Cours d’agriculture (Rozier)/MARRON, MARRONNIER

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 437-443).


MARRON, MARRONNIER. (Voyez Chataignier)


Marronnier D’inde. Tournefort le place dans la première section de la vingt-unième classe destinée aux arbres à fleurs en rose, dont le pistil devient un fruit à une seule loge, & il l’appelle hippocastanum vulgare. Von Linné le nomme asculus hippocastanum, & le classe dans l’heptandrie monogynie.

Fleur. En rose, à cinq pétales obronds, plissés à leurs bords, ouverts, inégalement colorés. Le calice est ovale avec cinq divisions ; les étamines au nombre de sept, & un pistil.

Fruit. Capsule coriacée, obronde, armée de piquans, à trois loges & à trois battans, contenant ordinairement une ou deux semences, assez semblables à la châtaigne, recouvertes comme elle d’une écorce dure, brune, & nommées Marrons d’Inde.

Feuilles. Portées sur une longue queue, composée de cinq ou de sept grandes folioles qui partent d’un pétiole commun : elles sont entières, ovales, pointues, dentées à leurs bords en manière de scie, sillonnées en-dessus, nerveuses en-dessous.

Port. Grand arbre rameux, dont la tige est droite, la tête belle, le bois tendre de filandreux ; les fleurs blanches, fouettées de rouge, & quelquefois de jaune, disposées au haut des tiges en grappes pyramidales.

Lieu. Originaire des Grandes-Indes. C’est en 1550 environ, qu’on l’apporta des parties septentrionales de l’Asie. On le reçut à Vienne en Autriche en 1588, & M. Bachelier, en 1615, l’apporta de Constantinople à Paris, & le planta au jardin de Soubise. Le second fut planté au jardin royal des plantes, & le troisième au Luxembourg. Celui du jardin royal fut planté en 1656, & il est mort en 1767.

Culture. Tout est mode en France, & par conséquent de peu de durée. Dans le siècle dernier, chacun cherchoit avec empressement à se procurer des marronniers d’Inde. L’on admiroit sa croissance rapide, la beauté de sa tige, sa manière élégante dans la disposition de ses branches, le volume & la multiplicité de ses feuilles, la beauté pittoresque & le nombre de ses fleurs en superbes pyramides, enfin, l’ombre délicieuse qu’il procuroit. Il n’y a pas long-temps encore que l’on s’extasioit avec raison sur la portée des arbres de l’allée du palais royal à Paris, qui sembloit plantées & conduites par la main des fées. Aujourd’hui tout le mérite de cet arbre est éclipsé, parce que la chute de ses fleurs salit les allées, & celle de ses fruits, lors de sa maturité, est, dit-on, dangereuse. Enfin, on le supplée par le tilleul, & sur-tout par celui appellé de Hollande, qui est aussi, il est vrai, un fort bel arbre. Tel est l’empire de la mode. On pourroit cependant demander si, dans l’espace de plus d’un siècle que la grande allée du palais royal a subsisté, & qu’elle a fait l’admiration de tous les amateurs & de tous les curieux, quelqu’un a été estropié par la chute des marrons, & si un autre arbre, sans excepter le tilleul de Hollande, procure une ombre plus délicieuse, & se prête plus docilement aux ciseaux du jardinier ? Quel est l’arbre dont la dépouille des fleurs, de leurs calices & de leurs fruits, ne salissent pas dans un temps donné le sol des allées ? Chacun a sa manière de voir : je ne blâme pas celle des autres ; mais, à mon avis, le marronnier d’Inde, bien taillé & en fleurs, est le plus bel arbre que je connoisse, celui qui flatte le plus agréablement ma vue, & à l’ombre duquel je brave plus sûrement les rayons brûlans du soleil. Enfin, c’est l’arbre dont la rapide végétation s’accorde le plus avec notre impatiente envie de jouir. Il est presque de tous les climats & de tous les pays, tandis que le tilleul souffre, languit & périt dans nos provinces méridionales. Il y a peu d’exceptions à cette loi.

Les reproches que l’on fait au marronnier sont bien foibles ; & quant à la chute des fleurs, elle s’étend également aux ormeaux & aux tilleuls : quelques coups de râteaux & de balais suffisent pour les faire disparoître. La durée de la chute des fruits est de quinze jours environ, & dans une saison où l’on recherche peu un ombrage qui a été si nécessaire pendant l’été. Les hannetons, (voyez ce mot) se jettent par préférence sur le marronnier, & quelquefois le dépouillent de ses feuilles : mais le noyer & tant d’autres arbres n’ont-ils pas le même inconvénient ? Si on met en comparaison le mielat, (voyez ce mot) qui découle des feuilles du tilleul, on verra qu’aucun arbre n’est exempt de défauts. Si on veut jouir du beau spectacle des fleurs du marronnier, & ne pas en redouter les suites, on fera usage des échelles qui servent à tailler ces arbres, pour couper les fleurs lors qu’elles commenceront à passer ; enfin, au défaut d’échelles, on se servira de ciseaux ou torces, fixés au sommet d’une perche.

Le marronnier se plaît dans toute sorte de terreins, pourvu qu’ils conservent un peu d’humidité. Il se défeuille promptement dans les sols trop secs, & il y végète mal. Si le terrein est trop humide, le jaune de ses feuilles annonce son état de souffrance : dans un bon fonds, son tronc s’élance avec grâce, & s’élève très-haut du moment que ses branches & ses feuilles touchent celles de l’arbre voisin, parce qu’elles sont obligées d’aller chercher la lumière. Si on veut hâter sa jouissance, pour une salle de marronniers, on plante à vingt pieds de distance : on doit dans ce cas supprimer un arbre entre deux, lorsqu’on commence à s’apercevoir que les rameaux s’étiolent, c’est-à dire, s’alongent sans prendre assez de consistance. Dans peu d’années, si le fonds est bon, le vide occasionné par la suppression des arbres surnuméraires, sera regarni par les branches des arbres qu’on a laissé subsister ; elles s’abaisseront au-lieu de filer comme auparavant.

Dans les fonds de médiocre qualité, on peut planter depuis quinze jusqu’à vingt pieds de distance, & la suppression, dans la suite, sera inutile.

L’on taille le marronnier à plusieurs époques ; aussitôt après la chute des feuilles, & avant la sève du mois d’août. Le marronnier isolé n’exige aucun soin de la part du jardinier du moment que le tronc a pris la hauteur qu’on désire : mais dans les salles, dans les avenues, dans les allées, le jardinier retranche impitoyablement tous les bourgeons qui s’alongent & dépassent l’allignement qu’il a donné… Si l’ordre symétrique exige qu’on coupe quelque mère-branche, elle doit l’être raz du tronc, sans laisser aucun chicot, & il faut aussitôt la couvrir avec l’onguent de Saint-Fiacre, (voyez ce mot) afin que la partie ligneuse ne pourrisse pas avant que l’écorce ait eu le temps de la recouvrir. Sans cette précaution, il se forme une gouttière, & la pourriture gagne insensiblement l’intérieur du tronc de l’arbre.

Il vaut beaucoup mieux replanter le marronnier fort jeune, que d’attendre qu’il ait une haute tige ; sa reprise dans le premier cas est plus assurée, & ses succès plus prompts par la suite. Le point essentiel est de conserver, à chaque pied que l’on arrache de terre, le plus grand nombre de racines qu’il est possible. Jamais cet arbre ne végète avec autant de force que lorsqu’il est semé en place, parce qu’il est alors l’arbre de la nature, c’est-à-dire qu’il est garni de son pivot. Dans cet état, il craint moins la sécheresse, & pénètre très-avant dans la terre, où il trouve une humidité qui assure se fraîcheur ; au lieu que l’arbre à racines écourtées ne peut plus en pousser que de superficielles & de latérales. Cette observation est importante pour les terreins secs & maigres. Dans les provinces du midi, on fera très-bien d’arroser ces arbres pendant les premières années après la plantation, dans le courant de juin, & un peu avant le renouvellement de la sève du mois d’août.

Le marronnier se multiplie par ses fruits. Aussitôt qu’ils sont tombés, on les enterre dans du sable pour les semer au premier printemps suivant cependant les marrons se conservent très-bien sous les feuilles de cet arbre ; & ils poussent de meilleure heure que ceux que l’on a conservés dans du sable, pour les semer ensuite… À la fin de la première année du semis, il convient de lever tous les plants, & de les mettre en pépinière à trois pieds de distance les uns des autres. Ils ne réussissent pas si bien dans un espace plus resserré.

Le marronnier d’Inde ordinaire a une variété, dont la coque des fruits n’est pas épineuse. Ses fleurs paraissent plutôt, & ses fruits tombent plus vite ; la tige de l’arbre s’élève moins, elle n’est pas si rameuse, ni si feuillée que celle de l’autre.

Propriétés économiques. Le bois est de qualité médiocre : cependant lorsqu’il n’est pas exposé à l’air extérieur, il se conserve aussi longtemps que celui des bois blancs : il brûle mal, ses cendres sont recherchées pour les lessives.

M, Parmentier nous a communiqué les observations suivantes.

Il paroît qu’on s’est beaucoup exercé sur les marronniers d’Inde & sur leur fruit. Zanichelli, Apothicaire à Venise, a publié une Dissertation Italienne concernant les cures qu’il a opérées avec l’écorce de cet arbre : il la compare, d’après ses propres observations & l’analyse chymique, au quinquina. Plusieurs médecins ont depuis confirmé l’opinion de ce pharmacien. MM. Cqste & Villemet remarquent aussi dans leurs Essais Botaniques, que l’écorce du marronnier d’Inde, en décoction ou en substance, pouvoit remplacer celle du Pérou.

D’excellens patriotes se sont également appliqués à travailler le marron d’Inde, pour tâcher, s’il étoit possible, de le rendre aussi utile qu’il est agréable aux yeux ; ils ont vu à regret ce fruit, dont la récolte est constamment sûre & abondante, relégué dans la classe des choses inutiles, à cause de son insupportable amertume. Chacun a cru être parvenu au but désiré. M. le président Bon a proposé, dans les Mémoires de l’Académie Royale des Sciences de Paris, 1720, de faire macérer ce fruit, à plusieurs reprises, dans des lessives alcalines, & de le faire bouillir ensuite, pour en former une espèce de pâte qu’on puisse donner à manger à la volaille. On a même cherché, dans quelques cantons où il régnoit une disette de fourrages, à accoutumer les chevaux & les moutons à s’en nourrir pendant l’hiver.

Mais il paroît que les marrons d’Inde, dans cet état, ne sont pas une nourriture saine, puisque, jusqu’aujourd’hui, la proposition est demeurée sans exécution. Les lotions & les macérations, en effet, ne sçauroient enlever le suc & le parenchyme dans lesquels réside l’amertume des marrons d’Inde ; le changement que peuvent produire ces opérations, est d’en diminuer l’intensité.

D’autres, croyant impossible à l’art d’enlever l’amertume du marron d’Inde, pour en obtenir ensuite un aliment doux, se sont efforcés d’appliquer ce fruit à divers usages économiques. On a cru être parvenu à en faire une poudre à poudrer, en le mettant sécher, & en le réduisant en poudre : un cordonnier a préparé avec cette poudre une colle qu’il a exaltée comme très-utile au papetier, au tabletier & au relieur. On en a encore fait des bougies que l’on a d’abord beaucoup vantées ; mais ce n’étoit que du suif de mouton bien dépuré, & rendu solide par la substance amère du marron d’Inde ; leur trop grande cherté, les a bientôt fait abandonner.

Dans un Ouvrage qui a pour titre : L’Art de s’enrichir par l’Agriculture, l’auteur propose de raper les marrons d’Inde dans l’eau, de les y laisser macérer pendant quelque temps, & de laver ensuite avec cette eau les étoffes de laine. M. Deleuze indique aussi, d’après quelques expériences, les marrons comme très-bons pour le roui du chanvre.

Enfin, il y a des personnes qui, persuadées que les marrons d’Inde étoient moins propres à nous servir d’aliment, ou dans les arts, que de médicament, les ont envisagés sous ce dernier point de vue : on les a donc employés en fumigation & comme sternutatoire. On prétend que, pris intérieurement, ils arrêtent le flux de sang. Les maréchaux s’en servent pour les chevaux poussifs : on a vu un soldat invalide, sujet à l’épilepsie, manger des marrons d’Inde, dont l’usage, à ce qu’il assura, avoit éloigné sensiblement les accès de son mal. Une religieuse de l’hôtel-dieu de Paris a aussi été témoin des bons effets du marron d’Inde dans un cas semblable ; elle convient à la vérité que ce remède n’a pas eu une réussite égale sur tous ceux à qui elle l’a administré.

Quoiqu’il en soit, il paroît qu’on n’a encore découvert, reconnu, apperçu, dans le marron d’Inde, aucune propriété capable de le faire adopter pour des usages constans & familiers : aussi un particulier a-t-il voulu faire porter à l’arbre des fleurs doubles, dans le dessein de l’empêcher de produire des fruits, dont la chûte incommode. Ses expériences faites aux Thuileries & au Luxembourg, ont été sans succès : cependant on connoît les prodiges de l’art en ce genre, &c on sçait que si d’une fleur blanche, unie & simple, le jardinier parvient à en faire une fleur double, rouge & panachée, la plante qui offre ce phénomène n’acquiert l’avantage de récréer ainsi nos yeux, qu’aux dépens de ses organes reproductifs, semblables à ces malheureuses victimes d’une coutume barbare & meurtrière, qu’un pontife philosophe a aboli pour l’honneur de l’humanité.

On a encore essayé d’ôter radicalement aux marrons d’Inde leur amertume ordinaire, & de faire porter à l’arbre même, sans changer son espèce, des fruits d’aussi bon goût que les marrons de Lyon. On y a d’abord enté un pêcher, qui a produit des fruits énormes, mais qu’il n’étoit pas possible de manger, à cause de leur excessive amertume. M. de Francheville a proposé à l’Académie de Berlin de faire de cette question intéressante le sujet d’un prix. Ce savant prétend que la métamorphose est possible, qu’il s’agit de deux conditions essentielles à observer pour l’accomplir. La première, de choisir des marronniers d’Inde de cinq à six ans, de les transplanter dans une terre fertile & grasse. La seconde, de les greffer d’eux-mêmes & sur eux-mêmes jusqu’à trois fois, suivant les méthodes usitées ; mais M. Cabannis, dans son excellent traité sur la Greffe, prouve combien sont chimériques toutes ces associations d’arbres d’espèces différentes, ou la transmutation de la même espèce.

En attendant que l’expérience & le temps nous aient instruits sur la possibilité de la métamorphose qu’annonce M. de Francheville, nous croyons que l’amertume est aussi essentielle au marron d’Inde que la saveur sucrée l’est à la châtaigne ; elles dépendent l’une & l’autre de la matière extractive qui, dans le premier de ces deux fruits, est résino-gommeuse, & dans le second simplement muqueuse. La greffe chez celui-ci ne fait que développer & augmenter le principe déjà préexistant dans le sauvageon : si cela est ainsi, cette opération, loin d’adoucir le marron d’Inde, ne fera qu’accroître son amertume.

Il est cependant certain qu’on peut retirer du marron d’Inde la partie farineuse & nutritive qu’elle renferme, en appliquant sur ce fruit le procédé dont se servent les Américains pour retirer du manioc (Voyez ce mot) une nourriture salubre appellée cassave. On en sépare donc, à la faveur de la rape & des lotions, une véritable fécule ou amidon, qui, incorporé avec des pulpes, telles que celles de la pomme de terre, ou avec d’autres farineux, peut devenir un pain salutaire & nourrissant sans avoir aucune amertume. Mais quels que soient les avantages du marron d’Inde, considéré sous ses différens points de vue, il n’en est point qui puisse balancer celui de servir en totalité à la nourriture, sans qu’il soit nécessaire, pour l’y approprier, d’invoquer les secours de l’art, toujours embarrassant & très coûteux dans ce cas. Les tentatives de l’espèce de celles que propose M. de Francheville ne sont pas moins dignes d’être essayés ; pourquoi ne forceroit-on point quelques-uns de nos arbres forestiers à rapporter du fruit propre à nourrir ? ce ne seroit pas un si grand malheur que la chair des bêtes fauves n’eût plus le goût sauvageon ; ne vaut-il pas mieux s’occuper des moyens de multiplier nos productions, que d’en tarir la source : enfin, si l’on parvient jamais à enrichir le règne végétal, ainsi que nos tables, de ce nouveau fruit, d’autant plus précieux qu’il s’accommode à presque tous les climats, ce seroit encore un nouveau service que les sciences auroient rendu à l’humanité.

Marronnier d’Inde à fleur écarlate ou Pavia. Von Linné le nomme asculus pavia. Il diffère du précédent par ses fleurs qui ont huit étamines, par leur couleur écarlate, & elles sont plus petites. Cet arbre, originaire de l’Amérique septentrionale, peut s’éléver jusqu’à la hauteur de vingt pieds, & figurer dans un jardin d’amateur. On le multiplie par le semis de ses fruits, & par la greffe sur le maronnier ordinaire, ce qui évite l’embarras des semis, & accélère la jouissance : cependant, comme il n’y a aucune proportion entre la végétation du tronc du maronnier ordinaire & celle des branches du pavia, la beauté des greffes & des jets qu’elles ont fourni ne subsiste pas longtemps. Dans les climats froids, lorsque les étés sont courts, ou lorsque les gelées sont précoces, les fruits du pavia mûrissent rarement assez pour être semés ; lorsqu’ils sont parvenus à une maturité convenable, on les conserve dans du sable pendant l’hiver, & au premier printemps on le seme séparément & dans des pots. Dans les pays froids on enterre ces pots dans des couches, afin d’accélérer la végétation : lorsque la chaleur de l’atmosphère commence à prendre de l’activité, ces pots sont transportés près d’un abri, & mis en pleine terre, où ils sont arrosés de temps à autre, suivant le besoin. Les premières gelées attaquent les pousses encore trop tendres, si on n’a le soin de les garantir avec des paillassons, ou de les transporter dans une orangerie. À la fin de l’hiver on dépote chaque pied, on le place en pépinière, & encore mieux à demeure ; on a soin de les garantir des premières gelées.

Dans les provinces du midi du royaume, il suffit de semer les pavia contre de bons abris, & tout au plus de les couvrir avec de la paille, à la fin de la première année, si les gelées sont précoces.