Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome I/Théorie élémentaire/P2/PREM DIV./L2/Ch2/S3/4./Théorème

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (1p. 286-298).

Théorème
La simple conscience, mais empiriquement déterminée, de ma propre existence, prouve l’existence des objets extérieurs dans l’espace.
preuve

J’ai conscience de mon existence comme déterminée dans le temps. Toute détermination suppose quelque chose de permanent dans la perception. Or ce permanent[ndt 1] ne peut pas être une intuition en moi. En effet, tous les principes de détermination de mon existence qui peuvent être trouvés en moi, sont des représentations, et, à ce titre, ont besoin de quelque chose de permanent qui soit distinct de ces représentations, et par rapport à quoi leur changement, et par conséquent mon existence dans le temps où elles changent, puissent être déterminés[ndt 2]. La perception de ce permanent n’est donc possible que par une chose existant hors de moi, et non pas seulement par la représentation d’une chose extérieure à moi. Par conséquent la détermination de mon existence dans le temps n’est possible que par l’existence de choses réelles que je perçois hors de moi. Mais, comme cette conscience dans le temps est nécessairement liée à la conscience de la possibilité de cette détermination du temps, elle est aussi nécessairement liée à l’existence des choses hors de moi, comme à la condition de la détermination du temps ; c’est-à-dire que la conscience de ma propre existence est en même temps une conscience immédiate de l’existence d’autres choses hors de moi.

Premier scolie. On remarquera dans la preuve précédente que le jeu de l’idéalisme est retourné, à bien plus juste titre, contre ce système. Celui-ci admettait que la seule expérience immédiate est l’expérience interne, et que l’on ne fait que conclure de là à l’existence de choses extérieures, mais qu’ici, comme dans tous les cas où l’on conclut d’effets donnés à des causes déterminées, la conclusion est incertaine, parce que les causes des représentations peuvent aussi être en nous-mêmes, et que peut-être nous les attribuons faussement à des choses extérieures. Or il est démontré ici que l’expérience extérieure est proprement immédiate [1], et que c’est seulement au moyen de cette expérience qu’est possible, non pas, il est vrai, la conscience de notre propre existence, mais la détermination de cette existence dans le temps, c’est-à-dire l’expérience interne. Sans doute la représentation je suis, exprimant la conscience qui peut accompagner toute pensée, est ce qui renferme immédiatement en soi l’existence d’un sujet ; mais elle n’en renferme aucune connaissance, par conséquent aucune connaissance empirique, ou, en d’autres termes, aucune expérience. Il faut pour cela, outre la pensée de quelque chose d’existant, l’intuition, et ici l’intuition interne ; c’est par rapport à cette intuition, c’est-à-dire au temps, que le sujet doit être déterminé ; et cela même exige nécessairement des objets extérieurs, de telle sorte que l’expérience interne elle-même n’est possible que médiatement et par le moyen de l’expérience externe.

Deuxième scolie. Tout usage expérimental de notre faculté de connaître dans la détermination du temps s’accorde parfaitement avec cette preuve. Non-seulement nous ne pouvons percevoir aucune détermination de temps que par le changement dans les rapports extérieurs (le mouvement) relativement à ce qui est permanent dans l’espace (par exemple le mouvement du soleil relativement aux objets de la terre) ; mais nous n’avons même rien de permanent que nous puissions soumettre, comme intuition, au concept d’une substance, sinon la matière : et, quoique[ndt 3] cette permanence ne soit pas tirée de l’expérience extérieure, mais qu’elle soit supposée à priori, comme c’est la condition nécessaire de toute détermination du temps, elle sert à ce titre même à déterminer le sens interne relativement à notre propre existence par l’existence des choses extérieures. La conscience de moi-même dans la représentation Je, n’est point du tout une intuition, mais une représentation purement intellectuelle de la spontanéité d’un sujet pensant. Ce Je ne contient donc pas le moindre prédicat d’intuition, qui, en tant que permanent, puisse servir de corrélatif à la détermination du temps dans le sens interne, comme est par exemple l’impénétrabilité de la matière, en tant qu’intuition empirique. Troisième scolie. De ce que l’existence d’objets extérieurs est nécessaire pour qu’une conscience déterminée de nous-mêmes soit possible, il ne s’ensuit pas que toute représentation intuitive de choses extérieures en renferme en même temps l’existence, car cette représentation peut bien être le simple effet de l’imagination (comme il arrive dans les rêves ou dans la folie) ; mais elle n’a lieu que par la reproduction d’anciennes perceptions extérieures, lesquelles, comme nous l’avons montré, ne sont possibles que par la réalité des objets extérieurs. Il a donc suffi de prouver ici que l’expérience interne en général n’est possible que par l’expérience externe en général. Quant à savoir si telle ou telle prétendue expérience ne serait pas une simple imagination, c’est ce que l’on découvrira au moyen de ses déterminations particulières et à l’aide des critériums de toute expérience réelle.


Enfin, pour ce qui est du troisième postulat, il se rapporte à la nécessité matérielle dans l’existence, et non à la nécessité purement formelle et logique dans la liaison des concepts. Or, comme nulle existence des objets des sens ne peut être connue tout à fait à priori, mais seulement d’une manière relativement à priori, c’est-à-dire par rapport à quelque autre objet déjà donné, qui ne peut toujours se rapporter qu’à une existence comprise quelque part dans l’ensemble de l’expérience, dont la perception donnée est une partie, la nécessité de l’existence ne peut jamais être connue par des concepts, mais seulement par la liaison qui l’unit avec ce qui est perçu suivant les lois générales de l’expérience. D’un autre côté, comme la seule existence qui puisse être reconnue pour nécessaire sous la condition d’autres phénomènes, est celle des effets résultant de causes données d’après les lois de la causalité, ce n’est pas de l’existence des choses (des substances), mais seulement de leur état que nous pouvons connaître la nécessité, et cela, en vertu des lois empiriques de la causalité, au moyen d’autres états donnés dans la perception. Il suit de là que le critérium de la nécessité réside uniquement dans cette loi de l’expérience possible, à savoir que tout ce qui arrive est déterminé à priori dans le phénomène par sa cause. Nous ne connaissons donc que la nécessité des effets naturels dont les causes nous sont données ; le signe de la nécessité dans l’existence ne s’étend pas au delà du champ de l’expérience possible, et même dans ce champ il ne s’applique pas à l’existence des choses comme substances, puisque celles-ci ne peuvent jamais être considérées comme des effets empiriques ou comme quelque chose qui arrive et qui naît. La nécessité ne concerne donc que les rapports des phénomènes suivant la loi dynamique de la causalité, et que la possibilité, qui s’y fonde, de conclure à priori de quelque existence donnée (d’une cause) à une autre existence (à l’effet). Tout ce qui arrive est hypothétiquement nécessaire ; c’est là un principe qui soumet le changement dans le monde à une loi, c’est-à-dire à une règle de l’existence nécessaire, sans laquelle il n’y aurait pas même de nature. C’est pourquoi le principe : rien n’arrive par un aveugle hasard (in mundo non datur casus) est une loi à priori de la nature. Il en est de même de celui-ci : il n’y a pas dans la nature de nécessité aveugle, mais une nécessité conditionnelle, par conséquent intelligente (non datur fatum). Ces deux principes sont des lois qui soumettent le jeu des changements à une nature des choses (comme phénomènes), ou, ce qui revient au même, à l’unité de l’entendement, dans lequel ils ne peuvent appartenir qu’à l’expérience considérée comme unité synthétique des phénomènes. Ils sont tous deux dynamiques. Le premier est proprement une conséquence du principe de la causalité (sous les analogies de l’expérience). Le second appartient aux principes de la modalité, qui ajoute à la détermination causale le concept de la nécessité, mais d’une nécessité soumise à une règle de l’entendement. Le principe de la continuité interdisait dans la série des phénomènes (des changements) tout saut (in mundo non datur saltus), et en même temps, dans l’ensemble de toutes les intuitions empiriques dans l’espace, toute lacune, tout hiatus entre deux phénomènes (non datur hiatus) ; car on peut énoncer ainsi le principe : il ne peut rien tomber dans l’expérience qui prouve un vacuum, ou qui seulement le permette comme une partie de la synthèse empirique. En effet, pour ce qui est du vide que l’on peut concevoir en dehors du champ de l’expérience possible (du monde), il n’appartient pas au ressort du pur entendement, qui prononce uniquement sur les questions concernant l’application des phénomènes donnés à la connaissance empirique, et c’est un problème pour la raison idéaliste, laquelle sort de la sphère d’une expérience possible pour juger de ce qui environne et limite cette sphère même : c’est par conséquent dans la dialectique transcendentale qu’il doit être examiné. Nous pourrions aisément représenter ces quatre principes (in mundo non datur hiatus, non datur saltus, non datur casus, non datur fatum), comme tous les autres principes d’origine transcendentale, dans leur ordre, conformément à l’ordre des catégories, et assigner à chacun sa place ; mais le lecteur déjà exercé le fera de lui-même, ou trouvera aisément le fil conducteur nécessaire pour cela. Ils s’accordent tous d’ailleurs en ce point qu’ils ne souffrent rien dans la synthèse empirique qui puisse porter atteinte à l’entendement et à l’enchaînement continu de tous les phénomènes, c’est-à-dire à l’unité de ses concepts. Car c’est en lui seulement qu’est possible l’unité de l’expérience où toutes les perceptions doivent avoir leur place.

Le champ de la possibilité est-il plus grand que celui qui contient tout le réel, et celui-ci à son tour est-il plus grand que celui de ce qui est nécessaire ? ce sont là de belles questions, dont la solution est synthétique, mais qui ressortissent uniquement au tribunal de la raison. En effet, elles reviennent à peu près à demander si toutes choses, comme phénomènes, appartiennent à l’ensemble et au contexte d’une seule expérience dont toute perception donnée est une partie, et qui, par conséquent, ne peut être liée à d’autres phénomènes, ou bien si mes perceptions peuvent appartenir (dans leur enchaînement général) à quelque chose de plus qu’à une seule expérience possible. En général, l’entendement ne donne à priori à l’expérience que la règle, suivant les conditions subjectives et formelles, soit de la sensibilité, soit de l’aperception, qui seules rendent possible cette expérience. Quand même d’autres formes de l’intuition (que l’espace et le temps), ou d’autres formes de l’entendement (que la forme discursive de la pensée, ou celle de la connaissance par concepts) seraient possibles, nous ne pourrions d’aucune façon nous en faire une idée et les comprendre ; et, le pussions-nous, toujours n’appartiendraient-elles pas à l’expérience comme à la seule connaissance où les objets nous sont donnés. Peut-il y avoir d’autres perceptions que celles qui en général constituent l’ensemble de notre expérience possible, et par conséquent peut-il y avoir un tout autre champ de la matière ? c’est ce que l’entendement ne saurait décider, n’ayant affaire qu’à la synthèse de ce qui est donné. D’ailleurs la pauvreté de ces raisonnements ordinaires par lesquels nous produisons un grand empire de la possibilité dont toute chose réelle (tout objet d’expérience) n’est qu’une petite partie, cette pauvreté saute aux yeux. Tout réel est possible ; de là découle naturellement, suivant les règles logiques de la conversion, cette proposition toute particulière : quelque possible est réel, ce qui paraît revenir à ceci : il y a beaucoup de choses possibles qui ne sont pas réelles. Il semble à la vérité que l’on puisse mettre le nombre du possible au-dessus de celui du réel, puisqu’il faut que quelque chose s’ajoute à celui-là pour former celui-ci. Mais je ne connais pas cette addition au possible ; car ce qui devrait y être ajouté serait impossible. La seule chose qui pour mon entendement puisse s’ajouter à l’accord avec les conditions formelles de l’expérience, c’est la liaison avec quelque perception : et ce qui est lié avec une perception suivant des lois empiriques, est réel, encore qu’il ne soit pas immédiatement perçu. Mais que dans l’enchaînement général avec ce qui m’est donné dans la perception, il puisse y avoir une autre série de phénomènes, par conséquent plus qu’une expérience unique comprenant tout, c’est ce que l’on ne peut conclure de ce qui est donné, et ce que l’on peut encore moins conclure sans que quelque chose soit donné, puisque rien en général ne se laisse penser sans matière. Ce qui n’est possible que sous des conditions simplement possibles elles-mêmes, ne l’est pas à tous égards. Mais c’est à ce point de vue général que l’on envisage la question, quand on veut savoir si la possibilité des choses s’étend au delà du cercle de l’expérience.

Je n’ai fait mention de ces questions que pour ne laisser aucune lacune dans ce qui appartient, suivant l’opinion commune, aux concepts de l’entendement. Mais dans le fait, la possibilité absolue (qui est valable à tous égards) n’est pas un simple concept de l’entendement, et ne peut être d’aucun usage empirique ; elle appartient uniquement à la raison, qui dépasse tout usage empirique possible de l’entendement. Aussi avons-nous dû nous contenter d’une remarque purement critique, laissant, d’ailleurs la chose dans l’obscurité jusqu’à ce que nous la reprenions plus tard pour la traiter d’une manière plus étendue.

Avant de clore ce quatrième numéro et avec lui le système de tous les principes de l’entendement pur, je dois indiquer encore le motif qui m’a fait appeler du nom de postulats les principes de la modalité. Je ne prends pas ici cette expression dans le sens que lui ont donné quelques philosophes récents, contrairement à celui des mathématiciens, auxquels elle appartient proprement, c’est-à-dire comme signifiant une proposition que l’on donne pour immédiatement certaine, sans la justifier ni la prouver. En effet, accorder que des propositions synthétiques, si évidentes qu’elles soient, puissent, sans déduction et à première vue, emporter une adhésion absolue, c’est ruiner toute critique de l’entendement. Comme il ne manque pas de prétentions hardies, auxquelles ne se refuse pas même la foi commune (mais sans être pour elles une lettre de créance), notre entendement serait ouvert à toutes les opinions, sans pouvoir refuser son assentiment à des sentences qui, quelque illégitimes qu’elles fussent, demanderaient, avec le ton de la plus parfaite assurance, à être admises comme de véritables axiomes. Quand donc une détermination à priori s’ajoute synthétiquement au concept d’une chose, il faut nécessairement joindre à une proposition de ce genre, sinon une preuve, du moins une déduction de la légitimité de cette assertion.

Mais les principes de la modalité ne sont pas objectivement synthétiques, puisque les prédicats de la possibilité, de la réalité et de la nécessité n’étendent pas le moins du monde le concept auquel ils s’appliquent, en ajoutant quelque chose à la représentation de l’objet. Ils n’en sont pas moins synthétiques, mais ils ne le sont que d’une manière subjective, c’est-à-dire qu’ils appliquent au concept d’une chose (du réel), dont ils ne disent rien d’ailleurs, la faculté de connaître où il a son origine et son siège. Si ce concept concorde simplement dans l’entendement avec les conditions formelles de l’expérience, son objet est appelé possible ; s’il est lié à la perception (à la sensation comme matière des sens) et qu’il soit déterminé par elle au moyen de l’entendement, l’objet est dit réel ; si enfin il est déterminé par l’enchaînement des perceptions suivant des concepts, l’objet se nomme nécessaire. Les principes de la modalité n’expriment donc, touchant un concept, rien autre chose que l’acte de la faculté de connaître par lequel il est produit. Or on appelle postulat dans les mathématiques une proposition pratique qui ne contient rien que la synthèse par laquelle nous nous donnons d’abord un objet et en produisons le concept ; par exemple : décrire d’un point donné, avec une ligne donnée, un cercle sur une surface. Une proposition de ce genre ne peut pas être démontrée, puisque le procédé qu’elle exige est précisément celui par lequel nous produisons d’abord le concept d’une telle figure. Nous pouvons donc avec même droit postuler les principes de la modalité, puisqu’ils n’étendent pas leur concept des choses[2], mais qu’ils se bornent à montrer comment en général il est lié ici à la faculté de connaître.



Notes de Kant modifier

  1. La conscience immédiate de l’existence de choses extérieures n’est pas supposée, mais prouvée dans le théorème précédent, que nous puissions apercevoir ou non la possibilité de cette conscience. La question touchant cette dernière serait de savoir si nous n’avons qu’un sens interne, et pas de sens extérieur, mais simplement une imagination extérieure. Or il est clair que, même pour que nous puissions nous imaginer quelque chose comme extérieur, il faut que nous ayons déjà un sens externe, et qu’ainsi nous distinguions immédiatement la simple réceptivité d’une intuition externe de la spontanéité qui caractérise cette imagination. En effet, supposer que nous ne faisons qu’imaginer un sens externe, ce serait anéantir la faculté même d’intuition qui doit être déterminée par l’imagination.
  2. Par la réalité d’une chose j’affirme sans doute plus que la possibilité, mais non pas dans la chose ; en effet, la chose ne saurait contenir dans la réalité plus qu’il n’était contenu dans sa possibilité complète. Mais, comme la possibilité n’était qu’une position de la chose par rapport à l’entendement (à son usage empirique), la réalité est en même temps une liaison de cette chose avec la perception.


Notes du traducteur modifier

  1. J’ai suivi ici la nouvelle rédaction que Kant, dans la dernière note de la préface de sa seconde édition (voir plus haut, p. 41), prie le lecteur de substituer à cette phrase du texte : « Or ce permanent ne peut être quelque chose en moi, puisque mon existence dans le temps ne peut être déterminée que par lui-même. » J. B.
  2. À la correction à laquelle je viens de me conformer. Kant a joint, dans la note rappelée plus haut, les observations suivantes, qui trouvent ici leur vraie place :

    « On objectera sans doute contre cette preuve, que je n’ai immédiatement conscience que de ce qui est en moi, c’est-à-dire de ma représentation des choses extérieures, et que par conséquent il reste toujours incertain, s’il y a ou non hors de moi quelque chose qui y corresponde. Mais j’ai conscience par l’expérience intérieure de mon existence dans le temps (par conséquent aussi de la propriété qu’elle a d’y être déterminable), ce qui est plus que d’avoir simplement conscience de ma représentation, et ce qui pourtant est identique à la conscience empirique de mon existence, laquelle n’est déterminable que par rapport à quelque chose existant hors de moi et lié à mon existence. Cette conscience de mon existence dans le temps est donc identiquement liée à la conscience d’un rapport à quelque chose hors de moi, et par conséquent c’est l’expérience et non la fiction, le sens et non l’imagination, qui lie inséparablement l’extérieur à mon sens intérieur : car le sens extérieur est déjà par lui-même une relation de l’intuition à quelque chose de réel existant hors de moi, et dont la réalité, à la différence de la fiction, ne repose que sur ce qu’il est inséparablement lié à l’expérience intérieure elle-même, comme à la condition de sa possibilité, ce qui est ici le cas. Si à la conscience intellectuelle que j’ai de mon existence dans cette représentation : je suis, qui accompagne tous mes jugements et tous les actes de mon entendement, je pouvais joindre en même temps une détermination de mon existence par l’intuition intellectuelle, la conscience d’un rapport à quelque chose d’extérieur à moi ne ferait pas nécessairement partie de cette détermination. Or cette conscience intellectuelle précède sans doute, mais l’intuition intérieure, dans laquelle seule mon existence peut être déterminée, est sensible et liée à la condition du temps, et cette détermination, et par conséquent l’expérience intérieure elle-même, dépendent de quelque chose de permanent, qui n’est pas en moi, et par conséquent ne peut être que dans quelque chose hors de moi, avec quoi je dois me considérer comme étant en relation. La réalité du sens extérieur est ainsi nécessairement liée à celle du sens intérieur pour la possibilité d’une expérience en général ; c’est-à-dire que j’ai tout aussi sûrement conscience qu’il y a hors de moi des choses qui se rapportent à mon sens, que j’ai conscience d’exister moi-même d’une manière déterminée dans le temps. Quant à savoir quelles sont les intuitions données auxquelles des objets correspondent réellement hors de moi, et qui par conséquent appartiennent au sens extérieur, et non à l’imagination ; c’est ce qui, dans chaque cas particulier, doit être décidé d’après les règles qui servent à distinguer l’expérience en général (même l’expérience interne) de l’imagination ; mais le principe est toujours qu’il y a réellement une expérience extérieure. On peut encore ajouter ici la remarque suivante : la représentation de quelque chose de permanent dans l’existence n’est pas identique à la représentation permanente ; celle-ci, en effet, peut être très-changeante et très-variable, comme toutes nos représentations et même celles de la matière, et cependant elle se rapporte à quelque chose de permanent, qui par conséquent doit être une chose distincte de toutes mes représentations, une chose extérieure, dont l’existence est nécessairement comprise dans la détermination de ma propre existence et ne constitue avec elle qu’une seule expérience, qui n’aurait jamais lieu intérieurement, si elle n’était pas aussi extérieure (en partie). Quant au comment, nous ne pouvons pas plus l’expliquer ici que nous ne pouvons expliquer comment nous concevons en général ce qui subsiste dans le temps et par sa simultanéité avec le variable produit le concept du changement. »

  3. Je modifie un peu, à partir d’ici, la liaison et la rédaction du reste de cette phrase, afin de la rendre plus logique et plus claire, tout en reproduisant fidèlement la pensée de l’auteur.
    J. B.