Description de la Chine (La Haye)/De l’Éléphant

Scheuerlee (3p. 595-598).



DE L’ÉLÉPHANT



Chi tchin dit : On trouve des éléphants dans les royaumes de Tong king et de la Cochinchine, dans les provinces de Quang si et d’Yun nan. On voit des troupeaux d’éléphants sauvages dans les pays occidentaux. Leurs rois les montent, après les avoir fait harnacher magnifiquement.

Il y en a de deux couleurs ; savoir de gris cendré, et de blancs : leur corps est lourd et massif : ils sont extrêmement laids ; ils ont des yeux de cochon, leurs quatre pieds ressemblent à autant de colonnes : quand ils dorment, ils plient les jambes de devant, les appuyant à terre : ils ne peuvent baisser la tête, ni tourner le col : ils ont les oreilles retirées en arrière, et serrées.

Leur trompe est aussi longue que les jambes de devant, et descend jusqu’à terre. Elle est creuse et profonde ; elle peut s’ouvrir et se fermer : il y a de petites caroncules en forme de pinces, qui ramassent à terre les moindres choses, une aiguille, par exemple, et un grain de moutarde. Ils se servent de cette trompe pour boire, et pour manger, en la repliant, et la portant à la bouche.

Toute la force de cet animal est réunie dans sa trompe : s’il est blessé dans cette partie, il faut qu’il meure. Derrière l’oreille il a un trou couvert d’une peau, qui n’est pas plus épaisse que la peau d’un tambour. Sa mort est pareillement certaine, si on le pique en cet endroit.

Des deux coins de sa bouche, il sort deux grandes dents entre lesquelles sa trompe est placée : le mâle a ces dents de six à sept pieds de longueur : elles n’ont guère plus d’un pied dans la femelle. Il mange de l’herbe, des pois, des cannes de sucre, et boit du vin. Il craint la fumée, le feu, le lion, et une espèce de serpent nommé pa.

Les peuples méridionaux tuent les éléphants : ils se servent de fosses et de machines pour les y faire tomber, ou bien ils enterrent sur leur chemin une espèce de piège, nommé chaussure d’éléphant, qui les saisit par les pieds. Si l’on veut les prendre vifs, on se sert de femelles, pour les attirer dans le piège qu’on leur dresse.

Quand durant quelque temps on a nourri et apprivoisé l’éléphant, il devient docile, et obéit à son conducteur, qui le gouverne avec un croc de fer, par le moyen duquel il le fait avancer ou reculer, tourner à droite ou à gauche, et cet animal ne manque à rien de ce qu’on lui ordonne.


De la chair d’éléphant.
Ses qualités et ses effets.


La chair de l’éléphant est douce, fade, et tempérée, sans aucune qualité nuisible. Quand on l’a brûlée, et qu’on a mêlé les cendres avec de l’huile, on en frotte la tête aux teigneux, et on les guérit.

Si on la fait cuire sans assaisonnement lorsqu’elle est fraîche, et qu’on en prenne le bouillon, elle guérit la dysurie. Lorsqu’après l’avoir brûlée, et réduite en cendres, on la prend dans quelque liqueur, elle arrête le flux d’urine : elle contracte alors les qualités du feu, et de diaphorétique elle devient astringente.


Du fiel de l’éléphant.
Manière de le préparer ; ses qualités, et ses effets.


Kio dit : Toutes les fois qu’on veut l’employer, il faut prendre garde qu’il ne soit pas mêlé. Le fiel d’éléphant, quand il est desséché, est rayé et moucheté comme le bambou vert : il est uni, gras, et brillant. Lorsqu’on veut le faire entrer dans quelque composition, il faut auparavant le réduire en poudre fine, en le pilant dans le mortier, pour le mêler ensuite avec les autres drogues.

Il est amer, froid, et tant soit peu nuisible.

Il éclaircit la vue, il guérit l’hydropisie tympanite des enfants, les tumeurs et les enflures où il y a de la matière : pour cela il faut le faire dissoudre dans l’eau, et en frotter les parties mal affectées.

Si l’on en enferme une certaine quantité dans du coton, qu’on l’applique sur les gencives, et qu’ensuite on se rince la bouche tous les matins, il ôte la mauvaise haleine, en peu de mois on se trouvera délivré de cette incommodité.

Pour guérir les tayes qui ressemblent à un croissant renversé, ou à une fleur de jujubier, prenez une demie once de fiel d’éléphant, sept fiels de carpes, la dixième partie d’une drachme de fiel doux, une demie once de fiel de bœuf, la dixième partie d’une drachme de musc, une once de poudre de che kiue min (c’est une espèce d’écaille d’huîtres) ; de tous ces ingrédients que vous mêlerez avec de la bouillie, faites des pilules de la grosseur d’un pois ; la prise est de dix pilules, que vous mettrez dans du thé, et que vous prendrez deux fois chaque jour.


Des yeux d’éléphant.
Leurs effets.


Quand on les mêle avec du lait de femme, et qu’on fait tomber la liqueur goutte à goutte dans les yeux, c’est un remède souverain contre la maladie des yeux.


De la peau d’éléphant.
Ses effets.


Chi tchin dit : La chair d’éléphant est massive et bouffie, les blessures qu’elle reçoit d’une hache, ou de quelque arme que ce soit, se referment en moins d’un jour : c’est pourquoi on se sert de la cendre de sa peau, pour guérir les plaies qui ont de la peine à se refermer.

C’est un remède souverain pour l’hydropisie tympanite des enfants. Il faut pour cela la réduire en cendres, et l’ayant mêlée avec de l’huile, en frotter la partie mal affectée.


Des os d’éléphant.
Leurs effets.


C’est un antidote contre les poisons. Un petit os, qui est en travers au-devant de la poitrine de cet animal, étant réduit en cendres, et pris dans du vin, rend le corps plus léger, l’aide à se soutenir sur l’eau, et à mieux nager.

Prenez quatre onces d’os d’éléphant, rôtis à sec dans un poêlon, une once de yo teou keou[1], rôti sur la braise, et autant d’écorce de tche rôtie à sec dans le poêlon, avec deux onces de réglisse, et une demie once de gingembre sec et rôti, pulvérisez le tout, mettez-en trois drachmes pour chaque prise dans un demi-septier d’eau, que vous ferez cuire jusqu’a la consomption de la cinquième partie ; prenez trois fois le jour ce bouillon chaud, avant le repas, c’est un remède qui guérit les faiblesses et épuisements de l’estomac et de la rate, les indigestions, les rapports aigres, les vomissements après avoir mangé, le colera morbus, la dysenterie, les douleurs de ventre dans la région ombilicale, et le ténesme.


De l’ivoire.


Il y a de trois sortes d’ivoire, celui qu’on tire de l’éléphant après qu’on l’a tué, et c’est le meilleur ; celui qu’on en tire lorsqu’il est mort de sa mort naturelle, et c’est le moins bon : enfin celui qui est tombé de lui-même, et qu’on trouve après plusieurs années dans les montagnes, et celui-là est de beaucoup inférieur aux deux autres espèces.

Ses qualités et ses effets.

Pour la dysurie, quand elle est accompagnée d’enflure et de tension, faites bouillir de l’ivoire cru, et prenez-en la liqueur.

Pour le flux d’urine, brûlez de l’ivoire, et après l’avoir réduit en cendres, prenez-en dans quelque liqueur. Pour le mal caduc, faites rôtir de la raclure des dents du dedans de la bouche de l’éléphant, et lorsqu’elle est roussie, broyez-la, et prenez-la dans quelque chose de liquide.


  1. C’est une espèce de cardamine.