Cours d’agriculture (Rozier)/LÈPRE

Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 250-253).


LÈPRE. Médecine rurale. La lèpre est une maladie contagieuse, accompagnée de stupeur & d’insensibilité de la peau.

On en distingue ordinairement deux espèces, qui, à proprement parler, sont les deux degrés de cette maladie affreuse.

Le premier degré est connu sous le nom de lèpre des Grecs ; le second est appellé lèpre des Arabes ou éléphantiase.

La description de la lèpre présente à l’humanité le tableau le plus hideux & le plus affligeant. Ceux qui en sont attaqués ont la peau dure, sèche & âpre au toucher ; ils y ressentent une démangeaison & un prurit des plus incommodes. La lèpre est quelquefois partielle, & n’attaque que certaines parties du corps, telles que le front, les pieds & les mains : le plus souvent elle est universelle, & recouvre toute la peau.

Elle est toujours moins mauvaise & moins dangereuse quand elle s’annonce comme la gale ; c’est-à-dire, lorsque la peau devient rouge & très-dure, & qu’elle excite une vive démangeaison.

Il se fait une éruption de pustules rouges, plus ou moins multipliées, quelquefois solitaires, le plus souvent entassées les unes sur les autres dans différentes parties du corps, sur-tout aux bras & aux jambes. À la base de ces premières pustules il en nait bientôt d’autres, qui se multiplient & s’étendent beaucoup en forme de grappes ; leur surface devient en peu de temps rude, blanchâtre & écailleuse ; les écailles qu’on détache en se gratant, ressemblent à celles des poissons, & dès qu’on les a enlevées, on apperçoit un léger suintement d’une sanie ochreuse, qui occasionne un picotement désagréable.

Si l’on abandonne cette maladie à elle-même, ou qu’on ne se hâte pas de la combattre par des remèdes appropriés, elle fait les progrès les plus rapides, & les humeurs se vicient à un tel point, que les pustules deviennent noires & livides, de blanches ou jaunes qu’elles étoient auparavant. La peau devient encore plus rude, & aussi épaisse & ridée que celle d’un éléphant.

La respiration devient aussi plus difficile, l’haleine est puante, la voix perd sa force & devient rauque ; les joues se recouvrent d’une sorte de crasse, l’urine que les malades rendent est épaisse, & aussi trouble que celle des juments. À tous ses symptomes se joint l’assoupissement ou l’insomnie, ainsi que la maigreur de tout le corps, & une odeur insoutenable qui s’en exhale. C’est alors qu’il survient des boutons & des ulcères malins par tout le corps ; les poils tombent avec le peau ; celle du visage tombe aussi par lambeaux ; l’enflure des lèvres & des extrémités est si prodigieuse, qu’on ne peut souvent appercevoir qu’avec beaucoup de peine les doigts enfoncés & cachés dans la tumeur. Dans cette cruelle position, une espèce de glace s’empare des malades ; ils ne sont aptes ni propres à faire le moindre mouvement ; ils tombent dans un engourdissement & une nonchalance affreuse ; survient enfin une fièvre lente, qui consume en peu de temps le malade.

Heureuses les contrées sur lesquelles cette maladie n’étend point ses ravages ! elle étoit très commune autrefois dans les pays chauds, dans la Syrie & en Égypte.

S’il faut en croire certains auteurs, on observe assez souvent cette maladie en Espagne & dans l’Amérique méridionale ; elle est très-rare en France. Je suis persuadé néanmoins que c’est faute de n’avoir pas donné toute l’attention convenable à la description de la lèpre, qu’il s’est passé plus d’un siècle sans qu’on air pu l’observer.

Par le détail de symptômes où nous sommes entrés pour bien faire connoître cette maladie, il est aisé de voir que sa cause tient à une âcreté des humeurs, portée à un degré extrême.

La cause d’un vice aussi âcre prend sa source dans l’abus d’un régime échauffant & des alimens salés, épicés & de haut goût ; tout ce qui peut incendier le sang, tel que les liqueurs échauffantes & trop spiritueuses, ainsi que les viandes enfumées, peuvent exciter cette âcreté. Dans le nombre de ces causes, on doit admettre une disposition naturelle à contracter cette maladie, & y comprendre la boisson des eaux impures, la mal-propreté sur-tout, les excès de débauche en tout genre, la suppression des évacuations ordinaires, & notamment celle de la transpiration les trop vives passions de l’ame, & enfin tout ce qui peut imprimer au sang & à la lymphe une âcreté corrosive.

Nous avons déjà dit que la lèpre étoit une maladie contagieuse ; d’après cela, on ne doit point laisser communiquer ceux qui en sont infectés avec les personnes saines, de peur d’étendre la contagion ; on doit les reléguer dans des endroits isolés & éloignés du commerce des hommes. Ceux qui, par état, sont forcés de leur donner des soins, tant pour ce qui concerne leur traitement, que pour leur régime, doivent redoubler d’attention & de précaution pour se mettre à l’abri de cette cruelle maladie.

La lèpre, dans son principe, est susceptible de guérison. On a vu des lépreux vivre pendant plusieurs années, sans autre désagrément que d’avoir la peau défigurée. Elle est incurable, lorsqu’elle est parvenue à son dernier degré. C’est aussi d’après ce fait d’observation que Celse avoit raison de dire, que dans ce cas il ne falloit point fatiguer le malade par des remèdes qui n’étoient d’aucune utilité.

Adoucir l’âcreté des humeurs, combattre leur épaississement, inviter & porter la nature à opérer une crise salutaire par les émonctoires naturels de la peau, sont les vues curatives que l’on doit avoir pour parvenir à guérir cette maladie dans son premier degré.

S’il y a pléthore, tension & dureté dans le pouls, on commencera par saigner le malade une ou deux fois, sur-tout si les boutons qui commencent à constituer l’éruption, sont d’un rouge assez vif ; le relâchement que cette évacuation amène, facilite beaucoup l’action des remèdes.

S’il existe des signes de putridité, on purgera le malade de manière à ne point exciter d’irritation dans l’estomac, mais néanmoins assez énergique pour pouvoir débarrasser les premières voies de la saburre qui peut les surcharger.

Cela fait, on combattra l’âcreté des humeurs par un long usage des bains domestiques, par beaucoup de boissons adoucissantes, telles que le petit-lait nitré, ou coupé avec la fumeterre, les bouillons adoucissants faits avec les plantes chicoracées & les escargots de vigne, l’eau de veau seule ou nitrée, une décoction légère de racines de salep, le suc des plantes antiscorbutiques, les eaux acidules, prises seules, ou coupées avec une partie de lait bien écrémé.

Le mercure a été regardé de tout temps comme le vrai spécifique de cette maladie : il peut produire de bons effets, mais il doit être administré avec prudence & ménagement. On ne doit y avoir recours qu’après avoir bien détrempé, délayé & adouci la masse des humeurs. On l’employe ordinairement sous forme de friction ; cette manière de le donner n’exclud pas celle de le prendre par la voie de la digestion : on le combine alors avec quelque conserve agréable au goût.

Ce remède, si vanté par les auteurs qui ont le mieux écrit sur cette maladie, répond très-rarement au succès qu’on se croit en droit d’en attendre ; il est très-ordinaire de voir reparoître sur la peau une nouvelle éruption de boutons, quelque temps après avoir insisté sur son administration ; il faut alors se retourner, & inviter la nature à se débarrasser par les couloirs de la peau, du reste de ce virus qui infecte la malle des humeurs, en prescrivant au malade l’usage de certains sudorifiques, donc les succès ont été reconnus & confirmés par l’observation.

Personne n’ignore que c’est le hasard qui a fait connoître les vertus de la vipère. Galien nous apprend que quelques personnes, touchées de compassion envers un misérable lépreux, & se croyant dans l’impossibilité de le guérir, résolurent de mettre fin à ses souffrances en l’empoisonnant ; l’effet ne répondit point à leur attente, & le remède, loin de hâter la mort, opéra une parfaite guérison[1].

Je ne saurois assez recommander l’usage de la vipère dans le traitement de la lèpre ; les bons effets qu’elle a produits dans les maladies de la peau, sont constatés par les observations les plus exactes. Lieutaud nous apprend qu’on prépare avec le tronc entier d’une vipère, à laquelle on a ôté la tête & la peau, ou avec une moitié seulement, un bouillon que l’on regarde comme un excellent médicament propre à purifier le sang & à augmenter la Transpiration. Ces vertus, ajoute ce grand médecin, la rendent très-efficace dans les maladies de la peau, & fort utile à ceux qui ont le scorbut, maladie qui diffère très-peu de la lèpre.

Les autres sudorifiques, tels que le gayac, le sassafras, la squine & la salsepareille, quoique très-énergiques ne sont point aussi efficaces que la vipère.

Mais les bains simples, ou d’eaux minérales sulphureuses de Barège, de Banières, de Coterets, de Bourbonne, sur-tout ceux de la Malou & d’Avesne, si connus en Languedoc, sont les remèdes les plus appropriés, soit pour opérer la guérison, soit pour la rendre parfaite, en rendant à la peau sa couleur & sa souplesse naturelle. Ces mêmes eaux, prises intérieurement, ne peuvent aussi qu’être très-avantageuses. Mais tous ces différens remèdes ne produiront de bons effets, qu’autant que les malades s’abstiendront des alimens grossiers, échauffans & de difficile digestion.

Quant au second degré de la lèpre, nous avons déjà dit qu’elle résistoit opiniâtrement à toutes sortes de remèdes ; il est inutile de s’y arrêter. M. AMI.


  1. Dictionnaire des Sciences, mot LÈPRE, page 854.