Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Se tchuen

Scheuerleer (Tome Premierp. 225-229).


ONZIÈME PROVINCE
DE L'EMPIRE DE LA CHINE.

SE TCHUEN


La province de Se tchuen ne le cède guère à la plupart des autres provinces, ni par sa grandeur, ni par son abondance. Elle est bornée au nord par la province de Chen si ; au levant par celle de Hou quang, au midi par celles de Koei tcheou et d’Yun nan ; et au couchant par le royaume de Thibet, et quelques peuples circonvoisins. Elle est partagée en dix contrées, qui comprennent dix villes du premier ordre, et quatre-vingt-huit autres villes, tant du second, que du troisième ordre qui en dépendent, sans parler des villes de guerre, des forts qui y sont en grand nombre.

Le grand fleuve Yang tse kiang traverse cette province, qui est très riche, non seulement par la quantité de soie qu’elle produit, mais encore par ses mines de fer, d’étain, et de plomb ; par son ambre et par ses cannes à sucre, par ses excellentes pierres d’aimant, et ses pierres d’azur, qui sont d’un très beau bleu. Elle abonde en musc.

On y trouve quantité d’orangers et de citronniers ; des chevaux très recherchés, parce qu’ils sont petits, fort jolis, et très vifs ; des cerfs, des daims, des perdrix, des perroquets, et de ces poules, dont la laine est semblable à celle des brebis, qui sont fort petites, qui ont les pieds courts, et qui plaisent infiniment aux dames chinoises, lesquelles en élèvent par amusement. C’est de cette même province qu’on tire la meilleure rhubarbe, et la véritable racine de fou lin, qui renferme sous son écorce une chair blanche, spongieuse, et un peu gluante, dont les médecins font un grand usage dans leurs remèdes, et qu’ils font entrer presque dans toutes leurs recettes. On en trouve de sauvages dans les autres provinces, mais qui n’est pas si grande que la véritable, et qui a bien moins de vertu. Elle fournit pareillement une autre racine nommée fen se, qui est d’un plus grand prix, et par conséquent d’un usage moins commun.

Comme cette province est éloignée de la mer, il serait difficile d’y transporter du sel : la Providence y a pourvu ; on creuse des puits dans les montagnes, d’où l’on tire une eau salée : cette eau évaporée sur le feu, laisse du sel, mais qui ne sale pas si bien que celui de la mer.


Première ville, capitale de la province.
TCHING TOU FOU


C’était autrefois une des plus belles villes de l’empire ; mais ayant été ruinée en l’année 1646, aussi bien que toute la province, pendant les guerres civiles qui ont précédé le changement de la monarchie, elle n’a rien retenu de sa première splendeur. Elle ne laisse pas d’être très peuplée et très marchande ; son district est fort étendu : car six villes du second ordre, et vingt-cinq du troisième, relèvent de sa juridiction. Elle est toute coupée de canaux revêtus de pierres de taille qu’on y a conduits, et qui sont navigables.

On n’y voit pas un pouce de terre qui ne soit cultivé. Les campagnes sont arrosées de petits ruisseaux, qui s’y trouvent naturellement, ou qu’on y a fait couler par artifice. Parmi ses rivières il y en a une qui a la propriété de donner au velours qu’on y lave, un lustre et un éclat singulier ; il y en a une autre qui est fort estimée à cause de la trempe que ses eaux donnent au fer.

Son terroir est le seul de la province qui soit plein. Les canaux, dont il est coupé, reçoivent leurs eaux du Ta kiang, qui est là fort paisible, et plus lent que rapide. Mais quand toutes ces divisions étant réunies dans un même lit, et augmentées des eaux de la rivière Hin cha kiang, le fleuve coule de la province de Se tchuen dans celle de Hou quang, il devient très dangereux, tant par la rapidité de son cours, que par la rencontre des rochers, dont le pays est rempli.

Ce n’est que depuis Kin tcheou fou qu’on peut dire avec vérité, que le Ta kiang est le plus large, le plus profond, et le plus navigable des fleuves de la Chine. La largeur de son embouchure dans l’océan oriental, est presque de sept lieues : mais celle de son lit à Tching kiang fou même, la ville la plus voisine, bâtie exprès pour en défendre l’entrée, et où demeure un général tartare, n’a guère qu’une demie lieue de largeur. C’est ce que l’on a mesuré de la fameuse montagne Kin chan, qui est au milieu du fleuve, d’où l’on prit avec les instruments, des points déjà connus. Ce qui fait voir qu’en matière de distance, il ne faut presque point compter sur les bruits populaires : car quoique ce passage soit fort fréquenté, les mesures des Chinois n’en sont pas plus justes, et ils les ont fort exagérés.


PAO NING FOU. Seconde ville.


La situation de cette ville entre deux rivières quoique petites, la rendent assez belle, et également marchande, ses maisons sont bien bâties ; tout le pays qui en dépend, est comme couronné de montagnes, où l’on trouve beaucoup de cerfs et de daims. Il fournit du musc en abondance.

La plupart de ses montagnes ne sont pas désagréables à la vue. Les montagnes cultivées qui s’y trouvent, et les forêts dont elles sont couvertes ne présentent rien d’affreux. Elle compte dix villes sous sa juridiction, dont deux sont du second ordre et huit du troisième.


CHUN KING FOU. Troisième ville.


Cette ville qui est située sur une belle rivière, contient dans son ressort deux villes du second ordre, et sept du troisième. Elle est environnée de montagnes, dont quelques-unes sont toutes couvertes d’orangers. On y trouve encore plus de terres labourables, que dans le territoire de Pao ning dont je viens de parler.

On en retire beaucoup de soie, des oranges de toutes les sortes, de la racine de scorsonere, et une espèce de châtaignes agréables au goût. Du reste il n’y a rien de bien remarquable.


SU TCHEOU FOU. Quatrième ville.


La situation de cette ville sur les bords du fleuve Yang tse kiang la rend très marchande, et très célèbre, et lui donne communication avec la capitale, et avec plusieurs autres villes de la province. Le pays, nonobstant ses montagnes, n’en est pas moins fertile. Rien n’y manque de ce qui peut contribuer aux douceurs et aux commodités de la vie.

Presque partout la terre produit de ces espèces de roseaux que nous nommons bamboux, dont les Chinois font tant de différents ouvrages. Dix villes du troisième ordre relèvent sa juridiction.


TCHONG KING FOU. Cinquième ville.


C’est une des plus belles villes et des plus marchandes de la province, qui compte dans son ressort trois villes du second ordre et onze du troisième. Elle est au confluent de deux rivières remarquables, qui jointes ensemble facilitent son commerce avec toute la province. L’une se nomme Hin cha kiang ou sable d’or ; en venant de la province d’Yun nan elle ramasse toutes les eaux des montagnes, qui bornent la Tartarie limitrophe. L’autre qui vient encore de plus loin hors de la Chine, est proprement le Ta kiang, quoiqu’on l’appelle de divers noms suivant les lieux par où il passe. Mais après Yo tcheou fou, on la nomme constamment Ta kiang, ou Yang tse kiang.

Tchong king, est bâtie sur une montagne, où les maisons paraissent s’élever peu à peu en forme d’amphithéâtre ; tout le pays qui en dépend est d’une vaste étendue, et est mêlé de plaines et de montagnes. L’air y est sain et tempéré. On y fait de fort jolis coffres de cannes entrelacées qu’on peint de diverses couleurs. On pêche dans ses rivières d’excellents poissons. Les tortues surtout y sont fort estimées.


KOEI TCHEOU FOU. Sixième ville.


Comme cette ville, qui est située sur les bords du grande fleuve Yang tse kiang, se présente d’abord à l’entrée de la province, on y a établi un bureau ou l’on paie les droits des marchandises qu’on y apporte : le commerce la rend très opulente. Dix villes relèvent de sa juridiction, savoir une du second ordre, et neuf du troisième ordre. Quoique le pays soit rempli de montagnes, l’industrie des laboureurs chinois l’a rendu très fertile ; on n’y voit pas le moindre pouce de terre en friche. On y trouve encore beaucoup de musc, et quantité de ces puits dont on tire le sel ; les orangers et les citronniers y abondent. Dans les lieux les plus septentrionaux, les montagnes sont très rudes et de difficile accès ; elles sont habitées par des peuples très grossiers, si on les compare avec le commun des Chinois.


MA HOU FOU. Septième ville.


Cette ville qui est bâtie sur les bords de la rivière Kin cha kiang n’a qu’une seule ville du troisième ordre qui soit de sa dépendance. Son territoire quoique d’une très petite étendue, est bien arrosé et fertile. Quelques-unes de ses montagnes sont remplies de cerfs. Sa situation lui procure les avantages du commerce, dont il ne tient qu’à ses habitants de profiter.


LONG NGAN FOU. Huitième ville.


Quoique cette ville n’ait dans sa dépendance que trois villes du troisième ordre, elle a cependant toujours passé pour une des plus importantes de la province, dont elle est comme la clef. Aussi commande-t-elle à plusieurs forts, qui étaient autrefois plus nécessaires qu’ils ne le sont maintenant, pour défendre la province de l’invasion des Tartares. Le pays est mêlé de montagnes escarpées, et de vallées assez fertiles.


TSUN Y FOU. Neuvième ville.


Cette ville n’est considérable, que parce qu’elle est sur les confins de la province de Koei tcheou, dont elle peut défendre l’entrée de ce côté-là. Elle compte dans son ressort deux villes du second ordre et quatre du troisième. Tout le pays est fort montagneux ; il ne laisse pas d’être bien arrosé, et assez fertile en différents endroits.


TONG TCHUEN FOU. Dixième ville.


C’est une place militaire, de même que les villes de Ou mong tou fou et Tchin hiung tou fou. On les appelle ainsi, parce que les habitants sont de vieux soldats, qui de pères en fils sont engagés dans la profession des armes. Outre leur solde ils ont encore les terres qui sont proches de leurs villes. Ces troupes se licencient en temps de paix, et pour les récompenser, on les met en garnison dans toutes les frontières du royaume.

Outre ces villes du premier ordre, il y en a encore quelques autres, qui bien qu’elles ne soient que du second ordre, ont cela de particulier qu’elles ont un ressort d’où relèvent des villes du troisième ordre, et plusieurs forts ou places de guerre, telles que sont les suivantes.

Tong tchouen tcheou, dont le pays est arrosé de plusieurs rivières qui le fertilisent ; l’air y est très sain, les plaines et les montagnes y sont bien cultivées ; la terre y produit quantité de cannes dont on tire le meilleur sucre ; on y voit grand nombre de bourgades très peuplées.

Kia ting tcheou, dont le territoire arrosé de plusieurs rivières, fournit beaucoup de riz ; l’on y trouve le musc en abondance. Ya tcheou qui est la plus voisine du Thibet, et qui commande à plusieurs forts bâtis sur la frontière de cette province.