De la diète au point de vue thérapeutique

Typographie du Progrès 12, rue Montfort..
ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE



DE LA DIÈTE

AU POINT DE VUE THÉRAPEUTIQUE

par

Louis GARROS

De Mauvezin (Gers).


Le mépris du régime, l’oubli de ses lois, voilà la source d’une infinité de maladies.
Bourgelat.




THÈSE

pour le diplôme de médecin-vétérinaire

Juillet 1877





CASTRES

TYPOGRAPHIE DU PROGRÈS

12, rue montfort, 12.

1877
À MON PÈRE, À MA MÈRE
TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE ET D’AMOUR FILIAL

À MON FRÈRE — À MA SŒUR
GAGE D’AMITIÉ

À TOUS MES PARENTS

À MES AMIS

À MES PROFESSEURS


AVANT-PROPOS


De toutes les causes qui, dans la pratique vétérinaire, viennent entraver la marche des maladies et retarder ou rendre impossible leur guérison, l’une des plus communes est, sans contredit, celle qui consiste à négliger l’exécution rigoureuse du régime diététique. Je dirai même, sans craindre d’aller trop loin, que la plupart des insuccès que l’on constate parfois dans nos campagnes, n’ont pas une autre source.

Croire qu’une nourriture abondante est indispensable à un animal malade pour relever ses forces et abréger la convalescence, c’est commettre une grave erreur et contribuer à la propagation d’un préjugé qui, malheureusement trop répandu par la plupart des empiriques et autres guérisseurs, ne saurait être trop vivement combattu.

Essayer de faire comprendre les inconvénients d’une telle habitude afin de préserver les malades des dangers auxquels les expose un régime mal ordonné, tel est le but que je me suis proposé d’atteindre en choisissant la diète comme sujet de thèse.

Les heureux résultats qu’on obtient par l’emploi d’un régime bien compris, et que j’ai pu constater bien des fois, ont en outre contribué pour une large part à me faire aborder cette utile question.

L. GARROS.

PREMIÈRE PARTIE



DE LA DIÈTE PROPREMENT DITE

Définition. — Laissant de côté les nombreuses interprétations qui ont été données de la diète, nous dirons que, dans son sens le plus large, ce mot signifie l’emploi bien ordonné de tout ce qui est nécessaire pour conserver la vie, soit dans l’état de santé, soit dans celui de maladie.

Mais ce n’est point dans cette acception large que nous la décrirons, cela nous entraînerait trop loin en nous obligeant à empiéter sur le domaine de l’hygiène. La diète se divisant en conservatrice, préservatrice et curatrice nous ne nous occuperons ici que de cette dernière qui appartient seulement à la thérapeutique, tandis que les deux premières font partie de l’hygiène.

Le mot diète usité surtout par les médecins, est synonyme du mot régime en médecine vétérinaire, aussi emploierons-nous indistinctement dans cette thèse l’un et l’autre de ces deux termes. Après avoir dit un mot de l’historique de notre sujet, nous signalerons d’une manière succincte les matières alimentaires qui composent le régime diététique dans les maladies, puis nous traiterons des effets généraux de la diète et de ses indications, enfin nous terminerons en exposant en peu de mots l’hygiène des animaux malades.

Historique. — Les anciens étaient loin d’ignorer les bons effets de la diète dans les maladies ; de tout temps, dès l’origine de la médecine, on a reconnu l’utilité du régime diététique. Hippocrate, dans ses écrits, lui accorde une grande importance ; il dit qu’une diète convenable contribue puissamment à conserver et à rétablir la santé ; mais cet auteur, ne parle que de ce qui a trait aux aliments et aux boissons.

Galien donne à la diète une signification bien plus large ; pour lui, elle comprend non-seulement les aliments et les boissons, mais encore tous les moyens hygiéniques qu’on peut mettre en usage pour rétablir la santé.

Bœrhaave, ennemi des médicaments composés, apportait au contraire toute son attention à l’emploi du régime diététique. Quelques drogues simples, la lancette, le fer et le feu constituaient toute sa thérapeutique.

Bourgelat, à l’exemple de Bœrhaave, rejetait aussi ces formules compliquées auxquelles les écuyers et les anciens hippiâtres accordaient de si grandes vertus ; ces derniers laissèrent complètement de côté les avantages qu’ils auraient pu tirer de l’application raisonnée des modifications hygiéniques dans les maladies.

C’est vers le milieu de ce siècle seulement, que nous voyons la diète décrite avec soin par Delafond, dans son traité de thérapeutique.

M. Lafosse a comblé, dans son traité de pathologie générale, les lacunes laissées par son prédécesseur. Notre éminent professeur s’est occupé non-seulement de la diète en particulier, mais aussi de tous les moyens hygiéniques indispensables pour le rétablissement de la santé.

Non-seulement, ces secours hygiéniques sont nécessaires aux animaux malades, mais ils leur sont souvent plus utiles que la plupart des médicaments proprement dits. À l’aide de ces seuls secours un grand nombre de maladies aiguës peuvent se terminer favorablement, tandis que sans leur concours, les médicaments les mieux indiqués seraient toujours insuffisants. Ce n’est même qu’à leur usage qu’on doit attribuer la cure de presque toutes les maladies chroniques ; c’est là une vérité due de nombreux faits ont confirmée et confirment encore chaque jour.

SUBSTANCES ALIMENTAIRES QUI
COMPOSENT LA DIÈTE

Règle générale, les aliments qu’il convient de donner aux animaux malades, doivent être peu nutritifs, aqueux et toujours d’une digestion facile. Dans quelques cas cependant, les matières alimentaires doivent être très-alibiles et fortement reconstituantes, comme nous aurons soin de le faire remarquer plus tard propos des indications de la diète. Il ne faudrait pas croire en effet avec le vulgaire, que le mot diète, signifie toujours diminution de la ration. Ce n’est point ainsi qu’on l’entend aujourd’hui. Rien que dans la plupart des circonstances on ait en vue, d’exprimer par cette dénomination, une diminution du régime, hâtons-nous de dire, qu’il est des cas dans lesquels on veut entendre par le mot diète, une augmentation de nourriture, soit en quantité, soit en valeur nutritive. La diète curatrice, et cela ne doit pas être perdu de vue, sera donc pour nous débilitante dans certains cas et réconfortante dans d’autres.

Quoiqu’il en soit, parmi les aliments qui se rapprochent le plus des conditions exigées par la diététique, nous citerons : la paille de nos diverses céréales et surtout celle de blé. Elle devra être bien battue et dépourvue autant que possible de graines toujours nuisibles pour les malades ; les foins choisis, les fourrages artificiels seront donnés avec circonspection, et en plus ou moins grande quantité suivant la nature, les périodes, le siége de la maladie ; l’avoine, l’orge, les féveroles deviendront utiles dans les maladies anémiques ; les aliments verts, ayant la fâcheuse propriété de fermenter dans l’estomac et de produire des météorisations, ne devront être donnés qu’en petite quantité ; la farine d’orge, employée dans bon nombre de maladies, devra être délayée dans beaucoup d’eau, car elle n’est diététique qu’au tant qu’elle est distribuée en petite ration. Enfin, les quantités de son à donner aux malades, varieront selon les qualités nutritives de cette substance.

Quant aux boissons, on les donnera tièdes ou coupées avec des farineux, et toujours en assez forte proportion, afin que les animaux puissent constamment satisfaire leur soif. Tels sont les aliments tant solides que liquides qu’on devra administrer aux herbivores malades.

Aux carnivores on donnera des bouillons gélatineux étendus, auxquels on pourra ajouter un peu de pain, de lait ou de petit-lait ; ce sont-là les aliments et les boissons qui composent le régime diététique de ces animaux, alors qu’ils sont atteints de maladies un peu graves.

ACTION PHYSIOLOGIQUE DE LA DIÈTE

Avant de décrire les effets de la diète et afin de rendre ceux-ci plus compréhensibles, nous pensons qu’il est nécessaire, de rappeler en quelques mots, en quoi consiste la nutrition. La nutrition, qui n’est autre chose que l’ensemble des phénomènes qui se passent dans tous les tissus, est caractérisée par un double mouvement continuel d’assimilation et de désassimilation dans lequel il est indispensable, pour que l’entretien de la vie soit régulier, que l’équilibre soit établi. Il faut en d’autres termes que chaque molécule qui s’use par le jeu des organes, soit aussitôt remplacée par une molécule nouvelle, de manière à ce que les tissus vivants conservent toujours l’intégrité de leur forme. Cet équilibre vient-il à être détruit, par une cause quelconque, des troubles ne tardent pas à se manifester dans l’ensemble de l’organisme, troubles qui varient selon que l’un ou l’autre de ces deux mouvements prédomine, et dont l’intensité est en rapport direct avec la persistance de cette rupture. Est-ce le mouvement d’assimilation qui l’emporte, le sujet augmente de poids, le volume de ses organes s’accroît, il y a en un mot excès de matière ; le liquide sanguin qui amène cette surabondance de matériaux est devenu plus nutritif, et il arrive bientôt cet état particulier que l’on désigne sous le nom d’état pléthorique.

La désassimilation devient-elle au contraire plus active, les forces vitales s’épuisent peu à peu, la masse entière du corps diminue de volume et de poids, les éléments solides du sang et notamment ses globules sont devenus moins abondants ; le liquide nourricier s’est en un mot appauvri, il est devenu incapable de restituer à l’organe qui fonctionne, les matériaux que cette fonction lui fait perdre. L’organisme dépensant plus de matériaux qu’il n’en reçoit, son intégrité disparaît, la vie s’affaiblit, attendu que les organes, pour réparer leurs pertes, sont obligés de puiser dans l’économie elle-même. La machine animale ainsi débilitée ne réagira que difficilement contre les agents morbifiques, et sera par conséquent plus exposée à contracter diverses affections et notamment des maladies anémiques. Les animaux surmenés, soumis à des travaux excessifs, nous donnent un exemple du phénomène qui vient d’être indiqué ; mais dans ce cas ce n’est pas seulement une prédominance du mouvement d’assimilation qui se produit, mais encore de l’usure, qui, outre qu’elle peut devenir le point de départ d’une foule d’affections, nuit constamment à l’utilisation des animaux affectés.

La diète dite conservatrice, n’ayant pas d’autres résultats que de combler le déficit occasionné dans la substance des organes, par le jeu de leurs actions, devra donc être réglée dans l’état physiologie que, d’après ce principe. Mais la diète conservatrice étant en dehors de notre cadre, nous laisserons de côté ce qui se rattache à cette partie, pour dire un mot des principes organiques qui servent à la reconstitution des tissus.

SUBSTANCES QUI COMPOSENT LA
MATIÈRE ORGANISÉE

Les substances auxquelles les animaux ont recours pour réparer leurs pertes sont de trois sortes ; les unes sont azotées, d’autres sont hydro-carbonées (celles-ci comprenant les matières amylacées et les corps gras), enfin il en est aussi de minérales.

La matière première de l’organisme, la base des molécules qui le constituent, est le principe protéique ou azoté, auprès duquel tous les autres ne sont que secondaires, bien qu’encore indispensables. Et c’est en se basant sur cette vérité, que les chimistes agronomes et entre autres Boussingault, ont dressé pour les aliments des tables d’équivalents nutritifs. Mais, il ne faut pas donner à cette classification une valeur trop absolue, car la matière alimentaire type, devant être subordonnée à l’organisation des animaux, il s’ensuit qu’il devrait y avoir autant de tables d’équivalents nutritifs qu’il y a d’espèces différentes, comme le prouvent les expériences de MM. Haubner et Colin. Le principe protéique, type de l’aliment plastique, ne peut en outre être assimilé et constituer la substance organisée, qu’après avoir subi une série de métamorphoses, dont l’accomplissement réclame, pour être assuré, le concours d’autres principes appelés respiratoires et qui sont les corps gras et les matières amylacées. Enfin les matières minérales elles-mêmes deviennent indispensables pour l’entretien des animaux.

Par ce qui précède, on peut donc conclure que tout aliment, pour être complet, dont contenir à la fois tous ces principes organiques, en même temps que les matières minérales, dont l’existence constante dans le sein des êtres organisés prouve la nécessité. En d’autres termes les aliments devront avoir une composition identique à celle des tissus qu’ils doivent régénérer. On est vraiment frappé de cette liaison des phénomènes vitaux ; tous s’enchaînent et l’un ne peut être compris sans l’autre.

EFFETS GÉNÉRAUX DE LA DIÈTE

Les quelques considérations relatives à la nutrition étant données, voyons maintenant les effets généraux de la diète. Ils varient selon la quantité d’aliments donnés aux animaux, et le temps pendant lequel ils y ont été soumis. On peut dire pourtant qu’en général la diète débilite tout l’organisme, produit la pâleur des muqueuses, affaiblit les battements du cœur, diminue la tension des artères, rend le pouls plus faible, le sang plus fluide ; de même la respiration se ralentit, la chaleur animale diminue considérablement, l’amaigrissement survient et enfin la mort vient mettre un terme à cette série de phénomènes dont l’existence est incompatible avec la santé. Mais ces effets sont seulement ceux de la diète considérés d’une façon très générale et sur des sujets quelconques ; or il est bien certain qu’ils doivent varier suivant qu’elle est plus ou moins absolue et suivant aussi la manière d’être des animaux.

Si la diète est peu sévère et ne dure que quelques jours ses effets passent pour ainsi dire inaperçus ; un peu de pâleur des muqueuses, un peu de faiblesse et d’amaigrissement sont les seuls phénomènes qui se produisent tout d’abord, pour disparaître bientôt et faire place à l’exercice régulier de toutes les fonctions. Mais si, au contraire, la diète est absolue et prolongée, des phénomènes autrement graves se manifestent. Les muqueuses deviennent d’une pâleur extrême ; on dirait qu’elles étaient complétement privées de sang ; les veines superficielles affaissées semblent avoir disparu ; les battements du cœur sont tumultueux, leur nombre augmente considérablement ; le pouls est faible et vite ; des œdèmes envahissent les parties déclives, les évacuations abondantes au début, diminuent peu à peu et changent d’aspect, les urines deviennent claires, les excréments durs et coiffés, la faiblesse augmente de jour en jour ; enfin la maigreur qui est des plus prononcées ne tarde pas à faire place au marasme. Ce tableau caractéristique de l’inanition se manifeste beaucoup plus rapidement chez les carnivores que chez les herbivores, et se traduit, en outre, d’une manière différente chez ces mêmes animaux.

Les solipèdes s’agitent, se tourmentent, hennissent, grattent le sol au début ; mais si le désir qu’ils ont de prendre des aliments n’est pas bientôt satisfait, on voit succéder à cette surexcitation première une période de coma, si l’on peut ainsi parler ; ils deviennent tristes, sombres, se couvrent d’une sueur froide, se couchent et meurent dans les convulsions.

Les carnassiers, et parmi eux les chiens, sont très agités dans leur loge, il font entendre des cris plaintifs et mangent même les corps étrangers qui se trouvent à leur portée. Mais cela dure peu de temps ; ils se retirent bientôt dans un coin, deviennent insensibles et indifférents à tout ce qui se passe autour d’eux, même lorsqu’on leur présente des aliments ; les yeux deviennent chassieux, des tremblements surviennent et enfin la mort arrive alors que les animaux sont dans un état de maigreur extrême.

Or, il est évident, que tous ces phénomènes dus à l’appauvrissement du sang et à une diminution dans l’incitation sanguine, indiquent une réaction de la part du système nerveux.

Ces modifications, imprimées par la diète à tout l’organisme, restent-elles limitées aux phénomènes extérieurs, que nous venons de rappeler en quelques mots ? Assurément non, et ce serait commettre une grande erreur, que de borner ainsi les effets de la diète. On comprend en effet, que de telles modifications subies par les divers appareils constituant la machine organisée, ne peuvent être que secondaires et qu’ils exigent, pour se traduire au dehors, une altération du sang liquide nourricier par excellence, qui tient sous sa dépendance ce rhythme de toutes les fonctions, dont la bonne harmonie constitue la santé. De même donc, que les solides organiques, les propriétés physiques du sang se modifient pendant l’abstinence. Les expériences de Delafond, Andral et Gavarret viennent d’ailleurs confirmer la vérité de cette assertion. Ces auteurs, ont d’abord examiné le sang avant et pendant la diète, puis, ils l’ont analysé successivement pendant la diète absolue, durant la demi-diète et enfin, les animaux ont été ensuite sacrifiés pour procéder l’examen des organes internes.

Ils ont constaté que le sang veineux, recueilli à des intervalles plus ou moins éloignés, devenait d’autant plus rosé que la diète était elle-même plus prolongée ; ce liquide recueilli dans un hématomètre, présentait chez tous les animaux un caillot blanc très-volumineux, diffluent, nageant dans une grande quantité de sérosité ; le caillot noir, au contraire se présentait toujours avec des dimensions très-réduites. Chez le chien, en outre, le caillot blanc se trouvait surmonté par cette couche d’un blanc jaunâtre, qu’on désigne sous le nom de couenne inflammatoire. Par ce qui précède, on voit que la diète diminue les globules du sang, tandis qu’elle enrichit ce liquide d’une grande quantité d’eau.

Les résultats obtenus par l’analyse pondérique de chacun des divers principes organiques contenus dans le sang ont aussi varié, chez les chiens qu’on avait soumis à une abstinence absolue pendant quinze jours. Le poids de la fibrine, qui aurait dû diminuer, est demeuré stationnaire et a même augmenté après les émissions sanguines, par suite de l’inflammation provoquée par l’état de vacuité de l’estomac ; la quantité d’eau, le nombre des globules ont subi peu de modifications. Collard de Martigny, en expérimentant sur un lapin, qu’il laissa pendant onze jours à la diète, avait obtenu le même résultat.

On voit donc que des modifications sérieuses se traduisent dans l’économie, lorsque les animaux sont laissés environ quinze à vingt jours à une diète absolue ; mais, que néanmoins, malgré les perturbations et le grand état de faiblesse que l’on constate, le chiffre de l’albumine, des globules et de l’eau varie peu.

Si au contraire, les sujets ne sont soumis qu’à la demi-diète, et que l’estomac recevant une certaine quantité d’aliments ne s’enflamme point, d’autres changements se manifestent dans les éléments du sang. Le poids de la fibrine, invariable au début, ne tarde pas à augmenter à cause de l’irritation de l’estomac ; la quantité d’albumine diminue ainsi que le nombre des globules, mais la proportion d’eau s’élève d’une manière notable. Telles sont les modifications que subissent les parties constitutives du sang pendant la diète absolue ou la demi-diète. Ajoutons cependant que, dans les deux cas, une particularité remarquable se produit, c’est la diminution de la masse totale du sang, qui peut être réduite aux deux tiers de la quantité existant normalement dans le système circulatoire.

Mais à quoi sont dus ces effets de la diète sur le sang ? Ils tiennent à deux causes : l’absence du chyle qui est le régénérateur du liquide nourricier, et la persistance des sécrétions, qui, quoique diminuées, enlèvent encore au sang sa sérosite et ses matériaux albumineux.

D’après ce qui vient d’être exposé il est facile de comprendre que le sang doit, pour se reconstituer et remplir ses fonctions, puiser ses éléments régénérateurs dans les tissus propres de la machine animée. L’eau, l’albumine, existant dans les liquides, aussi bien que dans les solides, rentreront facilement dans le sang pour former sa partie séreuse et ses principes organisés, à l’exception toutefois des globules sanguins, qui ne retrouvant leurs matériaux réparateurs que dans le chyle, ne pourront se régénérer qu’avec beaucoup de lenteur. Les autres éléments se reconstitueront par une absorption intersticielle dans les organes, absorption qui se fera avec d’autant plus de rapidité que la tension sanguine sera plus faible, et que par conséquent, la diète sera plus prolongée. Une fois rentrés dans le système vasculaire, ces principes auront régénéré le sang, ce qui permettra la nutrition et les sécrétions de s’effectuer. C’est à l’absorption ci-dessus qu’on doit attribuer la faiblesse et l’amaigrissement constatés pendant l’abstinence.

À l’autopsie, des lésions telles que congestions, rougeurs, ecchymoses, ulcérations se remarquent dans l’appareil gastro-intestinal qui est notablement rapetissé par suite de son état de vacuité. Dans les ruminants, le feuillet contient entre ses lames des aliments durs et desséchés. Les veines semblent avoir diminué de volume par suite de la petite quantité de sang qu’elles contiennent ; les lymphatiques, remplis de lymphe très-aqueuse et difficilement coagulable, sont par contre plus distendus qu’à l’état normal. Tous les tissus sont pâles, des œdèmes existent dans les régions inférieures.

En résumé on voit que la diète affaiblit l’économie, fait prédominer l’excitation nerveuse, diminue la masse totale du sang, abaisse le chiffre des principes organiques de ce fluide, excepté celui de la fibrine qui ne change pas, augmente la proportion d’eau, irrite, enflamme le canal intestinal, ce qui élève alors la quantité de fibrine, et produit enfin des engorgements œdémateux dans les parties déclives.

DE LA DIÈTE CHEZ LES DIFFÉRENTES
ESPÈCES ANIMALES

Herbivores. — Le temps pendant lequel les animaux peuvent supporter l’abstinence varie dans chaque espèce. Les herbivores, munis d’un tube alimentaire très-vaste dans lequel ils introduisent des masses énormes d’aliments peu alibiles, résistent peu à la diète absolue ; les carnivores, au contraire, la supportent beaucoup plus longtemps vu l’organisation de leur appareil digestif. Les carnivores, en effet, ingèrent peu et absorbent beaucoup, tandis que le contraire a lieu chez les herbivores.

Le cheval, chez qui la digestion s’opère dans l’estomac et surtout dans l’intestin grêle, ne résiste guère à la diète absolue au-delà de douze à quinze jours, son énorme masse intestinale, réclamant sans cesse la présence de beaucoup d’aliments pour entretenir les fonctions si essentielles qu’elle est chargée de remplir ; fonctions qui, si elles viennent à être suspendues pendant quelques jours seulement, se rétablissent ensuite avec de grandes difficultés, et entraînent souvent de graves complications dont les plus ordinaires sont les indigestions, les congestions sanguines, la fourbure. Le cheval ne devra donc être soumis que peu de temps à la diète absolue, et, s’il y avait indication de la prolonger, il serait mieux de prescrire seulement une demi-diète composée d’aliments qui, étant peu nutritifs, n’auraient pas l’inconvénient d’augmenter l’inflammation tout en permettant, par leur propriété lestante, les fonctions de la masse intestinale.

Chez les ruminants la digestion ne peut s’effectuer qu’après la rumination ; mais cela n’est pas absolu, car, en effet, on ne voit pas ce phénomène se produire chez les jeunes animaux qui ne se nourrissent que de lait. En outre l’affaissement graduel de la panse qu’on constate parfois sur des bœufs malades et chez lesquels la rumination était complètement suspendue, prouve que les matières alimentaires contenues dans le rumen cèdent directement une partie de leur substance à l’absorption ou passent de ce réservoir dans le quatrième estomac, pris qu’ils sont par la gouttière œsophagienne après avoir été suffisamment délayés. Néanmoins pour que la digestion s’opère dans de bonnes conditions, il faut non-seulement que les animaux ingèrent des aliments, mais encore que le rumen soit assez distendu pour que ses contractions puissent les renvoyer vers la bouche, et que le feuillet ne contienne pas entre ses lames des matières trop desséchées. Si la rumination ne s’effectue pas par suite d’un manque d’aliments dans la panse, ou bien parce que la violence de la maladie en a interrompu les fonctions, les aliments de cet estomac ne tardent pas à fermenter et à produire une météorisation qui vient compliquer l’inflammation. D’un autre côté les substances déjà ruminées séjournant dans le feuillet s’y durcissent et cheminent alors difficilement entre les lames de cet organe. En raison de ces obstacles, on conçoit que la rumination ne doit se rétablir qu’avec difficulté lorsqu’elle a été suspendue pendant longtemps. Par ce qui précède on voit donc que les ruminants ne peuvent être soumis à une diète absolue que très peu de temps et que la demi-diète leur convient surtout.

Omnivores. — Parmi ces animaux, le porc seul doit nous occuper. Cet animal résiste fort longtemps à l’abstinence et cette faculté devient surtout évidente chez ceux de ces animaux qui sont gras. On comprend, en effet, qu’il puisse en être ainsi, quand on considère la quantité de graisse qui, mise en réserve par l’animal, peut être brûlée pour subvenir aux divers besoins de l’économie et pour entretenir la chaleur animale.

Carnivores — Ces animaux supportent très-longtemps la diète la plus absolue ; ce sont, de toutes nos espèces animales, celles qui y résistent le plus sans qu’il en résulte des inconvénients sérieux. D’après les expériences de Redi, Bourgelat, Beccari, Chossat, des chiens et des chats auraient pu vivre de quinze à quarante et un jours, quoiqu’ils fussent privés d’aliments tant solides que liquides. Delafond, ayant expérimenté sur cinq chiens en bon état, tous ces animaux moururent vers le vingtième jour. À l’inspection des cadavres, on remarqua que la muqueuse de l’estomac était ridée, rouge, ulcérée et tapissée par une couche abondante de bile noirâtre. Le même auteur, a vu des chiens soumis à l’abstinence pendant douze jours, manger abondamment au bout de ce temps, sans en être incommodés. On voit donc, que puisque les carnivores supportent l’abstinence si longtemps, on voit dis-je, qu’ils peuvent être soumis à une diète sévère et prolongée, sans avoir à craindre le moindre danger.

MODIFICATIONS APPORTÉES
À LA DURÉE DE L’ABSTINENCE SELON L’ÂGE, L’EMBONPOINT, LE TEMPÉRAMENT ET L’HABITUDE DES ANIMAUX.

Les animaux ont d’autant plus besoin de manger qu’ils sont plus jeunes ; une fois arrivés à l’âge adulte, leur appétit n’est plus qu’en raison inverse de leur âge. Aussi devra-t-on s’abstenir de prescrire la diète, chez les sujets non encore sevrés. Il sera préférable de rendre le sang plus séreux et moins nourrissant, en donnant aux mères une ration peu alibile.

De même chez les sujets âgés, il ne faudra faire usage de la diète, que si elle est de toute nécessité ; en agissant autrement, il y aurait à craindre d’affaiblir l’organisme outre mesure, vu qu’en effet, dans la vieillesse, la désassimilation l’emporte sur l’assimilation.

Il est aussi évident que les animaux gras et adultes peuvent résister plus longtemps à l’abstinence, que les individus maigres, épuisés ; les premiers, tenant en réserve une certaine quantité de graisse, qui, étant résorbée, suffira à la nutrition, pourront être laissés à la diète absolue pendant un certain temps, tandis que les seconds, dépourvus de cette provision alimentaire, ne devront subir qu’une demi-diète peu prolongée.

La nécessité de prendre des aliments étant d’autant plus grande, que les animaux sont plus gros mangeurs, et les individus lymphatiques exigeant plus de nourriture que les sanguins, et ceux-ci, plus que les nerveux, on conçoit que la diète devra être moins prolongée et moins absolue dans les premiers que dans les derniers.

L’habitude, enfin, exerce une grande influence sur la résistance des animaux à la diète. Ceux à l’état de liberté mangent toutes les fois qu’ils peuvent saisir les aliments qu’ils rencontrent ; tandis que, soumis à la domesticité, trois, quatre repas dans les vingt-quatre heures suffisent pour bien entretenir les herbivores. Quant aux carnivores, ils se plient facilement aux règles de leur maître. Disons toutefois, qu’il faut se garder de rendre trop courts les intervalles des repas, comme on est porté à le faire durant l’engraissement, si l’on veut éviter l’apparition de certains troubles tels que indigestions, entérites, lesquels sont le résultat d’un travail trop exagéré et trop soutenu de la part des organes digestifs.

INDICATIONS ET CONTRE-INDICATIONS
DE LA DIÈTE

Après avoir considéré la diète d’une manière générale, je dois, pour remplir le cadre composant la première partie de mon opuscule, l’envisager en particulier, par rapport à ses indications et contre-indications dans les diverses maladies. Car, en effet, si dans quelques cas, la diète est bien indiquée, il en est d’autres qui, à cause même de leur nature, nécessitent la contre-indication de ce moyen thérapeutique. Nous entreprendrons immédiatement, l’énumération des principaux groupes de maladies qui demandent ou non l’emploi du régime diététique.

Congestions. — Toutes les fois que la fièvre se manifeste, comme dans les congestions rapides des organes de la digestion, de la respiration, de l’innervation, comme aussi dans la congestion du sabot ou dans la fourbure, il faut tenir les animaux à une diète sévère, ou ne leur fournir qu’une très-faible quantité de nourriture, qui soit seulement suffisante pour éviter l’inanition ou la chute de la machine dans cet état de prostration extrême, qui rend toute réaction impossible.

Pendant la fièvre, en effet, les organes et en particulier les organes digestifs étant incapables d’élaborer convenablement les substances alimentaires, il s’ensuit que l’équilibre régulier du mouvement d’assimilation et de désassimilation est détruit, d’où il résulte que les molécules absorbées ne peuvent servir à l’accomplissement d’une nutrition normale et tournent, au contraire, au bénéfice de la maladie en aggravant les phénomènes fébriles.

Mais ce n’est pas seulement à la recrudescence de la fièvre que se bornent les effets des matières absorbées, elles favorisent encore l’afflux du sang vers les organes congestionnés, s’assimilent aux matières morbides du sang, ou fournissent aux organes malades de nouveaux éléments qui facilitent l’élaboration des productions morbides. Car, en effet, si on admet qu’un organisme sain tend à assainir ce qu’il absorbe, il est tout naturel de reconnaître à un organisme malade la funeste propriété de rendre insalubres les substances les plus pures qu’on lui fournit. C’est pourquoi, un auteur a pu dire avec raison : Plus vous nourrirez un corps rempli d’impuretés, plus vous lui nuirez.

Il découle donc de là, que dans toute congestion quel que soit d’ailleurs l’organe où elle s’établit, la diète devra être prescrite et se composer tout au plus de boissons délayantes qu’on pourra donner à discrétion aux animaux.

Inflammations aiguës. Début, état. — Au début des inflammations aiguës, de même que dans les congestions, la diète est ordinairement bien indiquée. Cette médication dont l’expérience a reconnu les heureux résultats, en pareille circonstance, devra en outre être d’autant plus sévère que les symptômes inflammatoires seront plus alarmants. C’est ainsi que lorsque la phlegmasie arrivera à sa période d’état, les animaux devront avoir constamment des boissons délayantes à leur disposition, car plus ils boiront abondamment, plus la diète sera efficace. En agissant de la sorte, l’influence bienfaisante de ce régime ne tarde pas à se manifester. La série des symptômes caractéristiques de la fièvre décroissent en effet peu à peu et finissent par disparaître complétement.

Les bons effets de la diète dans les inflammations s’expliquent facilement, si on se rapporte au mode d’action de ce moyen thérapeutique. Le régime diététique en affaiblissait l’économie, diminue aussi les douleurs morbides et combat la fièvre. Rendant le sang plus séreux, moins abondant, la tension artérielle se trouve diminuée, ce qui facilité la circulation de ce fluide dans les vaisseaux des parties enflammées, tout en réduisant la quantité des matériaux qui servent à la formation des produits morbides. Activant l’absorption dans toute l’économie, la résolution tend à se produire par suite de la résorption des éléments épanchés dans les régions phlogosées. En outre, la diète calme la soif, rend la peau sa souplesse et concourt à rétablir les fonctions des organes malades.

D’après ce qui vient d’être dit, il est facile de voir que plus l’inflammation sera étendue, intense, plus les organes affectés seront nécessaires à la vie, plus aussi la diète devra être sévère. Dans ces cas graves, qui compromettent l’existence des animaux, il est préférable de relever l’économie que de la voir détruite par l’inflammation.

Déclin — Lorsque la fièvre s’apaise, que les forces baissent et que la résolution commence à se produire, la diète devient de moins en moins nécessaire ; et autant il serait dangereux de donner des aliments en excès au début et pendant l’augment de ces maladies, autant il serait nuisible de refuser des aliments à l’époque où les vaisseaux sont dans un état de vacuité tel que l’organisme s’affaisse sous le poids du mal et de l’abstinence. Donc pendant la résolution des inflammations internes, on pourra se permettre d’augmenter la ration diététique des animaux. Il faudrait se garder de continuer le régime débilitant, l’expérience ayant appris que, dans ces cas on ne ferait que prolonger la convalescence.

Pour que la résorption des produits morbides s’effectue, il faut en effet à l’organisme une certaine force, qu’il ne pourra retrouver que dans les aliments substantiels donnés en quantité convenable aux animaux, sans toutefois occasionner des indigestions. Le régime diététique augmenté du tiers ou du quart de la ration ordinaire, suffit en général pour réconforter l’économie.

Inflammations chroniques. — Dans ces maladies comme au déclin des inflammations aiguës, la diète doit être observée avec peu de rigueur surtout chez les herbivores ; car, d’une part, les perturbations des organes digestifs étant moins grandes, la digestion et l’assimilation sont plus faciles ; d’autre part, la maladie devant être longue, on ajouterait tellement à l’affaiblissement qu’elle tend à produire, en se montrant trop rigoureux sur le régime, que le malade tomberait bientôt dans le marasme. C’est pourquoi dans les maladies chroniques, accompagnées de collections albumino-séreuses comme la pleurite, l’arachnoïdite chroniques ; ou de sécrétions séreuses ou purulentes telles que la gale, la morve, le farcin, les eaux-aux-jambes, les maux de garrot, etc., la diète doit être proscrite et remplacée par une alimentation abondante très-nutritive.

Altérations du sang. — Dans toutes les maladies à forme dynamique, la diète est contre-indiquée. Il est urgent, en pareil cas, de fournir au sang, profondément altéré dans ses parties constituantes les plus essentielles, les matériaux de sa reconstitution au moyen d’un régime alimentaire bien réglé dans ce but. Aussi devra-t-on prescrire en pareille circonstance, des aliments très-toniques et fortement reconstituants. Mais lorsque l’état anémique coïncide avec une lésion locale du tube digestif, la conduite à suivre se complique et le praticien, se trouve alors en face d’une véritable difficulté, vu que l’état général indique une médication tonique, tandis que la lésion locale la contre-indique et réclame une diète sévère. Ce qu’il y a de mieux à faire alors, c’est de faire disparaître au plus tôt, la contre-indication de la diète en attaquant énergiquement la lésion locale ; car toujours l’état général est beaucoup plus grave que l’organopathie. Les altérations du sang, les inflammations chroniques, le déclin des inflammations aiguës, exigent comme on voit la diète réconfortante.

Mais ce n’est pas seulement dans les maladies anémiques, que la diète se trouve contre-indiquée ; il est en effet bon nombre d’autres circonstances dans lesquelles cette médication ne ferait qu’aggraver l’état du malade. C’est ainsi par exemple, que dans la plupart des maladies du cheval, à l’exception toutefois de la pleurésie avec épanchement, la diète devient un moyen thérapeutique secondaire, et cela parce que les maladies de nos solipèdes se montrent rarement avec le caractère franchement inflammatoire. Cette particularité est due au mode d’élevage auquel le cheval est soumis, dans notre pays, et aussi au travail excessif qu’il est obligé de faire eu égard à la faible ration qui lui est distribuée. Donc, si la diète est bien indiquée au début et pendant l’augment de la phlegmasie, il faut se garder de la prescrire d’une façon trop rigoureuse, si l’on veut éviter une convalescence, fort longue. Des complications très-graves pourraient même survenir à la suite d’une abstinence trop prolongée, s’il faut en croire certains vétérinaires de l’armée et M. Sanson, qui paraissent convaincus que les abus de la diète, plus ou moins rigoureuse dans les maladies du cheval de troupe, ont été pour une forte part dans la mortalité pour cause de morve.

Pour ce qui a trait au bœuf et aux autres animaux domestiques, la question est loin de présenter autant de difficultés. C’est surtout dans le cas si fréquent d’un trouble digestif dans les estomacs du bœuf, que l’on obtient par la diète sévère, les plus heureux résultats. Le point difficile que rencontre alors le vétérinaire dans sa pratique, c’est d’obtenir des personnes chargées de soigner les malades ; l’exécution rigoureuse des prescriptions relatives à la diète, lorsque ce régime est indiqué. Il est, en effet, très-difficile de faire comprendre aux habitants des campagnes, qu’un animal déjà malade puisse vivre même un seul jour sans manger, et il arrive bien des fois, de les surprendre en devoir de solliciter de toutes les façons, l’appétit des malades pour lesquels on avait prescrit une diète rigoureuse.

Remarque. — Avant de terminer ce qui a trait à la diète proprement dite, nous dirons un mot des conditions qui doivent être remplies, pour obtenir de cette médication les résultats qu’on en attend.

Nous ferons d’abord remarquer, qu’une des principales règles à observer, consiste à ne jamais procéder par secousse, par transition brusque dans la substitution d’un régime à un autre. On commettrait une grave erreur, comme le fait si bien remarquer M. Lafosse, en soumettant à une abstinence absolue, un animal qui jusque là aurait été copieusement nourri : deux ou trois jours de diète radicale suffiraient alors pour anéantir les forces. On devra donc, dès les premiers jours de l’invasion et durant l’augment de la maladie, diminuer peu à peu la ration, la rendre moins nutritive et remédier au vide qui se produit dans le système circulatoire, en remplaçant les solides que l’on soustrait, par les boissons que l’on accorde. De même lorsque le moment est venu de la rendre plus forte et plus nutritive, on commencera d’abord, par donner peu et souvent une très-petite quantité d’aliments de facile digestion, dont on augmentera le poids de jour en jour, selon les indications fournies par l’examen des animaux, en n’oubliant jamais qu’il est plus nuisible de donner trop vite un excès de nourriture, que d’arriver avec trop de lenteur à celle qu’exige l’état du malade.

Dans les ruminants, on ne donnera de nouveaux aliments, qu’autant que ceux pris antérieurement auront été ruminés, afin d’éviter des météorisations toujours très graves.


DEUXIÈME PARTIE



DES MOYENS HYGIÉNIQUES en PARTICULIER

Après l’étude de la diète et de ses effets thérapeutiques, il est indispensable, de dire un mot des modifications hygiéniques ; car, en effet, il existe entre l’un et l’autre de ces moyens curatifs, un lien qui les unit d’une façon si intime, que la proscription de l’un d’eux ne peut donner de bons effets sans le secours de l’autre, qui devient en quelque sorte, comme le complément du régime diététique. Les modifications hygiéniques sont, en effet, indispensables aux animaux malades, bien plus même qu’à ceux qui sont en santé, vu que ceux-ci s’en affranchissent parfois, tandis que ceux-là ne le font jamais impunément.

Aération. — L’aération des locaux destinés aux animaux malades, est l’un des principaux moyens auxquels le vétérinaire doit tout d’abord avoir recours ; car on comprend facilement que si un air pur, d’une température uniforme, concourt à maintenir la santé, à plus forte raison exercera-t-il une heureuse influence sur les animaux malades.

L’air pur, dont les heureux résultats sont dus à l’oxygène qu’il contient, a pour effet non-seulement de brûler, à l’aide de ce gaz, les particules morbides qui abondent dans un organisme malade et qui doivent être détruites pour que la santé soit rétablie, mais encore de faciliter leur élimination en leur permettant de se répandre dans sa masse, et d’être enfin rejetées au dehors à chaque, expiration de l’animal.

Disons cependant que, pour que l’action bienfaisante de l’air se manifeste, il faut que ce fluide remplisse, certaines conditions. Ainsi on commettrait une erreur, en croyant que les malades doivent, pendant la saison froide, être toujours maintenus dans un air chaud ; c’est pourquoi on s’obstine le plus souvent dans les campagnes à fermer le mieux possible toutes les issues, afin d’obtenir cette température qu’on regarde comme indispensable au rétablissement de la santé. Par contre, ceux qui regardent l’air confiné comme nuisible, s’empressent de le purifier en ouvrant toutes les ouvertures et exposent ainsi les animaux à des refroidissements et à l’action funeste des courants d’air, toutes choses qui viennent entraver la marche régulière des maladies.

On atteindra le but désiré, en donnant aux malades assez d’espace pour que l’air reste pur, sans avoir besoin d’être renouvelé par une ventilation quelconque. En outre, la chaleur animale devra autant que possible suffire pour lui conserver une température moyenne, uniforme et subordonnée à la saison, à la nature des maladies, résultats qu’il est très difficile d’atteindre dans la plupart des locaux affectés aux animaux malades.

Une description détaillée de la manière d’être des locaux trouverait ici ses avantages, mais cette étude ne sera point entreprise, car nous serions forcé, pour cela, d’entrer dans le domaine de l’hygiène proprement dite, ce qui nous entraînerait trop loin. Qu’il nous suffise de dire, que le local habité par un de nos grands animaux doit être assez vaste pour contenir au moins 30 à 40 mètres cubes d’air. Celui-ci aura une température convenable s’il présente, eu égard à celle de l’extérieur, les conditions suivantes données par M. Lafosse : « Il faut qu’en hiver, l’air extérieur étant + 0°, celui de l’intérieur ne varie guère qu’entre + 8° et + 10° ; tandis qu’en été, sous une température extérieure de + 30°, celle de l’intérieur ne doit osciller qu’entre + 20° et + 25° ; à 15 degrés l’équilibre peut exister entre la température du dehors et celle du dedans. »

Cette température intérieure, pourra cependant être modiliée si cela est nécessaire. Ainsi s’il s’agit de rétablir les fonctions de la peau, il n’y aura pas d’inconvénient à maintenir la température un peu plus élevée, tandis qu’on devra l’abaisser si on a affaire à une typhose, au vertige, etc.

Pansage. — Nettoyer avec soin et à propos la peau des animaux est un bon moyen pour aider à la résolution des maladies. Les animaux régulièrement pansés ont la peau propre, souple, perméable ; en la débarrassant de la poussière qui obstrue ses pores, on la rend aussi plus apte à exercer ses fonctions éliminatoires.

Le pansage, en augmentant la transpiration, favorise indirectement les absorptions intérieures, la disparition des tumeurs et des engorgements ; il peut même amener à lui seul la guérison de certaines maladies cutanées. L’excitation qu’il produit sur la membrane tégumentaire active la circulation dans les capillaires du derme, d’où résulte une élévation dans la température de la partie frottée. Cette excitation réveille toutes les fonctions, l’appétit augmente, soit par l’effet de cette excitation générale, soit par le besoin de réparer les pertes que fait l’économie en chaleur et en transpiration cutanée. En facilitant les fonctions dont l’exercice régulier et continu est indispensable à l’entretien de la vie, le pansage devient donc très-efficace dans le traitement des maladies.

C’est surtout au déclin des affections aiguës et pendant le cours de celles qui sont chroniques que le pansage réitéré donne de bons résultats. Il doit au contraire se pratiquer avec modération ou bien même être suspendu dans les affections éruptives, le tétanos, les maladies fébriles, si l’on veut éviter des refroidissements, des accès tétaniques, par suite de la surexcitation du système nerveux.

Couvertures. — Ces sortes de vêtements sont d’un utile secours pour les animaux qui sont malades ou qui le deviennent facilement par l’effet du froid. Leur présence sur la peau détermine un afflux de sang vers la membrane tégumentaire, ce qui facilité les sécrétions et la transpiration ; la température élevée à laquelle elles la maintiennent active aussi, tout en la régularisant, la marche des maladies éruptives.

Associées à un air pur et frais, elles donnent d’excellents résultats surtout dans le traitement des affections charbonneuses et typhoïdes. Dans les maladies cutanées aiguës elles sont au contraire contre-indiquées, car la chaleur qu’elles occasionnent ravive le prurit, d’où des frottements et par suite des complications.

Les couvertures, en préservant encore la peau des corps extérieurs, de la poussière, des insectes ailés ont aussi leur utilité, alors que ces derniers individus s’acharnent à tourmenter nos animaux domestiques.

Repos. — Le repos est très-souvent indispensable dans les maladies pour éviter l’irritation, l’afflux du sang dans l’organe souffrant, et aussi pour économiser les forces déprimées par la maladie.

Les organes de la locomotion ne sont point les seuls qui aient besoin de repos ; ceux de la génération et des sens, demandent aussi un certain degré d’inaction. Il suffira pour atteindre ce but, de procurer aux animaux la plus grande tranquillité en les plaçant dans une demi-obscurité, d’éviter les bruits qui empêchent les malades de goûter un repos salutaire et d’écarter enfin tous les objets qui, en attirant leur attention, deviennent des causes de désir, de fatigue. Ainsi on éloignera avec avantage les femelles des mâles, lorsque ceux-ci seront affectés d’une maladie quelconque et surtout lorsqu’ils viendront d’être castrés.

Exercice. — L’exercice, en activant toutes les fonctions, stimule tous les organes, et imprime à l’organisme entier, des secousses salutaires qui concourent puissamment à rétablir la santé en renouvelant les matériaux altérés et en relevant les forces affaiblies par les affections chroniques. À la dernière période des maladies aiguës, il faut cependant user de l’exercice avec circonspection surtout quand ces affections ont amené une faiblesse telle, que la réaction du sujet paraît encore douteuse. Agir d’une autre façon serait exposer le malade à des récidives le plus souvent mortelles. On devra se contenter en pareille circonstance de promener le malade dans le local qu’il occupe, et ne se décider à le faire sortir que si la saison le permet.

Dans les maladies chroniques, au contraire ; l’exercice et même un léger travail se trouvent toujours bien indiqués.

L’exercice accélérant la circulation, l’absorption devient plus facile, d’où résulte la disparition des engorgements œdémateux ou autres, la cicatrisation des plaies est favorisée, les ankyloses qui tendent à se produire par suite d’un repos trop prolongé sont aussi arrêtées dans leur marche. L’appareil musculaire, les organes des sens mis en action, régularisent les fonctions du système nerveux et concourent à la guérison de certaines névroses telles que les crampes, les paralysies, la danse de St-Guy.

L’action des organes générateurs, peut enfin devenir salutaire dans certaines maladies chroniques des muqueuses respiratoires, du testicule, grâce à la vive excitation qu’occasionne chez les mâles l’acte du coït.

Station. — La plupart des maladies ou accidents des membres telles qu’arthrites, luxations, fractures, ne deviennent le plus souvent curables, qu’à l’aide de la station plus ou moins prolongée. Les animaux des petites espèces, ceux d’une taille peu élevée se soulèvent avec facilité, peuvent même marcher, se coucher, alors qu’ils ne se servent que de trois membres, le quatrième devant rester dans l’inaction pour une cause quelconque. Il n’en est plus ainsi chez les espèces de forte taille ; celles-ci se fatiguent très-vite dans la station tripédale, et quelques jours suffisent pour qu’elles se voient forcées à se coucher. Mais bientôt le besoin de se relever se faisant sentir, les animaux essaient en vain de le satisfaite par tous les moyens possibles ; ils s’agitent violemment, font des efforts induis, brisent les appareils, dérangent les pansements déjà appliqués, d’où des complications dont il est le plus souvent impossible de triompher malgré toutes les ressources de l’art. Quelquefois cependant les animaux au lieu de se coucher s’obstinent à rester debout, ce qui détermine des altérations très graves ; telles sont la fourbure, les distensions des tendons, des ligaments, etc.

De ce qui précède on conçoit qu’une seule indication se présente tout d’abord, prévenir ces redoutables complications. C’est pour arriver à ce résultat, que les appareils de suspension ont été employés. Mais, disons-le tout de suite, ces appareils n’ont que des avantages fictifs, car, outre qu’ils sont d’une manœuvre difficile, ils ont tous l’inconvénient de ne point s’accommoder à la taille des animaux et aux déplacements qu’on voudrait leur faire subir. C’est pour obvier à ces inconvénients que M. Lafosse a imaginé un appareil de ce genre, remplissant toutes les conditions voulues. Sa description, que nous passerons sous silence, viendrait d’ailleurs à l’appui de cette assertion. Qu’il nous suffise de dire qu’ayant été établi dans les infirmeries de l’École, on en a obtenu les plus heureux résultats.

Décubitus. — De même que pour la station forcée, il peut résulter d’un décubitus prolongé des conséquences d’une gravité telle, qu’elles entraînent presque toujours la mort des animaux. Les excoriations, la mortification des parties comprimées, les arthrites, l’entérite, la pneumonite, les paralysies en sont les complications les plus fréquentes.

On évitera ces accidents en totalité, si l’on fait usage de l’appareil déjà cité, en partie seulement, si, lorsqu’il fera défaut, on prend des précautions convenables. Pour les réduire autant que possible, la première des choses dont on doit s’occuper, consiste à faire une bonne litière ; puis, on n’a qu’à retourner fréquemment le malade, en ayant le soin, chaque fois, de frictionner les parties qui appuyaient sur la litière et dans lesquelles la circulation est sinon interrompue, du moins très-ralentie. Il est même nécessaire, de relever le malade le plus souvent possible, de le maintenir dans cette position jusqu’à ce que la miction et la défécation se soient effectuées, puis de l’aider à se coucher aussi doucement que possible, afin d’éviter une chute qui pourrait être nuisible. Enfin, au lieu de relever l’animal ou de le retourner fréquemment, on peut encore le soulager beaucoup, en le faisant reposer sur le sternum, au lieu de le laisser en décubitus latéral.

C’est à l’aide de ces précautions, regardées le plus souvent comme trop élémentaires et par conséquent négligées, que l’on peut néanmoins oser espérer quelques bons résultats.

Contention. — Il est aussi des moyens de contention qu’on doit parfois mettre en usage, pendant que les animaux sont au régime, afin de les préserver des dommages qu’ils peuvent eux-mêmes se porter, soit en se léchant, en se mordant, se secouant, etc. Les colliers à chapelet, le bâton à surfaix, les entraves, les bandages, les muselières, les béguins, la section des ongles, la fixation des parties mobiles sur d’autres qui le sont moins, sont les moyens auxquels on devra surtout avoir recours si cela est nécessaire, bien qu’ils aient presque tous l’inconvénient de gêner les mouvements ou bien d’irriter dans une certaine mesure les régions sur lesquelles ils sont appliqués. Dans quelques circonstances il est indispensable de fixer la tête des animaux entre deux points opposés, pour éviter les frottements auxquels ils se livrent ; mais les appareils employés jusqu’ici, gênent les mouvements de cette région, tout en empêchant les animaux de se coucher et de prendre aisément leur repos.

Sans avoir recours aux moyens plus haut signalés et lorsque les animaux s’acharnent à se mordre ou se lécher, on peut obvier à ces inconvénients en appliquant sur le point malade une substance d’un goût et d’une odeur désagréable, mais dépourvue de toute propriété nuisible.

L. GARROS