Cours d’agriculture (Rozier)/MORELLE GRIMPANTE, ou VIGNE DE JUDÉE, ou DOUCE-AMÈRE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 578-580).


MORELLE GRIMPANTE, ou VIGNE DE JUDÉE, ou DOUCE-AMÈRE. (voyez planche XV, page 559) Tournefort la place dans la septième section de la seconde classe de herbes à fleur en rosette, dont le pistil devient un fruit mou & charnu, & il s’appelle solanum scandens, seu dulcamara ; Von Linné la nomme solanum dulcamara, & la classe dans la pentandrie monogynie.

Fleur H. D’une seule pièce, découpée en cinq segmens pointus, l’extrémité de ces divisions se roule ordinairement en dessus ; les étamines au nombre de cinq, environnent le pistil C, placé au centre de la corolle, & le tout est porté sur le calice D ; tube menu à sa base, évasé à son extrémité, terminé par cinq petites divisions.

Fruit. Le calice ne tombe point jusqu’à la maturité du fruit E ; c’est une baie ovoïde, charnue, pleine de suc, représentée coupée transversalement en F, pour faire voir l’arrangement des graines G ; elles sont blanchâtres & lisses.

Feuilles. Les supérieures oblongues & en fer de pique.

Racine A. Petite, fibreuse & s’étend profondément.

Port. Tige sarmenteuse, grimpante, longue de cinq à six pieds, grêle, fragile ; les fleurs naissent en grappes au haut des tiges, & les feuilles sont placées alternativement.

Lieu. Les endroits humides, les haies, les buissons ; la plante est vivace par ses racines seulement, & fleurit en mai & juin.

Propriété. Feuilles inodores, d’une saveur purement douceâtre, ensuite légèrement amère, enfin âcre. Elles sont apéritives, détersives, résolutives, expectorantes.

Voici comment s’exprime M. Vitet dans sa pharmacopée de Lyon. Les feuilles de la douce-amère sont un urinaire actif, ne causant ni ardeur, ni douleur dans les premières voies, si elles sont prescrites à petites doses dès le commencement de l’administration ; elles sont indiquées dans la colique néphrétique par des graviers, la difficulté d’uriner par des matières pituiteuses, l’ulcère de la vessie, le scorbut & ses ulcères, les écrouelles, le rhumatisme par des humeurs séreuses, l’asthme pituiteux, la jaunisse par obstruction des vaisseaux biliaires. Il est permis de douter de leur utilité dans la suppression du flux menstruel, occasionné par des corps froids, & dans la morsure de la vipère… Il est très-rare qu’elles purgent, qu’elles provoquent la sueur, qu’elles calment les douleurs de la goutte, du cancer, & favorisent la résolution de la pleurésie par des matières pituiteuses.

M. Razoux, docteur en médecine, très-distingué, de la ville de Nismes, communiqua en 1758, à l’académie royale de sciences de Paris, un mémoire sur la douce-amère, & on doit avec raison, regarder ce médecin comme le promoteur de ce remède en France. Le célèbre Von Linné caractérisoit de l’épithète d’héroïque, les vertus de cette plante ; c’est lui qui les fit connoître à M. de Sauvages, dont la mémoire sera toujours précieuse aux médecins, & celui-ci à M. Razoux son digne ami. Une demoiselle avoit un chancre scorbutique à la lèvre supérieure, & un autre à la lèvre inférieure : tous deux avoient les symptômes de cette grande malignité qui caractérisent les maux de cette espèce ; les dents se détachoient presque de leur alvéole, & le corps étoit parsemé de taches rouges, violettes ou brunes, une fièvre quotidienne paroissoit tous les soirs, & étoit marquée par un frisson assez fort. Tous les remèdes indiqués dans ce genre de maladie, furent mis en usage sans succès. Enfin M. Razoux se détermina à faire prendre à la malade la décoction de la douce amère ; les premiers essais ne furent pas heureux, les douleurs dans les extrémités devinrent excessives ; il s’y joignit des élancemens si vifs dans la tête, que suivant les expressions de la malade, on lui arrachoit les yeux. Malgré ces fâcheux présages, on continua l’usage de cette décoction, & quelques jours après les chancres donnèrent une bonne suppuration, se cicatrisèrent, les taches disparurent, & enfin la malade recouvra la santé ; elle fut mise ensuite au lait d’ânesse pour terminer la maladie, qui a été sans récidive. Voici comment M. Razou a administré ce remède. On prend en commençant, un demi gros de la tige récente ou fraîche de cette plante ; on en ôte les feuilles, les fleurs & les fruits ; on la coupe par petits morceaux & on la fait bouillir dans seize onces d’eaux de fontaine, jusqu’à la diminution de moitié. On coule cette décoction, on la mêle avec partie égale de lait de vache bien écrêmé, & on en fait boire au malade un verre de quatre en quatre heures. On augmente peu à peu la dose de la plante jusqu’à deux gros. C’est à la prudence des médecins à en régler la quantité.

M. Razoux & un très-grand nombre de médecins en ont obtenu les succès les plus marqués dans les maladies dont il est fait mention ci-dessus.

Morelle à fruit noir. (Voyez planche XV, page 559) Tournefort & Von Linné la placent dans la même classe que la précédente ; le premier l’appelle solanum officinarum acinis nigricantibus, & le second, solanum nigrum.

Fleur. D’une seule pièce, divisée en cinq segmens pointus & disposés en rosette, au centre desquels on remarque le pistil B, & cinq étamines. Ce pistil sort du fond du calice C.

Fruit. Baie ronde, noire, lisse, marquée d’un point au sommet, à deux loges. D la représente coupée transversalement, remplie de plusieurs semences E, presque rondes, brillantes & jaunâtres.

Feuilles. Ovales, molles, pointues, dentées, anguleuses.

Racine A. Longue, déliée, fibreuse, chevelue.

Port. La tige s’élève à la hauteur d’un pied & plus, sans supports, herbacée, anguleuse, branchue ; les feuilles deux à deux, l’une à côté de l’autre ; quelquefois solitaires, ainsi que les pédoncules l’ombelle des fleurs se meut au moindre vent.

Lieu. Les endroits incultes, les vignes, les bords des chemins la plante est annuelle & fleurit en juin, juillet & août, temps de la cueillir.

Propriétés. Les feuilles ont une odeur narcotique, virulente, & une saveur nauséabonde & âcre. Les baies sont inodores & d’une saveur légèrement acidule ; toute la plante est, dit-on, extérieurement anodine, rafraîchissante, c’est un doux répercussif… Intérieurement, c’est un poison assoupissant ; les acides lui servent de contre-poison.

Usages. Plusieurs auteurs ont vanté à l’excès l’efficacité de la morelle l’expérience a démontré que l’application des feuilles récentes, quelque réitérée qu’elle soit, calme rarement les douleurs causées par les hémorroïdes externes, la douleur du panaris, du cancer occulte & du cancer ulcéré ; elles ne détergent point les ulcères scrophuleux ; elles ne favorise pas l’éruption des érysipèles ; elles sont nuisibles dans toutes espèces d’inflammations cutanées, & dans les violents maux de tête par la fièvre… L’eau distillée, proposée pour résoudre les inflammations internes, & pour dissiper l’ardeur d’urine, doit être rejetée. Plusieurs observations constatent qu’elle est vénéneuse & par conséquent dangereuse. Telle est la manière dont s’explique M. Vitet, dans sa pharmacopée de Lyon.