Librairie Hachette (p. 237-242).


XXVI

Les deux mariages.


Un dimanche, comme Louise écoutait une lecture que lui faisait Catherine, elle entendit le son de plusieurs voix dans le parc, puis un frôlement de robe de soie, et la marquise, appuyée sur le bras d’un jeune homme et accompagnée de Cora, apparut au bout d’une allée. Louise rougit de plaisir en les reconnaissant ; elle se leva avec empressement et vint ouvrir la porte du jardin.

Cora s’avança en souriant vers la fermière et lui tendit gracieusement la main ; Louise resta éblouie de sa beauté. Ses yeux noirs brillaient de joie, son front couronné d’une tresse brune resplendissait de bonheur ; ses lèvres entr’ouvertes semblaient prêtes à annoncer quelque chose d’inattendu ; il y avait en elle comme un trop plein de félicité qui débordait. La marquise concontemplait avec un doux sourire le visage radieux de sa fille.

« Nous venons vous demander du lait, ma bonne Louise, dit Béatrice en entrant et en s’asseyant sous le berceau, et vous nous montrerez après vos petits familiers et votre belle étable.

— Oh ! oui, madame, dit Louise, avec bien du plaisir ; il y a si longtemps que je n’ai vu madame et mademoiselle, je suis bien heureuse de voir qu’elles ne m’ont pas oubliée.

— Non, Louise, nous ne vous avons pas oubliée, répondit la marquise, mais nous étions occupées par de si graves affaires, que nous vous avons bien un peu négligée ; nous serons plus fidèles à l’avenir, n’est-ce pas, Cora ? »

Une rougeur charmante couvrit les joues de Cora.

« Nous tâcherons, dit-elle, si M. Georges aime autant la ferme que moi.

— Que n’aimerais-je pas avec vous, mademoiselle, répondit le jeune homme ; je suis venu pour faire la connaissance de la ferme et de la fermière, et j’espère que vous me permettrez de vous accompagner souvent ici, pour que Mme Rigault ne m’en veuille pas et me compte aussi parmi ses amis.

— Un ami… vous, monsieur… Alors, mon Dieu !… »

Louise s’arrêta, devint toute pâle d’émotion et regarda le jeune fiancé de Cora.

« Vous vous mariez, mademoiselle ? reprit-elle après s’être un peu remise.

— Oui, Louise, je me marie, mais je ne vous quitte pas ; je reste ici ; près de vous, avec un cœur de plus pour m’aimer, sans abandonner ceux qui m’aimaient déjà. »

Elle embrassa alors sa mère, qui sourit en tendant la main à son futur gendre avec une douce affection.

Le jeune homme porta à ses lèvres cette main et y déposa un baiser respectueux.

On but le lait apporté par Catherine sur une table éblouissante de blancheur ; on goûta à la crème, aux fraises, aux gâteaux campagnards présentés avec empressement à ces chers visiteurs.

Quand Cora eut fait voir à Georges toutes les rustiques richesses de la ferme, on prit congé de Louise ; Cora l’embrassa, Georges lui tendit la main.

« Au revoir, madame Rigault, lui dit-il avec une charmante simplicité ; croyez que je reviendrai souvent ici, et avec un bien sincère plaisir. »

La pauvre femme, touchée de ce bon accueil, balbutia quelques remercîments ; elle suivit longtemps du regard ce beau groupe si pur et si heureux, puis, le reportant vers sa Jeanne, qui avait le même âge que Cora :

« Qui sait ? dit-elle, j’en serai peut-être bientôt là aussi, et, dans quelques années, il y aura des petits enfants pour jouer avec les poulets. »

Ce fut à la fin du mois d’août, que Cora fut mariée au marquis Georges d’Astaing, ami intime de la famille de Morancé.

Pendant la cérémonie une grand’mère en cheveux blanc, la duchesse de Morancé, bénissait sa petite-fille inclinée ; Mme de Méligny essuyait ses yeux humides et tâchait de sourire à sa fille ; Cora resplendissait de beauté et de bonheur ; elle tenait à la main un bouquet de roses blanches, offert le matin même par l’humble main de Louise. Dans l’ombre de la chapelle, cachée à tous, plus loin que les pauvres qui se pressaient au portail, la fermière, entourée de ses cinq enfants à genoux, priait Dieu de faire à jamais heureuse la fille de sa bienfaitrice.

On eût deviné qu’elle était mère, dans les regards de sollicitude qu’elle tournait vers la blanche fiancée, et dans les pleurs qui venaient mouiller jusqu’à ses lèvres quand elle surprenait l’émotion de Mme de Méligny.

Deux mois ne s’étaient pas passés, que la jeune marquise d’Astaing apportait, avec une délicatesse touchante, un bouquet de roses blanches à Jeanne Rigault, qui épousait un honnête cultivateur de Morancé ; seulement au moment d’aller à l’église, Cora lui passait au cou une montre charmante où était gravé son chiffre.

Comme l’avait dit Louise, quelques années après il y avait à la ferme des petits enfants pour jouer avec les poulets.

Mme Béatrice et Mme Cora promenaient, en le tenant par la main, un beau petit garçon de deux ans qui faisait sourire d’orgueil ses deux mères, et Louise montrait à lire à un gros garçon de trois ans et demi. Le fils du marquis et celui du cultivateur se rencontraient souvent pêle-mêle avec les petits poulets et les canetons de la basse-cour ; l’un, tachant ses vêtements soyeux de boue et de poussière, l’autre, se roulant encore avec plus de plaisir dans le sable, en entraînant son jeune compagnon dans ses jeux turbulents.