Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome II/Appendice/A./S2

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (2p. 411-413).






APPENDICE


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A (a)[1]


Déduction des concepts purs de l’entendement


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DEUXIÈME SECTION


Des principes à priori de la possibilité de l’expérience


Qu’un concept puisse être produit tout à fait à priori et se rapporter à un objet, bien qu’il ne rentre pas lui-même dans le concept d’une expérience possible ou qu’il ne se compose pas d’éléments d’une expérience possible, c’est ce qui est absolument contradictoire. En effet il n’aurait point alors de matière, puisqu’il n’y aurait point d’intuition qui lui correspondît, les intuitions par lesquelles des objets peuvent nous être donnés constituant en général le champ ou tout l’objet de l’expérience possible. Un concept à priori qui ne s’y rapporterait pas ne serait que la forme logique d’un concept, mais non le concept par lequel quelque chose serait pensé.

Si donc il y a des concepts purs à priori, il se peut sans doute que ces concepts ne contiennent rien d’empirique, mais ils n’en sont pas moins de simples conditions à priori d’une expérience possible, seule base sur laquelle puisse reposer leur réalité objective.

Veut-on savoir comment sont possibles les concepts purs de l’entendement, il faut donc chercher ce que sont les conditions à priori d’où dépend la possibilité de l’expérience possible et qui lui servent de fondement, quand on fait abstraction de tout ce que les phénomènes contiennent d’empirique. Un concept exprimant d’une manière générale et suffisante cette condition formelle et objective de l’expérience s’appellerait un concept pur de l’entendement. Une fois que je suis en possession de concepts purs de l’entendement, je puis bien concevoir aussi des objets qui sont peut-être impossibles, peut-être possibles en soi, mais ne peuvent être donnés dans aucune expérience, parce que dans la liaison de ces concepts quelque chose peut être omis qui appartienne nécessairement à la condition d’une expérience possible (comme dans le concept d’un esprit), ou que des concepts purs de l’entendement peuvent être étendus au delà de la capacité de l’expérience (comme le concept de Dieu). Mais, si les éléments de toutes les connaissances à priori, même de fictions arbitraires et absurdes, ne peuvent être dérivés de l’expérience, (puisqu’autrement ils ne seraient plus des connaissances à priori, ils doivent toujours renfermer les conditions pures à priori d’une expérience possible et d’un objet de cette expérience, car autrement non-seulement rien ne serait pensé par leur moyen, mais ils ne pourraient pas même, sans data, naître dans la pensée.

Or ces concepts qui contiennent à priori la pensée pure dans chaque expérience, nous les trouvons dans les catégories, et c’est déjà en donner une déduction suffisante et justifier leur valeur objective que de prouver qu’un objet ne peut être pensé que par leur moyen. Mais, comme dans une telle pensée il y a en jeu quelque chose de plus que la simple faculté de penser, ou l’entendement, et que l’entendement lui-même, comme faculté de connaître se rapportant à des objets, a besoin précisément d’un éclaircissement touchant la possibilité de ce rapport, nous devons d’abord examiner, non pas dans leur nature empirique, mais dans leur nature transcendentale, les sources subjectives qui constituent les principes à priori de la possibilité de l’expérience.

Si chaque représentation particulière était étrangère aux autres, si elle en était en quelque sorte isolée ou séparée, il ne se produirait jamais quelque chose comme la connaissance, laquelle est un ensemble de représentations comparées et liées. Si donc j’attribue au sens une synopsis, parce qu’il y a de la variété dans son intuition, une synthèse correspond toujours à cette synopsis, et la réceptivité ne peut rendre possibles des connaissances qu’en s’unissant à la spontanéité. Or celle-ci est le principe d’une triple synthèse, qui se présente nécessairement dans toute connaissance : à savoir la synthèse de l’appréhension des représentations comme modifications de l’esprit dans l’intuition, celle de la reproduction de ces représentations dans l’imagination, et celle de leur récognition dans le concept. Ces trois synthèses nous conduisent à trois sources subjectives de connaissances, qui elles-mêmes rendent possible l’entendement, et par lui toute expérience, comme produit empirique de l’entendement.


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Notes de Kant modifier

  1. (a) Voir tome Ier, page 158.


Notes du traducteur modifier