Description de la Chine (La Haye)/De la Province d’Yun nan

Scheuerleer (Tome Premierp. 247-253).


QUATORZIÈME PROVINCE
DE L'EMPIRE DE LA CHINE.

YUN NAN.


Cette province, une des plus riches de l’empire, a pour bornes les provinces de Se tchuen, de Koei tcheou, et de Quang si d’une part ; et de l’autre les terres du Thibet, des peuples sauvages peu connus, et les royaumes d’Ava, de Pegou, de Laos et de Tong king. Elle contient vingt-une villes du premier ordre, et cinquante-cinq, tant du second, que du troisième ordre. Elle est toute coupée de rivières, dont plusieurs tirent leur source des lacs considérables qui s’y trouvent, et qui la rendent très fertile.

Tout ce qui est nécessaire à la vie, s’y vend à bon compte. On tire des sommes considérables du seul or, qu’on amasse dans le sable des rivières et des torrents, qui descendent de quelques montagnes situées dans sa partie occidentale ; ce qui fait juger que les mines d’or y sont très abondantes, et produiraient des richesses immenses, s’il était permis de les ouvrir.

Outre les mines de cuivre ordinaire qu’on trouve aussi dans quelques autres provinces, on tire de celle-ci une espèce de cuivre singulier nommé pe tong : c’est un cuivre blanc, tant en dehors, qu’en dedans. Elle produit de l’ambre rouge, mais on n’y en trouve point de jaune ; enfin on en tire des rubis, des saphirs, des agates, des perles, des pierres précieuses, du musc, de la soie, du benjoin, une sorte d’encens qui est fort estimée, des pierres d’azur, et de fort beau marbre.

On y voit de ce marbre peint naturellement de diverses couleurs, qui représente des montagnes, des fleurs, des arbres et des rivières, dont on fait des tables et d’autres ornements. Il y en a qui croient que les rubis, et les autres pierres précieuses, y sont apportées du royaume d’Ava.

Parmi les animaux, on y voit d’excellents chevaux, la plupart de basse taille, mais forts et vigoureux ; des cerfs d’une espèce particulière, qui ne sont ni plus grands, ni plus gros, que nos chiens ordinaires : les seigneurs en nourrissent dans leurs jardins pour leur divertissement. On y trouve aussi de ces oiseaux appelés Kin ki, ou poules d’or, dont j’ai fait ailleurs la description. Les peuples y ont beaucoup de force et de courage ; d’ailleurs ils ont l’esprit doux, affable, et propre aux sciences.


Première ville, capitale de la province.
YUN NAN FOU


Cette ville n’a point de rivière navigable ; elle est bâtie sur le bord d’un lac large et profond, ou si l’on veut parler le langage de la province, au bord de la mer méridionale. Il n’y a pas bien des années qu’elle était remarquable par sa beauté : son enceinte d’une lieue était pleine de beaux édifices, ses dehors ornés de jardins agréables ; on y en voit encore deux ou trois.

Un prince chinois y tenait autrefois sa cour ; les Tartares, qui alors se rendaient les maîtres de la Chine, lui en avaient donné l’investiture avec le titre de roi ; mais ce prince s’étant lassé du joug, et ayant pris les armes contre l’empereur en l’année 1679, sa famille fut ruinée, et peu après étant mort de vieillesse, ses troupes furent tout à fait dissipées.

Le commerce des métaux y est plus grand que dans aucune autre province. On y fait une espèce d’étoffe particulière, qu’on nomme tong hai touan tse, c’est-à-dire, satin de la mer orientale, sans qu’on puisse expliquer l’origine de ce nom. Quoiqu’il en soit, cette étoffe est épaisse, et faite de fils de soie retorse ; elle est sans fleurs, et nullement lustrée ; on la teint en toutes sortes de couleurs, comme le touan tse, ou satin ordinaire, mais elle est sans éclat et sans vivacité. On y fait aussi de beaux tapis.

Après tout la ville d’Yun nan, dans l’état où elle est, a encore plus de réputation que d’abondance ; les boutiques sont assez mal garnies, les marchands peu riches, les bâtiments médiocres, le concours du monde n’y est pas même fort grand, si on le compare à celui qu’on voit dans la plupart des autres capitales de province.

C’est dans cette ville que réside le tsong tou ou gouverneur général des provinces d’Yun nan et de Koei tcheou, de même que le viceroi de la province. Elle compte dans sa juridiction quatre villes du second ordre, et sept du troisième.

Tout le pays est agréable et fertile : le terrain s’élève de toutes parts


en petites collines, ou bien il s’étend en larges campagnes. Ses eaux sont très bonnes, le climat y est tempéré, et les canaux qu’on y a conduits, facilitent l’entrée des vaisseaux.

Les habitants y ont de l’esprit et de la valeur. Leurs emplois de tout temps se partageaient entre l’exercice des armes, et l’agriculture. Les chevaux qui y naissent sont petits, mais hardis et vigoureux. On en tire de la pierre d’azur, et de beau marbre. On y trouve de ces arbres qu’on a nommé bois de rose.


TA LI FOU. Seconde ville.


C’est, ainsi que la capitale, sur les bords d’un lac qui est fort long, et abondant en toutes sortes de poissons, qu’est placée cette ville ; elle est grande et fort peuplée ; le climat y est doux, et tout le terroir fertile. Le séjour en est très agréable.

C’est là principalement qu’on travaille à ces belles tables, et aux autres ornements qui se font d’un fort beau marbre, qu’on tire d’une montagne appelée Tien sung, et qui est varié naturellement de tant de différentes couleurs, qu’on croirait que c’est la main d’un peintre habile qui y a représenté des montagnes, des fleurs, des arbres, et des rivières.

Ta li n’a sous sa juridiction que quatre villes du second ordre, et trois du troisième.


LING NGAN FOU. Troisième ville.


Tout le pays qui dépend de cette ville, et qui consiste en quatre villes du second ordre, et cinq du troisième, est ou plaines, ou coteaux, et montagnes, dont l’aspect n’a rien de désagréable. Il est arrosé par deux assez grands lacs, et par plusieurs rivières qui le rendent fertile, surtout en riz et en froment. Il produit aussi du miel et de la cire en quantité, et la plupart des fruits qui se trouvent dans les Indes.


TCHOU HIUNG FOU. Quatrième ville.


Cette ville est placée au cœur de la province, dans un fort beau pays arrosé de plusieurs rivières, et enfermé de toutes parts de belles montagnes, qui lui servent comme de rempart. L’air y est sain, et la terre y produit toutes sortes de grains en abondance : on y trouve aussi quantité de bons pâturages.

On tire de ces montagnes de la pierre d’azur, et de fort beau vert. On trouverait dans quelques-unes des mines d’argent, si on les ouvrait. Elle n’a dans sa dépendance que deux villes du second ordre.


TCHIN KIANG FOU. Cinquième ville.


Il n’y a guère de situation plus agréable que celle de cette ville : elle est bâtie sur les bords d’un grand lac qui la borne d’un côté, et dans une plaine environnée de montagnes, qui sont à une distance propre à lui donner beaucoup d’agrément. Son district n’est pas de grande étendue, car il ne contient que deux villes du second ordre, et deux du troisième ; mais il est arrosé de lacs et de rivières qui le fertilisent. On y pêche d’excellents poissons, et en abondance. Ses habitants travaillent à des tapis de coton qui sont fort estimés.


KING TONG FOU. Sixième ville.


Le pays où est située cette ville, est rempli de hautes et larges montagnes, où l’on prétend qu’il y a des mines d’argent ; il est fort abondant en riz ; les vallées sont bien arrosées de ruisseaux et de rivières. Quoiqu’elle ait le rang de fou elle n’a aucune autre ville dans sa dépendance. A son occident se trouve un de ces ponts que j’ai décrit ailleurs, qui sont appuyés sur des chaînes de fer. La vue des précipices, et l’agitation du pont, lorsque plusieurs personnes y passent ensemble, ne manquent pas d’effrayer ceux qui y marchent pour la première fois.


QUANG NAN FOU. Septième ville.


Cette ville, ainsi que la précédente, n’en a aucune autre sous sa juridiction : elle est sur les confins de la province de Koei tcheou, et comme séparée du reste de la province par d’affreuses montagnes ; son terroir n’en est pas moins fertile, mais ses habitants sont regardés des Chinois comme des barbares, à cause de la grossièreté de leurs mœurs.


QUANG SI FOU. Huitième ville.


C’est dans une petite plaine, et au bord d’un lac que cette ville est située ; elle est toute environnée de montagnes, et n’a dans sa dépendance que deux villes du troisième ordre. Il n’y a rien de particulier qui mérite d’être remarqué.


CHUN NING FOU. Neuvième ville.


C’est une très petite ville, qui n’a qu’une demie-lieue de circuit : elle est environnée de montagnes, et l’on n’y saurait aborder que par des vallées fort étroites Le terroir est presque partout stérile, et les peuples se ressentent pour le génie et les mœurs d’un climat aussi rude que celui qu’ils habitent.


KU TSING FOU. Dixième ville.


Quoique cette ville soit entourée de montagnes, le pays où elle est située, ne laisse pas d’être assez fertile. Elle commande à cinq villes du second ordre, et à deux du troisième. Les peuples, qui les habitent, sont très laborieux, et ne laissent pas un pouce de terre inutile, mais ils sont tellement amateurs de la chicane et des procès, qu’ils consument la meilleure partie de leurs biens dans les procédures judiciaires.


YAO NGAN FOU. Onzième ville.


Le territoire de cette ville est assez considérable, quoiqu’elle n’ait dans sa dépendance que deux villes, l’une du second, et l’autre du troisième ordre. Il est mêlé de montagnes couvertes de belles forêts et de vallées fertiles. Il fournit du musc en abondance.

Assez près de la ville il y a un puits d’eau salée, dont on fait du sel très blanc. Les peuples qui habitent ce pays, sont d’un tempérament robuste, et naturellement belliqueux.


KO KING FOU. Douzième ville.


Cette ville, qui est environnée de montagnes, n’a dans son district qu’une seule ville du second ordre située sur les bords d’un lac, qui a six lieues de tour. Ses peuples ont du courage et de la valeur : ils marchent d’ordinaire armés d’arcs et de flèches. Le pays produit du musc, et des pommes de pin. On y fabrique de fort beaux tapis. On prétend qu’il y a des mines d’or dans ses montagnes, qui confinent avec le pays des Si fan ou terres des lamas.


VOU TING FOU. Treizième ville.


C’est sur les confins de la province de Se tchuen qu’est située cette ville, dans un pays gras et fertile, arrosé de ruisseaux et de rivières, qui y portent l’abondance. Il y a une garnison assez considérable, pour défendre cette contrée des incursions, que pourraient faire les montagnards du voisinage.

La terre y est bien cultivée, et ses abondants pâturages y nourrissent quantité de bêtes à laine. On en retire aussi beaucoup de musc.

Il y a des montagnes si raides, si escarpées, et dont le passage est si étroit, qu’un homme seul peut y grimper. Les habitants s’y retirent en temps de guerre, comme dans un asile inaccessible. Elle n’a dans son ressort que deux villes du second ordre, et une du troisième.


LI KIANG TOU FOU. Quatorzième ville.


On prétend que les habitants de cette ville, et des terres qui en dépendent, sortent de ces anciennes colonies de Chinois qui y sont venus demeurer. Il n’y a aucune ville dans son ressort, et elle est entourée de montagnes qui la séparent des terres des lamas. On ne doute point qu’il n’y ait des mines d’or dans ces montagnes. Tout le pays est bien arrosé, et la terre fertile. On y trouve de l’ambre et des pommes de pin.


YUEN KIANG FOU. Quinzième ville.


C’est une ville bâtie sur une assez grosse rivière qu’on nomme Ho li kiang ; elle est sans juridiction, n’ayant aucune ville dans sa dépendance : le pays est mêlé de montagnes, et de plaines arrosées de plusieurs rivières. Il fournit de la soie en abondance ; il produit quantité de bois d’ébène, de palmiers, et d’areca, que ces peuples mâchent avec la feuille de bétel. On y trouve aussi des paons en quantité.


MONG HOA FOU. Seizième ville.


C’est encore une de ces villes qui n’en a point d’autres dans sa dépendance ; de hautes montagnes l’environnent. Ce qu’elle a de particulier, c’est qu’il n’y a point de contrée dans tout l’empire, dont on tire une si grande quantité de musc.


YUNG TCHANG FOU. Dix-septième ville.


C’est une ville assez grande et peuplée : elle a été bâtie, comme la précédente, au milieu des montagnes : elle est presque à une des extrémités de la province, et dans le voisinage des peuples sauvages, et peu connus.

Le génie et les mœurs de ses habitants se ressentent de ce voisinage. Le pays fournit de l’or, du miel, de la cire, de l’ambre, et quantité de belle soie. Une ville du second ordre, et deux du troisième, dépendent de sa juridiction.


YUNG NING TOU FOU. Dix-huitième ville.


C’est à l’extrémité de la province qu’est bâtie cette ville : elle touche presque aux terres des lamas. A son orient elle a un beau lac, où l’on voit quatre petites îles, qui en s’élevant, forment des coteaux fort agréables. Nulle autre ville ne dépend de sa juridiction.

On y trouve, de même que dans le Thibet, quantité d’une espèce de vaches, dont la queue s’emploie à divers usages. On en fait des étoffes à l’épreuve de la pluie, et des tapis qui sont estimés. Les officiers chinois s’en servent aussi pour embellir et orner leurs étendards, et leurs casques.


TUNG TE FOU. Dix-neuvième ville.


Cette ville est située au milieu des montagnes dont elle est environnée ; son territoire n’en est pas moins fertile, et l’on y voit de grandes plaines arrosées, partie par un assez beau lac, partie par divers ruisseaux, et d’assez grosses rivières. Elle n’a aucune ville dans son ressort.


CAI HOA FOU. Vingtième ville.


Cette ville n’est considérable, que parce qu’elle confine avec le royaume de Tong king, et qu’elle est de ce côté-là une des clefs de la province. Elle est bâtie dans un pays mêlé de vallées fertiles et de hautes montagnes. Elle n’a point de juridiction, et il n’y a aucune ville qui soit de sa dépendance.


SAN TA FOU. Vingt-unième ville.


Cette dernière ville, qui confine avec le royaume d’Ava est proprement une ville de guerre, pour servir de défense à cette frontière. Tout le pays est rempli de montagnes, qui lui servent de rempart. Les vallées y sont arrosées de rivières qui fertilisent les terres.