. VI, col. 191200.

inévitable, encore que les raisonnements linéaires ne la mettent pas actuellement en possession de l’esprit. C’est ce qu’on entend en parlant d’une proposition (( aussi siire que si elle était prouvée », d’une conclusion (( aussi indéniable que si elle était démontrée », etc.

300. — S’il s’agit, non d’événements quelconques à interpréter, mais de miracXes, & nombre, la diversité et la qualité des faits sont encore plus à considérer. La vérité de connexion devient parfois éclatante : c’est la même personne, au service et dans l’exercice de la même mission, qui se présente auréolée d’un pouvoir surhumain habituel. La certitude dans l’interprétation ne gagne pas moins : chaque élément de ce vaste ensemble prête à une estime réfléchie, permet à la longue de discerner l’orientation, d’apprécier la dignité morale et la valeur religieuse du tout. Il arrive alors que certains détails obscurs, étranges, malaisés à interpréter si on les prend en eux-mêmes, se fondent dans l’harmonie générale comme des dissonances dans une symphonie. JVoscunture sociis.

Nous allons voir que ce cas privilégié est celui que nous présente l’histoire évangélique.

A. — Vérité historique des miracles du Christ

301. — La plus superficielle lecture donne l’impression que les miracles attribués au Christ appartiennent à la substance même de l’histoire évangélique. Une étude approfondie confirme décidément cette impression.

La narration des faits de ce genre occupe en effet dans nos évangiles une place, même matérielle, considérable. On n’y a pas relevé moins de 41 miracles, ou groupes miraculeux, distincts : là-dessus 24 figurent dans Mt., 22 dans.l’/c., 24 dans Lc, 9 dans Jo., * ; mais i^ seulement — la remarque est importante — sont particuliers à un seul des évangélistes, C sont relatés par deux, et 16 par trois évangélistes. Si nous passons, du simple point de vue numérique, à celui du genre des miracles, nous V03’ons que la triple narration contient des prodiges de toute sorte : non seulement des guérisons ou des exorcismes, mais des résurrections de morts, la première multiplication des pains, la marche de Jésus sur les eaux, la tempête apaisée, etc.

302. — Dès là, nous remarquons que la distribution de la matière miraculeuse n’est pas celle qu’on attendrait d’une interpolation postérieure. Dans cette hypothèse en effet, le merveilleux devrait remplir les parties les moins attestées de l’histoire évangélique, introduit là tardivement, moyennant des traditions particulières, accueillies par l’un ou l’autre des narrateurs. Dans le double et, à plus forte raison, le triple récit, on ne devrait guère trouver que les miracles plus aisément « acceptables » : guérisons de paralytiques, exorcismes, etc. Ces prévisions sont celles même (nous le verrons) qui guident nos adversaires dans leur étude de l’élément miraculeux impliqué par les documents chrétiens primitifs. Mais les faits déjouent ces calculs aprioristiques : au lieu d’afileurer çà et là, à la façon de blocs erratiques, déposés par une coulée géologique récente à la surface des récits, les prodiges les plus inouïs, les plus « impossibles », saturent également la double, la triple S3’nopse. Aussi haut qu’on puisse remonter, par conjecture, dans les traditions sous-jacentes aux narrations, on les trouve, tout comme ils figurent dans

1. Je suis la liste très soigneusement dressée par T. H. Wright, dans le Dicllnnary of Christ and the Goxpch, s. V. Miracles, 11, p. 189. Dans cette liste ne figurent que les miracles opérés par Jésus en personne. 1449

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ces fragments tles Acles des Apùlres, écrits à la première personne (OVrs/Hc/.e), où tous les crili<iues reconnaissent (les morceaux d’un journal de route rédigé par un témoin oculaire. Les distinctions rationalistes entre miracles et miracles n’ont donc aucun fondement dans l’histoire’.

303. — Plus encore que la place matérielle qu’ils occupent, c’est le nile attribue aux miracles qui ne permet pas de lesévincer. Ils sont en elTet supposés par les particularités les plus frappantes, les circonstances les moins contestables de nos récits : les éliminer n’équivaut pas à laisser, pour de longs chapitres, un canevas nu et dépouillé, mais à déchirer la trame même du livre.

Les miracles sont intimement liés à la foi des disciples en leur Mattre : le refrain johannique : « Ce fut, à Cana de Galilée, le début des signes qu’opéra Jésus, et il manifesta [ainsi] sa gloire, e< ses discijites crurent en lui », Jo., ii, i i (cf. Jy., iii, 2 ; vii, 31 ; xii, g-ii) n’est que l’écho des impressions notées parles Synoptiques : « Et ils se disaient les uns aux autres [après la tempête apaisée] : « Qui donc est celui-ci, pour que le vent et la mer lui obéissent ? » Mc, iv, 40 ; « Et comme [Jésus et Pierre | entraient dans la barque [après avoir marché sur les flots] le vent tomba. Et ceux qui étaient sur la barque l’adorèrent en disant : « Vraiment, vous êtes fils de Dieu ! » Ml., XIV, 33.

304. — L’émotion des foules et l’envie haineuse des adversaires ne sont pas moins nettement rattachées aux prodiges accomplis par le Sauveur. On ne peut citer ici que quelques-uns des textes :

Quand la foule eut éti’renvoyée. Jésus entra, et prit la main [de la petite morle] et la fillette se leva. El le bruit s’en répandit dans toute cette légion. Mt., ix, 2.j ; cf. iv, 23-24 ; XII, 22-23 ; xv, 30-31.

.u soleil couchant, tous ceux qui avaient des inlirnie.-’, atteints de diverses maladies, les amenèrent pi’ès de lui, et leur imposant les mains à chacun, il les guérit… Lt comme au lever du jour il sortait, olUint en un lieu désert [pour prier], les foules le recherchaieni, et on arriva jusqu’à lui, et on le priait de ne pas s’en aller. Z-c, iv, 40, 42.

Alors quelques-uns des scribes et des Phai-isiens lui réjiondiront, en disant : < Maître, nous voulons voir un signe [accompli] par vous. » Mt., xii, 38.

En ce teraps-lù, llérode le téti-urcpie ouït parler de la renommée de Jésus et ditù ses serviteurs : h C’est Jean le Baptiste : il est ressuscité des morts et par ainsi des miracles s’opèrent par lui !)) Mt., xiv, î-2.

Les princes des prêtres et les Pharisiens réunirent donc le Conseil, et ils disaient : « Qu’allons-nous faire ? Cet homme opère beaucoup de miracles. Si nous le laissons [faire] ainsi, tous croiront en lui… i) Jo., xi, 47, 48.

305. — Toute l’activité du.Maître : son enseignement, ses controverses, les missions qu’il donne, sup posent les miracles et parfois n’ont de sens que par eux. (’/est la discussion à propos d’un homme guéri le jour du sabbat : f.c, vi, j sqq. ; ce sont les apôtres investis de la puissance de guérir : Mt., x, 1-8 ; c’est la foule rassasiée par miracle, à qui Jésus conseille des pensées plus hautes, et dont il dirige les désirs vers une nourriture spirituelle : Jo., vi, 26 sqq.

La puissance thnumaturgique de Jésus forme une part intégrante de la tradition chrétienne primitive : au jour de la Pentecôte et dès la première fois qu’il parle au peuple, Pierre — au témoignage des Actes des apùtres — rappelle les miracles accomplis par Jésus :

1. Voir V. SiNDAV, Jésus Christ, dans DDII., II, p. (124 62r>.

« Hommes d’Israël, écoule/ ces paroles. Jésus de Nazareth, 

cet homme a[>prouvé de Dieu pour vous par des miracles, des prodiges et des signes, que Dieu a faits par lui au milieu de vous, ainsi ([ue vous-mêmes le savez… » .ici.. II, 22, 23.

Mémo rappel en présence de Cornélius et de sa maison :

« Vous savez ce qui â’cst passé dans toute la Judée…

Jésus de Nazareth, comme Dieu répandit sur lui l’onclion do l’Esprit saint et de puissance, comuio il a passé en faisant le bien, et en guérissant tous ceux qui étaient.-^ous la puissance du diable. Et nous sommes témoins des

« l’uvres qu’il a accomplies dans la région des Juifs et à

Jérusalem…)>.-ict., x, 37-39.

La première linale du quatrième évangile rappelle que Jésus fit « beaucoup d’autres miracles n en dehors des signes retenus, pour des raisons diverses, dans ce livre. Euskue enfin cite dans son Histoire ecclésiastique un passage de l’apologie présentée à l’empereur Hadrien (i 17-1 38) par un disciple des apôtres,

QUADRATUS :

« Les œuvres de notre Sauveur s’attestaient durable-^, 

car elles étaient vérilabUs : ceux qu’il a guéris, ceux qu’il a ressuscites des morts n’ont pas.seulement été vus guéris et lessuscités, mai^ le sont restés — non seulement pendant la vie, mais après le ilépart du Sauveur, durant un temps considérable, au point que quehiues-uns ont survécu jusqu’à nos jours’. »

A tous ces témoignages répond l’opinion des adversaires mêmes et des ennemis de Jésus. Ils ne contestent pas les faits : tout leur effort, des Phariciensà Celse et à Julien, va à les expliquer par la magie, les sortilèges ou un pacte avec le prince des mauvais esprits. La bizarrerie des hypothèses qu’ils imaginent prouve à sa façon leur embarras et l’immense effet produit par les signes du Christ.

306. — Cet embarras persiste. Il n’est rien dans l’Evangile qui cause plus d’ennui aux critiques et aux historiens rationalistes, et sur aucun point probablement la contre-apologélique n’a accumulé plus de conjectures arbitraires et d’explications violentes. Les Interprétations naturalistes auxquelles le théologien protestant Gottlob Paulus (-]- i 85 i) attacha son nom, sombrèrent vite sous le ridicule. D. F. Strauss trancha dans le vif, rejeta comme inaulhentique tout ce qui, dans les évangiles, racontait ou supposait le miracle : procédé radical et commode, mais trop commode ! On n’osa maintenir un parti pris aussi éclatant :

<( Mais ce merveilleux ! Tons ces récits île miracles ! Bien d’autres que Str-auss se sont laissé épouvanter par eux, reconnaît M. Ad. Harnack, au point d’en prendre texte pour nier en bloc la crédibilité des évangiles. Mais la science historique a fait encore, pendont la dernière génération, ce grand ]>rogrès d’apprendre à traiter ces récits avec plus d’intclli^cnce et de sympathie ; aussi peut-elle reconnaîli’e une valeur documentaire appréciable, même aux récits des miracles*. »

307. — Nous verrons par quels artifices le célèbre critique saura « solliciter doucement les textes », selon les besoins de sa philosophie. La plupart de nos adversaires n’y mettent pas tant de façons, et à l’édition, revue et très corrigée, de Paulus, que propose ^L Ilarnack, préfèrent une édition édulcoréc et légèrement nuancée, de Strauss.

1. //. £., iii, iv ; éd. Ed..Schvvartz, l, p. 302, 304.

2. « G est par le prince des démons qu’il chasse les démons ! » Mt., ix, 34.

3. Voir le Con « rrCc/s « d’ORici ; xK, i, i.xviii ; ed. P. Koetschau, 1. p. 121, 122.

4. L’Essence du Chrisiianismi, lr. fr. de 1907, p. 37. 1451

JÉSUS CHRIST

1452

Voici par exemple comme procède M. W. Heit-MiiLLER, dans le plus considérable Dictionnaire des sciences reli<fieuses de l’Allemagne protestante libérale’. L’auteur reconnaît franchement ce que nous avons établi plus haut toucbant la [))ace occupée par le miracle dans nos évanyiles. « Le plus ancien de nos évangiles, celui de Marc, est — abstration faite du séjour linal à Jérusalem et du récit de la Passion

— à peu près uniquement une longue série de récils de guérisons et d’autres faits merveilleux, coupée seulement çà et là par des discours de Jésus’-. » Cet aveu est suivi d’une profession de foi pliilosopliique assez ambiguë : en face des miracles, au sens fort du mot. « l’hislorien comme tel n’a rien à dire : il ne dit ni oui ni non à la possibilité de tels miracles. Mais il est certain que l’histoire, quand elle s’en tient rigoureusement à ses méthodes et à ses limites, ne peut accepter, dans l’exposé qu’elle fait, des miracles comme miracles^. »

Après ces déclarations, l’auteur énonce brièvement, mais cette fois très clairement, les thèses suivantes : i) en règle générale, une auréole de merveilles nimbe le front des fondateurs de religions ; 2) à cette époque tout le monde, Juifs et païens, croyait aux miracles. Nos récits doivent être interprétés à la lumière de ce fait ; 3) il y a dans nos récits eux-mêmes une tendance à l’amplilicatiou, à l’idéalisation, qui culmine dans le quatrième évangile ; 4) heureusement, la plus ancienne tradition nous fournil des normes critiques pour le traitement de la matière. Deux passages sont à considérer ici : celui où Jésus nous est montré refusant un signe du ciel aux Pharisiens qui le demandent (Me, viii, ii sqq. = Ml., XVI, I sqq. et cf. Mt., xii, 38-40, Lc, xi, 29-80),

— et le mot de Marc, vi, 5-6 (= Mt., xiii, 58) : « Et [Jésus] ne put faire là |à Nazareth] aucun miracle, si ce n’est qu’il guérit quelques malades en leur imposant les mains. Et il était étonné de leur incrédulité. »

« Ces deux traits de la plus am-ionne tradition, conclut

M. W. HeilmilUer, nous fournissent deux normes historiques innttnqiuibles : non sc^ulempnt nous pouvons, mais nous devons traiter avec (léfiancc tout ce qui porte lo caractère de miracles extraordinaires, et nous ne devons admettre dans le domaine du possible que ceux des événements merveilleux dans lesquels la coufionce personnelle |du malade] pouvait jouer un rôle*. »

308. — Paroles mémorables ! Mais avant de les commenter, voyons d’autres spécimens d’éviction rationaliste. M. Alfred Loisv reprend, en les résumant, les idées, et parfois les mots, d’Ernest Renan :

1. Jésus ChrisLu ! -, dans Die Heligion in Gcsc/iiclite uiid Gegemvart, III, Tllbingen, lttl2, col..371 sqq. — Je suis l’édition publiée à part sous le titre Jésus, Tubingen, 1913. La question des miracles y est traitée ù partir de la page W,

2. Jésus, p..")9-60.

3. Ibid., p. 61, On remarquera la faiblesse de cette défaite. Toute la question est de savoir si des faits de ce genre seront disqualifies a priori : si, pour trouver place dans un exposé historique, ils devront dépouiller ce caractère miraculeux et rentrer dans les limites que lo philosophie pa’liculière de l’historien estime être celles du possible. M. HeitmUller sait comme nous que c’e^iie caractère intrinsir/ue des faits, non leur attestation historique, qui les rend suspects, ou positivement inacceptables, à tous les historiens rationalistes, mais h ceux-là seulement. Il devi-ait savoir qu’il existe une différencre entre cette philosophie particulière, hautement discutable et contestée entait, et les principes i ; i’nerau.T de philosophie humaine, universelle, qui permettent, h tous ceux qui s’oreupent d’histoire, do rejeter a priori certaines fables. Le tort de l’icole rationaliste est de confondre ces deux choses.

4. Jésus, p. 65.

« Jésus.,., faisait des miracles. Il en faisait presque malgré

lui. Dès son premier séjour à Capharnailm. on lui amène des malades à guérir. Sa propre populaiiLè l’elfi-uie ; il craint que le thaumaturge ne lasse tort au prédicateur du royaume et il s’éloigne de CapharnaiEni. Vaine précaution. L’élan une fois donné, le mouvement ne s’arrête pas ; Jésus veut prêcher et convertir, il faut qu’il guérisse. Peut-être nlla-t-on même jusqu à lui prêter la résurrection de morts, ,. Etait-il en droit de se refuser au soulagement que Dieu opérait par ses mains ? Il agissait avec une efficacité particulière sur la catégoiâe des malades que l’on regardait comme spécialement possédés du dénion. les malheureux atteints d’tifléctions nerveuses et de troubles céi-èbi-aux. Il leur parlait avec autorité, ordonnait aux démons de les laisser, et le calme revenait, au moins pour quelque temps, dans ces âmes troubles et inquiètes *. »

309. — M. Adolphe Harnack est plus sérieux. Il commence, au moyen des réflexions classiques de la contre-apologétique, par réduire l’élément miraculeux. Le miracle, à cette époque, a était chose presque quotidienne ». [Alors, pourquoi l’émotion profonde suscitée par ceux de Jésus ? Pourquoi cette allluence, ces contradictions, cette foi ?] — Ue tout temps, l’on a attribué des miracles aux personnalités exceptionnelles ». |Cela est fort contestable : on ne voit pas que les disciples de Jean-Baptiste l’aient considéré comme thaumaturge, ni ceux de Platon. El parce qu’on s’est trompé en certains cas, faut-il admettre qu’on s’est toujours trompé ?-] —

« Troisièmement, nousavonsl’inébranlableconviction

que tout ce qui arrive dans le temps et dans l’espace est soumis aux lois générales du mouvement, qu’il ne peut donc y avoir, en ce sens, comme rupture de l’ordre naturel, de miracles… Mais, si l’ordre naturel est inviolable i, il existe des forces, surtout psychiques, encore peu connues, et qui peut dire jusqu’où elles vont ? « Qu’une tempête ait été apaisée d’un mot, nous ne le croirons jamais ; mais que des paralytiques aient marché, que des aveugles aient vu, nous ne le nierons pas sommairement, comme s’il n’y avait là qu’une illusion^. » [L’exclusive donnée aux miracles de la première sorte est un simple postulat de philosophie mécaniciste, que l’auteur rejette, au moins hypothétiquement, deux pages plus loin’.]

Après avoir ainsi préparé son lecteur, M. Harnack Gnit par distribuer la matière miraculeuse en cinq classes : a 1° récits de miracles provenant de l’exagération d’événements naturels particulièrement

1. Jcsus et la Tradition écangélique, 1910, p. 61-f12. On ne reprochera pas, cette fois, à M. LoisT, de compliquer les questions. Voilà expédiée celle des miracles, Il est vrai que l’auteur jieut supposer ([u’on se reportera au commentaire de Renan, Vie de Jésus’*, cii, xvi, p. 2fiô sqq. Chacun des mots de M. Loisy y trouve, non sa justification, mais un essai déxplication,

2. Tant s’en faut, observe Pascal, La croyance qui se présente avec certains caractères de stabilité et d’universalité, si elle n’est pas à l’abri des fausses applications, suppose cependant un certain fondement de réalité. Voir l’application aux miracles ; Pensées, sect. xm. éd, lirunschvicg major, III, p, 248 sqq.

3. L’Essence du Christianisme, tr. fr, de 1907, p..’17 il.

4. « Ce ne sont pas quelques miracles qui sont en jeu, mais la question décisive de savoir si nous sommes engagés sans espoir dans l’engrenage d’une im])itoyahle nécessité, ou s’il existe un Dieu qui règne et dont la force simposant à la nature peut être invoquée et vécue, » L’Essence du Christianisme, dans la tr, fr, de 1907 [que je corrige ici d’après l’original allemand, p. 19], p.’13. Plus loin, IV* conférence, ii, 2, M. llarnnck admet, sembb-t-il, comme certaine, la seconde de ees alternatives, hors de laquelle, aussi bien, il n’y a pas de reli^ ; ion véritable. Mais alors, pourquoi maintenir une restriction qui n’est qu’un postulat de la première ? 1453

JESUS CHRIST

145 i

fra[)panls ; 2° récits provenant de discours, de paraboles, d’impressions intérieures, tournés en fait ; 3* récits provenant de l’intérêt qu’on altacliail à la réalisation de préilictions de l’Ancien Testament ; 4° gm-risons surprenantes opérées par la puissance spirituelle <le Jésus ; 5’récits de provenance impossible à déterminer’. »

310. — On pourrait multiplier les classillcations de ce yenre, sans autre avantage que de nous l’aire connaître les présupposés /^A^/osop/nt^Mes qui guident chacun de leurs auteurs’. Uien en ellet dans les textes n’autorise ces découpages. Us ne coïncident nullement (nous l’avons vu) avec les degrés de probabilité qu’un historien non croyant, mais simplement historien, pouri-ait établir en se ser%’aut des indices iritiques : récits attestés par un témoignage unique, double, triple ; récits appartenant à telle ou telle source, etc. Les critères employés par les adversaires <lu miracle sont d’un autre ordre, exclusivement sysiénialitjue, et a priori : « Les miracles de nature Ipar exemple, la multiplication des pains, la tempête apaiséej sont impossibles ; les miracles de guérison sont possibles, en certaines conditions ; etc. Qui ne voit que nous sommes tout à fait sortis du terrain de l’histoire et des faits ?

311. — Les paroles " normatives > relevées dans l’Evangile pai- M. Heitmiiller illustrent, plus qu’elles n’intirment, cette constatation. Il est vrai que nous avons là un essai de critique positive, un pas fait en dehors de Va priori. Fragile essai, pas mal assuré ! Jésus refuse aux Pharisiens les a signes du ciel » qu’on lui demande, parce qu’il ne veut pas autoriser la notion charnelle et prestigieuse du Royaume de Dieu. S’ensuitil qu’il refuse ioiii signe ? Jésus attempère, à Nazareth comme ailleurs, son action aux dispositions de ses auditeurs : l’endurcissement des Nazaréens limite donc à quelques guérisons sa puissance miraculeuse. A une foi plus grande, de plus grands prodiges seront accordés. Ces deux notations, très aisément explicables dans l’économie adoptée par le Maître, doivent-elles prévaloir comme règles de discernement sur tout le reste de l’Evangile, et rendre suspect tout signe irréductible à la suggestion ? Il me semble qu’énoncer une telle prétention, c’est en faire justice.

313. — En réalité, les récils demiraclesappartiennent à la substance même des documents. Les seules objections qu’on oppose à cette constatation sont des dillicultés philosophiques, plus ou moins déguisées et colorées. Il est vrai que les progrès de la méthode historique, et de la critique des origines chrétiennes, ne permettent plus l’éviction sommaire à laquelle procédait Strauss. Chaque auteur s’ingénie donc à expurger des textes dont l’historicité générale reste indubitable. A coté des guérisons par suggestion, seules retenues par E. Renan, MM. A. Loisy et Heitmiiller, M. Ilarnack tolérerait d’autres

1. Ibid., p. 4’2.

2. C’est avec un vif reirret que nous devons mettre prëseolement au nombre de ceux qui u clioisisscnl 1) parmi les mirnoles évangéliques, quelques tliéologicMis anglicans de grand mérite, beaucoup moins touchés jadis par le libéralisme radical. Les plus connus sont ios deux f.adi/ Mar^arrt Professors de théolog-ie : celui d Oxford, le D’W. Sanday (Voir surtout sa réplique à l’évêque anglican d’0ford : Bis/iop Gort’s rhaltenge io Crilicism, Oxford, lOl’é) et celui de Cambridge. le D’J. Bethune Baker (Voir T/ie Miracle nfChrislianily, Cambridge 1914). La question traitée ex professa est celle de la nécessité, pour un.

glican, d’admettre les miracles évangéliques. Mais i ce propos, les deux professeurs, et surtout le premier, fnnt paraître, sur la vérité de plusieurs de ces miracles (la naissance virginale de Jésus, par exemple) un scepticisme inquiétant.

guérisons d’ordre physiologique. Il ne lui paraît pas impossible que des boiteux aient marché, des aveugles recouvré la vue. Pour nous, libres de ces préjugés philosophiques, nous acceptons les textes que le criticpic historique nous présente comme solidement attestés, observant, après l’auteur d’/icee Iliimo, que « les miracles jouent un rôle si important dans le cadre [de la vie] du Christ qu’une théorie, n’importe laquelle, qui les représenterait comme dus entièrement à l’imagination de ses disciples ou d’un âge postérieur, détruit la crédibilité des textes non pas en partie, mais totalement — et fait du Christ un personnage aussi mythique que peut l’être Hercule’. »

B. — i’érité relative des miracles : les signes et la

Mission.

313. — Un miracle acquiert la valeur d’un signe quand, à la vérité historique, à la réalité du fait, s’ajoute la vérité qu’on peut appeler relative, ou apologétique. Elle résulte de la relation, de la connexion certaine établie entre le fait merveilleux d’une part et, d’autre part, la personne, la mission, la doctrine que le signe est appelé à authentiquer.

Dans le cas qui nous occupe, le lien est visible qui unit la mission divine du Christ à ses œuvres prodigieuses. Manifestement en ellet, les miracles opérés par Dieu en faveur de Jésus vont en ce sens ; la résurrection surtout, mais aussi les voix merveilleuses qui accompagnèrent, pour les autoriser, certaines démarches du Maître : son baptême par exemple : Me, iii, 17, ou sa transliguration : Mc, ix, 6. C’est là que vont, plus clairement encore, les miracles par lesquels Jésus récompensait la foi de ceux qui croyaient en lui. Ainsi le centurion deCapbarnaiim, dont le serviteur fut guéri à distance : Mt.. viii, 5 sqq ; les aveugles de Jéricho :.Mt., xx, ag ; et cette pauvre femme chananéenne dont la touchante persévérance arracha au Sauveur un cri d’admii-ation : Mt., xv, 12 sqq.

314. — La connexion entre ces faits extraordinaires et la mission du Christ reste pourtant, si assurée qu’elle puisse être, implicite. Mais à mainte reprise elle fut explicitement proclamée. L’envie des scribes motiva la première de ces déclarations :

« Quel est le plus aisé de dire au paralytique : « Tes

péchés te sont remis 0, ou de lui dire : (i Lève-toi, prends ta couchette et marche » ? Afin donc que vous sacliiez que le Fils do l’homme a sur terre le pouvoir de remettre les péchés : « Je te le commande (dit-il au paralytique), lève-toi, prends ta couchette et t’en vas chez toi. » Mc, il, 9-10.

Une autre, la plus solennelle, est due à l’initiative de Jean-Baptiste :

Et avant appelé deux de ses disci|de9, Jean les envoya vers le Seigneur, disant ; « Etes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? ii Et arrivés près de [Jésus] les hommes disaient : « Jean le Baptiste nous a envoyés vers vous, disant : Etes-vous celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » X cette heure même rjésus] guérit beaucoup de gens de leurs maladies, de leurs infirmités et (de l’obsession] des malins esprits, et à beaucoup d’aveugles il accorda la grâce de voir. Lors, en réponse, il leur dit : B Allez, annoncez à Jean ce que vous avez vu et ouï : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. Et bienheureux qui n’aura pas en moi un objet de scandale ! » Lc, vii, 18-24.

1. J. R, Seeley], Ecce Homo, London, 186i, p. 43. 1455

JESUS CHRIST

1456

Jean nous rapporte que Jésus dit avant de ressusciter Lazare :

(( Père, je vous rends grrice de ce que vous m’avez exiiuoé. Je savais bien que vous ni’exaucfz toujours ; nutis je l’ai dit à cause de la foule qui est là tcut autour — afin qu’ils croient que aous m’avez envoyé ! » Jo.. xi 41-43.

Combien de fois le morne évangéliste note-t-il que le Maître en appelait, pour authentiquer sa mission, à ses « œuvres », parmi lesquelles les miracles tenaient assurément une place prépondérante.

(( Mais je possède un témoignag-e plus grand que celui de Jean ; car les œuvres que mon Père m’a donné d’accomplir, les œuvres mêmes que je fais témoignent en ma faveur que mon Père m’a envoyé. » Jo., v, ; >6 : coll. x, 25 ; .iv, 12 ; XV, 24 ; xx, 30.

315 — Cette connexion était d’ailleurs chose admise. Amis et ennemis, disciples et jaloux, simples et doctes s’accordent là-dessus, tout en se divisant sur la réalité des faits. Les foules galiléennes : .^/^, XII, 13 sqq. ; Jo., vi, ij, ne pensent pas autrement sur ce point que les foules de la Judée : Jo., vii, 31 ; lesrudes, comme l’aveugle de naissance -.Jo, 1-x., 16, 33, autrement que les gens instruits, tels que Nicodème : Jo., iii, 2, l’oflicier de Gapharnaiim : Jo., iv, 43, les amis de Lazare xJo., xi, ^’^i. xii, 1 1, le centurion du Golgotha : Mt., xxiv, hl. En réalité, si l’on a cru en Jésus, c’a été, pour une très grande part, à cause des miracles qu’il opérait.

316. — La seule dilliculté, qu’on puisse sérieusement mettre en avant, présente un cas notable : l’objection se tourne, pour celui qui s’y applique consciencieusement, en argument positif. Pour la faire valoir, il n’est que de citer les propres paroles de celui qui l’a popularisée, Jean-Jacqubs Rousseau. Eloquent à l’ordinaire et jusqu’au sophisme inclus, il pose sa thèse sous la forme la plus provocante : la preuve par le miracle ? — « Non seulement Jésus ne [l’ja pas donné, mais il [1’] a refusée expressément. » ( !)

Voyez lîi-dessus toute I histoire de sa vie ; écoutez surtout sa propre déclaration : elle est si décisive que vous n’y trouverez rien à répliquer.

Sa carrière était déjà fort avancée quand les pharisiens, le voyant faire tout de bon le prophète au milieu deux, s’avisèrent de lui deinandei’un signe. A rela, qu’auiaitdii répondre Jésus, d’après vos messieurs [les théologiens de Genève].’  « Vous demandez un signe, aous en avez eu fent… Gaua, le rentenier. le lépreux, les aveugles, les paralytiques, la multiplication des pains, tonte la Galilée, toute hi Judée déposent jioui" moi. Voilà mes signes. »

.u lieu de cette réponse que.lésus ne fit point, voici, monsieur, celle qu’il fit : « La nation niéchante et adultère demande un signe et il ne lui en sera point donné. » Ailleurs il ajoute : « Il ne lui sera pas donné d’autre signe que celui de Jonas le prophète. » Et, leur tournantle dos, il s’en alla’.

On ne [jcut donner au second passage qu’un sens qui se rapporte au premier ; autrement Jésus se serait contredit. Or, dans le premier passage oii l’on demande un miracle en signe, Jésus dit positivement qu’il n’en sera donné aucun. Donc le sens du second passage n’indique aucun signe miraculeux’-.

Pour être sophistique et confondre n les signes du ciel », les prestiges météoriques, aveuglants, ne laissant place ni à la bonne volonténi à la foi méritoire, tels que les réclamaient les pharisiens, avec toute espèce de si^ne miraculeux, le passage de Rousseau ne

1. Mr., viii, 12 ; Mt, xvi, 4. Pour abréger, j’aî fondu ensemble cps deux passages. Mais j’ai conservé la distinction essentielle à la question. JVote tic iioussrau.

2. J. -J.Rousseau, Lettres écrites de la montagne, 1" partie, 3* lettre.

laisse pas d’être intéressant. On pourrait d’ailleursrenforcer la difficulté qu’il soulève en citant les paroles analogues, nombreuses dans le quatrième évangile :

« Si vous ne voyez des signes etdes prodiges, vous ne

croyez point I n Jo., iv, 48, et : « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » Jo., xx, 29. On noterait en-Un que très souvent, surtout au début de son ministère, Jésus ferma la bouche aux miraculés qui voulaient proclamer leur guérison. N’était-ce pas aller à rencontre du but, s’il prétendait autoriser sa mission parles miracles ?’Voir J/c, i, 34 ; i, 44 ; iii, 12 (et cf. Mt., XII, 16) ; VII, 36 ; VIII, a6.

317. — Cette difficulté n’en est une que pour ceux qui n’auraient pas compris l’économie de la manifestation messianique, telle qu’elle a été exposée plus hani (.^upra, oh. II, section i, n. 99-116). Il faut se garder pourtant de passer outre : létude de ces textes jette un jour singulier sur la vie du Sauveur.

Admettons dans leur ampleur les faits qu’on nous oppose. Oui, Jésus a refusé constamment d’accomplir un certain genre de miracles ; oui, dans ceux-là même qu’il accomplit, nous devons relever une double restriction ou, si l’on veut, une double limitation. Limitation relative aux conditions du sujet. A Nazareth, il fait peu de miracles, à cause de l’incrédulité de ses compatriotes : ili< ne peut faire que peu de miracles » : il/f., VI, 5, 6, Mt., XIII, 58. Mot admirable de l’évangéliste, et qui fait voir jusqu’au fond la valeur, la portée, la qualité spirituelle et religieuse de la puissance thaumaturgique du Maître ! Ce n’est pas une force inconsciente, une puissance d’expansion sans frein, sans règle et sans but. Jésus n’impose pas plus la force bienfaisante qui guérit que la lumière qui sauve. — Limitation par rapport à la divulgation des faits merveilleux, qui sont soumis comme le reste, et au même titre que l’enseignement et les paraboles, à la marche progressive et volontairement dosée, de la manifestation totale.

Ne fallait-il pas s’y attendre ? Pourquoi l’élément miraculeux serait-il le seul aberrant, et aurait-il été à rencontre du plan providentiel ? Il y a ici volonté manifeste de corriger la notion alors courante du miracle et, ce qui est plus grave, de la foi naissant du miracle contemplé ou s’augmentant à son contact. Ni celui-ci n’est un prodige accablant, « ’imposant à la façon d’un coup de tonnerre, dispensant le candidat au Royaume des cieux des [iréliminaires obligés de pureté de cœur, d’humilité, de bonne volonté ; ni celle-là n’est une lumière violente, colorant d’une teinte crue, égoïste et intéressée, les réalités surnaturelles.

318. — Olte discrétion, ces limitations — non imposées du dehors el aveu de faiblesse, mais imposées du dedans et marque de sagesse : les textes les plus clairs en témoignent :.Mt., iv, 3 sqq, xxvi, 53 — confèrent aux miracles du Christ un caractère unique, et aux récits qui les relatent un cachet d’historicité hors ligne. C’est le propre en effet des embellissements postérieurs et des enthousiasmes irréfléchis d’ajouter en ce genre, de surenchérir, de chercher le frappant, l’extraordinaire, l’inouï. Les miracles de Jésus, tels que nous les présentent les évangiles, sont au contraire tellement maîtrisés, tellement spirituels, tellement niortififs, pour ainsi dire, qu’ils interprètent la vie et l’enseignement du Maître sans les tirer pour autant de l’hisloire, du réel, de tout ce que nous savons par ailleurs du prédicateur el du saint de Dieu.

C. — La vérité des sijines considérés comme rcu--re divine.

319. — Deux points sont présentement acquis : les 1’j57

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faits extraordinaires dont il est question appartiennent à la substance même d’une liistoire véridiijue. Leur réalité n globale » (et quoi qu’il en soit d’un épisode en particulier ou de quelque détail) s’impose donc à tout esprit non prévenu. Elle s’impose au point que, parmi nos adversaires, ceux qui comptent n’osent plus la rejeter en bloc’, et opèrent un discernement dans la matière miraculeuse pour des raisons qui ne sont ni littéraires, ni liistoriques.

De plus, ces mêmes faits, à lesconsidérer en gros, et dans l’interprétation commune que leur ont donnée amis et ennemis, sont en connexion certaine, parfois explicite, toujours manifeste, avec la mission divine de Jésus de Nazareth.

Après cela, il ne reste plus qu’à examiner si ces faits merveilleux sont vraiment des signes divins. Cet examen doit se dédoubler, nous l’avons vu. Est-il certain que, dans le cas, il y a eu miracle, « effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie » ? Cette conclusion n’estelle pas ébranlée par les objections subtiles qu’on tire, en notre temps, de l’action des forces peu connues, de la suggestion, de la " foi qui guérit » ? — Et enlin, la carrière thaumaturgique du Christ étant reconnue surhumaine, est-elle assez noble, signiliante, spirituelle et digne de Dieu, pour que nous puissions honnêtement voir en elle un signe, une autorisation divine, un sceau providentiellement imprimé sur la mission de Jésus ?

Réalité des miracles comme tels

380. — Laissons ici de côté les merveilles accomplies en faveur du Christ, et marquant d’une trace lumineuse les origines, les tournants principaux et la Un de sa vie terrestre. Ne parlons que de celles qu’il a faites. El, pour restreindre noire enquête, adressons-nous à un seul des Synoptiques, le troisième.

Dès le début de la prédication du Seigneur, à Capharnaiim,

Il y avait dans la synagogue un homme en piiîsstince d’esprit impur, et il criait à grande voix : « Laissez. Qu’y a-t-il entre nous et vous, Jésus de Nazareth ? Etes-vous venu nous perdre ? Je sais qui vous êtes : le Saint de Dieu. » Jésus lui dit avec rudesse : « Tais-tui : sors de cet homme 1 » Et l’ayant jeté par terre au milieu, le démon sortit sans lui faire aucun mal. Et tous, saisis d’épouvante, se disaient les uns aux autres : « Quelle est cette parole-ci ? Il comrrande aux esprits impurs, d’autorité, avec puissance, et ils sortent ! m Lc, iv, 33-37.

Immédiatement après,

S’étant levé, [Jésus sortit] de la synagogue et entra dans la maison de Simon. La belle-mère de Simon était malade dune grosse fièvre, et ils le prièrent pour elle. Se penchant sur elle, il commanda j » la fièvre, qui la quitta. Et incontinent fia miraculée] se leva et les servait.

.u soleil tombant, tous ceux qui avaient des infirmes atteints de nialaJics variées les lui amenèrent : et lui, imposant les mains à chacun d’eux, les guérit. Et, de beaucoup, des démons sortaient, criant et disant : « Vous êtes le Fils de Dieu. » Et les menaçant, il ne les laissait pas parler… U., ! v, 38-41^

331. — A ces premières merveilles, d’autres vont succéder, de toute sorte :

Quond Jésus" eut fini de parler, il dit à Simon : a Poussez au large et vous jettertz vos filets pour la pèche. » — «.Maître, répondit Simon, nous avons peiné

1. Voir par exemple le témoignage de M. Percv G.tBD-NEK, Exploratio eviin^elica-, London, 1907, p. 22^1.

2. P.scAL, /’enjc’ïj, Section XIII, éd. BruDschvicg ma/or, III, p. 2112.

toute la nuit sans l’ien prendre, maïs sur votre parole je jetterai les filets. » Et l’ayunl fait ils prirent une masse énorme de poissons, et leurs filets se lompaieiit. Et ils firent signe à leurs compagnons de l’autre barque de venir leur prêter main-forte. Ils vinrent et remplirent les barques à les couler bas. Ce que voyant, Simon Pierre tomba

« ux genoux de Jésus, disant : « Eloignez-vous de moi, car

je suis un pécheur. Seigneur ! » Car I épouvante l’avait saisi, lui et ses compagnons…

Et comme [Jésus] était dans une ville près du lac], voici un homme plein de lèpre : à la vue de Jésus il se prosterna, la face en terre, disant : « Seii^neur, si vous le voulez, vous pouvez me guérir, u Etendant la main, [Jésus] le toucha en disant : « Je le veux, sois purifié ». Et aussitôt la lèpre disparut, et il lui recommanda de r ; e le dire à personne… Mais le bruit se faisait de plus en plus autour de lui, et l’on venait en foule l’entendre et se faire guérir de ses infirmités. Mais lui se retirait dans des lieux solitaires et [y] priait longtemps.

Et il arriva un de ces jours-1^, comme il enseignait :

— il y avait là assis autour de lui des Pharisiens et des docteurs de)a Loi venus de tous les bourgs de Galilée, de Judée et de Jérusalem, et la puissance du Seigneur [lahvc] était avec lui, pour guérir’. Et voici des gens portant sur un lit un homme qui était paralysé : ils chercliaienl à l’entrer et à le mettre en face de lui. Et ne trouvant pas le moyen de l’entrer à cause de la presse, ils montèrent sur le toit et desce.-.dirent l’homme avec sa couchette, à travers les tuiles, [et le mirent] au milieu, en face de Jésus. Voyant leur foi, il dii : « Homme, tes péchés te sont remis. » Tous les scribes et les Pharisiens commencèrent à ratiociner, disant : « Qui est cet homme qui blasphème ? Qui peut remettre les péchés, hormis Dieu seul ? » Mais Jésus, ayant pénétré [le sens de] leurs raisonnements leur dit : « Pourquoi ra’sonnez-vous ainsi dans vos cœurs ? Quel e>t le plus ai ?é de dire : Tes péchés te sont remis.

— ou de dire : Lève-loi et marche ? Or, pour que vous sachiez que sur terre le Fils de l’homme a pouvoir de remettre les péchés ii, — il dit au paralytique ; o Je te le dis, lève-loi, prends ta couchette et va chez loi. » El s’étant levé incontinent, aux yeux de tous, il prit [le lit] sur lequel il irisait et retourna chez lui en louant Dieu. Le, V, 3-10 ; 12-U -, I7--2R.

333. — Un peu plus lard, c’est un homme dont la main desséchée est guérie, par simple commandement, dans la synagogue, un jour de sabbat. Lc, vi, 6-12. Puis, après le choix des Douze,

Etant descendu avec eux, il s’assit dans une plaine et [avec lui] un grand nombre de ses disciples et une grosse foule de peuple de toute la Judée, de Jérusalem, et des confins de Tyr et de Sidon. qui étaient venus l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Et ceux qui étaient molestés par des esprits impurs étaient guéris, et toute la foule cherchait à le toucher, parce qu’une vertu sorlait de lui et les guérissait tous. Lc, vi, 17-20.

Après le discours considérable qui suit, et le retour à Capharnaiim, on apprend qu’un centurion a un de ses serviteurs, un de ceux qui lui étaient précieux, à toute extrémité. On intercède auprès du Maître : le centurion est ami d’Israël, il a même édifié une synagogue. Or, tandis que Jésus se dirige vers la demeui-e de cet homme, voici des amis du solliciteur qui se présentent :

<i Seigneur, disent-ils au nom du centurion, ne vous mettez pas en peine ; je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit ; aussi ne me suis-je pas estimé digne de venir vers vous. Mais dites un mot, et que mon serviteur soit guéri. Car moi, je suis un homme constitué sous une autorité et j’ai sous [la mienne] des soldats. Et je dis à celui-ci : « Va », et il » a, à cet autre : « Viens ». et il

1. Sur la traduction (et le texte quelle suppose et qui semble critiquement presque certain ; Jjvotut ; Kjptyj v £’? ri 117$^t v.-jzoj) voir par exemple.K. Plu.mmeb. The Gospel according to S.Luht^, Edinburgh. réimp. de lilOS, p. 152.

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vient, et à mon serviteur : « Fais ceci », et il le fait. » Entendant ceci, Jésus admira cet homme, et se tourtiânt vers la foule qui l’accompagnait, il dit : n Je vous le dis, même en Israël, je n’ai pas trouvé une foi semblable ! d Et les commissionnaires, étant retournés à la maison, trouvèrent le serviteur en bonne santé.

Et il an-iva qu’ensuite il allait à la ville appelée Nain, accompagné par ses disciples et une fouie nombreuse. Gomme il approchait de la porte de la ville, voici qu’on emportait un mort, fils unique de sa mère — qui était veuve — et une foule considérable [de gens] de la ville était avec elle. Et la voyant, le Seigneur eut compassion d’elle et lui dit : « Ne pleure plus. » Et, s’avannant, il toucha la civière. Les porteurs s’étant arrêtés, il dit :

« Jeune homme, je te le dis, lève-toi ! » Le mort se dressa

sur son séant et commença de parler, etf.Iésus] le rendit à sa mère. El la crainte s’empara de tous [les témoins], et ils glorifiaient Dieu… /.r, , vii, 6*^-16.

333. — Peu après, surviennent les envoyés du Baptiste : en leur présence, Jésus guérit plusieurs i malades, délivre des possédés, rend la vue à beau- ! coup d’aveugles, Lc, iii, 21. Suivent divers enseignements, le touchant épisode de la pécheresse repentante, et Texposition des paraboles concernant le Royaume de Dieu.

Il advint en un de ces jours qu’il monta on barque avec ses disciples et leur dit : « Passons sur l’autre rive du lac. o Et ils s’embarquèrent. Et comme ils naviguaient [Jésus] s’endormit. Et un tourbillon de vent s’abattit sur le lacet [leur barque] s’emplissait d’eau et ils étaient en péril. S’approchant donc ils le réveillèrent, disant :

« Maître, maître, nous sommes perdus ! n Mais lui, s’étant

levé, gourmauda le vent et la trombe d eau, et ils s’apaisèrent, et le calme se ht. Il leur dit ; « Où est votre foi ? » Eux, pleins de frayeur et stupéfaits, se disaient les uns aux autres : « Qui donc est celui-ci qui commande aux vents et au flot — et ils lui obéissent ? » Lc, viii, 22-26.

Dans la région de Gérasa vivait un redoutable énerguniène, qui avait brisé les fers dont on essayait de l’entraver. Nu, hurlant, gitant en sauvage dans les tombeaux, ce malheureux offrait dans sa personne, en même temps qu’un danger public, le raccourci de la tyrannie maléfique des esprits qui le possédaient. A l’apparition de Jésus, un court dialogue s’engage entre eux et le Maître : sur un dernier mot de celui-ci, l’homme est délivré, tandis que la bande évincée pousse au lac un grand troupeau de porcs qui paissait dans ces environs. Les gardiens s’affolent, vont prévenir à la ville et atix champs. En face de cette perte matérielle, qui mettait en une lumière vive la malfaisance des démons, tout en étant plus que compensée par la guérison du terrible possédé, que chacun pouvait voir, dans son sang froid et convenablement vêtu, aux pieds du Maître, les gens de Gérasa subirent avant tout Timpression d’une grande terreur et demandèrent à Jésus de s’éloigner, Lc, viii, a6-38.

334. — A peine le Maître est-il de retour.

Voici que vintun homme du nom de Jair. chef delà synagogue. Tombant aux pieds de Jésus, il le priait d’entrer dans sa maison : il avait une fille unique, àgér- de douze ans (]ui te mourait. Comme Jésus s’y rendait, les foules [le serraient] a l’ëtouffer. Or une femme qui avait depuis douze ans un flux de sang habituel et n’avait pu être guérie par personne, s’approcha par derrière et toucha la houppe de son manteau, et aussitôt le flux de sang [dont elle souffrait] s’arrêta. Jésus dit ; » Qui est-ce qui m’a touché ?)> Et comme chacun s’en défendait, Pierre dit : « Maître, les foules vous pressent et vous écrasent ! » Mois Jésus dit : (( Quehpi’un m’a touché, car j’ai senti qu’une vertu soi-lait de moi.)) Voyant donc la chose découverte, tremblante, la femme vint et tombant à ses pieds proclama devant tout le peuphi la raison pour laquelle elle l’avait touché et comment elle avait été guérie sur-le-champ. Mais lui : (f Ma fille, dit-il, la foi t’a sauvée ; va en paix, » Comme

il parlait encore, survint quelqu’un de chez le chef de la synagogue, disant ; « Ta dlle est morte, ne tourmente plus le Maître. » Mais Jésus, ayant entendu, répondit [a Jair] : (t Ne crains pas, aie seulement la foi et elle sera sauvée, » Venant donc à la maison, il ne laissa entrer personne avec lui, hormis Pierre, Jean et Jacques, avec le père et la mère de l’enfant. Tous criaient et se lamentaient sur elle. Mais lui : « Ne pleurez pas, car elle n’est pas morte, mais elle dort ! » Et ils riaient de lui, sachant qu’elle était morte. Mais lui, la saisissant par la main, 1 appela disant : (( Eniant, lève-toi. » Et l’esprit revint en elle, et elle se leva sur-le-champ, et il ordonna de lui donner à manger et ses parents furent dans le ravissement. Lc, viii, 41-56 ^

Et appelant les Douze, il leur donna tout pouvoir et autorité sur tous les démons, et pour guérir les maladies, et il les envoya prêcher le Royaume de Dieu et guérir… Et les apiUres étant revenus lui racontaient tout ce qu’ils avaient fait. Et les prenant avec lui il se retira en une ville nommée Bethsaide. Mais les fuules l’ayant su l’accompagnèrent : il les accueillit, leur parla du Royaume de Dieu et guérit ceux qui en avaient besoin. Le jour commençaità s’incliner : s’approchant [donc] de lui, les Douze lui dirent : « Renvoyez la foule, afin qu’ils aillent dans les bourgs et hameaux des environs se mettre à 1 abri et trouver des subsistances, car ici nous sommes dans un désert. » Il leur dit : « Donnez-leur à manger vous-mêmes. » Mais eux : c( Nous n’avons pas plus de cinq pains et de deux poissons ; — ou bien faut-il aller et acheter pour tout ce peuple de la nourriture ? n Car il y avait là environ cinq mille hommes. Il dît à ses disciples : » Faites les s’étendre par tables decinquante environ. » Ils accomplirent ce [qu’il leur ordonnait] et les firent tous s’étendre. Lors, prenant les cinq pains et les deu.x poissons, ayant regardé le ciel, il les bénit, les rompit et les donna aux disciples pour être servis à la foule. Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta ce qui restait en trop : douze corbeilles de morceaux. Lc, ix, 1-2, 10-lS.

335. — Dans la série de miracles que nous venons de transcrire (ils se pressent dans cinq chapitres d’un seul de nos évangiles) on aura remarqué la place tenue par les expulsions de démons. Place considérable, d’autant que le reste de nos récits n’est pas moinsexplicite sur ce point. Marc en partieulierle met dans un extraordinaire relief. A ce propos, quelques explications ne paraîtront donc pas inopportunes, le genre de merveilles auxquelles il est fait allusion ici étant fort particulier’.

Les expulsions de démons

3â6- — Il est d’abord certain que les évangélistes n’ont pas prêté sur ce point à Jésus des croyances communes de leur temps, que le Maître n’aurait pas partagées. Sur peu de sujets son attitude est plus nette : en dehors des quatre faits d’expulsion narrés en détail et faisant partie de la double ou de la triple synopse (l’homme de la synagogue de Capharnaiim, il/c., i, 28-28 =i/.c., IV, 33-37 ; l’énergumène de Gérasa, 3//., VIII, 20-34 : =i^/c., v, 1-20 ^=Ac., VIII, 26-39 ; ’^ *^’*^ de la Chananéenne, Mt., xv, ai-28=r 3/c., vii, 24-30 ; l’enfant possédé par un démon qui le rendait sourd et muet, Mt., xvii, i^-ai = : Mc, ix, 18-29 = : Lc, ix. 37-42), presque tous les rappels généraux de l’activité miraculeuse de Jésus comportent distinctement cet élément à côté de guérisons proprement dites.

1. La matière a été récemment traitée, du point de vue anglican, par W, Menzies Alexvnder, Dcnionic possession in the Sc^v Testament, Edinburgh. r. » 02. Je cite cet auteur pour son mérite propre, et aussi parce qu’il semble avoir échappé au prof. J. Smit, dont le mémoire De Dæmoniaris in historta eranî^elica^ Rome, 1913, est une véritable somme de la question. Je me suis beaucoup servi de cet ouvrage, où l’on trouvera, entre autres, une liisloire complète de l’exégèse touchant ce point particulier et l’indication de presque tous les travaux antérieurs. 1461

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Non souleiiKiil le Maître exerce, mais il dëlèy : ue le double pouvoir de guérir et d’exorciser (Vf., iii, 15, VI, ), cf. Mc, VI, ia-13. XVI, 15-18). Que si, dans le ([uatrième évangile, ce dernier pouvoir est compris généralement danscc les œuvres » du Cbrist(rà ipyu), il en fait partie intégrante : « C’est maintenant, déclare Jésus sur la lin de sa vie, le jugement de ce monde-ci : maintenant le prince de ce monde-ci sera jeté deliors » par le fort armé qui s’emparera de ses dépouilles, en « tirant tout à soi » (/o., xii, 31-33). Ue ce jugement et de cette victoire, les délivrances de possédés sont à la fois l’annonce et le début.

387. — A côté des faits avérés, il faut noter l’enseignement positif et formel du Maître, soit qu’il porte sur la i)uissance du démon et la façon de combattre et de vaincre celle puissance, soit qu’il décrive plus généralement l’œuvre entière du Messie comme la contre-partie triomphante de 1 œuvre du malin ; le Règne de Dieu se substituant au Règne du « prince de ce monde-ci ».

Cette dernière série de textes (quelques-uns seront cités plus bas) ne laisse aucune vraisemblance à l’opinion qui tend à voir, dans toute l’attitude de Jésus sur ce point, une accommodation volontaire, pédagogique, à des erreurs inoU’ensives répandues en son temps. Il ne s’agit nullement ici d’erreurs populaires, si l’on veut donner ce nom à des notations selon les apparences. Dire que le soleil se lève, se couche, etc., n’a rien à voir avec la religion : aux conventions de ce genre, Jésus s’est prêté, comme tout homme. Nos contemporains les mieux instruits continuent de les employer, et ils ont bien raison. Mais entre ces énonciations de faits naturels correctement décrits et la tolérance, ou plutôt l’enseignement d’une erreur attribuant à desêtres surhumains et spirituels certains maux physiques, et l’organisation dans le monde humain du mal moral, il y a un abîme, et qui ne le voit ? Nous sommes là sur le terrain religieux, bien plus, spécitiquenient messianique. La formule johannique, selon laquelle a c’est pour détruire les œuvres du diable que le I^ils de Dieu s’est manifesté o (I Jo., iii, g), n’est en effet que l’écho de la prédication la plus authentique du Maître.

« Quand un fort armé garde l’entrée [de sa demeure], 

tout ce qu’il possède est en sûreté : mais si un plus fort que lui survient, et l’emporte sur lui, il s’empare de toutes les armes [du premier], où celui-ci mettait sa confiance, et il distribue ses dépouilles. » Le,.i, 21, 22.

338- — Cette parabole saisissante, elce qui l’amène on l’explique, résume au mieux l’œuvre de Jésus, telle qu’il la concevait. Jean lui-même, qui applique à cette œuvre les catégories générales de « lumière » et de « ténèbres », ne parle pas en termes moins clairs que les Synoptiques de la lutte avec le « prince du monde », de la défaite et de l’expulsion de celui-ci {Jo.. xii, 31 ; xvi, 1 1). Non seulement le Maître donne son merveilleux pouvoir sur les démons pour un signe décisif de l’avènement du Règne de Dieu(ic., XI, 20), mais il décrit celui-ci comme un combat, une sorte de duel gigantesque, au cours duquel le malin sera vaincu, débouté de ses droits prétendus, affaibli dans lepouvoir défait qu’il exerce, finalement évincé et mis en déroute. Au chef du royaume messianique et à ses serviteurs sont opposés le chef et les serviteurs de « ce monde-ci ", pervers et condamné’. Réduire cette doctrine à une métaphore littéraire, à une sorte d’antithèse grandiose personnillant les puissances de mal pour les rendre plus concrètes,

1. On peut voir les textes accumulés par J. Smit, De Dafmnniaci$ in hiftoria evani ; ilica. 1013, p. 20 : i sqq.

c’est prêter au Sauveur un état d’esprit romantique, moderne, en opposition avec tout ce qu’ou pensait alors, et totalement inintelligible aux contemporains. C’est là une de ces vues superlicielles, qui peuvent plaire au lecteur pressé, mais que ni l’historien consciencieux ni l’homme religieux ne sauraient accepter. En réalité, Jésus a agi constamment dans l’hypothèse — il a implicitement enseigné, explicitement déclaré — que des puissances personnelles très réelles, des a esprits » (les évangélistes les appellent indistinctement, j>our les discerner des bons esprits,

« esprits malins’» ou « esprits impurs ») s’opposaient

à l’expansion du Règne de Dieu, exerçaient dans et par des corps d’hommes une activité visible, exprimaient par la voix de ces mêmes hommes certains jugements, etc.

339. — Assurément la façon, très générale à cette époque, de concevoir tout mal comme diabolique et d’attribuer en conséquence aux esprits malins toute sorte d’infirmité, se reflétait dans les expressions et les façons de parler. On avait là le pendant des expressions encore plus répandues d’après lesquelles toute sorte de bien — même celui qui s’opérait par l’intermédiaire d’hommes ou de moyens naturels, comme la guérison normale d’une maladie — était attribué directement à Dieu, en excluant la mention de tout intermédiaire humain, de toute « causalité seconde » (comme nous disons à présent). Que les évangélistes aient pu, usant de la terminologie universellement reçue alors, ranger parmi les « démoniaques i), les « lunatiques », les a énergumènes ii, d’un mot parmi les possédés, des malades qui offraient avec ceux-ci des symptômes extérieurs tout à fait semblables, il n’y a pas à le nier a priori. La fréquence de ces possessions, réelles ou apparentes, était alors telle qu’elle avait donné lieu à une thérapeutique spéciale, tenant à la fois de la religion, de la magie et du charlatanisme. Jésus y fit allusion (Ml., XII, 2-)) et les païens eux-mêmes s’efforçaient de l’employer^. Le caractère général de ces exorcismes est l’extrême complication des formules, la bizarrerie des rites, l’irrationalité des adjurations et conjurations.

330. — Denombreux spécimensdecettelittérature rebutante nous ont été conservés, presque toujours aussi pauvres de pensée que prolixes et puérils, quand il ne faut pas dire pis 3. Particulièrement célèbres alors étaient les grimoires fabriqués à Ephèse (ifhtx /pxf)./j.y.ra.), dont saint Luc nous raconte qu’à la suite des prédications de saint Paul, les habitants d’Ephèse li^Tèrent au feu une masse représentant une valeur énorme (Act., xix, 19). Chez les Juifs, on attribuait au roi Salomon les formules les plus efBcaces, et Josèpuh rapporte également à lui l’indication de certaine racine dont l’usage secondait

1. rivsû/jLa 7Tov>3/50’y, 6 fois ; 7Cvsûfj.v. ùxdOv.fizov, 2.3 fois. Sur les autres termes, oxiy.c-jic’-', 52 fois, oai ; i.*jiv, 3 fois, etc. ; voir J. S.MIT, lih. cil., p. 172 sqq.

2. Parmi les récits de « miracles n antiques, juifs ou l)aïens, recueillis par P. Fiebig, et qu’il est ti-ès instructif de comparer aux miracles du Nouveau Testament, les exorcismes heureux, les expulsions <le démons tiennent une place considérable : P. FiKnir, , Jiidischi’Wunders ; escfnc /iten des neutrslamentlichen Zeiialii’rs : Antihe Wunder^eschicliten z. St. der Wttnder des A’. T’., Bonn, 1911. Voir en particulier, dans ce dernier opuscule, les numéros 6, 18, 20, 22.

3. L’obscénité est, dans tous les temps, un des traits de cette triste littérature, sur laquelle on peut consulter .. A u DO L LENT, Defij-iontmi iabrttne qnotqttot innotiterunt,.., Paris, 1904 ; J Tambornino, fltf antiqttnrum dacmonismo, Giessen, 19P9 [RW.. Vit, 3). Bibliographie exhaustive justju’en 1910dans ^d.Sv.HiMKV.K, Geiclïiclitcilesjiid. Volkes^, III, p. 41’i-’120. 1463

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l’action des exorcisnies. Il ne semble jjas d’ailleurs clouleux que les Juifs ooramencèreut, sous l’inlluence des superstitiuns étrangères (venues du monde hellénique, des antiques magies égyptienne, iranienne, babylonienne) à exagérer singulièrement l’étendue du mal. Dès le xvin’siècle, dom Galmet admettait qu’on fut ainsi amené à ranger parmi les possédés bien lies malades atteints d’épilepsie, d’hystérie, bref, des

« grands nerveux » Les comparaisons et recherclies

minutieuses faites depuis sur la terminologie, l’onomastique, les divers modes des exorcismes, l’extrême recrudescence du démonisme qui se manifesta depuis le retour d’Israël après l’exil, ne laissent guère de doute sur la realité de ces emprunts’.

331- — II ne faut pas d’ailleurs exagérer la valeur de ces constatations. Le plus souvent, dans nos évangiles, l’hypothèse d’un démonisme purement apparent est exclue par les formules employées, par l’atlitude et le langage du Sauveur, qui impliquent l’action ou la présence effeclive d’esprits méchants. Il faut donc reconnaître que les faits de ce genre étaient alors très fréquents. Sur les causes de cet empire étonnant du « prince de ce monde-ci », à cette époque, nous avons d’ailleurs mieux que des conjectures : les paroles mêmes de Jésus, nous décrivant les efforts désespérés du malin pour garder une puissance usur|>ée, dont un plus fort allait le dépossédant. Celte lutte, dont les expulsions de démons est le signe le plus sensible, et une part notable, est à l’arrière-plan de tout l’Evangile.

333. — Le caractère miraculeux des faits, qui doit surtout nousretenir ici, ne saurait faire doute. L’interprétation rationaliste qui réduit les divers cas de possession à des formes variées de maladies mentales ou nerveuses, à l’épilepsie, à l’hystérie, à la manie, à la grande névrose, ne diminue aucunement la dillieullé de l’explication naturelle des cures opérées par Jésus. On reconnaît en effet de plus en plus la lenteur, l’exlrcme rareté, l’instabilité des guérisons oi)tenues eu pareille matière. Mais pour tous ceux ipi’un parti pris pliilosophique injusliliable n’empêche pas d’admettre l’existence d’esprits séparés, les miracles ne sont pas moins évidents. Au lieu et place des méthodes alors approuvées, souvent très conteslables, toujours lentes, eompliquéeset précaires, Jésus use de procédés sommaires et souverains. Quelques mots, un geste, un ordre, et le résultat est produit, instantané, durable, complet. Par la simplicité, par I’eiricace, par l’empire qu’ils attestent dansée domaine trouble et mystérieux, où une force intelligente tient en échec les efforts humains, les procédés du Maître ne diffèrent pas moins des exorcismes alors usités que sa faconde guérir les autres maux différait île la thérapeutique habituelle.

333. — Il ne sera pas hors de proposdereleveren Unissant la portée spirituelle et religieuse de ces victoires. Le Règne de Dieu n’eut pas à s’établir, l’Evangile nous en est garant, dans un monde encore innocent, libre d’attaches, où tout se serait livré au premier occupant. Le monde humain, tel qu’il se présentait à l’élan conquérant du Fils de l’homme, était un monde profondément gâté, envieilli dans des mauxde toute sorte, physiques, moraux et religieux, un monde où des iniluences mauvaises se donnaient carrière librement et puissamment, jusqu’à exercer une sorte de prépondérance et d’hégémonie. Une force spirituelle ennemie de tout bien, et par conséquent hostile au Christ, tenait parfois captifs les corps et les âmes ensemble. Jésus l’a fait reculer sur tous les terrains, mais en particulier sur celui de l’obsession physique, de la « j)Ossession ». La

1. J. S.MIT, df Ducmimiacis, p. IiG-172.

malice du « prince de ce monde-ci » dut se borner le plus souvent depuis, en pays chrétiens, à des suggestions tout intérieures, encore que, çà et là, des retours offensifs de « possession » se manifestent. Dans les pays où l’Evangile pénètre pour la première fois avec une certaine intensité, il se heurte encore, comme aux jours anciens, à une sorte de pouvoir occulte, usurpé mais établi, qui rappelle tout à fait, par ses résistances et ses manifestations, les convulsions du malin au temps de Jésus. Il n’y a guère de missionnaire en ces régions qui ne puisse témoigner en ce sens et conlirmer ainsi, par voie d’analogie, la vérité, le caractère spirituel et merveilleux des faits évangèliqucs qui nous occupent.

Les miracles proprement dits

334. — Revenant aux miracles proprement dits, nous noterons l’impression que nous donnent les récits : celle d’un pouvoir souverain dans tous les domaines ouverts, en quelque manière, à l’activité humaine. Ce pouvoir, nous l’avons dit plus haut ÇSii/jrit, 3 1^-31 8), se borne volontairement ; il s’astreint, dans un but d’enseignement, à certaines formes. Mais toutes ces limitations viennent du dedans : au dehors, il ne connaît pas d’obstacle. Xi l’inertie des forces naturelles (tempête apaisée, pains multipliés ) ; ni la progression fatale des éléments morbides (membres assouplis, reviviliés, plaies fermées, fièvres chassées, lèpre guérie) ; ni aucune de ces morts partielles, ni la mort dernière, la grande ennemie, l’invincible. ..

Et le tout, d’une façon très simple, si grande, si éloignée de toute complaisance et de tout charlatanisme 1 Quelques mots, un geste, un appel, l’imposition des mains, le toucher symbolique des yeux qui s’ouvrent, des langues quisedélienl. Et toujours l’assurance parfaite du lils ((uise meut dans sa propre demeure et se sait obéi dès là qu’il manifeste un vouloir.

333. — En face de ces faits, nombreux, variés, dont l’historicité ne saurait faire doute, un certain nombre d’hypothèses, quia priori etdans un autre cas ne seraient pas dénuées de probabilité, paraîtront vraiment puériles.

On ne discute pas sans ennui celle qui mettrait en avant l’adresse du thaumaturge : appliquée à ce que nous savons de la personne de Jésus, elle est simplement ridicule. Le supposer trop habile est la plus invraisemblable des défaites. Et puis, l’habileté se voit ; l’adroit metteur en scène ne réussit qu’un genre de merveilles assez restreint, après des préparations, des dilations, avec des à-coups, qui linissent par éveiller les soupçons de ceux qui ont intérêt à le prendre en faute. Or personne n’a jamais, des ennemis de Jésus, mis en avant cette hj’pothèse.

336- — La conjecture, d’après laquelle des « forces occultes » auraient été utilisées par le Sauveur, n’est guère plus digne déconsidération, encore qu’elle soit le refuge de la contre-apologétique populaire. Cette faveur lui vient sans doute du fait qu’on peut la résumer m des formules assez frappantes : « Miracle d’hier, expérience de demain 1 Nous connaissons aujourd’hui mille forces captées, ou en voie de l’être : électricité, hypnose, proprié tés de la matière radiante, qu’on ignorait jadis, et dont une application eût passé pour merveilleuse. Telle ou telle de ces forces agissait alors en Judée. »

Sous cette forme générale, l’objection ne tient pas devant un peu de réllexion. Toute une première série de miracles échappe en effet à cette tentative d’explication naturelle : ceux <lans lesquels ont été 1465

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contrepesées, arrêtées, renversées des forces ou des inerties qu’une induction fondée sur des milliards de faits, sous tous les cieux, dans tous les temps, a démontrées irréi’ersihles. Qu’il y ait eu alors en Judée une « force occulte » i)erniettant de multiplier une substance matérielle, ou de calmer instantanément, à la voix de Jésus, une tempête, ou de ressusciter un mort — si quelqu’un peut le croire, il est bien inutile de poursuivre la discussion.

337. — Mais de plus, et à limiter la ditlicultc aux faits moins évidemment réfractaiies, aux guérisons par exemple, on noiera que les « forces occultes » dont on parle, pour être demeurées telles, doivent produire leur effet naturel en des cas très rares, extraordinaires, donc tout à fait clairsemés dans la vie d’un homme, si heureux ou si lialiile qu’on le 1 suppose. Uira-t-on (lu’elles s’étaient, par une sorte d’instinct ou de sympathie, réunies dans ce coin de Judée, prêtes à ajrir en tant de lieux différents, dans des matières si diversement préparées, sans préparation d’aucune sorte, au moment où Jésus de Nazareth passait ? Il commande, et une « force » agit sur la lèpre ; il veut guérir le serviteur de ce t ; enturion, et une « force » est mise en branle ; il appelle Pierre, et une « force » affermit les flots sous les pas de l’apôtre I Qui se contentera de cette explication

« i)asse-partoul » ?

338. — Foi qui giiéi-it’. — Aussi bien, répliquent nos adversaires, ne nous en contentons-nous pas. A ces effets extraordinaires nous assignons une cause unique, une force encore mystérieuse mais connue déjà par quelques-uns de ses effets et relativement maniable, une force déconcertante par l’amplitude et l’ctrangelé de ses applications, une force dont il semlile que le Christ lui-même ait eu quelque pressentiment : la foi qui guérit, la suggestion victorieuse, tlie faitit-healing. Son point d’appui est l’imagination véhémentement excitée par l’appel, implicite ou explicite, d’une personnalité supérieure. A cet appel, sous l’action de cette image suggérée, de cette idéeforce qui occupe instantanément le champ mental des faibles, en utilise, en unit, en centuple les énergies éparses et les dresse dans un élan unique, il se produit une réaction violente et parfois salutaire. Ce qui paraissait impossible, cette commotion l’opère : une poussée soudaine surgie des profondeurs de l’organisme, une vague d’énergie montée on ne sait d’où déferle, et balaie des maux réputés incurables. Cliniquement, des praticiens obtiennent des faits, relativement ordinaires, mais apparentés : tel malade qui se croyait incapable de manger, ou de se mouvoir, ou de se passer de tel slupéliant — sur l’ordre d’un maître auquel il fait confiance — mange, marche ou s’abstient. Tel est, en gros, le mécanisme psychophysiologique.

Or nous voyons, ajoute-t-on, quelque chose de ce mécanisme dans l’Evangile. Avant de guérir les malades, Jésus exige la foi : a Ma fille, ta foi t’a sauvée », Mc, v, 34 ; « Si tu peux croire, tout est possible à celui qui croit » [dit au père de ce jeune épileptique], Mc, ix, 23 ; « Va, ta foi t’a sauvé » (dit à l’aveugle de Jéricho], Mc, x, 52. Ailleurs, pas de foi, peu ou pas de miracles !

339. — Telle est l’hypothèse à laquelle se rallient, avec des nvianees, à peu près tous nos adversaires, pour ceux des faits dont ils reconnaissent la réalité. Ou, pour mieux dire, ils ne reconnaissent la réalité des faits allégués comme miraculeux que

1. Nous gardons cette Pxprpssion, reçue en la matière, sans non5dissin)ider qu’elle troduit médiocrement l’expression angase faiili-heating.

dans la mesure où ces faits leur paraissent capables de s’expliquer par cette hypothèse’.De M. A.Haiinack à M. W. BoussBT-, du principal Estlin Caupkntkr’au Dr Edwin Abbott, de J. M. Guyau’à Emile Zola s et d’Ernest Renan à M. Alfred Loisy, le thème reparait, avec des variantes présentement négligeables**. Sans nier la réalité des miracles, certains auteurs ont essayé d’en expliquer le comment par une théorie qui coïncide pour le fond, et en dépit des précisions que lui imposentles opinions particulières de ces auteurs, avec celle du fatlh-healing. On peut citer, en ce sens, parmi lesjilus notoires modernistes, Antonio Fogaz/.aro’et M. Edouard Le Roy 8.

340. — Observons d’aliord que eetessai d’explication naturelle des miracles évangéliques ne s’applique qu’à une i>artie des faits. Accordons tout aux adversaires : l’alternative subsisterait, ou de nier en bloc tous les miracles distincts des guérisons proprement dites : tempête apaisée, pains multipliés, morts ressuscites, etc., ou de recourir au surnaturel. Une brèche serait faite à la thèse chrétienne ; ce ne serait pas encore son écroulement ou sa ruine. Et il resterait qu’un nombre considérable de faits relatés dans des documents d’ailleurs dignes de foi serait écarté a priori, pour des raisons de philosophie.

Mais à s’en tenir aux miracles de gucrison, les seuls visés ici (avec, bien entendu, les expulsions de démons, qui ne sont, pour nos adversaires, qu’une variété spéciale de guérisons), faut-il rendre les armes ?

341.— Si l’explication tirée de la « foi qui guérit «  prétend seulement porter sur le comment, non sur la cause, des guérisons ; si elle se réduit à la description vive d’une poussée extraordinaire, d’une activité soudaine et majorée, suivant, mais en « brûlant les étapes)), les lignes normales d’uneguérison naturelle, un peu comme la vitesse centuplée d’un automobile ne laisserait pas de lui faire franchir chaque accident de terrain d’une piste donnée, — nous pourrons trouver que cette description en vaut une autre. Ce ne sont pas du moins des raisons de doctrine qui nous la feraient rejeter. Si l’on veut, allant plus loin, accorder dans cette révolution, dans cette reviviscence extraordinaire, un ro7e instrumental prépondérant à l’élément psychique ou nen’eux, cela est conjecture plus ou moins plausible, selon les cas, mais enfin question libre, laissant subsister toute la réalité du miracle.

348. — Mais il s’agit desavoir, non pas tant comment les choses se sont passées que si, avec les forces naturelles actuellement à l’œuvre, elles ont pu se passer ainsi. Il s’agit de savoir si les cas connus et

1. « Wir… -vvcrden nur diejenigen wundeibaren Voigænge in den Bereich der Moeglichkeit einbeziehen, bci denen persoenliclies Vertrauen eine Relie spielen konntc ; » W. HEiTMilLLEii, Jésus, Tiibingen, 1913, p. Ci." !.

2. Jcsus-i, Tiibingen, ISIU", p. 22 sqq.

3… The real force wliicli ivorked tbe palienl’s cure dwelt in bis own mind : the po « er of Jesns lay in the potencv ot bis pcrsonalily to evoke this force » : J. Estlin Carpenter, The First’ihree Gospels’-', London, p. 145.

4 L’Irréligion de l’Aoenir, Paris, 1886, p

.S. Lourdes, p. 193, 109, 592.

fi Un des meilleurs travaux sur la question est le memoi-e du D’R. J. Rvi.E. The neurotic theor ; / and l’ie miracles of Uealing, dons le Hibbert Journal d’avril 190 ; , p. 572-587. Voir aussi VouRCH, La loi ijui guérit-. Pans,

1914- …. I

7. Il Santo, 111, 3 ; dans la Irad. fr. publiée par la lievue des Deux Mondes, 15 février 190fi, p. 744.

8. Forme amendée et efTmt (d’ailleurs vain) pour satisfaire aux conditions imposées |)ar le (i jioint de vue traditionnel », dans le llullelin de la Société française de

1 Philosophie, mars 1912, p. 100-103.

1904,

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vériûables de suggestion heureuse, de guérison olitenue par voie de contiance provoquée, nous mettent vraiment sur la voie d’une explication naturelle des miracles du Christ, forment une base solide à l’induction qui expliquerait ces miracles comme des spécimens de /aitli-liealiiig’. Et c’est ce qui n’est pas. 343- — Deux constatations jetteront un peu de clarté sur une matière qui est encore, dans l’état actuel de la science (et semble bien devoir rester toujours, par la force des choses) un peu trouble, nébuleuse, lluente :

1. — La suggestion clinique ne guérit que ce que la suggestion morbide a fait. A mal non fonctionnel, imaginaire, « sans matière », sans altération réelle des tissus, à mal encore uniquement psychique — remède également psychique, impératif, du même ordre. Ce principe d’équivalence entre le pouvoir producteur de la suggestion ou de l’imagination dans l’ordre morbide, et son pouvoir curateur, réparateur, dans l’ordre clinique, est souvent énoncé, et co « st « mment supposé dans les discussions des savants aulorisés ^. C’est lui que le D’Moxon, par exemple, formule ainsi : « Dans la mesure où le mal est un manque de foi, dans cette mesure exacte, la guérison du mal est un cas de foi qui guérit^, o

Ailleurs, et presque toujours, la suggestion, la persuasion, la conliance excitée exercent sans doute une action indirecte importante pour faciliter la cure, écarter les obstacles du traitement. Un malade qui s’abandonne est bien près d’être perdu. Mais seule elle ne peut rien pour guérir une maladie organique, pour modifier profondément et soudainement les conditions d’un tissu musculaire ou nerveux réellement altéré.

2. — Mais il faut aller plus loin et dire que, en matière de santé, la cure par suggestion a des limites très étroites, soit par rapport aux sujets, soit par rapport aux alTeclions qu’il s’agit de guérir.

Par rapport aux sujets. Il existe, c’est vraij et en plus grand nombre chez les civilisés, des demi-dégénérés ou des faibles, des gens qui se tàtent constamment, ont du temps à perdre, bref des malades imaginaires, — des malades dans l’état desquels l’imagination, la défiance, le « facteur moral » a une part prépondérante. Il n’y a pas (est-il besoin d’insis 1. On sait que la secte américaine établie par Mary Bakeh Eddv sous le nom de Christian Science (origines entre 1875-1880) est fondée sui- ce (( principe)) que la rnaladîeet les autres maux humains n’ont pas d’existence réelle. Ils se guérissent en conséquence non par traitements ou par remèdes, mais par la prière et l’influence de l’esprit, exercée au nom du Christ. D’autres sectes, celle des Enima-Duélistcs par exemple, éj^alement américaine d’oi-i^ine, restreignent la puissance du traitement « s]iirituel » aux maladies non fonctionnelles. Toutes deux reconnaissent au fond la règle établie plus bas ; seulenient les Clirittian Scientists admettent à Un. t aucune maladie n’est fonctionnelle. Sur la réalité, très limil*’-e, des cures obtenues dans ces sectes, on peut cousultei- I". D. Me Gakrt, Tli’Cures "/" Christian Science, dans le Catholic ]]’orld fde New-York), juin 1 ! t09 ; H. Thukston. Christian Science, dans 11 ; i)/on</i, janvier, février l’JlO ; J. Bkauclerc, dans les Etudes du 5 murs l’Jlû, p. 559 sqq.

2. Par exemple, dans les séances de la Société de nourologift de Paris, des’.* avril et 14 mai T, t08. aux<nielles ont pris part les plus illustres spécialistes français, les prof. Brissaud, Dejcrine, lîabinski, Meige, etc..Si l’on n’a pu s’entendre sur une définition nette de l’hystérie, ("ounue distincte des autres affectiijns nerveuses, la règle d’équivalence a été constauimcnl supposi’-e. Voir L. liolJI.E, Le concept actuel de V hystérie, dans la Rerue des Questions sclcntifiçtics, octobre l’.IIO, p.’ !.> !) sqq.

3. (( In so far os tbe disease is a lack of faith. just so far is cure of the disease a case of faitb-healing », Itibbcrt Journal, avril 1 !)U7, p. 584. Voir aussi K. Knuu, C’A/istus medicus ? l’reiburg i. B., 1905.

ter là-dessus ?) que de ces malades-là. Tout ce qui est plaie, altération réelle de tissus, rupture d’équilibre dans les humeurs, iuvasion microbienne non repoussée ou mal neutralisée : cancers, phtisie pulmonaire, paludisme, lèpre, hémorragies chroniques, atrophie, cécité physiologique, etc., échappe au domaine propredela suggestion. La plus belle confiance du monde, si elle aide de tels malades à guérir, ne les guérira jamais à elle seule.

344. —Mais, dans les cas même où le mal est surtout imaginaire, et l’est resté (des troubles fonctionnels provenant de dépérissement, d’ankylose, de mauvaise circulation, n’ayant pas encore succédé aux troubles d’origine nerveuse et psjchique), les patients ne sont pas indéfiniment et immédiatement accessibles à la cure par suggestion. Les psychologues les plus habiles ne guérissent pas tous leurs malades, et ils mettent beaucoup de temps à les guérir, et les rechutes sont très fréquentes. Les maladies « nerveuses », ataxie phobique, paralysie non fonctionnelle, attaques de nerfs, convulsions hystériques, etc., sont fort rebelles à la suggestion. Il faut une longue médicatiofl, très souvent malheureuse, poursuivie dans des conditions d’isolement, de régime, de reprises, extrêmement complexes, pour en venir à bout. Depuis qu’on a établi sur des bases raisonnées et avec des techniques très étudiées, le traitement à suivre dans ces sortes d’alTections, on a pu se convaincre que, pour être aussi naturelles que d’autres, les cures mentales de la psychothérapie n’étaient ni plus rapides, ni plus aisées à réussir — et bien au contraire — que celles qui visent des maladies fonctionnelles classées.

345. — Gela étant, et nous ne pensons pas qu’il se trouve un médecin honnête pour le contester sérieusement, la tentative d’explication des miracles par la foi qui guérit est, à très peu près, nulle.

Car il est puéril de supposer que tous ou presque tous les malades amenés à Jésus, paysans galiléens, pêcheurs du lac, etc., étaient des malades exclusivement ou principalement imaginaires. Il est constant au contraire qu’un grand nombre parmi ces malheureux étaient atteints de troubles fonctionnels, de maladies « avec matière » : lèpre, atroi>hie, cécité, hémorragie habituelle, fièvre, etc.

Dans les cas même où la maladie nerveuse, surtout psychique, reste probable, paralysies, épilepsie. convulsions, etc., il est très clair que la « thérapeutique » du Maître, comparée à celle des plus habiles psychiatres, est tout à fait différente et supérieure. Difl’érente. parce que la foi, la confiance exigée était une foi religieuse : demandée parfois avant, parfois iipri’s le miracle (et par conséquent sans influence quasi physique sur le malade) ; demandée parfois au malade et parfois aux parents, amis, proches du malade. Supérieure, parce que sans à-coups, sans régime, sans traitement antérieur et préparation concerlée, sans rechute ; parce que la même pour les maux les plus différents, agissant souvent à distance, mir des malades prévenus ou ignorants de l’heure où le Maitre intercéderait pour eux.

346. — Il demeure établi que tout homme admettant riiistoricité substantielle du récit évangélique se heurte à un élément miraculeux compact, considérable, à peine intermittent (et cela, [xnir des motifs aisément explicables). Dans cette niatière, il ne fera des distinctions (miracles « possibles » ou a non possibles » ; « de guérison » ou <( de nature » ; réels ou imaginaires, etc.) que pour des raisons a priori. Cet élément miraculeux, soit qu’on le considère dans sa partie générale, d’empire souverain sur la matière brute, soit qu’on l’examine dans sa partie humaine 1469

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et spirituelle, intuition, prophétisme, guérisons de tout ordre, résurrections, délivrances, dépasse les forces naturelles qu’on peut bonnement supposer à l’œuvre dans ce coin de Palestine, à cette époque, et à n’injporte quelle époque.

Il faut dune choisir entre le rejet des faits (et c’est une oplioii lourde de conséquences, qui suppose une philosopliie bien assurée !) ou la reconnaissance, en Jésus de Nazareth, d’une force surhumaine, transcendante, au sens général du mot, surnaturelle.

347. —.prèscela, il ne faut plu s qu’al>orderle dernier point de cette longue enquête, en nous demandant si la force extraordinaire qui se manifeste d’une façon si éclatante en Jésus, peut être en toute sécurité attribuée à Dieu même. Ce qui précède a déjà montré l’invraisemlilance de la suggestion pharisaique metlantau compte d’esprits pervers certains miracles du Sauveur. " Il a entente avec le malin », insinuaient-ils, tet c’est par le prince des démons qu’il chasse les démons ». Jésus nedédaigna pas de rétorquer cette vile allégation (.1//.. xii. a^-Si) : son œuvre entière est une lutte, laborieuse et victorieuse, contre les puissances de mal. Celles-ci, en l’aidant, se détruiraient elles-mêmes !

348. — Mais ce n’est pas assez dire. L’action thaumaturgique du Christ se démontre très digne de Dieu, aussi bien par ses traits négatifs que par les positifs. Les éléments d’égoïsme et d’ostentation, cettedouble tare du merveilleux non divin, sont ici réduits à rien. Jésus refuse de faire des miracles pour changer des pierres en pain, pour se donner en spectacle au monde, pour contenter l’avidité morbide de ses contemporains, pour s’éviter fatigues et souffrances durant son ministère, pour se concilier les bonnes grâces des puissants tels qu’Hérode Antipas et Ponce Pilate.

II est vrai que chaque détail de cet ensemble imposant n’est pas immédiatement et évidemment « édi-Oant » — et c’est un grand signe de la simplicité et de la sincérité de nos évangélisles. On connaît les scrupules, parfois un peu risibles, énoncés par quelques savants rationalistes en face de la panique des porcs de Gérasa, et des pertes éprouvées de ce chef par les habitants’. On n’ignore pas que plusieurs ont cru voir un mouvement de colère dans le geste très signiiiant pourtant, et de haute portée morale-, du figuier desséché :.Vc., xi, 13 sqq., 20 sqq.Cesont là, dans le premier cas surtout, des épisodes dont plusieurs circonstances nous échappent, mais dont le sens général, exemplaire, ne saurait faire doute et qu’il est sage d’interpréter par la masse des autres prodiges évangéliques.

349. — Cette masse est manifestement orientée dans le sens le plus noble, le plus élevé, le plus divin. Les miracles de Jésus sont l’image vivante, le symbole de son œuvre spirituelle. Ils sont le Royaume de Dieu en actes. Il existe entre l’enseignement merveilleux et les miracles une harmonie admir.ible, que toute l’interprétation clirélienne authentique a relevée. « Ils ont, observe.^Dorsnx, une langue pour qui sait les entendre. Car le Christ étant lui-même le Verbe de Dieu, ses actions sont pour

1. Voir ci-dessus, n. 323. L’on pput chercher des détails et des conjectures dans W. Mfnzif* Alexandkr, Demonic Possettion in the.V, 7*., p. lH’i-21.^, et surtout dans .1. Smit. De Dæmoniach in hitioria evangelica, p. 334-’*2".

2. LH-dessiis, en particulier Bosquet, Méditations sur rErans^rle, dernière semaine, 20* jour. Ed. Lâchât, VI, p. I2îi-r2.T. On peut voir aussi L. Fonck f ! r. ilal. lïossi di

, Lucca). / miracoli dtl Signore nel Vangelo, I, Rome, 1914,

J p. 596-610.

nous un verbe, une parole’. » Mais bien avant saint Augustin cette exégèse était classique et les spécimens les plus accomplis nous en sont conservés par le quatrième évangile. Dans ces histoires qu’il tient pour véritables et qu’il donne pour telles, saint Jean sait distinguerdessymboles extrêmement fra[)iiants : la guérison de cet aveugle-né, racontée au chapitre IX de l’évangile, nous fait voiren Jésus la lumière du monde. La résurrection de Lazare, au chapitre xi, montre dans le Maître de Nazareth, la résurrection et la vie-. On abuse du caractère délibérément explicite dueommentairejohannique en concluant que l’auteur a plié ou même inventé, en se servant de traits pris çà et là, les faits qui servent de fondement aux symboles. L’ingéniosité ralBnce dépensée par MM. Jean RÉVILLE et LoisY 3 pour établir cette thèse, déjà esquissée dans D. F. Sthai’ss, est de l’alexandrinisme tout pur. Chaque cycle des miracles évangéliques (par exemple les expulsions des démons), chacun des miracles destinés à symboliser un enseignement (par exemple la pêche miraculeuse, la guérison de la femme courbée depuis trente-huit ans), plusieurs des miracles « de miséricorde p (par exemple la résurrection du tils de la veuve de Nain), auraient pu fournir à Jean le motif de récils aussi pleins de sens que ceux qu’il a choisis, Dira-t-on qu’ils ne sont que des symboles ? La vérité est que, de la vie merveilleuse où ils sont enchâssés, de la doctrine sublime qu’ils figurent, incarnent ou achèvent, les miracles prennent une portée doctrinale infinie (a„Trr, pty.). Ce sont bien là les actes qu’on attendait d’un tel Maître.

38O. — Là toutefois ne se borne pas leur valeur. .S’ils sont es signes(rr, ust ! y^ de réalités pins hautes, spirituelles, éternelles, ils sont encore des puissances (ôi/^ai/.£i ;), et commencent détendre ce Royaume de Dieu qu’ils représentent au vif.

Par leur splendeur, ils tirent les regards de ceux qui sont plus éloignés de croire, plus indolents ou plus frivoles. Mais par leur être physicfue, ils vont à promouvoir l’œuvre de rédemption et de salut. Les esprits malins sont liés, contredits, chassés ; les maladies et toutes les tares du péché d’origine sont éliminées, mitigées, vaincues ; le mal, sous toutes ses formes, recule. L’empire exercé jadis par le premier homme, et dont l’image flottait comme un beau rêve devant les yeux de l’humanité vieillie, reparaît soudain comme dans une aurore, gage et début de la Rédemption totale, où âmes et corps seront véritablement et à jamais délivrés de tout mal.

331. — En résumé, les miracles font, dans l’Evangile, partie intégrante de récils dignes de foi ; ils sont en connexion manifeste avec la mission et le témoignage du Sauveur ; ils dépassent nettement l’amplitude d’action des forces natnrellesen jeu ; ils n’offrent

]. « Habent enim [tniracala], si intelleganlur, linguam suam. Nam quia ipse Christus Verbum Dei est, etiam factum Verhi verbum nobis est. » Tract, in loan, , xxiv, 2, P. L., XXXV, col. 1593.

2. J’aime à renvoyer à l’eiégèse complète de ces récits par.M. Lepix, La valeur historique du IV’Evangile, Paris, 1910, I, p. 70-108 (raveugle-né) ; lOfi-180 (la résurrection de Lazare). On remarquera que l’inierprcialion symbolique des miracles existe déjà chez le » Synoptiques. parfoi< explicitement Le « Dorénavant tu seras pcclieur d’hommes », qui clôt le récit de la poche miraculeuse Le, V, 10, correspond tout à fait aux formules johanniques :

« Je suis la lumière du monde », " Je suis la résurreclion

et la vie », etc.

3 Jean Réville, Le Quatrième Evangile-, P.nris. 1902 ; Alfr. LoiSY. Le Quatrième Evangile, Paris. 1903. Je me suis expliqué pins longuement sur ce dernier ouvrage dans la Revue Biblique de 1904, p. 431 sqq.

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JESUS CHRIST

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rien — et bien au contraire — qui les empêche d’être considérés comme le sceau divin sur une vie qui, à tant de titres, appelle cette ratilication suprême. Il parait donc à la fois prudent et bon de croire en celui que recommandent de telles œuvres.

Bibliographie

352. — Sur les miracles et les signes divins en général, les pointsde vue essentiels semblent avoir été indiqués surtout par saint Augustin : les principaux textes relevés par J. Grange, Le miracle d’après suint Augustin (thèse de Lyon), Briguais, 1912 ; — par saint Thomas, en particulier dans la question vi de Potentia et les textes parallèles ; — par Biaise Pascal, dans ses Pensées. — On pourrait ajouter, pour certains traits, les Essais de J. H. Newman encore anglican, T^o Essors on Miracles, mais tout n’y a pas la même valeur. Ce n’est guère qu’à partir du Concile du Vatican que la matière est entrée dans l’enseignement explicite de l’Eglise, encore que l’usage apologétique du miracle remonte aux temps apostoliques. L’argument tiré des prophéties a été beaucoup plus vite’( classique », et plus employé, mais non exclusivement, durant les premiers siècles.

Parmi les travaux modernes, on peut indiquer, comme ayant une valeur durable, avec les parties aflférentes des J/>o/o^ (es de F.Hetlinger, Paul Schanz, et même Hermann Schell (en particulier sur l’argument de prophétie) : A. van Weddingen, De Miraculo, Louvain, 1869 ; J. de Bonniot, le Miracle et ses contrefaçons, Paris, 1888, ^1895 ; Eug. Millier, I’atur tind U’under, Freiburg. i. B., 1892 ; Das ll’underund die Œscliichlsnissensclia/I, lbi(l., 1898 ; A. de la Barre, /.’ordre de la Nature et le Miracle, Paris, 1899 ; G. Sortais, la Providence et le Miracle devant la science moderne, Paris, moS ; A. de Poulpiquet, Le Miracle et ses suppléances, Paris, 1913 ; J. de Tonquédec, J.e Miracle |à paraître].

Parmi les ouvrages anglicans, l’article remarquable de J.li.liernard, Miracle dans J. Hastings, Dictionary ofthe liihle, 111, p. 879-396 ; la série d’essais : /i>flf/e.s, p. W.Lock, W.Sanday, A.C. Headlam, etc., London, 1911 (en réponse au livre de J. M. Thompson, Miracles in the A’en Testament, 1 London, 1910).

Parmi les ouvrages protestants conservateurs, .1. Wendiand, Der iVunderglaulie im Christentum, Goettingon, 1910 (tr. angl. H. R. Mackiutosh, London, 1911) ; A. W. Hunzinger, das ll’under, Leipzig, 1912, et l’article de H. Seeberg, ll’under. dans la /’/fA^ XXI, p. 558-56 ;.

On trouvera les études de Ed. Le loy, Essai sur la Notion du Miracle, dans es Annales de Philosophie chrétienne, 1906, t. CLIII (application à la notion du miracle de la philosophie idéaliste de l’auteur ; réponse partielle par B. de Sailly, Annales de Philos, chrétienne, 1907, tome GLIV). M.E. Le Hoy a rei)ris et, sans la rendre acceptable, un peu amendé sa thèse, en 191 :. Voir le Hulletin de la Société françaisede Philosophie de mars 191a, où l’on trouvera aussi les communicationsdeL.Bru’nschvicg, L. Lalicrthonnière, etc., sur le même sujet.

333. — Sur les miracles et les prophéties de l’Evangile en iiarliculier, il faudrait renvoyer aux auteurs qui ont traité d’ensemble la Vie de Jésus ; tous ont du prendre parti sur la question. Parmi les monographies, on peut signaler, pour les prophéties, M. J. Lagrange, Pascal et les prophéties messianifjues, tiiius ïlevue /iihlique, iç)i>6. p.533sqq. i

— A. Cellini, Saggio storico-rritico… sulla interpretationedel Sermone escatologico, Firenze, igo6 ; La Qiieslione parusiaca, Monza, 1908 ; elles livres et mémoires indiqués plus haut, au numéro 267.

Pour les miracles, FI. Chable, Die U’underJesu, Freiburg i. B., 1897 ; Léopold Fonck, liie Wunder des LJerrn in Evangelium, Innsbriick, 1, 1908 (tr. ilal. L. Rossi-di-Lucca, Rome, 1914) ; J- Bourchany-E. Jacciuier, Les Miracles évangéliques, dans (0/1férences apologétiques (de Lyon) II, Paris, 1911 ; L. CI.Fillion, /es Miracles de Notre Seigneur Jésus Christ, Paris, 191 i ; E. Ugarte de Ercilla, Los Milagros del Evangelio, Madrid, igiS.

Parmi les auteurs anglicans, en plus delà section afférente dans les OH^Z/nes ofthe life of Christ-, Edinburgh, 1909, de ^. Sanday, J. O.-F. Murray, J’he spiritual and hislorical évidence for Mira des, dans les Cambridge theological Essays, London, 1905, p. 307-3/, i ; et J. R. Illingworlh, The Gospel Miracles, London, 1916. — La question a été reprise chez les Anglicans, avec beaucoup de vivacité, en 191/(. Les Docteurs Gore et Chase, évêques anglicans d’Oxford et d’Ely. apologistes de la position traditionnelle, ont été vigoureusement attaqués par les Docteurs AV. Sanday, J. F. Bethune Baker, IL M. Gwatkin, etc. ; qui ont, en cette occasion, pris (ou du moins présenté coumie plausible et tenahie) une position très proche de celle adoptée par les protestants libéraux et rationalistes, dans la question du miracle. Bon résumé de la discussion par B. B. Warlield, Kiluyu, Clérical Veracity and Miracles, dans The Princeton theological lievieiw octobre 191 4, p. 629-586.

Parmi les protestants conservateurs, P. Fiebig, Jiidische Wundergeschichten des A’. T. Zeitalters, Tiibingen, 191 I : textes réunis dans Ttahliinische U’iindergeschiihten des N. T. Zeitalters, Bonn, 1911, KT. 78 ; — Antihe Wundergeschichten… zusammengestellt, Bonn, 191 1. KT, 79.

Parmi les prolestants libéraux et rationalistes, G. Traub, Die ll’under im Neuen Testament, Tiibingen, 1905.