Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6164

Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 119-120).

6164. — À M. DAMILAVILLE.
27 novembre.

Je ne manquai pas, mon cher ami, de faire chercher, il y a quelques jours, à Genève, chez le sieur Boursier, les deux petites facéties de Neuchâtel[1]. Je les adressai sous l’enveloppe de M. de Courteilles, comme vous me l’aviez prescrit. Je serais fâché qu’elles fussent perdues ; il serait difficile de les retrouver. Ce sont des bagatelles qui n’ont qu’un temps ; après quoi elles périssent comme les feuilles de Fréron.

Les divisions de Genève continuent toujours, mais sans aucun trouble. Ce fut, ces jours passés, une chose assez curieuse de voir huit cent cinquante citoyens refuser leurs suffrages aux magistrats avec beaucoup plus d’ordre et de décence que les moines n’élisent un prieur dans un chapitre. Plusieurs magistrats et plusieurs citoyens m’ont prié de leur donner un plan de pacification. Je n’ai pas voulu prendre cette liberté sans consulter M. d’Argental. Je crois d’ailleurs qu’il faut attendre que les esprits un peu échauffés soient refroidis. M. Hennin, nommé à la résidence de Genève, viendra bientôt ; c’est un homme de mérite très-instruit ; il est plus capable que personne de porter les Genevois à la concorde. Jean-Jacques a un peu embrouillé les affaires ; on découvre tous les jours de nouvelles folies de ce Jean-Jacques. Vous connaissez, je crois, Cabanis, qui est un chirurgien de grande réputation. Ce Cabanis a mis longtemps des bougies en sa vilaine petite verge ; il l’a soigné, il l’a nourri longtemps. Jean-Jacques a fini par se brouiller avec lui comme avec M. Tronchin. Il paraît que l’ingratitude entre pour beaucoup dans la philosophie de Jean-Jacques.

Notre enfant. Mme Dupuits, vient d’accoucher, à sept mois, d’un garçon qui est mort au bout de deux heures. Il a été heureusement baptisé ; c’est une grande consolation. Il est triste que père Adam n’ait pas fait cette fonction salutaire, dont il se serait acquitté avec une extrême dignité.

Adieu, mon très-cher écr. de l’inf…

P. S. Je recommande toujours à vos bontés de l’affaire de Sirven. Un homme de loi de son pays m’a mandé qu’il lui avait conseillé lui-même de fuir ; et que, dans le fanatisme qui aliénait alors tous les esprits, il aurait été infailliblement sacrifié comme Calas. Cette seconde affaire fera autant d’honneur à M. de Beaumont que la première, sans avoir le même éclat. On verra que l’amour de l’humanité l’anime ptutôt que celui de la célébrité.

  1. Deux exemplaires de la Collection des lettres sur les miracles, etc. ; Neuchâtel, 1765, in-8o ; voyez tome XXV, page 357.