Cours d’agriculture (Rozier)/MONSTRE. MONSTRUOSITÉ

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 561-572).


MONSTRE. MONSTRUOSITÉ. Physiologie Animale Et Végétale.

Plan du Travail.

Sect. I. Coup-d’œil général sur les monstres.
Sect. II. Des monstres végétaux.
Sect. III. Exemples de monstruosités végétales.
1°. Monstruosités de tiges.
2°. Monstruosités de feuilles.
3°. Monstruosités de fleurs.
4°. Monstruosités de fruits.
Sect. IV. Causes des monstruosités.

Section Première.

Coup-d’œil général sur les Monstres.

Étudier les végétaux, suivre de près leurs développemens & leur croissance, c’est parcourir une carrière féconde en phénomènes plus ou moins intéressans. Si la régularité des formes plaît & satisfait nos yeux, les variétés & les écarts doivent nous intéresser encore davantage ; ce qui s’éloigne des loix communes de la nature, ce qui paroît être, je ne dis pas une simple exception, mais même une opposition formelle, demande de nous une attention particulière, une étude sérieuse ; trop heureux si une explication simple & naturelle vient nous satisfaire & détailler à notre esprit la marche que la nature a suivie dans la production qui fait le sujet de notre étonnement. Les monstruosités végétales beaucoup plus abondantes qu’on ne l’imagine, seront long temps un objet de méditation pour le philosophe, tandis qu’elles ne présentent qu’un objet de dédain & de mépris à l’homme indifférent, qui ne demande que des beautés & des jouissances. Les monstruosités animales, toujours hideuses, toujours révoltantes, affligent un cœur sensible. L’anatomiste voit avec douleur sa production, parce qu’il songe sans cesse que la mère qui l’a mis au jour, a d’autant plus souffert que le monstre est plus singulier ; que l’individu qui a été ainsi vicié dans sa conformation, devoit être un homme ou un animal sain & parfait, & que la mort de l’un & de l’autre accompagnoit trop souvent un accouchement pénible & monstrueux. C’est d’après ce sentiment, que M. Cooper voudroit qu’on bannît entièrement le terme de monstre, parce qu’il répugne à notre sensibilité, qu’il emporte toujours avec lui une idée triste, douloureuse & désagréable. Il conviendroit bien mieux d’y substituer celui de jeu de la nature. Dans le règne végétal au contraire, la naissance d’un monstre ou d’une partie monstrueuse, ce qui est bien plus commun, entraîne très-rarement le dépérissement de la mère ou de la plante totale ; une feuille monstrueuse n’altère pas la tige qui la porte ; un calice informe ne vicie pas les parties nobles qu’il renferme, & si la fleur surchargée d’embonpoint & d’une sève surabondante, voit flétrir les organes de la génération, ce malheur semble bientôt réparé par la multiplication des pétales, & la vivacité de leurs couleurs. L’homme même, ce roi de la nature, pour qui elle paroît sans cesse travailler, ignore souvent, ou oublie bientôt que cette fleur double qu’il admire, qu’il préfère, n’est qu’un monstre, pour ne penser qu’à ses beautés. Il faut encore beaucoup de connoissances en botanique pour observer & distinguer toutes les monstruosités végétales, & jamais ou presque jamais elles ne sont désagréables à la vue, & révoltantes comme les monstruosités animales. Cela ne viendroit-il pas aussi de ce que le règne animal nous touche infiniment de plus près ; que dans le fœtus humain monstrueux, l’homme voit la perte de son semblable, & dans le fœtus d’un animal monstrueux, la perte d’un être utile & nécessaire. Ainsi la narure & l’intérêt, sont les premiers mobiles de sa sensibilité, tandis que dans le règne végétal, il y trouve une nouvelle jouissance. Pour l’homme qui raisonne ses jouissances, il est donc de son intérêt de connoître plus particulièrement les monstruosités végétales, leur cause, ce qui les constitue telles, & les différencie des simples accidents, & les différens systèmes que l’on a imaginés pour les expliquer, & pourquoi elles sont plus abondantes dans certaines espèces, dans certains cantons & dans certaines années, comme M. Gleditsch l’a observé dans les territoires de Francfort, de Furstemwald, de Cüstrin, Lebus &c., pour les années 1740, 1741, 1743, où il vit naître beaucoup plus de plantes fasciées, feuillues, prolifères, & à fleurs doubles que dans les autres années »

Section II.

Des monstres végétaux.

Il est nécessaire de bien saisir l’idée que renferme le mot de monstre, & de bien distinguer les parties qui sont réellement monstrueuses, de celles qui ne sont que viciées. Plusieurs auteurs en décrivant des monstruosités végétales, ont confondu trop souvent ce qui n’étoit qu’un accident, & pour ne pas tomber dans cette faute, il est nécessaire de spécifier exactement ce que nous entendons par monstre. Nous nommons monstre en général, avec l’immortel M. Bonnet, toute production organisée, dans laquelle la conformation, l’arrangement ou le nombre de quelques-unes des parties ne suivent pas les règles ordinaires ; nous ajoutons à cette définition générale, que dans le règne végétal, ces vices de conformation doivent être dûs à l’acte seul & unique de la végétation, à cette cause intérieure & non à des causes extérieures, comme fracture ou luxation des parties, piquures d’insectes, &c. &c. On voit déjà combien cette interprétation exacte, jette de jour, & dissipe la confusion qui règne dans cette partie.

D’après cette définition, la nature nous offre dans le règne végétal quatre genres de monstres ; le premier renferme ceux qui sont nés tels par la conformation extraordinaire de quelques-unes de leur parties ; le second comprend les plantes qui ont quelques-uns de leurs organes ou de leur membre autrement distribués que dans l’état naturel. Dans le troisième genre, il faut placer les plantes monstrueuses par défaut, ou qui ont moins de parties qu’il ne leur en faut ; & dans le quatrième, les plantes monstrueuses par excès, ou celles qui ont plus de parties qu’elles ne doivent en avoir. Il faut encore ajouter, que parmi ces monstruosités, les unes se perpétuent, soit par les graines, soit par les greffes, tandis que les autres sont passagères & n’altèrent en aucune manière les individus auxquels les plantes monstrueuses ont donné naissance.

Quelques botanistes ont regardé les variétés dans les feuilles de certaines plantes, les panachures, &c. comme des monstruosités ; mais d’après la définition que nous venons de donner, c’est improprement que l’on donne le nom de monstres à ces accidents.

Les greffes par approche, ne sont pas non plus des monstruosités, soit qu’elles aient lieu naturellement, soit artificiellement : car l’union de deux plantes ainsi greffées subsiste sans détruire en rien les loix de la végétation. Ces plantes hybrides se nourrissent, croissent & se régénèrent par graines & par boutures ; en un mot, elles remplissent toutes leurs fonctions végétales à l’ordinaire. Tout est dans l’ordre de la nature, rien contre ses loix ; par conséquent, point de monstruosités, d’autant plus que la plantule, en sortant de la graine, n’offre pas de tiges greffées naturellement, ce qui seroit nécessaire pour constituer un monstre. Si des greffes par approche étoient des monstres naturels, je ne vois pas pourquoi les greffes ordinaires ne le seroient pas aussi. (Voyez le mot Greffe)

Il faut en dire autant des monstres par accidents ; ce n’en sont pas de véritables. Les météores, les vents, les déchirures, les meurtrissures, les insectes occasionnent très-souvent sur la surface des tiges, des feuilles & même des fleurs des plantes, des accidents très-variés, comme la brûlure, des protubérances, des rachitismes, &c. qui ne sont que des maladies. (Voyez les mots Brûlure, Gale) La gallomanie elle-même ne paraissant que dans le cours de la vie de la plante, est plutôt une maladie qu’une monstruosité. Si elle paroissoit dès le moment de la naissance & du développement du fœtus, alors elle en seroit une véritable, parce que, comme nous le verrons plus bas, c’est dans les vices du fœtus qu’il faut chercher le vrai principe des monstruosités.

Section III.

Exemples de monstruosités végétales.

Nous allons parcourir les principaux exemples de véritables monstruosités que les différents observateurs ont recueillies ; mais afin qu’on les saisisse mieux, nous les classerons suivant les parties principales des plantes, en suivant les genres de monstruosités : observons ici qu’il ne s’agit que de monstruosités de naissance & de végétation, & non de monstruosités produites par des insectes.

1°. Monstruosités des tiges. Les tiges sont sujettes à plusieurs espèces de monstruosités, principalement à celles de conformation. Dans presque toutes les plantes, les tiges sont rondes, c’est la figure que la nature leur a assignée, comme la plus propre à la circulation égale des sucs ; cependant il s’est trouvé beaucoup d’exemples où l’on a vu cette forme varier, sur-tout s’aplatir & offrir l’image d’une bande platte ou de rubans. Borrichius a observé un geranium qui avoit deux tiges ainsi aplaties & larges de près de deux doigts ; chacune de ces tiges plattes étoit formée de quinze petites qu’on pouvoit encore distinguer, & qui s’étoient réunies & collées ensemble sur un même plan. Cette monstruosité s’étendoit jusqu’à quelques-unes des branches supérieures. La plante arrachée, la racine a paru nouée & tortillée contre son ordinaire. Un hissope, un lis martagon, & une couronne impériale, lui ont offert le même phénomène.

M. Scholotterberg cite un lilium album polyanthos, le lis blanc ordinaire, dont la tige composée d’un grand nombre d’autres, avoit trois doigts de diamètre. On en a des exemples communs encore dans les tiges de l’amarante qui s’aplatissent assez, souvent ; dans celles du maïs, de la chicorée sauvage, de la valériane, dans les branches du frêne, du saule, &c.

Ces aplatissements des tiges, sont dûs à la réunion naturelle de plusieurs tiges, & dont il est à croire que le principe existoit dans le fœtus même, puisqu’ils ont lieu sur la plante très-petite, comme sur la plante développée, & presqu’à son point de perfection. Cet excès de parties dans le végétal, est analogue à l’excès de parties dans l’animal, comme un quadrupède à six pattes, &c. ; mais le règne végétal offre souvent une autre espèce de monstruosités beaucoup plus rare dans le règne animal ; c’est la réunion de tiges de différentes natures ; je vais en citer quatre exemples singuliers. M. Lalandrini a observé un tuyau de froment de l’un des nœuds duquel sortoit un second tuyau qui portoit à son extrémité un tuyau d’ivraie ; & l’ayant disséqué à l’endroit de leur insertion, il a trouvé leurs membranes parfaitement continues.

Les frumentacées ont offert à Wormins un exemple de monstruosité pareille, celle de l’orge avec le seigle. C’étoit un court épi, partagé en quatre pointes, d’un pouce de longueur, qui à la première vue paroissoit être un vrai épi d’orge, mais qui renfermoit réellement tout-à-la-fois du seigle & de l’orge. Les quatre branches de cet épi, étoient disposées de façon, qu’alternativement la première n’avoit que des grains d’orge au nombre de cinq, & la seconde des grains de seigle. Les grains d’orge avoient leur longueur, leur dureté, leur rudesse ordinaires, & les barbes dont ils sont naturellement garnis ; caractères qui ne se trouvoient point dans ceux du seigle.

Le professeur Gesner de Zurich (ce savant si estimable par l’étendue de ses connoissances, la franchise de ses vertus, l’aménité de son caractère, auquel je me plais à rendre ici un tribut de reconnoissance pour les bontés dont il m’a honoré à mon passage à Zurich, en 1784) a donné une description circonstanciée de l’union monstrueuse de la pâquerette avec la renoncule, & de plantes de divers genres, de divers ordres & de diverses classes.

L’exemple suivant, sans être aussi frappant, n’est pas moins intéressant ; il est dû aux observations du P. Cotte. C’est une carotte, moitié carotte & moitié betterave. Cette espèce de monstre avoit un pied de longueur & vingt-sept lignes dans son plus grand diamètre ; l’extérieur étoit rouge comme une betterave : cette couleur n’étoit pas particulière à la peau, elle s’apercevoit encore tout autour dans l’espace d’une ligne ; le centre de cette racine étoit teint de la même couleur dans un espace de six lignes jusqu’aux deux tiers de sa longueur ; tout l’espace intermédiaire étoit jaune. Cette carotte cuite avoit le goût de la carotte & de la betterave.

2o. Monstruosités des feuilles. Les monstruosités des feuilles sont infiniment plus communes que celles des tiges, & l’on pourroit même dire qu’il y a peu de plantes à feuilles composées ou sur-composées qui n’en offre quelqu’exemple, plus fréquemment cependant dans les espèces herbacées, que dans les ligneuses ; nous en citerons quelques-uns.

M. Bonnet, cet illustre & exact scrutateur de la nature, a observé un grand nombre de variétés très-frappantes dans les folioles du framboisier, qui sont autant de monstruosités qui doivent leur origine à la réunion ou à la greffe des folioles les unes avec les autres. Il a remarqué que dans les feuilles à cinq folioles, ce sont toujours celles de la seconde paire qui s’unissent à celles de l’extrémité du pédicule ; la proximité qui est entre ces folioles, favorise cette union. Tantôt il n’y a qu’une seule foliole qui se greffe à celle de l’extrémité ; tantôt c’est la paire entière ; tantôt l’union se fait dans toute la longueur de la foliole ou des folioles ; tantôt elle ne se fait que sur la moitié, le quart ou une très-petite partie de cette longueur. La jonction commence toujours à l’origine du pédicule particulier. On voit ordinairement à l’endroit de la réunion, un pli ou une espèce d’arrète.

Les folioles de la feuille du noyer, sont sujettes à de pareilles difformités. M. Bonnet en a vu une feuille à cinq folioles, dont celle de l’extrémité étoit plus petite que les autres, & parfaitement circulaire ; dans d’autres, les folioles tenoient au pédicule commun, non-seulement par un court pédicule, mais encore par une espèce de peau ou de membrane, qui donnoit à ces folioles une figure très-irrégulière. Dans une autre feuille, l’extrémité portoit deux folioles, dont l’une étoit fort échancrée d’un côté ; il y a observé souvent des greffes semblables à celles des feuilles du framboisier, & dans une sur-tout, que toutes les folioles s’étoient réunies, de façon que la feuille offroit une forme très-bizarre, qu’elle étoit un peu plissée, & que sa principale nervure, au lieu d’être arrondie, étoit absolument plate & fort large.

Les feuilles du jasmin offrent encore un plus grand nombre de variétés, & elles sont si communes sur cette plante, qu’il est facile de les appercevoir au premier coup d’œil, pour peu que l’on connoisse parfaitement la forme de la feuille du jasmin.

La feuille du lilas, qui est toujours simple & sans découpure, quelquefois est double & comme divisée en deux feuilles différentes, qui se réunissent près du pétiole, divergent & s’écartent ensuite l’une de l’autre.

Le violier rouge a encore offert un phénomène de feuilles composées ; sa feuille est simple, un peu allongée & un peu roulée, sur-tout aux approches de l’automne ; on en a vu une triple, ou au moins remarquable par trois divisions ; la feuille du milieu étoit plus grande que les deux autres latérales ; de plus, cette feuille étoit beaucoup plus courte que les autres, & la silique qui succéda à la fleur, resta grêle, courte & menue.

M. Bonnet cite une monstruosité des feuilles du chou-fleur, beaucoup plus singulière que toutes celles que je viens du rapporter. De dessus & de la principale nervure d’une feuille, s’élevoit une tige cylindrique, qui portoit à son sommet un bouquet d’autres feuilles, dont la forme imitoit celle d’un cornet ; la surface inférieure, aisée à reconnoître à sa couleur & au relief de ses nervures, formoit l’extérieur du cornet, dont les bords sont dentelés : quelques uns de ces cornets avoient une espèce de bec, leur ouverture étoit glyptique, c’est-à-dire, qu’au lieu d’être dans un plan parallèle à l’horizon, elle étoit dans un plan incliné ; d’autres cornets avoient leur ouverture à peu près circulaire : leurs grandeurs varioient beaucoup, depuis un pouce d’ouverture sur un pouce & demi de hauteur jusqu’à la petitesse de têtes d’épingles ; ces petits cornets étoient portés sur une tige assez courte & cylindrique ; examinés de fort près, on appercevoit au centre un enfoncement indiquant essentiellement en petit la même forme que les grands ; ils partoient de la principale nervure d’un autre cornet ; on découvroit ça & là des appendices de forme irrégulière, quelquefois approchants de celle d’un cornet, qui adhéroient à la principale tige ou à quelques-uns des plus grands corners. Les monstres des feuilles de choux-fleur ne sont pas rares, car M. Bonnet en a trouvé plusieurs dans une seule planche de choux-fleurs.

3°. Monstruosités des fleurs. Si on étudioit bien attentivement les fleurs, on trouveroit beaucoup plus de monstruosités dans leurs parties que l’on ne pense ; on peut même, en général, regarder comme une monstruosité permanente, la multiplicité des pétales dans certaines espèces de fleurs, ce qui les a fait nommer fleurs doubles. On pense communément que c’est la culture qui amène les fleurs à cet état par une surabondance de sève ; mais nous croyons que cela dépend encore plus de la nature du fœtus ; car sur une planche de semis de renoncule, par exemple, dont toutes les graines viennent de la même plante simple, il s’en trouvera quelques-unes de doubles, & le reste sera simple. Or dans cet exemple si frappant, & qui se renouvelle tous les jours, l’uniformité des circonstances accompagne absolument le développement de tous les germes ; même semence, même terrein, même influence atmosphérique ; pourquoi quelques fleurs doubles ? Pourquoi quelques monstres ? Nous en développerons la cause plus bas.

Nous allons citer cependant quelques monstruosités florales assez singulières. Les premières nous seront fournies par M. Bonnet. Il cite des fleurs de renoncules du milieu desquelles sortoient une tige portant une autre fleur ; mais sur-tout une rose qui offroit le même phénomène ; du centre de cette fleur, partoit une tige quarrée, blanchâtre, tendre & sans épines, qui portoit à son sommet deux boutons à fleurs, opposés l’un à l’autre, & absolument dépourvus de calice ; un peu au-dessous de ces boutons, sortoit un pétale de forme assez irrégulière. Sur la tige épineuse qui portoit la rose, on observoit une feuille qui différoit beaucoup de celles qui sont propres au rosier ; elle étoit en trèfle ; son pédicule étoit large & plat.

Dans cette classe de monstruosités, il n’est pas rare de voir les étamines se convertir en pétales, & M. Duhamel pense même que la multiplicité des pétales des fleurs doubles, n’est dûe qu’à cette conversion. La stérilité de ces fleurs s’explique facilement par-là ; moins il y aura d’étamines, ou plus il y en aura de converties en pétales, & plus cette stérilité sera parfaite par ce défaut d’organes générateurs. En examinant ces fleurs doubles, on peut souvent observer ce passage, & on trouve des étamines qui ne sont qu’à demi changées en pétales. Les roses sur-tout offrent ces accidents.

Quand le pistil éprouve un effet analogue, au lieu de produire des pétales, il se change en feuilles vertes ordinaires, ou en une tige portant feuilles & fleurs : les rosiers, les cerisiers à fleurs doubles & les œillets, sont sujets à ces accidents. Presque tous les auteurs qui ont écrit sur les monstruosités végétales, comme Bonnet, Duhamel, Schlotterberg, Adanson, &c. &c., ont cité plusieurs exemples de monstruosités florales, & sur-tout de fleurs implantées les unes dans les autres, ce qui a fait donner aux plantes qui les portoient le nom de plantes prolifères. Quelques plantes corimbyfères produisent aussi quelquefois des corimbes implantés l’un dans l’autre.

La fleur de la balsamine est terminée par un éperon. Je l’ai observé quelquefois avec deux ; M. Schlotterberg en a trouvé une à trois. Curieux de savoir si cette fleur produiroit des graines comme les autres, il ne voulut pas la cueillir ; mais son attente fut vaine, & la fleur se dessécha.

4°. Monstruosités des fruits. Les monstruosités des fruits sont encore infiniment plus multipliées que celles des tiges, des feuilles & des fleurs, & l’on peut même dire en général, qu’il n’y a point de fleur monstrueuse, lorsqu’elle produit un fruit, qui ne produise un fruit monstrueux ; mais il ne faut pas en inférer de-là, qu’il n’y a de fruit monstrueux, que lorsqu’il a existé auparavant une fleur monstrueuse. Souvent d’une fleur belle, saine & bien proportionnée, naît un fruit monstrueux, qui doit alors son origine au germe monstrueux contenu dans l’ovaire. La monstruosité des fruits est presque toujours par excès, & par greffe naturelle. Borrichius rapporte qu’on lui fit voir une poire monstrueuse de ce genre. C’étoit moins un seul fruit que deux fruits réunis. Le premier étoit formé de la queue & de la moitié d’une poire ordinaire ; l’autre formoit la partie la plus considérable, & l’extrémité du fruit ; entre les deux, sortoient de part & d’autre des feuilles qui se touchoient avec symétrie, & s’unissoient de manière qu’on les eût prises pour une seule feuille diversement découpée ; on ne voyoit aucune séparation dans l’intérieur, & tout y étoit tellement disposé, qu’on eût dit que c’étoit un seul fruit, si ce n’est quelques fibres irrégulières, & les pépins dispersés confusément, qui annonçoient un peu le vice de la conformation.

M. Bonnet a vu pareillement une poire qui donnoit naissance à une tige ligneuse & nouée, dont le sommet portoit une seconde poire un peu plus grosse que la première. Il falloit que cette nouvelle tige eût porté fleur, & que le fruit eût noué.

M. Duhamel a fait la même observation sur un jeune poirier, dans le jardin des Chartreux de Paris. De l’œil de presque toutes les poires de cet arbre, sortoit une branche ou une fleur, & quelques-unes de ces fleurs qui avoient noué leurs fruits, produisoient une poire double, dont l’une sortoit de l’extrémité de l’autre. Il arrive fréquemment quelque chose de semblable aux citronniers ; on y trouve de ces fruits surnuméraires, renfermés, soit en partie, soit même quelquefois en entier, dans le vrai fruit. Cette observation est confirmée par une semblable de M. Marcorelle, consignée dans le Journal de Physique, de février 1781. Il cite aussi un grain de raisin double, c’est-à-dire un petit grain, garni de feuilles & d’une petite tige, sortant d’un gros.

Les monstruosités des fruits, par approche, ou par greffe naturelle, sont très-communes. Il n’est pas rare de voir deux fruits accolés l’un à l’autre, & recouverts par la même écorce & le même épiderme : les deux péricarpes n’en faire qu’un ; les graines multipliées en raison des deux individus, & cependant le tout porté par un pédicule commun. Les baies de genévriers, les prunes, les cerises, les poires, les pommes, &c. sont sujets à cet accident. M. Scholotterberg a observé un concombre de jardin, double, & réuni à un plus petit.

Telles sont en général les principales monstruosités naturelles que l’on a observé dans les plantes. Nous traiterons, au mot Maladie, de celles qui surviennent par accidens, que l’on a regardé improprement comme des monstruosités, qui n’en sont point, mais de simples maladies ou excroissances produites par des piquures d’insectes, des déchirures, des luxations, &c &c. Cherchons à présent à expliquer, autant que nous le pourrons, les causes des monstruosités naturelles.

Section IV.

Causes des monstruosités végétales.

Hypocrate, en comparant les monstruosités animales aux végétales, nous a indiqué qu’il falloit ici raisonner par analogie, comme dans presque tous les grands phénomènes de la végétation, (Voyez au mot Arbre, le parallèle du règne végétal avec le règne animal.) Lorsque dans la physiologie animale on eut imaginé que tout se produisoit par des œufs, on commença à raisonner assez juste sur l’origine des monstres ; tout ce que l’on avoit dit auparavant étoit, ou absolument contraire à la véritable physique, ou des explications plus obscures que ce que l’on vouloit expliquer. On accusoit la nature d’erreur & de méprise, qu’il falloit lui pardonner ; & l’on regardoit les monstres, ou comme indignes de l’attention d’un philosophe, ou comme l’objet de son horreur. La science faisant des progrès insensibles, a, peu-à-peu, détourné le voile dont la nature se cachoit dans la fabrication des monstres ; & la découverte des germes & des œufs, a commencé celle de la formation des monstres ; c’est dans leur existence, leur manière d’être, & dans leur développement que l’on a cherché la cause de ce phénomène. Mais, à peine a-t-on cru avoir trouvé le vrai principe, qu’il s’est élevé deux sentimens fameux. L’un enseignoit que des œufs, originairement monstrueux, qui se développoient aussi régulièrement que les autres, produisoient naturellement des monstres, & que par conséquent ces monstres étoient autant la première intention de la nature, que les animaux ordinaires & parfaits.

Suivant le second système, les monstres doivent leur origine à l’union & à la confusion accidentelle de deux œufs. Tous les autres systêmes se rapprochent plus ou moins de ces deux-là ; par conséquent il est inutile d’en faire ici mention.

Les germes ayant été substitués aux œufs, les mêmes principes peuvent avoir lieu avec les germes comme avec les œufs, & il peut y avoir des germes monstrueux, ou deux germes se pénétrant & se confondant l’un avec l’autre. Comme dans le règne végétal la doctrine des germes paroît absolument démontrée, (Voyez le mot Germe) nous l’emploirons pour chercher à expliquer la formation des monstres. M. Bonnet nous sera d’un très-grand secours ; & comme en général nous avons adopté la sublime théorie de cet illustre savant, pour la physiologie, il sera encore notre guide dans le labyrinthe obscur que nous allons parcourir.

Les germes destinés par la nature à se développer un jour & à vivre, doivent être doués de toutes les qualités nécessaires à cet objet, sans quoi le but de la nature ne seroit pas rempli. S’il s’en trouvoit d’originairement monstrueux, ils iroient directement contre la sagesse de l’auteur de la nature ; je doute même qu’il pût être fécondé dans cet état ; car le germe n’étant composé que des seules parties élémentaires, resserrées les unes contre les autres, qui doivent un jour se développer par la fécondation & l’accroissement, s’il manquoit une seule de ces parties élémentaires, ou s’il s’en trouvoit quelques-unes de doubles, pourroit-il exister dans ce germe, en cet état de désordre, la faculté de se développer. Avant la fécondation, on peut considérer le germe naturel comme une montre ordinaire, douée de toutes ses pièces infiniment parfaites, mais dont le ressort n’est pas monté. On monte ce ressort : voilà l’acte de la fécondation ; voilà le stymulus, le ressort bandé, tout marche, tout va, la montre vit. Mais, si par hasard cette montre venoit à manquer d’une partie essentielle, comme de la roue de rencontre ou de la roue de la fusée, certainement la montre n’iroit pas : il en est à-peu-près de même pour le développement des germes. Voilà pour les germes monstrueux par défaut. Supposons à présent qu’il se trouve dans la montre, & sous la même quadrature, deux fusées ou deux échappemens, & même deux rouages complets l’un dans l’autre, il est de toute évidence qu’en vain l’on monteroit le ressort, rien ne marcheroit, parce que tout se gêneroit, tout seroit contre l’ordre & l’économie : c’est-là le cas des germes monstrueux par excès. Il est donc probable qu’il n’existe & ne peut exister de germes monstrueux. Ce principe paroîtra encore plus vraisemblable, si l’on adopte le système de l’emboîtement des germes, celui auquel nous donnons la préférence, comme au plus plausible. Dans ce système, l’existence des germes monstrueux est encore plus difficile à concevoir. Comment, & pourquoi ces germes qui existent de tout temps, qui préexistent à la fécondation, qui, avant ce moment, vivent de la vie de l’individu qui les porte, & qui attendent le stymulus de la fécondation ; pourquoi, dis-je, ces germes seroient-ils monstrueux ? Qui est ce qui les auroit créés tels ? Et comment auroient ils pu être emboîtés les uns dans les autres, s’ils l’avoient été dès l’origine. Un germe monstrueux nécessite une monstruosité pareille dans le germe qui l’emboîte ; celui-ci par conséquent en nécessite autant ; ainsi les uns des autres jusqu’au premier : ainsi, il ne pourroit exister actuellement un monstre, soit dans le règne animal, soit dans le règne végétal, que l’on ne fût obligé d’en conclure que le premier germe, celui qui renfermoit tous les autres, étoit lui-même monstrueux, & que depuis son développement jusqu’à celui dont il est question, on n’a eu nécessairement que des fœtus ou des individus monstrueux ; ce qui est absolument opposé à ce que nous voyons tous les jours. Une plante douée de toutes ses étamines, de son pistil, &c., en un mot, de toutes les parties nécessaires pour la constituer telle plante, & qui n’a qu’elles, donne souvent des graines qui produisent des monstres ; toutes les fleurs doubles viennent de fleurs simples. Il en est de même dans le règne animal. Combien de fois n’a-t-on pas vu un monstre né d’un homme & d’une femme bien faits ? Il n’est donc pas probable, tranchons le mot, il n’existe donc pas de germes monstrueux !

S’il n’existe pas de germes monstrueux dans le règne végétal comme dans le règne animal, quel peut donc être le principe des monstruosités ? Le même dans les deux règnes. La réunion de deux germes, leur confusion durant leur développement ; en un mot, les monstruosités sont dûes à des fœtus devenus monstrueux. Il faut bien distinguer entre les germes & les fœtus. Le germe est le fœtus avant sa vie propre, & le fœtus est le germe vivant & se développant. Au moment de la fécondation, le germe végétal est stimulé & animé par l’action de la poussière séminale, (Voyez Fécondation) il s’étend, il croît en tous sens. Mais auparavant, ce n’étoit qu’une gelée ; deux germes à côté l’un de l’autre étoient deux gouttes de gelées très voisines : c’est comme s’exprimé M. Bonnet, une suite de points qui formeront dans la suite des lignes, ces lignes se prolongeront, se multiplieront, & produiront des surfaces. Combien n’est-il pas facile qu’en se prolongeant ainsi dans tout sens, deux ou plusieurs germes ne viennent à se toucher, à s’aboucher, à se greffer les uns contre les autres. Si cette réunion persiste durant le développement, le fœtus deviendra monstrueux dans l’ovaire de la plante même ; la germination animera de plus en plus cette monstruosité, & elle deviendra très-sensible dans la plante adulte.

D’après ce principe, on explique facilement la formation & l’existence des monstres par défaut, ou par excès. Si deux germes en se pénétrant, détruisent absolument les parties par lesquelles ils se pénètrent, le fœtus en sera privé, & voilà un monstre par défaut. Si, au contraire, ces parties ne font que se greffer, & subsistent assez isolées & indépendantes pour qu’elles soient sensibles : voilà un monstre par excès.

Il existe encore une autre cause de monstruosité, qui paroît avoir beaucoup plus d’influence dans le règne végétal que dans le règne animal, & qui ne dépend nullement de la pénétration de deux germes, mais seulement du simple développement d’une patrie du fœtus au dépens de ses voisines. Je suppose qu’un germe fécondé d’une rose, d’une renoncule ou de toute autre fleur, qui, de simple, peut devenir double par la culture, se développe & vive comme fœtus ; il peut se faire qu’il tire de la terre & de l’air une nourriture plus propre au développement des pétales que des étamines. Qu’arrivera-t-il ? Les pétales se développeront plutôt que les étamines ; & comme les germes se trouvent disséminés dans toute la plante, les étamines elles-mêmes pompant une nourriture qui convient plus aux pétales qu’à elles-mêmes, ne se changeront pas en pétales, comme on le dit communément, mais laisseront développer les germes de pétales qu’elles renferment, à leur propre détriment, de façon que les étamines ne paroîtront plus ; mais comme ces nouveaux pétales sont composées de deux espèces de germes, des germes d’étamines, & des germes de pétales, ces nouveaux pétales seront des monstres informes, qui tiendront plus ou moins de l’un & de l’autre.

Il en est de même des pistils. Le pistil contient sans doute plus de germes de feuilles que d’autres ; une surabondance de sucs, plus propres à nourrir des feuilles que des pistils, venant à circuler dans les vaisseaux des pistils, feront développer les germes des feuilles au dépens de ceux des pistils, & on aura des monstres, moitié feuilles & moitié pistils.

Tous les autres exemples de monstruosités végétales que nous avons cités, peuvent tous s’expliquer par une de ces raisons.

La monstruosité de plusieurs tiges de même espèce réunies, est dûe à la confusion de fœtus se développant, se pénétrant, & dont toutes les parties ont été tellement confondues, qu’elles n’en ont plus fait qu’une, excepté les tiges qui sont restées accollées & sensibles.

La réunion des tiges de différentes espèces, est sans doute une espèce d’hybridicité, (Voyez le mot Hybride) & s’explique très-facilement par-là.

Les monstruosités des feuilles sont toutes dûes à des greffes naturelles, opérées dans le développement du fœtus même, ou tout au plûtard dans le bouton.

Il en est de même des fruits doubles.

Le développement contre nature des étamines & des pistils, donne l’explication des fleurs doubles & des fleurs prolifères.