Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XVII

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 141-144).

CHAPITRE XVII.

DU BANNISSEMENT ET DES CONFISCATIONS.


Celui qui trouble la tranquillité publique, qui n’obéit point aux lois, qui viole les conditions sous lesquelles les hommes se soutiennent et se défendent mutuellement, celui-là doit être exclu de la société, c’est-à-dire, banni.

Il me semble qu’on pourrait bannir ceux qui, accusés d’un crime atroce, sont soupçonnés coupables avec la plus grande vraisemblance, mais sans être pleinement convaincus du crime.

Dans des cas pareils, il faudrait qu’une loi, la moins arbitraire et la plus précise qu’il serait possible, condamnât au bannissement celui qui aurait mis la nation dans la fatale alternative, ou de faire une injustice, ou de redouter un accusé. Il faudrait aussi que cette loi laissât au banni le droit sacré de pouvoir à tout instant prouver son innocence et rentrer dans ses droits. Il faudrait enfin des raisons plus fortes pour bannir un citoyen accusé pour la première fois, que pour condamner à cette peine un étranger ou un homme qui aurait déjà été appelé en justice.

Mais celui que l’on bannit, que l’on exclut pour toujours de la société dont il faisait partie, doit-il être en même temps privé de ses biens ? Cette question peut être envisagée sous différens aspects.

La perte des biens est une peine plus grande que celle du bannissement. Il doit donc y avoir des cas où, pour proportionner la peine au crime, on confisquera tous les biens du banni. Dans d’autres circonstances, on ne le dépouillera que d’une partie de sa fortune ; et pour certains délita, le bannissement ne sera accompagné d’aucune confiscation. Le coupable pourra perdre tous ses biens, si la loi qui prononce son bannissement déclare rompus tous les liens qui l’attachaient à la société ; car dès lors le citoyen est mort, il ne reste que l’homme ; et devant la société, la mort politique d’un citoyen doit avoir les mêmes suites que la mort naturelle.

D’après cette maxime, dira-t-on peut-être, il est évident que les biens du coupable devraient revenir à ses héritiers légitimes, et non au prince ; mais ce n’est pas là-dessus que je m’appuierai pour désapprouver les confiscations.

Si quelques jurisconsultes ont soutenu qu’elles mettaient un frein aux vengeances des particuliers bannis, en leur ôtant la puissance de nuire, ils n’ont pas réfléchi qu’il ne suffit pas qu’une peine produise quelque bien pour être juste. Une peine n’est juste qu’autant qu’elle est nécessaire. Un législateur n’autorisera jamais une injustice utile, s’il veut prévenir les invasions de la tyrannie, qui veille sans cesse, qui séduit et abuse par le prétexte trompeur de quelques avantages momentanés, et qui fait languir, dans les larmes et dans la misère, un peuple dont elle prépare la ruine, pour répandre l’abondance et le bonheur sur un petit nombre d’hommes privilégiés.

L’usage des confiscations met continuellement à prix la tête du malheureux sans défense, et fait souffrir à l’innocent les châtimens réservés aux coupables. Bien plus, les confiscations peuvent faire de l’homme de bien un criminel, car elles le poussent au crime, en le réduisant à l’indigence et au désespoir.

Et d’ailleurs, quel spectacle plus affreux que celui d’une famille entière accablée d’infamie, plongée dans les horreurs de la misère pour le crime de son chef, crime que cette famille, soumise à l’autorité du coupable, n’aurait pu prévenir, quand même elle en aurait eu les moyens[1].


  1. Confiscations pour crimes : atrocité, encouragement aux juges à trouver des coupables, sur-tout a cette foule avide et pauvre de juges subalternes.

    Autre atrocité : c’est que s’il arrive que l’homme soit innocent, il a été détenu dans les prisons ; son crédit et sa fortune sont perdus, son commerce dérangé. Quelquefois il a été brisé par la question ; sa santé est altérée, et il est renvoyé sans indemnité. La loi prend tout au coupable, et ne restitue rien à l’innocent. On est trop heureux de lui échapper. (Note inédite de Diderot.)