Cours d’agriculture (Rozier)/MÉDICAMENT

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 457-459).


MÉDICAMENT, Médecine Rurale. On entend par médicament toute substance qui, prise intérieurement, ou appliquée extérieurement, a la propriété de changer les dispositions vicieuses des parties, tant fluides que solides du corps, en des meilleures. Les médicamens sont simples, ou composés : les simples sont ceux qu’on emploie sans préparation, & tels que la nature les offre ; les composés sont toujours faits par différens mélanges.

On les divise aussi en internes, externes & moyens. Les premiers se prennent intérieurement ; les externes s’appliquent extérieurement, & les moyens sont ceux qu’on introduit dans quelque cavité, pour les faire sortir bientôt après qu’ils sont reçus, comme les gargarismes & les clystères. M. de Lamure, célèbre médecin de Montpellier, nous apprend que la connoissance des médicamens est ou empirique, ou rationnelle.

« La connois tance empirique se borne, selon lui, à leur histoire, à leur caractère distinctif, aux pays d’où on les tire, aux cas où on les emploie, aux effets qu’ils ontpro duit, à la manière de les donner, & à la dose à laquelle on les prescrit,

» Les empiriques se fondoient encore sur l’analogie ; & voyant qu’un tel remède avoit opéré de bons effets dans une maladie, ils employoient le même remède dans une autre qui lui étoit analogue ».

La connoissance rationnelle va plus loin ; & après avoir adopté tout ce que les empiriques ont découvert sur les effets des médicamens, elle tâche d’en connoître la cause, pour pouvoir ensuite les employer dans les cas où l’on n’en avoit fait aucun usage.

C’est cette route qu’ont pris les partisans de la nouvelle médecine ; & bien loin de se fonder sur la ressemblance qu’ils appercevoient dans certaines plantes, & certaines parties du corps humain, & de dire que l’hépatique étoit le spécifique des maladies du foie, ils ont, au contraire, soumis les médicamens à l’analyse chymique ; mais on peut dire que cette méthode n’a pas été plus satisfaisante que celle des anciens.

Ces analyses sont presque toujours suspectes : l’action du feu ne peut-elle pas changer & altérer les qualités des corps qu’on y soumet, & leur en donner quelquefois moins qu’ils n’en avoient dans leur état naturel ? Les sels alkalins qu’on forme avec certains corps par l’action du feu, & qui n’existoient point auparavant dans ces mêmes corps, sont une preuve très-complète de cette assertion. Outre l’analyse chymique, n’a t-on pas mêlé différentes substances avec du sang extravasé ? ne les a-t-on pas injectées dans les vaisseaux des animaux vivans, pour observer les effets qu’elles produiroient ? On n’a pas été plus heureux : cette dernière méthode est aussi vicieuse que la première, parce que les effets d’un médicament sont bien différens avec le sang qui circule ; parce qu’une même dose, portée immédiatement dans le sang, agit bien différemment que quand elle passe par les voies de la digestion. D’après cela, on doit conclure qu’il faut se contenter d’une pharmacologie expérimentale, jusqu’à ce qu’on en ait découvert une rationnelle qui nous contente plus que celles qui ont paru jusqu’à présent.

Nous n’entrerons point dans une discussion plus longue ; nous nous contenterons de faire observer que les médicamens ne peuvent être utiles, que lorsqu’ils sont indiqués & administrés avec prudence ; que leur réussite dépend le plus souvent du bon régime des malades : s’il est négligé, les remèdes ne produisent aucun bon effet.

On doit préférer les remèdes simples aux composés ; les premiers sont toujours moins dangereux, & leurs bons effets sont toujours mieux assurés ; ils entrent plus dans les vues de la nature, & secondent bien mieux ses efforts : mais, malheureusement pour l’humanité, tout le monde s’érige en médecin il n’est pas de bonne femme qui n’ait chez elle un remède universel, & quoique ce remède soit pour l’ordinaire mal administré & produise de mauvais effets, les personnes les plus constituées en dignité sont celles qui l’accréditent le plus, & lui donnent le plus de vogue ; mais aussi, peu de temps après qu’elles en ont fait usage, elles ne tardent pas à s’en repentir, en devenant les victimes de leur croyance ou de leur opiniâtreté.

La nature inspire souvent le goût des remèdes convenables à la maladie ; le médecin doit alors se prêter au goût & aux désirs des malades. C’est d’après ce principe que Degner permit à une femme hydropique de manger des fèves de marais, qui la guérirent de sa maladie. Cet exemple n’est pas le seul qu’on pourroit citer ; on en trouveroit une infinité d’autres avérés par les gens de l’art les plus expérimentés.

L’usage continu des remèdes en rend les effets souvent nuls ; on doit donc les varier quand on les prend comme préservatifs, & dans les maladies chroniques ils doivent être administrés avec ordre, avec précaution & avec prudence ; mais le premier de tous les médicamens, inspiré par la nature, est l’eau, & l’on guériroit beaucoup de maladies par son seul usage, si les médecins étoient assez patiens pour attendre les mouvemens critiques de la nature, & les malades pour supporter leurs maux. M. Ami.