Cours de linguistique générale/Première partie

Texte établi par Charles Bally, Albert Sechehaye et Albert Riedlinger, Payot (p. 97-140).

Première partie

Principes généraux

Chapitre premier

Nature du signe linguistique

§ 1.

Signe, signifié, signifiant.

Pour certaines personnes la langue, ramenée à son principe essentiel, est une nomenclature, c’est-à-dire une liste de termes correspondant à autant de choses. Par exemple :

Cette conception est critiquable à bien des égards. Elle suppose des idées toutes faites préexistant aux mots (sur ce point, voir plus loin, p. 155) ; elle ne nous dit pas si le nom est de nature vocale ou psychique, car arbor peut être considéré sous l’un ou l’autre aspect ; enfin elle laisse supposer que le lien qui unit un nom à une chose est une opération toute simple, ce qui est bien loin d’être vrai. Cependant cette vue simpliste peut nous rapprocher de la vérité, en nous montrant que l’unité linguistique est une chose double, faite du rapprochement de deux termes.

On a vu p. 28, à propos du circuit de la parole, que les termes impliqués dans le signe linguistique sont tous deux psychiques et sont unis dans notre cerveau par le lien de l’association. Insistons sur ce point.

Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique[1] . Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler « matérielle », c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait.

Le caractère psychique de nos images acoustiques apparaît bien quand nous observons notre propre langage. Sans remuer les lèvres ni la langue, nous pouvons nous parler à nous-mêmes ou nous réciter mentalement une pièce de vers. C’est parce que les mots de la langue sont pour nous des images acoustiques qu’il faut éviter de parler des « phonèmes » dont ils sont composés. Ce terme, impliquant une idée d’action vocale, ne peut convenir qu’au mot parlé, à la réalisation de l’image intérieure dans le discours. En parlant des sons et des syllabes d’un mot, on évite ce malentendu, pourvu qu’on se souvienne qu’il s’agit de l’image acoustique.

Le signe linguistique est donc une entité psychique à deux faces, qui peut être représentée par la figure :

Ces deux éléments sont intimement unis et s’appellent l’un l’autre. Que nous cherchions le sens du mot latin arbor ou le mot par lequel le latin désigne le concept « arbre », il est clair que seuls les rapprochements consacrés par la langue nous apparaissent conformes à la réalité, et nous écartons n’importe quel autre qu’on pourrait imaginer.

Cette définition pose une importante question de terminologie. Nous appelons signe la combinaison du concept et de l’image acoustique : mais dans l’usage courant ce terme désigne généralement l’image acoustique seule, par exemple un mot (arbor, etc.). On oublie que si arbor est appelé signe, ce n’est qu’en tant qu’il porte le concept « arbre », de telle sorte que l’idée de la partie sensorielle implique celle du total.

L’ambiguïté disparaîtrait si l’on désignait les trois notions ici en présence par des noms qui s’appellent les uns les autres tout en s’opposant. Nous proposons de conserver le mot signe pour désigner le total, et de remplacer concept et image acoustique respectivement par signifié et signifiant ; ces derniers termes ont l’avantage de marquer l’opposition qui les sépare soit entre eux, soit du total dont ils font partie. Quant à signe, si nous nous en contentons, c’est que nous ne savons par quoi le remplacer, la langue usuelle n’en suggérant aucun autre.

Le signe linguistique ainsi défini possède deux caractères primordiaux. En les énonçant nous poserons les principes mêmes de toute étude de cet ordre.

§ 2.

Premier principe : l’arbitraire du signe.

Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire, ou encore, puisque nous entendons par signe le total résultant de l’association d’un signifiant à un signifié, nous pouvons dire plus simplement : le signe linguistique est arbitraire.

Ainsi l’idée de « sœur » n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons s—ö—r qui lui sert de signifiant ; il pourrait être aussi bien représenté par n’importe quelle autre : à preuve les différences entre les langues et l’existence même de langues différentes : le signifié « bœuf » a pour signifiant b—ö—f d’un côté de la frontière, et o—k—s (Ochs) de l’autre.

Le principe de l’arbitraire du signe n’est contesté par personne ; mais il est souvent plus aisé de découvrir une vérité que de lui assigner la place qui lui revient. Le principe énoncé plus haut domine toute la linguistique de la langue ; ses conséquences sont innombrables. Il est vrai qu’elles n’apparaissent pas toutes du premier coup avec une égale évidence ; c’est après bien des détours qu’on les découvre, et avec elles l’importance primordiale du principe.

Une remarque en passant : quand la sémiologie sera organisée, elle devra se demander si les modes d’expression qui reposent sur des signes entièrement naturels — comme la pantomime — lui reviennent de droit. En supposant qu’elle les accueille, son principal objet n’en sera pas moins l’ensemble des systèmes fondés sur l’arbitraire du signe. En effet tout moyen d’expression reçu dans une société repose en principe sur une habitude collective ou, ce qui revient au même, sur la convention. Les signes de politesse, par exemple, doués souvent d’une certaine expressivité natutelle (qu’on pense au Chinois qui salue son empereur en se prosternant neuf fois jusqu’à terre), n’en sont pas moins fixés par une règle ; c’est cette règle qui oblige à les employer, non leur valeur intrinsèque. On peut donc dire que les signes entièrement arbitraires réalisent mieux que les autres l’idéal du procédé sémiologique ; c’est pourquoi la langue, le plus complexe et le plus répandu des systèmes d’expression, est aussi le plus caractéristique de tous ; en ce sens la linguistique peut devenir le patron général de toute sémiologie, bien que la langue ne soit qu’un système particulier.

On s’est servi du mot symbole pour désigner le signe linguistique, ou plus exactement ce que nous appelons le signifiant. Il y a des inconvénients à l’admettre, justement à cause de notre premier principe. Le symbole a pour caractère de n’être jamais tout à fait arbitraire ; il n’est pas vide, il y a un rudiment de lien naturel entre le signifiant et le signifié. Le symbole de la justice, la balance, ne pourrait pas être remplacé par n’importe quoi, un char, par exemple.

Le mot arbitraire appelle aussi une remarque. Il ne doit pas donner l’idée que le signifiant dépend du libre choix du sujet parlant (on verra plus bas qu’il n’est pas au pouvoir de l’individu de rien changer à un signe une fois établi dans un groupe linguistique) ; nous voulons dire qu’il est immotivé, c’est-à-dire arbitraire par rapport au signifié, avec lequel il n’a aucune attache naturelle dans la réalité.

Signalons en terminant deux objections qui pourraient être faites à l’établissement de ce premier principe :

1o On pourrait s’appuyer sur les onomatopées pour dire que le choix du signifiant n’est pas toujours arbitraire. Mais elles ne sont jamais des éléments organiques d’un système linguistique. Leur nombre est d’ailleurs bien moins grand qu’on ne le croit. Des mots comme fouet ou glas peuvent frapper certaines oreilles par une sonorité suggestive ; mais pour voir qu’ils n’ont pas ce caractère dès l’origine, il suffit de remonter à leurs formes latines (fouet dérivé de fāgus « hêtre », glas = classicum) ; la qualité de leurs sons actuels, ou plutôt celle qu’on leur attribue, est un résultat fortuit de l’évolution phonétique.

Quant aux onomatopées authentiques (celles du type glou-glou, tic-tac, etc.), non seulement elles sont peu nombreuses, mais leur choix est déjà en quelque mesure arbitraire, puisqu’elles ne sont que l’imitation approximative et déjà à demi conventionnelle de certains bruits (comparez le français ouaoua et l’allemand wauwau). En outre, une fois introduites dans la langue, elles sont plus ou moins entraînées dans l’évolution phonétique, morphologique, etc. que subissent les autres mots (cf. pigeon, du latin vulgaire pīpiō, dérivé lui-même d’une onomatopée) : preuve évidente qu’elles ont perdu quelque chose de leur caractère premier pour revêtir celui du signe linguistique en général, qui est immotivé.

2o Les exclamations, très voisines des onomatopées, donnent lieu à des remarques analogues et ne sont pas plus dangereuses pour notre thèse. On est tenté d’y voir des expressions spontanées de la réalité, dictées pour ainsi dire par la nature. Mais pour la plupart d’entre elles, on peut nier qu’il y ait un lien nécessaire entre le signifié et le signifiant. Il suffit de comparer deux langues à cet égard pour voir combien ces expressions varient de l’une à l’autre (par exemple au français aïe ! correspond l’allemand au !) On sait d’ailleurs que beaucoup d’exclamations ont commencé par être des mots à sens déterminé (cf. diable ! mordieu ! = mort Dieu, etc.).

En résumé, les onomatopées et les exclamations sont d’importance secondaire, et leur origine symbolique en partie contestable.

§ 3.

Second principe ; caractère linéaire du signifiant.

Le signifiant, étant de nature auditive, se déroule dans le temps seul et a les caractères qu’il emprunte au temps : a) il représente une étendue, et b) cette étendue est mesurable dans une seule dimension : c’est une ligne.

Ce principe est évident, mais il semble qu’on ait toujours négligé de l’énoncer, sans doute parce qu’on l’a trouvé trop simple ; cependant il est fondamental et les conséquences en sont incalculables ; son importance est égale à celle de la première loi. Tout le mécanisme de la langue en dépend (voir p. 170). Par opposition aux signifiants visuels (signaux maritimes, etc.), qui peuvent offrir des complications simultanées sur plusieurs dimensions, les signifiants acoustiques ne disposent que de la ligne du temps ; leurs éléments se présentent l’un après l’autre ; ils forment une chaîne. Ce caractère apparaît immédiatement dès qu’on les représente par l’écriture et qu’on substitue la ligne spatiale des signes graphiques à la succession dans le temps.

Dans certains cas cela n’apparaît pas avec évidence. Si par exemple j’accentue une syllabe, il semble que j’accumule sur le même point des éléments significatifs différents. Mais c’est une illusion ; la syllabe et son accent ne constituent qu’un acte phonatoire ; il n’y a pas dualité à l’intérieur de cet acte, mais seulement des oppositions diverses avec ce qui est à côté (voir à ce sujet p. 180).

Chapitre II

Immutabilité et mutabilité du signe

§ 1.

Immutabilité.

Si par rapport à l’idée qu’il représente, le signifiant apparaît comme librement choisi, en revanche, par rapport à la communauté linguistique qui l’emploie, il n’est pas libre, il est imposé. La masse sociale n’est point consultée, et le signifiant choisi par la langue, ne pourrait pas être remplacé par un autre. Ce fait, qui semble envelopper une contradiction, pourrait être appelé familièrement « la carte forcée ». On dit à la langue : « Choisissez ! » mais on ajoute : « Ce sera ce signe et non un autre. » Non seulement un individu serait incapable, s’il le voulait, de modifier en quoi que ce soit le choix qui a été fait, mais la masse elle-même ne peut exercer sa souveraineté sur un seul mot ; elle est liée à la langue telle qu’elle est.

La langue ne peut donc plus être assimilée à un contrat pur et simple, et c’est justement de ce côté que le signe linguistique est particulièrement intéressant à étudier ; car si l’on veut démontrer que la loi admise dans une collectivité est une chose que l’on subit, et non une règle librement consentie, c’est bien la langue qui en offre la preuve la plus éclatante.

Voyons donc comment le signe linguistique échappe à notre volonté, et tirons ensuite les conséquences importantes qui découlent de ce phénomène.

À n’importe quelle époque et si haut que nous remontions, la langue apparaît toujours comme un héritage de l’époque précédente. L’acte par lequel, à un moment donné, les noms seraient distribués aux choses, par lequel un contrat serait passé entre les concepts et les images acoustiques — cet acte, nous pouvons le concevoir, mais il n’a jamais été constaté. L’idée que les choses auraient pu se passer ainsi nous est suggérée par notre sentiment très vif de l’arbitraire du signe.

En fait, aucune société ne connaît et n’a jamais connu la langue autrement que comme un produit hérité des générations précédentes et à prendre tel quel. C’est pourquoi la question de l’origine du langage n’a pas l’importance qu’on lui attribue généralement. Ce n’est pas même une question à poser ; le seul objet réel de la linguistique, c’est la vie normale et régulière d’un idiome déjà constitué. Un état de langue donné est toujours le produit de facteurs historiques, et ce sont ces facteurs qui expliquent pourquoi le signe est immuable, c’est-à-dire résiste à toute substitution arbitraire.

Mais dire que la langue est un héritage n’explique rien si l’on ne va pas plus loin. Ne peut-on pas modifier d’un moment à l’autre des lois existantes et héritées ?

Cette objection nous amène à placer la langue dans son cadre social et à poser la question comme on la poserait pour les autres institutions sociales. Celles-ci, comment se transmettent-elles ? Voilà la question plus générale qui enveloppe celle de l’immutabilité. Il faut d’abord apprécier le plus ou moins de liberté dont jouissent les autres institutions ; on verra que pour chacune d’elles il y a une balance différente entre la tradition imposée et l’action libre de la société. Ensuite on recherchera pourquoi, dans une catégorie donnée, les facteurs du premier ordre sont plus ou moins puissants que ceux de l’autre. Enfin, revenant à la langue, on se demandera pourquoi le facteur historique de la transmission la domine tout entière et exclut tout changement linguistique général et subit.

Pour répondre à cette question, on pourrait faire valoir bien des arguments, et dire, par exemple, que les modifications de la langue ne sont pas liées à la suite des générations, qui, loin de se superposer les unes aux autres comme les tiroirs d'un meuble, se mêlent, s’interpénètrent et contiennent chacune des individus de tous les âges. On rappellerait aussi la somme d’efforts qu’exige l’apprentissage de la langue maternelle, pour conclure de là à l’impossibilité d'un changement général. On ajouterait que la réflexion n’intervient pas dans la pratique d’un idiome ; que les sujets sont, dans une large mesure, inconscients des lois de la langue ; et s’ils ne s'en rendent pas compte, comment pourraient-ils les modifier ? Fussent-ils même conscients, il faudrait se rappeler que les faits linguistiques ne provoquent guère la critique, en ce sens que chaque peuple est généralement satisfait de la langue qu’il a reçue.

Ces considérations sont importantes, mais elles ne sont pas topiques ; nous préférons les suivantes, plus essentielles, plus directes, dont dépendent toutes les autres :

1. — Le caractère arbitraire du signe. Plus haut, il nous faisait admettre la possibilité théorique du changement ; en approfondissant, nous voyons qu’en fait, l’arbitraire même du signe met la langue à l'abri de toute tentative visant à la modifier. La masse, fût-elle même plus consciente qu'elle ne l'est, ne saurait la discuter. Car pour qu'une chose soit mise en question, il faut qu'elle repose sur une norme raisonnable. On peut, par exemple, débattre si la forme monogame du mariage est plus raisonnable que la forme polygame et faire valoir des raisons pour l'une et l'autre. On pourrait aussi discuter un système de symboles, parce que le symbole a un rapport rationnel avec la chose signifiée (voir p. 101) ; mais pour la langue, système de signes arbitraires, cette base fait défaut, et avec elle se dérobe tout terrain solide de discussion ; il n’y a aucun motif de préférer sœur à sister, Ochs à bœuf, etc.

2. — La multitude des signes nécessaires pour constituer n'importe quelle langue. La portée de ce fait est considérable. Un système d'écriture composé de vingt à quarante lettres peut à la rigueur être remplacé par un autre. Il en serait de même pour la langue si elle renfermait un nombre limité d'éléments ; mais les signes linguistiques sont innombrables.

3. — Le caractère trop complexe du système. Une langue constitue un système. Si, comme nous le verrons, c’est le côté par lequel elle n’est pas complètement arbitraire et où il règne une raison relative, c’est aussi le point où apparaît l’incompétence de la masse à la transformer. Car ce système est un mécanisme complexe ; l’on ne peut le saisir que par la réflexion ; ceux-là mêmes qui en font un usage journalier l’ignorent profondément. On ne pourrait concevoir un tel changement que par l’intervention de spécialistes, grammairiens, logiciens, etc. ; mais l’expérience montre que jusqu’ici les ingérences de cette nature n’ont eu aucun succès.

4. — La résistance de l’inertie collective à toute innovation linguistique. La langue — et cette considération prime toutes les autres — est à chaque moment l’affaire de tout le monde ; répandue dans une masse et maniée par elle, elle est une chose dont tous les individus se servent toute la journée. Sur ce point, on ne peut établir aucune comparaison entre elle et les autres institutions. Les prescriptions d’un code, les rites d'une religion, les signaux maritimes, etc., n'occupent jamais qu’un certain nombre d'individus à la fois et pendant un temps limité ; la langue, au contraire, chacun y participe à tout instant, et c'est pourquoi elle subit sans cesse l'influence de tous. Ce fait capital suffit à montrer l'impossibilité d'une révolution. La langue est de toutes les institutions sociales celle qui offre le moins de prise aux initiatives. Elle fait corps avec la vie de la masse sociale, et celle-ci, étant naturellement inerte, apparaît avant tout comme un facteur de conservation.

Toutefois il ne suffit pas de dire que la langue est un produit des forces sociales pour qu'on voie clairement qu'elle n'est pas libre ; se rappelant qu'elle est toujours l'héritage d'une époque précédente, il faut ajouter que ces forces sociales agissent en fonction du temps. Si la langue a un caractère de fixité, ce n’est pas seulement parce qu'elle est attachée au poids de la collectivité, c’est aussi qu’elle est située dans le temps. Ces deux faits sont inséparables. A tout instant, la solidarité avec le passé met en échec la liberté de choisir. Nous disons homme et chien parce qu'avant nous on a dit homme et chien. Cela n'empêche pas qu’il n’y ait dans le phénomène total un lien entre ces deux facteurs antinomiques : la convention arbitraire en vertu de laquelle le choix est libre, et le temps, grâce auquel le choix se trouve fixé. C’est parce que le signe est arbitraire qu’il ne connaît d’autre loi que celle de la tradition, et c’est parce qu’il se fonde sur la tradition qu’il peut être arbitraire.

§ 2.

Mutabilité.

Le temps, qui assure la continuité de la langue, a un autre effet, en apparence contradictoire au premier : celui d’altérer plus ou moins rapidement les signes linguistiques et, en un certain sens, on peut parler à la fois de l'immutabilité et de la mutabilité du signe[2].

En dernière analyse, les deux faits sont solidaires : le signe est dans le cas de s’altérer parce qu’il se continue. Ce qui domine dans toute altération, c’est la persistance de la matière ancienne ; l’infidélité au passé n’est que relative. Voilà pourquoi le principe d’altération se fonde sur le principe de continuité.

L’altération dans le temps prend diverses formes, dont chacune fournirait la matière d’un important chapitre de linguistique. Sans entrer dans le détail, voici ce qu’il est important de dégager.

Tout d’abord, ne nous méprenons pas sur le sens attaché ici au mot altération. Il pourrait faire croire qu’il s’agit spécialement des changements phonétiques subis par le signifiant, ou bien des changements de sens qui atteignent le concept signifié. Cette vue serait insuffisante. Quels que soient les facteurs d’altérations, qu’il agissent isolément ou combinés, ils aboutissent toujours à un déplacement du rapport entre le signifié et le signifiant.

Voici quelques exemples. Le latin necāre signifiant « tuer » est devenu en français noyer, avec le sens que l’on connaît. Image acoustique et concept ont changé tous les deux ; mais il est inutile de distinguer les deux parties du phénomène ; il suffit de constater in globo que le lien de l’idée et du signe s’est relâché et qu’il y a eu un déplacement dans leur rapport. Si au lieu de comparer le necāre du latin classique avec notre français noyer, on l’oppose au necare du latin vulgaire du IVe ou du Ve siècle, signifiant « noyer », le cas est un peu différent ; mais ici encore, bien qu’il n’y ait pas altération appréciable du signifiant, il y a déplacement du rapport entre l’idée et le signe.

L’ancien allemand dritteil, « le tiers », est devenu en allemand moderne Drittel. Dans ce cas, quoique le concept soit resté le même, le rapport a été changé de deux façons : le signifiant a été modifié non seulement dans son aspect matériel, mais aussi dans sa forme grammaticale ; il n’implique plus l’idée de Teil ; c’est un mot simple. D’une manière ou d’une autre, c'est toujours un déplacement de rapport.

En anglo-saxon, la forme prélittéraire fōt « le pied » est restée fōt (angl. mod. foot), tandis que son pluriel *fōti, « les pieds », est devenu fēt. (angl. mod. feet). Quelles que soient les altérations qu’il suppose, une chose est certaine : il y a eu déplacement du rapport ; il a surgi d’autres correspondances entre la matière phonique et l’idée.

Une langue est radicalement impuissante à se défendre contre les facteurs qui déplacent d’instant en instant le rapport du signifié et du signifiant. C’est une des conséquences de l’arbitraire du signe.

Les autres institutions humaines — les coutumes, les lois, etc. — sont toutes fondées, à des degrés divers, sur les rapports naturels des choses ; il y a en elles une convenance nécessaire entre les moyens employés et les fins poursuivies. Même la mode qui fixe notre costume n’est pas entièrement arbitraire : on ne peut s’écarter au-delà d’une certaine mesùre des conditions dictées par le corps humain. La langue, au contraire, n’est limitée en rien dans le choix de ses moyens, car on ne voit pas ce qui empêcherait d’associer une idée quelconque avec une suite quelconque de sons.

Pour bien faire sentir que la langue est une institution pure, Whitney a fort justement insisté sur le caractère arbitraire des signes ; et par là, il a placé la linguistique sur son axe véritable. Mais il n’est pas allé jusqu’au bout et n’a pas vu que ce caractère arbitraire sépare radicalement la langue de toutes les autres institutions. On le voit bien par la manière dont elle évolue ; rien de plus complexe : située à la fois dans la masse sociale et dans le temps, personne ne peut rien y changer, et, d’autre part, l’arbitraire de ses signes entraîne théoriquement la liberté d’établir n’importe quel rapport entre la matière phonique et les idées. Il en résulte que ces deux éléments unis dans les signes gardent chacun leur vie propre dans une proportion inconnue ailleurs, et que la langue s’altère, ou plutôt évolue, sous l’influence de tous les agents qui peuvent atteindre soit les sons soit les sens. Cette évolution est fatale ; il n’y a pas d’exemple d’une langue qui y résiste. Au bout d’un certain temps on peut toujours constater des déplacements sensibles.

Cela est si vrai que ce principe doit se vérifier même à propos des langues artificielles. Celui qui en crée une la tient en main tant qu’elle n’est pas en circulation ; mais dès l’instant qu’elle remplit sa mission et devient la chose de tout le monde, le contrôle échappe. L’espéranto est un essai de ce genre ; s’il réussit, échappera-t-il à la loi fatale ? Passé le premier moment, la langue entrera très probablement dans sa vie sémiologique ; elle se transmettra par des lois qui n’ont rien de commun avec celles de la création réfléchie, et l’on ne pourra plus revenir en arrière. L’homme qui prétendrait composer une langue immuable, que la postérité devrait accepter telle quelle, ressemblerait à la poule qui a couvé un œuf de canard : la langue créée par lui serait emportée bon gré mal gré par le courant qui entraîne toutes les langues.

La continuité du signe dans le temps, lié à l’altération dans le temps, est un principe de la sémiologie générale ; on en trouverait la confirmation dans les systèmes d’écriture, le langage des sourds-muets, etc.

Mais sur quoi se fonde la nécessité du changement ? On nous reprochera peut-être de n’avoir pas été aussi explicite sur ce point que sur le principe de l’immutabilité : c’est que nous n’avons pas distingué les différents facteurs d’altération ; il faudrait les envisager dans leur variété pour savoir jusqu’à quel point ils sont nécessaires.

Les causes de la continuité sont a priori à la portée de l’observateur ; il n’en est pas de même des causes d’altération à travers le temps. Il vaut mieux renoncer provisoirement à en rendre un compte exact et se borner à parler en général du déplacement des rapports ; le temps altère toutes choses ; il n’y a pas de raison pour que la langue échappe à cette loi universelle.


Récapitulons les étapes de notre démonstration, en nous reportant aux principes établis dans l’introduction.

1o Évitant de stériles définitions de mots, nous avons d’abord distingué, au sein du phénomène total que représente le langage, deux facteurs : la langue et la parole. La langue est pour nous le langage moins la parole. Elle est l’ensemble des habitudes linguistiques qui permettent à un sujet de comprendre et de se faire comprendre.

2o Mais cette définition laisse encore la langue en dehors de sa réalité sociale ; elle en fait une chose irréelle, puisqu’elle ne comprend qu’un des aspects de la réalité, l’aspect individuel ; il faut une masse parlante pour qu’il y ait une langue. À aucun moment, et contrairement à l’apparence, celle-ci n’existe en dehors du fait social, parce qu’elle est un phénomène sémiologique. Sa nature sociale est un de ses caractères internes ; sa définition complète nous place devant deux choses inséparables, comme le montre le schéma :

Mais dans ces conditions, la langue est viable, non vivante ; nous n’avons tenu compte que de la réalité sociale, non du fait historique.

3o Comme le signe linguistique est arbitraire, il semble que la langue, ainsi définie, soit un système libre, organisable à volonté, dépendant uniquement d’un principe rationnel. Son caractère social, considéré en lui-même, ne s’oppose pas précisément à ce point de vue. Sans doute la psychologie collective n’opère pas sur une matière purement logique ; il faudrait tenir compte de tout ce qui fait fléchir la raison dans les relations pratiques d’individu à individu. Et pourtant, ce qui nous empêche de regarder la langue comme une simple convention, modifiable au gré des intéressés, ce n’est pas cela ; c’est l’action du temps qui se combine avec celle de la force sociale ; en dehors de la durée, la réalité linguistique n’est pas complète et aucune conclusion n’est possible.

Si l’on prenait la langue dans le temps, sans la masse parlante — supposons un individu isolé vivant pendant plusieurs siècles, — on ne constaterait peut-être aucune altération ; le temps n’agirait pas sur elle. Inversement si l’on considérait la masse parlante sans le temps, on ne verrait pas l’effet des forces sociales agissant leur la langue. Pour être dans la réalité il faut donc ajouter à notre premier schéma un signe qui indique la marche du temps :

Dès lors la langue n’est pas libre, parce que le temps permettra aux forces sociales s’exerçant sur elle de développer leurs effets, et on arrive au principe de continuité, qui annule la liberté. Mais la continuité implique nécessairement l’altération, le déplacement plus ou moins considérable des rapports.

Chapitre III

La linguistique statique et la linguistique évolutive

§ 1.

Dualité interne de toutes les sciences opérant sur les valeurs.

Bien peu de linguistes se doutent que l'intervention du facteur temps est propre à créer à la linguistique des difficultés particulières et qu’elle place leur science devant deux routes absolument divergentes.

La plupart des autres sciences ignorent cette dualité radicale ; le temps n’y produit pas d’effets particuliers. L’astronomie, a constaté que les astres subissent de notables changements ; elle n’a pas été obligée pour cela de se scinder en deux disciplines. La géologie raisonne presque constamment sur des successivités ; mais lorsqu’elle vient à s’occuper des états fixes de la terre, elle n’en fait pas un objet d’étude radicalement distinct. Il y a une science descriptive du droit et une histoire du droit ; personne ne les oppose l’une à l’autre. L’histoire politique des États se meut entièrement dans le temps ; cependant si un historien fait le tableau d’une époque, on n’a pas l’impression de sortir de l’histoire. Inversement, la science des institutions politiques est essentiellement descriptive, mais elle peut fort bien, à l’occasion, traiter une question historique sans que son unité soit troublée.

Au contraire la dualité dont nous parlons s’impose déjà impérieusement aux sciences économiques. Ici, à l’encontre de ce qui se passait dans les cas précédents, l’économie politique et l’histoire économique constituent deux disciplines nettement séparées au sein d'une même science ; les ouvrages parus récemment sur ces matières accentuent cette distinction. En procédant de la sorte on obéit, sans bien s’en rendre compte, à une nécessité intérieure : or c’est une nécessité toute semblable qui nous oblige à scinder la linguistique en deux parties ayant chacune son principe propre. C’est que là, comme en économie politique, on est en face de la notion de valeur ; dans les deux sciences, il s’agit d’un système d'équivalence entre des choses d'ordres différents : dans l’une un travail et un salaire, dans l’autre un signifié et un signifiant.

Il est certain que toutes les sciences auraient intérêt à marquer plus scrupuleusement les axes sur lesquels sont situées les choses dont elles s’occupent ; il faudrait partout distinguer selon la figure suivante : 1° l’axe des simultanéités (AB), concernant les rapports entre choses coexistantes, d’où toute intervention du temps est exclue, et 2° l’axe des successivités (CD), sur lequel on ne peut jamais considérer qu’une chose à la fois, mais où sont situées toutes les choses du premier axe avec leurs changements.

Pour les sciences travaillant sur des valeurs, cette distinction devient une nécessité pratique, et dans certains cas une nécessité absolue. Dans ce domaine on peut mettre les savants au défi d’organiser leurs recherches d’une façon rigoureuse sans tenir compte des deux axes, sans distinguer le système des valeurs considérées en soi, de ces mêmes valeurs considérées en fonction du temps.

C’est au linguiste que cette distinction s’impose le plus impérieusement ; car la langue est un système de pures valeurs que rien ne détermine en dehors de l’état momentané de ses termes. Tant que par un de ses côtés une valeur a sa racine dans les choses et leurs rapports naturels (comme c’est le cas dans la science économique — par exemple un fonds de terre vaut en proportion de ce qu'il rapporte), on peut jusqu’à un certain point suivre cette valeur dans le temps, tout en se souvenant qu’à chaque moment elle dépend d’un système de valeurs contemporaines. Son lien avec les choses lui donne malgré tout une base naturelle, et par là les appréciations qu’on y rattache ne sont jamais complètement arbitraire ; leur variabilité est limitée. Mais nous venons de voir qu’en linguistique les données naturelles n’ont aucune place.

Ajoutons que plus un système de valeurs est complexe et rigoureusement organisé, plus il est nécessaire, à cause de sa complexité même, de l’étudier successivement selon les deux axes. Or aucun système ne porte ce caractère à l’égal de la langue : nulle part on ne constate une pareille précision des valeurs en jeu, un si grand nombre et une telle diversité de termes, dans une dépendance réciproque aussi stricte. La multiplicité des signes, déjà invoquée pour expliquer la continuité de la langue, nous interdit absolument d’étudier simultanément les rapports dans le temps et les rapports dans le système.

Voilà pourquoi nous distinguons deux linguistiques. Comment les désignerons-nous ? Les termes qui s’offrent ne sont pas tous également propres à marquer cette distinction. Ainsi histoire et « linguistique historique » ne sont pas utilisables, car ils appellent des idées trop vagues ; comme l’histoire politique comprend la description des époques aussi bien que la narration des événements, on pourrait s’imaginer qu’en décrivant des états de la langue succesifs on étudie la langue selon l’axe du temps ; pour cela, il faudrait envisager séparément les phénomènes qui font passer la langue d’un état à un autre. Les termes d’évolution et de linguistique évolutive sont plus précis, et nous les emploierons souvent ; par opposition on peut parler de la science des états de langue ou linguistique statique.

Mais pour mieux marquer cette opposition et ce croisement de deux ordres de phénomènes relatifs au même objet, nous préférons parler de linguistique synchronique et de linguistique diachronique. Est synchronique tout ce qui se rapporte à l’aspect statique de notre science, diachronique tout ce qui a trait aux évolutions. De même synchronie et diachronie désigneront respectivement un état de langue et une phase d’évolution.

§ 2.

La dualité interne et l’histoire de la linguistique.

La première chose qui frappe quand on étudie les faits de langue, c’est que pour le sujet parlant leur succession dans le temps est inexistante : il est devant un état. Aussi le linguiste qui veut comprendre cet état doit-il faire table rase de tout ce qui l’a produit et ignorer la diachronie. Il ne peut entrer dans la conscience des sujets parlants qu’en supprimant le passé. L’intervention de l’histoire ne peut que fausser son jugement. Il serait absurde de dessiner un panorama des Alpes en le prenant simultanément de plusieurs sommets du Jura ; un panorama doit être pris d’un seul point. De même pour la langue : on ne peut ni la décrire ni fixer des normes pour l’usage qu’en se plaçant dans un certain état. Quand le linguiste suit l’évolution de la langue, il ressemble à l’observateur en mouvement qui va d’une extrémité à l’autre du Jura pour noter les déplacements de la perspective.

Depuis que la linguistique moderne existe, on peut dire qu’elle s’est absorbée tout entière dans la diachronie. La grammaire comparée de l’indo-européen utilise les données qu’elle a en mains pour reconstruire hypothétiquement un type de langue antécédent ; la comparaison n’est pour elle qu’un moyen de reconstituer le passé. La méthode est la même dans l’étude particulière des sous-groupes (langues romanes, langues germaniques, etc.) ; les états n’interviennent que par fragments et d’une façon très imparfaite. Telle est la tendance inaugurée par Bopp ; aussi sa conception de la langue est-elle hybride et hésitante.

D’autre part, comment ont procédé ceux qui ont étudié la langue avant la fondation des études linguistiques, c’est-à-dire les « grammairiens » inspirés par les méthodes traditionnelles ? Il est curieux de constater que leur point de vue, sur la question qui nous occupe, est absolument irréprochable. Leurs travaux nous montrent clairement qu’ils veulent décrire des états ; leur programme est strictement synchronique. Ainsi la grammaire de Port-Royal essaie de décrire l’état du français sous Louis XIV et d’en déterminer les valeurs. Elle n’a pas besoin pour cela de la langue du moyen âge ; elle suit fidèlement l’axe horizontal (voir p. 115) sans jamais s’en écarter ; cette méthode est donc juste, ce qui ne veut pas dire que son application soit parfaite. La grammaire traditionnelle ignore des parties entières de la langue, telle que la formation des mots ; elle est normative et croit devoir édicter des règles au lieu de constater des faits ; les vues d’ensemble lui font défaut ; souvent même elle ne sait pas distinguer le mot écrit du mot parlé, etc.

On a reproché à la grammaire classique de n’être pas scientifique ; pourtant sa base est moins critiquable et son objet mieux défini que ce n’est le cas pour la linguistique inaugurée par Bopp. Celle-ci, en se plaçant sur un terrain mal délimité, ne sait pas exactement vers quel but elle tend. Elle est à cheval sur deux domaines, parce qu'elle n'a pas su distinguer nettement entre les états et les successivités.

Après avoir accordé une trop grande place à l'histoire, la linguistique retournera au point de vue statique de la grammaire traditionnelle, mais dans un esprit nouveau et avec d'autres procédés, et la méthode historique aura contribué à ce rajeunissement ; c'est elle qui, par contre-coup, fera mieux comprendre les états de langue. L'ancienne grammaire ne voyait que le fait synchronique ; la linguistique nous a révélé un nouvel ordre de phénomènes ; mais cela ne suffit pas ; il faut faire sentir l'opposition des deux ordres pour en tirer toutes les conséquences qu'elle comporte.

§ 3.

La dualité interne illustrée par des exemples.

L'opposition entre les deux points de vue — synchronique et diachronique — est absolue et ne souffre pas de compromis. Quelques faits nous montreront en quoi consiste cette différence et pourquoi elle est irréductible.

Le latin crispus, « ondulé, crêpé », a fourni au français un radical crép-, d'où les verbes crépir « recouvrir de mortier », et décrépir, « enlever le mortier ». D'autre part, à un certain moment, on a emprunté au latin le mot dēcrepitus, « usé par l'âge », dont on ignore l'étymologie, et on en a fait décrépit. Or il est certain qu'aujourd'hui la masse des sujets parlants établit un rapport entre « un mur décrépi » et « un homme décrépit », bien qu'historiquement ces deux mots n'aient rien à faire l'un avec l'autre ; on parle souvent de la façade décrépite d'une maison. Et c'est un fait statique, puisqu'il s’agit d'un rapport entre deux termes coexistants dans la langue. Pour qu'il se produise, le concours de certains phénomènes d'évolution a été nécessaire ; il a fallu que crisp- arrive à se prononcer crép-, et qu'à un certain moment on emprunte un mot nouveau au latin : ces faits diachroniques — on le voit clairement — n’ont aucun rapport avec le fait statique qu’ils ont produit ; ils sont d’ordre différent.

Voici un autre exemple, d’une portée tout à fait générale. En vieux-haut-allemand le pluriel de gast « l’hôte », fut d’abord gasti, celui de hant « la main », hanti, etc. etc.. Plus tard cet i- a produit un umlaut, c’est-à-dire a eu pour effet de changer a en e dans la syllabe précédente : gastigesti hantihenti. Puis cet -i a perdu son timbre d’où gestigeste, etc. En conséquence on a aujourd’hui Gast : Gäste, Hand : Hände, et toute une classe de mots présente la même différence entre le singulier et le pluriel. Un fait à peu près semblable s’est produit en anglo-saxon : on a eu d’abord fōt « le pied », pluriel *fōti ; tōþ, « la dent », pluriel *tōþi ; gōs, « l’oie », pluriel *gōsi, etc. ; puis par un premier changement phonétique, celui de l’umlaut, *fōti est devenu *fēti, et par un second, la chute de l’i final, *fēti a donné fēt ; dès lors, fōt a pour pluriel fēt ; tōþ, tēþ ; gōs, gēs (angl. mod. : foot : feet, tooth : teeth, goose : geese).

Précédemment, quand on disait gast : gasti, fōt : fōti, le pluriel était marqué par la simple adjonction d’un i ; Gast : Gäste et fōt : fēt montrent un mécanisme nouveau pour marquer le pluriel. Ce mécanisme n’est pas le même dans les deux cas : en vieil anglais, il y a seulement opposition de voyelles ; en allemand, il y a en plus, la présence ou l’absence de la finale -e ; mais cette différence n’importe pas ici.

Le rapport entre un singulier et son pluriel, quelles qu’en soient les formes, peut s’exprimer à chaque moment par un axe horizontal, soit :

• ⟷ • Époque A.

• ⟷ • Époque B.

Les faits, quels qu’ils soient, qui ont provoqué le passage d'une forme à l'autre, seront au contraire situés sur un axe vertical, ce qui donne la figure totale :

Époque A.
Époque B.

Notre exemple-type suggère bon nombre de réflexions qui rentrent directement dans notre sujet :

1o Ces faits diachroniques n’ont nullement pour but de marquer une valeur par un autre signe : le fait que gasti a donné gesti, geste (Gäste) n'a rien à voir avec le pluriel des substantifs ; dans tragitträgt, le même umlaut intéresse la flexion verbale, et ainsi de suite. Donc un fait diachronique est un événement qui a sa raison d’être en lui-même ; les conséquences synchroniques particulières qui peuvent en découler lui sont complètement étrangères.

2o Ces faits diachroniques ne tendent pas même à changer le système. On n’a pas voulu passer d’un système de rapports à un autre ; la modification ne porte pas sur l’agencement mais sur les éléments agencés.

Nous retrouvons ici un principe déjà énoncé : jamais le système n'est modifié directement ; en lui-même il est immuable ; seuls certains éléments sont altérés sans égard à la solidarité qui les lie au tout. C'est comme si une des planètes qui gravitent autour du soleil changeait de dimensions et de poids : ce fait isolé entraînerait des conséquences générales et déplacerait l'équilibre du système solaire tout entier. Pour exprimer le pluriel, il faut l’opposition de deux termes : ou fōt : *fōti, ou fōt : fēt ; ce sont deux procédés également possibles, mais on a passé de l’un à l’autre pour ainsi dire sans y toucher ; ce n’est pas l’ensemble qui a été déplacé ni un système qui en a engendré un autre, mais un élément du premier a été changé, et cela a suffi pour faire naître un autre système.

3o Cette observation nous fait mieux comprendre le caractère toujours fortuit d’un état. Par opposition à l’idée fausse que nous nous en faisons volontiers, la langue n'est pas un mécanisme créé et agencé en vue des concepts à exprimer. Nous voyons au contraire que l'état issu du changement n'était pas destiné à marquer les significations dont il s’imprègne. Un état fortuit est donné : fōt : fēt, et l'on s'en empare pour lui faire porter la distinction du singulier et du pluriel ; fōt : fēt n'est pas mieux fait pour cela que fōt : *fōti Dans chaque état l'esprit s'insuffle dans une matière donnée et la vivifie. Cette vue, qui nous est inspirée par la linguistique historique, est inconnue à la grammaire traditionnelle, qui n'aurait jamais pu l'acquérir par ses propres méthodes. La plupart des philosophes de la langue l'ignorent également : et cependant rien de plus important au point de vue philosophique.

4o Les faits appartenant à la série diachronique sont-ils au moins du même ordre que ceux de la série synchronique ? En aucune façon, car nous avons établi que les changements se produisent en dehors de toute intention. Au contraire le fait de synchronie est toujours significatif ; il fait toujours appel à deux termes simultanés ; ce n'est pas Gäste qui exprime le pluriel, mais l'opposition Gast : Gäste. Dans le fait diachronique, c'est juste l'inverse : il n'intéresse qu'un seul terme, et pour qu'une forme nouvelle (Gäste) apparaisse, il faut que l'ancienne (gasti) lui cède la place.

Vouloir réunir dans la même discipline des faits aussi disparates serait donc une entreprise chimérique. Dans la perspective diachronique on a affaire à des phénomènes qui n'ont aucun rapport avec les systèmes, bien qu'ils les conditionnent.

Voici d'autres exemples qui confirmeront et compléteront les conclusions tirées des premiers.

En français, l'accent est toujours sur la dernière syllabe, à moins que celle-ci n'ait un e muet (ə). C’est un fait synchronique, un rapport entre l'ensemble des mots français et l’accent. D’où dérive-t-il ? D’un état antérieur. Le latin avait un système accentuel différent et plus compliqué : l’accent était sur la syllabe pénultième quand celle-ci était longue ; si elle était brève, il était reporté sur l’antépénultième (cf. amī́cus, ánĭma). Cette loi évoque des rapports qui n’ont pas la moindre analogie avec la loi française. Sans doute, c’est le même accent en ce sens qu’il est resté aux mêmes places ; dans le mot français il frappe toujours la syllabe qui le portait en latin : amī́cumami, ánimamâme. Cependant les deux formules sont différentes dans les deux moments, parce que la forme des mots a changé. Nous savons que tout ce qui était après l’accent ou bien a disparu, ou bien s’est réduit à e muet. À la suite de cette altération du mot, la position de l’accent n’a plus été la même vis-à-vis de l’ensemble ; dès lors les sujets parlants, conscients de ce nouveau rapport, ont mis instinctivement l’accent sur la dernière syllabe, même dans les mots d’emprunt transmis par l’écriture (facile, consul, ticket, burgrave, etc.). Il est évident qu’on n’a pas voulu changer de système, appliquer une nouvelle formule, puisque dans un mot comme amī́cumami, l’accent est toujours resté sur la même syllabe ; mais il s’est interposé un fait diachronique : la place de l’accent s’est trouvée changée sans qu’on y ait touché. Une loi d’accent, comme tout ce qui tient au système linguistique, est une disposition de termes, un résultat fortuit et involontaire de l’évolution.

Voici un cas encore plus frappant. En paléoslave slovo, « mot », fait à l’instrum. sg. slovemъ au nom. pl. slova, au gén. pl. slovъ, etc. ; dans cette déclinaison chaque cas a sa désinence. Mais aujourd’hui les voyelles « faibles » ь et ъ, représentants slaves de ĭ et ŭ indo-européen, ont disparu ; d’où en tchèque, par exemple, slovo, slovem, slova, slov ; de même žena, « femme », accus. sg. ženu, nom. pl. ženy, gén. pl. žen. Ici le génitif (slov, žen) a pour exposant zéro. On voit donc qu’un signe matériel n’est pas nécessaire pour exprimer une idée ; la langue peut se contenter de l’opposition de quelque chose avec rien ; ici, par exemple, on reconnaît le gén. pl. žen simplement à ce qu’il n’est ni žena ni ženu, ni aucune des autres formes. Il semble étrange à première vue qu'une idée aussi particulière que celle du génitif pluriel ait pris le signe zéro ; mais c’est justement la preuve que tout vient d’un pur accident. La langue est un mécanisme qui continue à fonctionner malgré les détériorations qu'on lui fait subir.

Tout ceci confirme les principes déjà formulés et que nous résumons comme suit :

La langue est un système dont toutes les parties peuvent et doivent être considérées dans leur solidarité synchronique.

Les altérations ne se faisant jamais sur le bloc du système, mais sur l'un ou l’autre de ses éléments, ne peuvent être étudiées qu'en dehors de celui-ci. Sans doute chaque altération a son contre-coup sur le système ; mais le fait initial a porté sur un point seulement ; il n'a aucune relation interne avec les conséquences qui peuvent en découler pour l’ensemble. Cette différence de nature entre termes successifs et termes coexistants, entre faits partiels et faits touchant le système, interdit de faire des uns et des autres la matière d'une seule science.

§ 4.

La différence des deux ordres illustrée par des comparaisons.

Pour montrer à la fois l'autonomie et l'interdépendance du synchronique et du diachronique, on peut comparer le premier à la projection d'un corps sur un plan. En effet toute projection dépend directement du corps projeté, et pourtant elle en diffère, c’est une chose à part. Sans cela il n'y aurait pas toute une science des projections ; il suffirait de considérer les corps eux-mêmes. En linguistique, même relation entre la réalité historique et un état de langue, qui en est comme la projection à un moment donné. Ce n’est pas en étudiant les corps, c’est-à-dire les événements diachroniques qu’on connaîtra les états synchroniques, pas plus qu’on n’a une notion des projections géométriques pour avoir étudié, même de très près, les diverses espèces de corps.

De même encore si l'on coupe transversalement la tige d'un végétal, on remarque sur la surface de section un dessin plus ou moins compliqué ; ce n’est pas autre chose qu’une perspective des fibres longitudinales, et l’on apercevra celles-ci en pratiquant une section perpendiculaire à la première. Ici encore une des perspectives dépend de l’autre : la section longitudinale nous montre les fibres elles-mêmes qui constituent la plante, et la section transversale leur groupement sur un plan particulier ; mais la seconde est distincte de la première car elle fait constater entre les fibres certains rapports qu’on ne pourrait jamais saisir sur un plan longitudinal.

Mais de toutes les comparaisons qu’on pourrait imaginer, la plus démonstrative est celle qu’on établirait entre le jeu de la langue et une partie d’échecs. De part et d’autre, on est en présence d’un système de valeurs et on assiste à leurs modifications. Une partie d’échecs est comme une réalisation artificielle de ce que la langue nous présente sous une forme naturelle.

Voyons la chose de plus près.

D'abord un état du jeu correspond bien à un état de la langue. La valeur respective des pièces dépend de leur position sur l'échiquier, de même que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes.

En second lieu, le système n’est jamais que momentané ; il varie d'une position à l’autre. Il est vrai que les valeurs dépendent aussi et surtout d'une convention immuable, la règle du jeu, qui existe avant le début de la partie et persiste après chaque coup. Cette règle admise une fois pour toutes existe aussi en matière de langue ; ce sont les principes constants de la sémiologie.

Enfin, pour passer d'un équilibre à l'autre, ou — selon notre terminologie — d'une synchronie à l'autre, le déplacement d’une pièce suffit ; il n’y a pas de remue-ménage général. Nous avons là le pendant du fait diachronique avec toutes ses particularités. En effet :

a) Chaque coup d’échecs ne met en mouvement qu’une seule pièce ; de même dans la langue les changements ne portent que sur des éléments isolés.

b) Malgré cela le coup a un retentissement sur tout le système ; il est impossible au joueur de prévoir exactement les limites de cet effet. Les changements de valeurs qui en résulteront seront, selon l’occurence, ou nuls, ou très graves, ou d'importance moyenne. Tel coup peut révolutionner l'ensemble de la partie et avoir des conséquences même pour les pièces momentanément hors de cause. Nous venons de voir qu'il en est exactement de même pour la langue.

c) Le déplacement d'une pièce est un fait absolument distinct de l'équilibre précédent et de l'équilibre subséquent. Le changement opéré n'appartient à aucun de ces deux états : or les états sont seuls importants.

Dans une partie d'échecs, n'importe quelle position donnée a pour caractère singulier d'être affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu'on y soit arrivé par une voie ou par une autre ; celui qui a suivi toute la partie n'a pas le plus léger avantage sur le curieux qui vient inspecter l'état du jeu au moment critique ; pour décrire cette position, il est parfaitement inutile de rappeler ce qui vient de se passer dix secondes auparavant. Tout ceci s'applique également à la langue et consacre la distinction radicale du diachronique et du synchronique. La parole n’opère jamais que sur un état de langue, et les changements qui interviennent entre les états n'y ont eux-mêmes aucune place.

Il n'y a qu'un point où la comparaison soit en défaut ; le joueur d'échecs a l’intention d'opérer le déplacement et d’exercer une action sur le système ; tandis que la langue ne prémédite rien ; c'est spontanément et fortuitement que ses pièces à elle se déplacent — ou plutôt se modifient ; l'umlaut de Hände pour hanti, de Gäste pour gasti (voir p. 120), a produit une nouvelle formation de pluriel, mais a fait surgir aussi une forme verbale comme trägt pour tragit, etc. Pour que la partie d'échecs ressemblât en tout point au jeu de la langue, il faudrait supposer un joueur inconscient ou inintelligent. D'ailleurs cette unique différence rend la comparaison encore plus instructive, en montrant l'absolue nécessité de distinguer en linguistique les deux ordres de phénomènes. Car, si des faits diachroniques sont irréductibles au système synchronique qu'ils conditionnent, lorsque la volonté préside à un changement de ce genre, à plus forte raison le seront-ils lorsqu’ils mettent une force aveugle aux prises avec l’organisation d’un système de signes.

§ 5.

Les deux linguistiques opposées dans leurs méthodes et leurs principes.

L’opposition entre le diachronique et le synchronique éclate sur tous les points.

Par exemple — et pour commencer par le fait le plus apparent — ils n’ont pas une égale importance. Sur ce point, il est évident que l'aspect synchronique prime l’autre, puisque pour la masse parlante il est la vraie et la seule réalité (voir p. 117). Il en est de même pour le linguiste : s’il se place dans la perspective diachronique, ce n’est plus la langue qu’il aperçoit, mais une série d’événements qui la modifient. On affirme souvent que rien n’est plus important que de connaître la genèse d’un état donné ; c’est vrai dans un certain sens : les conditions qui ont formé cet état nous éclairent sur sa véritable nature et nous gardent de certaines illusions (voir p. 121 sv.) ; mais cela prouve justement que la diachronie n’a pas sa fin en elle-même. On peut dire d’elle ce qu’on a dit du journalisme : elle mène à tout à condition qu’on en sorte.

Les méthodes de chaque ordre diffèrent aussi, et de deux manières :

a) La synchronie ne connaît qu’une perspective, celle des sujets parlants, et toute sa méthode consiste à recueillir leur témoignage ; pour savoir dans quelle mesure une chose est une réalité, il faudra et il suffira de rechercher dans quelle mesure elle existe pour la conscience des sujets. La linguistique diachronique, au contraire, doit distinguer deux perspectives, l’une, prospective, qui suit le cours du temps l’autre rétrospective, qui le remonte : d’où un dédoublement de la méthode dont il sera question dans la cinquième partie.

b) Une seconde différence découle des limites du champ qu’embrasse chacune des deux disciplines. L’étude synchronique n’a pas pour objet tout ce qui est simultané, mais seulement l’ensemble des faits correspondant à chaque langue ; dans la mesure où cela sera nécessaire, la séparation ira jusqu’aux dialectes et aux sous-dialectes. Au fond le terme de synchronique n’est pas assez précis ; il devrait être remplacé par celui, un peu long il est vrai, de idiosynchronique. Au contraire la linguistique diachronique non seulement ne nécessite pas, mais repousse une semblable spécialisation ; les termes qu’elle considère n'appartiennent pas forcément à une même langue (comparez l’indo-européen *esti, le grec ésti, l'allemand ist, le français est). C’est justement la succession des faits diachroniques et leur multiplication spatiale qui crée la diversité des idiomes. Pour justifier un rapprochement entre deux formes, il suffit qu'elles aient entre elles un lien historique, si indirect soit-il.

Ces oppositions ne sont pas les plus frappantes, ni les plus profondes : l'antinomie radicale entre le fait évolutif et le fait statique a pour conséquence que toutes les notions relatives à l'un ou à l’autre sont dans la même mesure irréductibles entre elles. N'importe laquelle de ces notions peut servir à démontrer cette vérité. C'est ainsi que le « phénomène » synchronique n'a rien de commun avec le diachronique (voir p. 122) ; l’un est un rapport entre, éléments simultanés, l’autre la substitution d'un élément à un autre dans le temps, un événement. Nous verrons aussi p. 150 que les identités diachroniques et synchroniques sont deux choses très différentes : historiquement la négation pas est identique au substantif pas, tandis que, pris dans la langue d’aujourd'hui, ces deux éléments sont parfaitement distincts. Ces constatations suffiraient pour nous faire comprendre la nécessité de ne pas confondre les deux points de vue ; mais nulle part elle ne se manifeste plus évidemment que dans la distinction que nous allons faire maintenant.

§ 6.

Loi synchronique et loi diachronique.

On parle couramment de lois en linguistique ; mais les faits de la langue sont-ils réellement régis par des lois et de quelle nature peuvent-ils être ? La langue étant une institution sociale, on peut penser a priori qu'elle est réglée par des prescriptions analogues à celles qui régissent les collectivités. Or toute loi sociale a deux caractères fondamentaux : elle est impérative et elle est générale ; elle s’impose, et elle s'étend à tous les cas, dans certaines limites de temps et de lieu, bien entendu.

Les lois de la langue répondent-elles à cette définition ? Pour le savoir, la première chose à faire, d'après ce qui vient d'être dit, c’est de séparer une fois de plus les sphères du synchronique et du diachronique. Il y a là deux problèmes qu’on ne doit pas confondre : parler de loi linguistique en général, c’est vouloir étreindre un fantôme.

Voici quelques exemples empruntés au grec, et où les « lois » des deux ordres sont confondues à dessein :

1. Les sonores aspirées de l’indo-européen sont devenues des sourdes aspirées : *dhūmosthūmós « souffle de vie », *bherōphérō « je porte », etc.

2. L’accent ne remonte jamais au delà de l’antépénultième.

3. Tous les mots se terminent par une voyelle ou par s, n, r, à l’exclusion de toute autre consonne.

4. s initial devant une voyelle est devenu h (esprit rude) : *septm (latin septem) → heptá.

5. m final a été changé en n : *jugomzugón (cf. latin jugum[3]).

6. Les occlusives finales sont tombées : *gunaikgúnai, *epheretéphere, *epherontépheron.

La première de ces lois est diachronique : ce qui était dh est devenu th, etc. La seconde exprime un rapport entre l’unité du mot et l’accent, une sorte de contrat entre deux termes coexistants : c’est une loi synchronique. Il en est de même de la troisième, puisqu’elle concerne l’unité du mot et sa fin. Les lois 4, 5 et 6 sont diachroniques : ce qui était s est devenu h ; — n a remplacé m ; — t, k, etc., ont disparu sans laisser de trace.

Il faut remarquer en outre que 3 est le résultat de 5 et 6 ; deux faits diachroniques ont créé un fait synchronique.

Une fois ces deux catégories de lois séparées, on verra que 2 et 3 ne sont pas de même nature que 1, 4, 5, 6.

La loi synchronique est générale, mais elle n’est pas impérative. Sans doute elle s’impose aux individus par la contrainte de l’usage collectif (v. p. 107), mais nous n’envisageons pas ici une obligation relative aux sujets parlants. Nous voulons dire que dans la langue aucune force ne garantit le maintien de la régularité quand elle règne sur quelque point. Simple expression d’un ordre existant, la loi synchronique constate un état de choses ; elle est de même nature que celle qui constaterait que les arbres d’un verger sont disposés en quinconce. Et l’ordre qu’elle définit est précaire, précisément parce qu’il n’est pas impératif. Ainsi rien n’est plus régulier que la loi synchronique qui régit l’accent latin (loi exactement comparable à 2) ; pourtant ce régime accentuel n’a pas résisté aux facteurs d'altération, et il a cédé devant une loi nouvelle, celle du français (voir plus haut p. 122 sv.). En résumé, si l’on parle de loi en synchronie, c’est dans le sens d’arrangement, de principe de régularité.

La diachronie suppose au contraire un facteur dynamique par lequel un effet est produit, une chose exécutée. Mais ce caractère impératif ne suffit pas pour qu’on applique la notion de loi aux faits évolutifs ; on ne parle de loi que lorsqu’un ensemble de faits obéissent à la même règle, et malgré certaines apparences contraires, les événements diachroniques ont toujours un caractère accidentel et particulier.

Pour les faits sémantiques, on s’en rend compte immédiatement ; si le français poutre « jument » a pris le sens de « pièce de bois, solive », cela est dû à des causes particulières et ne dépend pas des autres changements qui ont pu se produire dans le même temps ; ce n'est qu’un accident parmi tous ceux qu'enregistre l’histoire d’une langue.

Pour les transformations syntaxiques et morphologiques, la chose n’est pas aussi claire au premier abord. A une certaine époque presque toutes les formes de l’ancien cas sujet ont disparu en français ; n’y a-t-il pas là un ensemble de faits obéissant à la même loi ? Non, car tous ne sont que les manifestations multiples d’un seul et même fait isolé. C'est la notion particulière de cas sujet qui a été atteinte et sa disparition a entraîné naturellement celle de toute une série de formes. Pour quiconque ne voit que les dehors de la langue, le phénomène unique est noyé dans la multitude de ses manifestations ; mais lui-même est un dans sa nature profonde, et il constitue un événement historique aussi isolé dans son ordre que le changement sémantique subi par poutre ; il ne prend l’apparence d’une loi « que parce qu’il se réalise dans un système : c’est l’agencement rigoureux de ce dernier qui crée l’illusion que le fait diachronique obéit aux mêmes conditions que le synchronique.

Pour les changements phonétiques enfin, il en est exactement de même ; et pourtant on parle couramment de lois phonétiques. On constate en effet qu’à un moment donné, dans une région donnée, tous les mots présentant une même particularité phonique sont atteints du même changement ; ainsi la loi 1 de la page 130 (*dhūmos → grec thūmós) frappe tous les mot grecs qui renfermaient une sonore aspirée (cf. *nebhosnéphos, *medhuméthu, *anghōánkhō, etc.) ; la règle 4 (*septmheptá) s’applique à serpōhérpo, *sūshûs, et à tous les mots commençant par s. Cette régularité, qu’on a quelquefois contestée, nous paraît très bien établie ; les exceptions apparentes n’atténuent pas la fatalité des changements de cette nature, car elles s'expliquent soit par des lois phonétiques plus spéciales (voir l'exemple de tríkhes : thriksí p. 138) soit par l'intervention de faits d'un autre ordre (analogie, etc.). Rien ne semble donc mieux répondre à la définition donnée plus haut du mot loi. Et pourtant, quel que soit le nombre des cas où une loi phonétique se vérifie, tous les faits qu'elle embrasse ne sont que les manifestations d'un seul fait particulier.

La vraie question est de savoir si les changements phonétiques atteignent les mots ou seulement les sons ; la réponse n'est pas douteuse : dans néphos, méthu, ánkhō, etc., c'est un certain phonème, une sonore aspirée indo-européenne qui se change en sourde aspirée, c'est l’s initial du grec primitif qui se change en h, etc., et chacun de ces faits est isolé, indépendant des autres événements du même ordre, indépendant aussi des mots où il se produit[4]. Tous ces mots se trouvent naturellement modifiés dans leur matière phonique, mais cela ne doit pas nous tromper sur la véritable nature du phonème.

Sur quoi nous fondons-nous pour affirmer que les mots eux-mêmes ne sont pas directement en cause dans les transformations phonétiques ? Sur cette constatation bien simple que de telles transformations leur sont au fond étrangères et ne peuvent les atteindre dans leur essence. L'unité du mot n'est pas constituée uniquement par l'ensemble de ses phonèmes ; elle tient à d'autres caractères que sa qualité matérielle. Supposons qu’une corde de piano soit faussée : toutes les fois qu’on la touchera en exécutant un air, il y aura une fausse note ; mais où ? Dans la mélodie ? Assurément non ; ce n’est pas elle qui a été atteinte ; le piano seul a été endommagé. Il en est exactement de même en phonétique. Le système de nos phonèmes est l’instrument dont nous jouons pour articuler les mots de la langue ; qu’un de ces éléments se modifie, les conséquences pourront être diverses, mais le fait en lui-même n’intéresse pas les mots, qui sont, pour ainsi dire, les mélodies de notre répertoire.

Ainsi les faits diachroniques sont particuliers ; le déplacement d’un système se fait sous l’action d’événements qui non seulement lui sont étrangers (voir p. 121), mais qui sont isolés et ne forment pas système entre eux.

Résumons : les faits synchroniques, quels qu’ils soient, présentent une certaine régularité, mais ils n’ont aucun caractère impératif ; les faits diachroniques, au contraire, s’imposent à la langue, mais ils n’ont rien de général.

En un mot, et c’est là que nous voulions en venir, ni les uns ni les autres ne sont régis par des lois dans le sens défini plus haut, et si l’on veut malgré tout parler de lois linguistiques, ce terme recouvrira des significations entièrement différentes selon qu’il sera appliqué aux choses de l’un ou de l’autre ordre.

§ 7.

Y a-t-il un point de vue panchronique ?

Jusqu’ici nous avons pris le terme de loi dans le sens juridique. Mais y aurait-il peut-être dans la langue des lois dans le sens où l’entendent les sciences physiques et naturelles, c’est-à-dire des rapports qui se vérifient partout et toujours ? En un mot, la langue ne peut-elle pas être étudiée au point de vue panchronique ?

Sans doute. Ainsi puisqu’il se produit et se produira toujours des changements phonétiques, on peut considérer ce phénomène en général comme un des aspects constants du langage ; c’est donc une de ses lois. En linguistique comme dans le jeu d'échecs (voir p. 125 sv.), il y a des règles qui survivent à tous les événements. Mais ce sont là des principes généraux existants indépendamment des faits concrets ; dès qu'on parle de faits particuliers et tangibles, il n’y a pas de point de vue panchronique. Ainsi chaque changement phonétique, quelle que soit d’ailleurs son extension, est limité à un temps et un territoire déterminés ; aucun ne se produit dans tous les temps et dans tous les lieux ; il n’existe que diachroniquement. C’est justement un critère auquel on peut reconnaître ce qui est de la langue et ce qui n'en est pas. Un fait concret susceptible d’une explication panchronique ne saurait lui appartenir. Soit le mot chose : au point de vue diachronique, il s’oppose au latin causa dont il dérive ; au point de vue synchronique, à tous les termes qui peuvent lui être associés en français moderne. Seuls les sons du mot pris en eux-mêmes (šọz) donnent lieu à l’observation panchronique ; mais ils n’ont pas de valeur linguistique ; et même au point de vue panchronique šọz, pris dans une chaîne comme ün šọz admirablə « une chose admirable », n’est pas une unité, c’est une masse informe, qui n'est délimitée par rien ; en effet, pourquoi šọz plutôt que ọza ou nšọ ? Ce n’est pas une valeur, parce que cela n’a pas de sens. Le point de vue panchronique n’atteint jamais les faits particuliers de la langue.

§ 8.

Conséquences de la confusion du synchronique et du diachronique.

Deux cas peuvent se présenter :

a) La vérité synchronique paraît être la négation de la vérité diachronique, et à voir les choses superficiellement, on s’imagine qu’il faut choisir ; en fait ce n’est pas nécessaire ; l’une des vérités n’exclut pas l’autre. Si dépit a signifié en français « mépris », cela ne l’empêche pas d’avoir actuellement un sens tout différent ; étymologie et valeur synchronique sont deux choses distinctes. De même encore, la grammaire traditionnelle du français moderne enseigne que, dans certains cas, le participe présent est variable et s’accorde comme un adjectif (cf. « une eau courante »), et que dans d’autres il est invariable (cf. « une personne courant dans la rue »). Mais la grammaire historique nous montre qu’il ne s’agit pas d’une seule et même forme : la première est la continuation du participe latin (currentem) qui est variable, tandis que l’autre vient du gérondif ablatif invariable (currendō)[5]. La vérité synchronique contredit-elle à la vérité diachronique, et faut-il condamner la grammaire traditionnelle au nom de la grammaire historique ? Non, car ce serait ne voir que la moitié de la réalité ; il ne faut pas croire que le fait historique importe seul et suffit à constituer une langue. Sans doute, au point de vue des origines, il y a deux choses dans le participe courant ; mais la conscience linguistique les rapproche et n’en reconnaît plus qu’une : cette vérité est aussi absolue et incontestable que l’autre.

b) La vérité synchronique concorde tellement avec la vérité diachronique qu’on les confond, ou bien l’on juge superflu de les dédoubler. Ainsi on croit expliquer le sens actuel du mot père en disant que pater avait la même signification. Autre exemple : a bref latin en syllabe ouverte non initiale s’est changé en i ; à côté de faciō on a conficiō, à côté de amīcus, inimĭcus, etc. On formule souvent la loi en disant que le a de faciō devient i dans conficiō, parce qu’il n’est plus dans la première syllabe. Ce n’est pas exact : jamais le a de faciō n’est « devenu » i dans conficiō. Pour rétablir la vérité, il faut distinguer deux époques et quatre termes : on a dit d’abord faciōconfaciō ; puis confaciō s'étant transformé en conficiō, tandis que faciō subsistait sans changement, on a prononcé faciōconficiō. Soit :

faciō confaciō Époque A.
faciō conficiō Époque B.

Si un « changement » s’est produit, c’est entre confaciō et conficiō ; or la règle, mal formulée, ne mentionnait même pas le premier ! Puis à côté de ce changement, naturellement diachronique, il y a un second fait, absolument distinct du premier et qui concerne l’opposition purement synchronique entre faciō et conficiō. On est tenté de dire que ce n’est pas un fait, mais un résultat. Cependant, c’est bien un fait dans son ordre, et même tous les phénomènes synchroniques sont de cette nature. Ce qui empêche de reconnaître la véritable valeur de l’opposition faciōconficiō, c’est qu’elle n’est pas très significative. Mais que l’on considère les couples GastGäste, gebegibt, on verra que ces oppositions sont, elles aussi, des résultats fortuits de l’évolution phonétique, mais n’en constituent pas moins, dans l’ordre synchronique, des phénomènes grammaticaux essentiels. Comme ces deux ordres de phénomènes se trouvent par ailleurs étroitement liés entre eux, l’un conditionnant l’autre, on finit par croire qu’il ne vaut pas la peine de les distinguer ; en fait la linguistique les a confondus pendant des dizaines d’années sans s’apercevoir que sa méthode ne valait rien.

Cette erreur éclate cependant avec évidence dans certains cas. Ainsi pour expliquer le grec phuktós, on pourrait penser qu’il suffit de dire : en grec g ou kh se changent en k devant consonnes sourdes, en exprimant la chose par des correspondances synchroniques, telles que phugeîn : phuktós. lékhos : léktron, etc. Mais on se heurte à des cas comme tríkhes : thriksí, où l’on constate une complication : le « passage » de t à th. Les formes de ce mot ne peuvent s'expliquer qu’historiquement, par la chronologie relative. Le thème primitif *thrikh, suivi de la désinence -si, a donné thriksí, phénomène très ancien, identique à celui qui a produit léktron, de la racine lekh-. Plus tard, toute aspirée suivie d'une autre aspirée dans le même mot a passé à la sourde, et *thríkhes est devenu tríkhes : thriksí échappait naturellement à cette loi.

§ 9.

Conclusions.

Ainsi la linguistique se trouve ici devant sa seconde bifurcation. Il a fallu d’abord choisir entre la langue et la parole (voir p. 36) ; nous voici maintenant à la croisée des routes qui conduisent l’une, à la diachronie, l’autre à la synchronie.

Une fois en possession de ce double principe de classification, on peut ajouter que tout ce qui est diachronique dans la langue ne l’est que par la parole. C’est dans la parole que se trouve le germe de tous les changements : chacun d’eux est lancé d’abord par un certain nombre d'individus avant d’entrer dans l’usage. L’allemand moderne dit : ich war, wir waren, tandis que l’ancien allemand, jusqu’au XVIe siècle, conjuguait : ich was, wir waren (l’anglais dit encore : I was, we were). Comment s’est effectuée cette substitution de war à was ? Quelques personnes, influencées par waren, ont créé war par analogie ; c’était un fait de parole ; cette forme, souvent répétée, et acceptée par la communauté, est devenue un fait de langue. Mais toutes les innovations de la parole n’ont pas le même succès, et tant qu’elles demeurent individuelles, il n’y a pas à en tenir compte, puisque nous étudions la langue ; elles ne rentrent dans notre champ d’observation qu’au moment où la collectivité les a accueillies.

Un fait d’évolution est toujours précédé d’un fait, ou plutôt d’une multitude de faits similaires dans la sphère de la parole ; cela n’infirme en rien la distinction établie ci-dessus, elle s’en trouve même confirmée, puisque dans l'histoire de toute innovation on rencontre toujours deux moments distincts : 1° celui où elle surgit chez les individus ; 2° celui où elle est devenue un fait de langue, identique extérieurement, mais adopté par la collectivité.

Le tableau suivant indique la forme rationnelle que doit prendre l’étude linguistique :

Il faut reconnaître que la forme théorique et idéale d’une science n’est pas toujours celle que lui imposent les exigences de la pratique. En linguistique ces exigences-là sont plus impérieuses que partout ailleurs ; elles excusent en quelque mesure la confusion qui règne actuellement dans ces recherches. Même si les distinctions établies ici étaient admises une fois pour toutes, on ne pourrait peut-être pas imposer, au nom de cet idéal, une orientation précise aux investigations.

Ainsi dans l’étude synchronique de l’ancien français le linguiste opère avec des faits et des principes qui n’ont rien de commun avec ceux que lui ferait découvrir l’histoire de cette même langue, du xiiie au xxe siècle ; en revanche ils sont comparables à ceux que révélerait la description d’une langue bantoue actuelle, du grec antique en 400 avant Jésus-Christ ou enfin du français d’aujourd’hui. C’est que ces divers exposés reposent sur des rapports similaires ; si chaque idiome forme un système fermé, tous supposent certains principes constants, qu’on retrouve en passant de l’un à l’autre, parce qu’on reste dans le même ordre. Il n’en est pas autrement de l’étude historique : que l’on parcoure une période déterminée du français (par exemple du xiiie au xxe siècle), ou une période du javanais, ou de n’importe quelle langue, partout on opère sur des faits similaires qu’il suffirait de rapprocher pour établir les vérités générales de l’ordre diachronique. L’idéal serait que chaque savant se consacre à l’une ou l’autre de ces recherches et embrasse le plus de faits possible dans cet ordre ; mais il est bien difficile de posséder scientifiquement des langues aussi différentes. D’autre part chaque langue forme pratiquement une unité d’étude, et l’on est amené par la force des choses à la considérer tour à tour statiquement et historiquement. Malgré tout il ne faut jamais oublier qu’en théorie cette unité est superficielle, tandis que la disparité des idiomes cache une unité profonde. Que dans l’étude d’une langue l’observation se porte d’un côté ou de l’autre, il faut à tout prix situer chaque fait dans sa sphère et ne pas confondre les méthodes.

Les deux parties de la linguistique, ainsi délimitées, feront successivement l’objet de notre étude.

La linguistique synchronique s’occupera des rapports logiques et psychologiques reliant des termes coexistants et formant système, tels qu’ils sont aperçus par la même conscience collective.

La linguistique diachronique étudiera au contraire les rapports reliant des termes successifs non aperçus par une même conscience collective, et qui se substituent les uns aux autres sans former système entre eux.

  1. Ce terme d’image acoustique paraîtra peut-être trop étroit, puisqu’à côté de la représentation des sons d’un mot il y a aussi celle de son articulation, l’image musculaire de l’acte phonatoire. Mais pour F. de Saussure la langue est essentiellement un dépôt, une chose reçue du dehors (voir p. 30). L’image acoustique est par excellence la représentation naturelle du mot en tant que fait de langue virtuel, en dehors de toute réalisation par la parole. L’aspect moteur peut donc être sous-entendu ou en tout cas n’occuper qu’une place subordonnée par rapport à l’image acoustique (Ed.).
  2. On aurait tort de reprocher à F. de Saussure d’être illogique ou paradoxal en attribuant à la langue deux qualités contradictoires. Par l'opposition de deux termes frappants, il a voulu seulement marquer fortement cette vérité, que la langue se transforme sans que les sujets puissent la transformer. On peut dire aussi qu'elle est intangible, mais non inaltérable (Ed.).
  3. D'après MM. Meillet (Mém. de la Soc. de Lingu., IX, p. 365 et suiv.) et Gauthiot (La fin de mot en indo-européen, p. 158 et suiv.), l'indo-européen ne connaissait que -n final à l'exclusion de -m ; si l’on admet cette théorie, il suffira de formuler ainsi la loi 5 : tout -n final i. e. a été conservé en grec ; sa valeur démonstrative n'en sera pas diminuée, puisque le phénomène phonétique aboutissant à la conservation d'un état ancien est de même nature que celui qui se traduit par un changement (voir p. 200) (Ed.).
  4. Il va sans dire que les exemples cités ci-dessus ont un caractère purement schématique : la linguistique actuelle s’efforce avec raison de ramener des séries aussi larges que possible de changements phonétiques à un même principe initial ; c’est ainsi que M. Meillet explique toutes les transformations des occlusives grecques par un affaiblissement progressif de leur articulation (voir Mém. de la Soc. de Ling., IX, p. 163 et suiv.). C’est naturellement à ces faits généraux, là où il existent, que s'appliquent en dernière analyse ces conclusions sur le caractère des changements phonétiques (Ed.).
  5. Cette théorie, généralement admise, a été récemment combattue par M. E. Lerch (Das invariable Participium praesenti, Erlangen 1913), mais, croyons-nous, sans succès ; il n’y avait donc pas lieu de supprimer un exemple qui, en tout état de cause, conserverait sa valeur didactique (Ed.).