Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/16

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 183-185).


CHAPITRE XVI

POUR PRATIQUER LA RICHESSE D’ESPRIT
EMMI LA PAUVRETÉ RÉELLE


Mais si vous êtes réellement pauvre, très chère Philothée, o Dieu, soyez-le encore d’esprit ; faites de nécessité vertu, et employez cette pierre précieuse de la pauvreté pour ce qu’elle vaut : son éclat n’est pas découvert en ce monde, mais si est-ce pourtant qu’il est extrêmement beau et riche.

Ayez patience, vous êtes en bonne compagnie : Notre Seigneur, Notre Dame, les Apôtres, tant de saints et de saintes ont été pauvres, et pouvant être riches ils ont méprisé de l’être. Combien y a-t-il de grands mondains qui, avec beaucoup de contradictions, sont allés rechercher avec un soin nonpareil la sainte pauvreté dedans les cloîtres et les hôpitaux ? Ils ont pris beaucoup de peine pour la trouver, témoin saint Alexis, sainte Paule, saint Paulin, sainte Angèle et tant d’autres ; et voilà, Philothée, que, plus gracieuse en votre endroit, elle se vient présenter chez vous ; vous l’avez rencontrée sans la chercher et sans peine : embrassez-la donc comme la chère amie de Jésus-Christ, qui naquit, vécut et mourut avec la pauvreté, qui fut sa nourrice toute sa vie.

Votre pauvreté, Philothée, a deux grands privilèges, par le moyen desquels elle vous peut beaucoup faire mériter. Le premier est qu’elle ne vous est point arrivée par votre choix, mais par la seule volonté de Dieu, qui vous a faite pauvre sans qu’il y ait eu aucune concurrence de votre volonté propre. Or, ce que nous recevons purement de la volonté de Dieu lui est toujours très agréable, pourvu que nous le recevions de bon cœur et pour l’amour de sa sainte volonté : où il y a moins du nôtre, il y a plus de Dieu. La simple et pure acceptation de la volonté de Dieu rend une souffrance extrêmement, pure.

Le second privilège de cette pauvreté, c’est qu’elle est une pauvreté vraiment pauvre. Une pauvreté louée, caressée, estimée, secourue et assistée, elle tient de la richesse, elle n’est pour le moins pas du tout pauvre ; mais une pauvreté méprisée, rejetée, reprochée et abandonnée, elle est vraiment pauvre. Or, telle est pour l’ordinaire la pauvreté des séculiers ; car parce qu’ils ne sont pas pauvres par leur élection, mais par nécessité, on n’en tient pas grand compte ; et en ce qu’on n’en tient pas grand compte, leur pauvreté est plus pauvre que celle des religieux, bien que celle-ci d’ailleurs ait une excellence fort grande et trop plus recommandable, à raison du vœu et de l’intention pour laquelle elle a été choisie.

Ne vous plaignez donc pas, ma chère Philothée, de votre pauvreté ; car on ne se plaint que de ce qui déplaît, et si la pauvreté vous déplaît vous n’êtes plus pauvre d’esprit, ains riche d’affection.

Ne vous désolez point de n’être pas si bien secourue qu’il serait requis ; car en cela consiste l’excellence de la pauvreté. Vouloir être pauvre et n’en recevoir point d’incommodité, c’est une grande ambition ; car c’est vouloir l’honneur de la pauvreté et la commodité des richesses.

N’ayez point de honte d’être pauvre ni de demander l’aumône en charité ; recevez celle qui vous sera donnée, avec humilité, et acceptez le refus avec douceur. Ressouvenez-vous souvent du voyage que Notre Dame fit en Égypte pour y porter son cher enfant, et combien de mépris, de pauvreté, de misère il lui convint supporter, Si vous vivez comme cela, vous serez très riche en votre pauvreté.