Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6332

Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 281-282).

6332. — À M. HENNIN.
À Ferney, 4 mai.

Vous aimez, monsieur, à citer juste ; et moi, qui suis barbouilleur d’histoire, j’aime à citer juste aussi. Vous avez raison quand vous dites qu’il y a un article dans le mémoire à consulter donné aux avocats de Paris[1], lequel qualifie les citoyens de Genève souverains législateurs. Mais aussi je n’ai pas tort quand je dis que, dans le même mémoire, on trouve ces paroles : « On peut considérer que les citoyens et bourgeois sont souverains conjointement avec tous les conseils quand ils sont assemblés en corps de république. »

Ce que vous me dîtes à notre dernière entrevue me laissa, comme vous le croyez bien, le poignard dans le cœur. Je me voyais accusé cruellement par-devant le grand juge des anecdotes, M. le chevalier de Taulès[2] ; toute ma réputation d’amateur de la vérité était perdue. Ma douleur m’a fait relire ce vieux mémoire à consulter que j’avais entièrement oublié.

Vous voyez évidemment qu’un des articles s’explique par l’autre, et qu’il n’y a que des théologiens qui puissent tronquer un passage d’un auteur pour le condamner. Je vous demande donc justice et réparation d’honneur. Je crois que ce mémoire était si mal griffonné, que ni vous, ni M. le chevalier de Taulès, n’avez lu l’article où je m’explique catégoriquement.

Voilà comme on juge les pauvres auteurs ; voilà comme on a dit à la cour que M. Thomas était athée, parce qu’il a loué monsieur le dauphin de n’être pas persécuteur ; on n’a ni la justice ni le temps de confronter les passages. Confrontez-moi donc avec moi-même, et vous verrez combien mon cœur est à vous.

  1. Ce Mémoire était de Voltaire ; voyez la lettre 6191.
  2. Le chevalier de Taulès était secrétaire attaché à l’ambassade de France en Suisse, et avait accompagné en cette qualité le chevalier de Beauteville à Genève.