Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/Appendice/B./P1/Cri

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 437-439).




Critique du premier paralogisme de la psychologie pure


Nous avons montré dans la partie analytique de la logique transcendentale que les catégories pures (et parmi elles celle aussi de la substance) n’ont par elles-mêmes aucune signification objective tant qu’on n’y subsume pas une intuition aux éléments divers de laquelle elles puissent être appliquées comme fonctions de l’unité synthétique. Elles ne sont sans cela que des fonctions d’un jugement sans contenu. Je puis dire de chaque chose en général qu’elle est une substance, en tant que je la distingue des simples prédicats et des simples déterminations des choses. Or dans chacune de nos pensées le moi est le sujet auquel ces pensées sont inhérentes comme simples déterminations, et ce moi ne peut être employé comme la détermination d’une autre chose. Chacun se doit donc nécessairement regarder soi-même comme une substance, et sa pensée comme de simples accidents de son existence ou comme des déterminations de son état.

Or quel usage dois-je faire de ce concept d’une substance ? Je ne saurais d’aucune façon en conclure que, comme être pensant, je dure par moi-même, et que je ne nais ni ne péris naturellement. Et cependant le concept de la substantialité de mon sujet pensant ne peut me servir qu’à cela ; sans cet usage, je pourrais parfaitement m’en passer.

Il s’en faut tellement que l’on puisse conclure ces propriétés des simples catégories pores d’une substance, qu’au contraire nous ne pouvons prendre pour principe la permanence d’un objet donné qu’au moyen de l’expérience, quand nous voulons lui appliquer le concept d’une substance et en faire un usage empirique. Or dans notre proposition nous n’avons pris pour base aucune expérience, mais nous n’avons fait que conclure du concept de la relation qu’implique toute pensée, au moi, comme au sujet commun auquel elle est inhérente. Nous ne pourrions pas même, en prenant l’expérience pour base, prouver une telle permanence par aucune expérience certaine. En effet le moi est bien dans toutes les pensées ; mais cette représentation n’entraîne pas la moindre intuition qui le distingue de tous les autres objets de l’intuition. On peut bien remarquer qu’elle reparaît toujours dans toute pensée, mais non pas qu’elle est une intuition fixe et permanente où les pensées (variables) se succèdent.

Il suit de là que le premier raisonnement de la psychologie transcendentale ne nous apporte qu’une prétendue lumière nouvelle en nous donnant le sujet logique permanent de la pensée Pour la connaissance du sujet réel d’inhérence dont nous n’avons ni ne pouvons avoir la moindre connaissance, puisque la conscience est la seule chose qui convertisse toutes les représentations en pensées, et où par conséquent elles doivent se rencontrer toutes comme dans le sujet transcendental ; et, en dehors de cette représentation logique du moi, nous n’avons aucune connaissance du sujet en soi qui lui servirait de base, à titre de substance, ainsi qu’à toutes les pensées. On peut cependant mettre en avant cette proposition : l’âme est une substance, pourvu que l’on reconnaisse que ce concept ne nous fait point faire un pas de plus, ou qu’il ne peut rien nous apprendre touchant les résultats ordinaires de la psychologie rationnelle, comme par exemple la durée constante de l’âme dans tous les changements et même après la mort de l’homme, et que par conséquent il ne signifie qu’une substance en idée, mais non en réalité.


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Notes de Kant modifier


Notes du traducteur modifier