Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome I/Théorie élémentaire/P2/PREM DIV./L1/Ch2/S2/§19

Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (1p. 168-170).


§ 19
La forme logique de tous les jugements consiste dans l’unité objective de l’aperception des concepts qui y sont contenus.

Je n’ai jamais été satisfait de la définition que les logiciens donnent du jugement en général, en disant que c’est la représentation d’un rapport entre deux concepts. Je ne leur reprocherai pas ici le défaut qu’a cette définition de ne s’appliquer en tous cas qu’aux jugements catégoriques et non aux jugements hypothétiques et disjonctifs (lesquels n’impliquent pas seulement un rapport de concepts, mais de jugements mêmes) : mais en laissant de côté ce vice logique (bien qu’il en soit résulté de fâcheuses conséquences[1]), je me bornerai à faire remarquer que leur définition ne détermine point en quoi consiste le rapport dont elle parle.

Mais en cherchant à déterminer plus exactement le rapport des connaissances données dans chaque jugement et en distinguant ce rapport, propre à l’entendement, de celui qui rentre dans les lois de l’imagination reproductive (lequel n’a qu’une valeur subjective), je trouve qu’un jugement n’est autre chose qu’une manière de ramener des connaissances données à l’unité objective de l’aperception. Telle est la fonction que remplit dans ces jugements la copule : est ; elle sert à distinguer l’unité objective des représentations données de leur unité subjective. En effet, elle désigne le rapport de ces représentations à l’aperception originaire et leur unité nécessaire, bien que le jugement lui-même soit empirique et par conséquent contingent, comme celui-ci par exemple : les corps sont pesants. Je ne veux pas dire par là que ces représentations se rapportent nécessairement les unes aux autres dans l’intuition empirique, mais qu’elles se rapportent les unes aux autres dans la synthèse des intuitions grâce à l’unité nécessaire de l’aperception, c’est-à-dire suivant les principes qui déterminent objectivement toutes les représentations, de manière à en former des connaissances, et qui eux-mêmes dérivent tous de celui de l’unité transcendentale de l’aperception. C’est ainsi seulement que de ce rapport peut naître un jugement, c’est-à-dire un rapport


qui a une valeur objective et qui se distingue assez de cet autre rapport des mêmes représentations dont la valeur est purement subjective, de celui, par exemple, qui se fonde sur les lois de l’association. D’après ces dernières, je ne pourrais que dire : quand je porte un corps, je sens l’action de la pesanteur ; mais non pas : le corps est pesant ; ce qui revient à dire que ces deux représentations sont liées dans l’objet, indépendamment de l’état du sujet, et qu’elles ne sont pas seulement associées dans la perception (si souvent qu’elle puisse être répétée).



Notes de Kant modifier

  1. La longue théorie des quatre figures syllogistiques ne concerne que les raisonnements catégoriques ; et, quoiqu’elle ne soit pas autre chose qu’un art d’arriver, en déguisant les conséquences immédiates (consequentiæ immediatæ) sous les prémisses d’un raisonnement pur, à offrir l’apparence d’un plus grand nombre d’espèces de conclusions qu’il n’y en a dans la première figure, elle n’aurait eu pourtant aucun succès, si elle n’était parvenue à présenter exclusivement les jugements catégoriques comme ceux auxquels tous les autres doivent se rapporter, ce qui est faux d’après le § 9.


Notes du traducteur modifier