Deux mois à Lille par un professeur de musique/CHAPITRE II

Imprimerie de Mme Bayart (p. 9-10).


CHAPITRE II.

La Musique dans les rues et jusque dans le parler.


Ceci est positif ; on parle beaucoup des cris de Paris, et certains compositeurs ont trouvé dans les annonces des marchands ambulants des formes assez musicales pour qu’ils les aient reproduites et colligées dans des morceaux de danse spéciaux ; je ne sais si jamais on a fait de même à Lille, mais certainement il y aurait matière pour un auteur qui aimerait à traiter la musique imitative.

Je n’ai pas encore trouvé le temps de savoir à quelles industries appartiennent tous ces cris qui retentissent chaque matin dans ma rue Esquermoise, avant même qu’il fasse jour ; cependant, j’ai remarqué différentes manières d’annoncer leurs produits, particulières aux charbonniers : l’une se traduit en langage technique par une ronde dans le mouvement d’adagio sur la syllabe char et tombant par un intervalle d’un ton sur la syllabe bon, à laquelle le crieur-chanteur donne une durée de croche. Lugubre e tristamente.

Un autre vendeur de charbon place le nom de sa marchandise sur un intervalle de quarte supérieure, qui rappelle les réponses de basse du trio du premier acte de Gazza ladra. Tempo giusto.

Mais, quoi de plus musical, de plus empreint de sentiment que cette phrase touchante par laquelle le marchand de moulins à vent à papier invite les parents à récompenser leurs enfants sages ? Cela rappelle pour la forme mélodique les noëls provençaux du bon roi René.

À Lille, quand on ne connaît pas encore suffisamment l’étranger pour lui ouvrir son cœur, on conserve, en lui parlant, à toutes les syllabes de la phrase une inflexion monotone et qui ne varie pas d’un coma, s’il est permis à l’oreille humaine de percevoir cette différence mathématique ; mais êtes-vous mieux connu, on s’informe avec intérêt et en musique de votre santé, de vos affaires, de vos plaisirs :

« A-vez-vous é-té voir Ro-land hi-er ? » sur
l’airdododododododosolsolsol.Intervalle de quinte supérieure.