Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7269

Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 50-51).
7269. — À M. COLINI.
À Ferney, 29 mai

Enfin, mon cher ami, si Leurs Altesses électorales le permettent, ce ne sera plus mon seul petit buste qui leur fera sa cour, ce sera moi-même, ou plutôt l’ombre de moi-même qui viendra se mettre à leurs pieds et vous embrasser de tout son cœur. Je serai libre au mois de juillet ; je ne serai plus le correcteur d’imprimerie des Cramer. J’ai rempli cette noble fonction quatorze ans avec honneur. Le scribendi cacoethes[1], qui est une maladie funeste, m’a consumé assez. Je veux avant de mourir remplir mon devoir, et jouir de quelque consolation : celle de revoir Schwetzingen est ma passion dominante ; je ne peux y aller que dans une saison brûlante, car telle est ma déplorable santé qu’il faut que je fasse du feu dix mois de l’année. Franchement je ne suis pas fait pour la cour de monseigneur l’électeur ; il ne se chauffe jamais, il a toute la vigueur de la jeunesse : il dîne et soupe. Je suis mort au monde ; mais la reconnaissance et l’attachement pourront me ranimer. En un, mot, mort ou vif, je vous embrasserai, mon cher ami, à la fin de juillet. Je suis bien vieux, mais mon cœur est encore tout neuf.

  1. Juvénal, satire vii, vers 52.