Démétrius (Delrieu)/Avertissement

Ladvocat (p. i-iii).

AVERTISSEMENT.


On sait qu’après la mort d’Alexandre, ses généraux héritèrent de son vaste empire. La Syrie échut en partage à Séleucus. Il régna paisiblement et transmit sa couronne à ses descendans, qui, comme lui reconnus souverains, consacrèrent la dynastie des Séleucides.

Antiochus-le-Grand, ayant ajouté à ses états de nouvelles provinces, donne des inquiétudes à Rome, qui lui défend de poursuivre ses conquêtes. Antiochus, enorgueilli de ses succès, et indigné d’une telle défense, aima mieux suivre les conseils d’Annibal, qui, réfugié près de lui après la ruine de Carthage, lui inspira sa haine pour les Romains, et le détermina à mépriser les ordres et à braver la menace de ce peuple jaloux et conquérant. Rome aussitôt déclare la guerre au roi de Syrie, et envoie contre lui une armée formidable commandée par les deux Scipions.

Antiochus, défait à la fameuse journée de Magnésie, est forcé de souscrire un traité honteux par lequel lui et ses successeurs se voient à jamais assujettis à envoyer à Rome vingt otages, et surtout l’héritier présomptif du trône de Syrie. Je ne parle point des autres articles du traité ; ils sont étrangers au sujet de ma tragédie.

Séleucus Philopator, ayant succédé à son père Antiochus-le-Grand, fut, par suite dudit traité, contraint d’envoyer en otage à Rome Démétrius son fils aîné, et en Judée Héliodore son général, chargé d’en rapporter, en pillant le temple de Jérusalem, une somme suffisante pour payer aux Romains le tribut annuel : ce tribut était de quinze mille talens. Héliodore échoua dans son entreprise, revint à Antioche, et, pour se soustraire au courroux du roi, prend le parti de l’empoisonner. Il exécute son projet de concert avec la reine, dont il était le favori, et avec laquelle il se flattait de monter sur le trône ; en profitant de l’absence de Démétrius et de la minorité d’Antiochus. L’histoire tait le nom de cette reine : je la nomme Laodice.

Cependant Démétrius, héritier légitime du trône de Syrie, apprend à Rome que son sceptre est dans les mains de sa marâtre, assassin secret de Séleucus. Indigné d’un si lâche forfait, brûlant de venger la mort de son père, Démétrius réclame ses droits et l’appui du sénat ; le consul Valérius, vendu à Laodice, et ennemi déclaré de Démétrius, loin de lui rendre la liberté, le fait retenir et surveiller soigneusement. Démétrius, justement irrité, adresse plusieurs fois de nouvelles réclamations au sénat, qui, pour toute réponse, le fait chaque jour garder de plus près.

Heureusement un Grec qui se trouvait alors à Rome, et qui avait su gagner l’amitié et la confiance de Démétrius, l’aida par son adresse à se tirer d’embarras, et lui ouvrit par ses conseils les chemins de l’Asie et du trône.

Ce Grec était le célébre historien Polybe, qui, aussi aimable philosophe qu’habile politique, imagine, pour sauver son auguste ami, un stratagème qui lui réussit. Il engage Démétrius à user de feinte, à cacher son courroux, à affecter la joie, à montrer une entière soumission aux volontés du sénat, à renoncer publiquement à toute prétention au diadème, à solliciter même comme une faveur le titre de citoyen romain. Démétrius suit l’avis de Polybe ; soudain, se voyant moins surveillé, il saisit la première occasion favorable, et, s’échappant, seul de Rome, il s’embarque inconnu, déguisé, sur un navire tyrien, rentre dans ses états, se fait reconnaître de ses sujets, est proclamé roi, rend la paix à l’Asie, mérite par sa clémence le beau titre de soter ou sauveur, et s’affermit ainsi, presque sans obstacle, sur le trône de son père.

Voilà ce que l’histoire m’a fourni. Les personnages de Démétrius, d’Antiochus, d’Héliodore, sont historiques ; ceux de Laodice, de Nicanor, de Stratonice, sont d’invention.

On me pardonnera sans doute d’avoir supposé Démétrius frère d’Antiochus, qui dans l’histoire n’est que son cousin, et d’avoir substitué au stratagème de Polybe un moyen d’évasion plus digne d’un héros tragique.