De la Tyrannie/Comment on doit mourir sous la tyrannie

Traduction par Merget.
Molini (p. 165-167).

CHAPITRE QUATRIÈME.

Comment on doit mourir sous la tyrannie.


Quoique la véritable gloire, c’est-à-dire, celle de se rendre par de grandes entreprises utile à sa patrie et à ses concitoyens, ne puisse être acquise par celui qui est né et condamné à vivre sous une tyrannie qui le réduit à une vie inactive, personne néanmoins ne pourrait empêcher à celui qui en aurait le brûlant désir, la gloire de mourir en homme libre, quoique né sous l’esclavage.

Quoique cette espèce de gloire paraisse ne pas servir au bien général, elle y contribue cependant efficacement par l’exemple sublime qu’elle laisse à imiter ; et Tacite, cet homme si profond dans la connaissance du cœur humain, la porte au suprême degré, par la rareté des hommes qui l’ont méritée. Il ne manquait, en effet, à la mort héroïque de Thraseas, de Sénèque, de Cremutius Cordo, et de tant d’autres Romains proscrits par leurs premiers tyrans, qu’une cause plus spontanée pour élever leur vertu jusqu’à celle des Curtius, des Décius et des Régulus ; et comme la suprême vertu est de défendre sa patrie et la liberté, au péril de sa vie, de même aussi sous la tyrannie enracinée, dont le joug pèse constamment sur la tête, il ne peut pas y avoir de plus grande gloire que celle de mourir généralement pour ne point vivre esclave.

Il faut donc que sous un gouvernement violent et soupçonneux, le petit nombre d’hommes pensans se conduise avec prudence, tant que cette prudence ne dégénère pas en lâcheté ; mais il faut aussi, lorsque la raison et la fortune les y forcent, qu’ils sachent mourir courageusement : c’est ainsi qu’ils illustreront, par une mort libre et glorieuse, les derniers momens d’une vie passée dans l’opprobre et la servitude.