Description de la Chine (La Haye)/De la médecine des Chinois

Scheuerlee (3p. 461-467).


DE LA
MÉDECINE
DES CHINOIS.


On ne peut pas dire que la médecine ait été négligée par les Chinois. Ils ont une infinité de livres d’anciens auteurs qui en traitent, et ils s’y sont appliqués dès la naissance de leur empire.

Mais comme ils avaient peu de connaissance de la physique, que nullement versés dans l’anatomie, ils ne connaissaient guère l’usage des parties du corps humain, ni par conséquent les causes des maladies, et que leur science ne roulait que sur un système peu sûr de la structure du corps humain, il n’est pas surprenant qu’ils n’aient point fait le même progrès dans cette science, qu’y ont fait nos médecins d’Europe.

Cependant l’étude de la médecine ne laisse pas d’être considérable parmi ces peuples, non seulement à cause de l’utilité qu’on en retire pour la conservation de la vie, et le rétablissement de la santé ; mais encore parce qu’ils sont persuadés que c’est une connaissance qui a une liaison très étroite avec celle des mouvements du ciel. Il y avait autrefois des écoles impériales de médecine. Les médecins qui sont maintenant les plus estimés, sont ceux qui ont reçu de père en fils les connaissances qu’ils ont.

Les Chinois mettent deux principes naturels de la vie : la chaleur vitale et l’humide radical, dont les esprits et le sang sont les véhicules. Ils donnent le nom d’Yang à la chaleur vitale, et celui d’Yn à l’humide radical : et comme c’est de ces deux noms unis ensemble, qu’ils ont fait celui de l’homme, qui se dit Gin en leur langue, c’est aussi des traits ou figures de ces deux mots joints ensemble, qu’ils forment le caractère ou la figure du nom de l’homme, et ils disent d’une manière symbolique, que comme la division et la séparation de ces deux traits détruisent la figure du nom de l’homme, la division de ces deux principes détruit pareillement la vie de l’homme.

Les deux principes de vie se trouvent, selon eux, dans toutes les parties principales du corps, dans tous les membres, et dans les intestins, pour en faire la vie et la vigueur.

Ils font aussi trois divisions du corps : l’une est la partie droite, et l’autre la gauche. Chacune de ces parties a un œil, un bras, une main, une épaule, une jambe, et un pied.

La seconde division se fait d’un autre sens en trois parties, qui sont la haute, la moyenne, et la basse.

La haute se prend depuis le dessus de la tête jusqu’à la poitrine : la moyenne s’étend depuis la poitrine jusqu’au nombril : et la dernière, du nombril jusqu’à la plante des pieds.

À ces deux distinctions ils en ajoutent une troisième, du corps en membres et intestins.

Les six membres principaux où réside l’humide radical, sont trois à gauche ; savoir le cœur, le foie, et l’un des reins : trois à droite ; les poumons, la rate, et l’autre rein, qu’ils appellent la porte de la vie.

Les intestins ou les entrailles dans lesquelles ils mettent la chaleur vitale, sont aussi au nombre de six : trois à gauche ; les petits intestins, ou le péricarde, la bourse du fiel, et les uretères : trois à droite ; savoir les grands intestins, l’estomac, et la troisième partie du corps.

Ils reconnaissent aussi certains rapports mutuels des membres aux intestins. Ainsi du côté gauche ils veulent que les petits intestins aient un grand rapport avec le cœur, la bourse du fiel avec le foie, et les uretères avec les reins : du côté droit les grands intestins avec les poumons, l’estomac avec la rate, et la troisième partie du corps avec la porte de la vie, ou le rein droit.

Ce sont ces parties du corps, qui sont, selon eux, les sièges naturels de la chaleur vitale, et de l’humide radical ; et c’est de chacun de ces endroits qu’ils passent dans les autres parties du corps, par le moyen des esprits et du sang, dont il paraît qu’ils ont connu la circulation dès le premier établissement de leur médecine, environ quatre cents ans après le déluge.

Ils supposent d’ailleurs que le corps est, par le moyen des nerfs, des muscles, des veines, et des artères, comme une espèce de luth, ou d’instrument harmonique, dont les parties rendent divers sons, ou plutôt ont une certaine espèce de tempérament qui leur est propre, à raison de leur figure, de leur situation, et de leurs divers usages, et que c’est par le moyen des pouls différents, qui sont comme les sons divers et les diverses touches de ces instruments, que l’on peut juger infailliblement de leur disposition ; de même qu’une corde plus ou moins tendue, touchée en un lieu ou en un autre, d’une manière ou plus forte, ou plus faible, rend des sons différents, et fait connaître si elle est trop tendue ou trop lâche.

Après avoir établi ces douze sources de vie dans le corps de l’homme, ils ont cherché dans le corps des indices extérieurs qui puissent faire connaître les dispositions intérieures de ces douze parties, et ils ont cru les avoir trouvées dans la tête, laquelle est le siège de tous les sens qui font les opérations animales ; et se figurant des rapports nécessaires de ces sens avec les sources de la vie, ils ont cru que la langue se rapportait au cœur, les narines aux poumons, la bouche à la rate, les oreilles aux reins, et les yeux au foie ; et ils pensent pouvoir tirer de la couleur du visage, des yeux, des narines, et des oreilles, du son de la voix, et des saveurs que la langue sent ou désire, des conjectures certaines de l’état du tempérament du corps, et de la vie ou de la mort d’un malade.

J’ai dit qu’ils font le cœur, le foie, la rate, les poumons, et les deux reins le siège de l'humide radical, et les six intestins le siège de la chaleur vitale. Il faut expliquer maintenant la manière dont ils pensent que cet humide radical, et cette chaleur vitale se communiquent aux autres parties du corps. Ils établissent douze voies ou douze canaux, par lesquels ils se répandent.

Il y a un canal, disent-ils, par lequel l’humide radical va du cœur aux mains ; et ils nomment ce canal Chao chun yn king.

C’est par les mêmes routes que les intestins, qui sont unis au cœur, envoient la chaleur vitale ; et cette voiture de chaleur se nomme Cheu tai yang king. Ces deux origines unies ensemble font une des sources de la vie.

Le foie envoie l’humide radical aux pieds, et le canal par où il passe, se nomme So kiue yn king ; et c’est la bourse du fiel qui y fait couler la chaleur vitale, par un chemin qui se nomme So chiao yang king.

Les reins envoient aussi l’humide radical par une autre route, et les uretères la chaleur vitale. Ces canaux entretiennent le commerce de la vie dans le côté gauche du corps.

Dans le côté droit les poumons envoient l’humide radical aux mains par une route qui se nomme Cheu tai yn king ; et les grands intestins, la chaleur vitale par le canal Cheng yang ming king.

De la rate l’humide radical va aux pieds, et de l’estomac la chaleur vitale, l’un par So yang ming king, et l’autre par So tai yn king.

De la porte de la vie, l’humide radical va aux mains par Cheu kiue yn king, et la chaleur vitale de la troisième partie du corps aux pieds, par Cheu chao yang king.

C’est ainsi que selon la doctrine des Chinois, la vie et la vigueur se distribuent par tout le corps : et pour être savant médecin parmi eux, il faut bien connaître ces six sources de vie, qui procèdent de ces douze origines, et bien savoir les routes et les chemins, et les altérations dont elles peuvent être capables.

Après cette connaissance de la construction du corps de l’homme, laquelle est selon l’ancienne anatomie des Chinois, et qui, comme l’on voit, n’est pas trop exacte, ils veulent que l’on passe à la connaissance des corps extérieurs, qui peuvent altérer le corps de l’homme.

Ces corps sont selon eux, les éléments, qu’ils réduisent au nombre de cinq ; la terre, les métaux, l’eau, l’air, et le feu. C’est de tous ces éléments que le corps humain est composé, et tellement disposé, qu’il y a des parties dans lesquelles un élément domine plus que les autres.

C’est le feu qui domine sur le cœur et sur les premiers intestins qui sont attenants : et le Midi est la partie du ciel, qui regarde principalement ces parties, parce que c’est là le siège de la chaleur ; c’est en été qu’ils observent les affections du cœur.

Le foie appartient à l’élément de l’air, de même que la bourse du fiel : et l’un et l’autre a rapport avec le Levant, qui est le lieu d’où naissent les vents et la végétation, et c’est au printemps qu’il faut observer les dispositions de ces deux parties.

Les reins et les uretères appartiennent à l’eau, et ont rapport au Septentrion ; d’où vient que l’hiver est le temps le plus propre à observer leurs indications.

Ce sont les métaux qui dominent sur les poumons, et sur les grands intestins, aussi bien que le couchant et l’automne, qui est le temps de leurs indications.

Enfin la rate et l’estomac tiennent de la nature de la terre : ils regardent le milieu du ciel entre les quatre points cardinaux, et c’est le troisième mois de chacune des saisons, qui est le temps de leurs indications particulières.

La porte de la vie et la troisième partie du corps, sont soumis au feu, et à l’eau, et reçoivent les impressions du cœur et des reins, qu’ils communiquent aux autres parties.

Ils raisonnent à peu près comme nous sur les accords et les oppositions de ces éléments avec le corps de l’homme, ce qui en fait les maladies et les altérations.

C’est par la différence des pouls qu’ils prétendent découvrir infailliblement toutes les dispositions de chacune des parties du corps : et voici leurs principes.

C’est le mouvement, disent-ils, qui fait le pouls, et ce mouvement est cause par le flux et le reflux du sang et des esprits, qui sont portés à toutes les parties du corps par ces douze routes dont nous avons parlé.

Tout ce qui meut pousse quelque corps mobile, ajoutent-ils, et tout ce qui est mû, ou cède, ou résiste : ainsi comme le sang et les esprits sont dans un mouvement continuel qui pousse et presse les vaisseaux dans lesquels ils sont portés, il faut nécessairement qu’il y ait des battements de pouls.

C’est la science et la parfaite connaissance de ces battements et de ces percussions qui peut faire connaître la disposition des corps, et les affections qu’ils reçoivent des éléments. C’est par ces battements que l’on peut connaître la nature du sang et des esprits, les défauts et les excès qui s’y peuvent trouver ; et c’est l’adresse des habiles médecins, de les régler, et de les réduire à leur juste tempérament.

Dans tout le mouvement il y a deux choses à observer : le lieu où il se fait, et sa durée ; c’est ce qui a obligé les médecins chinois de marquer les lieux du corps où l’on peut examiner le pouls, et le temps de ses battements.

L’usage de la saignée est très rare parmi eux, quoiqu’on ne peut pas nier qu’ils en aient eu connaissance. Ce n’est que par les médecins de Macao qu’ils ont connu l’usage du lavement. Ils ne blâment pas ce remède ; mais parce qu’il leur est venu d’Europe, ils l’appellent le remède des barbares.

Toute leur science consiste dans la connaissance du pouls, et dans l’usage des simples qu’ils ont en quantité, et qui, selon eux, ont des vertus singulières, pour guérir les diverses maladies.

Ils prétendent connaître par les seuls battements du pouls quelle est la source du mal, et en quelle partie du corps il réside. En effet, ceux qui sont habiles, découvrent ou prédisent assez juste tous les symptômes d’une maladie ; et c’est là principalement ce qui a rendu les médecins chinois si célèbres dans le monde.

Quand ils sont appelés chez un malade, ils appuient d’abord son bras sur un oreiller. Ils appliquent ensuite les quatre doigts le long de l’artère, tantôt mollement, tantôt avec force. Ils sont un temps très considérable à examiner les battements, et à en démêler les différences, quelque imperceptibles qu’elles soient ; et selon le mouvement moins fréquent ou plus vite, plus plein ou plus faible, plus uniforme ou moins régulier, qu’ils observent avec la plus grande attention, ils découvrent la source du mal : de sorte que sans interroger le malade, ils lui disent en quelle partie du corps il sent de la douleur, ou à la tête, ou à l’estomac, ou au bas ventre, et si c’est le foie ou la rate qui soit attaqué : ils lui annoncent quand la tête sera plus libre, quand il recouvrera l’appétit, quand l’incommodité cessera.

Je parle des médecins habiles, et non pas de plusieurs autres qui n’exercent la médecine que pour avoir de quoi vivre, et qui n’ont ni étude ni expérience. Mais il est certain, et l’on ne peut en douter après tous les témoignages que l’on en a, que les médecins de la Chine ont acquis en cette matière des connaissances qui ont quelque chose d’extraordinaire et de surprenant.

Parmi plusieurs exemples qu’on pourrait citer, je n’en rapporterai qu’un exemple seul. Un missionnaire tomba dangereusement malade dans les prisons de Nan king. Les chrétiens qui se voyaient prêts de perdre leur pasteur, engagèrent un médecin de réputation à venir le visiter. Il se rendit à leurs instances, quoiqu’avec un peu de peine. Il vint dans la prison : après avoir bien considéré le malade, et lui avoir tâté le pouls avec les cérémonies ordinaires, il composa à l’instant trois médecines, qu’il lui ordonna de prendre ; l’une au matin, l’autre à une heure après midi, et la troisième sur le soir.

Le malade se trouva plus mal la nuit suivante ; il perdit la parole ; et on le crut mort : mais dès le grand matin il se fit un si grand changement, que le médecin lui ayant encore tâté le pouls, assura qu’il était guéri, et qu’il n’avait qu’à garder un certain régime durant sa convalescence ; et en effet il fut rétabli par ce moyen dans une santé parfaite.

Il y a des médecins, qui lorsqu’ils visitent les malades, font porter ou dans leur chaise, ou par un domestique qui les suit, une armoire à plusieurs layettes, dont chacune est partagée en plus de quarante petits compartiment bien garnis de racines et de simples, qui se donnent selon les maladies, et qui sont ou sudorifiques, ou bien qui servent à purifier le sang et les humeurs, à fortifier l’estomac, à dissiper les vapeurs, à resserrer le ventre, ou à disposer peu à peu à l’évacuation.

Il y en a d’autres qui ne portent point d’armoire, mais qui donnent la recette, et qui laissent aux malades la liberté ou de les prendre chez eux, ou de les acheter chez les droguistes, qu’on trouve dans presque toutes les villes, et qui ont de grandes boutiques fournies d’excellents remèdes et très précieux. Quelques-uns croiraient se dégrader en fournissant des remèdes, et ceux-là d’ordinaire font payer leurs visites bien plus cher que les autres.

On voit aussi une espèce de charlatans, qui vont ramasser quantité de recettes, et qui, après avoir examiné la maladie, répondent de vous guérir, et conviennent d’un prix qu’on ne leur donne qu’en cas de guérison.

Mais ce qui fait la fortune de beaucoup de médecins, c’est de guérir quelques mandarins distingués, ou quelques personnes riches ; car outre ce qui leur est donné pour chaque visite, ils reçoivent des gratifications très considérables.

Les médecins chinois, après avoir mis en usage leurs décoctions de simples, et rendu la santé, comptent beaucoup sur leurs cordiaux pour extirper le mal jusqu’à sa racine ; ils en ont de toutes les sortes, qui ne sont composés la plupart que d’herbes, de feuilles, de racines, de fruits, et de semences sèches.

Ils ont quantité de simples qui se débitent dans toutes les villes de l’empire. Une province emprunte de l’autre ce qu’elle n’a pas. Il y a des foires, où l’on ne vend que des remèdes, et des boutiques qui ne sont garnies que de simples, dont il est aisé de se pourvoir.

Les médecins chinois permettent l’eau aux malades ; mais ils veulent qu’elle soit cuite. A l’égard d’autre nourriture, ils l’interdisent d’ordinaire, ou si le malade est pressé de la faim, ils ne lui en laissent prendre que très légèrement. La raison qu’ils en apportent, c’est que les corps étant indisposés, l’estomac n’est guère propre à faire ses fonctions, et que la digestion qui se fait en cet état, est toujours pernicieuse.

Du reste l’honoraire qu’ils exigent pour leurs visites et pour leurs remèdes, est très modéré. Après une première visite, ils ne retournent point chez le malade, à moins qu’on ne les y appelle : par là on est en liberté de choisir un autre médecin  ce qui arrive assez souvent, quand on n’est pas content des remèdes que le premier a donnés.

Comme ce qu’il y a de singulier dans la médecine chinoise, est l’habileté des médecins à juger des maladies par les battements du pouls, et à connaître l’utilité des simples, dont ils composent leurs remèdes ; on sera sans doute bien aise d’apprendre des Chinois mêmes, en quoi consiste leur secret sur le pouls, et quel usage ils font de leurs simples.

C’est ce qu’on verra premièrement, par un traité qu’a fait sur le pouls un ancien auteur chinois ; en second lieu, par l’extrait que je vais donner de l’Herbier chinois ; et en troisième lieu, par diverses recettes que les médecins emploient pour les différentes maladies.

Tous les Chinois reconnaissent pour auteur du traité sur le pouls, le nommé Ouang chou ho, qui vivait sous la dynastie Tsin, c’est-à-dire, quelques centaines d’années avant l’ère chrétienne. Le Père Hervieu, ancien missionnaire de la Chine, qui a pris la peine de le traduire en notre langue, croit que c’est plutôt une compilation qu’un traité fait par un seul et même auteur.

Ce qu’il y a de vrai, c’est que la Chine n’a peut-être rien de plus ancien et de meilleur en ce genre. On a omis quelques endroits du texte, ou parce qu’ils ne contiennent rien qui ne soit ailleurs exprimé plus nettement, ou parce que, pour être entendus en Europe, ils demanderaient de longues explications, également inutiles et ennuyeuses.