De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 12

Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 40-44).
◄  XI
XIII  ►

XII. « Ils auront à souffrir, dites-vous, parce que leur vie est sous le coup de mille causes de trouble moral, et le conflit des opinions agitera leurs esprits. » Cela est vrai, je vous l’accorde ; mais ces esprits égarés, capricieux et sous le coup du repentir, n’en perçoivent pas moins de vives voluptés ; aussi faut-il avouer que, s’ils sont loin alors de tout malaise, ils ne le sont pas moins de la sagesse ; que, pour la plupart, leur joie est une folie délirante, et leur rire un rire de furieux. Tout au contraire, les plaisirs du sage sont modérés, discrets, presque languissants, tout intérieurs et à peine sensibles au dehors ; car ce n’est point à sa sollicitation qu’ils viennent, et, bien qu’ils se présentent d’eux-mêmes, il ne leur fait point fête, il les accueille et les goûte sans aucun transport. Il les mêle à la vie comme un intermède et un jeu pour égayer le sérieux du drame. Que l’on cesse donc d’allier des choses incompatibles et d’accoler la vertu à la volupté, faux assemblage qui flatte les penchants les plus dissolus. Tel homme livré au plaisir et la bouche toujours pleine des fumées de l’ivresse, sachant qu’il suit la volupté, croit aussi suivre la vertu. Il entend dire en effet qu’elles sont inséparables, puis sur ses vices il écrit sagesse et affiche ce qu’il devrait cacher à tous les yeux. Ainsi ce n’est pas Épicure qui pousse ces hommes à la débauche ; ce sont eux qui, livrés à tous les excès, cachent leurs goûts dépravés dans le sein de la philosophie, et volent en foule aux lieux où ils apprennent qu’on vante le plaisir. Ils ne comprennent pas combien le plaisir d’Épicure est sobre et austère (telle est vraiment ma pensée) ; c’est au nom seul qu’ils accourent, cherchant pour leurs désordres une autorité favorable et un voile. Il en résulte qu’ils perdent le seul bien qui leur restât dans leurs maux : la honte du péché ; ils louent ce dont ils rougissaient, ils se font gloire de leur corruption ; et se relever de sa chute est impossible à cette jeunesse qui décore d’un titre honorable ses turpitudes et sa lâcheté.

Voilà ce qui rend cette apologie du plaisir pernicieuse : les préceptes honnêtes se cachent au fond de la doctrine ; la séduction est à la surface.

XII. « Male, inquit, illis erit, quia multa interveniunt quæ perturbant animum, et opiniones inter se contrariæ mentem inquietabunt. » Quod ita esse concedo ; sed nihilommus illi ipsi stulti, et inæquales et sub ictu pœnitentiæ positi, magnas percipiunt voluptates : ut fatendum sit, tam longe tum illos ab omni molestia abesse, quam a bona mente : et (quod plerisque contingit) hilarem insaniam insanire, ac per risum furere. At contra sapientium remissæ voluptates, et modestæ, ac pæne languidæ sunt, compressæque, et vix notabiles : ut quæ neque arcessitæ veniant, nec quamvis per se accesserint, in honore sint, neque ullo gaudio percipientium exceptæ. Miscent enim illas, et interponunt vitæ, ut ludum jocumque inter seria. Desinant ergo inconvenientia jungere, et virtuti voluptatem implicare, per quod vitium pessimis quibusque adulantur. Ille effusus in voluptates, ructabundus semper atque ebrius, quia scit se cum voluptate vivere, credit et cum virtute : audit enim voluptatem separari a virtute non posse : deinde vitiis suis sapientiam inscribit, et abscondenda profitetur. Ita non ab Epicuro impulsi luxuriantur, sed vitiis dediti luxuriam suam in philosopbiæ sinu abscondunt, et eo concurrunt, ubi audiunt laudari voluptatem. Nec æstimant voluptas illa Epicuri (ita enim mehercules sentio) quam sobria et sicca sit ; sed ad nomen ipsum advolant, quærentes libidinibus suis patrocinium aliquod ac velamentum. Itaque quod unum habebant in malis bonum, perdunt, peccandi verecundiam. Laudant enim ea quibus erubescebant, et vitio gloriantur : ideoque ne resurgere quidem adolescentiæ licet, quum honestus turpi desidiæ titulus accessit.

Hoc est, cur ista voluptatis laudatio perniciosa sit, quia honesta præcepta intra latent : quod corrumpit, apparet.