Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6202

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 152-153).

6202. — À M. DAMILAVILLE.
28 décembre.

Mon cher frère, je me flatte que le triste événement de la mort de monsieur le dauphin[1] arrêtera pour quelque temps la guerre des rochets et des robes noires ; qu’on ne parlera plus de bulle, quand il ne s’agit que de malheureux De profundis. Les hommes rentrent en eux-mêmes dans les grands événements qui font la douleur publique, et laissent pour quelques jours leurs vains débats et leurs folles querelles.

Jean-Jacques Rousseau n’est bon qu’à être oublié ; il sera comme Ramponneau, qui a eu un moment de vogue à la Courtille, à cela près que Ramponneau a eu cent fois moins de vanité et d’orgueil que le petit polisson de Genève.

Vous aurez incessamment M. Tronchin à Paris, ainsi vous n’aurez plus de mal de gorge ; pour moi, je serai réduit à être mon médecin moi-même ; ma sobriété me tiendra lieu de Tronchin.

Il y a un Trailè des Superstitions[2] qui paraît depuis peu : s’il en vaut la peine, je vous supplie de me l’envoyer. J’espère recevoir dans un mois le gros ballot que Briasson a déjà fait partir[3] ; j’en commencerai la lecture comme celle des livres hébreux, par la fin, et vous savez pourquoi.

J’attends aussi des étrennes de vous et de M. Fréron, et de Bigex. M. Boursier prétend toujours qu’il vous a écrit[4].

N. B. À propos, voici ce que j’ai toujours oublié de vous dire pour l’affaire des Sirven. Il me paraît nécessaire que M. de Beaumont rappelle, dans son exorde, la dernière aventure d’un citoyen de Montpellier qui, dans le temps qu’il pleurait la mort de son fils, fut accusé de l’avoir tué, vit descendre chez lui la justice avec le plus terrible appareil, s’évanouit, et fut sur le point de mourir.

Ce dernier exemple, joint à l’aventure éternellement mémorable des Calas, fera voir quels horribles préjugés règnent dans les esprits des Visigoths. Cela peut non-seulement fournir de beaux traits d’éloquence, mais encore disposer favorablement le conseil.

  1. Il était mort le 20 décembre.
  2. Essai sur les erreurs et les superstitions anciennes et modernes (par J. -L. Castilhon), 1765, in-12 ; 1765, deux volumes in-8o.
  3. Le gros ballot expédié par Briasson contenait la fin de l’Encyclopédie, et parvint à Voltaire dans les premiers jours de février 1766.
  4. C’est toujours la lettre 6193.