Deux mois à Lille par un professeur de musique/CHAPITRE IX

Imprimerie de Mme Bayart (p. 49-51).


CHAPITRE IX.

De quelques célébrités musicales lilloises.


Mon intention n’est pas de faire la biographie de tous les artistes de talent qui abondent à Lille ; je veux seulement citer quelques noms dont la réputation s’est étendue bien au-delà de cette ville, tels que celui de M. E. de Coussemaker. Ce musicien érudit est l’auteur d’un certain nombre d’ouvrages relatifs à l’art musical ; mais son Histoire de l’harmonie au moyen-âge surtout, le place au premier rang des écrivains qui se sont occupés de la musique au point de vue de l’archéologie.

Habitant la résidence de l’auteur, j’ai tenu à lui apporter mon tribut d’admiration pour son beau travail. Mais le savant modeste ne veut voir dans son œuvre que le résultat de la patience nécessaire pour chercher, recueillir et classifier des documents épars de tous côtés. Combien d’écrivains l’ont eue, cette patience ? Il existe bien des volumes sur l’harmonie usitée de nos jours, mais très peu relativement nous rappellent ce qu’était autrefois la science harmonique, avant les changements qu’elle a dû subir par la loi des temps, et pour traiter ce sujet, il fallait posséder, indépendamment d’une instruction musicale complète, des connaissances littéraires et linguistiques qui manquent à beaucoup de musiciens.

M. L. Danel doit être considéré à Lille comme le patriarche de la musique. Combien d’artistes aujourd’hui fêtés et applaudis ont dû en grande partie leurs succès à sa protection bienveillante et éclairée. Quels que soient les liens particuliers de reconnaissance qui m’unissent à M. Danel, je n’ai ici qu’à faire la constatation toute impartiale des succès obtenus par la Méthode simplifiée de musique vocale. Organisant des cours en France et à l’étranger, offrant gratuitement les méthodes, faisant les frais du traitement des professeurs, excitant leur zèle par de fréquentes inspections, que ni la distance ni son grand âge ne peuvent l’empêcher d’entreprendre, le courageux et désintéressé vulgarisateur de la musique vocale voit actuellement sa méthode pratiquée et goûtée à Paris, à Bruxelles, à Douai et dans plusieurs localités environnantes ; par ses soins et à ses frais, des cours pour les deux sexes sont tenus à Lille par d’habiles professeurs, et tout dernièrement, les élèves du cours féminin ont prouvé victorieusement les avantages de la rapidité du système en exécutant dans le salon du maître, en présence de leurs familles et de quelques rares privilégiés, un petit opéra-comique appris en très peu de jours.

MM. Danel, de Coussemaker et leurs œuvres ont été l’objet de notices très détaillées dans la Biographie universelle des musiciens, de M. Fétis.

La méthode a trouvé un ingénieux corollaire dans les Lettres harmonieuses de M. Ch. de Franciosi, savant polygraphe dont la plume universelle a traité tous les genres de littératures avec un égal succès. L’auteur s’est appliqué à donner à l’énonciation des règles des formes assez claires pour qu’une mère de famille puisse apprendre elle-même la musique à ses enfants, qui eux aussi, au bout d’un certain temps, deviennent en état d’être professeurs. Ainsi se trouve résolu en musique vocale le problème de l’enseignement mutuel.

De même qu’on ne peut clore plus agréablement une soirée musicale que par les chansons de M. Desrousseaux, de même aussi je ne croix pas pouvoir mieux finir ce petit livre, qu’en citant le nom si cher aux Lillois de leur Jasmin, de leur poète bien-aimé. Il faudrait un livre spécial rien que pour citer les noms des Chansons et Pasquilles, qui, à l’heure qu’il est, ne forment pas moins de quatre volumes. On ne saurait s’imaginer dans combien de numéros de journaux elles ont été citées, et combien de lettres de félicitations et d’autographes précieux elles ont valu à l’auteur, qui a réuni ces preuves éclatantes de succès dans plusieurs énormes in-folio dont le nombre ne fera qu’augmenter par ses triomphes futurs. Les corps de musique en garnison à Lille en ont fait leurs meilleurs pas redoublés, les autres régiments qui les ont entendus ont voulu aussi les avoir, et il s’ensuit qu’il n’est peut-être pas une partie du monde où le drapeau français a été déployé qui n’ait retenti des airs de Desrousseaux. Je les ai, pour ma part, entendus applaudir en Suisse, dans un canton où l’on parle autant allemand que français. Mais cette musique a des allures si franchement bouffonnes, si naturellement plaisantes, que, ne comprît-on pas toujours les paroles, elle a le pouvoir de transporter d’hilarité tous les auditeurs.

Ch. PILARD.