De l’Homme/Section 9/Chapitre 11

SECTION IX
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 188-190).
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CHAPITRE XI.

Qu’on doit la vérité aux hommes.

Si je consultois sur ce sujet et S. Augustin et S. Ambroise, je dirois avec le premier : « La vérité devient-elle un sujet de scandale ? que le scandale naisse, et que la vérité soit dite[1] ». Je répéterois d’après le second : « On n’est pas défenseur de la vérité, si, du moment qu’on la voit, on ne la dit point sans honte et sans crainte[2] ». J’ajouterois enfin « que la vérité, quelque temps éclipsée par l’erreur, en perce tôt ou tard le nuage. »[3]

Mais il n’est point ici question d’autorité. Ce que l’on doit à l’opinion des hommes célebres c’est du respect, et non une foi aveugle. Il faut donc scrupuleusement examiner leurs opinions ; et, cet examen fait, il faut juger non d’après leur raison, mais d’après la sienne. Je crois les trois angles d’un triangle égaux à deux droits, non parcequ’Euclide l’a dit, mais parceque je puis m’en démontrer la vérité.

Demander si l’on doit la vérité aux hommes, c’est, sous un tour de phrase obscure et détournée, demander s’il est permis d’être vertueux et de faire le bien de ses semblables.

Mais l’obligation de dire la vérité suppose la possibilité de la découvrir. Les gouvernements doivent donc en faciliter les moyens ; et le plus sûr de tous est la liberté de la presse.



  1. Si de veritate scandalum, utilius permittitur nasci scandalum quam veritas relinquatur.
  2. Ille veritatis defensor esse debet qui, cum recte sentit, loqui non metuit nec erubescit.
  3. Occultari potest ad tempus veritas, vinci non potest. (S. Aug.)