Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/7/1766/Juillet

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (7p. 64-89).
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JUILLET

1er juillet 1766.

lettre de m. damilaville à m. diderot[1].

Oh ! vous n’en êtes pas quitte, monsieur le philosophe ; j’ai commencé par défendre mon cœur et mes amis, parce que c’est ce que j’ai de plus cher, mais n’imaginez pas que j’abandonnerai lâchement mon esprit dans le bourbier où il vous plaît de le voir : j’y prends aussi quelque intérêt. Je veux à la vérité passer pour bon, mais non pour une bonne bête. Croyez-vous donc que je prendrais un bon mot, une épigramme pour une raison ? Nous feras-tu accroire que c’était de bonne foi que tu faisais un jour l’éloge des capucins ? Dites-moi, je vous prie, d’abord s’il y a bien de l’exactitude à juger de tous les moines par les capucins, et si ce n’est pas vouloir se débarrasser d’un homme en lui jetant un ridicule sur le corps que de l’accuser d’avoir fait l’éloge des capucins, dont il n’a pas dit un mot, parce qu’il ne voit pas en général, comme bien des gens, sur l’article des moines.

J’ai commencé comme tout le monde, mon ami, par vouloir tout réformer. Je m’en suis peut-être trop profondément occupé, eu égard aux connaissances relatives à mon état, qui me manquent et que j’aurais mieux fait d’acquérir. Le résultat a été de trouver que les choses ne sont pas aussi mal qu’on le clabaude continuellement. L’article des moines est un de ceux que j’ai le plus ressassés. J’ai trouvé qu’il y avait très‑peu de chose à faire pour rendre cet établissement utile, et qu’à les prendre même tels qu’ils sont, il y a bien des choses en leur faveur. C’est un des meilleurs moyens qu’il y ait pour fixer dans un canton et dans les provinces en général la consommation d’une partie du revenu local : qu’on mette les biens d’un couvent de bénédictins entre les mains d’un seigneur ; voilà tout l’argent qui se dépensait à trois ou quatre lieues à la ronde qui prendra sa direction vers le torrent qui entraîne tout à Paris ou à quelque grande ville de second ordre. Voilà les pauvres valides du canton sans ouvrage, les pauvres infirmes sans secours ; voilà donc les fermiers, considérés dans le canton depuis plusieurs générations qu’ils vivaient honorablement dans la même ferme, chassés par un aventurier qui compte regagner l’augmentation qu’il donne, en épuisant la terre qu’il sait très-bien qu’il ne gardera pas longtemps. Il vient une mauvaise année : les moines auraient attendu, mais M. le duc part pour son ambassade, M. le marquis va rejoindre son régiment à l’armée d’Allemagne, M. le président doit vingt mille écus à son sellier, à son marchand de chevaux. Il faut absolument de l’argent. Le fermier s’endette, se ruine, la ferme se discrédite, une partie des terres reste en friche, le reste s’amaigrit, un pan de la grange s’écroule faute d’entretien, et ce beau bien auquel on portait envie fait pitié.

Une chose que j’ai souvent entendu dire contre les moines fait beaucoup pour eux à mes yeux. Ces drôles-là ont, dit-on, le quart des biens du royaume, et le plus beau ! Mais il n’est le plus beau que parce qu’ils l’ont rendu tel, et s’il est vrai que, tout égal d’ailleurs, un terrain rapporte un quart de plus en leurs mains qu’en toute autre, ce que je n’ai point de peine à croire, s’il est vrai aussi qu’ils aient le quart des biens du royaume, voilà un seizième au total qu’on n’aurait pas et dont on leur a l’obligation.

Vous m’objecterez peut-être que je suppose très-gratuitement que le bien des moines passera entre les mains des grands seigneurs ; à quoi je réponds : 1° que les grands seigneurs ou les gens très-riches, ce qui revient ici au même, possédant plus de la moitié des biens du royaume, il est à présumer qu’ils posséderont la moitié des biens qui rentreront en circulation ; 2° que les biens des moines ne sont pas seulement mieux cultivés que ceux des grands seigneurs, mais aussi que ceux des particuliers, parce qu’ils joignent aux soins et à l’attention de ceux-ci les moyens que les grands seigneurs ont sans en faire usage ; 3° enfin que, quand ces biens tomberaient entre les mains des particuliers, les moines, redevenus particuliers, y ayant leur droit comme d’autres, cela deviendrait égal#1 pour ceux qui ne sont ou n’auraient pas été moines, car il se pourrait bien qu’ils possédassent alors comme particuliers, chacun, la part de ce qu’ils possèdent aujourd’hui en commun comme moines. Il faut donc vous rabattre sur ce qu’un particulier est plus utile personnellement à l’État qu’un moine. C’est ce que nous allons examiner.

Les moines sont inutiles à la société, dit-on. Ils ne se marient pas, ils ne font rien. Je sais, par rapport à la première accusation, que le célibat est contraire aux bonnes mœurs. Il y a lieu de croire que si chacun avait sa chacune bien sacramentée, il aurait dans le monde des plaisirs moins oisifs, mais en récompense une vie plus uniformément douce. Je dis plus, c’est qu’indépendamment de ce que l’adultère physique serait moins commun, l’adultère moral pourrait l’expier en quelque façon en offrant des revanches. Mais, pour en revenir aux moines, sont-ils les seuls célibataires ? Et l’homme qui se marie à quarante ans, comme il n’est que trop commun, n’a-t-il pas passé dans le célibat les années pendant lesquelles il est certainement le plus à craindre pour la tranquillité et l’honnêteté publiques. Ce qui m’étonne, c’est de voir ceux qui écrivent en faveur du suicide enlever au même homme auquel ils donnent libéralement le droit de se tuer, quand la vie lui est à charge, celui de ne pas donner la vie à des êtres auxquels il présume qu’elle sera aussi à charge qu’à lui ; mais revenons au danger du célibat des moines relativement aux mœurs. Il y a des moines libertins sans doute. Mais oserez-vous dire que les moines qui sont dans Paris, par exemple, commettent autant d’adultères, subornent autant de filles, fréquentent autant celles qui sont corrompues qu’un pareil nombre de célibataires du même âge pris indifféremment dans tous les autres états ? C’est, m’allez-vous dire, parce que la crainte les retient… Et que m’importe ? en résulte‑t-il moins que mille moines ne contribuent pas autant à la corruption des mœurs que mille autres célibataires du même âge ? S’ils osaient, dites-vous, ils feraient pis ; cela veut dire que s’ils osaient quand ils sont échappés, ils auraient les moyens de faire pis ou mieux que ceux qui sont habituellement moins sages qu’eux. Mais enfin que leur sagesse vienne de la gêne dans laquelle on les retient, ou, si vous le voulez encore, de l’envie qu’ils ont de paraître plus parfaits qu’ils ne le sont, elle vient donc de ce qu’ils sont moines. Donc, de ce côté-là, les célibataires moines sont moins dangereux que les autres célibataires, et même que ceux qu’on ne range pas dans la classe des célibataires, parce qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge nubile fixé par le bel usage, c’est-à-dire par le libertinage, l’avarice et l’ambition. Les moines libertins sont des gens à la fleur de leur âge chez lesquels le tempérament agit avec force ; et quand il serait vrai que tous ceux de cette classe se livreraient sans retenue à la satisfaction de leurs désirs, au moins ne voit‑on pas chez les vieux moines cette crapule si commune parmi les vieillards de la capitale et des grandes villes, ce qu’on doit réellement regarder comme une dépravation de mœurs parce que ce n’est plus le vœu de la nature que l’on satisfait. La pauvre enfant qui y est sacrifiée, n’y prenant et n’y devant prendre aucun plaisir, perd nécessairement en une heure, avec ce vieux paillard, jusqu’à la dernière étincelle d’une pudeur dont les femmes conservent toujours des restes piquants tant qu’elles n’ont cédé qu’au sentiment, au goût, à la volupté, au tempérament même. Ce n’est pas l’emportement avec ceux qu’on aime, ce n’est pas ce qu’on fait quand on sait ce qu’on fait ; C’est au contraire, la prostitution froide pour un vil et sordide intérêt, qui fait la honte de ce sexe. Mais je suppose les moines de tout âge aussi libertins que les autres hommes : de quel droit, je vous prie, exigerez-vous d’eux plus que des autres si vous ne leur accordez pas plus qu’aux autres ? Que le dévot imbécile qui voit un capucin entre Dieu et lui exige de ce capucin des perfections proportionnées à la vénération qu’il lui prodigue, c’est dans l’ordre. Mais vous, qui ne rendez pas à un moine plus qu’à un autre homme, à quel titre exigez-vous qu’il soit plus parfait ? Considérez leur état relativement à ce que vous exigez de ceux qui l’embrassent, ou n’en exigez que relativement à la considération que vous leur accordez.

Assez sur le célibat des moines relativement aux mœurs. Voyez donc un peu si le crime est si énorme de ne pas propager l’espèce humaine. Il faudrait une lettre ou plutôt un volume à part sur cette manie de population dont tous nos écrivains sont possédés ! Il me suffit de remarquer que c’est l’excès de population qui a conduit les Chinois, ces sages par excellence, tant vantés, parce qu’on suppose, assez légèrement à mon gré, qu’ils se gouvernent bien sans religion, à tolérer que les pères sacrifient les enfants qu’ils croient ne pas pouvoir nourrir. Mon principe, sur quelque matière que ce soit, est de ne regarder comme bon que ce qui peut contribuer au bonheur des hommes. La grande population du Nord, à laquelle on doit ce débordement de barbares qui ont désolé l’Europe pendant tant de siècles, a-t-elle fait le bonheur de l’humanité ? La grande population de la Suisse ne contraint-elle pas la moitié de ceux qui y naissent de quitter ce beau pays de liberté pour aller, à six sous par jour, recevoir des coups de bâton dans les États monarchiques, même dans ceux où il n’est pas d’usage d’en donner aux nationaux ? J’en conclus que, quand il y a assez de population pour se défendre sur son terrain et le conserver, il serait plus nuisible qu’utile à l’humanité qu’elle augmentât. Il y a donc des temps où il peut devenir avantageux que le nombre des moines, c’est-à-dire des célibataires les moins dangereux pour l’honnêteté et la tranquillité publiques, fût augmenté. C’est au gouvernement, en cela comme en bien d’autres choses, à lâcher ou à serrer les rênes. Je dis plus : c’est qu’ayant prouvé, par les objections mêmes qu’on fait contre les moines, que les terres qui dépendent d’eux sont mieux cultivées que si elles appartenaient à des particuliers, ils contribuent en cela à la population plus qu’ils ne pourraient faire par eux-mêmes s’ils étaient répandus dans la société.

Quant à l’oisiveté des moines, second point sur lequel on établit le reproche d’inutilité qu’on leur fait, commençons par retrancher d’une communauté de vingt religieux trois hommes au moins, nécessaires pour régir le bien et qu’il faudrait que ceux à qui il appartiendrait employassent uniquement à cet usage. Otons encore cinq ou six vieillards de qui on ne devrait plus rien exiger, quelque état qu’ils eussent embrassé. Reste, sans avoir encore égard à la décence du culte, matière sur laquelle j’avoue que je ne pense point du tout comme bien des gens, dix à douze hommes inutiles, c’est-à-dire, à parler plus exactement, qui ne travaillent pas plus pour la société que ne feraient ceux à qui appartiendrait le bien de la communauté, si on le répartissait dans cette société. Car que fait dans le monde un rentier de plus qu’un moine ? Je ne parle pas seulement de ceux qui ne font rien du tout, ni de ceux qui feraient mieux de ne rien faire, mais encore d’une foule de gens qui prétendent être et faire quelque chose, parce qu’ils ont une charge ou une commission qui les occupe une heure par semaine. Si, au lieu de douze propriétaires à la place de douze moines, vous n’en supposiez que quatre, que deux, ils en seront plus riches et auront à leur suite une troupe de valets uniquement occupés de la personne de monsieur leur maître, et certainement tout aussi inutiles au public que les moines, de quelque inutilité que vous les supposiez.

N’allez pas me présenter en compensation les domestiques des moines ; outre que la vie en communauté en exige beaucoup moins, tous ces domestiques sont des gens laborieux occupés du matin au soir à des choses utiles. Ce sont de plus des gens très-attachés à leurs maîtres, des espèces d’enfants adoptifs qui ont et auront toute leur vie, s’ils sont sages, une honnête subsistance assurée.

Quant à la vie que mènent les moines, elle est vraiment philosophique. Donnez-leur, par l’éducation, un peu plus de connaissance vraie et solide, il n’y aura guère d’honnête homme délivré de la fougue des passions qui ne la choisisse. J’avoue que, pour moi, je me promène avec plaisir, avec délices, dans un couvent. J’aime naturellement le luxe public autant que je hais le luxe particulier ; désir de plaire aux femmes à part, bien entendu, ma manie, ce commune magnum d’Horace, trouve pleinement à se satisfaire dans le couvent. Chez les moines tout ce qui est commun est grand, noble même ; l’église, les vestibules, les cloîtres, le réfectoire, la bibliothèque, les escaliers, les galeries. Il n’y a guère que chez eux que les monuments aient, dans leur masse et dans leurs parties principales, cet air imposant que je préfère aux beautés de détail dont les architectes de la capitale ont été réduits à faire tout l’art parce qu’ils ne travaillent jamais qu’en petit. C’est presque chez les moines seuls que je trouve de grands tableaux, et, si l’on n’avait pas mis les abbayes en commende, ils en auraient davantage, ils auraient des statues : nous aurions en ce genre des chefs-d’œuvre que nous n’aurons jamais. Ils entretiennent l’orfévre, le brodeur, et dans le grand : car, pour eux personnellement, leur habit est simple, leur cellule est petite, leur table ordinaire sans faste. Les honnêtes gens y trouvent à la vérité, quand ils veulent, de bons repas. Malgré cela, on n’y absorbe pas pour faire un coulis ce qui suffirait pour nourrir quatre hommes.

Pendant que les maîtres sont bien traités à la salle, les domestiques se nourrissent bien à la cuisine, et les pauvres ont de la soupe à la porte. Peut-être y a-t-il de l’inconvénient à cette soupe, mais cela n’empêche pas qu’il n’y ait dans cette manière de vivre une réunion de grandeur et de simplicité dont le sentiment doit être affecté, en attendant que la réflexion l’ait perfectionné. Il semble que ce qu’on dit le plus hautement contre les moines soit précisément fait pour me paraître en leur faveur.

« Ce drôle-là, disait un bon et honnête gentilhomme de ma connaissance en parlant d’un prieur qui nous avait donné à dîner, nous a, par Dieu, bien reçus : cela a dix mille livres de rente, un coquin de moine comme ça. Eh bien ! son père était fermier de mon oncle ici à deux lieues… »

J’en conclus que l’établissement des moines, s’il n’était pas fait, serait un vrai moyen digne de la vraie philosophie pour corriger, par une certaine facilité de faire de temps en temps fortune, l’inégalité des conditions, et ramener en quelque façon par là à cette égalité que tout honnête homme porte gravée dans son cœur. J’ai dit quelque part et je le répète que ce n’est point la naissance, la richesse, l’esprit, la sagesse même qui donnent des droits au bonheur, c’est la qualité d’être sensible. Je veux qu’il y ait du bonheur à espérer pour ceux même qui, avec une probité commune et un esprit ordinaire, ne peuvent pas atteindre à celui que procure la haute estime réservée et due à un esprit supérieur et à une vertu sublime. Si les avantages de la vie n’étaient que pour les gens vertueux, il n’y aurait aucun mérite à l’être. (J’entends ici par mérite cette satisfaction douce qu’on éprouve à mériter.) S’ils n’étaient que pour les gens d’esprit, ils croiraient ce qu’ils ne croient déjà que trop, qu’ils leur seraient dus exclusivement, comme les nobles le croient et le croyaient encore bien davantage avant que les fortunes et par contre-coup les alliances de finances eussent ce que le public appelle confondu, et ce que j’appelle, moi, rapproché les états. Il ne faut point ici me venir dire que la subordination est nécessaire. Il n’y a peut-être personne que je croie plus fermement que moi égal par la nature à ceux qui sont au-dessus et au-dessous de moi. J’ai vu, malgré cela, peu de gens qui obéissent plus ponctuellement que je n’obéis à ceux préposés pour me commander et qui se font plus ponctuellement obéir par ceux que le sort m’a soumis à tort ou à droit.

Je pense au surplus qu’il y aurait plusieurs réformes à faire chez les moines. J’avoue que plusieurs objections qu’on fait contre eux ne sont pas sans force ; mais ce qui me fâche, c’est de voir qu’on affecte de ne présenter que ce qui est contre. Je le dirais ici, je vous assure, si d’autres ne l’avaient pas fait pour moi. J’appelle un ouvrage philosophique celui où l’on expose et discute fortement, mais tranquillement, le pour et le contre ; et je relègue au rang des déclamations tout ce qui ne présente une chose que sous une de ces faces, avantageuses ou désavantageuses, quelque sagacité et quelque force d’ailleurs qu’on y mette.

C’est d’après la comparaison du pour et du contre faite de mon mieux, ce qui ne veut pas dire le mieux possible, que je ne vois aucune nécessité à détruire les moines, mais de grands avantages à les réformer. J’ajoute que ce n’est point pour contrarier, mais du plus profond de mon cœur que je m’’élève contre cet esprit de destruction en tout genre, qui ôte tout sans rien remettre à la place, et dont le résultat doit être nécessairement la destruction des empires eux-mêmes. Oui, c’est cet esprit qui, en détruisant toutes les religions au moment où elles commençaient à se perfectionner, a mis le peuple, à qui il en faut une, dans le cas d’en adopter une nouvelle, toujours dangereuse par l’abus que ceux qui succèdent aux premiers prêcheurs doivent nécessairement faire de la confiance aveugle que ceux-ci s’acquièrent ordinairement par l’austérité de leurs mœurs et par le zèle ardent qu’ils ont et montrent toujours pour les prêcher. Ce n’est qu’avec le temps que les religions prennent, par la vigilance des magistrats, et quelquefois par leur jalousie, cette forme, cette constitution politique, qui mettent les prêtres hors d’état d’abuser de la confiance que doivent avoir en eux des gens qui les voient, du pied de l’échelle de Jacob, presque en haut de cette échelle.

De sorte, m’allez-vous dire, qu’à vous entendre un État ne peut pas subsister sans moines. C’est, ajouterez-vous ironiquement, leur destruction qui a fait le malheur de l’Angleterre. Je ne dis point cela ; un État peut être sans doute florissant, et n’avoir point de moines. Le siècle de Louis XIV prouve qu’il peut être florissant et en avoir plus qu’il n’y en a aujourd’hui en France. On est heureux et malheureux dans les républiques ; on est heureux et malheureux dans les monarchies. Je voudrais qu’on s’attachât à tirer le meilleur parti possible de l’état actuel des choses, et qu’on ne fit point comme les enfants, qui brouillent les dames quand ils sont embarrassés sur ce qu’ils doivent jouer. Je soutiens plus : c’est que si les choses méritent réellement d’être changées, ce n’est que petit à petit qu’on pourra y parvenir sûrement et équitablement. Je sens qu’il est utile de faire trembler les puissants pour qu’ils n’abusent pas de leur autorité ; mais il n’est pas moins dangereux de révolter les faibles, et de les exciter à abuser de leurs forces réunies. Croyez-vous qu’il en résulterait un grand avantage pour le bonheur de l’humanité, seul but auquel doit tendre tout homme raisonnable dans ses discours comme dans ses actions ? Je n’ai pas tout dit, mais en voilà assez pour aujourd’hui. Je suis impatient, et ceci n’est point du tout une tournure, de suspendre toutes mes contradictions pour vous dire qu’elles ne m’empêchent pas que je vous reconnaisse pour mon maître, que je vous aime et que je vous embrasse de tout mon cœur.

— Il faut conserver ici le souvenir d’une guérison singulière que M. Tronchin vient de faire. Ce célèbre médecin a pris, au commencement de cette année, possession de la place de premier médecin de M. le duc d’Orléans. Un prieur des prémontrés de Blois est venu le consulter. Ce moine était tourmenté, depuis un grand nombre d’années, de maux de tête insupportables. Ces douleurs étaient si excessives que, dans les accès, qui se renouvelaient presque tous les jours, le malade était souvent tenté de se briser la tête contre le mur. Les temps d’orage et d’intempérie dans l’atmosphère lui étaient le plus funestes. M. Tronchin, après avoir examiné l’état et les symptômes de cette maladie, a ordonné au malade de se faire couper deux nerfs qu’il lui a indiqués : l’un au milieu de la joue, l’autre un peu plus en arrière, près de l’oreille. Le malade ayant déclaré qu’il aimait mieux souffrir l’opération la plus douloureuse que d’être exposé davantage aux douleurs qu’il supportait depuis tant d’années, le chirurgien Louis n’a pourtant pas voulu faire l’opération prescrite sans avoir un ordre par écrit, signé de M. Tronchin. Cette opération s’est donc faite, il y a environ deux mois, sous les yeux et la conduite de M. Tronchin. Elle a fait beaucoup de bruit. La Faculté de médecine, au désespoir des succès éclatants d’un rival si redoutable, n’a rien oublié pour rendre cette entreprise d’abord ridicule et ensuite odieuse. On répandit dans Paris que le moine était à toute extrémité, qu’il n’en réchapperait pas ; et le couvent des prémontrés de Paris, où le malade se faisait traiter, était assiégé tous les matins par une infinité de gens qui venaient savoir de ses nouvelles, et qui espéraient en apprendre de mauvaises. Le fait est que le prieur n’a jamais été en danger de cette opération, qu’il en est entièrement rétabli aujourd’hui, et qu’il est parfaitement guéri de ses maux de tête. J’ai ouï dire à M. Tronchin qu’il avait eu occasion d’ordonner quatre fois cette opération dans le cours de sa pratique ; que son premier essai fut fait sur la femme de Rapin Thoyras, auteur de l’Histoire d’Angleterre, mais qu’il ne réussit qu’imparfaitement, parce qu’il ne fit couper que le nerf de la joue, sans toucher à celui près de l’oreille ; mais que les autres essais, en faisant les deux coupures, avaient toujours été suivis de la guérison parfaite du mal. Ce qui fait un honneur infini au savoir de notre Faculté de médecine, c’est qu’elle n’avait jamais entendu parler de cette opération, qu’aucun chirurgien de France ne l’avait jamais faite, et que, parmi les cent soixante docteurs dont la Faculté de Paris est composée, il n’y en a pas un qui sache quels sont les symptômes du mal de tête qu’on peut guérir par cette opération.


15 juillet 1766.

On s’occupe beaucoup à Paris de l’effroyable aventure qui vient d’arriver à Abbeville, dont on n’a entendu parler que confusément, et qui aurait rempli toute l’Europe d’indignation et de pitié si les âmes cruelles qui ont été les auteurs de cette tragédie n’avaient forcé les avocats de l’innocence et de l’humanité au silence par leurs menaces. L’extrait d’une lettre d’Abbeville, joint à ces feuilles, vous mettra au fait des principales circonstances. On prétend que ce qu’on dit du sieur Belval n’est pas exactement vrai ; mais il est constant que des animosités particulières ont dicté la sentence d’Abbeville, et l’on assure que des motifs de la même trempe l’ont fait confirmer par un arrêt du Parlement, qu’il faut conserver comme le monument d’une cruauté horrible au milieu d’un siècle qui se vante de sa philosophie et de ses lumières.

La nuit du 8 au 9 août 1765, un crucifix de bois, placé sur un pont, à Abbeville, est mutilé à coups de sabre ou de couteau de chasse. Un peuple superstitieux et aveugle s’en fait un sujet de scandale. L’évêque d’Amiens, un des plus fanatiques d’entre les évêques de France[2], se transporte avec son clergé en procession sur les lieux, pour expier ce prétendu crime par une foule de cérémonies superstitieuses. On publie des monitoires pour en découvrir l’auteur. Cet usage de troubler par des monitoires les consciences timorées, d’allumer les imaginations faibles en enjoignant, sous peine de damnation éternelle, de venir à révélation de faits qui n’intéressent pas personnellement le déposant ; cet usage, dis-je, est un des plus funestes abus de la jurisprudence criminelle en France. Plus de cent vingt fanatiques ou têtes troublées déposent. Aucun ne peut dénoncer l’auteur de la mutilation, qui sans doute n’avait pas appelé des témoins à son expédition ; mais tous rapportent des oui-dire, des bruits vagues, qui chargent la principale jeunesse de la ville de propos impies, de prétendues profanations, de quelques indécences qui pouvaient mériter tout au plus l’animadversion paternelle. La justice d’Abbeville instruit le procès de ces jeunes étourdis. Il n’est plus question de ce crucifix mutilé, mais on juge les prétendus crimes révélés au moyen des monitoires. Il est aisé de se figurer la consternation d’une petite ville, où cinq enfants des principales familles, tous mineurs, se trouvent impliqués dans une procédure criminelle. Leurs parents les avaient fait évader ; mais la même animosité qui leur avait suscité cette mauvaise affaire dénonça leur fuite. On courut après eux, et des cinq l’on en prit deux, savoir le jeune chevalier de La Barre, et un enfant de dix-sept ans appelé Moisnel. La sentence rendue à Abbeville, le 28 février dernier, condamne Gaillard d’Étallonde à faire amende honorable, à avoir la langue et le poingt coupés, et à être brûlé vif. Cet infortuné s’était heureusement sauvé en Angleterre avec deux de ses complices. Jean-François Le Fèvre, chevalier de La Barre, est condamné, par la même sentence, à faire amende honorable, à avoir la langue coupée, ensuite la tête tranchée et son corps réduit en cendres. On sursit, par cette sentence, au jugement des trois autres accusés, dont l’un, Charles-François Moisnel, était en prison avec le chevalier de La Barre. Les sentences criminelles ont besoin d’être confirmées par un arrêt du Parlement dans le ressort duquel on les rend. L’affaire d’Abbeville est portée au Parlement de Paris. Ici, ces jeunes malheureux, en se défendant par des mémoires imprimés, pouvaient espérer d’exciter la commisération publique ; mais M. Le Fèvre d’Ormesson, président à mortier, bon criminaliste, dont le chevalier de La Barre était proche parent, s’étant fait montrer toute la procédure d’Abbeville, jugea qu’elle ne serait point confirmée par le Parlement, et empêcha qu’on défendit publiquement son parent et les autres accusés. Il espérait que ces enfants, renvoyés de l’accusation sans éclat, lui sauraient gré un jour d’avoir prévenu la trop grande publicité de cette affaire malheureuse. La sécurité de ce magistrat leur a été funeste ; on peut poser en fait que le moindre mémoire, distribué à temps en leur faveur, aurait excité un cri si général que jamais le Parlement n’aurait osé confirmer la sentence d’Abbeville. Un arrêt du 4 juin passé l’a confirmée ; et, après beaucoup de sollicitations inutiles pour obtenir grâce du roi, le chevalier de La Barre a été exécuté à Abbeville le 1er juillet. Il est mort avec un courage et avec une tranquillité sans exemple. L’arrêt le déclare atteint et convaincu d’avoir passé à vingt-cinq pas devant la procession du saint Sacrement sans ôter son chapeau et sans se mettre à genoux ; d’avoir proféré des blasphèmes contre Dieu, la sainte Eucharistie, la sainte Vierge, les saints et les saintes mentionnés au procès ; d’avoir chanté deux chansons impies ; d’avoir rendu des marques de respect et d’adoration à des livres impurs et infâmes ; d’avoir profané le signe de la croix et les bénédictions en usage dans l’Église, Voilà ce qui a fait trancher la tête à un enfant imprudent et mal élevé, au milieu de la France et du xviiie siècle ; dans les pays d’inquisition, ces crimes auraient été punis par un mois de prison, suivi d’une réprimande.

Il est certain que M. Pellot, conseiller de grand’chambre, rapporteur du procès au Parlement, a fait l’apologie des accusés, et a conclu, vu leur âge et d’autres circonstances, à les renvoyer déchargés de l’accusation ; mais le Parlement n’a pas jugé à propos de suivre ces conclusions. Il passe pour constant qu’un autre conseiller de grand’chambre, nommé Pasquier, qui n’est pas trop connu du public, a le premier ouvert l’avis de la rigueur, qu’il a péroré avec beaucoup de violence contre les philosophes et contre M. de Voltaire, qu’il a nommé ; qu’il a présenté les profanations d’Abbeville comme un effet funeste de l’esprit philosophique qui se répand en France et qu’il a fait nommer dans l’arrêt le Dictionnaire philosophique parmi les livres composant la bibliothèque du chevalier de La Barre, quoiqu’on n’y ait trouvé que des livres de débauche et aucun livre de philosophie. On a aussi remarqué que M. le premier président, qui a présidé à ce jugement terrible, était personnellement brouillé avec M. le président Le Fèvre d’Ormesson ; mais il y aurait trop à frémir si des inimitiés particulières pouvaient influer sur des arrêts de sang !

Ce qu’il y a de sùr, c’est que toutes les âmes sensibles ont été consternées de cet arrêt, et que l’humanité attend un vengeur public, un homme éloquent et courageux qui transmette au tribunal du public et à la flétrissure de la postérité cette cruauté sans objet comme sans exemple. Ce serait sans doute une tâche digne de M. de Voltaire, s’il n’avait pas personnellement des ménagements à garder dans cette occasion[3]. Ses amis ont dû le conjurer de préférer sa sûreté et son repos à l’intérêt de l’humanité, et de ne point risquer d’imprimer la marque de l’opprobre à des hommes sanguinaires, résolus de le poursuivre lui-même au moindre mouvement de sa part. Huit avocats, parmi lesquels on lit les noms de Doutremont et de Gerbier, ont signé trop tard une consultation en faveur du jeune Moisnel et des autres accusés, au jugement desquels l’arrêt avait sursis. Cette consultation, faite avec le plus grand ménagement et la plus grande simplicité, attendrirait le cœur le plus barbare. Le Parlement, qui s’en est trouvé choqué, a voulu la supprimer juridiquement : il a mandé les avocats qui l’ont signée, et M. le premier président a été chargé de les tancer sévèrement ; mais M. Gerbier a pris la parole, a défendu la conduite et les droits de ses confrères et les siens, et a déclaré que s’il y avait la moindre démarche juridique de faite contre cette consultation, tous les avocats étaient résolus de quitter le barreau. Cette déclaration a arrêté les procédures du Parlement ; mais toute l’édition de la consultation a été enlevée sous main, et il n’a plus été possible d’en trouver des exemplaires. On a réussi, par ces mesures, à étouffer cette horrible affaire dans le public. Paris s’en est peu occupé ; le plus grand nombre n’en a jamais su au vrai les détails. On en a parlé un ou deux jours ; et puis, comme dit M. de Voltaire, on a été à l’Opéra-Comique, et cette atrocité a été oubliée avec beaucoup d’autres. Les âmes sensibles ne l’oublieront jamais, et désireront toujours avec ardeur qu’elle soit transmise à la postérité comme un monument déplorable de la perversité des hommes, et que le nom des auteurs de cette cruauté demeure connu et plus justement flétri que celui du jeune Moisnel et de ses complices, qui viennent d’être mis hors de cour après avoir été blâmés et déclarés infâmes.

Voilà les premiers fruits que nous recueillons du livre des Délits et des Peines. On dirait qu’à chaque réclamation un peu remarquable des droits de l’humanité, le génie de la cruauté se déchaîne, et, pour en faire sentir l’inutilité, suggère à ses suppôts de nouveaux actes de barbarie. L’historien du comté de Ponthieu[4] rapporte qu’en 1706, un riche habitant d’Abbeville laissa par testament tout son bien à Louis XIV, à condition de l’employer à une croisade. Si jamais il fait une seconde édition de son Histoire, je lui conseille de joindre à ce trait d’un fanatisme particulier celui d’un fanatisme public, dans l’assassinat juridique du chevalier de La Barre. Il n’oubliera pas de remarquer que les deux chansons mentionnées au procès, dont l’une n’est qu’ordurière, sont connues depuis plus de cent ans, et se chantent dans toutes les villes de garnison, où la discipline la plus sévère ne peut contenir la licence soldatesque sur des objets de cette espèce. C’est un garçon perruquier, excité par le monitoire, qui a déposé avoir entendu le chevalier de La Barre fredonner ces chansons le matin à sa toilette pendant qu’il le coiffait.

— Feu le comte de Caylus avait entrepris, tant par ses propres recherches que par des prix fondés à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, de couler à fond tous les monuments historiques de l’Égypte. Un jeune homme de Berne, appelé M. Schmidt, et attaché actuellement à la cour de Bade‑Dourlach, à remporté successivement huit ou neuf de ces prix, ayant tous pour objet l’explication de quelque usage, quelque cérémonie, quelque vêtement égyptiens. Je crois que l’Académie n’avait pas beaucoup de peine à se décider entre les différents concurrents pour le prix d’Égypte, et que M. Schmidt était, la plupart du temps, le seul combattant dans un terrain si aride. Il vient cependant de s’élever un rival déterminé contre M. Schmidt ; et tandis que celui-ci était couronné pour avoir expliqué l’habillement des anciens rois d’Égypte avec plus de détails que n’en aurait pu donner le premier tailleur de la cour de Memphis, M. Ameilhon remportait un autre prix pour avoir fait l’histoire du commerce et de la navigation des Égyptiens sous le règne des Ptolémées. Cet ouvrage vient de paraître en un volume in-8o de trois cents pages. M. Ameilhon est garde de la Bibliothèque de la ville de Paris[5]. Il ne disputera pas longtemps les prix égyptiens à M. Schmidt, car, si je ne me trompe, il vient d’être nommé de l’Académie des inscriptions et belles‑lettres, et il n’est pas permis aux membres ordinaires de l’Académie de concourir pour le prix. La vue du comte de Caylus n’était vraiment pas fausse. Si nous connaissions à fond l’Égypte, nous posséderions la clef de tous les arts et de toutes les sciences des Grecs. Malheureusement les monuments manquent partout, et ce qui est parvenu jusqu’à nous est si imparfait, si plein de lacunes, si obscur et si inexpliquable, qu’il ne faut pas se flatter de pouvoir jamais en tirer les éléments de la véritable histoire du genre humain. C’est pourtant à quoi nous mènerait une connaissance bien approfondie de l’Égypte. J’oublie, il est vrai, que l’Académie des inscriptions possède deux hommes qui ne restent jamais court sur l’Égypte, qui la connaissent comme je connais ma chambre, et qui se croiraient personnellement offensés de mes doutes. J’en demande donc pardon à M. de Guignes et à M. l’abbé Barthélemy ; mais quand ils m’auront certifié avoir fait leur noviciat, il y a trois ou quatre mille ans, dans quelque séminaire de Memphis, et surtout avoir eu quelque part dans la confiance des prêtres égyptiens, les plus cachés de tous les hommes, je les écouterai avec docilité, et j’adopterai sans scrupule toutes les importantes découvertes qu’ils voudront bien me transmettre.

— Si la lecture de l’Histoire de l’Orléanais, par M. le marquis de Luchet[6], ne vous a point assommé, vous pouvez d’abord vous vanter d’avoir la vie dure ; et puis les Essais du même auteur sur les principaux événements de l’histoire de l’Europe[7] vous donneront le coup de grâce. Ces Essais forment deux petites parties. La première est consacrée à l’illustre Élisabeth, reine d’Angleterre. Vous avez déjà lu ce barbouillage sous un autre titre ; il est seulement ici plus étendu. L’auteur soupçonne qu’Élisabeth, tout en établissant le protestantisme en Angleterre, pourrait bien au fond n’avoir été ni catholique ni protestante. Vous voyez que M. de Luchet est fin comme l’ambre. Sa seconde partie sert à éplucher le caractère de Philippe II, roi d’Espagne, qui, tout grand politique qu’il était, n’échappe pas davantage à l’œil pénétrant de M. de Luchet. Je pardonne de tout mon cœur à ce terrible historien. Il a épousé ma bonne amie, Mlle Delon, de Genève ; il m’a l’air d’être mari commode ; il faudrait avoir bien de l’humeur pour l’empêcher d’écrire, surtout quand on n’est pas obligé de le lire. On dit cependant qu’il va quitter le métier de la littérature pour se charger de l’entreprise des fiacres gris[8]. On ne manquerait pas de lui appliquer le proverbe : il écrit comme un fiacre, s’il s’avisait de faire des livres pendant l’exercice de cette nouvelle dignité.

M. Dorat donna en 1763 la tragédie de Théagène et Chariclée, qui eut le malheur de tomber. Il vient de la faire imprimer[9] avec le luxe et l’élégance dont il pare tous ses ouvrages, mais qui ne rendront pas celui-ci meilleur. Ce jeune poëte a la manie de ne pouvoir rien garder dans son portefeuille ; c’est une fâcheuse maladie. Lorsque Théagène tomba, M. Dorat fit une élégie sur lui-même, que vous pouvez vous rappeler. Il a fait depuis sur le même sujet des vers plus philosophiques, qui viennent de me tomber entre les mains. Ils me rassurent sur les chutes que M. Dorat pourrait faire par la suite, et je vois avec plaisir


Qu’à tout événement le sage est préparé.


— Nous venons de revoir ici les deux aimables enfants de M. Mozart, maître de chapelle du prince archevêque de Salzbourg, qui ont eu un si grand succès pendant leur séjour à Paris en 1764. Leur père, après avoir passé près de dix-huit mois en Angleterre et six mois en Hollande, vient de les reconduire ici pour s’en retourner par la Suisse à Salzbourg. Partout où ces enfants ont fait quelque séjour, ils ont réuni tous les suffrages et causé de l’étonnement aux connaisseurs. Ils ont été dangereusement malades à la Haye ; mais enfin leur bonne étoile les a délivrés de la maladie et des médecins. Mlle Mozart, âgée maintenant de treize ans, d’ailleurs fort embellie, a la plus belle et la plus brillante exécution sur le clavecin. Il n’y a que son frère qui puisse lui enlever les suffrages. Cet enfant merveilleux a actuellement neuf ans. Il n’a presque pas grandi ; mais il a fait des progrès prodigieux dans la musique. Il était déjà compositeur et auteur de sonates il y a deux ans. Il en a fait graver six depuis ce temps-là à Londres pour la reine de la Grande-Bretagne. Il en a publié six autres en Hollande pour MMme la princesse de Nassau-Weilbourg. Il a composé des symphonies à grand orchestre, qui ont été exécutées et généralement applaudies ici. Il a même écrit plusieurs airs italiens, et je ne désespère pas qu’avant qu’il ait atteint l’âge de douze ans, il n’ait déjà fait jouer un opéra sur quelque théâtre d’Italie. Ayant entendu Manzuoli à Londres pendant tout un hiver, il en a si bien profité que, quoiqu’il ait la voix excessivement faible, il chante avec autant de goût que d’âme. Mais ce qu’il y a de plus incompréhensible, c’est cette profonde science de l’harmonie et de ses passages les plus cachés qu’il possède au suprême degré, et qui a fait dire au prince héréditaire de Brunswick, juge très-compétent en cette matière comme en beaucoup d’autres, que bien des maîtres de chapelle consommés dans leur art mouraient sans savoir ce que cet enfant sait à neuf ans. Nous l’avons vu soutenir des assauts pendant une heure et demie de suite avec des musiciens qui suaient à grosses gouttes et avaient toute la peine du monde à se tirer d’affaire avec un enfant qui quittait le combat sans être fatigué. Je l’ai vu sur l’orgue dérouter et faire taire des organistes qui se croyaient fort habiles. À Londres, Bach le prenait entre ses genoux, et ils jouaient ainsi de tête alternativement sur le même clavecin deux heures de suite en présence du roi et de la reine. Ici il a subi la même épreuve avec M. Raupach, habile musicien qui a été longtemps à Pétersbourg, et qui improvise avec une grande supériorité. On pourrait s’entretenir longtemps de ce phénomène singulier. C’est d’ailleurs une des plus aimables créatures qu’on puisse voir, mettant à tout ce qu’il dit et ce qu’il fait de l’esprit et de l’âme avec la grâce et la gentillesse de son âge. Il rassure même par sa gaieté contre la crainte qu’on a qu’un fruit si précoce ne tombe avant sa maturité. Si ces enfants vivent, ils ne resteront pas à Salzbourg. Bientôt les souverains se disputeront entre eux à qui les aura. Le père est non-seulement habile musicien, mais homme de sens et d’un bon esprit, et je n’ai jamais vu un homme de sa profession réunir à son talent tant de mérite.

M. l’abbé du Pignon vient de publier une Histoire critique du gouvernement romain, où d’après les faits historiques on développe sa nature et ses révolutions, depuis son origine jusqu’aux empereurs et aux papes. Volume in-12 de trois cent soixante pages. M. Duni, professeur en droit à Rome, et frère de notre musicien qui a composé plusieurs de nos jolis opéras-comiques, réclame la plupart des idées de M. l’abbé du Pignon, et il me semble que celui-ci se défend mal de cette accusation. D’ailleurs l’ouvrage de M. Duni est estimé, et celui de M. l’abbé du Pignon ne l’est point du tout ; et ce double sort convient encore très-bien à l’auteur original et au copiste.

M. Linguet vient aussi de s’exercer à peu près sur un semblable sujet. Il a écrit une Histoire des révolutions de l’empire romain, pour servir de suite à celle des Révolutions de la république, que nous avons de l’abbé de Vertot. Gette continuation, qui commence par le règne d’Octave-Auguste et finit avec la mort d’Alexandre Sévère, comprend deux volumes in-12, chacun de plus de quatre cents pages. Elle ne sera pas poussée plus loin ; M. Linguet prend dans sa préface congé de la littérature, où il avoue de bonne foi n’avoir pas été comblé de lauriers. Il a quitté une carrière qu’il a courue sans succès, et il s’est fait avocat, dans l’espérance d’un meilleur sort. Il examine dans sa préface avec beaucoup de sincérité pourquoi ses ouvrages n’ont pas réussi ; mais il n’en peut découvrir les raisons. Comme il me parait de bonne foi, je m’en vais les lui dire : c’est qu’il écrit ennuyeusement ; c’est qu’il n’a point de coloris, et qu’on s’endort sur son livre. Or il n’y a point de remède à cela en littérature ; mais un avocat fait souvent supérieurement bien d’endormir ses juges. M. Linguet donna, il y a trois ans, pour son début, une Histoire du siècle d’Alexandre. Cet ouvrage fut oublié au bout d’un mois, malgré les efforts que beaucoup de bonnes gens avaient faits pour lui donner de la vogue. L’auteur prétend qu’il en a publié plusieurs autres depuis ; il est certain qu’ils sont restés bien inconnus. L’Histoire des révolutions de l’empire romain partagera leur sort, malgré les paradoxes que M. Linguet y a avancés, et qui servent ordinairement si bien la réputation de leurs auteurs. Quand M. l’abbé de Galiani me soutenait quelquefois que Tibère avait été un fort honnête homme, que Néron n’avait eu d’autre tort que d’être un peu trop petit-maître et de s’être rendu odieux aux Romains par son affectation et sa passion pour les mœurs grecques, je l’écoutais avec le plus grand plaisir, parce qu’il savait soutenir sa thèse avec tant d’esprit et même de génie qu’elle en devenait très-intéressante, sans compter qu’abstraction faite du fond, il y avait infiniment à profiter d’une foule de connaissances dont ce fond était relevé. M. Linguet veut jouer le même rôle ; mais il faudrait avoir pour cela le génie de l’abbé de Galiani. Il veut décrire Tacite et les philosophes, il traite Suétone comme un polisson, et l’on n’a pas seulement envie de lui rien disputer. On bâille, et on le laisse dire. Il nous prouve laborieusement que c’est très-improprement qu’on attribue à Rome dans les plus beaux jours de sa gloire l’empire du monde, et qu’elle n’en dominait qu’une très-petite partie en comparaison du tout. Belle découverte ! Et il ne remarque pas seulement combien la grandeur et l’élévation de ces idées devaient produire d’effets surprenants. Je souhaite le bonsoir à M. Linguet auteur, et beaucoup de bonheur à M. Linguet avocat et à ses clients.

M. de Sartine, lieutenant général de police de cette capitale, s’est particulièrement occupé depuis quelque temps des moyens de mieux éclairer Paris pendant la nuit. La sûreté de cette ville immense dépend en grande partie de ce service, et il est digne d’un magistrat rempli de zèle et de bonnes vues de s’occuper de cet objet. On a fixé un prix de deux mille livres en faveur de celui qui trouverait la manière la plus avantageuse d’éclairer Paris, et pendant tout l’hiver dernier le concours de ceux qui ont proposé leurs essais a duré en différents quartiers de la ville. Paris a été jusqu’à présent on ne peut pas plus mal éclairé ; les arts les plus utiles comme les moins nécessaires ne se perfectionnent qu’à la longue. Je pense que la méthode de suspendre les lanternes par des cordes au milieu de la rue est essentiellement vicieuse, parce que dans les temps d’orage et d’ouragan, c’est-à-dire dans les moments où l’obscurité du ciel rend les lanternes le plus nécessaires, il arrive que le vent les ballotte et les éteint toutes. Je vois avec chagrin que, malgré cet inconvénient insurmontable, on donnera dans les nouveaux essais la préférence aux lanternes ainsi suspendues, et je persiste à crier de toutes mes forces que, pour bien éclairer une rue, il faut que les lanternes soient placées le long des maisons des deux côtés de la rue. Je pense aussi qu’un quai ne doit pas être, éclairé comme une rue, ni une place comme un pont, ni un pont comme un quai : le problème est différent. Et surtout je suis persuadé que, pour bien éclairer une grande ville, il faut d’abord y mettre l’argent nécessaire, car, si l’économie doit aller jusqu’à la lésine, il est impossible de venir à bout de cette entreprise.

M. Patte, architecte du duc des Deux-Ponts, vient de publier une brochure sur la manière la plus avantageuse d’éclairer les rues d’une ville pendant la nuit, en combinant ensemble la clarté, l’économie et la facilité du service. Je suis tout à fait partisan des lanternes de M. Patte, et je vois avec peine que sa méthode ne sera pas adoptée par la police. Ces réverbères qu’on suspend au milieu des rues de Paris depuis l’hiver dernier, et qui ont l’air de lampes sépulcrales, ne rendront jamais le service des lanternes proposées par M. Patte.

Cet architecte a publié l’année dernière un assez bel ouvrage sous ce titre : Monuments érigés à la gloire de Louis XV, volume in-folio d’une belle exécution, tant pour la gravure que pour l’impression. Il vient d’y ajouter un petit supplément qui représente la cérémonie de l’inauguration de la statue du roi à Reims, avec la description des fêtes qui l’ont accompagnée. Cette description n’est pas véridique, car ces fêtes, par un concours d’accidents et de bêtises et un défaut de prévoyance peu commun, ont toutes manqué de la manière du monde la plus ridicule. M. Patte distribue son supplément gratis à ceux qui ont acheté son livre.

M. le marquis de Montalembert a lu, il y a quelque temps, à la rentrée publique de l’Académie royale des sciences, un mémoire intitulé Cheminée-poêle, ou Poêle francais, qu’il vient de faire imprimer séparément dans un cahier in-4o, en attendant qu’il paraisse dans le corps des mémoires de l’Académie. Son projet est de nous procurer la commodité de la chaleur du poêle avec les agréments de la cheminée, en faisant attention aussi à la consommation du bois. Cette grande consommation est un des inconvénients de la cheminée, dont le feu est d’ailleurs si agréable : il occupe et il tient compagnie, au lieu que le poêle est d’une tristesse mortelle, et qu’il a encore le désavantage de porter la chaleur à la tête en laissant les pieds froids. M. de Montalembert, en combinant les avantages de l’un et de l’autre, a cherché à éviter ou à vaincre les inconvénients de tous les deux. Il vous chauffe même une maison de bas en haut et dans toutes ses parties avec une dextérité ; merveilleuse. Je ne sais s’il vous garantit aussi bien de la crainte du feu, et s’il ne serait pas à appréhender que votre maison ne se trouvât en feu de trois ou quatre côtés, avant que vous eussiez le temps de le soupçonner.

— La porcelaine de M. le comte de Lauraguais est devenue un sujet de querelle sans avoir été jusqu’à présent un effet de commerce. Feu M. de Montamy, premier maître d’hôtel de M. le duc d’Orléans, donna le secret de cette porcelaine à M. de Lauraguais dans l’espérance que celui-ci y mettrait l’argent nécessaire pour pousser cette découverte à sa perfection, sous la conduite des docteurs Roux et Darcet, tous deux habiles chimistes. Le bon M. de Montamy ne connaissait pas M. de Lauraguais, ou bien ignorait que la fatuité et l’enfance de l’esprit s’opposent à tout bien, et qu’on peut porter cette fatuité auprès d’un fourneau de chimie comme sur une toilette. Plusieurs seigneurs fort agréables se sont avisés en ces derniers temps de se faire petits-maîtres philosophes par air, au lieu d’être petits‑maîtres à bonnes fortunes, et l’on peut dire qu’ils n’ont pas peu contribué par leurs ridicules à ces calomnies absurdes dont on honore la philosophie parmi nous. Ce qu’il y a de certain, c’est que la pâte de M. de Montamy est excellente, que M. de Lauraguais en possède le secret depuis huit ans, qu’il a fait pendant cet espace de temps bien des folies, bien des extravagances, qu’il a été enfermé deux ou trois fois par ordre du roi, et que la porcelaine en est précisément au même point où M. de Montamy l’a laissée, c’est-à-dire qu’elle est toujours d’un blanc fort sale, et que la couverture n’en est pas trouvée. M. Guettard, de l’Académie des sciences, médecin de son métier, esprit sournois et remuant, avait été employé aux essais que M. de Montamy faisait autrefois en ce genre, pour contenter la curiosité de M. le duc d’Orléans, qui en payait la dépense. M. de Montamy n’eut pas sitôt fermé les yeux que M. Guettard revendiqua le secret de cette porcelaine comme à lui appartenant. Il fallait le disputer à M. de Montamy de son vivant ; mais ce qu’il y a de fâcheux pour M. Guettard, c’est que personne n’a été surpris de son procédé. M. le comte de Lauraguais a lu à l’Académie des sciences des Observations sur le mémoire de M. Guettard, qui viennent d’être imprimées. Le beau procès ! Ce qu’il y a de plaisant, c’est que la porcelaine ne s’en trouve pas avancée d’un pas, et que ces messieurs sont à se disputer l’honneur d’une découverte qui jusqu’à présent n’est connue que d’eux seuls. Il y a apparence que, malgré tout le bruit que l’on fait de ce secret depuis si longtemps, il restera toujours invisible au public, à moins que des gens plus habiles et moins bruyants ne s’en mêlent.

M. le comte de Lauraguais ne combat pas seulement le docteur Guettard sur sa porcelaine, il attaque encore par des observations physiques le docteur Gatti sur ses principes d’inoculation, parce que celui-ci a oublié de le nommer parmi les partisans de cette pratique. M. Gatti peut être coupable d’un peu de légèreté et même de trop de scepticisme dans la pratique de son art ; mais c’est certainement un homme de beaucoup d’esprit et d’un excellent esprit. Je voudrais bien louer aussi M. le comte de Lauraguais, mais je crois que je rêve rais dix ans de suite sans trouver sur quoi.

— Je ne sais à qui nous devons les Principes naturels du droit et de la politique, en deux parties, petit in-12[10]. Cela m’a l’air d’être de quelque avocat. On nous donne cela pour un livre élémentaire, et je crois qu’on a raison si l’on a voulu nous enseigner les éléments du bavardage sur les sujets les plus importants à l’état de l’homme policé.

M. l’abbé Richard de Saint-Non vient de publier un ouvrage intitulé la Théorie des Songes, volume in-12 de plus de trois cents pages. Cette théorie est toute métaphysique. Quelques pages de bonne physique sur ce sujet me feraient plus de plaisir que tous les profonds raisonnements par lesquels l’auteur prouve, entre autres choses, que les songes ne sont pas un moyen de découvrir l’avenir. Il faut déférer M. l’abbé Richard à nos seigneurs de l’Assemblée du clergé, car enfin si les songes ne prédisent pas l’avenir, Joseph n’a pas pu prédire à Pharaon la chute dont l’Égypte était menacée, le peuple de Dieu n’a pas pu s’y établir, Moïse n’a pu y faire aucun des miracles nécessaires pour l’en tirer. De faits en faits, il est évident que le Messie n’aurait pas pu naître d’une vierge, ni par conséquent M. l’abbé Richard porter le petit collet. Ainsi la foi et l’état de l’auteur réclament également contre ses principes. Du reste, M. Richard, abbé ou non, devrait renoncer au métier d’auteur. Le Voyage d’Italie qu’il a donné au commencement de cette année ne lui à pas fait honneur ; c’est, à le bien examiner, un mauvais livre.

Observations sur le commerce et les arts d’une partie de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et (même) des Indes orientales, par M. Flachat, directeur des établissements levantins et de la manufacture royale de Saint-Chamond. Deux volumes in-12 faisant ensemble près de douze cents pages. L’auteur est un négociant qui a voyagé en Italie, en Allemagne, en Grèce, à Constantinople et dans le Levant. Il rapporte ce qu’il a vu et ses idées sur ce qu’il a vu. Je préfère cette espèce de bonnes gens, doués d’une dose convenable de jugement et de bon sens, à tous les voyageurs à imagination et à systèmes.

Nouvelle France, ou France commerçante. P. M. F. X. T., juge de la V. de C.[11] : Voilà un homme qui en sa double qualité de citoyen et de magistrat veut que tout le monde se fasse commerçant en France. Si le commerce des lieux communs était prohibé en ce royaume, l’auteur deviendrait contrebandier ipso facto. Sa rapsodie fait un volume in-12 de trois cents pages.

M. Eidous a traduit de l’anglais un Essai sur le goût, par Alexandre Gérard, professeur de théologie à Aberdeen, en Écosse ; augmenté de trois morceaux sur le même sujet par M. de Voltaire, M. de Montesquieu et M. d’Alembert. Volume in-12. L’essai de l’auteur écossais est tout à fait métaphysique. Les philosophes anglais et écossais, depuis milord Shaftesbury, ont introduit dans leur métaphysique un sens intérieur et moral, et ce sixième sens fait en philosophie précisément le même effet que la cinquième roue à un carrosse ; il a fait naître dans la métaphysique un jargon inintelligible et vide de sens. Ce que M. de Montesquieu et M. d’Alembert ont écrit sur le goût a été inséré dans l’Encyclopédie. Je ne sais si le morceau de M. de Voltaire qui a été fait pour le même ouvrage y est. Si je ne me trompe, il arriva trop tard et ne put y trouver sa place. L’auteur l’a fait insérer depuis dans ses Mélanges avec d’autres articles faits pour l’Encyclopédie. M. Eidous, n’ayant pu trouver ce morceau en original, a pris le parti de le retraduire de l’anglais en français. Cela est très‑curieux à lire et à comparer avec l’écrit de M. de Voltaire. Vous verrez comme cet écrivain si séduisant, si plein de grâce, de précision, d’élégance, est devenu, sous la plume de M. Eidous, lâche, embarrassé, incorrect et barbare. Il est très-plaisant que M. Eidous ait trouvé plus court de retraduire M. de Voltaire, plutôt que de chercher dans ses œuvres le morceau dont il avait besoin ; il est très-plaisant aussi qu’à la tête d’un écrit rempli de fautes et de constructions vicieuses, il ait osé mettre le nom du plus illustre écrivain de France.

M. de Bastide, aussi mauvais sujet que mauvais auteur, a été obligé, par suite de mauvaise conduite, de quitter la France et de chercher un asile en Hollande. Il vient d’y faire imprimer sa comédie du Jeune homme, que j’ai vu expirer à la fleur de son âge, au milieu du troisième acte, sur le théâtre de la Comédie-Française. Un éternument terrible partit d’une loge et mit le Jeune homme au tombeau. L’auteur a mis à la suite de cette mauvaise pièce des mémoires apologétiques de sa conduite ; mais on n’a pas été plus curieux de lire son apologie que sa comédie.

— On nous a envoyé de Hollande aussi une pièce intitulée l’Hommage du cœur, fête théâtrale à l’occasion de la majorté du prince-stadthouder. Ces pièces sont en possession d’être froides et insipides, et l’auteur de celle-ci, M. Croisier, a voulu jouir de ses droits dans toute leur étendue.




  1. Nous avons publié, t. XIX, p. 476, des Œuvres complètes de Diderot, la réponse à cette lettre, qui semble plutôt le résultat d’une gageure destinée à exciter la verve du philosophe que l’expression réelle des opinions de frère vingtième.
  2. Louis-François-Gabriel de La Motte.
  3. Voltaire, malgré ces considérations personnelles, ne manqua point à ce devoir. Il suffit, pour voir jusqu’où le fanatisme peut aller, de lire sa Relation de la mort du chevalier de La Barre. (T.)
  4. L’historien du comté de Ponthieu se nommait Devérité ; il était libraire à Abbeville ; son ouvrage a pour titre : Histoire du comté de Ponthieu et de la ville d’Abbeville, 2 vol. in-12. (B.)
  5. Né en 1730, Ameilhon est mort en 1812. Reçu à l’Académie des inscriptions en 1766, il fut, sous l’Empire, membre de l’Institut. « Un jour, dit Mme de Genlis dans ses Mémoires, t. V, p. 233, un jour qu’il faisait partie d’une députation, et qu’il allait pour la première fois chez l’Empereur avec un désir ardent d’en être remarqué et d’en obtenir quelques mots, en passant, il se mit très en vue dans la salle d’audience ; l’Empereur, en effet, apercevant une figure qu’il ne reconnaissait qu’imparfaitement, s’approcha de lui en lui disant : « N’êtes-vous pas M. Ancillon ? — Qui, sire… Ameilhon. — Ah ! sans doute bibliothécaire de Sainte‑Geneviève ? — Oui, sire… de l’Arsenal. — Eh ! je le savais, vous êtes le continuateur de l’Histoire de l’Empire ottoman ? — Oui, sire… de l’Histoire du Bas-Empire. » À ces mots, l’Empereur, s’impatientant lui-même de ses méprises, lui tourna brusquement le dos ; et M. Ameilhon, ne sentant que l’honneur et la joie d’avoir arrêté quelques minutes près de lui l’Empereur, se pencha vers son voisin, en lui disant avec emphase : L’Empereur est étonnant ! il sait tout. (T.)
  6. Voir tome VI, page 507.
  7. Essais historiques sur les principaux événements de l’Europe, 1766, 2 part. in-12, Le premier volume avait déjà paru l’année précédente, sous le titre de Considérations politiques et historiques sur l’établissement de la religion prétendue réformée en Angleterre. (T.) — Voir tome VI, page 267.
  8. Voir tome VI, page 508, note.
  9. Paris, S. Jorry, 1766, in-8o. Figure d’Eisen, gravée par de Ghendt.
  10. La première édition de ce livre de Louis Desbans est de Paris, 1715, in-12 : celle-ci avait été revue et augmentée par Dreux du Radier.
  11. François-Xavier Tixedor, juge de la viguerie de Conflans. La première édition est de 1755.