Description de la Chine (La Haye)/Dynasties/Seconde Dynastie, Chang

Scheuerleer (Tome Premierp. 293-309).


SECONDE DYNASTIE


NOMMÉE CHANG.


qui compte vingt-huit empereurs dans l’espace de six cent quarante-quatre ans.


TCHING TANG. Premier empereur.
A régné treize ans.


Ce fut l’année trente-deuxième du cycle que ce prince monta sur le trône, et donna le nom de Chang à la famille impériale ; c’était le nom du petit État, qu’il gouvernait depuis longtemps, en qualité de roi ou de prince tributaire.

La modestie, la douceur, la justice, et l’application de ce prince lui avait déjà attiré l’admiration des peuples, et il fut reconnu empereur de toutes les provinces avec un applaudissement universel. Lui seul se croyait incapable de soutenir un si pesant fardeau. Il assembla jusqu’à trois fois ses ministres et les Grands de la cour pour remettre une couronne, que tout autre, à ce qu’il disait, porterait plus dignement que lui ; qu’il lui suffisait d’avoir délivré la patrie de la persécution du tyran, qu’il était content du petit État que le Ciel lui avait donné à gouverner ; et qu’il se voyait avec chagrin et avec peine sur un trône, dont il n’était pas le légitime héritier.

Les Grands de l’empire persistèrent à lui remontrer, que c’était par une disposition particulière du Ciel qu’il était assis sur le trône ; que le Ciel touché du malheur des peuples, l’avait choisi pour être le libérateur de la patrie, et qu’il s’expliquait assez par le concours unanime de tous les ordres de l’État, qui ne voulaient point avoir d’autre souverain que lui.

Tching tang, dont la conduite était sincère, se rendit enfin aux empressements et aux instances des Grands, et gouverna l’empire avec la même modestie qui l’avait porté à le refuser.

Il abrogea d’abord les lois cruelles de son prédécesseur, et en établit d’autres pleines de sagesse et d’équité. Il honora de sa confiance un ministre nommé Y yn, dont le mérite, la prudence, et la fidélité lui étaient parfaitement connus : il le mit à la tête de ses conseils, et lui confia le commandement de ses arMÉES.

Les soldats, qui auparavant étaient accoutumés au pillage, furent contenus dans la plus exacte discipline, et en peu de temps on vit régner l’ordre et la tranquillité dans les provinces. Tout retentissait des bénédictions dont les peuples comblaient un prince attentif à procurer leur bonheur.

Il fit graver sur tous les vases, qui étaient à l’usage du palais, les plus belles maximes de morale, afin que lui et ses officiers eussent continuellement devant les yeux, les principes selon lesquels ils devaient se conduire.

Il donna une marque bien éclatante de sa tendresse envers ses sujets dans le temps d’une sécheresse universelle qui dura sept ans, sans qu’il tombât une seule goutte de pluie, et qui est peut-être la même dont il est parlé dans la Genèse : attribuant à ses propres fautes une calamité si générale, il se dévoua comme une victime pour le salut de son peuple.

Après s’être imposé un jeûne rigoureux, il se dépouilla des ornements de sa dignité, il se fit couper les cheveux qu’on portait alors forts longs, et nus pieds, en posture de criminel, il leva les mains vers le ciel, et pria le Seigneur d’épargner ses sujets et de faire tomber sur lui seul tout le poids de sa colère. L’histoire rapporte qu’à la fin de la prière le ciel se couvrit de nuages, et qu’une pluie générale rendit les terres fécondes, et rétablit l’abondance.

La mort de ce prince, qui arriva la quarante-quatrième année du cycle, mit tout l’empire en deuil, et chacun le regretta, comme s’il eût perdu son père. Son fils aîné Tai ting étant mort avant lui, la couronne passa au petit-fils nommé Tai kia.


TAI KIA. Second empereur.


A régné trente-trois ans.


Les commencements du règne de ce prince firent tout craindre de son administration : loin de marcher sur les traces de son grand-père, il tint une conduite toute opposée, et capable de lui attirer le mépris et l’aversion de ses sujets.

Y yn, ce sage ministre, dont j’ai déjà parlé, en qui Tching tang avait mis toute sa confiance, s’était acquis une grande autorité dans l’empire ; il s’en servit pour remontrer au nouvel empereur l’abus qu’il faisait d’un pouvoir, que le Ciel ne lui avait confié que pour le bien des peuples, et lui rapportant les exemples de la colère céleste sur les princes vicieux, il s’efforça de lui inspirer l’amour des vertus propres d’un souverain.

Comme le jeune prince n’écoutait point les avis salutaires d’un si sage ministre, celui-ci s’avisa d’un expédient qu’on aurait peine à excuser de témérité, si sa probité et la droiture de ses intentions n’eussent été bien connues de tout l’empire.

Il fit construire une maison près du tombeau du dernier empereur, et il y renferma Tai kia pour lui donner le temps de réfléchir sur sa conduite, et de se former, sur les cendres de son grand-père, aux vertus dont il était un si parfait modèle. En même temps il se déclara tuteur et du prince, et de l’empire.

L’empereur, que l’éclat d’une si haute fortune avait aveuglé, profita de sa disgrâce, et fit pendant trois ans des réflexions salutaires sur les malheurs où ses désordres naissants l’avaient entraîné, et sur les vertus que demande le gouvernement d’un grand empire.

Dès que le ministre ne put plus douter de la sincérité de son changement, il l’alla chercher lui-même, et le conduisant sur le trône, dont il l’avait fait descendre, il le proclama une seconde fois empereur, et le fit reconnaître de tous les peuples, qui unanimement comblèrent d’éloges, et la docilité du prince, et la modération du ministre.


Cycle XI. Année avant J. C. 1737.

Tai kia sut bon gré à son ministre de la conduite sévère qu’il avait tenu à son égard ; il le regarda toujours comme son père, et ne se conduisit que par ses conseils. Aussi gouverna-t-il avec beaucoup de sagesse ; les princes tributaires, qui avaient commencé à secouer le joug, rentrèrent avec joie sous son obéissance. Tous les ordres de l’État furent constamment soumis jusqu’à la mort de ce prince, qui arriva la dix-septième année du cycle : il eut pour successeur Vo ting autre petit-fils du fondateur de cette dynastie.


VO TING. Troisième empereur.
A régné vingt-neuf ans.


Ce prince, qui descendait de Tching tang, ne démentit point le sang d’où il était sorti, et il fut l’héritier de ses vertus, de même que de sa couronne. Il eut comme lui toute sa confiance dans Y yn : mais il ne posséda ce sage ministre que huit ans : la mort le lui enleva la vingt-cinquième année du cycle, et afin de témoigner l’estime et la reconnaissance qu’il avait pour un si grand homme, il honora sa mémoire par de superbes obsèques, avec un appareil et une magnificence digne de la majesté impériale.

Le fils de Y yn, nommé Y pou, consola le prince de la mort du père. Ce nouveau ministre réunissait dans sa personne les mêmes qualités, et mérita également la confiance des empereurs qui suivirent. L’empereur mourut la quarante-septième année du cycle, et ce fut Tai keng son frère qui lui succéda.


TAI KENG. Quatrième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


L’histoire ne rapporte de cet empereur, et des deux suivants, que l’année où a commencé leur règne, et celle où ils sont morts.

Celui-ci mourut l’année onzième du cycle. Son fils Siao kia lui succéda.



Cycle XII. Année avant J. C. 1677.


SIAO KIA. Cinquième empereur.
A régné dix-sept ans.


Tout ce qu’on sait de cet empereur, c’est qu’il régna paisiblement comme son père, avec le secours du même ministre, dont il suivit les conseils. Il mourut la vingt-huitième année du cycle, et Yong ki son frère lui succéda.


YONG KI. Sixième empereur.
A régné douze ans.


Ce prince était fils de Vo ting, mais non pas de la même mère que les deux empereurs précédents ; il y eut un commencement de trouble sous son règne. Quelques-uns des rois tributaires, ou si l’on veut, des princes qui gouvernaient des petits États, refusèrent de se rendre, selon la coutume, à l’assemblée que les empereurs tenaient de temps en temps. Il mourut la quarantième année du cycle ; la couronne tomba sur la tête de Tai vou, son frère.


TAI VOU. Septième empereur.
A régné soixante-quinze ans.


Il était fils de la même mère que son frère Yong ki, auquel il succédait. On prétend qu’à son avènement à la couronne, un mûrier du palais se couvrit de feuilles en sept jours, et que trois jours après il devint sec. Le prince fut effrayé de cet événement, qu’il regardait comme le présage de quelque malheur, ou de quelque révolution. Il consulta sur cela son ministre Y pou et le pria de lui dire ce qu’il en pensait.

Ce ministre lui répondit, que c’est la vertu qui règle les présages, et qui les rend bons ou mauvais. — Gouvernez vos sujets avec équité, poursuivit-il, et rien ne sera capable de troubler votre repos.


Cycle XIII. Année avant J. C. 1617.

L’empereur profita de cette leçon : son zèle et son application à rendre la justice à ses peuples, fut si grande qu’il donnait tous les jours audience dès le grand matin, et ne la finissait, qu’après avoir écouté tous ceux qui se présentaient.

Cet amour de la justice le fit adorer des peuples, et ils l’égalaient aux plus grands empereurs qui l’avaient précédé. Tous les princes tributaires ne manquèrent jamais aux assemblées qu’il convoqua, et ses ordonnances furent toujours exactement observées.

Parmi les lois qu’il établit, ou qu’il fit revivre, il y en eut une, par laquelle il ordonna que dans chaque ville, on fournirait à la subsistance d’un certain nombre de vieillards, et que cette dépense se tirerait du trésor public : c’est un usage qui se pratique encore maintenant.

Enfin après soixante-quinze ans d’un règne tranquille, il mourut la cinquante-cinquième année du cycle dans la province de Ho nan où il avait transporté sa cour. Tchong ting son fils fut son successeur.


TCHONG TING. Huitième empereur.
A régné treize ans.


Les fréquentes inondations du Hoang ho, ou fleuve Jaune, obligèrent cet empereur d’abandonner la ville, où il tenait sa cour dans la province de Chen si, et de l’établir d’abord dans la province de Ho nan, ensuite dans la province de Pe tche li.

Son règne fut troublé par des peuples de la partie méridionale du fleuve Yang tse kiang, qui faisaient des irruptions dans ces provinces, et y exerçaient toutes sortes de brigandages. Il y envoya promptement des troupes, qui taillèrent en pièces ces brigands, et ôtèrent à leurs compatriotes l’envie de faire dans la suite de semblables incursions.


Cycle XIV. Année avant J. C. 1557.

Cette expédition rétablit la tranquillité dans l’empire, mais l’empereur ne jouit pas longtemps des fruits de sa victoire. La mort l’enleva la huitième année de ce cycle, et ce fut son frère Vai gin qui monta sur le trône.


VAI GIN. Neuvième empereur.
A régné quinze ans.


C’est en ce temps-ci que commencèrent les guerres, que se firent les frères des empereurs mourants, et les enfants des mêmes empereurs, pour le droit de succéder au gouvernement de l’empire. Ces guerres durèrent près de deux cents ans ; mais l’histoire, qui n’entre point dans ce détail, nous dispense d’en parler.

Tout ce qu’elle nous apprend de ce prince, c’est qu’il se fit respecter et aimer de ses sujets, qu’il mourut l’année vingt-troisième du cycle, et que Ho tan kia son frère fut son successeur.


HO TAN KIA. Dixième empereur.
A régné neuf ans.


Il établit sa cour dans une ville de la province de Ho nan, située sur une hauteur, qui la mettait à couvert des inondations du Hoang ho. On ne rapporte rien de remarquable de ce prince, qui en effet régna très peu de temps, car il mourut la trente-troisième année du cycle, et laissa sa couronne à un fils très digne de lui succéder qui se nomme Tsou yé.


TSOU YÉ. Onzième empereur.
A régné dix-neuf ans.


Cet empereur avait un colao, ou premier ministre, très prudent et très habile, nommé Yen. En suivant ses conseils, il maintint l’État dans une paix profonde, et les princes tributaires dans une parfaite soumission. Aussi quoique l’empereur ne donne presque jamais de principautés ou petits États qu’à des fils ou à des neveux d’empereurs, il éleva son ministre à cette grande dignité, à condition néanmoins qu’il demeurerait toujours attaché à sa personne et dans son palais, pour être à portée de le consulter et de profiter de ses avis. Il ne lui fut permis d’aller gouverner son petit État qu’après la mort de cet empereur, qui arriva la cinquante-unième année du cycle, et qui fut remplacé par son fils Tsou sin.


TSOU SIN. Douzième empereur.
A régné seize ans.


Les frères de l’empereur voulaient monter sur le trône, au préjudice de l’héritier légitime, en prétextant qu’ils étaient d’un âge plus mûr pour le gouvernement que leur neveu ; ils commençaient déjà à se faire des partisans, et ils auraient partagé les Grands de l’empire, et causé du trouble, si le colao Yen par son autorité et par son expérience, n’eût pas assoupi ce démêlé en maintenant le prince légitime dans la possession de la couronne.

Ce ne furent que les premières semences d’une ambition, qui éclatera bien plus dans la suite, lorsque sans égard aux lois de la justice, et sans écouter la voix du sang, on verra des princes usurper l’héritage de leurs propres neveux.

La mort de l’empereur arriva l’année septième de ce cycle, et Vo kia son frère lui succéda.


Cycle XV. Année avant J. C. 1497.


VO KIA. Treizième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


Ce dernier empereur avait un fils nommé Tsou ting lequel ne put résister à son oncle, qui usurpa la couronne, et qui la conserva avec plus de bonheur qu’il ne le méritait. Le dessein de cet usurpateur, était de la faire passer à son fils ; mais ses mesures furent déconcertées par l’adresse du légitime héritier, lequel monta sur le trône aussitôt après la mort de Vo kia, qui arriva l’année trente-deuxième du cycle.


TSOU TING. Quatorzième empereur.
A régné trente-deux ans.


Tsou ting ne voyait pas sans un secret dépit, une couronne qui lui appartenait, sur la tête de son oncle ; il sut dissimuler son ressentiment, et eut l’adresse de s’insinuer tellement dans les bonnes grâces de l’usurpateur, qu’il mérita sa confiance et son amitié. Il prit de loin ses précautions avec tant de secret et de sagesse, qu’à l’exclusion de son cousin, fils du dernier empereur, il monta sur le trône, sans user de la moindre violence. Il gouverna son État avec une égale sagesse, et donna avant sa mort un grand exemple de modestie, en laissant à ses ministres le choix d’un successeur, supposé qu’ils ne trouvassent pas dans son fils, assez de vertu et de mérite pour gouverner ses sujets. En effet, les ministres jetèrent les yeux sur le fils de Vo kia, nommé Nan keng, qui avait été relégué hors de l’empire.

Ce prince mourut la quatrième année de ce nouveau cycle, et Nan keng fut son successeur.


Cycle XVI. Année avant J. C. 1437.


NAN KENG. Quinzième empereur.
A régné vingt-cinq ans.


Il s’en fallut bien que ce choix fût généralement approuvé : Nan keng était du goût des ministres qui l’avaient placé sur le trône, mais les gouverneurs des provinces se déclarèrent pour le fils du dernier empereur. Il y eut deux puissants partis dans l’État, qui se firent une guerre cruelle : mais le parti de Nan keng, qui fut le plus fort, se maintint dans la possession de l’empire, et il transporta sa cour dans la province de Ho nan. Ce prince eut pour successeur Yang kia fils de Tsou ting.


YANG KIA. Seizième empereur.
A régné sept ans.


Les divisions dans la famille impériale firent naître bien des troubles dans l’État. Les princes tributaires commencèrent de se soustraire à l’obéissance qu’ils devaient à l’empereur et ensuite ils refusèrent ouvertement de payer le tribut. Ils étaient sur le point de rendre leurs petites souverainetés indépendantes, ce qui tendait au renversement de la monarchie, lorsque l’empereur mourut la trente-sixième année du cycle, et eut pour successeur Pouan keng son frère, qui s’empara du trône au préjudice de son neveu.


POUAN KENG[1]. Dix-septième empereur.
A régné vingt-huit ans.


Ce prince, tout usurpateur qu’il était, devint le restaurateur de l’empire par son mérite et par son application au gouvernement. Il établit sa cour dans la province de Chan si, et commença par renouveler les lois anciennes de l’empereur Tching tang qui étaient comme abolies par la négligence de ses prédécesseurs ; c’est ce grand empereur qu’il prit pour modèle, et qu’il tâcha d’imiter.

Il se fit une loi de ne confier les charges les plus importantes de la cour et de l’État, qu’à ceux de ses sujets, en qui il reconnaissait plus de capacité et de mérite. Il punit sévèrement les moindres démarches qui tendaient à la rébellion ; enfin il mit un si bel ordre dans toutes les affaires de son État, que les princes tributaires rentrant dans leur devoir, payèrent le tribut ordinaire, et renouvelèrent leurs hommages. Il voulut aussi remédier à un désordre, dont il était lui même coupable : voyant que la source des troubles précédents était l’usurpation des frères des empereurs, il fit une ordonnance pour assurer la couronne à leurs enfants.

Cette ordonnance si sage, et si capable de prévenir de nouveaux troubles, fut, par rapport au prince, sans exécution ; car il mourut sans lignée l’année quatrième du cycle, et comme il n’avait pas d’enfants, son frère Siao sin lui succéda.


Cycle XVII. Année avant J. C. 1377.


SIAO SIN. Dix-huitième empereur.
A régné vingt-un ans.


Cet empereur hérita de la couronne de son frère, sans hériter de ses vertus. Il abandonna tout à fait le soin du gouvernement à ses ministres, pour se livrer à ses plaisirs : ceux qui le flattaient dans son amour de l’oisiveté et dans ses dérèglements, avaient le plus de part à sa faveur. Enfin par une conduite molle et efféminée, il pensa ruiner tout ce que son frère avait fait pour le rétablissement du bon ordre dans l’empire. Il laissa sa couronne a son fils Siao yé par sa mort, qui arriva l’année vingt-cinquième du cycle.


SIAO YÉ. Dix-neuvième empereur.
A régné vingt-huit ans.


Ce prince avait eu une éducation conforme à sa naissance : les sages gouverneurs qui prirent soin de son enfance, ne doutèrent pas qu’il ne fût très digne du trône, auquel il était destiné. Mais dès qu’il se vit maître d’un grand empire, il oublia bientôt les instructions qu’il avait reçues, et ne se ressouvint que des pernicieux exemples de son père, dont il fut le parfait imitateur.

Il ne serait connu que par ses vices et ses dérèglements, s’il n’avait pas donné le jour à un fils, qui est encore révéré aujourd’hui comme un des plus grands et des meilleurs empereurs qu’ait eu la Chine. Ce fils, nomme Vou ting, succéda à son père, qui mourut la cinquante-troisième année du cycle.


Cycle XVIII. Année avant J. C. 1317.


VOU TING. Vingtième empereur.
A régné cinquante-neuf ans.


Vou ting était encore jeune, lorsqu’il monta sur le trône : il confia le gouvernement de son État à son premier ministre, pendant ses trois années de deuil, et il alla s’enfermer dans une maison attenant le tombeau de son père, pour pleurer sa mort, et implorer le secours du Ciel, afin d’acquérir les vertus propres du haut rang auquel il avait été destiné par ses ordres.

Le temps de son deuil étant expiré, il retourna à son palais. Il vit en songe un homme, que le Ciel lui présentait pour être son premier ministre : il le considéra attentivement, et les traits de son visage lui demeurèrent si fortement gravés dans la mémoire, qu’à son réveil il en fit un portrait très fidèle.

Il assembla ses ministres, et leur ayant raconté ce qui s’était passé pendant son sommeil, il leur montra le portrait de la personne en question, et il dépêcha de tous les côtés des gens de confiance, pour chercher celui dont ils voyaient le portrait.

On le découvrit dans un village au milieu d’une troupe d’artisans. Il s’appelait Fou yue et gagnait sa vie au métier de maçon. On le conduisit aussitôt à la cour, où on lui fit un grand nombre de questions sur la politique, sur les vertus propres d’un souverain, sur les devoirs des princes envers leurs sujets, et des sujets envers leurs princes, sur les différentes charges de l’empire, etc. Tout le monde fut charmé des réponses nettes, précises, et véritablement éloquentes qu’il fit à toutes ces questions.

Alors l’empereur prit la parole, et l’adressant au pauvre artisan. — C’est toi, cher Fou yue, lui dit-il, que le Ciel à choisi pour m’aider de tes sages leçons. Je te regarde comme mon maître ; regarde-moi comme une glace de miroir peu polie que tu dois façonner ; ou comme un homme faible et chancelant sur les bords d’un précipice, que tu dois guider, ou comme une terre sèche et aride que tu dois cultiver. Ne me flatte point, ne m’épargne point sur mes défauts, afin que par tes instructions, et par celles de mes autres ministres, je puisse acquérir les vertus de mon aïeul Tching tang, et rappeler dans ces jours infortunés la modération, l’équité et la douceur de son gouvernement.

Fou yue se prosterna, selon la coutume, devant l’empereur, qu’il trouva toujours docile à ses instructions : On les voit dans le Chu king[2] dont je donnerai le précis, et ce fut en les suivant que Vou ting devint le modèle des bons empereurs, et que sa réputation s’étendant jusqu’aux nations les plus éloignées, les engagea à venir se ranger sous son obéissance.

Ce prince mourut l’année cinquante-deuxième du cycle, et eut pour successeur son fils nommé Tsou keng.


TSOU KENG. Vingt-unième empereur.
A régné sept ans.


La durée de ce règne fut si courte, et l’ordre était si grand dans l’État, que l’empereur n’eut d’autre soin à prendre que de l’y maintenir. Il ne porta que sept ans la couronne, qu’il laissa à la cinquante-neuvième année du cycle, qui fut celle de sa mort, à son frère, qui s’appelait Tsou kia.


Cycle XIX. Année avant J. C. 1257.


TSOU KIA. Vingt-deuxième empereur.
A régné trente-quatre ans.

Les vertus d’un père qu’on regrettait encore, ne servirent qu’à rendre son fils Tsou kia plus odieux. On n’avait pas oublié la sagesse, la modestie, et la douceur de Vou ting ; et l’on trouvait dans son fils un prince rempli d’orgueil, de fierté, et de mépris pour ses sujets, et en même temps livré aux plus détestables débauches.

Une conduite si déréglée, qui causa divers mouvements dans l’empire, annonçait la ruine prochaine de cette dynastie.

La vingt-septième année du cycle est remarquable par la naissance de Ven vang, recommandable par ses vertus, et dont le nom est encore respecté dans l’empire.

La trente-troisième année arriva la mort de l’empereur, qui eut pour successeur son fils Lin sin.


LIN SIN. Vingt-troisième empereur.
A régné six ans.


Ce fut comme son père un prince esclave de la volupté, et si éloigné de toute application, que non seulement il se déchargea sur ses ministres du gouvernement de l’État, mais même qu’il leur fit défense de lui rendre compte d’aucune affaire, ne voulant point être interrompu dans ses infâmes plaisirs.

La débauche, qui abrégea ses jours, délivra l’empire d’un si mauvais prince. Il mourut sans postérité l’année trente-huitième du cycle et son frère Keng ting lui succéda.


KENG TING. Vingt-quatrième empereur.
A régné vingt-un ans.


L’histoire ne rapporte de cet empereur que les années de son règne, l’année de sa mort, qui fut la cinquante-neuvième année du cycle, et neuf ans après la naissance de Vou vang, qui sera le fondateur de la dynastie suivante. Vou yé son fils lui succéda.


Cycle XX. Année avant J. C. 1197.


VOU YÉ. Vingt-cinquième empereur.
A régné quatre ans.


Quelque court qu’ait été ce règne, il paraît encore trop long aux Chinois : ils parlent de ce prince comme d’un impie et d’un scélérat, qui ne pouvait manquer d’attirer sur lui la vengeance céleste.

En effet il fut frappé de la foudre étant à la chasse la troisième année du cycle, et il en fut écrasé sur l’heure ; son fils nommé Tai ting fut son successeur.

C’est vers ce temps-là que des colonies chinoises allèrent peupler quelques îles du côté de l’orient, et il y en a qui prétendent que ce fut alors que le Japon commença à être habité.


TAI TING. Vingt-sixième empereur.
A régné trois ans.


Ce nouvel empereur commença son règne par déclarer la guerre à un prince tributaire, dont le petit État s’appelait Yen. Il est dans la province de Pe tche li, et Peking qui est maintenant la capitale de l’empire, était une des villes de cette petite souveraineté.

Sa mort arrivée le sixième du cycle, l’empêcha de terminer cette guerre, et elle fut continuée par son fils et son successeur, nommé Ti yé.


TI YÉ. Vingt-septième empereur.
A régné trente-sept ans.


Cet empereur continua la guerre que son père avait commencée contre le prince d’Yen ; il confia le commandement de ses troupes à un grand capitaine nommé Ki lié, qui défit entièrement l’armée de ce petit souverain, et qui l’ayant chassé de ses États, le réduisit à mener une vie privée.

Cette conquête fit tant de plaisir à l’empereur, que sur-le-champ il gratifia son général de cette principauté, et la rendit héréditaire dans sa famille. Ki lié la gouverna pendant sept ans. et à sa mort elle devint l’héritage de son fils Ven vang, qui jeta dans la suite les fondements de la troisième dynastie.

Ti yé avait trois enfants, deux d’une femme du second ordre, qui naquirent avant que leur mère eût le titre de reine, et le troisième de l’impératrice : celui-ci était l’héritier légitime de l’empire ; cependant sa jeunesse, et le peu d’opinion que son père avait de ses talents, le portèrent à lui préférer l’aîné des deux enfants qu’il avait de cette femme du second ordre. Il fit même entrer dans ses vues l’impératrice, qui par complaisance y donna les mains.

Mais les ministres s’y opposèrent, et déclarèrent que c’était agir contre les lois de l’empire, et qu’ils ne reconnaîtraient point d’autre souverain que le fils de l’impératrice, nommé Tcheou. Ils eurent lieu de s’en repentir dans la suite : car ce Tcheou fut un cruel tyran, au lieu que celui qu’avait choisi l’empereur, avait toutes les qualités propres d’un souverain.

Ti yé mourut la quarante-troisième année du cycle, et Tcheou son troisième fils lui succéda.


TCHEOU. Vingt-huitième empereur.
A régné trente-trois ans.


L’orgueil, la fierté, le luxe, la débauche, la tyrannie, et la cruauté montèrent sur le trône avec ce prince. Il épousa une femme nommée Ta kia, la plus belle qui fût dans l’empire, mais en même temps la plus méchante et la plus barbare.

Il fallait que tout cédât à son humeur impérieuse, et que tout se réglât par ses caprices. Si les ministres manquaient de s’y conformer dans leurs représentations ou dans leurs conseils, ils étaient aussitôt, ou chassés du palais, ou condamnés à mort. Il suffisait de désapprouver ce qui se faisait par ses ordres, pour être coupable de rébellion. Elle persuada à son mari, qu’il ne serait le maître absolu de ses sujets, qu’en répandant la terreur dans tous les esprits.

Pour cela elle inventa un genre de supplice, dont le seul appareil inspirait de l’horreur. Elle fit construire une colonne d’airain, qu’on faisait rougir à un grand feu ; puis on forçait le coupable de l’embrasser, jusqu’à ce que la chair fût consumée jusqu’aux os. C’était pour cette princesse un agréable spectacle de voir souffrir ces malheureuses victimes de sa fureur, et d’entendre les cris effroyables que la vivacité de la douleur leur arrachait.

L’un des ministres de Tcheou cherchant à s’insinuer dans ses bonnes grâces, et à mériter sa confiance, lui fit présent de sa fille, qui était fort belle, mais qui était encore plus vertueuse ; cette fille, qui détestait l’action de son père, résista avec un courage héroïque aux poursuites criminelles de l’empereur.

Le prince outré de cette résistance, et changeant tout à coup son amour en fureur, massacra de ses propres mains la jeune fille, et l’ayant coupée en plusieurs morceaux, les fit servir à la table du père.

Un autre ministre, effrayé de cette barbarie, ne put retenir son indignation, et prit un temps qu’il crut favorable, pour en faire sentir au prince toute l’horreur ; son zèle et ses remontrances lui coûtèrent la vie au même instant.

Ces cruelles exécutions n’intimidèrent pas le sage Ven vang et il eut la fermeté de s’élever avec force contre tant d’inhumanités. Le tyran, qui respectait encore sa vertu, ne le traita pas avec la même rigueur que les autres mais pour punir, disait-il, sa témérité, il le fit conduire en prison.

Le petit État dont Ven vang était souverain, fut consterné de cette détention. Ses principaux sujets s’assemblèrent, et crurent qu’en faisant des présents à l’empereur, qui flatteraient ses dérèglements, ils obtiendraient aisément la liberté de leur prince.

Parmi les présents qu’ils firent, ils envoyèrent une jeune fille d’une grande beauté. Tcheou comme on l’avait prévu, ne put résister à ses charmes, et sur-le-champ il donna ordre qu’on élargît Ven vang. Ce fut un double sujet de joie pour ce prince, et de se voir en liberté, et d’être éloigné d’une cour si corrompue.

Ven vang était tendrement chéri de ses peuples, et quoiqu’il ne fût souverain que d’un petit État, il se voyait aussi respecté dans tout l’empire, que Tcheou y était détesté. Sa douceur, son amour pour la justice, le soin qu’il prenait de faire élever les jeunes gens selon les plus belles maximes de la morale, le bon accueil qu’il faisait aux sages et aux philosophes, ce qui en attira un grand nombre à sa cour ; le plaisir qu’il prenait à les entendre, la préférence qu’il donnait aux gens de vertu et de mérite dans la distribution des emplois ; le respect qu’il avait pour ceux de son rang, qui étaient plus avancés que lui en âge ; enfin sa modestie, sa frugalité, son application aux affaires, toutes ces qualités le mirent dans une si haute réputation, que plusieurs princes, ses égaux, le firent l’arbitre de leurs différends.

On raconte que deux petits rois, qui étaient toujours en guerre au sujet des limites de leurs États, convinrent de s’en rapporter à sa décision. A peine furent-ils entrés sur ses terres, qu’ils virent que les peuples se prévenaient les uns les autres par des témoignages réciproques d’amitié et par de bons offices ; que même ce qui tombait le long des chemins, personne n’osait le ramasser, et que chacun disait que cela ne lui appartenait pas, que d’autres cédaient une partie de leurs terres à leurs amis pauvres, pour les ensemencer, et en faire la récolte. Quand ils arrivèrent à la cour, ils furent surpris de l’union et de la bonne intelligence qui régnait entre les Grands ; ils n’apercevaient ni artifices, ni déguisements, ni intrigues.

A la vue d’un État si bien réglé : — Que venons-nous faire ici ? dit l’un d’eux. Que pensera Ven vang de nos contestations ? Quelle idée ce prince aura-t-il de nous ? Et à l’instant, sans porter plus loin leurs démêlés, ils s’accommodèrent ensemble de telle sorte, qu’au lieu de contester, comme ils avaient fait auparavant, sur leurs droits et sur leurs prétentions, c’était à qui des deux céderait le plus de terres à l’autre.

La réputation de Ven vang devint si générale, que quarante princes tributaires ne voyant que lui qui pût remédier aux maux de l’empire, le choisirent pour leur souverain. Il ne jouit pas longtemps de l’espérance d’une dignité si flatteuse : il mourut, et laissa sa principauté et ses richesses à son second fils nommé Vou vang : il le préféra à son aîné, parce que celui-ci n’avait pas voulu entrer dans les vues qu’avait son père de détrôner l’empereur.

Ce fils montra dans cette conjoncture beaucoup de grandeur d’âme : il ne lui échappa pas la moindre plainte de l’injustice qui lui avait été faite, et pour ne pas déshonorer la mémoire de son père, il se retira au-delà du fleuve Yang tse kiang vers les frontières de Se tchuen, où il établit les deux royaumes de Yue et de Hou.

Cependant l’habitude au crime, et l’empire que Ta kia avait sur l’esprit de son mari Tcheou, augmentait chaque jour la férocité de ce prince. L’autorité souveraine était entre les mains de cette femme, et les lois qu’elle portait, ne manquaient jamais d’être ratifiées par l’empereur.

On dit que c’est elle qui fit regarder la petitesse des pieds, comme un des plus grands agréments du sexe, parce que les ayant elle-même fort petits, elle se les serrait avec des bandelettes, comme si en effet elle eût affecté de se procurer un agrément, qui réellement était en elle une difformité ; ce fut-là une sorte de beauté, que toutes les femmes se procurèrent à son exemple, et cette opinion ridicule s’est tellement perpétuée, et est si fort en usage, qu’une femme se rendrait méprisable, si elle avait les pieds de la grandeur naturelle.

On prétend de même que la quantité de lumières, dont elle éclairait le palais pendant toutes les nuits, afin de suppléer à l’absence du soleil, et de rendre en quelque sorte le jour continuel, a donné lieu à la fête des Lanternes, qui se célèbre tous les ans le quinzième de la première lune.

Tcheou se rendait de plus en plus détestable à ses sujets, qui gémissaient sous son gouvernement tyrannique. Ses parents les plus proches, voyant qu’il courait à sa perte, crurent devoir lui faire des remontrances sur sa conduite. Un de ses oncles qui prit cette liberté, ne put se sauver de la mort dont il était menacé qu’en contrefaisant l’insensé ; encore ce cruel neveu le fit-il mettre en prison, pour s’assurer si ce n’était pas une feinte : mais il fit si bien son personnage, que Tcheou fut persuadé que la folie de son oncle était réelle.

Un autre de ses oncles, croyant qu’il devait tout risquer pour retirer son neveu de ses égarements, alla au palais avec une intrépidité admirable, et préparé à tout ce qui pouvait lui arriver de plus funeste : il fut étranglé à l’instant par les ordres de l’empereur, qui lui fit ensuite arracher le cœur, et goûta le plaisir barbare de le considérer, moins pour contenter sa curiosité, que pour assouvir sa vengeance.


Cycle XXI. Année avant J. C. 1137.

Tant d’inhumanités poussées aux plus grands excès, soulevèrent enfin tout l’empire. Les princes et les Grands sollicitèrent Vou vang de se mettre à la tête d’une armée pour combattre le tyran, promettant de fournir le secours de troupes qui serait nécessaire.

Vou vang demanda du temps pour consulter le Ciel, et connaître quelle était sa volonté ; et cependant il continua les préparatifs de guerre que son père avait fortement avancés. Aussitôt qu’il se vit en état de le déclarer, comme s’il se fut assuré des ordres du Ciel, il marcha contre Tcheou.

Celui-ci se mit à la tête d’une armée beaucoup plus nombreuse, et alla au-devant de son ennemi. A peine eut-on donné le signal du combat, que la plus grande partie des soldats de l’armée impériale, mirent les armes bas, et se rangèrent du parti de Vou vang. Tcheou se voyant trahi, prit une résolution de désespéré ; il s’enfuit dans sa capitale, et étant entré dans son appartement, il y mit le feu, pour ne pas tomber entre les mains d’un sujet rebelle. Cela arriva l’année seizième du cycle.

Le soin qu’on prit d’éteindre les flammes, ne put empêcher que la moitié du palais ne fût réduite en cendres. Vou vang y entra en vainqueur : le premier objet qui se présenta à ses yeux, fut l’impératrice Ta kia qu’il tua d’un coup d’épée. Les princes tributaires et les Grands de l’empire l’élurent d’une commune voix pour empereur, et il devint le fondateur de la troisième dynastie, nommée Tcheou[3].


  1. Cet empereur fit changer de nom à cette famille, qu'il appela Yng, au lieu de Chang.
  2. Livre canonique du premier ordre.
  3. Le nom de cette dynastie se prononce différemment du même nom, dont s’appelait le dernier empereur.