(p. 9-24).





de Joie.






de Joie :

I



Ils sont venus, ils sont venus,
naïvement nus et goulus

de raisins de verre et de cierges,
sur les bras longs des saintes-vierges,

les dimanches ; sonnez matines,
Frère Jacques en mes doctrines.

Or c’en est fini des semaines
où, dans l’eau, mains rouges, l’on peine ;

il fait chaude joie dans le cœur
et les arbres chantent en chœur,

puis se taisent et font silence
avec un faux air d’innocence.


Car ils sont venus les dimanches
rêvés tout au long des nuits blanches,

et par la ville, les enfants
chanteurs de paysages blancs,

font les oiseaux et s’inquiètent
que si matin il fasse fête,

tandis que de messes en quête,
les vieilles gens perdent la tête.

Or, dans les rues et les ruelles
où sonnent fraîches les chapelles,

les femmes en robes nouvelles
s’éplorent de se trouver belles ;

Frère Jacques, sonnez matines
à leurs douces villes félines.




de Joie :

II



Et la ville de mes mille âmes
dormez-vous, dormez-vous ;
il fait dimanche, mes femmes
et ma ville dormez-vous ?

Et les juifs, honte à mes ruelles,
dormez-vous, dormez-vous ;
— Antiquités et Dentelles —
même les juifs dormez-vous ?


Et, vous, mes doux marchands de cierges,
dormez-vous, dormez-vous ;
aux litanies de la Vierge
immaculée, dormez-vous ?

Clochers, l’on a volé vos heures,
dormez-vous, dormez-vous ;
Frères Jacques aux demeures
de quel sommeil dormez-vous ?

Bonnes gens, il fait grand dimanche,
et de gel, et de verglas,
à la ville qu’endimanchent
les drapeaux des consulats.




de Joie :

III



Et s’ébrouant
rouets rouant,
les rouets au matin des vieilles,
leur font s’éjouir les oreilles
d’un bruit rouant
et s’ébrouant.

Brouet brouant
aux vieux Rouen,
arde pour les enfants aux langes,
en feu, la cuisine des anges,
d’aux vieux Rouen,
brouet brouant.


Fleuries, fleurant,
si bon fleurant,
aux autels, les femmes ont crainte,
pour leur robes jaune-hyacinthe,
fleuries, fleurant,
si bon fleurant.

Donné — donnant,
les bons manants
comptent l’argent sur leurs doigts pauvres,
pour quelques roses de Hanovre
données — donnant,
mortes — mourant.




de Joie :

IV



Mais, dans un château
du paradis est mon âme,
et, sourde, lui dit Sainte Anne,
une histoire longue, et trop haut,
dans un beau château.

Dans un beau château,
la Vierge, Jésus et l’âne
font des parties de campagne
à l’entour des pièces d’eau,
dans un beau château.


Dans un beau château,
Jésus se fatigue aux rames,
et prend plaisir à mon âme
qui se rafraîchit dans l’eau,
dans un beau château.

Dans un beau château,
des cormorans d’azur clament
et courent après mon âme
dans l’herbe du bord de l’eau,
dans un beau château.

Dans un beau château,
seigneur auprès de sa dame,
mon cœur cause avec mon âme
en échangeant des anneaux,
dans un beau château.




de Joie :

V



Or, les autres des bras en gestes,
et des baisers, et des yeux ronds,
les gens du dimanche qui vont
en voyage avec tant de gestes,

bon voyage, les trains vont vite,
aux carrousels des horizons
sautent les arbres, les maisons,
bon voyage, les trains vont vite.


Bon voyage, les jours sont longs
aux pays neufs et qui s’indurent
de mirages et d’aventures,
bon voyage, les jours sont longs.

Bon voyage, et races latines,
au bout des très-chrétiennes mers
des planisphères outre-mer,
bon voyage, et races latines.

Bon voyage, faites naufrage ;
bon voyage, pour avoir faim,
au soir, en voyant les moulins
à tour de bras faire du pain.




de Joie :

VI



Et je m’en reviens de mer
pauvre pécheur,
maintenant et à l’heure
de ce dimanche,
ainsi soit-il.

Et je m’en reviens de l’eau,
les rames haut,
sonnant comme des heures,
au beau dimanche,
ainsi soit-il.


La voile a coulé dans l’eau
mon beau bateau,
maintenant sonne l’heure
d’un beau dimanche,
ainsi soit-il.

Or la voile, l’aient les tailleurs,
aussi la mer,
alors que sonne l’heure
d’un beau dimanche,
ainsi soit-il.

Un dimanche est dans mon cœur,
pauvre pécheur,
maintenant et à l’heure
de ce dimanche
ainsi soit-il.




de Joie :

VII



Et voile à nul souffle bercée,
s’enguidonne d’un beau ciel d’or,
le dimanche très en décor
pour les femmes de mes pensées ;

et les femmes ont dépensé
leur cœur tout devant les fenêtres,
et creusent d’amour enlisées,
jusqu’au pleur ce ciel des fenêtres.


Vierges d’attente et de martyre,
au gril vert des persiennes lasses,
dans les jardins des croisées basses,
les femmes, jusqu’à se mourir,

cristallisent rouge aux fenêtres
— appeaux naïvement enfants —
leur cœur sous les tabliers blancs,
et tels des rideaux aux fenêtres.

Or, en vain, les femmes, amantes
d’aimer, se sentent infinies,
leurs besognes sont définies,
et pauvre leur cœur de servantes

froidit, pour que se fassent blanches
leurs mains, en très naïves grèves,
dans la comédie bleu du rêve.
Or, passent ainsi les dimanches.