Description du phalanstère et considérations sociales sur l’architectonique/AVANT PROPOS


AVANT-PROPOS.



SUR LES DESTINÉES HUMAINES.


Les destinées sont les résultats présents, passés et futurs des plans établis par Dieu, conformément aux lois mathématiques.
Ch. Fourier.

I

LE PRINCIPE DE LA CERTITUDE.

Saint-Martin, qui a eu souvent de belles et limpides inspirations, a dit ceci ;

« Lorsque dans le champ des sciences exactes et naturelles nous recueillons quelques axiomes, nous ne nous demandons pas pourquoi ils sont vrais ; nous sentons qu’ils portent la réponse avec eux-mêmes.

» Comment le sentons-nous ? Ce n’est que par le rapport et la convenance qui se trouvent entre la justesse de ces axiomes et l’étincelle de vérité qui brille dans notre conception. Ce sont comme deux rayons d’un même flambeau, qui semblaient être éloignés l’un de l’autre, qui se réunissent par leur analogie, et qui, en se pénétrant mutuellement, se rendent réciproquement plus sensibles et leur chaleur et leur clarté.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

» Lorsque l’âme humaine, soit par l’essor qu’elle peut se donner, soit gratuitement, est élevée jusqu’au sentiment intime de l’être universel qui embrasse tout, qui produit tout, enfin jusqu’au sentiment de cet être inconnu que nous appelons Dieu, elle ne cherche pas plus que dans la découverte des axiomes partiels, à se rendre compte de cette vérité totale qui la subjugue, ni de la vive jouissance qu’elle lui procure ; elle sent que ce grand être ou ce grand axiome est par lui-même, et qu’il y a impossibilité qu’il ne soit pas. Elle sent également en elle, dans ce contact divin, la réalité de sa propre vie pensante et immortelle. Elle n’a plus besoin de se questionner sur Dieu ni sur elle-même ; et dans la sainte et profonde affection qu’elle éprouve, elle se dit avec autant de ravissement que de sécurité : Dieu et l’homme sont des êtres vrais qui peuvent se connaître dans la même lumière, et s’aimer dans le même amour.

» Comment a-t-elle le sentiment certain de ces immuables vérités ? Par la même loi qui a manifesté à sa conception la certitude des axiomes partiels, c’est-à-dire qu’elle sent l’existence inattaquable du principe de son être et la sienne propre, par la convenance et les rapports qui se trouvent entre eux. Car, sans cela, la conviction de l’existence de ces deux êtres ne pourrait ni nous frapper, ni se fixer en nous ; et si ce feu divin ne rencontrait en notre âme une puissante analogie, il nous traverserait sans nous laisser de lui aucune trace, ni aucun sentiment. »

Pour peu que l’on réfléchisse sur ces lumineuses paroles on saisira bien facilement le principe de la certitude des choses, sur lequel la philosophie scolastique a entassé tant de sophismes pédantesques, et la philosophie spiritualiste contemporaine tant d’obscurités et de subtilités vaines, tant de puérilités prétentieuses et ridicules ; on admettra avec Saint-Martin,

Que le principe de la certitude transcendante réside dans le sentiment de la corrélation et de la convenance des choses.

Ceci d’ailleurs s’énonce, se sent et ne se démontre pas. Avec ceux qui n’admettent pas ceci, il n’y a rien à démontrer. Mais lorsque l’on a compris et admis cet axiôme primordial, on peut se rendre facilement compte de sa raison d’être.

L’homme, en effet, placé au milieu de la création, destiné à agir sur les Êtres et à recevoir leur action, à fonctionner au sein de l’harmonie universelle, l’homme a dû recevoir du Créateur la mesure de cette harmonie. Cette mesure a été nécessairement déposée dans son organisme. Sans cela, enfin, la création serait-elle autre chose qu’un caprice absurde, et l’intelligence organisatrice un vain mot ?

De cette donnée essentiellement, souverainement religieuse il résulte en toute évidence que l’homme est nécessairement en rapport, en corrélation intime, PAR PRÉDISPOSITION SUBSTANTIELLE ET ORGANIQUE, avec la société universelle des êtres et des choses.

Et comme l’homme est un être composé, à la fois intelligent, affectif et sensitif, le rapport de l’homme avec l’Ordre universel doit s’établir dans les trois sphères, intellectuelle, affective et sensitive, de sa nature.

Ainsi, toute idée dont l’homme a la perception claire, — est vraie si elle est concentrique à sa sphère intellectuelle : — elle est fausse si elle est excentrique à cette sphère. Il suffit donc, pour reconnaître la vérité ou la fausseté d’une idée, de l’appliquer sur le type intellectuel qui est en nous, et de juger par la conscience si la superposition produit un contact concentrique et parfait : dans ce cas, il y a perception d’un rapport vrai, naturel, harmonique, concordant avec l’ordre général ; il y a évidence. L’intelligence est satisfaite. Voila la norme de la certitude.

De même tout sentiment, s’il est concentrique avec la sphère affective de l’homme, est harmonique ; s’il est excentrique à cette sphère, il est subversif. Il suffit donc, pour reconnaître si un fait est dans l’ordre du bien ou du mal moral, de l’appliquer sur le type affectif qui est en l’homme, et de sentir s’il est concentrique avec les affections natives de l’homme. Dans ce cas, il y a sentiment d’un rapport sympathique, naturel, harmonique, coïncident avec l’Ordre général : il y a jouissance affective ; l’âme est satisfaite. — Dans le cas contraire, il y a sentiment d’un rapport antipathique prochain ou éloigné, il y a ou il y aura douleur : l’âme souffre ou souffrira. — Voila la norme du bien et du mal moral.

De meme encore toute sensation, suivant qu’elle sera concentrique ou non avec la sphere sensitive de l’homme, sera harmonique ou subversive, et produira chez lui une jouissance ou une douleur physiques.

Ainsi, la norme du faux et du vrai, du bien et du mal, est donnée par les attractions et les répulsions natives de l’homme. — Et notez bien que je dis Attractions et Répulsions natives.

Ceci étant posé, admis et compris, nous pouvons nous dispenser de passer, pour porter un jugement sur les choses, par les deux ou trois cent mille volumes que les pédans, les sophistes et toutes les espèces philosophiques ont entassés les uns sur les autres. Ces aberrations des fausses sciences ont assez long-temps égaré la raison humaine dans des labyrinthes d’erreurs et de subtilités inextricables. Il est à propos d’aborder aujourd’hui le point par où l’on aurait dû commencer. Il est à propos d’écouter l’homme et les Attractions de sa nature. C’est un livre qui en vaut bien un autre, car c’est Dieu qui l’a écrit. Les Attractions données à l’homme par Dieu, les passions natives qui résultent de notre constitution même, sont une révélation impérissable de l’Harmonie universelle, des Destinées générales, de la Loi des choses, de la raison d’être de la création.

Et maintenant, en partant de ces principes naturels, en écoutant cette voix des Attractions, si claire, si facile à l’intelligence que les enfants mêmes l’entendent et la comprennent, nous pouvons obtenir tout de suite des résultats réels, féconds, et de la plus haute importance pour nous ; tandis que les principes arbitraires et pédantesques des fausses sciences morales et philosophiques, n’ont servi qu’à entasser par monceaux de honteuses, de stériles et de sanglantes erreurs. Examinons :

II

LA DESTINÉE.

La connaissance des Destinées générales, de la Loi d’Unité universelle, se divise pour l’homme en trois branches :

Unité de l’homme avec lui-même ;
Unité de l’homme avec Dieu ;
Unité de l’homme avec l’Univers.

Bien que ces trois branches soient liées intimement entre elles, la première, celle de l’unité de l’homme avec lui-même, est celle dont la connaissance importe surtout à notre bonheur.

Or, cette unité de l’homme avec lui-même ne peut résulter que de l’harmonie des trois sphères, intellectuelle, animique et sensitive de notre nature, c’est-à-dire de l’accord de intelligence et des passions.

Cette harmonie, cet accord, doivent être précisément et nécessairement le caractère suprême de la Destinée vraie de l’homme : sans cela, Dieu, Créateur et Ordonnateur, serait absurde, ou méchant d’une méchanceté infernale.

Jugez déjà le passé avec cette donnée indéniable. Jugez les hommes, les meneurs d’hommes j’entends ; car je ne parle pas de ce vaste troupeau humain, appelé dans toutes les nations le peuple, et qui a vécu jusqu’ici misérablement courbé sur une terre trempée de sang humain et de larmes humaines. Les meneurs des hommes, philosophes, législateurs et prêtres, ont-ils pris pour but de leurs efforts l’établissement de l’accord des passions natives de l’homme et de son intelligence, ont-ils cherché les moyens de réaliser cet accord ? — Non. Ils ont posé en principe et en dogme que l’homme était mal fait par Dieu, ils ont anathématisé les passions, ils n’ont eu d’autre but que de lutter contre elles et de violenter la nature. De là leurs lois et leurs échafauds ; de là leurs religions et leurs enfers. Vous voyez bien que tout a été faux, et qu’aujourd’hui encore tout est faux. Brisez donc avec ce passé, et cherchez la Destinée non plus dans la lutte, mais dans l’accord, non plus dans la Contrainte, mais dans l’Attraction : cherchez-la dans l’accord et l’Attraction, si vous n’aimez mieux vous tourmenter encore dans les aberrations et les douleurs.

Cherchons.

D’abord, qu’est-ce que la Destinée d’un Être ?

La Destinée d’un Être, c’est la fonction qu’il est appelé à remplir dans l’Ordre universel, c’est sa tâche, son rôle dans la création.

Dieu (quelque conception qu’on ait de Dieu) aurait-il créé les Êtres, les aurait-il doués de forces physiques, intellectuelles, et des instincts, des passions, des Attractions qui suscitent l’activité de ces forces, s’ils n’avaient pas des fonctions à remplir, s’il ne leur était pas assigné des Destinées ?

Il y a donc une Destinée pour tout Être créé, et tout Être créé a reçu une conformation corrélative à sa Destinée, des Attractions proportionnelles à sa Destinée.

Donc encore.

Tout Être qui accomplit sa Destinée jouit ; tout Être hors de Destinée souffre.

Voyez autour de vous, voyez la création, voyez les choses, puis appliquez cette idée sur votre sens intellectuel, et vous sentirez qu’elle est souverainement et parfaitement vraie. Continuons.

L’homme, quand il s’agit du problème général de sa Destinée, ne doit pas être considéré seulement comme individu, mais encore, mais d’abord, comme espèce : car l’homme étant appelé à vivre en société, la Destinée particulière de l’individu ne doit, ne peut être autre chose que l’accomplissement de ses fonctions individuelles, nécessairement coordonnées à la fonction générale de l’espèce.

Et puisque l’individu ne peut agir que dans l’espèce, puisqu’il y a entre lui et ses semblables un perpétuel échange d’actions et de réactions, puisqu’il vit dans une sphère sociale en un mot, il est sensible qu’il ne peut accomplir sa Destinée qu’à la condition d’être placé dans un milieu social correspondant à la Destinée de l’espèce, et quand le mode des relations humaines est établi conformément aux Attractions humaines.

Ainsi, la Destinée individuelle est comprise dans la Destinée sociale ; ainsi il y a pour l’espèce, comme pour l’individu, un état vrai :

Cet état est celui où l’espèce accomplit la fonction générale à laquelle elle est destinée, et où l’individu accomplit ses fonctions particulières dans l’œuvre de l’espèce.

Et il y a pour l’espèce comme pour l’individu mille états faux :

Ce sont ceux dans lesquels l’espèce n’accomplissant pas sa tâche providentielle, aucun individu ne peut remplir normalement ses fonctions particulières.

III

LA FORME SOCIALE.

Dans la forme sociale vraie, harmonique avec la nature de l’homme, calculée pour sa conformation et ses Attractions, il y a harmonie entre les trois sphères de la nature de l’homme ; elles tournent autour d’un point unique qui est leur centre commun ; il y a accord entre les passions et la raison : c’est-à-dire que les passions, ressorts primordiaux de toute activité physique et intellectuelle, sont utilisées ; elles ont dans l’œuvre sociale un emploi avoué par l’intelligence ; elles se développent librement en essors justes. L’ordre règne, les individus sont heureux. L’homme jouit.

Dans les formes sociales fausses, discordantes avec la nature de l’homme, contrariant ses Attractions, les trois sphères sont excentriques et leurs mouvements divergents. Les passions et les Attractions ne sont pas utilisées, elles sont hors d’emploi ; et comme il n’y a pas unité d’action sociale, elles sont en lutte dans mille actions sociales fausses et discordantes. Il y a lutte des passions dans l’individu, guerre des individus, guerre des nations. C’est le chaos. L’homme souffre. — Et les philosophes, et les législateurs, et les prêtres, moralisent, lient, compriment, effraient, et moralisent encore, et compriment encore, et lient encore, et effraient encore, et damnent la nature de l’homme, et damnent ses passions, et damnent ses attractions ; ils disent que c’est Satan qui les a faites. Comme si Satan était le Créateur de l’homme.

Ainsi, le bonheur, lié pour l’individu au développement libre et harmonique des facultés de ses trois sphères, au jeu naturel de ses Attraits, ne peut exister qu’à la seule condition que l’espèce accomplisse sa Destinée : ainsi, le mal ne vient pas des Attraits, mais de la forme sociale qui n’emploie pas les Attraits, et des philosophes, des législateurs, des prêtres, des meneurs des nations, qui, au lieu de rechercher la loi de l’emploi des passions, passent leur vie à combattre contre la nature de l’homme, à imposer leurs lois, les leurs, à l’homme, et à blasphémer Dieu en insultant à la nature de l’homme, faite par Dieu ; — au lieu de rechercher la LOI préétablie, hors de laquelle il n’y a pour l’homme qu’erreurs, prisons, échafauds, morales contradictoires, enfers, et douleurs de toutes espèces.

Oh ! que de honteuses et misérables folies ont été engendrées par cette intelligence humaine faussée, et révoltée contre les Attraits que Dieu a mis en nous ! Que de honteuses et misérables folies ont été et sont encore proposées à l’adoration des hommes, revêtues des noms les plus sacrés ! Que de maux, que de larmes, que de sang pour être entré dans cette voie funeste, pour avoir posé en dogme absolu la répression des passions, pour avoir si aveuglement persisté dans cette orgueilleuse révolte contre Dieu ! C’est là le sens de l’enfer et de la déchéance des anges rebelles. L’enfer est sur votre terre, cessez de l’aller chercher ailleurs : et il y sera tant que vous courberez vos fronts sous ces dogmes insensés qui vous viennent des hommes ; et c’est aujourd’hui qu’il faut vous dire : brisez ce que vous avez adoré, et adorez ce que vous avez brisé.

Ils disent que Dieu, Créateur et Ordonnateur, est souverainement intelligent, souverainement bon, et ils disent que l’homme est mauvais, que ses passions natives sont mauvaises ! Quel est donc le sens de vos paroles, insensés ? Et vous qui parlez ainsi, vous qui voulez changer l’homme et qui condamnez Dieu, qui donc êtes-vous, sinon des hommes ? Vous admirez le corps et son mécanisme, et vous réprouvez l’âme et ses passions ! Vous comprenez les merveilles de l’organisation des muscles, des nerfs, des tendons, des fluides qui composent ce corps, et vous dites que l’organisme animique et passionnel, dont l’autre n’est que instrument et le valet, est faux et discordant !!! Voila pourtant ou l’humanité en reste, voila le cercle d’absurdités dans lequel elle tourne, voila le tourbillon d’inepties au sein duquel elle gravite : et elle est si profondément plongée dans ces ténèbres extérieures, qu’aujourd’hui, quand une Voix puissante vient lui crier : « Voici la lumière ! » elle ne comprend pas, elle ne voit pas !… Et ceux qui la secouent, elle les regarde comme des visionnaires et des fous. Continue donc, humanité ! continue à écouter stupidement tes hypocrites ou sots prêcheurs de morale et de vertu ; continue à grouiller dans tes palabres de morale, de vertu, de résignation… et dans tes crimes, et dans tes infamies, et dans tes abjections, dans toutes tes misères, dans ton sang, dans ton sang… qui, si la terre ne le buvait pas depuis que tu le répands, couvrirait la surface de ton globe comme un déluge, et t’aurait déjà noyée !

Mais il y en a qui comprendront : et heureusement, pour sortir de ce cloaque de fange et de sang qu’on appelle la Civilisation, il n’est pas nécessaire que tous comprennent.

IV

LA ROYAUTÉ DE L’HOMME.

Ainsi, la question de bonheur ou de malheur pour tous les humains dépend de la solution du problème de la Destinée de l’espèce. Nous venons de le démontrer irrécusablement, et de renverser en quelques pages, par l’énoncé d’une vérité d’ordre naturel ou divin, toutes les idées dans lesquelles l’esprit humain tourne et retourne depuis le commencement des choses ; car tous les dogmes Chrétiens[1] et païens, orientaux et occidentaux, toutes les théories philosophiques, morales, théistes, déistes ou athées, légitimistes, libérales ou révolutionnaires, toutes les théories, tous les dogmes n’ont été jusqu’ici que des variétés d’un seul dogme, le dogme de la répression des Attractions, le dogme de la contrainte, tous ces dogmes de six mille ans, tout ce passé de l’esprit humain vient se briser contre le front de Fourier, qui apporte aujourd’hui, lui, le dogme de L’ATTRACTION, et les moyens providentiels de faire passer la loi en acte.

Que ceux qui ne peuvent pas ou qui n’osent pas suivre, s’arrêtent.

Nous voici amenés à poser, non dans un but de vaines et stériles spéculations, mais dans un but pratique et souverainement important à chacun de nous, le problème de la Destinée humaine.

Il faut répondre à cette question :

Pourquoi l’homme a-t-il été créé et mis au monde ? Quelle action l’espèce humaine est-elle appelée à exercer sur cette terre ?

À cette question voici la réponse :

La fonction que l’espèce humaine est appelée à exercer sur le globe qui lui a été confié, c’est la gestion de ce globe. Telle est sa Destinée sur la terre.

Mettez-vous en face de cette idée, suscitez en vous la pensée de l’Ordre universel, de l’harmonie des choses, montez en haut et demandez-vous si vous n’avez pas la perception d’un rapport vrai, naturel, d’une convenance haute et souveraine, d’une coïncidence concentrique avec votre sphère intellectuelle, lorsque vous recevez cette conception.

Que l’homme, Être intelligent, puissant, complet, central parmi tous les Êtres créés sur son globe, est appelé à les gouverner et à régir son globe.

C’est là une vérité qui nous saisit.

Moïse nous a légué par tradition, dans sa cosmogonie, cette haute pensée de la création, que nous retrouvons écrite en nous : voici le verset qui vient après la création d’Adam, l’homme universel, l’espèce :

« Et Dieu les bénit et leur dit : Croissez et multipliez-vous ; peuplez la terre, assujétissez-la, et commandez aux poissons de la mer et aux oiseaux du ciel, et à tous les animaux qui se meuvent sur la terre. »

Et c’est en ce sens de la Destinée de l’homme qu’il a été dit que l’homme a été créé à l’image de Dieu, le souverain Ordonnateur : c’est en ce sens que l’homme est appelé à être Dieu sur sa terre.

Or, si la Destinée de l’espèce humaine est la gestion de son globe, les facultés des individus et les instincts, les passions, les Attraits qui suscitent et mettent en jeu les facultés, ont dû être exactement calculés pour l’ordre de choses dans lequel l’humanité accomplirait sa haute gestion, sa Destinée. Ainsi, c’est dans cet ordre seulement que peut et doit s’établir l’accord entre la passion et la raison. Hors de cet ordre, elles discordent nécessairement, et en tout point.

Et maintenant, pour descendre dans la sphère des applications, demandez-vous si l’espèce accomplit sa mission, sa tâche, son œuvre, sa Destinée, quand elle se meut dans l’une des formes sociales jusqu’ici parcourues, et qui peuvent se ramener toutes à l’une des formes typiques désignées par les mots de Sauvagerie, Patriarcat, Barbarie et Civilisation, période à laquelle sont parvenues les nations les plus avancées aujourd’hui dans le mouvement social ?

Non, bien évidemment non ; car dans toutes ces formes, dans toutes ces périodes, dans toutes ces sociétés, le globe, au lieu d’être unitairement cultivé, administré, régi par l’homme, est plus ou moins dévasté par l’homme. Non ; car les forces humaines, au lieu de se réunir en faisceau convergent, et de s’appliquer à l’exploitation du globe, sont plus ou moins gaspillées, plus ou moins tournées les unes contre les autres. Non ; puisque l’activité humanitaire, au lieu de l’immense effet utile dans lequel elle est appelée à se résoudre, en opérant régulièrement sur les choses de la création, ne produit, au contraire, que des mouvements faux, des dévastations, des pertes de force vive, des frottements et des chocs.

Or, si l’espèce n’est pas dans sa Destinée, les passions, les Attractions natives de l’individu, qui sont faites pour cette Destinée, et qui ne sont pas appliquées à leur œuvre propre, sont nécessairement en action fausse, en divergence, en lutte, en révolte. De là les perturbations, les conflits, les guerres, le mal. Et l’humanité reste hors de Destinée, et le mal se perpétue, et les hommes se tourmentent, et la terre est ensanglantée tant que les philosophes, les législateurs, les prêtres, les conducteurs des peuples, s’obstinent à agir sur l’homme pour le plier à la forme sociale, au lieu d’agir sur la forme sociale pour la plier à l’homme ; tant qu’ils amoncellent leurs morales absurdes et arbitraires en principe, leurs lois absurdes et arbitraires en principe, leurs religions absurdes, arbitraires et impies en principe, Et c’est dans la sphère des erreurs, des mensonges et de toutes les souffrances, que l’humanité tourne, retourne et s’agite vainement et misérablement.

Ô génies étroits ! génies de terre-à-terre ! intelligences faussées et hors de route ! laissez donc là vos débats si petits, si vains, si funestes ; et si vous avez la volonté d’agir sur les choses, envisagez d’abord le but, et apprenez ce qu’il faut vouloir. — Où allez-vous ? — À tous ces gens qui taillent et tranchent au travers de la politique, de la morale, de toutes les grandes questions philosophiques et religieuses, faites cette question en face. Ils ne savent rien et ils n’auront rien à répondre.

V

LES ATTRAITS.

Que si les considérations auxquelles je viens de me livrer paraissent étranges et ambitieuses en tête d’une petite brochure qui traite d’architectonique, je ferai observer qu’il ne s’agit point dans cette brochure de discussions architecturales sur les architraves, les corniches et les frises, sur les ordres, les moulures et les profils. Il s’agit de l’architecture considérée dans ses rapports avec les formes diverses de la société, avec la vie humaine, et pivotalement avec la Destinée humaine. Et comme je n’ai pas pour but d’écrire quelques phrases vaines et stériles sur les monuments du passé, et de me donner un canevas à broder ma littérature ; comme au contraire ma pensée est de présenter au lecteur les principes généraux de l’architecture de l’avenir, je dois lui exposer d’abord les principes généraux des sociétés de l’avenir, dont ceux là ne sont qu’une déduction. On se convaincra facilement, au reste, de l’intimité de ces choses. — Et puis, bien que les idées sociales soient nécessaires à l’intelligence de l’idée architectonique, je n’écris pas les choses sociales pour faire comprendre les choses de l’architecture, mais les choses de l’architecture pour faire comprendre les choses sociales. C’est là mon but.

En tête d’un court développement de l’architectonique sociétaire, découverte par Fourier, il convenait donc de placer un court exposé des principes du régime sociétaire, découvert par Fourier. Avec cela, les intelligences fortes ou faciles iront à toutes les conséquences. Elles seront pilotées dans le Nouveau-Monde. — Quelques mots encore pour jalonner la route.

J’ai signale tout à l’heure les principes généraux, positifs, vrais, absolus, sur lesquels Fourier, carrément assis, nie le passé en conceptions sociales, comme Colomb a nié le passé en conceptions géographiques, comme Copernik et Galilée l’ont nié en conceptions astronomiques. Voyons maintenant quelle est l’affirmation, la conception, la théorie qui fait face à sa négation.

La Destinée terrestre de l’homme est la gestion de la terre.

Les Attractions sont proportionnelles aux Destinées.

Donc, pour découvrir la forme, la loi sociale suivant laquelle l’homme doit accomplir sa Destinée, il faut étudier les Attractions de l’homme, ses passions, en reconnaître les tendances, les exigences, les vœux, et déduire de ces données naturelles un Mécanisme social applicable à la gestion du globe. — Ici, il n’y a plus rien d’arbitraire : tout est scientifique.

Fourier a donc analysé l’homme sous le rapport des passions constitutives de la nature humaine. De l’analyse passionnelle il a facilement passé à une synthèse sociale qui n’est autre chose que la forme sociale harmonique avec l’organisme de l’homme, et dans laquelle les passions convergent naturellement vers un but utile, vers l’emploi auquel elles sont destinées : — la haute exploitation du globe.

Fourier a donc découvert la formule de l’application des instincts, des goûts, des penchants, des passions natives ; en un mot, la formule de l’application des Attraits au mécanisme de la grande Industrie humanitaire ; — le mot industrie étant entendu ici dans une acception toute générale, et signifiant l’emploi de l’activité physique et intellectuelle de l’homme à toute opération utile à l’humanité, concourant à la production du bien social. Ainsi défini, ce mot embrasse tous les travaux de ménage, d’agriculture, de manufacture, de science, d’art, d’éducation, d’administration, etc., dont l’ensemble et la coordination unitaire sur le globe, composent bien évidemment le système d’action que l’homme y doit exercer et qui, seul, est en rapport avec sa Destinée et son bonheur.

Vous voyez donc bien qu’il ne s’agit pas de chartes, de constitutions, de monarchie, de république, ni de toutes les sottises politiques, morales et philosophiques dont on s’est si long-temps et si malheureusement occupé, et qui n’ont donné pour résultat que des misères, des guerres, et les douleurs de toute espèce qui rongent à belles dents la pauvre humanité : ce qui sera son lot tant qu’elle restera hors de Destinée. — Il s’agit :

De produire l’invention, de faire la découverte du mécanisme naturel d’industrie dans lequel l’homme travaillera par plaisir et par passion, — au lieu de travailler par contrainte et de tourner l’activité de ses passions contre ses semblables ; — où ses passions, en un mot, le tireront incessamment du côté du Bien au lieu de le pousser incessamment au Mal. — Et c’est là le problème qu’a résolu le haut et puissant génie de Fourier — Vous pouvez en juger.

VI

L’ÉLÉMENT SOCIAL.

L’action industrielle de l’humanité sur son globe devant s’exercer par les individus, et un individu ne pouvant agir sur tout le globe, il en résulte que l’action générale ne peut s’exercer qu’à la condition que les individus se grouperont en agglomérations primaires, en centres d’action de différents ordres, coordonnés et hiérarchisés entre eux.

La première agglomération, le premier centre d’action, le premier atelier de travail humanitaire, c’est la Commune. C’est dans la Commune que s’opèrent les travaux domestiques, agricoles, manufacturiers, ceux de l’art, de la science, de l’éducation ; c’est dans la Commune que l’homme en general vit, agit, travaille. L’exploitation unitaire et régulière du globe, ne peut être exécutée que par l’ensemble des travaux des Communes.

La grande question sociale, la question de Destinée, la question de l’organisation du travail humanitaire, se résout donc d’abord, et en principe, dans la question de l’organisation industrielle de la Commune. C’est là la pierre angulaire de l’édifice social.

Puis, après ceci, vous avez à régulariser les rapports extérieurs des Communes groupées entre elles pour former la province, des provinces dans la nation, des nations dans le continent, des continents sur le globe.

Mais ce qu’il importe de bien comprendre, pour sentir combien sont misérables les controverses qui nous agitent, pour confondre tous nos docteurs politiques, toujours et toujours accrochés et pendus aux questions d’ordre gouvernemental ou administratif, e’est que la question sociale pivote tout entière sur l’organisation de la Commune, et que les questions administratives ne peuvent être sainement mises à l’ordre du jour qu’après celle-ci.

Car il n’est pas plus possible d’avoir l’ordre, la richesse, l’harmonie dans l’£tat, quand le désordre, la pauvreté et les hostilités sont au sein de la Commune, que d’avoir une armée manœuvrant bien, et se battant bien, quand toutes les compagnies de cette armée manœuvrent mal et se battent mal.

Ainsi, la question d’ordre ou de désordre, d’harmonie ou de discordance, de paix ou de guerre, de richesse ou de misère, de liberté ou d’oppression, d’Attrait ou de Contrainte, se résout d’abord et passe tout entière par celle de l’organisation de la Commune.

C’est là qu’il faut substituer l’accord des passions à leur discordance, la convergence des forces à leur divergence : c’est là qu’il faut harmoniser d’abord les intérêts, les passions, les caractères.

Il faut savoir, à la Commune insociétaire et morcelée, substituer la Commune sociétaire et combinée. C’est ce que Fourier a fait, et cela d’une manière aussi certaine, aussi positive, aussi rigoureuse que problème mathématique du monde.

VII

L’ÉLÉMENT ARCHITECTURAL.

Or, la connaissance de l’organisation d’une Commune sociétaire, d’une Phalange industrielle, élément alvéolaire de la société harmonique, se compose de la connaissance du mode de travail, du mode de répartition des produits, du mode d’éducation, particuliers à cette organisation, et avant tout du mode de construction de la demeure où l’homme sera logé : — car il faut que d’abord le gérant soit logé sur son domaine.

C’est cette dernière branche que je traite particulièrement ici, — et comme elle est en corrélation parfaite avec les convenances et les conditions générales du Régime sociétaire, c’est un côté par où il peut être bon d’en commencer l’étude.

Toutefois, — et cela va sans dire, — je ne prétends pas que chacun puisse aller, d’un bond, d’ici à tout le reste. — Aussi, n’adressé-je cette brochure qu’aux hommes d’intelligence qui saisissent une conception d’un coup d’œil, à ceux qui sont individuellement doués de ce tact qu’on appelle l’instinct du vrai, aux artistes surtout. — Puis, je rappelle, en terminant cet Avant-propos, que le principe de certitude, le criterium du vrai et du faux, consiste à se faire cette question et à y répondre : « Cela convient-il à l’homme, cela est-il en rapport avec ses Attractions natives, cela est-il corrélatif et conforme à l’ordre ?

VIII

LA DESTINÉE INTÉGRALE.

Il importe de remarquer que la question de la Destinée n’a été envisagée dans cet Avant-propos que sous le rapport seulement de la carrière et de la fonction terrestres de l’humanité. La Théorie générale des Destinées est une question bien autrement large et qui comporte la conception de la Loi transcendante qui régit la Vie universelle. La connaissance de cette Loi, la conquête de cette Science suprême, doivent donner à l’homme non seulement l’intelligence du présent, mais encore celle de l’avenir et du passé, la théorie rationnelle de l’immortalité de l’âme, et des migrations antérieures et postérieures.

Nous n’avons donc envisagé qu’un cas particulier du problème général ; nous n’avons déterminé qu’une application spéciale de la Loi ; nous ne nous sommes pas occupé de la Vie universelle, de l’ensemble des Êtres, mais uniquement du règne hominal, et encore du règne hominal en développement terrestre, en vie inférieure.

Toutefois, on peut saisir facilement le lien qui existe entre la Destinée spéciale que nous avons déterminée et la Destinée universelle. En effet, sans entrer à cet égard dans des développements qui trouveront leur place ailleurs, n’est-il pas clair que l’homme ne peut accomplir la haute gérance dont il est chargé, et recevoir l’investiture de sa Destinée active qu’à la condition des conquêtes intellectuelles les plus transcendantes, puisqu’il ne peut établir l’ordre et l’harmonie sur son domaine terrestre que par suite de la connaissance de la Loi d’ordre et d’harmonie qui régit l’univers, et en se conformant à cette Loi, en l’appliquant aux choses sur lesquelles il a reçu puissance et domination ?

Il faut donc se garder de croire que la conception de Fourier matérialise l’idée de la Destinée, parce qu’elle précise l’idée et enseigne qu’elle doit porter d’abord sur l’action que l’homme est appelé à exercer. N’en déplaise à ceux qui appliquent l’épithète de matériel à tout ce qui n’est pas vague et nuageux, la Destinée d’un Être, c’est bien, comme nous l’avons énoncé, la Fonction qu’il est appelé à remplir dans l’Ordre universel. Mais quand la Fonction est une Fonction ordonnatrice, quand l’Être est un Être intelligent, quand il s’agit de l’homme, et que nous disons l'homme appelé à agir, à faire, à ordonner et régir, nous entendons qu’il ne peut agir suivant sa Destinée, et régir, qu’à la condition de connaitre et de savoir.

Cette conception, que des esprits mal faits ou plutôt faussés, se plaisent à dire matérialisante, contient, comprend et embrasse une conception à laquelle ils ne font pas ce reproche, parce qu’elle a l’avantage d’être vague pour eux ; c’est celle que nous avons tous lue, enfants, sur la premiere page de notre Catéchisme.

« D. Pourquoi Dieu nous a-t-il’crees et mis au monde ? »

« R. Pour le connaitre, l’aimer, le servir, et par ce moyen acquérir la vie éternelle. »

Cette conception est belle et vraie, mais à la condition d’être fécondée et précisée, à la condition qu’on ne la laissera pas dans la région du vague, et que l’on commentera ainsi la réponse :

L’homme est appelé à connaître Dieu ; mais il ne peut connaître Dieu qu’en acquérant la connaissance de la Loi d’ordre et d’harmonie qui régit l’univers ; car cette Loi est la révélation de la pensée de Dieu ;

L’homme ne peut servir Dieu qu’en appliquant cette Loi d’ordre et d’harmonie au monde sur lequel il a reçu puissance et domination, car c’est pour accomplir cette tâche que Dieu lui a donne force et intelligence ;

L’homme ne peut aimer Dieu qu’en s’élevant à la connaissance de sa Loi, et en réalisant cette Loi, car elle seule peut donner le bonheur à tous les Êtres, et établir universellement le concert affectueux du Créateur avec la créature ;

L’homme, enfin, ne peut acquérir la Vie Éternelle qu’en entrant dans les voies de cette Loi suprême d’ordre et d’harmonie ; car tant qu’il reste hors de ces voies, il reste hors de l’Ordre et de l’Harmonie, hors de la Vie universelle et Éternelle.


fin de l’avant-propos.

Les Considérations sur l’Architectonique exposées ci-après sont extraites du 1er volume de Destinée Sociale, et forment un spécimen de l’ouvrage entier, qui a pour but de développer la Science sociale découverte par Fourier et de la mettre à la portée des bonnes intelligences. On aura une idée générale de l’ouvrage entier, par la table des matières.


  1. Nous parlons du christianisme historique et non du christianisme de Jésus, qui s’appuyait sur le dogme de l’amour et de la liberté, et non sur le dogme impie de la nécessité fatale et absolue du mal et de la contrainte.