Cours d’économie industrielle/1837/1

Texte établi par Adolphe-Gustave Blaise, Joseph GarnierJ. Angé (1837-1838p. --16).


PREMIÈRE LEÇON.


28 novembre 1837.


INTRODUCTION.


Sommaire. Progrès de l’Économie Politique. — Erreurs des anciens économistes. — Supériorité de l’Industrie sur l’agriculture. — Comparaison entre les pays agricoles et ceux qui s’occupent d’industrie et de commerce.
L’économie politique est la science de la médecine sociale ; elle a son diagnostic et ses remèdes. — Exemples d’apoplexie et de suicide industriels. — Services rendus par les économistes : ils ont démonétisé la guerre entre les peuples, et démontré que les ouvriers et les industriels perdaient plus que les propriétaires fonciers aux émeutes et aux troubles. — Une réaction dans le sens industriel s’est opérée dans les esprits ; les dernières élections en ont été la preuve. — Pour s’occuper de ses intérêts, le pays n’en est pas devenu plus matérialiste. — Accroissement du mouvement industriel de 1824 à 1836 : Routes, brevets d’invention, sucre, café, caisses d’épargne, houille, coton, soies, mûriers, fers et fontes, indigo, compagnies d’assurances, sociétés anonymes, navigation à la vapeur, chemins de fer.
L’engouement a fait place à la défiance ; agiotage, abus des sociétés en commandite. — Importance des définitions. — Exemples de la division du travail ; nous manquons de spécialités. — Réductions du droit sur les houilles.


Depuis que nous nous sommes séparés, la science, objet de nos études, a fait de notables progrès.

Elle a cessé de demeurer dans la classe des utopies, et chaque jour davantage elle est entrée dans la pratique ; elle a présidé à toutes les opérations qui ont été couronnées de succès, et c’est pour avoir méprisé ses conseils que quelques entreprises ont échoué.

Longtemps on a méconnu les principes que la science économique dans son état actuel nous présente comme vrais. Ainsi, par exemple, la grandeur et la prospérité d’un pays ne s’accroissaient autrefois, suivant certains écrivains, que par la guerre et la destruction ; d’un autre côté, la terre seule était regardée comme une source de richesses ; tout le reste : commerce, industrie, était stérile ; les ouvriers des fabriques, les négociants et les marchands des villes, ne créaient aucune valeur, leurs travaux ne servaient qu’à remplacer sans aucun profit ce qu’ils avaient consommé en salaires, en denrées, en marchandises, etc. ; en un mot ils n’ajoutaient rien aux richesses du pays. Ces doctrines étant généralement adoptées, la guerre resta long-temps à l’ordre du jour, et il n’y eut qu’une seule classe de personnes riches, celles qui étaient détenteurs du sol ; toutes les autres fabricants, écrivains, marchands et savants, étaient comme des parias, indignes de rien posséder. L’application complète de ce système vicieux d’économie politique fut du reste funeste à la terre et aux propriétaires fonciers car de ce que l’on était persuadé que celle-là était seule créatrice de richesses, on jugeait qu’elle seule devait supporter la charge des impôts, et on l’en chargea outre mesure. Ce système avait eu Turgot pour partisan et pour homme d’application ; il trouva de nombreux continuateurs dans l’Assemblée Constituante.

Les travaux d’Adam Smith et des économistes français, postérieurs à la révolution, ont en pour résultat de démontrer combien cette opinion était fausse ; ils ont fait le compte des profits que l’industrie et le commerce avaient procurés à d’autres peuples, et de ce que nous avions perdu à ne pas suivre la même voie. Heureusement ils ont été entendus et aujourd’hui, vous le savez, on ne voit plus de tous côtés qu’entreprises nouvelles, industries créées en quelque sorte. Partout ce sont des sociétés, des actionnaires ; ici pour des routes ou des canaux ; ailleurs pour des usines, là pour des chemins de fer ou des bateaux à vapeur, d’un autre côté encore pour des mines, des hauts fourneaux, etc.

Par suite de ce changement, l’agriculture, autrefois réputée la première, la seule industrie productive perd chaque jour de son importance, malgré les progrès nombreux qu’elle aussi a faits de son côté. Voyez l’Angleterre, l’art de la culture y est poussé à une perfection inconnue chez nous, et cependant elle est restée bien au-dessous de l’industrie, quant à l’importance de ses produits et au nombre de bras qu’elle occupe ; c’est que, Messieurs, le sol a des limites ; il n’emploie ceux qui le cultivent qu’une partie de l’année, et ne leur donne qu’une récolte ; tandis que les usines, les fabriques, ne demandent que peu de place pour créer des valeurs considérables. Quand les batiments sont insuffisants, on les double en leur donnant quelques étages de plus. Les champs, ai-je dit, ne se moissonnent qu’une fois par année, dans les ateliers au contraire chaque jour de travail est un jour de récolte ; à la lumière que fournit le ciel succède la clarté que nous tirons de l’huile de la houille, de la résine ; la nuit n’existe plus, le repos est inconnu, au moins pour les machines, qui, dans les besoins pressants, voient leurs conducteurs et leurs surveillants se relever les uns les autres, sans qu’elles arrêtent un instant leur marche.

C’est ainsi, Messieurs, que s’explique, dans les temps passés comme de nos jours, la puissance de certains états dont le territoire est ou fut très borné, et qui commandaient à des peuples vingt fois plus nombreux qu’eux. Voyez Venise au milieu des eaux ; les Provinces unies, au sein des marais, la république de Gènes, celle de Florence ; leur industrie, leur commerce, leur avaient donné le sceptre du monde. Voyez de nos jours la Belgique avec ses quelques millions d’habitants ; voyez l’Angleterre avec son territoire deux fois moindre que celui de l’Espagne. D’un côté : le ciel brumeux, une température froide, un sol qui se refuse à produire mille denrées ; de l’autre : des récoltes doubles, un climat chaud sans être brûlant, des terres où croissent les grains, l’olivier, la vigne, la canne à sucre, l’oranger, en un mot les produits des tropiques et ceux du Nord. Pour les uns le ciel a tout fait ; aux autres il a tout refusé ; et cependant ceux ci sont riches, puissants, la paix règne parmi eux et leur nom est respecté au loin ; tandis que les autres sont pauvres, misérables, la guerre civile ravage leurs campagnes, brûle leurs villes, dévaste leurs maisons et décime indifféremment les derniers comme les premiers d’entr’eux.

À côté de ce tableau des résultats avantageux que produit le travail industriel, je dois placer, pour être vrai, celui des inconvénients qu’il présente. Si en effet, il mène rapidement à la fortune ceux qui s’y livrent avec zèle et intelligence, il est fréquemment inquiété dans sa marche, et il se passe rarement une longue suite d’années sans qu’une crise vienne bouleverser un grand nombre d’existences. C’est cette fragilité, si je puis dire, des fortunes industrielles, qui fait que beaucoup de personnes hésitent encore à se lancer dans cette honorable carrière ; c’est elle aussi qui maintient la faveur dont jouissent les propriétés foncières, et qui fait que tant de gens préfèrent un revenu médiocre mais assuré en rentes sur l’état, par exemple, à un revenu plus fort en actions industrielles ou en commandite commerciale.

L’économie industrielle est propre surtout à empêcher ces crises qui désolent l’industrie, à en atténuer les effet, a, à guider les manufacturiers et les négociants dans leurs entreprises ; car il en est pour le corps social comme pour les individus ; il y a une physiologie et une hygiène propres à la société comme à l’homme. Sans doute l’économie politique, comme la médecine, n’a pas de remède pour tous les maux et ne peut pas réparer toutes les fautes, tous les accidents ; mais comme elle, elle peut les prévenir presque tous, et annoncer ce qui arrivera si l’on méprise ses conseils.

Quand un médecin dit à un homme court et replet : soyez sobre ou l’apoplexie vous frappera, certainement il parle à coup sûr. Eh bien il en est de même lorsqu’un économiste dit à un fabricant avant de produire, connaissez d’abord vos débouchés, étudiez la consommation et appréciez. en le chiffre ; sans quoi vos magasins s’encombreront et vous vous ruinerez : c’est là un cas d’apoplexie industrielle.

Quand une banque émet plus de billets qu’elle n’a de réserve, elle achète des espèces fort cher pour rembourser, et elle perd de ce côté au-delà de ce qu’elle a gagné sur les émissions. C’est là encore un cas de suicide économique.

L’économie politique est donc la science de la médecine industrielle ; c’est elle qui fournit les moyens de guérir, ou tout au moins de prévenir ces apoplexies, ces asphyxies, ces suicides, qui affectent et tuent le corps des manufacturiers et des négociants. Cette vérité commence maintenant à se faire jour, et nous assistons à une réaction qui en fournit la preuve.

Les économistes avaient dit autrefois que la guerre la plus heureuse était onéreuse, même au vainqueur ; on a commencé par se moquer d’eux, et on a fini par. leur donner raison. Aujourd’hui, on ne se bat plus entre peuples, et quelque sujet de mécontentement que les gouvernements puissent avoir les uns contre les autres, ils ne prennent plus les armes pour en tirer satisfaction.

Plus récemment les économistes se sont élevés contre les guerres entre citoyens, et laissant aux hommes politiques le soin de les qualifier et de les punir au moyen de lois spéciales ; ils ont démontré combien elles étaient ruineuses et comme elles allaient directement contre le but de ceux-là même qui en étaient les instigateurs. Ils disaient : « On a cru long-temps et à tort que les propriétaires fonciers étaient les plus intéressés au maintien de la paix et du repos public cette croyance était une erreur. Les industriels, les commerçants, les ouvriers surtout sont bien plus fortement atteints par les suites d’une émeute ou d’une révolution, que les propriétaires de terre et de maisons ; car la terre pas plus que les maisons ne sont détruites, elles restent toujours là ; on peut perdre une partie du revenu, mais le fonds reste toujours ; tandis qu’une insurrection fait subitement tomber les actions industrielles, arrête les affaires, suspend les commandes, ferme les ateliers et renvoie les ouvriers sur la place publique, sans salaire et sans pain. »

La justesse de ce raisonnement a frappé tout le monde, et depuis plusieurs années nous ne sommes plus désolés par le spectacle douloureux des scènes qui ont ensanglanté nos rues. On discute au lieu de se battre ce qui vaut infiniment mieux, et comme on ne pend plus les contradicteurs, ceux qui se trompaient ont le temps de reconnaître leur tort et de revenir à la vérité.

Le changement qui s’est opéré dans l’esprit public depuis quelques années est bien remarquable, et les économistes peuvent en revendiquer une bonne part ; car dans cette circonstance ce sont eux qui l’ont dire. Ce changement s’est surtout observé dans une occasion récente, à propos des élections.

Vous avez vu, en effet, presque toutes les interpellations des électeurs aux candidats porter sur des questions d’intérêts généraux, de travaux publics, de conversion des rentes, de douanes, d’amortissement, de chemins de fer, etc., et déserter presque complétement les discussions irritantes sur les questions politiques, au sujet desquelles on s’entend toujours mal.

Quelques personnes ont paru regretter que le pays semblât se lancer entièrement dans cette voie des intérêts positifs ; on a crié au matérialisme. C’est là, je ne crains pas de l’affirmer, une crainte non seulement exagérée, mais encore dénuée de fondement ; et il est facile de répondre à ceux qui l’ont exprimée que le pays ne s’occupe tant d’intérêts positifs, de richesses enfin que pour développer ensuite avec plus de sécurité et de persévérance tout ce qui a rapport à l’intelligence, et qu’il ne court après la fortune que parce qu’elle mène à la liberté.

La réaction industrielle, qui a en les économistes de toutes les classes professeurs, écrivains, journalistes, pour promoteurs, remonte déjà à plusieurs années ; mais elle ne s’est fait sentir d’une manière bien sensible que dans ces derniers temps : quelques chiffres vous mettront à même d’en juger.


Routes.


En 1824 il n’y avait en France que 15 millions de mètres de route.

En 1836 il y en a 25 millions.

Or, vous savez combien de richesses enfouies la création d’une route met en valeur rappelez-vous seulement le résultat de l’élargissement de quelques quais à Paris et le percement d’une rue dans un quartier populeux. J’ai déjà traité cette question l’année dernière, je ne puis que vous y renvoyer[1].


Brevets d’invention.


En 1820, il a été accordé 118 brevets d’invention.

En 1836, 405.

Bien que ces brevets n’aient pas tous été délivrés pour des inventions bien réelles et bien importantes, il n’en est pas moins certain qu’il y a eu une plus grande émulation pour bien faire.


Sucre.


En 1820, on a importé 45 millions de kilogr. de sucre.

En 1836, 80 millions de kilogr.

Et la production indigène s’est élevée à 45 millions de kilogr.


Café.


En 1820, on a importé 3 millions de kilogr. de café.

En 1836, 22 millions de kilogr.

Ces chiffres sont concluants car le sucre et le café sont des consommations de luxe, et l’énorme accroissement de leur importance indique de notables progrès dans la condition et le bien-être des habitants j’en tire encore une autre preuve du chiffre suivant.


Caisses d’épargne.


En 1820, les Caisses d’épargne ne recevaient que quelques centaines de mille francs.

En 1836, les fonds déposés dans leurs Caisses dépassent 100,000,000 fr. C’est là que les économies se groupent et forment des capitaux qui permettent d’acheter des actions, des rentes, etc. Autrefois on ne songeait qu’à la terre, et comme tout le monde ne pouvait pas en avoir, on ne faisait pas d’épargne.

Voici maintenant pour l’industrie :


Houille.


En 1820, on importait 275 millions de kilogr. de houille.

En 1836, 992 millions de kilogr.

Et nos mines en fournissent plus du double.

En 1820, 885,250,200 kilogr.

En 1835, 1,968,624,000 kilogr.


Coton.


En 1820, on a importé 21 millions de kilogr. de coton.

En 1836, 59 millions de kilogr.


Soie.


En 1820, on a importé 400 mille kilogr. de soie.

En 1836 2 millions de kilogr.

Sans parler de l’augmentation de la production indigène, dont je donnerai une idée en vous citant un chiffre


Muriers.


De 1820 à 1835 on a planté plus de 6 millions de mûriers, et depuis deux ans ce nombre s’est peut-être doublé !


Fers et fontes.


En 1820, on a importé 14 millions de kilogr. de fer et fonte ;

En 1836, 29 millions,

Tandis que la production nationale s’élevait dans une forte proportion.


Indigo.


En 1820, on a importé 800 mille kil. d’indigo ;

En 1836, id. 1300 mille id.

Cet accroissement a eu lieu malgré la découverte du bleu de Prusse, et son application à la teinture des draps.


Compagnies d’assurances.


En 1819, il n’y avait que deux compagnies d’assurances contre l’incendie ;

En 1837, on en compte huit, sans parler de celles établies dans les départements et de celles ayant pour objet les assurances sur la vie, contre la grêle, les accidents, les naufrages, les pertes de procès, les vols, les maladies de bestiaux etc.

Ainsi, les idées de prévoyance ont pénétré dans les campagnes ; on a acheté la sécurité au prix même quelquefois du nécessaire. Ce fait est remarquable.


Sociétés anonymes.


De 1808 à 1820, le gouvernement n’a autorisé les statuts que de 22 sociétés anonymes.

De 1820 à 1837, cette autorisation s’est étendue à 120 sociétés.

Et ici je ne parle que des sociétés sérieuses, des sociétés anonymes, qui sont l’objet d’un examen rigoureux de la part des conseils d’État et du ministère.


Navigation à la vapeur.


Cette nouvelle voie de transports s’est aussi considérablement augmentée ; aujourd’hui on voit des bateaux à vapeur partout. Il n’est si petite rivière navigable qui n’en ait au moins un ; chaque lac de la Suisse en a plusieurs ; il en est de même sur la Seine, la Loire, le Rhin, la Saône, le Rhône ; la Méditerranée et l’Océan sont sillonnées par des steamers ; Londres, le Havre, Calais, Ostende, Hambourg, Rotterdam, Strasbourg, Nantes, Bordeaux, Cherbourg, ont des lignes régulières de bateaux à vapeur. Par eux Marseille a été mis en rapport avec le Levant et l’Archipel, Gênes, Naples, Alexandrie, Smyrne, Constantinople ; on peut se donner rendez-vous dans l’une de ces villes, et s’y trouver à une heure fixée. Suivant la pensée de Napoléon, la Méditerranée est devenue un lac français.

La ligne de Paquebots-Poste, le service de la Mer Rouge, ont rapproché les distances. J’ai reçu l’autre jour une lettre de Lahore, qui m’était écrite par le général Allard ; cette lettre, datée du mois de Juillet m’est venue par la Mer Rouge, Suez, Alexandrie, les paquebots et Marseille.

La navigation par la vapeur a encore fait disparaître presque tous les dangers que présentaient nos fleuves : autrefois il en coûtait plus cher pour assurer un navire allant de Rouen au Havre, que du Havre à New-Orléans ; aujourd’hui avec les remorqueurs, on ne fait même plus assurer. Le Rhône, si long-temps stérile à la remonte, est enfin rendu au commerce, et le chenal de la Loire devient presque suffisant.

Les chemins de fer n’ont pas donné de résultats moins brillants : je ne parle pas de. la France où ils ne sont encore que de véritables joujous offerts en appât à la curiosité publique mais voyez en Amérique, en Angleterre, en Belgique. Bientôt on ira en huit heures de Londres à Liverpool (80 lieues), et dans l’été on pourra revenir le même jour (160 lieues !)

En France, je vous en ai fourni la preuve tout à l’heure, on commence à suivre ces exemples ; on le fait même en ce moment avec témérité ; car il en est toujours ainsi chez nous : on ne sait rien faire avec mesure, on a de la répugnance ou de l’engouement et l’engouement est dangereux en industrie. Parce qu’une société en commandite a réussi, toutes les entreprises se montent en commandite.

Il faut y prendre garde ; car bientôt on rouvrirait à la Bourse les maisons de jeu que l’on ferme au Palais-Royal ; le tirage des primes remplacerait celui de la loterie, et les capitaux, au lieu de vivifier l’industrie et de soutenir le commerce, ne serviraient plus que d’aliment à l’agiotage, et de proie au charlatanisme et à la friponnerie !

C’est surtout dans ces circonstances et sur de telles questions qu’il importe d’interroger l’économie politique ; elle a trouvé place dans les conseils du pays ; les électeurs l’ont fait entrer à la Chambre dans la personne de quelques députés ; les capitalistes, les industriels doivent la consulter à leur tour.

Le temps que l’on consacre à l’étude de cette science peut être regardé comme bien employé. Voyez, par exemple, ce que nous avons fait ensemble. En étudiant, il y a quelques années, le tarif des houilles, nous démontrions ses vices et nous demandions, non sans quelque vivacité, sa réforme. À cette époque, on regardait nos opinions comme subversives, et nos réclamations comme mal fondées. Déjà l’année suivante on les trouvait justes, mais un peu trop vives, et on accordait un léger dégrèvement. Cette année on nous donne complètement raison ; mais on ne nous donne encore qu’une satisfaction imparfaite. Nous y reviendrons de nouveau jusqu’à ce que nous ayons obtenu le tout ; et j’ai l’espoir d’avoir cette bonne nouvelle à vous apprendre, l’année prochaine, à pareille époque.

Je me propose d’examiner, dans le Cours que nous commençons aujourd’hui, tout ce qui touche aux intérêts généraux du pays et spécialement à ceux de l’industrie. Je saisirai toutes les occasions qui se présenteront pour examiner les questions qui l’intéressent. La session qui va s’ouvrir sera essentiellement économique ; nous aurons souvent à suivre la chambre à la devancer même dans tout ce qui concerne les droits de douanes, les travaux publics, les sociétés en commandite, etc. Toutes ces questions sont importantes ; toutes peuvent recevoir une solution exacte.

La plus légère définition mal posée pouvant causer de graves erreurs, je m’attacherai à les bien expliquer toutes. Qui croirait, par exemple, qu’il existe des rapports entre la division du travail et le choix des professions ? C’est une mauvaise définition qui a fait de ces deux titres des choses différentes, tandis qu’elle n’en forme qu’une. En effet, c’est parce qu’on a mal choisi les professions, qu’on les a mal partagées, et qu’il se trouve tant de concurrence sur certains points et une si grande disette sur d’autres.

Tout le monde a voulu être médecin, avocat ou notaire, et les pères de famille n’ont mis dans le commerce ou l’industrie que ceux de leurs enfants qui manquaient d’intelligence. Comment donc, après cela, voulez-vous lutter avec des pays (l’Angleterre, la Belgique) où l’on n’a en vue que l’industrie et le commerce ? Où sont nos ingénieurs, nos chefs d’usine ? où trouver des conducteurs et des chefs ouvriers pour l’exécution de la loi sur les routes ? où sont nos mécaniciens, nos chauffeurs pour nos locomotives et nos bateaux à vapeur ? Nous n’en avons pas. Il faut les aller chercher en Angleterre, alors que nous avons tant d’ouvriers intelligents sans ouvrage, tant de jeunes gens bourrés de grec et de latin sans place, tant d’avocats sans clients, et de médecins sans malades.

Tout cela, Messieurs, est du ressort de l’économie politique ; c’est là, de la division du travail. Nous avons demandé et nous avons obtenu sinon l’abolition complète, du moins une forte réduction du droit sur la houille. Nous demandons depuis deux ans, et nous obtiendrons bientôt sans doute la réforme de l’enseignement public.

Ad. B. (d. V.)

  1. Voyez Cours d’économie industrielle de 1836-1837, recueilli par Ad. Blaise, (des Vosges), et Joseph Garnier, 1 vol. in-8o, chez Angé, rue Guénégaud, 19.