Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/13

Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 171-174).


CHAPITRE XIII

AVIS POUR CONSERVER LA CHASTETÉ


Soyez extrêmement prompte à vous détourner de tous les acheminements et de toutes les amorces de la lubricité, car ce mal agit insensiblement, et par des petits commencements fait progrès à des grands accidents : il est toujours plus aisé à fuir qu’à guérir.

Les corps humains ressemblent à des verres, qui ne peuvent être portés les uns avec les autres en se touchant sans courir fortune de se rompre, et aux fruits, lesquels, quoiqu’entiers et bien assaisonnés, reçoivent de la tare, s’entretouchant les uns les autres. L’eau même, pour fraîche qu’elle soit dedans un vase, étant touchée de quelque animal terrestre ne peut longuement conserver sa fraîcheur. Ne permettez jamais, Philothée, qu’aucun vous touche incivilement, ni par manière de folâtrerie ni par manière de faveur ; car bien qu’à l’aventure la chasteté puisse être conservée parmi ces actions, plutôt légères que malicieuses, si est-ce que la fraîcheur et fleur de la chasteté en reçoit toujours du détriment et de la perte : mais de se laisser toucher déshonnêtement, c’est la ruine entière de la chasteté.

La chasteté dépend du cœur comme de son origine, mais elle regarde le corps comme sa matière ; c’est pourquoi elle se perd par tous les sens extérieurs du corps et par les cogitations et désirs du cœur. C’est impudicité de regarder, d’ouïr, de parler, d’odorer, de toucher des choses déshonnêtes, quand le cœur s’y amuse et y prend plaisir. Saint Paul dit tout court : « Que la fornication ne soit pas mêmement nommée entre vous ». Les abeilles non seulement ne veulent pas toucher les charognes, mais fuient et haïssent extrêmement toutes sortes de puanteurs qui en proviennent. L’Épouse sacrée, au Cantique des Cantiques, a ses mains qui distillent la myrrhe, liqueur préservative de la corruption ; ses lèvres sont bandées d’un ruban vermeil, marque de la pudeur des paroles ; ses yeux sont de colombe, à raison de leur netteté ; ses oreilles ont des pendants d’or, enseigne de pureté ; son nez est parmi les cèdres du Liban, bois incorruptible. Telle doit être l’âme dévote : chaste, nette et honnête, de mains, de lèvres, d’oreilles, d’yeux et de tout son corps.

À ce propos, je vous présente le mot que l’ancien père Jean Cassien rapporte comme sorti de la bouche du grand saint Basile, qui, parlant de soi-même, dit un jour : « Je ne sais que c’est[1] que des femmes, et ne suis pourtant pas vierge ». Certes, la chasteté se peut perdre en autant de façons qu’il y a d’impudicités et lascivetés, lesquelles, selon qu’elles sont grandes ou petites, les unes l'affaiblissent, les autres la blessent et les autres la font tout à fait mourir. Il y a certaines privautés et passions indiscrètes, folâtres et sensuelles, qui à proprement parler ne violent pas la chasteté, et néanmoins elles l’affaiblissent, la rendent languissante et ternissent sa belle blancheur. Il y a d’autres privautés et passions, non seulement indiscrètes mais vicieuses, non seulement folâtres mais déshonnêtes, non seulement sensuelles mais charnelles ; et par celles-ci la chasteté est pour le moins fort blessée et intéressée. Je dis : pour le moins, parce qu’elle en meurt et périt du tout, quand les sottises et lascivetés donnent à la chair le dernier effet du plaisir voluptueux, ains alors la chasteté périt plus indignement, méchamment et malheureusement, que quand elle se perd par la fornication, voire par l’adultère et l’inceste ; car ces dernières espèces de vilenies ne sont que des péchés, mais les autres, comme dit Tertullien, au livre de la pudicité, sont des monstres d’iniquité et de péché. Or Cassianus ne croit pas, ni moi non plus, que saint Basile eût égard à tel déréglement quand il s’accuse de n’être pas vierge, car je pense qu’il ne disait cela que pour les mauvaises et voluptueuses pensées, lesquelles, bien qu’elles n’eussent pas souillé son corps, avaient néanmoins contaminé le cœur, de la chasteté duquel les âmes généreuses sont extrêmement jalouses.

Ne hantez nullement les personnes impudiques, principalement si elles sont encore impudentes, comme elles sont presque toujours ; car, comme les boucs touchant de la langue les amandiers doux les font devenir amers, ainsi ces âmes puantes et cœurs infects ne parlent guère à personne, ni de même sexe ni de divers sexe, qu’elles ne le fassent aucunement déchoir de la pudicité ; elles ont le venin aux yeux et en l’haleine, comme les basilics. Au contraire, hantez les gens chastes et vertueux ; pensez et lisez souvent aux choses sacrées, car « la parole de Dieu est chaste » et rend ceux qui s’y plaisent chastes, qui[2] fait que David la compare au topaze, pierre précieuse, laquelle par sa propriété amortit l’ardeur de la concupiscence.

Tenez-vous toujours proche de Jésus-Christ crucifié, et spirituellement par la méditation et réellement par la sainte communion : car tout ainsi que ceux qui couchent sur l’herbe nommée agnus castus deviennent chastes et pudiques, de même reposant votre cœur sur Notre Seigneur, qui est le vrai agneau chaste et immaculé, vous verrez que bientôt votre âme et votre cœur se trouveront purifiés de toutes souillures et lubricités.

  1. Ce que c’est.
  2. ce qui.