Depuis l’Exil Tome VI Notes Procès-verbal de l’élection du Délégué aux élections sénatoriales




NOTE III.

PROCÈS-VERBAL DE L’ÉLECTION DU DÉLÉGUÉ
AUX ÉLECTIONS SÉNATORIALES


conseil municipal de paris
Séance du dimanche 16 janvier 1876.
(Exécution de la loi du 2 août 1875, sur les élections sénatoriales.)

L’an mil huit cent soixante-seize, le seize janvier, à une heure et demie de relevée, le conseil municipal de la ville de Paris s’est réuni dans le lieu ordinaire de ses séances, sous la présidence de M. Clémenceau, MM. Delzant et Sigismond Lacroix étant secrétaires.

M. le préfet de la Seine a donné lecture :

1o. De la loi constitutionnelle du 24 février 1875 sur l’organisation du sénat ;

2o. De la loi organique du 2 août 1875 sur l’élection des sénateurs ;

3o. De la loi du 30 décembre 1875 fixant à ce jour l’élection des délégués des conseils municipaux ;

4o. Du décret du 3 janvier 1876 convoquant les conseils municipaux et fixant la durée du scrutin.

Élection du délégué

Il a ensuite invité le conseil à procéder, sans débat, au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages, à l’élection d’un délégué.

Chaque conseiller municipal, a l’appel de son nom, a écrit son bulletin de vote sur papier blanc et l’a remis au président.

Le dépouillement du vote a commencé à 2 heures et demie. Il a donné les résultats ci-après :

Nombre de bulletins trouvés dans l’urne 
 73
À déduire, bulletin blanc 
 1

Reste pour le nombre des suffrages exprimés 
 72
Majorité absolue 
 37

Ont obtenu :

MM.  
Victor Hugo 
 53 voix.
  
Mignet 
 7         
  
Gouin…  
 7         
  
Dehaynin 
 1         
  
Raspail père 
 1         
  
Naquet 
 1         
  
De Freycinet 
 1         
  
Malarmet 
 1         

M. Victor Hugo, ayant obtenu la majorité absolue, a été proclamé délégué.


Le soir de ce jour, M. Clémenceau, président du conseil municipal de Paris, accompagné de plusieurs de ses collègues, s’est présenté chez M. Victor Hugo.

Il a dit à M. Victor Hugo :

Mon cher et illustre concitoyen,

Mes collègues m’ont chargé de vous faire connaître que le conseil municipal vous a élu aujourd’hui, entre tous nos concitoyens, pour représenter notre Paris, notre cher et grand Paris, dans le collège sénatorial du département de la Seine.

C’est un grand honneur pour moi que cette mission. Permettez-moi de m’en acquitter sans phrases.

Le conseil municipal de la première commune de France, de la commune française par excellence, avait le devoir de choisir, pour représenter cette laborieuse démocratie parisienne qui est le sang et la chair de la démocratie française, un homme dont la vie fût une vie de travail et de lutte, et qui fût en même temps, s’il se pouvait rencontrer, la plus haute expression du génie de la France.

Il vous a choisi, mon cher et illustre concitoyen, vous qui parlez de Paris au monde, vous qui avez dit ses luttes, ses malheurs, ses espérances ; vous qui le connaissez et qui l’aimez ; vous enfin qui, pendant vingt ans d’abaissement et de honte, vous êtes dressé inexorable devant le crime triomphant ; vous qui avez fait taire l’odieuse clameur des louanges prostituées pour faire entendre au monde

La voix qui dit : Malheur, la bouche qui dit : Non !

Hélas ! le malheur que vous prédisiez est venu. Il est venu trop prompt, et surtout trop complet.

Notre génération, notre ville, commencent à jeter vers l’avenir un regard d’espérance. Notre nef est de celles qui ne sombrent jamais. Fluctuat nec mergitur. Puisque les brumes du présent ne vous obscurcissent pas l’avenir, quittez l’arche, vous qui planez sur les hauteurs, donnez vos grands coups d’aile, et puissions-nous bientôt vous saluer rapportant à ceux qui douteraient encore le rameau vert de la république !

M. Victor Hugo a répondu :

Monsieur le président du conseil municipal de Paris,

Je suis profondément ému de vos éloquentes paroles. Y répondre est difficile, je vais l’essayer pourtant.

Vous m’apportez un mandat, le plus grand mandat qui puisse être attribué à un citoyen. Cette mission m’est donnée de représenter, dans un moment solennel, Paris, c’est-à-dire la ville de la république, la ville de la liberté, la ville qui exprime la révolution par la civilisation, et qui, entre toutes les villes, a ce privilège de n’avoir jamais fait faire à l’esprit humain un pas en arrière.

Paris — il vient de me le dire admirablement par votre bouche — a confiance en moi. Permettez-moi de dire qu’il a raison. Car, si par moi-même je ne suis rien, je sens que par mon dévouement j’existe, et que ma conscience égale la confiance de Paris.

Il s’agit d’affermir la fondation de la république. Nous le ferons ; et la réussite est certaine. Quant à moi, armé de votre mandat, je me sens une force profonde. Sentir en soi l’âme de Paris, c’est quelque chose comme sentir en soi l’âme même de la civilisation.

J’irai donc, droit devant moi, à votre but, qui est le mien. La fonction que vous me confiez est un grand honneur ; mais ce qui s’appelle honneur en monarchie, s’appelle devoir en république. C’est donc plus qu’un grand honneur que vous me conférez, c’est un grand devoir que vous m’imposez. Ce devoir, je l’accepte, et je le remplirai. Ce que veut Paris, je le dirai à la France. Comptez sur moi. Vive la république !