Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 5

La mission de Siam (1p. 122-148).


CHAPITRE CINQUIÈME.

PRODUCTIONS VÉGÉTALES.





Les végétaux qui croissent dans le royaume de Siam sont presque tous différents de ceux qui naissent dans nos contrées, de sorte que l’énumération en serait trop longue et fastidieuse ; je me contenterai donc de citer les plus importants et les plus intéressants. Commençons par le riz qui fait la principale nourriture des habitants.

On compte au moins quarante espèces de riz qui se réduisent à quatre espèces principales : le riz commun, le riz gluant, le riz des montagnes et le riz rouge. Voici la manière de cuire le riz commun : après l’avoir lavé quatre ou cinq fois, on le met dans une marmite qu’on remplit d’eau ; dès qu’il a bouilli environ trois minutes, on verse toute l’eau et on replace la marmite sur un feu doux, où le riz achève sa cuisson à la vapeur et sans se brûler ; cuit de cette manière il a bien plus de saveur et ne colle pas aux doigts ; on le mange avec les ragoûts, bouchée par bouchée, en guise de pain.

Le riz gluant est l’aliment favori des Lao ; mais les Siamois et les Chinois ne l’emploient que pour faire des gâteaux et surtout pour obtenir l’arac ou l’eau-de-vie de riz. On l’emploie à l’état de farine ou en grains. Voici comment on fait les gâteaux de riz fermenté : le riz gluant se cuit sans eau dans un bain de vapeur, après quoi on le saupoudre d’un peu de ferment sec composé de gingembre et autres épices ; on l’enveloppe par petites portions dans des feuilles de bananier, et au bout de vingt-quatre heures tous ces petits gâteaux de riz suintent une liqueur sucrée et vineuse fort agréable ; c’est le moment de les manger ; quand on les garde plus longtemps, ils deviennent enivrants comme le vin, et, distillés dans un alambic, ils donnent l’arac à neuf ou dix degrés ; en distillant de nouveau cet arac, qui a un goût empyreumatique, on obtient une très-bonne eau-de-vie.

Le riz des montagnes a cela de particulier qu’il n’a pas besoin d’avoir le pied dans l’eau pour croître et mûrir ; il est donc très-précieux pour ceux qui habitent les lieux élevés. Quant au riz rouge, il n’est employé que pour les gâteaux et les ragoûts auxquels il communique sa belle couleur.

Bien des gens ne savent pas ce que c’est que l’arec et le betel, et cependant l’usage de mâcher l’arec et le betel est répandu dans presque la moitié du globe terrestre. Le betel est une plante grimpante qui ressemble au poivre, aussi l’appelle-t-on piper-bétel ; elle produit sans cesse de belles feuilles en forme de cœur, un peu charnues, d’une saveur piquante et aromatique. L’arec est un arbre du genre des palmiers, de la grosseur de la jambe, droit, élancé, n’ayant de feuilles qu’à son sommet qui atteint la hauteur de cinquante à soixante pieds. Il produit deux ou trois grappes énormes chargées de deux à trois cents noix, d’abord vertes, qui, en mûrissant, deviennentt d’un jaune rouge ; ces noix sont pleines d’une chair acerbe et astringente. On prend donc deux feuilles de bétel, sur l’une desquelles on étend avec une spatule une légère couche de chaux vive rougie par le curcuma, on les enroule de manière à leur donner la forme d’un cigare, puis on coupe en quatre une noix d’arec, on en met un morceau dans sa bouche et on le mâche tout en mordant peu à peu le betel que l’on tient par le bout : on se frotte les dents avec une pincée de tabac à fumer qu’on mâche avec ; bientôt la salive devient couleur de sang, on éprouve une légère ivresse, qui repose la tête et égaie l’esprit. Quand la bouchée d’arec n’a plus de saveur, on se lave la bouche et bientôt après on recommence l’opération. L’usage du betel noircit les dents (ce qui, du reste, est une beauté pour le pays), il corrige la mauvaise odeur de la bouche, et quand il est modéré, il contribue beaucoup à la conservation des dents, comme il les détruit s’il est excessif ou si l’on prend l’habitude de mettre trop de chaux. Les personnes habituées à cette mastication en éprouvent un tel besoin que, en les supposant à jeun, si vous leur donniez le choix entre des aliments et une bouchée de bétel, vous pouvez être assuré qu’elles choisiront de préférence l’arec et le betel. Puisque j’ai parlé du curcuma, il faut dire ce que c’est. Le curcuma ou safran indien, est une racine bulbeuse et charnue, d’un beau jaune d’or, d’une saveur aromatique ; broyé et réduit en poudre fine, il est employé comme excellent cosmétique à oindre le corps des enfants et des femmes ; une petite quantité mise dans la chaux lui donne une belle couleur rose ; on s’en sert pour teindre en jaune, et il entre aussi dans la fameuse composition des ragoûts indiens appelée cary.

À Siam, il y a du maïs, des concombres, des courges, des raves, des choux, de la moutarde, de la laitue, des pastèques ou melons d’eau, des melons, des melongènes de toutes formes et de toutes couleurs, des pommes d’amour, le céleri, la menthe, le persil, le cerfeuil, le cumin, la coriandre, l’ail, l’oignon, le poireau, les pois, les haricots et beaucoup d’autres plantes potagères dont j’ignore les noms français. Les patates douces et les ignames y abondent : j’y ai vu des ignames à chair violette qui pesaient de vingt à trente livres. Les montagnes et les forêts renferment plusieurs sortes de pommes de terre qui sont d’une grande ressource dans les temps de disette ; il y en a une surtout, appelée kloi, fort remarquable par son extrême blancheur ; mais elle est vénéneuse, et avant de la manger il faut la couper en tranches, la faire macérer dans l’eau et la faire ensuite sécher au soleil.

Dans plusieurs provinces on cultive une plante bien précieuse, c’est la pistache de terre, dont les racines touffues sont garnies d’amandes très-bonnes à manger ; on en fait d’excellents gâteaux et on en extrait une huile propre aux usages domestiques. On cultive aussi le petit sésame, dont les semences huileuses sont employées à faire des gâteaux savoureux ; l’huile qu’on retire de ces petites semences est épaisse, elle entre dans la composition des pommades pour les cheveux. Une espèce de grand basilic appelé mëng-lak produit aussi une petite graine dont une pincée, mise en un verre d’eau, se gonfle, remplit tout le verre, et forme une émulsion très-agréable et rafraîchissante.

Les canaux et les étangs produisent aussi des plantes précieuses pour les besoins des habitants : les lotus aux longues tiges succulentes et dont les semences fournissent une farine délicieuse ; la macre ou châtaigne d’eau, qui diffère peu de celle qu’on trouve en France ; le lizeron aquatique, dont les tiges tendres, à peine coupées, renaissent et se multiplient à vue d’œil ; une espèce de cresson à tiges charnues flottantes, dont les habitants de la campagne font chaque jour leurs délices ; toutes ces plantes méritent que j’en fasse mention ici, à cause de leur utilité générale et quotidienne.

Passons maintenant aux arbres fruitiers. Le palmier proprement dit ou palmier à éventail, est un arbre majestueux, dont chaque feuille découpée comme les doigts de la main, ressemble à un grand éventail au bout d’un manche. Il croît très-lentement, ce n’est guère qu’au bout de quinze ans qu’il donne des fruits ; il atteint une hauteur prodigieuse et subsiste des siècles entiers. Il ne garde de feuilles qu’à son sommet ; ses fruits, qui naissent en grappes, renferment une amande en forme de cœur, grosse comme la main ; on en fait d’excellents gâteaux. À l’époque de la floraison on fait des incisions à la tige de la fleur ; on y suspend des bambous qui se remplissent d’une liqueur très-sucrée et fort agréable. Si vous gardez cette liqueur un jour seulement, elle se convertit en vin de palmier qui enivre ; mais si vous l’évaporez toute fraîche, elle fournit abondamment un excellent sucre incristallisable, qu’on vend dans des pots de terre, sous le nom de sucre de palmier. Le palmier lan ressemble beaucoup au précédent : on se sert de ses feuilles pour écrire dessus, avec un stylet de fer, les livres de religion seulement ; quand les caractères sont tracés, on y passe de l’encre d’imprimeur, et l’écriture apparaît, nette et indélébile.

Le plus commun des palmiers, c’est le cocotier, trop connu pour que j’en fasse la description. La noix de coco, grosse comme la tête, contient, quand elle est encore tendre, deux ou trois verres d’eau sucrée très-rafraîchissante et une pulpe blanche, molle comme de la crème ; mais quand la noix est mûre, la pulpe est dure et a l’épaisseur d’un doigt : on râpe cette pulpe blanche, on la pétrit dans l’eau chaude, et en l’exprimant dans un linge on obtient une émulsion appelée lait de coco, dont on fait un grand usage, soit pour les gâteaux, soit pour les ragoûts. Si vous faites bouillir ce lait de coco, il se convertit en une huile douce et d’une odeur agréable, c’est ce qu’on appelle en France beurre de coco ; car cette huile, qui est liquide dans les pays chauds, prend la consistance du beurre à dix-huit degrés au dessus de zéro ; elle rancit très-vite, aussi n’en fait-on usage pour la cuisine que quand elle est fraîche. L’écorce filamenteuse de la noix de coco est employée avantageusement à faire des cordages pour les navires.

Le palmier sagou abonde surtout dans la presqu’île Malaise. Cet arbre intéressant, dont les feuilles servent à couvrir les maisons, a le tronc rempli d’une moelle farineuse et nutritive. Pour faire la récolte du sagou, on partage le tronc en plusieurs tronçons qu’on fend en deux ; on arrache la moelle, on la met dans un baquet d’eau où on l’écrase et on l’agite, on passe l’eau dans un tamis de crin ; bientôt la fécule se dépose, on décante et on la réduit en grains. Le sagou bouilli avec un peu de sucre et mélangé avec du lait de coco, est un mets fort agréable, même pour les Européens.

À Siam, le durion est regardé comme le roi des fruits ; l’arbre qui le produit a le port majestueux et étend ses branches presque horizontalement. Son fruit est une baie solide, hérissée de fortes pointes pyramidales et grosse comme un melon. Quand le fruit est bien mûr, il se fend ; on l’ouvre, et à chacun de ses quatre lobes ou divisions, on trouve une chair blanche excellente et plus exquise que la meilleure crème. L’odeur du durion est extrêmement forte et rebutante pour les Européens nouvellement arrivés, qui la comparent à celle des excréments, et cependant (chose singulière), quand on mange ce fruit, cette odeur se change en parfum délicieux.

Quand on a mangé du durion, il est de règle qu’il faut manger des mangoustans, car, dit-on, le durion est très-échauffant et a besoin d’être tempéré par quelque chose de rafraîchissant. L’arbre mangoustan est très-touffu et ne s’élève qu’à quinze pieds de hauteur ; son fruit, qui a la grosseur d’une petite orange, est contenu dans une espèce de coque brune au dehors et rouge en dedans. La baie qu’elle renferme est divisée en segments qui contiennent une pulpe blanche, succulente, enveloppant une petite amande. Les fruits du mangoustan ne flattent pas moins l’odorat que le goût ; ils exhalent un parfum suave qui approche de celui de la framboise et ont la saveur de la fraise ; ils sont rafraîchissants, très-sains et n’incommodent jamais ; aussi les Européens estiment-ils ce fruit comme le meilleur des Indes. Sa coque, très-astringente, est employée, en médecine, contre la dyssentrie, et en teinture, comme mordant, pour la couleur noire.

Le manguier se distingue aussi parmi les arbres fruitiers par la bonté, la variété et l’abondance de ses fruits. C’est un gros et bel arbre, qui s’élève à la hauteur de trente à quarante pieds ; ses fruits varient de grosseur et de forme, selon les différentes espèces. En général, les mangues sont un peu arquées et comprimées sur les côtés en manière de reins. Sous une peau assez forte, quoique mince, elles contiennent une pulpe jaune, succulente, parfumée et délicieuse. La mangue est bienfaisante, purifie le sang et n’incommode presque jamais ; quand elle est demi mûre, on la confit dans le vinaigre ; dans cet état elle excite l’appétit et remplace avantageusement les cornichons.

On connaît, à Siam, deux espèces de jaquier (artocarpus jacca). La première espèce est l’arbre à pain, qui a de longues feuilles profondément découpées ; le fruit est rond et allongé, quelquefois gros comme la tête. Il contient, sous une peau épaisse, une pulpe farineuse et un peu fibreuse qui, dans sa parfaite maturité, est succulente et fondante, mais très-laxative ; aussi le cueille-t-on avant qu’il soit bien mûr ; dans cet état, sa chair est blanche et ferme. On le fait rôtir ou cuire dans l’eau, on le ratisse et on le mange sans aucun assaisonnement : c’est un aliment sain et agréable dont le goût approche de celui du pain de froment ; ou bien on le coupe en tranches et on le fait cuire dans du sirop de sucre de palmier avec une certaine quantité de lait de coco.

La seconde espèce de jaquier est un très-bel arbre à feuilles ovales entières et dont le tronc, d’un beau jaune, est employé pour la teinture des habits des talapoins. Son fruit, ovale oblong, est énorme et pèse de dix à quarante livres, aussi naît-il au tronc ou aux grosses branches capables de le soutenir. On coupe en grosses tranches ce fruit monstrueux, on en détache une quantité de grosses amandes enveloppées d’une pulpe jaune, épaisse et odorante, c’est cette pulpe qu’on mange ; pour les amandes, on les fait cuire ou griller comme les châtaignes, c’est le régal des enfants. Il faut observer qu’un seul de ces fruits suffit pour quinze ou vingt personnes, et qu’un jaquier vigoureux peut fournir environ une centaine de fruits par année.

Le jamboisier est un grand arbre à fleurs roses, et qui produit des petites poires, également roses, qui sont bonnes à manger. Outre cette grande espèce, il y en a encore deux autres qui ne sont que des arbustes ; l’espèce moyenne a des fleurs blanches et produit des poires vertes ; mais la petite espèce est beaucoup plus estimée, parce que son fruit, quoique plus petit, a une délicieuse odeur de rose ; aussi est-il très-recherché surtout pour les malades. Ces deux arbustes font l’ornement des jardins par leur port élégant et surtout par la beauté de leurs fleurs.

Le maprang est une espèce de prunier fort joli, dont les prunes oblongues sont d’un jaune d’or ; la pulpe en est très-succulente et sucrée, une grosse amande fibreuse tient lieu de noyau. Lamut-sida est une autre espèce de prunier, dont les prunes, également oblongues et rouge-brun, renferment une pulpe douceâtre et très-nourrissante, recouvrant un noyau très-lisse. Takhob, autre prunier épineux, dont la prune rouge et ronde est toute composée de pulpe verte, d’une agréable acidité et parsemée de petites graines qu’on avale avec la pulpe.

Le figuier de Chine est un bel arbre qui produit des pommes à peau lisse et couleur jaune d’or ; ce fruit répand un parfum si doux, que le plus souvent on aime mieux le garder sur soi que de le manger. Les Chinois ont une manière de le garder sec pendant toute l’année et en font un grand commerce ; cuit en tisane, il est excellent pour les malades et adoucissant pour la poitrine.

Il y a à Siam trois espèces de litchi : le litchi ponceau produit des grappes de fruits rouges (gros comme des prunes), qui contiennent sous leur enveloppe une pulpe demi transparente qu’on compare pour l’excellence de son goût au meilleur raisin muscat. Ce fruit délicieux, séché au four, peut se garder pendant toute l’année. Le litchi longanier, que les Siamois appellent lam-jai, est un arbre plus grand et plus beau que le précédent, mais il porte des fruits plus petits, qui sont des baies globuleuses et grisâtres, d’un goût légèrement sucré, aromatiques, adoucissantes et excellentes pour la poitrine ; les chauves-souris en sont tellement friandes qu’on est obligé, pendant que les fruits mûrissent sur l’arbre, d’envelopper chaque grappe dans un réseau de bambou qui les préserve de la voracité de ces terribles frugivores. Le litchi ramboutan est aussi un bel arbre, qui a cela de particulier, que ses fruits jaunes et rouges sont recouverts d’une peau épaisse et très-crépue ; la pulpe en est bien savoureuse ; mais, comme elle adhère fortement à l’amande, il faut se contenter de sucer, ce qui est désappointant.

Le sathon est un des plus grands arbres des jardins ; ses fruits sont de la grosseur d’une pêche ; ils consistent en pulpe blanche, d’une acidité agréable ; leur écorce, charnue et très-épaisse, après avoir subi une certaine préparation, est employée à faire d’excellentes confitures. Le fruit appelé makhuit, plus gros qu’un coing, mais tout à fait rond, a une coque ligneuse très-dure et blanchâtre, remplie d’une pulpe aigrelette, semblable à de la marmelade de pommes mêlée de petites graines. Le matum est un autre fruit dans le même genre ; mais la coque est ovale et encore plus épaisse que dans le précédent ; il faut un marteau pour la briser ; la pulpe en est jaune, entremêlée d’un suc limpide et très-gluant, répandant une forte odeur balsamique assez agréable.

Un des arbres les plus utiles, c’est le tamarin ; il étend au loin ses larges branches ; il grossit et devient séculaire. C’est sous son ombre bienfaisante qu’on se repose et qu’on se livre aux jeux. Ses feuilles tendres servent d’assaisonnement aux ragoûts ; ses gousses précieuses relèvent la fadeur de tous les mets. La pulpe de tamarin, dégagée de ses graines, se conserve toute l’année ; elle est d’une saveur acide très-agréable, et avec elle on peut se passer de vinaigre ; combinée avec le sucre, elle fournit des confitures excellentes et bien précieuses pour les malades.

La goyave est la poire de l’Inde, du moins elle en a tout à fait la forme ; il y en a deux espèces, l’une dont la chair est blanche, et l’autre dont la chair est rouge ; celle-ci est beaucoup plus savoureuse que l’autre.

Le papayer est un arbre fort curieux, qui atteint son développement parfait dans moins d’un an ; son tronc est charnu, et, quoiqu’il soit souvent gros comme le corps d’un homme, on peut l’abattre d’un seul coup de couteau ; ses longues feuilles forment comme un parasol ; ses fruits sont rangés autour de la tige vers le sommet ; ils sont d’un beau vert et deviennent jaunes en mûrissant. La papaye ressemble à un petit melon oblong ; sa chair, d’un beau jaune foncé, a une saveur sucrée et aromatique ; quantité de graines noires occupent le vide qui est au centre ; ces graines sont piquantes, aromatiques et très-bonnes contre les vers, aussi plusieurs personnes ne font-elles pas difficulté de les avaler avec le fruit.

Le corossol est un joli arbuste qui produit de bons fruits connus sous le nom d’ates. Le corossol écailleux produit de grosses baies arrondies, à surface écailleuse, remplies d’une pulpe blanche délicate et succulente, parsemée de semences noires et lisses. Le corossol hérissé porte un gros fruit en cœur, hérissé de pointes molles, qui a la chair blanche, succulente, odorante, de la consistance du beurre et d’une agréable acidité. On en connaît encore à Siam deux autres espèces, dont les fruits rouges ont la forme de cœur et la peau lisse ; leur chair blanche ressemble à de la crème épaisse qu’on mange avec une cuiller.

Mais le fruit le plus commun, le moins cher et sans contredit le plus utile, c’est la banane. Le bananier est une plante plutôt qu’un arbre ; il n’a que cinq ou six feuilles longues de quatre à cinq pieds ; son tronc spongieux et lisse s’élève à huit ou dix pieds de hauteur. À mesure qu’il croît, sa petite famille de quatre rejetons croît aussi ; il ne donne du fruit qu’une fois, après quoi il faut l’abattre, autrement il pourrirait sur pied ; mais à peine a-t-il été abattu, que le premier d’entre ses rejetons croît rapidement et ne tarde pas à donner son fruit, et ainsi des autres, de sorte que les bananiers se multiplient d’eux-mêmes et forment une génération non interrompue. Le cœur du bananier est employé comme légume dans les ragoûts, le reste du tronc est livré aux bestiaux et surtout aux porcs, qui en sont très-friands. Quand le bananier a atteint son entier développement, il pousse une grosse enveloppe rouge qui bientôt s’épanouit, fleurit et engendre les bananes disposées autour d’une tige ronde et solide. Un seul régime contient quelquefois deux cents bananes. On compte plus de cinquante espèces de bananes, les unes petites comme le doigt, d’autres plus grosses, quelques-unes énormes et comparables aux dents d’éléphant. Il y en a de différentes saveurs douceâtres, sucrées, aigrelettes, succulentes, farineuses, odorantes. C’est le premier aliment des enfants à la mamelle, c’est la nourriture de tout le monde et pendant tout le cours de l’année ; les feuilles même du bananier sont employées à une foule d’usages domestiques.

Outre ces fruits, Siam possède encore d’excellentes oranges dont on compte plus de vingt espèces : le cédrat, qui a la forme d’une main, le cédrat pamplemousse, les citrons, les limons, les grenades, les jujubes, les ananas, les caramboles, les olives sauvages, les amandes sauvages et beaucoup d’autres fruits des bois, qui sont fort bons à manger. Il y a dans les forêts un bel arbre appelé makok, dont les fruits âpres et aigrelets ont une propriété bien surprenante. Si vous buvez de l’eau après en avoir mangé, cette eau paraît tout à fait sucrée, et l’effet dure tout un jour. Je ne puis passer sous silence deux beaux arbres qu’on plante ordinairement dans les pagodes et qui, s’ils ne produisent pas de fruits, du moins fournissent un ombrage délicieux ; ce sont le peuplier d’Inde à larges feuilles, arbre réputé sacré, parce que ce fut sous son ombrage que Somanakhodom parvint à la sainteté parfaite et à la dignité de Bouddha ; le second, appelé pipal ou ficus religiosa, encore plus touffu que le premier, produit à ses branches de longues racines pendantes qui, parvenues jusqu’à la terre, poussent de nouveaux troncs ; de sorte qu’un seul de ces arbres a quelquefois une douzaine de troncs et s’étend sans cesse jusqu’à occuper un espace immense où règne une agréable fraîcheur. On trouve aussi dans les bois une vigne sauvage produisant d’énormes raisins qui pèsent quelquefois de dix à quinze livres ; on peut, avec ces raisins, faire du vin qui n’est pas mauvais ; néanmoins, je pense que ce n’est pas une vraie vigne, puisqu’elle meurt et se dessèche tous les ans au mois de décembre ; il n’en reste qu’une bulbe qui, au mois de mars de l’année suivante, pousse une nouvelle tige vigoureuse, laquelle grimpe après les arbres. On ne tire pas parti des raisins de cette vigne ; les oiseaux en font leur pâture.

Parmi les productions végétales qui servent aux besoins domestiques, le bambou tient une des premières places, car c’est avec le bambou qu’on bâtit la plupart des maisons, qu’on fait des paniers, des nattes et des vases de tout genre. Le bambou est un arbre ou plutôt un roseau à nœuds plus ou moins espacés, creux, de la grosseur de la jambe, qui croît rapidement et s’élève à la hauteur de cinquante à soixante pieds dans l’espace de quelques mois. Il pousse des rejetons qui bientôt forment une touffe compacte consolidée par une multitude de petites branches épineuses, entrelacées. Ordinairement, dans une seule touffe, on compte plus de cent bambous. Les nouvelles pousses sont tendres presque comme la rave ; on les coupe en tranches minces, on les laisse macérer quelque temps dans de l’eau de riz avec un peu de sel ; elles fermentent et deviennent un comestible tendre et savoureux qui entre dans les ragoûts de viande et de poisson ; d’après le goût des indigènes, c’est un légume excellent qui l’emporte sur tous les autres. Le bambou a la propriété de se fendre en lames aussi minces qu’on veut ; de là vient qu’on l’emploie à faire des nattes, des corbeilles, des tamis, des petites boîtes, des filets, des claies, etc. Il y a bien des espèces de bambous : quelques-uns n’ont pas d’épines, d’autres sont petits comme le doigt. Il y en a dont les nœuds sont à la distance de deux mètres l’un de l’autre, on pourrait en faire des tuyaux, des pompes et même des orgues ; on en trouve de tout petits qui sont naturellement marbrés, ceux-ci sont recherchés comme tuyaux de pipes. Les bambous sauvages ont cela de particulier, qu’au bout de douze ou quinze ans ils se couvrent de fleurs, produisent des grains semblables au riz, puis se dessèchent et meurent ; on va faire la récolte de ces grains, qui sont aussi estimés que le riz lui-même ; les grains qui échappent servent à la reproduction des bambous.

Après le bambou, c’est le rotin qui est le plus employé dans les usages domestiques. C’est une plante dont les feuilles sont armées d’épines formidables, aussi sert-elle souvent de haie dans les jardins ; sa longue tige s’enlace avec les grands arbres des forêts ; c’est cette tige dégagée de ses feuilles et de ses épines qui constitue le rotin. Il y en a de bien des espèces et de différentes grosseurs ; les joncs dont on fait de si jolies cannes sont du rotin. La résine rouge, appelée sang de dragon, se tire aussi d’une espèce de rotin. Ses usages sont innombrables ; sa ténacité, son poli, sa flexibilité, sa propriété de pouvoir être fendu fin et délié, le font employer à faire des cordes, à garnir des canapés et des fauteuils, à faire des treillis, des tamis, des paniers, des nattes, à faire toutes sortes de ligatures, et même à sillonner le dos des malfaiteurs et des esclaves.

Les principales substances végétales employées dans la teinture sont le sumac, le bois rose, le këlë (pour la teinture jaune), le cœur du jaquier, le sapan ou bois de campêche, le sauvage (pour la teinture en rouge), les fruits de l’ébénier pour teindre la soie en noir, le carthame pour teindre en rose, et la laque pour la couleur rouge. Cette dernière substance est une espèce de cochenille qui s’attache aux branches de certains arbres des forêts.

Les productions qui sont un objet de commerce sont : le bois de tek (bois incorruptible), la canelle du pays (à écorce raboteuse et épaisse), l’huile de térébenthine ; le sandal rouge, diverses résines, le gingembre, le poivre, le tabac, le café, le coton, le sucre, le benjoin, le bois d’aigle, le cardamome, la gomme-gutte, l’indigo et différentes espèces d’huiles dont la plus importante est l’huile de coco.

Depuis quelques années on a fait la découverte d’une gomme bien précieuse appelée Gutta-percha, qui a la propriété d’être tout à fait maniable par le moyen de l’eau chaude ; on en fait toutes sortes de vases et instruments divers pour la chirurgie, la physique, la chimie et autres arts. La plante qui produit cette gomme est généralement répandue sur le littoral de la mer dans la presqu’île Malaise et les contrées maritimes de Siam. Dans le principe, on ne la vendait que cinq piastres le quintal, et déjà son prix s’élève à trente piastres (cent soixante-dix francs).

L’arbre à vernis, qui est une espèce de bananier et que les Siamois appellent rak, fournit ce beau vernis qu’on admire dans les petits meubles qu’on apporte de Chine. On fait des incisions à l’écorce de cet arbre, et il en découle un suc laiteux d’un blanc sale, épais et visqueux qu’on passe à travers une toile, et on le garde dans des vases où il y a de l’eau qui le recouvre pour empêcher le contact de l’air ; autrement il sècherait bien vite. Ce suc est si caustique, que non seulement il brûle et ulcère la peau, mais ses vapeurs même sont très-nuisibles, et il suffit de le regarder ou de rester auprès quelques minutes pour attraper une inflammation des yeux et avoir le corps, mais surtout le visage, enflé et couvert de pustules rouges, qui cependant ne sont pas dangereuses. Par le contact de l’air ce suc devient brun, sèche et finit par être d’un beau noir luisant. On se sert de ce vernis pour recouvrir les livres, les paniers, les petits meubles, et surtout pour dorer le bois ou les idoles. La dorure, au moyen de ce vernis, est très-solide et n’éprouve aucune altérationni de la pluie, ni du soleil. Je suis étonné qu’en Europe on n’ait pas adopté ce genre de dorure au moins pour les flèches et les autres parties des monuments publics qu’on dore à pure perte, puisque la dorure usitée se dégrade bien vite et ne résiste pas longtemps à l’intempérie des saisons. Le vernis dont je parle pourrait facilement s’emporter en France, pourvu qu’il fût mis avec une certaine quantité d’eau dans des vases bien fermés.

Les fleurs cultivées en Europe qu’on trouve aussi à Siam, sont les suivantes : la rosé, la rose d’Inde, l’immortelle, l’œillet d’Inde, le jasmin, la belle de nuit, l’amaranthe, le petit lis, le tournesol et le laurier-rose. Selon les Siamois, ce n’est pas la rose qui est la reine des fleurs, c’est le grand nénuphar, qu’on appelle aussi nymphæa ou lotus. Il y en a sept espèces. La plus petite, qui est blanche et n’est guère plus grande qu’une marguerite, abonde dans les rivières pendant l’inondation ; ses longues tiges succulentes se mangent crues ou cuites, en guise de légumes. Le lotus rouge a la fleur plus grosse, mais n’a d’autre usage que d’orner les étangs. Il y a aussi des nymphœa à fleurs bleues, vertes, jaune pâle et jaune d’or ; mais elles sont si rares, que je n’en ai rencontré que deux ou trois fois. Mais le grand nymphæa couleur rose est vraiment une fleur magnifique qui, épanouissant à demi ses belles pétales roses, laisse échapper un doux parfum de ses nombreuses étamines couleur d’or. C’est, je crois, la plus grande de toutes les fleurs : elle fait l’ornement de toutes les fêtes, on l’offre au roi, aux bonzes et à l’idole de Buddha. Quand la fleur est fécondée, elle produit sept ou huit grosses noisettes implantées dans un réceptacle rond composé de pulpe verte. Ces semences bouillie ou grillées sont très-savoureuses et font les délices des enfants. Rien de si facile que de planter le nymphæa : on met les semences dans des boules de terre molle, qu’on jette dans les étangs, et quelques jours après on voit s’épanouir sur l’eau des petites feuilles qui grossissent peu à peu, jusqu’à ce qu’elles aient acquis un développement d’environ un pied et demi de large.

Après le nymphæa, la fleur Mali est la plus estimée à Siam, et elle le mérite bien, car son parfum est peut-être aussi suave que celui de la rose. Elle naît d’un joli petit arbuste d’un mètre de hauteur. À la capitale, il y en a des jardins immenses, tant est grande la consommation qu’on en fait. C’est une fleur grosse comme un petit œillet, d’un blanc éclatant, à corolle simple ou double ; on la cueille toujours avant qu’elle soit épanouie, afin de ne pas perdre en vain son doux parfum. Cette fleur est employée à faire de l’eau de senteur, à parfumer les potions qu’on donne aux malades, à faire des guirlandes et des couronnes pour entourer le toupet des enfants, ou bien les enfants les portent aux bras, comme ornement et en guise de bracelets. On n’a pas pu jusqu’ici retirer de l’huile essentielle de la fleur mali, parce que son odeur est trop fugace.

Il y a un arbuste d’un port élégant, appelé champs, qui produit une belle fleur jaune de deux pouces de long, laquelle répand aussi un parfum délicieux. Les enfants et les jeunes gens en portent presque toujours à l’oreille, elle entre aussi dans la composition des guirlandes ; une seule de ces fleurs suffit pour embaumer une chambre.

La fleur kadanga, qui naît d’un arbre assez élevé, n’est pas belle à voir ; de son calice pendent quatre pétales jaunes, étroits et longs de trois à cinq pouces mais son odeur suave est très-intense, et elle contient beaucoup d’huile essentielle qu’il est très-facile de se procurer par la distillation. La fleur pout ressemble à une belle rose d’un blanc éclatant ; elle jouit aussi d’une odeur assez suave, et cependant elle n’a pas d’autre usage que de faire l’ornement des jardins. Outre les fleurs que j’ai nommées, il y en a encore une vingtaine d’espèces, dont quelques-unes ont des couleurs belles et variées, mais n’ont presque pas d’odeur ; toutes les autres ont leur parfum particulier, et sont employées en médecine ou pour la toilette des femmes.