De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 7

Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 24-26).
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VII. Ajoutez que le plaisir se rencontre même dans la vie la plus infâme ; or la vertu n’admet pas une telle vie, et certains hommes sont malheureux, non pas sans le plaisir, mais par le plaisir même. Cela ne pourrait pas être si le plaisir ne faisait qu’un avec la vertu, qui ne le trouve pas toujours mais n’en a jamais besoin. Pourquoi allier des éléments différents ou plutôt opposés ? La vertu est quelque chose de grand, de sublime, de souverain, d’invincible, d’infatigable ; la volupté est chose basse, servile, impuissante, caduque, qui a son poste et son domicile aux mauvais lieux et aux tavernes. La vertu, tu la trouveras dans le temple, au forum, au sénat, debout sur les remparts, le corps poudreux, le teint hâlé, les mains calleuses ; la volupté le plus souvent va cherchant le mystère et appelle les ténèbres ; elle rôde autour des bains, des étuves, des lieux qui redoutent l’édile, efféminée, sans vigueur, ruisselante de vins et de parfums, pâle ou fardée et souillée des drogues de la toilette. Le souverain bien est impérissable : il ne sort pas du cœur où il règne, il n’a ni satiété, ni repentir. Car une conscience droite ne dévie jamais, n’est jamais odieuse à elle-même, et ne change jamais rien à sa ligne de conduite, parce que toujours elle suit la meilleure. La volupté, au contraire, s’éteint au moment même où son charme est le plus puissant. Son domaine est limité ; aussi le remplit-elle promptement ; le dégoût arrive, et dès qu’elle a pris son essor, elle languit. Une chose dont le mouvement est l’essence, n’a jamais de fixité, et ce qui ne vient que pour passer rapidement et périr en se réalisant, n’a même rien de positif : venir et cesser d’être ne font qu’un seul moment, et le commencement touche à la fin.

VII. Adjice nunc, quod voluptas etiam ad vitam turpissimam venit : at virtus malam vitam non admittit ; et infelices quidam non sine voluptate, immo ob ipsam voluptatem sunt : quod non eveniret si virtuti se voluptas immiscuisset, qua virtus sæpe caret, nunquam indiget. Quid dissimilia, immo diversa componitis ? Altum quiddam est virtus, excelsum, regale, invictum, infatigabile : voluptas humile, servile, imbecillum, caducum, cujus statio ac domicilium fornices et popinæ sunt. Virtutem in templo convenies, in foro, in curia, pro muris stantem, pulverulentam, coloratam, callosas habentem manus : voluptatem latitantem sæpius, ac tenebras captantem ; circa balnea ae sudatoria, ac loca ædilem metuentia ; mollem, enervem, mero atque unguento madentem, pallidam aut fucatam, et medicamentis pollutam. Summum bonum immortale est, nescit exire : nec satietatem habet, nec pœnitentiam ; nunquam enim recta mens vertitur : nec sibi odio est, nec quidquam mutavit, quia semper secuta est optima : at voluptas tunc, quum maxime delectat, exstinguitur. Nec multum loci habet ; itaque cito implet ; et tædio est, et post primum impetum marcet. Nec id unquam certum est, cujus in motu natura est. Ita ne potest quidem ulla ejus esse substantia, quod venit transitu celerrime, in ipso usu sui periturum. Eo enim pervenit, ubi desinat : et dum incipit, spectat ad finem.