Des théorèmes mécaniques (trad. Reinach)/Théorème II

Traduction par Théodore Reinach.
Texte établi par Théodore ReinachArmand Colin (p. 32-37).


(Théorème II).

1o Toute sphère est quadruple du cône qui a une base égale à un grand cercle[1] et une hauteur égale au rayon de la sphère ;

2o Le cylindre ayant une base égale à un grand cercle et une hauteur égale à un diamètre de la sphère équivaut aux 3/2 du volume de celle-ci.

Soit ΑΒΓΔ (fig. 3) un grand cercle de la sphère, ΑΓ, ΒΔ deux diamètres perpendiculaires ; par ΒΔ on mène un grand cercle de plan perpendiculaire à Figure 3 : Calcul du volume de la sphère par la méthode mécanique.
Fig. 3.
ΑΒΓΔ et on prend ce cercle pour base d’un cône ayant son sommet en Α.

Prolongeons maintenant la nappe du cône jusqu’à sa rencontre avec le plan mené par Γ parallèlement à sa base : l’intersection sera un cercle de diamètre ΕΖ, perpendiculaire à ΑΓ. Sur ce cercle, avec l’axe ΑΓ, construisons le cylindre ΕΛΗΖ. Enfin prolongeons ΑΓ d’une longueur ΑΘ = ΑΓ et considérons ΓΘ comme un levier ayant pour milieu fixe Α.

Menons une parallèle quelconque ΜΝ à ΒΔ, qui coupe le cercle ΑΒΓΔ en Ξ, Ο, le diamètre ΑΓ en Ζ, les droites ΑΕ, ΑΖ en Π, Ρ. Si, par cette droite ΜΝ, on mène un plan perpendiculaire à ΑΓ, il coupera le grand cylindre suivant le cercle ΜΝ, la sphère suivant le cercle ΞΟ, le grand cône ΑΕΖ suivant le cercle ΠΡ. On a (par identité) :

ΓΑ × ΑΣ = ΜΣ × ΣΠ,

puisque ΓΑ = ΜΣ et ΑΣ = ΣΠ. Mais (dans le triangle rectangle ΑΞΓ) on a :

ΑΞ² = ΓΑ × ΑΣ.

Donc aussi :

ΜΣ × ΣΠ = ΑΞ² [= ΞΣ² + ΑΣ²] = ΞΣ² + ΣΠ².

D’autre part, on a (toujours par identité) :

ΓΑ/ΑΣ = ΜΣ/ΣΠ.

Remplaçant ΓΑ par son égal ΑΘ et multipliant les deux termes du second membre par ΜΖ, on a :

ΑΘ/ΑΣ = ΜΣ²/ΜΣ × ΣΠ,

ou, en substituant la valeur de ΜΣ × ΣΠ trouvée ci-dessus :

ΑΘ/ΑΣ = ΜΣ²/ΞΣ² + ΣΠ² = ΜΝ²/ΞΟ² + ΠΡ².

(Les aires des cercles étant proportionnelles aux carrés de leurs rayons ou diamètres, cette égalité peut s’écrire :)

cercle ΜΝ/cercle ΟΞ + cercle ΠΡ = ΑΘ/ΑΣ.

Donc, si l’on suspend au centre de gravité Θ les deux cercles ΟΞ, ΠΡ déterminés par le plan parallèle dans la sphère et le cône, ils feront équilibre, par rapport au point fixe Α, au cercle ΜΝ déterminé dans le grand cylindre et resté en place (puisque les aires pesantes sont inversement proportionnelles aux distances des centres de gravité au point fixe).

On démontrerait de même que, pour toute autre parallèle à ΕΖ menée à l’intérieur du rectangle ΛΖ, et par laquelle on mène un plan perpendiculaire à ΑΓ, le cercle déterminé dans le cylindre équilibre, par rapport au point Α, les cercles déterminés dans le cône ΑΕΖ et dans la sphère, supposés transportés au centre de gravité commun Θ.

La somme des cercles déterminés représente les volumes respectifs du cylindre, du cône ΑΕΖ et de la sphère qu’ils remplissent entièrement. Donc le cylindre, resté en place, équilibre, par rapport à Α, les deux autres solides transportés au centre de gravité commun Θ. Le cylindre a pour centre de gravité Κ (milieu de l’axe et centre de la sphère) ; la relation d’équilibre donne :

cylindre ΛΖ/cône ΑΕΖ + sphère = ΑΘ/ΑΚ = 2.

En d’autres termes :

cylindre ΛΖ = 2 (cône ΑΕΖ + sphère).

Mais le cylindre ΛΖ vaut trois fois le cône ΑΕΖ, donc :

3 cônes ΑΕΖ = 2 cônes ΑΕΖ + 2 sphères.

ou :

cône ΑΕΖ = 2 sphères Κ.

Comme le cône ΑΕΖ à rayon et hauteur doubles de ceux du cône ΑΒΔ, il vaut 8 fois ce dernier cône ; on peut donc écrire

8 cônes ΑΒΔ = 2 sphères Κ,

c’est-à-dire :

sphère Κ = 4 cônes ΑΒΔ.

Menons maintenant dans le rectangle ΛΖ les parallèles ΦΒΧ, ΨΔΩ à ΑΓ et considérons les cylindres ΦΨΩΧ, ΦΨΔΒ. Le cylindre ΦΩ vaut 2 fois le cylindre ΦΔ, et ce dernier cylindre vaut 3 fois le cône ΑΒΔ, comme on l’a vu dans les Éléments[2]. Donc :

cylindre ΦΩ = 6 cônes ΑΒΔ.

Rapprochant cette égalité de la précédente, il vient :

cylindre ΦΩ/sphère Κ = 6 cônes ΑΒΔ/4 cônes ΑΒΔ = 3/2. C. q. f. d.

Remarque. [De] ce théorème, par lequel on a établi que toute sphère vaut 4 fois le cône qui a pour base un grand cercle et pour hauteur un rayon de la sphère, [m’est venue] l’idée que la surface d’une sphère vaut quatre grands cercles. C’est en effet une hypothèse vraisemblable que, de même que tout cercle équivaut à un triangle ayant pour base la circonférence et pour hauteur le rayon, ainsi toute sphère équivaut (en volume) à un cône ayant pour base la surface de la sphère et pour hauteur le rayon[3].


  1. Archimède dit : « Le plus grand cercle de la sphère ».
  2. Euclide, XII, 10.
  3. Soit S la surface, V le volume de la sphère, R le rayon, C un grand cercle, notre théorème peut s’écrire :

    (1)

    V = 4 × C.R/3.

    D’après l’hypothèse, V = S × R/3. Substituant dans (1), il vient :

    S × R/3 = 4 × C.R/3,

    c’est-à-dire S = 4 C.

    Il faut ajouter que le texte est incertain et qu’on pourrait traduire inversement : « L’idée de ce théorème… est née de ce que la surface d’une sphère vaut 4 grands cercles ». En effet, dans le Traité De la sphère et du cylindre I, Archimède commence par établir longuement que l’aire de la sphère vaut 4 grands cercles (§ 33 = I, p. 137, Heib.), et de là il déduit (§ 34) le théorème que le volume de la sphère vaut 4 fois le cône ΑΒΔ. Pourtant Heiberg croit et je crois avec lui que la pensée d’Archimède a bien suivi l’ordre indiqué au texte.