Calmann-Lévy, éditeurs (p. 188-189).


1er juillet.

Toutes les femmes ce soir montent aux terrasses ; un recueillement insolite plane au-dessus de leur assemblée… Elles ne bavardent point ni ne s’attardent en escalades pour rejoindre les voisines. Droites et graves, tournées vers l’Occident, elles inspectent le ciel où vacille un dernier reflet. Elles ne savent point qu’il est mauve, d’une nuance incertaine et délicieuse faite de tous les roses du couchant fondus en l’azur du jour, mais seulement qu’il y doit paraître le signe des temps attendus.

Tout à coup une rumeur s’élève de la ville ; les discordants hautbois ont déchiré le crépuscule et dominent la cantilène des muezzins… Les femmes y répondent par des yous-yous suraigus ; les enfants courent en criant l’heureuse nouvelle, les passants se la confirment d’un air ravi : la première lime du Ramadan est apparue !

Quelle joie ! Tous les cœurs sont en liesse, excités par la perspective des jours inhabituels, qui ne seront point comme les autres jours, qui rompront le cours monotone de la vie ! Pourtant ce seront des jours si cruels et trop longs en cette saison d’été, où, depuis la naissance de l’aube jusqu’à l’agonie dorée du moghreb, toutes les abstinences mortifieront les serviteurs d’Allah : abstinence de nourriture, de boisson, de tabac, abstinence d’amour… Mais ils débutent par une fête.

Chacun s’affaire pour le premier repas nocturne, et, bien qu’il fût prévu depuis longtemps et même préparé, la foule se presse autour des marchands. Une odeur de friture domine tous les relents des souks, les saucisses rissolent, les beignets s’entassent ; les petites lampes à huile, allumées au fond des échoppes, révèlent l’amoncellement des victuailles. De bons bourgeois, dignes et blancs, promènent les melons et les figues précoces qu’ils viennent d’acheter.

Voici les nuits sans sommeil, les souffrances du jeûne, l’épuisement, la soif torturante… Nul n’y songe,

La brûlante harira fume dans toutes les demeures.

Gloire à Dieu ! Monseigneur Ramadan est arrivé !